3: Le rythme cardiaque

3 Le rythme cardiaque


Pour identifier correctement le rythme cardiaque, il faut examiner un tracé long – enregistrement prolongé de l’ECG d’une seule dérivation, habituellement DII (figure 3.1). La plupart des appareils ECG modernes comportent automatiquement un tracé long au bas de l’ECG 12 dérivations. Si cet enregistrement n’est pas automatique, effectuez-le vous-même. Le diagnostic d’anomalies du rythme peut seulement devenir apparent quand vous examinez 12 complexes consécutifs ou plus.



Même avec un tracé long, le diagnostic des rythmes cardiaques anormaux n’est pas toujours facile, et certaines arythmies parmi les plus complexes peuvent mettre à l’épreuve les compétences du cardiologue même le plus expérimenté. Par conséquent, il est logique de commencer ce chapitre par la recommandation suivante :



Ce conseil est particulièrement important si le patient est hémodynamiquement défaillant du fait de l’arythmie ou si vous avez des hésitations sur la nature du traitement à administrer.


Il existe plusieurs façons d’aborder l’identification des arythmies ; ceci se reflète dans les nombreuses manières de les classer :






Les rythmes cardiaques habituels sont énumérés dans le tableau 3.1. La première moitié de ce chapitre contient une brève description de chaque rythme tour à tour, associée à des exemples d’ECG. Dans la seconde moitié, Identifier le rythme cardiaque, nous vous montrerons comment diagnostiquer correctement le rythme cardiaque.


Tableau 3.1 Rythmes cardiaques



















Rythmes du nœud sinusal :




Rythmes auriculaires :


Rythmes jonctionnels auriculo-ventriculaires
Tachycardies par réentrée auriculo-ventriculaire
Rythmes ventriculaires :



Troubles de conduction
Rythmes d’échappement
Battements ectopiques


Rythmes cardiaques habituels




Bradycardie sinusale


La bradycardie sinusale est un rythme sinusal avec une fréquence cardiaque inférieure à 60 battements par minute (figure 3.3).



Les caractéristiques de la bradycardie sinusale sont les suivantes :





Il est rare qu’une bradycardie sinusale soit plus lente que 40 battements par minute – si tel est le cas, vous devez évoquer une autre cause, tel un bloc intracardiaque (p. 52). La bradycardie sinusale peut être une constatation normale chez les athlètes ou durant le sommeil par exemple. Toutefois, il faut toujours évoquer les éventuelles causes suivantes :











Si la bradycardie sinusale est sévère, des complexes d’échappement ou des rythmes d’échappement peuvent survenir.


La prise en charge de la bradycardie, quelle qu’en soit la cause, est détaillée page 19.



Tachycardie sinusale


La tachycardie sinusale est un rythme sinusal avec une fréquence cardiaque supérieure à 100 battements par minute (figure 3.4).



Les aspects caractéristiques de la tachycardie sinusale sont les suivants :





Il est rare qu’une tachycardie sinusale dépasse 180 battements par minute, excepté chez les athlètes en bonne condition physique. À cette fréquence, il peut être difficile de différencier les ondes P des ondes T, d’où la confusion possible avec une tachycardie par réentrée dans le nœud auriculo-ventriculaire.


Les causes physiologiques de la tachycardie sinusale incluent tous les facteurs de stimulation du système nerveux sympathique : anxiété, douleur, frayeur, fièvre ou effort. De même, il faut toujours prendre en considération les causes suivantes :









La prise en charge d’une tachycardie sinusale est fonction de la cause. Lorsqu’un patient présente une tachycardie appropriée (compensation d’une baisse de la pression sanguine par perte liquidienne ou anémie par exemple), son ralentissement par thérapeutique bêtabloquante peut aboutir à une décompensation catastrophique. C’est l’affection sous-jacente qui nécessite la prise en charge. Toutefois, si la tachycardie sinusale est inappropriée, comme lors d’un état anxieux ou d’une hyperthyroïdie par exemple, le traitement bêtabloquant pourra être utile.



