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DB
SAINT AUGUSTIN
LES CONFESSIONS
TRADUCTION FRANÇAISE ET COMMENTAIRES
HT T E X T E L A T I N
TOME III
PARIS
MAISON DE LA BONNE PRESSE
5, RUE BAYARD, 5
Biblio!èque Saint Libère
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© Bibliothèque Saint Libère 2011.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
LES CONFESSIONS
DE
SAINT AUGUSTIN
TOMB ni
LIVRE IX
LIVRE IX
Augustin raconte ce qui suivit sa conversion arrivée au
commencement du mois d'août 3 8 6 : le projet qu*il forma
de renoncer à l'enseignement de la rhétorique et dont il
différa toutefois l'exécution jusqu'à l'époque des vacances
d'automne qui n'était pas éloignée; sa retraite à Cas-
siacum, dans la maison de campagne de son ami Vere-
cundus, avec sa mère et quelques autres jeunes gens de
ses amis, ses occupations dans cette retraite, les divers
livres qu'il y compose. Après y avoir passé environ deux
ans, il revient à Milan aux approches du Carême et reçoit
le baptême des mains de saint Ambroise, avec Alypius et
son fils Adéodat. Puis il se dispose à retourner en Afrique
avec sa mère. C'est dans cette même année de son bap-
tême que, étant arrivé à Ostie, il y perd sa mère, sainte
Monique, dont il retrace les derniers moments, les vertus
et la douleur profonde que lui causa cette mort. Il était
alors dans sa trente-deuxième année.
CHAPITRE PREMIER
Augustin célèbre la bonté de Dieu qui a changé sa volonté, lui a fait porter le
joug de Jésus-Christ et trouver une douceur soudaine dans le renoncement
aux fausses délices de la vanité.
C A P U T PRIMUM
(1) 7*0»/ mon être, c'était de ne pas vouloir, etc. La plupart des autres
éditions, à l'encontre de celle des Bénédictins, portent : Et hoc erat toturn
nolle quod volebam, et velte quod volebas : et tout se réduisait à ne plus
vouloir ce que j e voulais. Le sens est peu différent, puisque le principe de
la corruption est toujours dans l'opposition secrète de la volonté humaine
contre la volonté divine.
(a) Plus intime que ce qu'il y a de plus caché, La grâce de Dieu jette
un vif éclat, mais dans' le secret du coeur et non au milieu du tumulte des
affaires et de la multitude des choses sensibles.
(3) De rouler dans la fange des passions mon âme lépreuse, c'est-à-dire
d'envenimer, en l'irritant, la lèpre de mes débauches : mttaphore on ne
LIVRE IX CHAPITRE PREMIER 9
peut plus juste. Les lépreux, ceux qui sont couverts de dartres, sont con-
sidérés comme impurs; ils cherchent leur plaisir dans cette malheureuse
démangeaison, qui est beaucoup moins une satisfaction que le témoignage
d'une maladie honteuse.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
(1) Au trafic d'une vaine rhétorique, mot à mot, au trafic que faisait
ma parole, les artifices d'un vain langage, c'est-à-dire à la profession de
rhéteur, digne assurément d'être aussi durement stigmatisée si l'on s'y
propose pour fin la vanité.
(a) Le» armes que ma parole vendait à leur fureur. L'éloquence et les
autres arts libéraux sont des instruments de vertu si on les rapporte à la
gloire de D i e u ; mais ils deviennent des armes qui servent aux ardentes
passions des hommes, entre les mains des enfants de la vanité, qui ne s e
proposent pour fin de leurs études que les richesses et lies honneurs. De tris
hommes sont d'autant phzs mauvais qu'ils sont plus savants, surtout s'ils
sont avec cela dominés par l'hérésie et par l'opiniâtreté.
(3) Fort peu de temps jusqu'aux vacance» d'automne. Ces vacances
s'ouvraient le seizième jour de septembre, comme nous le voyons dans le
livre des £01* des Visigroth» : « Nous ordonnons qu'à raison des v e n d a n t s ,
il y ait vacances depuis le seizième jour des calendes d'octobre jusiju'î u
quinzième jour des calendes de novembre. »
(4) Au sortir de la vallée de larmes, c'est-àrdire de la pénitence ou des
misères de ce monde, qui est une véritable vallée de larmes. Saint Augustin
fait ici allusion à ce verset du psaume lxxxiu : « Heureux l'homme q u i .
C A P U T II
dans cette vallée de larmes, dispose en son cœur des degrés pour s'élever
jusqu'au lieu qu'il se propose. »
(5) Chantant le Cantique des degrés. Ce cantique comprend quinze
psaumes, depuis le cxix* jusqu'au cxxxiu*. Quinze psaumes portent oe
titre, parce que, au témoignage de saint Augustin, il y avait autant de degrés
au temple de Salomon, et qu'en montant ces degrés on chantait ces psaumes,
appelés pour cela le Cantique des degrés ou des montées. Théodoret,
Euthymius, et plusieurs autres interprètes pensent que ces cantiques
signifient le retour des Juifs de Babylone à Jérusalem; et, selon l'opinion
p plus généralement reçue, ils étaient chantés sur la fin de la captivité,
orsque les Juifs avaient l'espérance d'un prochain retour, ou même a
1 époque où ils se mirent en marche pour revenir à Jérusalem. Bellarmiu
affirme comme certain que « quelle que soit l'interprétation qu'on adopte,
cette double ascension est la figure des élus qui, par les degrés des vertus
H surtout de la charité, montent de cette vallée de larmes jusqu'à la céleste
Jérusalem; et que c'est surtout de cette ascension que le Saint-Esprit a
voulu parler. » (Sur le ps. C'est la raison pour laquelle on chante
si souvent ces psaumes dans l'Eglise. Il est vraisemblable que saint
Augustin, après sa conversion, les récitait souvent, avec le désir d'avancer
de plus en plus dans l'amour de Dieu*
12 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
n o u s
flèches perçantes et de charbons ardents (Ps. cxix, 4)»
étions forts contre la langue d'amis perfides qui nous arrêtent
par leurs conseils et nous énervent par leur tendresse. Sans
doute, vous aviez blessé notre coeur de votre amour (i), vos
paroles restaient fixées en nous comme autant de traits; les
exemples de vos serviteurs, que vous aviez rendus de ténébreux
resplendissants, et de morts vivants, assiégeaient notre pensée,
nous enflammaient, secouaient la torpeur qui nous eût fait
pencher vers les choses basses. L'ardeur qu'ils nous inspiraient
était si vive, que tout vent de contradiction soufflé par ces
bouches trompeuses l'aurait attisée au lieu de l'éteindre.
2 . — Cependant notre pieux projet, une fois divulgué,
aurait aussi trouvé des approbateurs parmi ceux qui louent
votre nom, glorifié par toute la terre; et, dès lors, n'y aurait-il
pas eu, de notre part, quelque apparence d'ostentation, à ne
pas attendre les prochaines vacances, et à quitter brusquement
une charge publique, au risque d'attirer sur nous les regards?
N'aurait-on pas dit que, en prévenant de quelques jours la clô-
ture des classes, nous cherchions à nous faire valoir? Et à quoi
bon livrer ainsi nos secrets aux commentaires de la foule et
appeler le blasphème sur une œuvre sainte? Aussi bien, cet
été-là même, l'extrême fatigue de l'enseignement ( 2 ) avait épuisé
ma poitrine; ma respiration était devenue très pénible, les
douleurs internes témoignaient de la lésion du poumon, et nia
(1) Vous aviez blessé notre cœur de votre amour. Quelques auteurs
croient que Jésus-Christ, pour affermir l'amour de saint Augustin, lui fît
un jour, à trois reprises différentes, la même demande qu'à saint Pierre :
« Augustin, m'aimes-tu? — Vous savez, Seigneur, que je vous aime, quoique
mon amour soit indigne de vous ; mais comme vous méritez d'être aimé,
faites que mon amour soit digne de vous! — Que ferais-tu pour moi?
reprit le Sauveur. — Je consentirais volontiers, reprit Augustin, à ce que le
feu du ciel descendît sur moi et me dévorât entièrement sur vos autels,
afin d'être un holocauste agréable à votre divine Majesté! — Que ferais-
tu encore pour moi? continua Jésus-Christ. — Ahl s'écria cet amant de la
beauté incréée, s'il se pouvait que je fusse Dieu, et que vous fussiez
Augustin, je choisirais de tout mon coeur d'être Augustin, afin que vous
fussiez Dieu! »
(1) L'extrême fatigue de renseignement. Le travail excessif qu'exigeait
LIVRE IX — CHAPITRE II 13
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
Cette vertu est une partie de la force et elle est d'une nécessité indispen-
sable aux commençants, s'ils ne veulent bientôt abandonner leur dessein de
conversion.
a. Il nous enseigne encore admirablement avec quelle prudence il faut
éviter, autant qu'il est possible, de froisser ou de mécontenter les hommes.
Le doute qu'il exprime, à la fin du chapitre, sur le péché qu'il craint d'avoir
commis, indique une conscience délicate et pleine d'humilité ; car le motif de
charité qui le faisait agir et cette profession elle-même, où il ne se propo-
sait plus que la gloire de Dieu, rendaient sa conduite non seulement irré-
LIVRE IX — CHAPITRE II 15
(3) Les encouragements, les consolations que vous nous donnez. Ces conso-
lations qu'éprouvent les justes sont le signe évident de leur élection
divine.
(4} Cassiacum, près de Milan. Les manuscrits des Bénédictins l'appellent
Cassiciacum ; mais, d'après les témoignages du pays même, c'est Cassiacum
qu'il faut dire.
18 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) Sur votre montagne fertile et féconde. Saint Augustin 'entend par
cette montagne Jésus-Christ, qui est la montagne grasse et fertile, comme
il l'explique ailleurs [sur le Ps. LXYII), OU l'Eglise catholique, dans laquelle
Verecundus a reçu, avant sa mort, le pardon de ses péchés par les mérites
de Jésus-Christ et par le baptême. Suivant lie lia r min, cette montagne est
aussi la figure de l'Eglise.
(s) Comme un fantôme le corps du Verbe vraiment incarné. Nebridius,
sans donner dans l'erreur des Manichéens, lesquels, comme nous l'avons dit
plus haut, prétendaient que Jésus-Christ n'avait pas pris nn corps véri-
table, mais une chair fantastique, s'était laissé surprendre par d'autres héré-
tiques qui niaient la réalité de l'Incarnation.
{3)7/ vit dans le sein d'Abraham. Cette locution est empruntée à saint Luc,
xvi, 2*3. Le sein d'Abraham, qu'on appelle aussi les limbes des pères, qu'il
en faut pas confondre avec les limbes des enfants, est, suivant les théoio-
LIVRE IX — CHAPITRE III 1»
no.....)» il dit que le sein d'Abraham, c'est le lieu secret et mystérieux qu'il
habite, le ciel où il se cache" en Dieu. — Voir SUAREZ et BELLARMIN.
(4) D*affranchi devenu votre Jils. Il donne à Nebridius le nom d'affranchi,
parce qu'il avait été délivré par le baptême de la servitude du démon ; et il
20 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
l'appelle fils adoptif de Dieu, parce qu'il avait obtenu, par la grâce divine,
l'adoption des enfants,
( i ) Source où il s'enivre par la vision béatifique.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
i . Apprenez à pratiquer la reconnaissance envers vos amis et vos bien-
faiteurs après leur mort, et priez Dieu qu'il les mette en possession des
récompenses éternelles.
LIVRE IX — CHAPITRE III 21
Libri ipud Cassida cum scripti ; epistola; ad Nebridium ; qua» dederit voces cum
Psalmos legeret ; quomodo tunc dolore dentium Itberatus fuerìt.
(a) Respirant encore l'orgueil de l'école. Saint Augustin fait ici allusion
à ce qui arrive aux fuyards qui, lorsqu'ils commencent à s'arrêter, sont
quelque temps sans pouvoir reprendre haleine. Les livres dont il parle ici
r
sont ceux dont il est question dans ses Rétractations, (Liv. VI, ch. x° , n,
m , TV.)
(3) Où sont consignées nos communes discussions, etc. Les ouvrages
qui les renferment sont ses livres contre les académiciens, de la Vie heu-
reuse, de YOrdre, ceux qui comprennent les entretiens qu'il eut avec lui-
même en présence de Dieu, ses Soliloques, (Voir la traduction française d e
M. Péhssier, agrégé de philosophie, Paris, i853.) Ils ont été écrits, ou du
moins commentés à Cassi arum, comme il l'atteste lui-même. Or, bien que
ces livres aient été composés dans un excellent esprit, cependant ils ne sont
point encore entièrement conformes a la règle de l'humilité chrétienne, le
er er
saint Docteur l'avoue lui-même dans ses Rétractations, (Liv. I , ch. i , n,
III, IV, v.)
(4) Durant son absence. On a v u {Confessions, liv. VIII, ch. vi) que
Nebridius était alors retenu à Milan, où il suppléait Verecundus dans sa
chaire de grammairien.
24 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
que j'avais été un de ceux que ces paroles accusent. J'avais pris
pour la vérité des fantômes de vanité et de mensonge. Aussi,
quels accents profonds et véhéments m'inspirait la douleur de
mes souvenirs! Oh! que n'ont-ils été entendus de ceux qui,
maintenant encore, aiment la vanité et cherchent le mensonge !
Peut-être en eussent-ils été troublés, peut-être eussent-ils vomi
le poison de leur erreur! Et vous les eussiez exaucés, s'ils
avaient crié vers vous. Car il est vraiment mort pour nous de
la mort de la chair, Celui qui intercède prés de vous en notre
faveur.
5. — Je lisais : Mettez-vous en colère, mais sans pécher.
Comme j'étais ému de ces paroles, ô mon Dieu, moi qui déjà
avais appris à me mettre en colère contre mes iniquités passées ( i )
pour n'y plus tomber à l'avenir ! Sainte et juste colère, puisque
ce n'était pas une autre nature, issue des ténèbres, qui péchait
en moi, comme le disent ceux qui, ne voulant point se mettre
en colère contre eux-mêmes, amassent sur leur tête des trésors
de vengeance pour le jour où éclateront votre fureur et la
juste sévérité de vos jugements. Déjà les biens que j'aimais
n'étaient plus ceux du dehors ; mes yeux corporels ne les cher-
chaient plus dans ce soleil qui nous éclaire. Ceux qui veulent
trouver leur joie au dehors se dissipent comme la fumée, se
répandent sur les objets visibles et temporels, dont leur esprit
affamé effleure le fantôme comme du bout des lèvres. Oh!s'ils
se fatiguaient de leur indigence en disant : « Qui nous montrera
le bien ? « Oh ! s'ils entendaient notre réponse : » La lumière de
votre face s'est imprimée en nous, Seigneur! Car nous ne
sommes pas cette lumière qui éclaire tout homme, mais c'est
vous qui nous éclairez, afin que de ténèbres que nous étions,
nous devenions lumière en vous. »
6. — Oh! s'ils voyaient cette lumière intérieure, éternelle!
(i) Moi qui déjà avais appris à me mettre en colère contre mes ini-
quités passées, etc. Le premier sentiment qu'éprouve par rapport à soi tout
pécheur véritablement converti, c'est la haine de soi-même. Cette haine
naît principalement de son amour pour Dieu. Après son baptême in entremis.
