Autopsie d’un ratage
Et si le problème de Kalidor, outre son héroïne aussi fade qu’inepte, est qu’à chaque instant on se demande à qui se film est destiné ?
Réalisation : Richard Fleischer
Scénario : Clive Exton & George MacDonald Fraser Distribution :
Année : 1985 |
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Synopsis : Sonia la rousse a juré de se venger de la maléfique reine Gedren après que celle-ci ait fait tuer ses parents et l’ait livrée à ses soldats pour punir l’impertinente qui a refusé ses avances.
La destination d’une œuvre, le public qu’elle cherche à atteindre et le message qu’elle cherche à délivrer ne sont pas des questions anodines, même lorsque le message est simple ou lorsque le public visé est le plus large possible. Les tares qui affligent Kalidor, la légende du talisman sont antérieures au projet et mérite qu’on remonte un peu en arrière.
Après le succès de Conan le Barbare, Dino de Laurentis, le producteur, se dit qu’il tient un bon filon mais au lieu de rester fidèle à ce qui avait fait le succès du premier, son ton sérieux et un certain jusqu’au boutisme, la suite, Conan le Destructeur, s’oriente vers une fantasy plus grand public et enfantine. Hélas pour le producteur et surtout la poursuite des aventures cinématographiques de Conan le grand public bouda un film qui est plus imparfait que franchement raté, à la différence de ce Kalidor qui nous préoccupe ici. Qui est lui franchement raté. L’échec fut cuisant ce qui n’empêcha pas le lancement d’un autre projet qui devait capitaliser sur l’heroic fantasy de Robert E. Howard revu par les comics Marvel, porté sur le grand écran le personnage de Red Sonja.
Pourquoi parler ainsi de Sonja alors que le film s’appelle Kalidor ? Eh bien parce que son titre original américain était Red Sonja, et que c’était ce personnage pas celui d’Arnold Schwartzeneger qui devait être le personnage principal. L’idée n’était en soi pas mauvaise, Conan momentanément cramé se tourner vers un personnage charismatique issu du même univers n’était pas idiot. Mais le choix de Brigitte Nielsen en dépit d’une plastique avantageuse n’était pas la personne pour le rôle tant elle est transparente à l’écran. Devant la fadeur de l’actrice principale le bon Dino de Laurentis, qui ne manque pas d’idée, rallonge le temps de tournage d’un Schwarzie qui à l’origine ne devait apparaître qu’en clin d’œil. Ces séquences en plus, loin de corriger les lacunes de l’héroïne les accroissent. Le prince Kalidor arrive à plusieurs moments critiques pour sauver une héroïne qui n’aurait pas dû avoir besoin de son secours et certainement pas comme ça.
Brigitte Nielsen n’est pas la seule responsable du fiasco. D’abord parce que si elle est une erreur de casting il est difficile de l’en tenir pour responsable. Ensuite reconduire le réalisateur Richard Fleischer qui avait officié sur Conan le Destructeur n’était pas non plus un choix avisé. Le réalisateur ne croyait pas en la fantasy et n’y voyait qu’un genre mineur pour mineurs. Ainsi le film commence par une scène d’exposition au cours de laquelle une présence fantomatique, une lueur blanche à la voix féminine raconte ce qui s’est passé juste avant le début du film. Curieuse approche qui d’emblée dépossède Sonja de sa charge dramatique, sans compté que cette présence blanche est une pure construction de scénario qui donne dès le départ au film une vilaine impression d’artifice et de toc que les décors, les costumes et les scènes d’actions ne dissiperont pas. Ces mauvais choix et un scénario mal foutu donnent un film qui ne choisit pas de direction particulière, un non choix frustrant.