Toutefois, une tachycardie sinusale persistante « inappropriée » est reconnue comme une entité clinique avec pour critère une fréquence cardiaque supérieure à 100 battements/minute au repos (en rythme sinusal) mais cette situation est difficilement admise. Elle peut résulter de l’augmentation de l’automaticité dans le nœud sinusal ou d’une dysfonction du système nerveux autonome. La tachycardie sinusale inappropriée peut être traitée par des drogues contrôlant la fréquence cardiaque (telles que les bêtabloquants) ou, en présence de cas symptomatiques sévères par traitement électrophysiologique/ablation du nœud sinusal.




Maladie du sinus


Comme son nom le suggère, la maladie du sinus comporte une succession de désordres concernant la génération et la conduction de l’influx en rapport avec une dysfonction du nœud sinusal. L’un ou la totalité des problèmes suivants peuvent être observés chez un patient atteint de ce syndrome :





La bradycardie sinusale a déjà été décrite (p. 27). Le nœud sinusal est normalement un pacemaker très fiable. Toutefois, dans l’arrêt sinusal, il ne peut parfois délivrer l’influx à temps – lorsqu’on regarde un tracé long, on constate qu’une onde P va soudainement faire défaut à l’endroit où elle devait apparaître, ce qui provoque un vide, de longueur variable, jusqu’à ce que le nœud sinusal déclenche l’apparition d’une onde P, à moins qu’un battement d’échappement jonctionnel ne soit généré par un pacemaker auxiliaire situé dans la jonction auriculo-ventriculaire, faisant office en quelque sorte de filet de sauvetage (figure 3.6).



Dans le bloc sino-auriculaire, le nœud sinusal se dépolarise normalement, mais l’influx ne peut atteindre l’oreillette. Une onde P fait défaut à l’endroit attendu, mais la suivante tombe habituellement à l’endroit exact où elle devait apparaître (figure 3.7).



Si la bradycardie sinusale est sévère, ou si l’arrêt sinusal ou le bloc sino-auriculaire se prolongent, des battements d’échappement, voire un rythme d’échappement, peuvent survenir. La maladie du sinus peut aussi coexister avec :




L’association de la maladie du sinus avec des tachycardies paroxystiques est appelée syndrome tachycardie-bradycardie1. Les tachycardies surviennent souvent à titre de rythme d’échappement en réponse à un épisode de bradycardie. La preuve d’une conduction anormale au niveau du nœud auriculo-ventriculaire devient souvent apparente lorsqu’un patient porteur d’un syndrome tachycardie-bradycardie développe une fibrillation auriculaire avec réponse ventriculaire lente – le nœud auriculo-ventriculaire ne peut conduire les influx auriculaires à la fréquence habituellement élevée.


La maladie du sinus et le syndrome tachycardie-bradycardie qui lui est associé peuvent être à l’origine de symptômes tels que malaises, syncopes et palpitations. La cause la plus commune de maladie du sinus est la dégénérescence et la fibrose du nœud sinusal et du système de conduction. D’autres causes sont à prendre en considération :







Le diagnostic demande habituellement l’enregistrement ambulatoire d’un ECG de 24 heures, également connu sous le nom de Holter. Les patients asymptomatiques n’ont pas besoin de traitement. Les patients symptomatiques doivent faire discuter la pose d’un pacemaker permanent (chapitre 14). Ceci est particulièrement important s’ils présentent également des accès de tachycardie paroxystique nécessitant des médicaments antiarythmiques (qui peuvent aggraver les épisodes de bradycardie). Les tachycardies paroxystiques qui se révèlent être des rythmes d’échappement en réponse aux épisodes de bradycardie peuvent aussi s’améliorer sous l’effet de l’entraînement électrosystolique. Le recours à un cardiologue est par conséquent hautement recommandé.



Tachycardie auriculaire


La tachycardie auriculaire diffère de la tachycardie sinusale dans la mesure où les influx sont générés par un foyer ectopique situé plus volontiers dans une quelconque région du myocarde auriculaire que dans le nœud sinusal (figure 3.8). Plus d’un foyer peut coexister chez un même patient (tachycardie atriale multifocale), donnant naissance à des ondes P de morphologies différentes.