LIVRE IX — CHAPITRE IV 29
lement. Saint Francois passa toute une nuit à dire : « Mon Dieu et man
tout! »
{•*) Aboyeur aveugle> détracteur surtout de TAncien Testament, qu'il
avail rejeté avec les Manichéens.
32 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) La douleur disparut par une espèce de miracle, car ce fut aussitôt
que ses amis eurent prié et, de sa vie, comme il l'atteste lui-même, il
n'avait rien éprouve de semblable. La douleur lui rendait l'étude presque
er
impossible. [Soliloques, liv. I , ch. xn.)
(a) Cette foi même ne m'était pas l'inquiétude. Car bien qu'il soit
certain et que ce soit un dogme de la foi catholique, dit Suarez, que poi r
obtenir la rémission de ses péchés il suffit au catéchumène d'avoir la con-
trition avec le désir du baptême, cependant, comme il est difficile d'avoir
cette contrition parfaite, la rémission des péchés avant la réception du
baptême en devient aussi moins certaine.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
1. Saint Augustin nous recommande ici par ses paroles, comme par ses
exemples, les Psaumes, qu'il appelle aveeraison les cantiques des fidèles, c'est-
à-dire qui sont propres aux fidèles ou qui sont pleins des mystères de la
foi. Le livre des Psaumes est, en effet, comme le sommaire et l'abrégé de
tout l'Ancien Testament; il renferme tout ce qui a rapport à l'histoire, aux
LIVRE IX — CHAPITRE IV 33
prophéties, à la morale. Ce qui faisait dire à saint Basile que « les Psaumes
er
pourraient arracher des larmes même à un coeur de pierre » {Sur le ps. I ),
et à saint Chrysostome que % ceux qui chantent convenablement les Psaumes
s'unissent aux chœurs des anges et rivalisent avec eux pour chanter les
louanges de Dieu. » {Sur le ps. CXXXVIL)
« Qu'il est beau, dit Bossuet {Or. fun. d'Anne de Gone.), de méditer l'Ecri-
ture Sainte, et que Dieu y sait bien parler non seulement à toute l'Eglise,
mais encore à chaque fidèle selon ses besoins I Augustin, encore catéchu-
mène, Ht les psaumes que l'Esprit-Saint a remplis des idées les plus
sublimes et des plus tendres sentiments de piété. En les lisant, il est pénétré
d'amour pour Dieu ; il n'est pas maître de ses mouvements et de ses trans-
ports. Cette lecture est pour lui une oraison continuelle, où son âme ravie
en Dieu se livre à une douce et profonde, contemplation de ses bienfaits. Il
s'applique à lui-même ce qu'il y a trouvé; il y voit son état passé et son
état présent; il admire la bonté de Dieu à son égard; il lui rend mille
actions de grâces de sa délivrance; sa langue ne peut suffire à exprimer les
affections de son cœur. »
2. Voici un principe certain dans la vie spirituelle : ceux qui veulent
mettre leur joie dans les créatures sensibles et dans les biens extérieurs,
se dissipent, se répandent au milieu de ces biens visibles et périssables;
leur esprit affamé ne peut en effleurer, pour ainsi dire, que les images ; ils
restent vides de toute consolation divine, de là les innombrables distractions
de leurs prières.
TOME III a
CHAPITRE V
Augustin fait savoir aux habitants de Milan qu'il renonce à professer la rhéto-
rique. 11 consulte sur les lectures qu'il doit dire saint Ambroise, qui lui con-
seille de lire le prophète Uaïe.
(i) Nous quittâmes Cassiacum pour retourner à Milan. Environ deux ans
après sa conversion. En effet, à l'époque de sa conversion, douze ans s'étaient
écoulés depuis sa dix-neuvième année et il avait alors trente et un ans et
quelques mois. (Liv. VIII, ch. i", et liv. VII, ch. v.) Or, comme dans ses
Soliloques, qu'il acheva à son retour de Milan, il compte quatorze ans
depuis le temps où, âgé de dix-neuf ans, il entreprit la lecture de 1 Hortensius,
Augustin serait donc resté près de deux ans à Cassiacum. Là, il composa
des ouvrages dont nous avons déjà parlé et se prépara, par ia pratique des
vertus chrétiennes, à la grâce du baptême. De retour à Milan, il composa,
en attendant le jour de son baptême, les livres de la Grammaire, de la
C A P U T VI
lation, Augustin était encore à Cassiacum ; c'est ce qui lui fait dire
qu' < ¡1 ne courait pas encore après Dieu » parce qu'il différait encore de
recevoir le baptême, délai qu'il déplore bien qu'il n'eût probablement rien
de coupable.
(i)Je respirais autant qu'on le peut, etc.Autant que votre souffle.Seigneur,
peut pénétrer dans une « maison de chaume ». Il veut parler de son corps,
« car toute chair, dit le prophète, est comme l'herbe des champs. » (Is.
iv, 6.) Il s'y trouvait comme à l'étroit, enflammé du feu de l'amour divin
et de la douceur de la psalmodie chrétienne.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
{1 ) Officier de l'empereur. Voir plus haut, liv. VIII, ch. vi, note 3 .
(2) Prêts à retourner ensemble en Afrique. Augustin demeura cependant
quelque temps à Rome. En attendant un temps favorable à la navigation,
il écrivit ses deux livres des Mœurs de l'Église catholique et des Mœurs
des Manichéens, le livre de la Quantité de l'âme et aussi ses trois livres
sur le Libre arbitre, ou il a pour interlocuteur Evodius dont il fait ici men-
tion. Ce ne fut toutefois qu'en Afrique, et alors qu'il était déjà ordonne
prêtre à Hippone, qu'il termina le deuxième livre et le troisième. Il passe
sous silence tout ce qu'il fit d'ailleurs à Rome et en Afrique, « offrant à
Dieu l'expression de ses louanges et des vives actions de grâces qu'il lui
C A P U T VIM
rend pour tant de bienfaits dans le calme de son cœur. » Il croit néan-
moins devoir a la reconnaissance filiale de rappeler avec éloge la vie ver-
tueuse et la sainte mort de sa mère.
Toutes les autres actions de la vie sacerdotale et de l'épiscopat de saint
Augustin se trouvent racontées par les écrivains de sa vie : Possidîus,
Cornélius, Laneelot, Baronius, Tillemont, par les différents auteurs de
l'histoire générale de l'Eglise et les historiens spéciaux de la rie de saint
Augustin. Nous ne nous occupons ici que d'éclaircir ce qu'il peut y avoir
d'nbscur dans ses Confessions et de les mettre à la portée de tout le
monde. Nous dirons cependant quelque chose de la vie du saint Docteur
au livre X , où il raconte ses progrès dans la vertu.
(3) Qui l'instruisit dans votre craintif Le disciple du Christ, par une
48 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
tîon de votre Fils unique, dans une maison fidèle, portion pré-
cieuse du bercail de votre Église. Elle ne se louait pas tant du
zèle de sa mère à l'élever, que des soins d'une vieille servante,
qui avait porté son père tout petit ainsi que les jeunes filles
ont coutume de porter sur le dos les petits enfants. Ce souvenir,
sa vieillesse, ses mœurs exemplaires lui assuraient, dans une
maison chrétienne, la vénération de ses maîtres, qui lui avaient
commis la conduite de leurs filles. Son zèle répondit à tant de
confiance; elle était, au besoin, d'une sainte rigueur pour les
corriger, et toujours d'une admirable prudence pour les ins-
truire. Hors les heures de leurs modestes repas avec leurs
parents, fussent-elles dévorées de soif, elle ne leur permettait
pas môme de boire de l'eau, prévenant une funeste habitude,
et disant avec un grand sens : « Vous buvez de l'eau main-
tenant, parce que vous n'avez pas de vin à votre disposition;
mais, quand vous aurez dans la maison de votre mari les
clefs des celliers, vous dédaignerez l'eau, sans renoncer à
l'habitude de boire. »
3, — P a r ces sages remontrances et par l'autorité de ses con-
seils, elle réprimait les convoitises du premier âge ; elle appre-
nait aux jeunes filles à régler leur soif d'après l'exacte bien-
grâce toute particulière de la Providence divine, dont l'action se fait sentir
merveilleusement sur les élus dès leur enfance, et qui, en faisant naître
sainte Monique de parents chrétiens, la prévint et l'enrichit, d'ailleurs, de
l'abondance de ses dons les plus précieux.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
consacrent leur vie au salut des âmes, et leur apprend à n'attribuer jamais
à leur puissance, à leur vertu personnelle, le bien que peut produire leur
parole pour la conversion des cœurs. S'ils veulent y réfléchir sérieusement,
ils verront, au contraire, qu'ils ont affaibli, paralysé, corrompu leurs dis-
cours, leurs leçons, leurs exhortations et les autres ministères qui ont pour
LIVRE IX — CHAPITRE M i l 51
selon le bien que par eux vous nous faites, mais selon le mal
qu'ils nous ont souhaité. Que voulait cette servante en colère ?
Piquer sa maîtresse et non la guérir. Aussi le fit-elle en secret,
soit que l'occasion décidât du temps et du lieu, soit qu'elle
craignît elle-même un châtiment pour une révélation si tardive.
Mais vous, Seigneur, qui gouvernez le ciel et la terre, qui
faites servir à vos fins les flots profonds du torrent et réglez le
cours troublé des siècles, c'est par la folie d une âme que vous
en guérissez une autre, pour nous apprendre à ne pas nous
attribuer l'efficacité de nos conseils.
UVRE IX — CHAPITHE VIII
rumque corrigunt. Nec tu, quod per eos agis, sed quod
ipsi voluerunt, retribuis eis. Illa enim irata, exagitare
appetivit minorem dominant, non s a n a r e ; et ideo clan-
culo : aut quia ita eas invenerat locus et tempus litis :
aut ne forte et ipsa periclitaretur, quod tam sero prodi-
disset. Atque tu, Domine, rector ccelestiumetterrenorum,
ad usus tuos contorquens profunda torrentis, et fluxum
s&culorum ordinans turbulentum, etiam de alterius
animae insania sanasti alteram : ne quisquam, cum hoc
advertit, potential suse tribuat, si verbo ejus alius corri-
g a t u r , quem vult corrigi.
C H A P I T R E IX
AUGUSTIN CONTINUE À LOUER LES VERTUS DE SA MÈRE. IL RACONTE COMMENT, PAR SA DOU-
CEUR ET PAR sa PATIENCE, ELLE TRIOMPHA DU CARACTÈRE BOUILLANT ET EMPORTÉ DE SON
mari, ET DÉCRIT LE ULENT PARTICULIER QU'ELLE AVAIT POUR PACIFIER LES DIFFÉRENDS.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
3îA3i, t. II, p. g3), ressemble à celui des anges gardiens. Elles peuvent con-
r
duire le monde, mais en restant invisibles comme eux. » (M« IÏOUGAUD,
Histoire de sainte Monique, p. 1 1 9 . )
s. Elle donne aux femmes- chrétiennes un exemple non moins éclatant
-d'amour de la paix: i° en triomphant de ses ennemis par ses bons offices;
3° en imposant silence aux langues qui aiment à semer la discorde; 3° en
ne répétant jamais aucun propos qui pût retarder la réconciliation des
e n
-esprits et des coeurs; 4° parlant toujours bien des autres. Nous devons,
tous imiter cet amour de la paix et de la concorde, si nous voulons être
nous-mêmes proclamés bienheureux et faire partie du nombre des pacifique*
•et des enfants de Dieu.
CHAPITRE X
Entretien qu'il eut avec sa mère sur le bonheur du ciel, quelques jours
avant qu'elle mourût.
(i) Nous nous trouvions seuls, appuyés contre une fenêtre qui donnait
sur le jardin de la maison. « C'était par une de ces soirées d'automne qui
ne sont nulle part plus splendides qu'en Italie. Le soleil se couchait et
faisait étinceler de ses derniers feux les vastes et transparentes solitudes de
la mer. Pour jouir de ce spectacle, Augustin vint s'asseoir près de Monique.
Le silence du soir, la beauté du ciel, l'étendue illimitée des flots, l'infini
plus grand encore qui remplissait le cœur de sainte Monique et de saint
Augustin, la paix du dehors moins profonde que celle du dedans, tout cela
éleva peu à peu leurs âmes et amena sur leurs lèvres une de ces conversa-
tions qui ne sont plus de la terre. » [Histoire de sainte Monique, ch. x v . )
Ary Scheffer a reproduit et immortalisé cette scène, qu'on pourrait appeler
une conversation aux portes du ciel, dans un tableau d'un grand mérite.
« Avez-vous vu ce tableau représentant Augustin et Monique assis sur la
plage? Le fils, désillusionné de la vie et courbé sous son poids, est appuyé
sur sa mère. La mère tient sur ses genoux, serrée entre ses mains, la main
CAPUT X
de son fils, et tous deux regardent le ciel Ah I même avec nos fronts ridés
et nos cheveux gris, qu'il ferait bon s'asseoir ainsi sur la grève, les yeux
fixés là-haut, d'où descendent les forces divines, le cœur reposé sur ce cœur
où s'allument toutes les flammes d'ici-bas! » ( P . VAN TRICHT, L'Enfant du
Pauvre, p. a i . Namur, 1845.) C'est par une longue et belle description
r
de cette peinture que M* Bougaud a commencé l'introduction à l'His-
toire de sainte Monique, « poème de l'amour le plus profond et le plus
tendre, le plus élevé et le plus pur, et aussi le plus fort, le plus patient et
le plus invincible, qui traverse vingt-cinq années d'épreuves et de larmes
sans faiblir un instant, ou plutôt qui grandit avec les épreuves, devient plus
ardent et plus obstiné en proportion même des obstacles, et qui, triomphant
enfin, s'achève heureux dans une sorte de ravissement et d'extase. »
Quel effrayant contraste entre cette scène à jamais célèbre et l'aveu connu
du chef du protestantisme ! Un soir, Luther et Catherine de Bora regar-
daient le ciel. « 11 n'est pas fait pour nous! » dit Luther.
(3) Après les fatigues d'une longue route. De nombreux auteurs con-
cluent de ces paroles qu'Augustin se rendit de Milan à Home et de Rome
à Ostie. Après la mort de sa mère il revint à Rome.
62 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
CONSIDERATION PRATIQUE
Augustin raconte comment sa mère, près de mourir, sans se saucier do lieu c'a
sa sépulture, se contenta de demander qu'on priât pour elle.
Comme tu le dis, mon cher ami, j'attache très peu d'importance â ce qu'on
appelle des caveatuv de famille. Je respecte le gou<t de ceux qui les désirent, mais
pour moi, peu importe où reposera ma dépouille mortelle, pourvu que ce-soit en
lieu saint. Quand un homme se forme dans le sein de sa mère, Dieu crée une âme
à son image, et cette âme existe dès lors pour toute l'éternité. Seulement, elle est
condamnée a passer d'abord quelque temps sur la terre, dans un vêtement épais,
lourd et trop souvent vicieux, que l'on appelle le corps humain. De toutes les
âmes que Dieu crée aima, les unes plus tôt, les autres plus tard, se dépouillent de
cette triste enveloppe, qu'elles ont traînée avec ou sans bonheur dans les voies de
la vie terrestre. Mais ce n'est qu'à dater du jour on, délivré de cette enveloppa
passagère, l'homme prend son essor pour le monde des esprits, ce n'est, dis-je,
qu'à dater de ce joar qu'il entre en pleine possession de son état et de sa grande
C A P U T XI
existence, y ue lui importe alors qu'on place sa pauvre défroque sous un arbre funé-
raire ou sous une simple croix de bois ? H ne s'en sowcie pas plus que le papillon ne
se soucie de la peau de chenille dans laquelle il a rampé. Voilà pourquoi, mon ami,
moi, qui aspire avec ardeur et confiance aux joies du paradis, je fais si peu de
cas des tombeaux dans lesquels on réunit les pourritures des personnes d'un méma
nom. C'est au eiei qu'il faut se donner rendez-vous et non dans un trou où les vers
vous attendent <£. BÛULY DE LESDAIK.)
