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Arts-chipels.fr

Noire. Au temps où la ségrégation raciale sévissait.

Noire. Au temps où la ségrégation raciale sévissait.

Au-delà d’une incursion dans les prémices de la lutte contre la ségrégation aux Etats-Unis, la découverte d’une de ses pionnières de l’ombre au milieu des années 1950 constitue un beau moment de littérature en même temps que de vérité.

Une silhouette noire menue et élancée, noire vêtue de noir, en socquettes noires, s’insère au milieu des nuages qui se dessinent sur les voiles qui découpent la scène. Elle, elle est Claudette Colvin, une adolescente de quinze ans. Elle vit à Montgomery, en Alabama. Une jeune fille timide et réservée, qui emprunte le bus pour se rendre à l’école. L’auteure qui la présente nous interpelle. Elle ne cessera de nous prendre à parti, nous incluant dans son propos, faisant de nous des protagonistes muets mais actifs.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Une plongée dans l’Amérique ségrégationniste

En 1865, le XIIIe amendement de la Constitution américaine abolit officiellement l’esclavage. Mais l’égalité des droits n’est pas pour autant réalisée, en particulier dans les Etats du Sud – il suffit pour cela de se souvenir qu’en 1962, lorsqu’un étudiant noir entre pour la première fois dans une université du Mississipi, il le fait, encadré par 23 000 agents fédéraux. De triste mémoire, les assemblées du Ku Klux Klan apparaissent sur les panneaux de voile sur lesquels sont projetés des documents d’époque. Depuis 1877, les lois Jim Craw, instaurant la ségrégation, sont en vigueur dans les Etats du Sud. Elles introduisent la ségrégation dans les services publics (établissements scolaires, hôpitaux, transports, justice, cimetière, etc.), les lieux de rassemblement (restaurants, cafés, théâtre, salle de concert, salles d'attentes, stades, toilettes...) et restreignent les interactions sociales entre Blancs et gens de couleur au strict minimum, cela au nom du principe « separate but equal » / séparés mais égaux… Toilettes « for colored people », fontaines à eau dédiées, police séparée, emplacements réservés… on est loin de considérer que la couleur de peau n’infère pas la qualité d’humain à part entière. Bien que le 17 mai 1954, la ségrégation ait été déclarée anticonstitutionnelle, elle n’en sévit pas moins pour autant. Les noirs ne sont pas des citoyens comme les autres.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Celle par qui s’amorce la lutte

Dans les autobus, la ségrégation est bien sûr de mise. Les noirs sont au fond, les blancs à l’avant. Les noirs prennent leur ticket à l’avant mais sont tenus de monter dans le bus par l’arrière, et tant pis si le chauffeur – qui est armé – démarre sans les attendre ! Si d’aventure tous les sièges prévus pour les blancs sont occupés, les noirs sont tenus de céder leur siège au blanc qui s’installe. Pour un blanc qui prend place, c’est quatre noirs qui doivent se rabattre sur le fond du bus – on ne se mélange pas ! En ce 2 mars 1955 pourtant, une jeune fille noire de quinze ans qui est assise refuse de se lever, en dépit des injonctions du chauffeur. Elle est expulsée sans ménagement par la police et conduite au poste, ce qui fait craindre le pire : insultes, tabassage, voire même viol et lynchage. Elle proteste en arguant que ses droits constitutionnels ont été violés. Lors de son procès, on l’accusera d’avoir contrevenu aux lois Jim Craw, troublé l’ordre public et proféré des insultes. Elle plaide non coupable, attaque la ville et après des péripéties qui mènent l’affaire jusqu’à la Cour suprême, obtient gain de cause.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

Un déclencheur embarrassant

Pour les militants de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), son affaire offre l’occasion rêvée de faire avancer la cause des noirs. Mais Claudette Colvin n’est pas la candidate idéale. Considérée comme émotionnellement instable, tombée enceinte hors mariage de surcroît et mère d’un fils à la peau bien trop claire, elle ne peut devenir la figure de proue et l’emblème du mouvement. Rosa Parks qui a levé des fonds pour défendre Colvin et qui, le 1er décembre de la même année, refuse, elle aussi, de céder sa place dans le bus devient le porte-drapeau de ce mouvement qui conduit aux 381 jours de boycott des autobus de Montgomery par la communauté noire. On compte parmi les défenseurs de la cause noire un jeune pasteur qui fera parler le lui : Martin Luther King. Leur revendication non violente aboutira en 1964 au Civil Rights Act qui interdit toute discrimination dans les lieux publics et, l’année suivante, au Voting Rights Act qui supprime les tests et taxes pour devenir électeur aux Etats-Unis.

© Giovanni Cittadini Cesi

© Giovanni Cittadini Cesi

La force d’un texte

L’impact du spectacle, au-delà de la cause qu’il défend, tient à l’apparente simplicité qu’il affiche. Sans pathos ni effet de manche, Tania de Montaigne livre l’histoire de cette jeune fille, dépassée par l’acte qu’elle accomplit. Sur le ton d’une narration sans affect affiché, introduisant une complicité avec le public qu’elle interpelle, l’auteure nous met en situation de comprendre et de ressentir de l’intérieur tandis que s’égrènent sur les voiles des projections qui font remonter à la mémoire le souvenir de ces années-là : des extraits de film, des photos d’archives, des chansons interprétées par Mahalia Jackson, Billie Holliday ou Bessie Smith chantant le blues des noirs, ou des interviews de femmes noires comme Nina Simone ou Myriam Makeba revendiquant leur identité. La mamma d’Autant en emporte le vent, caricature du « bon » noir, côtoie l’histoire d’une jeune femme noire dont la peau, de couleur claire, lui permet de se faire passer pour blanche jusqu’à ce qu’elle assume ses origines (Mirage de la vie, Imitation of Life de Douglas Sirk, 1959, lui-même remake d’un film de 1935 avec Claudette Colbert). L’émotion naît de ces hommes qui défilent en portant des pancartes affirmant « I am a man » (je suis un homme). Elle nous rappelle aussi que seul un peu plus d’un demi-siècle nous sépare de cette société inique et que les affrontements communautaires d’aujourd’hui qui érigent la différence et l’inégalité entre les hommes doivent être combattus sans relâche au nom de la famille commune à laquelle appartiennent tous les humains et de l’égalité de leurs droits…

Noire d’après Noire – La Vie méconnue de Claudette Colvin de Tania de Montaigne (éd. Grasset), Prix Simone Veil 2015

Adaptation et mise en scène Stéphane Foenkinos . Avec Tania de Montaigne.........Claudette Colvin

Assistanat à la mise en scène Joseph Truflandier. Scénographie Laurence Fontaine. Création lumières Claire Choffel-Picelli. Création vidéo Pierre-Alain Giraud. Voix additionnelles Lola Prince et Stéphane Foenkinos

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris

Du 19 au 23 octobre 2021, du mardi au samedi à 20h30. Le 23 octobre à 14h30.

Tél : 01 44 95 98 00. Site : www.theatredurondpoint.fr

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