La tachycardie atriale, sur une bande d’enregistrement, présente les caractéristiques suivantes (figure 3.9) :





La fréquence auriculaire (onde P) est habituellement de 120 à 250 par minute ; pour des fréquences auriculaires supérieures à 200 par minute, le nœud auriculo-ventriculaire doit lutter pour maintenir la conduction de l’influx et un bloc auriculo-ventriculaire peut survenir. La combinaison d’une tachycardie auriculaire et d’un bloc auriculo-ventriculaire est particulièrement habituelle au cours de l’intoxication par la digoxine. Si le patient ne prend pas de digoxine, envisagez alors :







Pour plus de détails concernant la prise en charge d’une intoxication digitalique, consultez le paragraphe sur la digoxine du chapitre 9 (p. 164). Si la digoxine n’est pas en cause, on peut l’utiliser pour contrôler la réponse ventriculaire, de même que le vérapamil ou un bêtabloquant.




Flutter auriculaire


Le flutter auriculaire résulte habituellement d’un circuit de réentrée à l’intérieur de l’oreillette droite. L’influx met environ 0,2 seconde pour parcourir le circuit auriculaire droit complet (dans la plupart des cas, il est de direction anti-horaire), et donner naissance à une onde de dépolarisation à travers les deux oreillettes et une onde de flutter sur l’ECG. Il existe ainsi près de 5 ondes de flutter par seconde, et environ 300 par minute (figure 3.10).



Au cours du flutter auriculaire, la fréquence auriculaire est habituellement de 250 à 350/min. et, souvent, presque exactement de 300/min. Le nœud auriculo-ventriculaire ne peut pas répondre à une sollicitation auriculaire aussi élevée et un bloc auriculo-ventriculaire apparaît. Le bloc le plus courant est de type 2/1 où seul un influx auriculaire sur deux peut traverser le nœud auriculo-ventriculaire pour provoquer la formation d’un complexe QRS. Mais les blocs de type 3/1, 4/1 ou à conduction variable peuvent également s’observer (figure 3.11).



Ainsi, la fréquence ventriculaire est plus faible que la fréquence auriculaire et fréquemment de 150, 100 ou 75 par minute. Vous devez toujours soupçonner un flutter auriculaire 2:1 avec bloc 2:1 quand un patient présente une tachycardie régulière avec une fréquence ventriculaire avoisinant 150 par minute.


La fréquence auriculaire élevée confère à la ligne de base de l’ECG un aspect caractéristique en « dents de scie ». L’identification peut en être facilitée par un massage du sinus carotidien. Ce geste ne réduira pas le flutter auriculaire mais accentuera le degré du bloc auriculo-ventriculaire, rendant plus aisée la lecture de la ligne de base, en réduisant le nombre des complexes QRS (figure 3.12).



Le massage du sinus carotidien devra être entrepris le patient étant allongé, le cou en légère extension. N’entreprenez pas de massage carotidien s’il existe un souffle carotidien ou s’il existe des antécédents thrombo-emboliques cérébraux. Il faut masser l’artère carotide sur une face latérale du cou à travers le muscle sterno-cléido-mastoïdien, pendant 5 secondes. Ce geste peut être répété, si nécessaire, du côté opposé, au bout d’une minute. L’ECG doit être surveillé en permanence durant la procédure.


Ainsi, les caractéristiques d’un flutter auriculaire sont les suivantes :





Les causes du flutter auriculaire sont les mêmes que celles de la fibrillation (voir tableau 3.2). Bien que la digoxine, le vérapamil ou les bêtabloquants puissent être simplement utilisés pour contrôler la réponse ventriculaire, vous devrez rechercher en priorité la restauration du rythme sinusal. Les principes actifs qui peuvent restaurer (et maintenir) le rythme sinusal sont :