Dans son livre Du soin des mort», saint Augustin explique à saint Paulin,
évéVroe de Noie, quelle utilité il y avait pour les morts d'être inhumés auprès
des tombeaux des martyrs :
« Je ne vois à cela qu'un avantage, dit-il, c'est que, en se rappelant le lieu
où ces corps chéris reposent, les vivants les recommandent à ees mêmes
saints comme à des patrons à qui ils les ont confiés pour les aider par leurs
prières auprès de Dieu. On pourrait en açir ainsi lors même qu'il ne serait
pas possible d'inhumer les morts dans ces lieux choisis. Mais pourquoi
appelfe-t~on mémoires ou monuments ces tombeaux remarquables que l'on
construit aux défunts, sinon pour soustraire à l'oubli du coeur ceux que la
mort a soustraits aux yeux des vivants? En effet, ils les rappellent, et ils
68 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
nous avertissent de penser à eux. G est ce que fait voir très clairement le
nom même de mémoire, aussi bien que celui de monument (de monere
mentem), qui signifie avertissement. Aussi les Grecs appellent-ils u,vy)(ieiov
ce que nous appelons mémoire ou monument, parce que, dans leur langue,
la faculté de se souvenir se nomme u-vr¡jrn. Lors donc que le cœur se porte
vers l'endroit où repose le corps d'une personne bien chère, et que le lieu
vénérable qui porte le nom du martyr se présente en même temps à l'esprit,
celui qui unit la prière au souvenir du cœur recommande affectueusement
l'âme bien-aimée à ce saint martyr. Or, il n'est pas douteux que cet acte
de la vive charité des fidèles pour les défunts ne soit utile & ceux d'entre
eux qui ont mérité, tandis qu'ils vivaient, de recevoir ce soulagement après
leur mort.
» Toutefois lorsque, pour un motif grave et impérieux, il est impossible
d'inhumer les corps ou de les inhumer dans ces lieux, on ne doit pas pour
cela omettre les supplications pour les esprits des morts. L'Eglise a pris à
tâche de les faire en général, pour tous ceux qui sont morts dans la société
chrétienne et catholique, même sans les nommer; ainsi, à défaut de parents,
d'enfants, de proches ou d'amis, cette tendre Mère, unique et universelle,
leur rend ce pieux devoir. Que si ces supplications offertes pour les morts
par une foi et une piété légitimes venaient à manquer, je suis d'avis qu'il
ne servirait de rien à leurs âmes de déposer leurs corps privés de vie dans
n'importe quels lieux saints. » {Du soin des morts, ch. iv.)
(i) Vous souvenir de moi à l'autel du Seigneur. Une dame anglaise, la
comtesse de Strafford, était ébranlée dans ses convictions protestantes par
r
les entretiens de M* de La Mothe, évéque d'Amiens. Ce qui l'empêchait
encore de se convertir, c'étaient ses doutes sur la Messe et le Purgatoire.
r
M« de La Mothe lui d i t : « Madame, vous connaissez l'évêque protestant de
LIVRE IX — CHAPITRE XI 69
Londres; s'il peut me prouver que saint Augustin n'a pas dit la messe pour
les morts, et pour sa mère en particulier, dites-lui que je me fais protestant. »
m e
M de Strafford écrivit aussitôt à l'évêque de Londres, qui refusa de lui
répondre ; dès lors, la comtesse vît se dissiper tous ses doutes et fît son abjuration.
Les protestants ne croient pas au Purgatoire, ni par conséquent à l'effi-
cacité de la prière pour les morts. « Dès lors, écrit au journal La Croix
son correspondant de Londres, quelle est la signification du service reli-
gieux que la reine Victoria fait célébrer chaque année, le 14 décembre,
dans le mausolée superbe qu'elle a fait ériger à Frogmore, dans le parc
de Windsor, à son mari le prince Albert? A h l c'est que cette date est celle
de deux événements terribles qui ont brisé sa vie : c'est le double anni-
versaire de la mort de son époux adoré et de sa fille de prédilection, la
princesse Alice. Son cœur royal saigne, et elle se rapproche par la prière
des êtres chéris qu'elle a perdus. Dieu me garde de lui reprocher cette
pieuse inconséquence!» (F. DE BERNHARDT, La Croix du 1 7 décembre 1899.}
CONSIDERATIONS PRATIQUES
quels étaient les sentiments des fidèles de la primitive Eglise ; ils croyaient
fermement que les suffrages des vivants pouvaient être utiles aux défunts, et
veillaient, avec une sollicitude toute chrétienne, à ce que ces secours ne
leur fissent pas défaut après leur mort.
3. C'est un désir aussi vain qu'il est peu digne d'un chrétien, que de se
préoccuper outre mesure si son corps sera inhumé dans son pays; car,
comme le dit sainte Monique, rien n'est loin de Dieu, et il n'est pas à
craindre qu'à la fin des siècles il ne puisse reconnaître le corps qu'il doit
ressusciter.
4. Dieu a coutume, avant le décès de ses élus, de corriger entièrement
leurs défauts les plus légers par la plénitude de sa grâce; c'est ainsi qu'il
guérit sainte Monique de ce soin exagéré que les païens prenaient de leur
sépulture, et qui l'avait préoccupée elle-même pendant un certain temps.
Dormir ici ou là, en Italie ou en Afrique, qu'importait à Monique pourvu
qu'elle se réveillât au ciel? Pourvu que les cœurs soient dans l'éternelle
union, qu'importe que les poussières ne soient pas dans 1b même tombe?
Patrice était enseveli en Dieu, Monique allait s'y ensevelir à son tour.
Augustin viendrait ensuite. Le reste ne valait ni un regard ni un regret.
5. Recevant de son fils l'assurance qu'elle serait toujours présente à sa
mémoire au sacrifice de l'autel, Monique expira dans la joie et la consola-
tion du Seigneur.
« Le dogme du Purgatoire est un dogme essentiellement consolateur. En
effet, tandis que l'incrédulité ne voit que le néant au delà du tombeau, tandis
que l'hérésie ne voit dans la mort que l'insensibilité ou l'abandon absolu de
tout commerce entre les vivants et les morts, l'Église, en nous proposant
la foi au Purgatoire, nous fait voir dans les âmes de nos frères qui nous
o n t précédés dans le chemin du tombeau des âmes que nous aurons encore
soulagées, auxquelles nous pouvons encore être utiles, et, par cette pratique
des suffrages, le catholique ne croit pas avoir perdu tout à fait ses parents,
ses amis. Lorsque la mort vient lui arracher des personnes qu'il chérit,
qu'il aime, il croit que ces personnes s'éloignent de lui, mais qu'elles ne
s'en séparent pas complètement.
» C'est donc un sujet de grande consolation pour ceux qui souffrent de
la mort de leurs parents, de leurs amis, des personnes qui leur étaient
chères. En s'occupant de leurs âmes, il semble qu'on les voit, qu'on est
avec eux et qu'on leur parle encore. Ce commerce divin adoucit les rigueurs
de l'absence.
» Cela est si vrai, que, parmi les catholiques, on ignore ces manifestations
de douleur inconsolable, d'angoisses profondes, de désespoirs, dont tes
LIVRE IX — CHAPITRE XI 71
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
rable contre une vie éternellement heureuse I Vita mutatur, non tollitur
(Préface de la messe de Requiem.)
3. Que nos frères séparés le remarquent bien, le Sacrifice de notre
rédemption, le Sacrifice de la messe, est offert pour le repos de l'âme de
sainte Monique; or, saint Augustin, sa mère, Alypius étaient de vrais
catholiques.
4. Le saint Docteur éprouva quelle est la puissance de l'habitude dans
80 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
ce chagrin si violent qui brisait son âme malgré tous ses efforts ; cependant
cette douleur n'a été ni si excessive ni d'aussi longue durée que celle qu'il
ressentit de la mort de son ami et qu'il traite lui-même de véritable folie.
5. Il faut accorder quelque chose à la nature dans des circonstances
aussi douloureuses; mais il faut modérer notre douleur par la considération
de la volonté divine et de notre condition. Nous mourons parce que Dieu le
veut et que telle est la loi de la nature. La vie est un exil, la mort une
délivrance, l'éternité un bienheureux rendez-vous. Saint Bernard lui-même
éprouva une vive douleur de la mort de son frère. (Serm. XXVI, in Gant.)
« Ce que Madeleine a fait pour un frère, ce que Jésus a fait pour un ami,
écrivait le cardinal Pie, la doctrine évangélique ne saurait interdire de le
LIVRE IX — CHAPITRE XII 81
En considérant Ses périls de tonte âme qui meurt en Adam, Augustin prie
pour sa mère et demande qu'on veuille bien s'associer à ses prières.
(1) Qu'on fit mémoire d'elle à votre autel. Dans son livre des Hérésies,
saint Augustin met au nombre des erreurs condamnées par l'Eglise la doc-
trine d'un certain Aérius qui défendait de prier pour les morts, « Désolé
de n'avoir pu devenir évéque, le prêtre Aérius se jeta dans le parti des
Ariens, fonda la secte des Aériens, en ajoutant quelques erreurs à celle de
Tarianisme. Ainsi, selon lui, on ne devait ni offrir le Saint Sacrifice pour
les morts, ni établir ou observer des services solennels, etc. »
Ailleurs, il constate que c'est un usage universel de prier pour les morts
en offrant le Saint Sacrifice :
« Nous lisons dans les livres des Macchabées qu'un sacrifice fut offert pour
les morts. Mais, lors même qu'on ne lirait rien de semblable dans les
anciennes Ecritures, nous avons sur ce point l'autorité si grave de l'Eglise
LIVRE IX — CHAPITRE XIII 85
elle et vous! Elle ne dira pas qu'elle ne doit rien, de peur d'ètru
convaincue par le perfide accusateur et de lui donner gain de
cause; mais elle répondra que sa dette lui a été remise par
Celui à qui personne ne rendra ce qu'il a payé pour nous sans
rien devcir.
4- — Qu'elle repose donc en paix, avec l'homme qui fut son
unique époux, qu'elle servit avec une patience dont elle vous
offrait les fruits afin de le gagner à vous. Inspirez, mon Sei-
gneur et mon Dieu, à vos serviteurs, mes frères, à vos enfants,
mes maîtres, que je sers de mon cœur, de ma plume, inspirez
à tous ceux qui liront ces lignes le souvenir, à votre autel, de
Monique, votre servante (i), de Patrice, son époux, par lesquels
vous m'avez introduit en ce monde; comment, je l'ignore.
Ou'ils se souviennent avec une affection pieuse de ceux qui
furent mes parents dans cette vie passagère, mes frères en
ration de l'Afrique nous réserve des merveilles ; nous sommes sur cette
voie, et certes l'Eglise en profitera pour reconstituer cette vie intense de la
foi primitive. » 11 faudrait citer ici les réflexions de M. Boissier sur la fin
du paganisme, à l'occasion des recherches sur saint Gyprien, saint Optât,
etc., et les belles pages du P. Monnot, mais nous serions entraînés trop
loin. C'est à l'initiative de M" Dupuch, évéque d'Alger, que sont dues les
premières explorations archéologiques de l'Afrique chrétienne. (Voir DB
BEAUREGARO, loc. cit., p. IÏ5.)
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
1 . Le saint Docteur nous enseigne que nous devons craindre pour nois
et pour les autres le moment de la mort, car personne ne peut être assmé
de la miséricorde de Dieu et du pardon de ses péchés. Malheur même à
ceux qui passent pour justes, s'ils n'ont recours à cette divine miséricorde !
c Malheur à la vie même la plus irrépréhensible si vous l'examinez sans
miséricorde 1 » A quelle occasion saint Augustin prononce-t-il cette redou-
table sentence? On aurait peine à le croire: c'est au sujet de Monique, sa
mère, dont la vie fut si sainte, comme il le déclare lui-même. Cependant,
il craint pour elle : sept ans après sa mort, il prie Dieu de lui faire miséri-
corde et la recommande aux prières des fidèles. C'est un grand saint, c'est
le plus éclairé des Docteurs de l'Eglise qui a ces sentiments de la justice
divine! Que nos pensées, que notre conduite sont différentes de celles
des saints 1 (Voir Gnou, ch. LXIX, Sévérité des jugements de Dieu.)
a. Le fondement de la vertu d'humilité est d'être bien convaincu qi:e
88 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
les mérites des hommes ne sont que les dons de Dieu, dans lequel seul on
peut se glorifier avec sécurité.
3. La prière pour les morts a été en usage dès les premiers siècles de
l'Eglise. Ceux qui la rejettent ne sont point les héritiers, mais les enfants
révoltés et les ennemis de la primitive Eglise. (Voir note a du chapitre xi de
ce IX« livre.)
Saint Augustin, vingt ans après la mort de M mère, priait encore pour
LIVRE IX — CHAPITRE XIII 89
CHAPITRE PREMIER
C'est dans la seule espérance divine que nous devons nous réjouir.
" « Après avoir raconté la mort de sa sainte mère, Augustin ne raconte plus
rien; c'est à ce sépulcre creusé à l'embouchure du Tibre qu'il termine sa propre
histoire. Alors commencent des considérations sur les facultés de l'homme, sur
les merveilles de la mémoire ; un examen de conscience plein de vues profondes
au sujet de trois vices ou passions : volupté, curiosité, orgueil. Nous trouvons
d'ardentes prières à Dieu pour comprendre les Ecritures, lefirmamentétendu
au-dessus de l'homme; nous trouvons des recherches tour à tour ingénieuses,
LIBER DECIMUS
Altera pars Confessionum, qua primum scrutator Augus-
tinus, ac palam testatur, non qualis antea esset, seä qualis
nunc. Deum quern diligit, studet indicare; et percurrens
propter hoc singula rerum genera, tnultis explicat nostra
memoriae vim plane stupendam, gratulaturque quod in
memoria sua locum Deus babeat. Inquirit in actus, in sensus
et affectus suos ex triplici tentatione voluptatis, curiositatis
oc superbia. Christum Jesum veracem Dei et bominum media-
torem confi te tur ejusque ope animi sui languores omnes
f
CAPUT PRIMUM
In Deo solo spes et gaudium.
nous avertit lui-même, dans un autre endroit, qu'il faut entendre avec réserve
les paroles de saint Paul, auxquelles il fait ici allusion. « Je ne le connais
maintenant qu'imparfaitement, mais alors j e le connaîtrai comme j e sui»
moi-même connu de lui. » C'est-à-dire, suivant l'explication du saint
Docteur, que l'homme n'aura pas alors de Dieu une connaissance égale à
la connaissance que Dieu a de l'homme, mais qu'elle sera si parfaite dans
son genre, qu'elle ne sera point susceptible d'augmentation. L'homme
connaîtra Dieu aussi parfaitement que Dieu lui-même connaît l'homme,
mais toujours comme un homme peutle connaître, comme une créature créée
peut connaître la uature divine. (Questions sur l'Heptateuque, liv. V, q. ix.)