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Cette incertitude se retrouve tout au long du long métrage qui hésite entre un ton sérieux qui semble lorgné vers Conan le Barbare propre à satisfaire un public plus adulte et la volonté de plaire à un public enfantin amateur de grosses blagues. D’un côté on a un film qui se laisse aller à une violence graphique assez décomplexé, on décapite et on extermine à tout va, de l’autre on accole à l’héroïne un sal gamin tête à claque, le prince Tarn. On s’inspire de Conan le Barbare, Red Sonja apprend l’escrime auprès d’un maître oriental comme le Cimérien chez John Milius, elle aussi a vu sa famille massacrée et cherche à se venger, mais en aseptisant le propos, loin d’être une amazone ou une valkyrie vengeresse nous avons un personnage qui n’est qu’une princesse de conte de fée avec une épée. De même on peine à s’expliquer la présence de personnage comme celui du magicien de la reine Gedren (Sandahl Bergman, la Valeria de Conan le Barbare) aussi efficace que le Merlin de Kaamelott. La méchante Gedren avait pourtant du potentiel, c’est parce que Sonja s’est refusée à elle qu’elle a fait massacrer la famille de la rouquine mais comme pour le reste de ce prémisse rien est fait. La reine Gedren est malheureusement très loin de Thulsa Doom (joué par James Earl Jones) l’antagoniste de Conan alors qu’il est toujours crucial d’avoir un(e)bon(ne) méchant(e) pour donner du relief au personnage principal.
Kalidor/Red Sonya ne pouvait décemment pas être une réussite. Il est toujours possible de le regarder avec distance et le film doit pouvoir plaire à un jeune public, malgré sa violence ou plutôt grâce à elle mais il y a pire dans la trilogie Le Hobbit de Peter Jackson (l’homme a fait ses premières armes dans le cinéma d’horreur tendance gore) et pas de quoi traumatiser une âme sensible. Mais ce même jeune public le trouvera surement daté et petit bras en regard de films plus actuels. Kalidor est un mauvais film au final car il ne s’adresse à personne d’autre que des enfants qui même avec les yeux de la nostalgie n’y retrouveront, à l’âge adulte, qu’un spectacle indigent et finalement plus raté que drôle ou plaisant.
On se dit qu’un bon remake bien crade, brutal et nihiliste de ce Kalidor avec une vraie Red Sonja qui n’aurait pas besoin qu’un mal musculeux vienne toutes les cinq minutes à sa rescousse serait une bonne idée. Pourquoi refaire des films réussis réalisés par de grands réalisateurs alors qu’il y a tant de films ratés qui gagneraient peut-être à être revu et corrigé ? On connait déjà les réponses mais on se dit que dans un monde parfait on laisserait tranquille les chefs-d’œuvre de jadis et de naguère, surtout quand il s’agit d’en faire des films médiocres, et n’écoutant que la plus élémentaire des raisons on tournerait des versions moyennes de mauvais films ce qui serait un progrès.
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R.V.
Post-scriptum : une brève histoire éditoriale de Red Sonja
Red Sonja : est un personnage crée par Marvel comme pendant féminin à Conan en s’inspirant de deux personnages de femmes guerrières inventés par Robert E. Howard mais qui n’avaient chez l’auteur texan rien à voir avec le Cimérien et l’âge hyborien.
La première de ces femmes aussi rousses, belles et belliqueuses l’une que l’autre s’appelle respectivement Agnès la Noire, et oui une petite française qui a préféré une vie d’aventure à un mariage sans amour, et Sonya de Rogatino. Cette dernière et quasi homonyme est un personnage secondaire mais marquant de la nouvelle L’ombre du vautour qui raconte le premier siège de Vienne par Soliman le Magnifique. Détail croustillant cette Sonya qui se réjouit de tirer au canon sur les Turcs n’est autre que la sœur de Roxane l’épouse du sultan. On retrouve ces deux personnages dans les recueils Agnès la noire et Le seigneur de Samarkand édité par Bragelonne. |
La Red Sonja de Marvel, pur personnage d’heroic fantasy à la différence de ces modèles littéraires qui étaient des personnages de récits à caractère historique, est devenue célèbre grâce à/à cause de son armure bikini qui met en valeur ses formes généreuses mais dont on se demande encore comment cela peut être tenu pour une protection fonctionnelle lors d’un combat à l'arme blanche.
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