Tableau 3.2 Causes de fibrillation auriculaire





Hypertension
Cardiopathies ischémiques
Hyperthyroïdie
Maladie du sinus
Alcool
Valvulopathie mitrale rhumatismale
Cardiomyopathie
Défaut septal auriculaire
Péricardite
Myocardite
Embolie pulmonaire
Pneumonie
Chirurgie cardiaque
Fibrillation auriculaire idiopathique (« isolée »)

Le flutter auriculaire peut également être régularisé en rythme sinusal grâce à la cardioversion par Choc électrique externe (CEE) (p. 41) et la stimulation auriculaire de type « overdrive » (chapitre 14). L’ablation du flutter auriculaire peut être utilisée pour prévenir la récidive de l’arythmie. Il s’agit d’une technique électrophysiologique dans laquelle le circuit de réentrée est identifié dans l’oreillette droite et détruit de manière définitive en utilisant la diathermie pour « sectionner la boucle » de ce circuit.


Le flutter auriculaire comporte un risque de complications thrombo-emboliques, et chez les patients porteurs de ce trouble du rythme, on envisage habituellement un traitement anti-agrégant plaquettaire ou une anticoagulation, en se basant sur des recommandations identiques à celles qui sont appliquées en cas de fibrillation auriculaire (voir plus loin).



Fibrillation auriculaire


La fibrillation auriculaire est plus commune que le flutter, touchant 5 à 10 % des sujets âgés. On peut la classer en permanente, persistante ou paroxystique :





La fréquence de base de la FA est élevée, une dépolarisation désordonnée parcourant les oreillettes du fait de multiples « vaguelettes » d’activation. On ne distingue aucune onde P et la ligne de base de l’ECG est faite d’oscillations de faible amplitude (fibrillation ou ondes « F »). Approximativement 350 à 600 impulsions atteignent le nœud AV chaque minute, mais seulement 120 à 180 d’entre elles vont gagner les ventricules pour donner naissance aux complexes QRS. La transmission de l’influx auriculaire à travers le nœud AV est désordonnée, rendant le rythme ventriculaire (complexe QRS) « irrégulièrement irrégulier » (figure 3.13).



Ainsi, les caractéristiques de la fibrillation auriculaire sont :




La dépolarisation auriculaire anarchique conduit à une défaillance de la contraction auriculaire efficace. La perte de la systole auriculaire réduit le remplissage ventriculaire et peut provoquer une chute de 10 à 15 % du débit cardiaque.


Les patients en fibrillation auriculaire vont habituellement présenter des palpitations et/ou les symptômes d’une cause sous-jacente (tableau 3.2). Il y a un risque significatif d’embolie systémique en cas de fibrillation auriculaire et un accident thromboembolique peut être l’élément révélateur. L’examen du patient révélera un pouls « irrégulièrement irrégulier ».


Une fois la fibrillation auriculaire diagnostiquée, la cause doit être recherchée au moyen d’une description de l’histoire de la maladie et d’un examen minutieux. Des tests fonctionnels thyroïdiens sont essentiels dans la mesure où la fibrillation auriculaire peut être l’unique signe d’un dysfonctionnement thyroïdien. L’échocardiographie peut également être utile. Le traitement d’une cause sous-jacente peut résoudre le problème de l’arythmie.


En traitant la fibrillation auriculaire permanente, vous chercherez à :





Le contrôle de la fréquence cardiaque est obtenu avec des substances bloquant le nœud auriculo-ventriculaire telles que la digoxine, le vérapamil ou les bêtabloquants.


Au Royaume-Uni, l’Institut national pour la santé et l’excellence clinique (NICE) a publié en 2006 d’utiles recommandations concernant la prise en charge de la fibrillation auriculaire qui comportaient un algorythme décisionnel permettant de choisir entre aspirine et warfarine. Le risque d’accident vasculaire cérébral lié à la fibrillation auriculaire est réduit d’environ 60 % par le traitement anticoagulant à base de warfarine et d’environ 25 % avec l’aspirine. Les facteurs de risque qui situent les patients porteurs de fibrillation auriculaire à un haut niveau de risque d’accident vasculaire cérébral sont :


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Jul 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 3: Le rythme cardiaque

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