Dans l'ordre de la nature, la connaissance de Dieu est le premier de nos
devoirs; dans l'ordre de la grâce, c'est le plus excellent des bienfaits*
dans l'ordre de la gloire, c'est la plus grande des récompenses.
(x) Quant aux autres choses de la vie, elles méritent d'autant moins
LIVRE X — CHAPITRE PREMIER 95
d'être pleurées que nous les pleurons davantage, et elles devraient d'autant
plus faire -couler nos larmes que nous en répandons moins sur elles. Ces
paroles peuvent recevoir cette autre explication : la perte des biens tem-
porels mérite d'autant moins d'être pleurée, que leur possession était l'objet
de pins grands chagrins; et leur possession doit d'autant plus faire couler
nos larmes, que nous les possédons et que nous en jouissons avec une plus
grande tranquillité; car c'est alors qu'ils sont plus dangereux pour nous.
CONSIDÉRATION PRATIQUE
Qu'est-ce que se confesser à Dieu, puisqu'il connaît les plus secrets replis de
la conscience?
(i) Ce serait vous cacher à moi sans me cacher à vous. Celui qui cherche
à cacher ses péchés à Dieu obscurcit son intelligence, la rend incapable de
connaître Dieu et de recevoir la lumière de sa grâce. Aussi ne parvient-il qu'à
se cacher Dieu à lui-même sans se cacher lui-même à Dieu. Vérité terrible
pour les méchants, qui ne réfléchissent presque jamais sur ce coup d'œil
pénétrant de la Divinité 1 Comment s'étourdir, se flatter d'être en sûreté au
milieu d'un projet criminel, ou d'une mauvaise action, en regardant Dieu
comme un témoin nul et sans conséquence? Quand il faudra paraître devant
lui, toute la suite de ma vie me sera montrée dans le dernier détail. Ne serai-
je pas alors dans le cas d'un criminel pris sur le fait par son juge même?
Et cela, non pour une seule action, mais une foule innombrable d'actions
C A P U T II
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
dis rien de bon aux hommes que vous n'ayez d'abord entendu
au fond de moi-même ; et vous n'entendez rien de tel en moi
que vous ne me l'ayez dit d'abord.
1 fait devant les hommes cette confession de ce qu'il a été et leur donne a con-
naître ses erreurs passées, afin que ceux qui sont trop faibles y puisent
l'espérance dans la miséricorde divine.
(1) Qu'y a~t~il de commun entre tes hommes et moi pour qu'ils entendent
mes confessions? Brentius cite ces paroles dans la confession de Wurts-
bourg, pour les opposer à la confession sacramentelle en usage dans l'Eglise
catholique, comme si le saint Docteur avait cru qu'elle était inutile et sans
efficacité pour la rémission des péchés! C'est vouloir en imposer grossiè-
rement aux simples; car, comme chacun peut s'en convaincre, saint Augustin
ne parte pas ici de la confession des péchés commis après le baptême — et
C A P U T III
rémission desquelles le sacrement de pénitence est très utile, mais n'est point
nécessaire.
( i ) Quel fruit, je voua le demande, и a-t-il à révéler, etc. Il a répondu
dans les phrases précédentes. Ses confessions serviront à montrer aux
hommes de quel abîme il est revenu; elles ranimeront les cœurs contre
l'engourdissement et le désespoir, elles les éveilleront à l'amour de la misé-
ricorde et aux douceurs de la grâce divine. Il continue sa réponse dans le
chapitre suivant et au chapitre i " du livre XI.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
i . « Les deux vices les plus ordinaires et les plus universellement étendus
que j e voie dans le genre humain, c'est un excès de sévérité et un excès d'in-
dulgence : sévérité pour les autres et indulgence pour nous-mêmes. Saint
Augustin Га bien remarqué e t l'a exprimé élégamment en ce petit mot :
« A h ! dit-il, que les hommes sont diligents à reprendre la vie des autres,
« mats qu'ils sont lâches et paresseux à corriger leurs propres défauts! a
Voilé donc deux mortelles maladies qui affligent le genre humain : juger
es autres en toute rigueur, se p a r d n ^ e r tout à soi-même; voir le fétu
LIVRE X — CHAPITRE П1 103
dans l'oeil d'autrui, ne voir pas la noutre dans le sien; faire vainement le
vertueux par une censure indiscrète, nourrir ses vices effectivement par une
indulgence criminelle; enfin n'avoir un grand zèle que pour inquiéter le
prochain, et abandonner cependant sa vie à un extrême relâchement dans
toutes les parties de la discipline. » (BOSSUET, Sermon sur les jugements
humains,)
я. Un des caractères de la charité chrétienne est de ne point facilement
soupçonner les autres de mensonge, et de les croire bien plutôt bons et
v.ridiques que mauvais et indignes d'être crus sur parole. Cette pieuse
nvdulité est plus agréable à Dieu que n'est utile un jugement téméraire
porté sur les autres.
3. Que ceux qui sont esclaves de graves péchés ou qui éprouvent de
grandes difficultés à triompher de leurs inclinations vicieuses, lisent les
(Junfessions de saint Augustin. En voyant les habitudes criminelles aux-
quelles il demeura étroitement attaché jusqu'à sa trentième année, ils sen-
tiront renaître dans leur âme l'espérance du pardon. Qu'ils ne disent pas*
* Je ne puis ! » Augustin a pu triompher de ses mauvaises habitudes ; a\ee
la icràce de Dieu, vous le pourrez également, à la condition de reconnaître
que vous ne le pourrez point par vous-mênr.e
104 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
Quel fruit il espère de ces confessions : c'esl que ses frères, les serviteurs de
Dieu, se réjouissent à la vue de ce qu'il y a de bon en lui et s'attristent
à la vue ce qu'il y a de mal ( i ) .
vous-mêmes. J'ai détesté le premier ce que vous blâmez. Plut à Dieu que
vous voulussiez m'imiter, et que l'erreur dans laquelle vous êtes engagés
lerînt un jour pour vous une erreur passée ! *
(a) Désirent-ils se réjouir avec moi en apprenant combien par votre
fràce, etc. C'est la principale et presque l'unique raison qui porta les pieux
idètes, qu'il appelle ses frères, à presser saint Augustin de publier ses Con-
fessions. Mais comme le saint Docteur, dans son humilité, donnait les plus
grands développements au récit de ses fautes, tandis qu'il passait sons
silence, ou effleurait à peine, le bien qu'il avait fait, ses frères se plaignirent
qu'il n'avait point satisfait à leurs désirs; ils insistèrent pour qu'il se fit
connaître tel qu'il était maintenant, avec toutes les grâces dont Dieu l'avait
comblé.
<3) Mes maux sont mes péchés et l'effet de votre justice; car Dieu, par
un juste jugement, permet que ses amis et ses enfanta tombent sept fois par
108 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
jour. (Prov. x x i v , 16.) Cette faiblesse est une partie du châtiment des enfants
d'Adam et en même temps un puissant motif d'humilité.
(1) Comme de vivants encensoirs. Comparaison aussi belle qu'exacte, car
les cœurs des justes sont comme autant d'encensoirs où ils offrent à Dieu
les pieuses et saintes affections de leur âme.
(3) Mes maîtres que vous m'avez commandé de servir. Le saint Docteur
se souvint, dans son épiscopat, de ces paroles : « Que celui qui est le plus
grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui est le premier
comme celui qui sert. » (Luc. x x n , 26.) Aussi était-il plutôt le serviteur que
le seigneur des clercs et des habitants d'Hippone, à la tête desquels Dieu
l'avait placé. Il voulait magis prodesse quam prœesse...,., devise qu'un
prélat de nos jours (M" Fuzet) a prise pour lui et traduite ainsi dans ses
armes : Plus veux servir que briller.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
Saint Augustin sait, à n'en point douter, qu'il aime Dieu. Ce qu'il aime en
aimant Dieu. Comment on s'élève jusqu'à Dieu par le moyen des créatures,
qui nous répondent unanimement qu'elles ne sont pas Dieu, mais que Dieu
les a faites.
toi qui recherches notre origine, qui étudies notre nature et nos qualités;
toî qui tires de nous tant d'usages, soit pour la nécessité, soit pour la
commodité, soit pour l'agrément de ta vie, ne nous en sache aucun gré;
tu ne nous dois rien, nous te servons, nous sommes entièrement à ta dis-
position, mais nous ne te connaissons pas nous-mêmes. Nous sommes seu-
lement sous ta main, afin que tu nous emploies selon tes desseins »
Telle est notre destination, mais elle ne dépend ni de nous ni de toi ;
elle vient de plus haut. Comme nous ne nous sommes pas faites, tu ne
nous a pas faites non plus. Elève-toi jusqu'à notre auteur; vois en nous
ses bienfaits, admire sa sagesse, loue sa puissance, reconnais sa bonté et
sa libéralité à ton égard, respecte ses ordres dans l'usage que tu fais de
nous, et ne les transgresse pas. Tu es au-dessus de nous par ton intelli-
gence et ta liberté, par l'empire que tu as sur nous, par notre fin qui nous
subordonne à toi. Mais tu es au-dessous de celui qui nous a faites, et tu
dois lui obéir par ta volonté aussi ponctuellement que nous lui obéissons
par nécessité. » ( F . GROU.)
118 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) A mon âm* sans doute : c'est elle que devais consulter de préfé-
rence. L'esprit de l'homme, en effet, connaît les objets accessibles aux
sens, et il est le juge naturel des sens et des choses sensibles. Il est donc
bien supérieur aux sens, qui ne peuvent chacun connaître autant de choses,
et sont d'ailleurs incapables de jugement.
(2) Mais /'amour qui les asservit auœ créatures les rend incapables d'en
LIVRE X — CHAPITRE VI 119
juger d'un jugement suffisant pour les porter à aimer Dieu, mais suffisant
toutefois pour le leur faire connaître et les rendre inexcusables. Car, bien que
l'affrctiou déréglée des créatures, qui tient l'homme captif, lie son amour et
l'empêche de s'élever jusqu'à Dieu, cependant elle n'obscurcit pas tellement
l'esprit qu'il ne voie que Dieu est digne de recherche et d'amour. (Vest
parce qu'ils ne l'ont pas fait, que les anciens philosophes sont devenus
inexcusables et se sont dissipés dans leurs pensées.
120 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(i) Qui comparent le tangage extérieur avec la vérité qui est en nous,
c'est-à-dire la lumière divine qui a été imprimée sur nous, ou ces principes,
ces vérités qui nous sont naturellement connus, tels que celui-ci : « Tout
corps est moindre dans une de ses parties que dans son tout. » L'âme, qui
communique la vie au corps, lui est donc supérieure, et Dieu, qui est la vie
de l'âme et de tous les êtres vivants, est supérieur au corps et à l'âme; il
faut donc l'aimer plus que tous les corps, plus que l'âme elle-même. La
nature elle-même nous enseigne cette vérité qu'un plus grand bien doit être
aimé plus qu'un moindre bien, et le souverain bien au-dessus de tous les
biens finis. Ceux qui considèrent les créatures en dehors de ces principes
ne les comprennent point, et se laissent aller à les aimer d'un amour déréglé
et coupable.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
{1) Quel est celai qui domine le sommet de mon âme, qui est si fort
au-dessus d'elle....? Dans le texte : « super cap ut anima; meœ, au-dessus
de la partie principale de mon Ame », c'est-à-dire au-dessus de mon esprit.
Or, notre esprit peut s'élever jusqu'à Dieu pour trois motifs : i" parce qu'il
est, après les anges, le plus noble des êtres crées ; a* parce qu'il a été créé
à l'image de Dieu ; 3" parce qu'il est doué de raison. C'est par l'esprit con-
sidéré sous ce dernier aspect qu'Augustin veut s'élever jusqu'à Dieu.
CONSIDÉRATION PRATIQUE
Saint Augustin raconte comment, n'ayant pas trouvé Dieu dans les choses
corporelles, il l'a cherché dans son àme et au moyen de son Ame. Il ne
C A P U T VII
l'a point trouvé : i" par la force végétative ; a* ni par la puissance de sen-
sibilité, ou par l'âme sensitive. Cette faculté ne s'élève pas au-dessus des
choses corporelles et sensibles, et cette puissance nous est commune avec
le cheval et le malet, également doués de la sensibilité corporelle. Imitons
donc le saint Docteur; et, laissant de côté tous les objets sensibles, ne
cherchons Dieu qu'en prenant la raison pour guide. « C'est l'âme seule
qui peut connaître Dieu : mais quelle faculté de l'âme [quœ vis) ? Est-ce
la perception extérieure? Non, autrement les animaux connaîtraient Dieu.
Serait-ce la mémoire? » ( M . DESJARDINS.) Suivons la dissertation philoso-
phique ou plutôt psychologique du saint Docteur, qui ravissait aussi le
P. Malebranche. [Recherche de la vérité» n, 5.)
CHAPITRE VIII
(1) J'entre dans les domaines, dans les vastes palais de ma mémoire»
Ou ne peut rieu trouver de plus beau, de plus attachant que ces admirables
pages où saint Augustin déploie tout à la fois toutes les ressources d'une
intelligence pénétrante, d'une brillante imagination, d'un talent plein de sou-
plesse, comme l'a remarqué justement l'auteur d'un ouvrage récent sur la
Psychologie de saint Augustin, M. Ferroz.
Ce n'est pas un psychologue qui décompose dans un langage abstrait et
sans couleur ces phénomènes invisibles à l'oeil, insaisissables à la main,
inaccessibles à tous les sens, qu'on appelle des souvenirs; c'est un natura-
liste qui nous les fait, pour ainsi dire, voir et toucher; c'est un peintre
qui décrit les accidents de l'âme comme il décrirait les accidents d'un pay-
sage, et qui les déroule devant nos yeux, avec leurs nuances les plus fugi-
tives. A force de s'intéresser à son sujet, il y intéresse tous ses lecteurs
D'autres auteurs, par exemple Aristote chez les anciens, Dugald Steward
C A P U T Vili
Me m or i * vis.
chez les modernes, ont pu creuser ce sujet aussi profondément que lui,
mais ils n'ont pas donné à leurs observations la même vivacité et le même
relief ; ils ont peut-être pensé aussi bien que lui sur la mémoire, ils en ont
moins bien parle.
{2) Ajoutant, étant ou changeant quelque chose, etc. Saint Augustin veut
parler ici des objets que nous n'avons jamais vus et dont nous nous for-
mons une image d'après d'autres objets semblables. C'est ainsi que nous
nous représentons Rome, ou Carthage, sous l'image d'une grande ville.
Quant aux choses dont nous n'avons vu aucune ressemblance totale ou par-
tielle, il nous est tout à fait impossible de nous les imaginer. « Voilà pour-
quoi, dit ailleurs le saint Docteur, lorsque vous interrogez les aveugles de
naissance sur la lumière et les couleurs, ils ne trouvent rien à vous répondre;
car ils n'ont aucune idée des couleurs, puisqu'ils n'en ont jamais vu aucune. »
126 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
( i ) Vin réduit de deux tiers sous l'action du feu, d'après Nonius Marcellus.
LIVRE X — CHAPITRE Vin 127
est doux à ce qui est rude. Tout cela je le fais en moi, dans la
vaste galerie de ma mémoire.
4. — C'est là que se présentent à moi le ciel, la terre et la
mer, et tout ce qui, en eux, a pu frapper mes sens, hormis ce
que j'ai oublié. C'est là que je me rencontre moi-même, que je
remémore mes actions, le temps, le lieu où je les faisais, et mes
sentiments en les faisant. Là résident tous les souvenirs de ce
que j'ai éprouvé par moi-même, ou appris d'autrui. De cette
trame du passé, j'ourdis le tissu des expériences et des témoi-
gnages journaliers, des événements et des espérances futures,
et je forme de tout cela comme un présent que je médite. Et
dans les vastes plis de mon esprit, peuplés de tant d'images,
je me dis à moi-même : « Je ferai ceci ou cela ; il s'ensuivra ceci
ou cela. Oh ! s'il arrivait telle ou telle chose ! Plaise à Dieu ! à
Dieu ne plaise ! » Voilà ce que je me dis ; et, ce disant, les images
de toutes les choses que je nomme sortent, vers moi, du même
trésor de ma mémoire ; car si elles n'y étaient pas, il me serait
impossible d'en parler.
5. — Que cette force de la mémoire est grande, extrêmement
grande ! ù mon Dieu, sanctuaire impénétrable, infini ! Qui pour-
rait aller au fond? Et c'est une puissance de mon esprit, une
propriété de ma nature, et moi-même je ne comprends pas tout
ce que je suis ! L'esprit est donc trop étroit pour se contenir
lui-même? Et où donc déborde ce qu'il ne peut contenir de lui?
Serait-ce hors de lui et non pas en lui ? Alors, comment cela se
fait-il?
6. — Ici, je me sens confondu d'admiration et d'étonnement.
Les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de
la mer, le long cours des fleuves, les bords de l'océan et le
mouvement des astres : ils se laissent de côté et n'admirent
pas, chose admirable ! que, au moment où je parle de tout cela,
je n'en vois rien par les yeux. Pourtant, je n'en parlerais pas
si les montagnes, les flots, les fleuves, les astres que j'ai vus,
l'océan auquel je crois, ne s'offraient intérieurement à ma
mémoire avec les vastes espaces où s'élanceraient mes regards.
LIVRE X — CHAPITRE VIII 129
Néanmoins, mes yeux, en les voyant, ne les ont point fait péné-
trer en moi. Ces choses mêmes n'y sont pas, mais seulement
leurs images (i), et je sais par lequel de mes sens chaque
impression m'est venue.
Ces choses mêmes n'y sont p a t . Ce ne sont pas elles qui sont entrées.
Les objets sensibles impriment leurs imaeres dans les sens et les font
parvenir jusqu'à l'esprit, où ils ne peuvent entrer eux-mêmes, car un mur
n'entre point par les yeux, mais son image seule, <t De même que la cire,
dit Aristote, reçoit l'empreinte d'un anneau sans recevoir le fer ou l'or
dont cet anneau est composé — car il reçoit l'empreinte d'un cachet d'or
ou d'airain, maïs non pas en tant qu'il est d'une matière d'or ou d'airain —
ainsi les sens reçoivent la simple impression d'un corps qui produit ou une
odeur, ou nne saveur, ou un son quelconque. »
CONSIDÉRATION PRATIQUE
Le saint Docteur nous montre du doigt le profit que nous devons tirer de
ce chapitre, c'est que la vue d'aussi grands prodiges doit nous faire préférer
l'excellence de notre âme à tous les objets qui nous environnent. Il s'étonne,
non de ce que l'homme admire le grand spectacle de la nature, mais de ce
qu'il ne s'admire pas davantage lui-même, sans pour cela s'enorgueillir,
mais pour élever son âme, ennoblir ses sentiments, se dégager des sens et
de la matière, et transporter au ciel ses pensées et ses affections»
« La destination de l'âme est d'être unie pour toujours à l'Être éternel, qui
l'a rendue participante de son immortalité. Tous les biens que la nature
étale à ses regards, tous les plaisirs qu'elle lui offre, sont au-dessous d'elle
et ne méritent pas son affection. Dieu est le seul objet qui réponde à l'im-
mensité de ses désirs: pour être heureuse, il faut qu'eue en jouisse, et
LIVRE X — CHAPITRE VIII 131
«m'elle soit assurée d'en jouir toujours. Sénèque disait : c Je suis trop
grand et né pour de trop grandes choses, pour être le vil esclave de mon
corps. » {Lettre LXV.\ Cependant, ce philosophe n'avait qu'une notion très
imparfaite de la dignité de son Âme, et il n'en avait aucune de son éternelle
destination.
r> Ce qu'une raison pure, éclairée, dégagée de tout préjugé et de toute
illusion des sens apprend à l'homme sur son rapport avec Dieu, à titre de
tin dernière, la Révélation le lui découvre avec plus de clarté, le lui déve-
loppe avec plus d'étendue, le lui confirme avec plus de certitude. Elle lui
expose tout le plan, toute la suite des desseins de Dieu sur lui ; et ce qu'elle
lui dévoile i ce sujet est si grand, si magnifique, si étonnant, sa incompréhen-
sible, qu'il ne peut s'empêcher de dire à Dieu avec J o b : <t Qu'est-ce que
* l'homme, pour que vous le traitiez avec tant d'honneur et que vous en
» fassiez l'objet de votre affection? » (Job v u , 17.) Non, il n'y a que la reli-
gion qui nous donne une idée complète de la grandeur de l'homme. Cette
grandeur est telle qu'elle passe ses conceptions : il ne la comprendra pleine-
ment que dans l'autre vie, soit par l'excès de son bonheur soit par l'excès
de son malheur. » (P. Gnou.)
CHAPITRE IX
Dans la mémoire se trouvent encore renfermées toutes les connaissances
recueillies durant les études littéraires ou scientifiques. Ce ne sont pas leur
images, mais leur réalité elle-même que nous portons en nous.
Memoria disciplina ru m.
CONSIDÉRATION PRATIQUE
Quoique saint Augustin ait admis que les espèces intentionnelles des
choses corporelles existent, soit dans les sens extérieurs, soit dans les sens
intérieurs, cependant personne ne connaît les espèces intelligibles des
sciences et des arts, comme on peut le voir par ce chapitre. L'opinion de
saint Augustin était que les idées des arts libéraux sont innées en nous,
comme plusieurs philosophes l'ont affirmé des premiers principes. 11 conclut
donc que e s idées n'ont aucun besoin des images sensibles, puisqu'elles se
C
(i)Je visite tontesles portesde met sent, c'est-à-dire, j'ai beau passer
en revue toutes celles par lesquelles j e communique avec le monde extérieur.
Arnauld s'exprime, sur l'origine des idées de l'être et de la pensée, exacte-
ment comme saint Augustin sur l'origine des idées d'existence, d'essence et
de qualité. S'il n'avait pas le passage d'Augustin sous les yeux, il devait le
savoir par cœur. « Si donc, dit-il, on ne peut nier que nous n'ayons en
nous les idées de l'être et de la pensée, j e demande par quels sens elles sont
entrées. Sont-elles lumineuses ou colorées pour être entrées par la vue? d'un
CAPUT X
Disciplina; in memoriam non introducuntnr per sentus, ltd ax ejus sinu ermmtur.
son çrave ou aigu, pour être entrées par l'ouïe? d'une bonne ou mauvaise
odour, pour être entrées par l'odorat? de bon ou mauvais goût, pour entrer
par Je goût ? froides ou chaudes, dures ou molles, pour être entrées par
r
l'attouchement? » [Logique de Port-Royal, I" part., ch. i« .)
[i) Je les ai examinées dans mon esprit, etc. Il est facile de voir qup saint
Augustin adopte ici le système de Platon sur les idées innées, système sou-
vent soutenu, notamment par Descartes,non pas en ce sens qu'il faille sup-
poser dans l'enfant qui vient de naître la perception actuelle des vérités
nécessaires formant l'apanage de la raison, mais en ce sens que ces
idées srénérales et nécessaires existent gravées dans l*esprit de l'enfant, pour
se révéler ensuite à la conscience et se transformer en perceptions distinctes,
136 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
à mesure que l'attention se porte au dedans pour les saisir et les démêler.
Saint Thomas et les philosophes contemporains ne suivent pas ce système
de la réminisc, nce.
( i ) C'est donc qu'elles étaient déjà dans ma mémoire, avant même que
j e les eusse apprises. Suivant saint Augustin, les idées des sciences qui
LIVRE X — CHAPITRE X 137
ne tombent sous aucun sens, étaient comme cachées dans les profondeurs
de l'esprit; mais comme elles y sont ensevelies, pour ainsi dire, sous une
multitude de pensées et d'inpges différentes, elles ont besoin d'un appel,
d'un avertissement pour sortir de leur retraite et paraître au- dehors,
CHAPITRE XI
Apprendre 1 « choses qui ne nous arrivent point par les sens, c'est rassembler
par la pensée ces mêmes choses qui se trouvaient déjà éparses et sans ordre
dans la mémoire,
(i) Que notre esprit considère sans images, comme elles sont en elles-
mêmes. Apprendre, c'est se souvenir, disait Platon. Selon saint Augustin, nous
connaissons les choses immatérielles par elles-mêmes, d'une conception propre
et comme intuitive, et non moins clairement que les choses sensibles. « De
même, dit-il dans un autre endroit, que l'esprit arrive par les sens du corps
i la connaissance des choses corporelles, ainsi, il parvient par lui-même
à la connaissance des choses incorporelles. » (De la Trinité, Iiv. IX, ch. m.)
CAPUT XI
Quid sit discere et noscere.
{->) C'est rassembler par la pensée A propos des pensées qu'on ras-
semble dans l'esprit, le saint Docteur donne ici du verbe cogitare, penser,
une étymologie aussi élégante que juste: car toute pensée consiste dans
une certaine réunion, dans une certaine association de conceptions, qui sont
];i matière nécessaire de nos jugements et de nos raisonnements. Le nom
île pensée convient beaucoup moins à une simple appréhension ou concep
tion de l'esprit. .
C H A P I T R E XII
La mémoire des mathématiques renferme aussi les propriétés et les lois innom-
brables il«i mesures, dont aucune ne lui est parvenue par les organes du corps.
(i)J'ai entendu le son des mots qui les expriment, mais ces mots ne sont
pas les choses elles-mêmes. Descartes et Arnauld ont renouvelé cette dis-
tinction, aussi féconde que lumineuse, de l'idée de la chose et de l'idée du
son qui sert à la désigner, et l'ont opposée à l'empirisme de Uobbes et de
Gassendi. * Qui doute, dit Descartes, qu'un Français et qu'un Allemand ne
puissent avoir les mêmes pensées, ou raisonnements, touchant les mêmes
choses, quoique néanmoins ils conçoivent des mots entièrement différents? »
p
(Voir ARNAULD, Logique de Port-Royal, I" part., ch. i* .).
(2) Mais les nombres par lesquels nous comptons sont bien différents»
Ils sont séparés de toute matière et inaccessibles aux sens, car tous les
C A P U T XII
nombres, toutes les quantités que nous sentons, sont personnifiés dans un
corps, dans une chose matérielle.
Quant aux abstractions mathématiques, quant aux nombres abstraits,
avec leurs règles et leurs principes arithmétiques ou géométriques, l'esprit
les forme par lui-même, ou, suivant l'opinion de saint Augustin, ces idées
sont le patrimoine naturel de l'esprit. C'est ainsi qu'on distingue dans l'Ecole
le nombre qui nombre et le nombre qui est nombre, c'est-à-dire, par
exemple, le nombre 10 des dix hommes que nous comptons. Saint Augustin
parle donc ici des nombres et des dimensions de l'arithmétique et de la
géométrie, pris dans leur sens abstrait.
(3) Celui gai ne les voit pas, puisque ces nombres sont incorporels.
C H A P I T R E XIII
ne sont pas incompatibles entre elles, mais les passions elle-mémes. Ainsi,
ni l'eau ni le feu, en peinture, n'ont la propriété, l'une d'éteindre le feu, l'autre
de produire la chaleur.
« Saint Augustin se demande comment on peut se rappeler avec joie la tris*
tesse passée ; la joie est dans l'esprit, la tristesse dans la mémoire. Le pro-
blème qu'il ne résout pas entièrement est facile à résoudre. Sans doute une
idée qu'on fait revivre peut réveiller un sentiment; mais la mémoire est la
faculté de conserver les idées acquises, et non de conserver les sentiments.
Le sentiment de tristesse effacé, l'idée apparaît seule à la mémoire : quoi de
plus simple? »(A.DESJÀRDI>-S, Essai sur les Confes.de saint Augustin^. 122.)
148 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) Est-ce don par son image et non par son essence ? Evidemment, c'est
par son image, car, bien que nous nous souvenions ici par un acte véritable
de la mémoire, ce qui est l'objet de cet acte n'est pas la mémoire, mais son
image. Il faut donc prendre garde de confondre là deux choses distinctes.
Lorsque nous nous souvenons de la mémoire, elle est présente ; mais ce qui
est prochainement et directement l'objet de l'acte de notre esprit, c'est
CAPUT XV
(i) L'oubli dont j'ai souvenir. Nous ne pouvons nous souvenir de l'oubli
en tant qu'il est une privation, puisqu'on ne peut se former une image ou
une idée de ce qui n'existe pas, comme le remarque justement saint Augus-
tin. Mais en tant que nous nous souvenons de la chose que nous aurions
dû nous rappeler dans telle circonstance, comme lorsque nous nous rap-
pelons que telle pensée que nous avions préparée nous a fait défaut dans
tel discours, nous nous souvenons de l'oubli par l'image, non de l'oubli
lui-même, mais de la chose oubliée; et, en nous rappelant qu'elle nous a
fait défaut en un moment où elle aurait dû se présenter k notre esprit,
nous nous souvenons par là même de l'oubli. L'oubli efface bien l'acte
C A P U T XVI
«[ni lui est oppose, mais il ne détruit pas le souvenir par lequel nous nous
rappelons que cet acte nous a fait défaut, parce que l'oubli n'est pas opposé
a ce souvenir. C'est ainsi qu'on peut expliquer la mémoire de l'oubli.
Pour compléter ces explications, il faudrait reproduire ici les lettres VI
ei VII sur la mémoire et l'imagination, adressées par saint Augustin à Nébri-
ilius. Celui-ci comprenait l'image sans le souvenir, mais non pas le sou*
\onir sans l'image. Augustin lui répond en lui montrant trois manières
< IV Ire de la mémoire imagina ti ve, selon qu'elle s'applique k des choses sen-
sibles, ou à des choses fantastiques, ou à d'autres conceptions comme les
nombres ou les rythmes. D'ailleurs, l'image ne saurait exister sans la
mémoire, parce qu'elle se compose d'un souvenir et d'une faculté naturelle
a l'âme d'agrandir ou de diminuer les objets perçus.
154 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
par son image, que l'oubli est dans notre mémoire au moment
où nous nous souvenons de lui? Car s'il y était présent par
lui-même, il serait cause que nous oublierions au lieu de nous
souvenir.
2. — Qui jamais pénétrera ce mystère? Qui le comprendra?
Pour moi, Seigneur, j ' y travaille, et c est sur moi-même que je
travaille. Je me suis devenu moi-même une terre de fatigue et
et de sueurs excessives. Cependant, aujourd'hui, je ne sonde
pas l'immensité des cieux, je ne mesure pas la distance des
astres, je ne recherche pas la loi de l'équilibre de la terre ; ce
que je recherche, c'est moi-même avec ma mémoire, moi-
même avec mon esprit. Rien d'étonnant que tout ce qui est
autre chose que moi soit loin de moi. Mais qu'y a-t-il de plus-
près de moi que moi-même? Et néanmoins, je ne puis com-
prendre la puissance de ma mémoire, sans laquelle je ne pour-
rais même pas prononcer mon propre nom. Que dirai-je donc,
puisque je suis assuré d'avoir le souvenir de mon oubli? Dirai-
je qu'une chose dont je me souviens n'est pas dans ma mémoire?
Ou bien dirai-je que l'oubli est présent à ma mémoire pour me
défendre de l'oublier? L'un n'est pas moins absurde que l'autre*
3. —Avancerai-je cette troisième hypothèse, que c'est l'image
de l'oubli, et non l'oubli lui-même qui se conserve dans ma
mémoire lorsque je m'en souviens ? Comment le dirai-je, puisque
l'image d'un objet quelconque ne s'imprime dans notre mémoire
que si la chose elle-même nous est présente afin que son image
puisse s'y imprimer? C'est ainsi que je me souviens de Car-
thage et des lieux que j'ai parcourus, et des visages que j'ai
vus et de tous les rapports que m'ont transmis mes sens ; ainsi
de la donleur, ainsi de la santé. Quand toutes ces choses étaient
présentes, ma mémoire en a pris les images au moment où je
les considérais, afin de pouvoir à mon gré les voir et les
repasser dans mon esprit lorsque j'en serais éloigné. Si c'est
par son image, et non par lui-même, que l'oubli se conserve dans
la mémoire, il a donc fallu sa présence pour que la mémoire
pût s'emparer de son image. Or, quand il était présent, com-
.JVBE X — CHAPtTRB XVI 155
(1) Par elles-mêmes comme les sciences. Saint Augustin pense que
les sciences et les arts, l'âme elle-même et tout ce qui s'y rattache, peuvent
être connus par l'intelligence sans le secours des espèces ou apparences,
parce que toutes choses lui sont suffisamment unies. Suivant le saint Doc-
teur, les images ne sont nécessaires que pour suppléer la présence d'un
objet absent, ou qui n'existerait pas. Cependant les théologiens et les phi-
losophes enseignent communément que les « espèces intelligibles » sont égale-
ment nécessaires pour arriver à la connaissance des sciences, des arts, etc.,
CAPUT XVII
ce qu'il n'entre point dans notre pian d'examiner. (Cf, S. Тн, Sum. p. L,
q. LV, art. 5.)
(a) Par je ne sai» quelles notions. Saint Augustin donne aux différentes
espèces de nos impressions et de nos conceptions le nom de notions, plutôt
que celui d'images, pour les distinguer des autres espèces. Car, en réalité,
ces notions, qui nous servent à connaître nos affections et nos actes, sont
aussi réellement des images que les espèces des autres objets.
(3) Me voici, montant par mon esprit jusqu'à vous. On peut remarquer
quelle vaste carrière se donne la pensée de saint Augustin. Après d'humbles
160 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
fonction de l'âme, son esprit monte peu à peu de la terre jusqu'au ciel, des
vulgarités de la nature animale jusqu'aux sublimités de la nature divine.
C'est ainsi que Platon passe sans cesse des faits transitoires aux idées
immuables, du monde réel au monde idéal qui le domine et qui l'explique. »
(FEMIOZ, Psychologie de saint Augustin.)
TOME I I I G
CHAPITRE XVIII
CONSIDÉRATION PRATIQUE
Lorsque la mémoire elle-même perd 'un objet par oubli, elle ne peut se rap
peler cet objet qu'en pensant à quelque chose de semblable, et elle ne pour-
rait chercher un objet perdu dont le souvenir se serait entièrement effacé
dans notre esprit.
CONSIDÉRATION PRATIOJ/B
Saint Augustin ne s'est occupé nulle part, d'une manière spéciale, des
causes qui peuvent rendre nos souvenirs plus durables, ou nous en faciliter
166 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
pour point d'appui une idée, dont nous nous souvenons déjà, et qui avait
rte liée dans notre mémoire à celle que nous voulons évoquer.
C'est dire que l'association des idées joue dans la réminiscence un rôle
considérable. La réminiscence, on le sait, tient une grande place dans les
théories psychologiques des anciens, et l'association des idées dans celles des
modernes. Or, de tous les philosophes qui se sont occupés de l'association
des idées — depuis Platon, qui remarque avec tant de grâce que la vue d'une
lyre réveille en nous l'idee de la personne aimée qui a coutume de s'en ser-
vir, jusqu'à Dugald-Steward, qui abonde là-dessus en observations ingé-
nieuses — aucun n'a mieux vu le phénomène que saint Augustin, et ne se
décrit d'une manière plus expressive, dans ce chapitre et le suivant.
CHAPITRE XX
Puisque tous cherchent la vie heureuse, qui ne peut être que Dieu seul, il est
nécessaire que nous en ayons une certaine connaissance, une certaine
mémoire, car nous ne pourrions l'aimer sans la connaître.
( i | Mon corps vit par mon âme* Une vérité qui intéresse l'homme au
plus haut point, c'est que l'âme est le principe de la vie du corps et que
Dieu est la vie de l'âme, le principe unique et la cause immédiate de sa vie
physique, de sa vie morale, de sa vie heureuse. De sa vie physique, non
seulement en qualité de créateur, mais en tant qu'il la conserve et lui con
tinuc l'existence, à chaque moment; en tant qu'il concourt comme cause
première et universelle à la production de tous ses actes; en tant que
lumière unique des esprits, il l'éclairé et la met en état de discerner les
objets qui sont du ressort de l'entendement. De sa vie morale, parce que
Dieu est tout à la fois l'origine et le terme de toutes les obligations morales
auxquelles l'âme est soumise. De sa vie heureuse, soit en attente et en
espérance, ici-bas, soit en jouissance dans le ciel, puisqu'il est manifeste
qu'il n'y a point et qu'il ne peut y avoir de bonheur solide hors de Dieu.
La vie heureuse est le terme des autres vies de l'Ame : car, dans les des-
seins de Dieu, l'Ame n'existe que pour le bonheur, et sa vie morale est la
C A P U T XX
voie pour y parvenir. Bon gré mal gré, nous vivons et nous vivrons toujours
de Dieu selon le physique ; mais il dépend de nous de vivre de lui selon
1'' moral, et par là de nous assurer en lui une vie éternellement heureuse.
la) Mon âme vit par vous. Cette vérité! que Dieu est la vie de l'âme
rommc l'âme est la vie du corps, saint Augustin la reproduit souvent dans
^ écrits. De même que le corps meurt lorsque l'âme se sépare de lui,
lame meurt également lorsqu'elle se sépare de Dieu. (Voir Sermon XHl,
sur le martyre.)
13) Cette vie heureuse que tous les hommes désirent. « Tous ceux qui ont
quelque usage de la raison, dit ailleurs le saint Docteur, sont unanimes sur
<c point que tous les hommes veulent être heureux. » {Cité de Dieu, liv. X ,
er
ch. i . ) La béatitude est un bien; tous les hommes désirent ce qui est bien,
à plus forte raison le souverain bien, qui est la béatitude.
Si tous désirent le souverain bien, comment se fait-il qu'il y en ait tant
dont les désirs se portent vers le péché, qui est un mal? D'où vient qu'un
M grand nombre se donnent la mort, car celui qui n'existe pas est en dehors
170 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
de tout bien? Nous répondons que le péché est un mal moral qui est comme
recouvert d'un bien physique» la volupté, la gloire, les richesses» etc. C'est
après ces biens apparents que soupirent avec ardeur les hommes pervers.
Et, bien que celui qui n'est plus soit incapable de jouir d'aucun bien, celui
cependant qui se donne la mort le fait pour éviter un mal qui lui paraît
plus grand, car il regarde comme un plus grand bien ou comme un mal moindre
LIVRE X — CHAPITRE XX 171
(i) Où donc et quand ai-je goûté la vie heureuse ?Nous ne l'avons jamais
coûtée tout entière dans cette vie. Cependant, nous en desirons du moins
une certaine partie chaque fois que nous formons un acte d'amour et de
désir. En effet, nous goûtons un certain bonheur dans la jouissance d'un
seul bien, et ce bonheur est d'autant plus grand que la somme de biens dont
nous jouissons est plus considérable. Nous concluons de là que notre bonheur
ne laisserait rien à désirer si nous jouissions de tous les biens réunis, affranchis
à jamais de tous les maux, ce qui est le souverain bien et le vrai bonheur.
LIVRE X — CHAPITRE XX-I 175
lui, dans cette vie, en espérance, par une connaissance et une charité encore
imparfaites; et dans l'autre, par la vision et la jouissance beatifiques. C'est
là, vraiment, la joie du Seigneur, dans laquelle il fait entrer le serviteur
bon et fidèle.
(a) Et la vie heureuse, c'est se réjouir en vous, etc., c'est-à-dire se réjouir
dans l'espérance de parvenir un jour jusqu'à Dieu, ne chercher de joie
qu'en Dieu, qui est le souverain bien, et ne se réjouir que pour Dieu dans
les biens inférieurs. Voilà la vie heureuse, qui commence dans cette vie
mortelle par l'espérance et la grâce, et se consomme par la gloire dans a
vie éternelle.
CHAPITRE XXIII
La vie heureuse est la joie que donne la vérité, parce que Dieu est vérité,
et ceux qui aiment autre chose veulent que ce qu'ils aiment soit la
vérité.
(1) Ils refusent ainsi le bonheur, parce que le bonheur n'est qu'en Dieu
seul, que les pécheurs abandonnent. Ils cherchent cette vie heureuse dans
les créatures, mais il n'y trouvent que l'ombre mensongère du vrai bonheur.
(3) La joie de la vérité, c'est-à-dire la joie d'avoir trouvé le vrai bien,
qui np souffre pas le moindre mélange de mal et qui seul suffît pour pro-
duire la joie véritable. Aucune joie qui vient des créatures ne peut donc
constituer la vie heureuse, parce que tout bien fin porte toujours en lui-
même quelque mélange d'imperfection. Toutes choses bien considérée"., il
CAPUT XXIII
pst évident que saint Augustin ne donne pas ici une définition ri court'use de
la béatitude. L'essence de la béatitude, selon les principes mêmes du saint
J >octeur qui ont leur fondement dans l'Ecriture et qui sont adoptés par les
théologiens les plus éminents, consiste dans un acte de l'intelligence qui
\oit Dieu intuitivement et le possède en réalité. Mais comme il arrive
très fréquemment et presque toujours que l'effet est plus connu que la
cause, pour mieux faire comprendre que tous les hommes veulent être I eu*
u.Y, et que la mémoire renferme en elle-même une certaine idée de la
béatitude, saint Augustin définit la vie heureuse la joie qui riait de la vérité.
180 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
reuse, qui n'est autre que la joie dans la vérité, ils aiment cette
vérité, et ils ne l'aimeraient pas si leur mémoire ne s'en retra-
çait aucune idée.
2. — Pourquoi donc n'en jouissent-ils pas? Pourquoi ne
sont-ils pas heureux? (i) C'est qu'ils sont fortement préoccupés
d'objets qui leur créent plus de misère que le faible souvenir
de la vérité ne leur laisse de bonheur. Il reste encore un peu
de lumière parmi les hommes; qu'ils marchent donc, qu'ils
avancent, de peur d'être enveloppés par les ténèbres. (Joan.
xn, 35.) Mais pourquoi la vérité eng-endre-t-elle la haine, et
pourquoi voit-on un ennemi dans l'homme qui l'annonce de
votre part? Car on aime la vie heureuse, et elle n'est que
la joie de la vérité. Ne serait-ce pas que la vérité est
aimée de telle sorte que ceux mêmes qui ont un autre amour
veulent que ce qu'ils aiment soit la vérité (2), et que, ne voulant
pas être trompés, ils ne veulent pas non plus être convaincus
doigt dans l'eau froide des bénitiers sans tressaillir d'an singulier frisson
qui était peut-être du remords. »
« Le Dieu d'indulgence et de bonté, écrit-il plus loin, me réservait mieux
qu'un hâtif et tremblant repentir in extremis.
» Alors mon esprit se tourna vers les pensées graves. MVtant jugé avec
une sincérité scrupuleuse, je me dégoûtai, je me fis horreur, et, cette fois,
le prêtre vint.
T> Je me confessai à lui, dans les larmes du repentir le plus sincère; je
reçus l'absolution avec un soulagement ineffable.
» Ce prêtre est à présent l'un des hommes que j'aime le plus au monde,
mon cher conseiller, l'intime visiteur de mon âme et mon frère en Jésus-
Christ. »
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
sîons indomptées, qui nous portent à des actes que notre raison réprouve et
condamne.
». Si jamais la vérité se rend odieuse, c'est particulièrement dans la
fonction de reprendre. Les pécheurs toujours superbes ne peuvent endurer
qu'on les reprenne Qu'on discoure de la morale, qu'on déclame contre
les vices; pourvu qu'on ne leur dise jamais comme Nathan : « ('/est vous
qui êtes cet homme ( / / îieg. XII, 7 ) , c'est à vous qu'on parle. » Us écoutent
volontiers une satire publique des moeurs de ieur siècle, et cela, pour quelle
raison? C'est qu* « ils aiment, dit saint Augustin, la lumière de la vérité,
mais ils ne peuvent souffrir ses censures. » Elle leur plaît quand elle se
découvre, parce qu'elle est belle,' elle commence « à les choquer quand elle
les découvre eux-mêmes, » parce qu'ils sont difformes. Aveugles qui ne
voient pas que c'est par la même lumière que le soleil se montre lui-même
et tous les autres objets I Ils veulent cependant, les insensés I que la vérité
se découvre à eux sans découvrir quels ils sont, et il leur arrivera, au
contraire, par une juste vengeance, que la lainière de la vérité mettra en évi-
dence leurs mauvaises oeuvres, pendant qu'elle-même leur sera cachée. (Bus-
e
SUET, Sermon Sur les causes de la haine déchaînée contre la vérité, III p.)
3. Comme ici-bas le foyer du péché et les ardeurs de la concupiscence
ne peuvent être entièrement éteintes, nous ne pouvons être parfaitement
heureux dans cette vie; nous ne le serons que dans le ciel, où, affranchis
de toute inquiétude, nous ne nous réjouirons que de la seule vérité,
avec l'assurance d'en jouir toujours, selon la promesse de Jésus-Christ.
{Joan, xvi, aa.)
CHAPITRE XXIV
Il se félicite de ce que Dieu peut être trouvé dans la mémoire, parce qu'on y
trouve la vérité.
(1) Où j'ai trouvé ta vérité, brillant de tout son éclat dans les principes
naturels tels que ceux-ci : Dieu est le souverain bien, il est incorruptible,
inviolable, immuable, il est supérieur à tous les êtres sujets à la corruption,
à l'altération, au changement. « Là », dans ma mémoire, où ont été natu-
rellement déposées les semences de la connaissance divine, « j'ai trouvé mon
Dieu, en cherchant peu à peu sa nature à l'aide de ces principes. »
(a) Dieu qui est la vérité même. Dieu est la première et la souveraine
vérité, d'abord parce que l'intelligence divine est « la mesure et la cause
de tous les autres êtres et de toutes les autres intelligences, et ensuite parce
CAPUT XXIV
CONSIDÉRATION PRATIQUE
L'idée de Dieu est si fortement gravée dans notre mémoire, par les prin-
cipes naturels, qu'aucun oubli ne peut l'en effacer. C'est lui qui répand de
chastes délices dans l'âme lorsqu'elle considère qu'en lui est tout le bien sans
aucun mélange de mal.
CHAPITRE XXV
(1) J'ai traversé les parties de la mémoire qui me sont communes avec
les bêtfis. Saint Augustin reconnaît ici une mémoire distincte de la mémoire
CAPUT XXV
sensitive, qai nous est commune avec les animaux, c'est-à-dire la mémoire
intellective, qui est l'apanage exclusif des êtres doaés de raison.
(a) Depuis que je vous ai connu. Noos apprenons à connaître Dieu à
l'école de la nature, lorsque nous parvenons à l'usage de la raison; mais
cette connaissance est encore fort obscure. Il faut y joindre renseignement
de la foi chrétienne, qui nous fait connaître bien plus clairement la nature
de ce souverain bien.
CHAPITRE XXV!
(x) Vous n'étiez point dans ma mémoire avant que je vous connusse.
Notre Ame et notre mémoire n*ont pas une connaissance claire de Dieu
avant que nous soyons éclairés des lumières de la foi. Ainsi, saint Augustin
avoue n'avoir connu Dieu que lorsqu'il se fut rangé aux enseignements de
la foi pour apprendre d'elle ce qu'était la nature de Dieu et l'étendue de
ses perfections, et que la connaissance qu'il en avait, connaissance impar-
faite et grossière, eût puisé toute sa perfection au foyer de la lumière
catholique.
(a) Où donc vous ai-je trouvé, pour vous connaître? Saint Augustin,
comme le remarque un auteur que nous avons déjà cité, s'est montré assez
indécis sur certains points de sa théorie de la mémoire. Ainsi, il prétend
que la mémoire est dans l'être humain ce que le Père est dans la Trinité
divine, et qu'elle contient primitivement à l'état latent les idées que l'intel-
ligence se bornera plus tard à produire à la lumière. C'est dire que la
mémoire n'est pas seulement le dépôt, mais la source de nos connaissances,
et en faire la première de nos facultés. Cependant, il dit ici positivement
que Dieu n'a pas toujours été dans sa mémoire, il l'a connu en lui-même
dans sa vérité immuable. De plus, il reconnaît ailleurs que les idées néces-
saires sont passagères, bien que leurs objets ne le soient pas, et que si quel-
qu'une d'elles échappe à notre mémoire, nous pouvons la retrouver là où
nous l'avions trouvée d'abord, au sein de la vérité incorporelle qui nous
éclaire. {De la Trinité, liv. XII, ch. xiv.) Le saint Docteur fait donc de la
mémoire tantôt une faculté d'où tout part et où tout aboutit, tantôt une
faculté qui se borne à conserver les connaissances précédemment acquises.
Comment saint Augustin a-t-il pu être amené à admettre la première de
ces deux conceptions, qui est empreinte d'un caractère d'exagération si
marquée qu'elle est tout A fait inacceptable? L'explication la plus naturelle
C A P U T XXVI
qui s'offre à l'esprit, c'est que l'étude approfondie qu'il avait faite de cette
faculté l'a porté à en étendre démesurément le domaine. Quand un esprit
distingué se met à creuser un sujet quel qu'il soit, il finit toujours par s'en
exagérer l'importance C'est ainsi que Malebranche rapporte à l'imagi-
nation une multitude de faits qui n'en dépendent qu'indirectement, quand
toutefois ils en dépendent; qu'Adam Smith voit dans la sympathie la
raison dernière de la plupart des jugements et des actes qui composent la
vie humaine, et qu'un écrivain de nos jours, versé dans l'étude de la phi-
lologie, a proposé de ramener à la linguistique la philosophie tout entière.
On pourrait donner une autre explication que suggère l'examen des faits,
et qu'on trouvera peut-être plus plausible, c'est que saint Augustin, ayant
subi profondément l'influence de la philosophie néoplatonicienne, n'en
répudia que fort tard certaines doctrines peu conciliables avec le dogme
chrétien, et surtout celle de la réminiscence. (FEHROZ, Psychologie de saint
Augustin, p. 1 8 9 - 1 9 2 . )
(3) Sinon en vous-même, au-dessus de moi. C'est-à-dire j'ai connu que
Dieu, qui était bien au-dessus de moi et de toutes les créatures, trouvait
ses complaisances et son bonheur en lui seul. « Si ce n'est en vous, au-dessus
de moi, » c'est-à-dire dans la foi théologique, qui est un don de l'Esprit
Saint, don qui est au-dessus de notre nature et de nos mérites.
(4) Là il n'y a pas de lieu. C'est-à-dire entre vous et les hommes, il n'y
a ni lieu, ni espace qui pose des limites à Dieu. Sa présence n'est attachée
à aucun palais, à aucun séjour; elle remplit l'immensité. Cependant, nous
approchons de lui par la grâce et par la charité; nous nous en éloignons
par le péché, non en traversant l'espace, mais par la seule distance qui
sépare le bien du mal.
(5) Partout, à vérité, vous régnez sur tous ceux qui vous consultent.
En tout lieu, Dieu écoute les prières de ceux qui l'interrogent pour con-
190 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
naître la vérité par leurs désirs et leurs supplications, comme a fait saint
Augustin. Quelle magnifique et sublime image de la vérité assise sur un
trône immense, u bique veritas prœsides , donnant audience à toutes les
créatures capables de la consulter, répondant en même temps à ceux qui
s'adressent à elle de toutes les parties de l'univers, donnant à chacune des
réponses spéciales, claires, certaines, infaillibles, et exerçant cette auguste
fonction sans aucune interruption depuis l'origine des tempsI
( 1 ) Tous répondes en même temps à tous ceux qui vous adressent des
demandes différentes, en leur donnant de bons instincts et de salutaires ins-
pirations.
« A leurs diverses demandes, » parce que l'un aspire aux richesses, un
autre aux honneurs, celui-ci aux plaisirs, celui-là à toutes ces choses à la
fois. Or, Dieu fait à tous cette même réponse : € Vanité des vanités, et tout
est vanité. »
(2) Vous parlez clairement, ce qu'attestent les murmures de la con-
science coupable, mais tous ne comprennent pas de même, étourdis qu'ils
sont par le tumulte de leurs passions.
CONSIDERATIONS PRATIQUES
plus dans l'ordre que le serviteur n'ait point une volonté différente de celle
de son Seigneur, que de forcer la volonté du Seigneur d'avoir pour
agréables les caprices de son serviteur.
s. Tous ne reçoivent pas toujours les réponses qu'ils désirent, parce
que les affections coupables dont ils sont les esclaves leur inspirent des
volontés et des désirs directement contraires à la volonté et aux comman-
dements de Dieu. 11 en est qui voudraient qu'il fût permis de rendre injure
pour injure, outrage pour outrage, et la loi divine leur dit : « Cela n'est pas
permis, non lice t. » Il en est qui voudraient qu'il leur fût répondu qu'ils
peuvent, en vivant dans le monde et de la vie du monde, trouver la voie
qui les conduira au ciel; mais il leur est dit que leur prédestination, par
un profond secret de Dieu, se trouve attachée à la vie religieuse, A la pra-
tique des conseils évangéliques. Un grand nombre de femmes, sincèrement
adonnées aux pratiques de la piété, voudraient qu'il leur fût répondu que
la sainteté consiste pour elles à passer la plus grande partie de la journée
dans les églises et à fatiguer les oreilles de leurs confesseurs de leurs inter-
minables discours ; mais il Irurest dit qu'elles feraient beaucoup mieux de rester
dans leurs maisons et ô*j remplir fidèlement les devoirs de leur condition.
CHAPITRE XXVII
Il confesse qu'il a commencé bien tard à aimer Dieu, parce qu'il a cherché, non
au dedans de lui, mais au dehors, dans les créatures, et raconte comment
il a été ravi de la beauté de Dieu.
(1) Je voue ai aimée tard : après douze ans, lorsque la lecture de Vffor-
tensius de Cicéron lui inspira l'amour de la sagesse.
(a) Vous étiez au dedans de moi, dans mon âme, par votre essence,
votre présence, votre puissance; vous me parliez par la lumière naturelle
et par les principes de la conscience et par de salutaires inspirations. Moi
j'étais au dehors, tout entier à l'amour et au charme des choses extérieures.
Entendons Bossuet nous montrant, dans un manuscrit inédit, intitulé
Second traité sur les états d'oraison, que la foi se perd dans l'incom-
préhensibilité de Dieu, et que, par là, elle arrive à la connaissance de Dieu
par négation. Saint Augustin dit à Dieu : « Je vous cherchais au dehors, et
vous étiez au dedans, et je vous y trouve sans que vous y soyez entré par
aucun de mes sens. Vous n'y êtes point venu avec des couleurs ou des
goûts exquis; vous n'y avez point coulé avec des odeurs ni avec des sons
et des chants agréables. Si vous êtes une lumière, vous êtes une lumière
sans nuage, sans déclin, sans corps ; vous n'êtes rien de ce que je vois, de
ce que je touche, de ce que je sens, de ce que j e me figure dans ma pensée,
de ce que je suis : car mon esprit, ma raison, qui est ce que je trouve en
moi de plus excellent, apprend, désapprend, oublie, se plaît en certaines
choses et puis s'en dégoûte; et Dieu n'est point tout cela parce qu'il ne
change jamais.
» En rejetant donc toutes ces choses et toutes les images des sens, et
n'ouvrant que les yeux de l'âme, il voit en lui-même, sans forme aucune,
une justice qui le juge et dont il ne juge pas, mais par laquelle il juge de
tout; une vérité qui échappe, pour peu qu'on en approche les sens comme
pour la toucher. Il la voit régner non seulement sur ses pensées, mais sur
toute intelligence créée, simple, immuable, éternelle, que nos doutes n'affai-
blissent pas; qui subsiste en elle-même malgré nos erreurs et nos igno-
rances, et qui guide même secrètement ceux qui l'ignorent et qui s'en
détournent : car les yeux malades n'affaiblissent pas ni n'éteignent la
umière; et celle de Dieu est présente même à ceux qui s'en absentent et
CAPUT XXVII
qui s'en éloignent. Lorsqu'il regarde Dieu comme le Bien, qui est, ce me
semble, son idée la plus ordinaire, ce n'est pas ce bien-ci ni ce bien-là,
dénué de toute différence particulière ; ce n'est aucune des choses que nous
nommons bonnes dans le langage vulgaire ; ce n'est, dit ce Saint, ni une
bonne maison pour nous loger, ni une bonne terre pour nous enrichir, ni
un bon suc pour nourrir nos chairs; ce n'est non plus une bonne vue, une
bonne ouïe, ni une bonne pensée, ni un bon raisonnement, ni une bonne
volonté : c'est le bien, qui est seulement le bien, le bien de tout bien, d'où
vient tout le bien, le bien en soi par excellence, et le bien de tout ce qui
f>\, par écoulement, commun à tous, propre à chacun; le bien qui est
parce qu'il est, et qui n'a nulle cause de son être, mais qui est la cause
de tout ce qui est, si toutefois o n peut l'appeler une cause particulière lui
qui est la cause des causes, la raison de toute raison, et le modèle de
toute idée. On peut tout dire de lui, et on ne peut rien dire dignement de
lui : c'est un soleil, c'est un océan, c'est un rocher, c'est un lion, c'est un
n^neau, et ainsi du reste; parce qu'il est la fermeté même, la vérité, la
lumière même, l'immensité même, la force et la douceur même. Lorsqu'on
lui attribue les choses humaines, et que, pour aider notre intelligence par
des images sensibles, on dit qu'il se fâche, qu'il se réjouit, qu'il se repent,
on prend le pur de la joie, du courroux, de la repentance, et on le trans-
porte en Dieu pour exprimer une forte et invincible volonté de punir les
méchants, ou de gratifier les bons, ou de changer et diversifier les effets de
sa puissance et de sa sagesse, selon que nous-mêmes nous changeons de
disposition.
» On veut donc toujours, autant qu'on peut, dans ces expressions impar-
faites, dire quelque chose digne de Dieu; mais on reconnaît et on sent en
même temps dans son fond que tout ce qu'on en dit de mieux n'est pas
meilleur, par rapport à lui, que ce qu'on en dit de plus imparfait, et que,
romme il faut s'élever au-dessus de tout ce qu'on en dit, qui semble indigne
de sa grandeur, à la fois il faut s'élever au-dessus de tout ce qu'on croit le
plus digne, en sorte qu'on n'ose plus, en un certain sens, ni rien dire, ni
rien penser de ce premier Etre, ni le nommer en soi-même, parce qu'on
Tome III i
194 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
moi (i) et je n'étais pas avec vous, retenu loin de vous par tout
ce qui sans vous ne serait que néant. Vous m'avez appelé,
vous avez crié, vous avez rompu ma surdité. Vous avez jeté des
étincelles, vous avez resplendi, vous avez chassé mon aveugle-
ment. Vous avez répandu votre parfum, je l'ai respiré et j'aspire
après vous. Je vous ai goûtée, et j'ai faim et soif. Vous m'avez
touché, et j'ai brûlé du désir de votre paix.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
ne pensent qu'au présent, comme si rien leur était plus présent que Dieu;
ils ne pensent qu'aux liens sensibles, comme si ces liens n'étaient pas
des dons de Dieu, des motifs de l'aimer ; ils ne pensent qu'à eux-mêmes,
comme si Dieu n'était pas tout pour eux. Quoique tout les rappelle à Dieu,
ils te séparent de tout; Us l'en détachent et l'en écartent, ils n'aspirent qu'à
l'oublier, qu'à le perdre tout à fait de vue. afin de jouir paisiblement de
tout le reste.
» Arrêtons-nous un moment ici, et faisons un retour sur nous-mêmes.
Sommes-nous dans cette funeste illusion? Sentons-nous la nécessité d'en
sortir et de faire pour cela les derniers efforts? Songeons qu'elle ne durera
pas toujours, qu'à la mort elle se dissipera, et qu'alors commencera le regret
et le désespoir éternel de n'avoir pas aimé Dieu ; tous les autres biens nous
seront enlevés ; Dieu seul nous restera, mais pour notre malheur ! Nous
conserverons la capacité de l'aimer, et nous ne pourrons plus l'aimer, ni
aimer autre chose, ni aimer nous-mêmes. Nous aurons toujours une ten-
dance intime vers lui, et nous en serons toujours repoussé*. Notre âme
sera déchirée par deux sentiments opposés : l'un, du désir du souverain bien,
désir naturel, et qui est le fond de notre être; l'antre, de haine de ce même
bien, haine forcée et produite par la rage et par le désespoir ; et ces deux
sentiments, se fortifiant sans cesse l'un par l'autre, causeront le tourment
inexprimable de la damnation éternelle.
» Oui, l'amour de Dieu qui remplit et satisfait fera le bonheur des élus;
ce même amour frustré, rejeté, abhorré fera le supplice des réprouvés.
L'amour profane et sensuel peut nous donner une faible idée de ce supplice.
Autant il nous charme quand il est jouissant, autant il nous désespère quand
il est rebuté et qu'il ne peut imputer ces justes rebuts qu'à lui-même.
Prévenons un si terrible malheur. Commençons à aimer, quoique tard : Dieu
nous y invite » {P. Gnou.)
a. Les âmes les plus nobles et les plus heureuses tout ensemble sont car.
t ai ne ment celles qui dédaignent les beautés périssables et qui s e s'attachent
qu'à l'éternelle beauté. Aussi, à l'exemple d'Augustin, regardent-elles comme
des années perdues toutes celles qu'elles ont consacrées aux fragiles objets
de la concupiscence. « Je vous ai aimée trop tard I »
C H A P I T R E XXVIII
Saint Augustin reconnaît qu'il n'est pas encore parfaitement uni à Dieu, qu'il est
ballotté par les tentations de la vie humaine, flottant entre la joie et la
tristesse, entre la crainte de l'adversité et le désir de la prospérité.
(1) Vous allèges l'âme en la remplissant. Par votre grâce, par la con-
naissance, par l'amour de vous-même, vous allégez son fardeau, et vous la
soulevez vers les désirs et les joies célestes, de peur que le corps, sujet à
la corruption, n'appesantisse l'âme. Mais je ne suis pas assez rempli de
vous, car les inclinations vicieuses et les imperfections occupent une grande
partie de moi-même, et voilà pourquoi je « deviens à charge à moi-même, »
accablé que j e suis sous le poids de la concupiscence.
(s) Mes joies, que je devrais pleurer. Ce sont les joies qu'éprouve le
juste au milieu de ses désirs si variés, joies qu'il devrait bien plutôt
pleurer, « ces joies combattent des tristesses dont je devrais me réjouir » :
ce sont les tristesses que suggère l'esprit de componction et de pénitence,
et qui, tout en attristant la chair, sont une source de joie pour un esprit
bien réglé. « Mes coupables tristesses » produites par le travail de la vertu
et de l'abnégation sont en lutte avec vos saintes joies, qui sont la suite du
C A P U T XXVIII
raison qu'on les supporte sans les aimer. Car, bien que le juste se réjouisse
de souffrir dans cette vie de rudes épreuves, il aimerait mieux n'avoir rien
à souffrir, ce qui est le partage exclusif de l'autre vie, dans laquelle il nous
faut entrer par beaucoup de tribulations» (Voir liv. III, ch. 1", note 2.)
(1) Malheur, et trois fois malheur. Saint Augustin dft trois fois malheur
an désir de la prospérité et deux fois malheur à la crainte de l'adversité,
parce que la prospérité est beaucoup plus dangereuse que l'adversité. La
prospérité engendre l'oubli de Dieu et de soi-même, le mépris de la vertu,
et «ne licence effrénée pour tous les vices. L'adversité, au contraire, fait
rentrer 1 homme en lui-même, l'excite à la pénitence, ote aux vices leur
matière et leur aliment, et le Dieu bon et miséricordieux remet les péchés
a* jour de la tribulation. [Ecoles. 11, i3.) Aussi tronverez-vous peu
d*nommeg vertueux au sein d'une longue suite de prospérités, et vous en
trouverez un très grand nombre qui se sont sanctifiés au milieu des tribu-
nttkkns.
(2) Une épreuve continuelle, un combat sans trêve. A peine se passe-t-il
une heure où nous ne ressentions quelque tristesse, quelque amertume,
quelque souffrance* Nous craignons, on nous supportons des épreuves
pénibles pour notre corps, pour notre âme, pour notre fortune, pour notre
LIVRE X — CHAPITRE XXVIII 199
honneur, ou nous desirons trop vivement les biens contraires aux maux
que nous craignons on que nous endurons.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
i. Saint Paul nous enseigne une bien grande vérité lorsqu'il nous d i t :
« La patience vous est nécessaire. » (Heb. x, 36.) Cherchons donc A
l'acquérir dans cette vallée de tentations, qui est par là même une vallée dé
larmes. Sans cette vertu, nous serons nécessairement malheureux.
a. Les maux si nombreux qui nous affligent ici-bas doivent faire naîtra
en nous le dégoût de cette vie et le désir de l'éternelle patrie, à laquelle
cette multitude inévitable de tentations doit comme nous forcer d'aspirer*
Nous sommes misérables ; mais pourquoi ne pas recourir, comme Augustin,
à la miséricorde même? Sur quoi veut-on que la miséricorde s'exerce, àmam
sur l a misère qui est son propre objet? Ce qui nous arrête, c e qui noua
éloigne même de Dieu, c'est l'orgueil : nos autres maux seraient peu de
chose sans celui-Jà. C'est l'orgueil qui en fait la principale malignité; c'ait
l'orgueil qui en empêche la guérlson, parce qu'il ne nous permet ni de les
reconnaître ni do les déclarer.
C H A P I T R E XXIX
î . c Ce n'est pas vous aimer assez que d'aimer hors de vou quelque
chose qu'on n'aime pas pour vous. » Dieu étant le centre où tout doit
aboutir, comme il est le principe d'où tout part, notre premier devoir est
d'aimer Dieu souverainement et d'approcher le plus possible de l'amour
infini qu'il se porte à lui-même. De cette règle découle la second qui
nous oblige de rapporter à Dieu toutes nos autres affections, c'est-à-dire
de ne rien aimer hors de Dieu, qu'à cause de Dieu et en vue de Dieu ; de
telle sorte que l'amour de Dieu soit le motif, la règle et le but de tous nos
autres amours.
Saint Augustin nous suggère deux remèdes pour surmonter les tenta,
lions de cette vie : i° l'espérance ou la confiance en la divine miséricorde;
r
>: la prière, dont il nous trace une excellente formule : « Donnez ce que
\ous ordonnez et ordonnez ce que vous voulez; » car nous pouvons bien
y pécher de nous-mêmes, mais nous ne pouvons accomplir les commande-
1
» monts de Dieu sans la grâce de celui qui nous les impose. * Ainsi, c o m m
l'enseigne ailleurs saint Augustin, j e puis bien fermer les y e u x comme je
veux, mais, fussent-ils ouverts, j e ne puis voir si la lumière ne brille et do
les éclaire. » (Livre des Actes de Pelage.)
C H A P I T R E XXX
Il confesse que les tentations de la chair viennent l'assaillir pendant qu'il veille,
sans qu'il y consente ; mais que, pendant son sommeil, elles font naître en
Kx\ une apparence de consentement. Il demande à Dieu d'en être délivré.
(1) Vous conseilles quelque chose de meilleur, etc. Saint Augustin enseigne
que la chasteté est plus excellente que le mariage. Quant au mariage, dit-il,
bien que vous l'ayez permis, vous m'avez enseigné qu'il y avait quelque chose
de plus parfait, en m'inspirant 2a résolution de garder une chasteté perpé-
tuelle. Cette résolution, le saint Docteur la prit aussitôt après sa conver-
sion ; il l'observa si rigoureusement, comme prêtre, comme évoque, comme
dispensateur des sacrements, que, au témoignage de Possidius, il ne voulut
jamais qu'aucune femme demeurât dans l'intérieur de sa maison, pas même
sa sœur ni ses nièces, et que jamais, non plus, il ne s'entretint avec une
femme seule et sans témoins. Exemple admirable de chasteté, par laquelle
il expia les libertés coupables de sa vie passée. Que les hérétiques qui ont
CAPUT XXX
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
et, me réjouissant avec crainte des dons que vous m'avez faits,
je gémis de rester si imparfait, espérant que vous accomplirez
en moi votre oeuvre de miséricorde jusqu'à la paix parfaite,
dont mon esprit et ma chair jouiront en vous lorsque la moi t
aura été engloutie dans la victoire. (/ Cor. xv, 540
UVRE X — GHAPITRE XXX 207
Les aliments doivent être pris comme des remèdes; c'est une grande perfec-
tion de ne point se laisser emporter au delà des bornes de la nécessité.
Saint Augustin confesse qu'il n'est point encore arrivé à ce degré de per-
fection.
Ut se gcrit ad tentationes g u i s .
ne faire que pour la santé. Or, la mesure de l'un n'est pas celle
de l'autre ; car ce qui est suffisant pour la santé ne l'est pas
pour le plaisir (i). Souvent on ne sait pas s'il faut encore pour-
voir à un besoin du corps, ou bien si le plaisir nous trompe en
nous excitant. La pauvre âme sourit à cette incertitude, elle y
cherche une défense, une excuse, charmée de ne pas voir clai-
rement ce qui suffit au soutien de la santé, pour mettre à
l'ombre de ce prétexte les intérêts de la volupté.
3. — Chaque jour je m'efforce de résister k ces tentations ;
j'appelle à mon secours votre main puissante, et je vous sou-
mets les troubles de mon esprit; car, sur ce point, je ne sais
pas encore bien ce que je dois faire. J'entends la voix de mon
Dieu qui me dit : CE Que vos cœurs ne s'appesantissent point par
J, vresse e s
l'intempérance et l'ivrognerie. » (Luc.xxi, 3 4 - ) . l * * loin
de moi ; par votre miséricorde, qu'elle ne s'approche jamais ! La
sensualité se glisse quelquefois chez votre serviteur. Que votre
miséricorde la tienne éloignée de lui ! Personne ne peut être
tempérant sans une grâce de vous. Vous accordez beaucoup à
nos prières ; le bien même que nous avons reçu avant de vous
prier, nous le tenons de vous ; c'est encore par un don de vous
que nous savons vous en être redevables. Je n'ai jamais été
adonné au vin, mais j'en ai connu qui l'étaient, que vous avez
rendus sobres. C'est donc grâce à vous que les uns ne furent
pas ce qu'ils n'avaient jamais été, que les autres ne furent plus
ce qu'ils étaient, et que tous savent à qui ils le doivent.
4- — Vous m'avez dit encore : « Ne suis pas tes convoitises,
et détourne-toi de ta volonté. » {Eccli. XVIII, 3o.) Votre grâce
m'a fait encore entendre cette autre parole, que j'ai beaucoup
aimée : « Que nous mangions, nous n'aurons rien de plus ; que
nous ne mangions pas, nous n'aurons rien de moins » (/ Cor.
vin, 8), c'est-à-dire : « Ceci ne m'enrichira pas ; cela ne m'appau-
( i ) Ce qui est suffisant pour la santé ne Vest pas pour le plaisir. C'est
ce que saint Augustin exprime ailleurs en ces termes : « La concupiscence
ne nous permet pas de rentrer dans les justes limites de la nécessité, et, eu
présence d'objets qui nous plaisent, elle fait disparaître ces limites et nous
LIVRE X — CHAPITRE XXXI 211
transporte bien au delà. Elle nous persuade que ce qui nous suffît réellement
est insuffisant; nous cédons volontiers à ses exigences, et, tandis que nous
ne croyons agir que dans l'intérêt de notre santé, nous faisons les affaires
de la volupté. C'est ainsi que la convoitise ne sait jamais où finit la néces-
sité. » (Contre Julien, liv. IV. ch. xiv.)
212 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) Ce n'est point l'impureté des aliments que je crains. Aucune viande
n'est impure par elle-même et ne peut souiller l'homme, à moins qu'elle ne
lui soit interdite par une loi juste, comme celle qui défendait à Adam et
LIVRE X — CHAPITRE XXXI 213
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
i. Saint Augustin nous donne ici une grande leçon de sobriété et de tem-
pérance, i* Les aliments ne sont que des remèdes. Or, quel est le malade,
à moins d'avoir perdu la raison, qui use des remèdes en plus grande
quantité que ne l'exigent les besoins de sa santé? Nous ne devons donc
aussi user du boire et du manger que dans les justes bornes de la nécessité.
4
a La Sainte Ecriture nous fournit sur ce point d'excellents avertissements,
qu'il nous sera très utile de méditer. 3° Le saint Docteur nous invite à la
214 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
Dieu et implorer son secours contre les attaques de cet ennemi domestique.
Saint Ignace, dans ses Exercices spirituels, nous donne également
quelques règles utiles pour observer la tempérance et ne point aller au delà
des justes exigences de la nature dans le boire et le manger.
3. Il faut réparer les excès de la sensualité commis dans l'usage non seu-
lement des mets exquis, mais même des aliments les plus ordinaires, ce que
saint Augustin nous enseigne par l'exemple de ceux qui ont péché par le désir
déréglé d'un plat de lentilles ou d'un verre d'eau. « Les excès de la table
abrutissent l'esprit, minent la santé, ruinent la fortune, entretiennent,
augmentent, étendent la misère des pauvres, occasionnent une infinité de
crimes, sans parler de ceux qu'ils traînent immédiatement à leur suite. On
sait tout cela ; on ne peut se faire illusion là-dessus ; on gémit même quel-
quefois sur la grandeur du désordre, sur l'énormité de l'abus, dont on
craint d'être la victime, dont on prévoit pour soi et pour sa famille les
plus tristes conséquences. Et cependant on ne se réforme pas : et loin de
se réformer, chaque jour on enchérit sur le luxe de ses pères, sur son
propre luxe. On voit qu'on ne peut y suffire et l'on s'endette Au point
où en sont les choses, il n'y a plus de remède, ni dans la religion, qui
n'est point écoutée, ni dans la raison, qui est impuissante, ni dans l'exemple,
qui est trop rare et trop faible. On ne peut l'attendre que de l'excès même
du mal, ou de quelque heureuse révolution dans les mœurs ménagée par la
Providence. » (P. GROU.)
216 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
CONSIDERATIONS PRATIQUES
j . L'infirmité que déplore ici saint Augustin n'est que trop véritable;
personne ne doit trop facilement en croire son propre témoignage: souvent
notre coeur recèle un vice caché que l'occasion met à découvert. Combien
qui s'imaginent être sobres, patients, humbles, et qui, à la première occa-
sion, se livrent à des actes inours d'intempérance, de colère et d'orgueil !
a. S'il est quelque chose qui doive faire trembler, non seulement les
CAPUT XXXIi
bons chrétiens, mais même les plus grands saints, c'est l'ignorance où Us
•sont de leurs progrès dans la vertu, et le peu d'assurance qu'ils doivent
avoir dans Ieuis propres forces. En effet, quelque affermis que nous croyions
être par une longue et constante pratique du bien, a ne considérer que
nous-mêmes, sur quoi pouvons-nous compter? De quel bien sommes-nous
capables? De quel mal pouvons-nous nous préserver? Que faut-il pour nous
ébranler et nous renverser? Presque rien, une occasion dangereuse, on
-défaut de vigilance, un sentiment de présomption ou de défiance i l'égard
de Dieu.
CHAPITRE XXXIII
Les mélodies sacrées qui font partie des offices de l'Église sont bien plus
dignes de louange que de blâme; cependant, Augustin reconnaît qu'il pèche
toutes les fois qu'il est plus sensible au chant qu'aux paroles qui l'accom-
pagnent.
(1) J'ai peine à trouver celle qui leur convient. Saint Augustin ne traite
pas les plaisirs de l'ouïe avec moins de rigueur que ceux du goût. Il se
reproche d'entendre, je ne dis pas les chants licencieux, mais les chants
sacrés, avec trop d'émotion. 11 remarque, avec une finesse d'observation qui
se mêle ici à une sévérité morale un peu rigoureuse, que le chant finit par
se faire aimer pour lui-même. **\ lieu de se faire aimer pour les choses
C A P U T XXXIII
qu'il est destiné à rendre plus touchantes. On devrait, suivant lui, être
touché plus vivement des choses qui sont chantées que du chant lui-même.
Cependant, il faut le reconnaître, les chants suffisent, à eux seuls, pour
imprimer à tout notre être un ébranlement très sensible. A chaque mouve-
ment de l'âme correspond dans les sons une modulation propre à l'exciter,
en vertu d'une affinité mystérieuse, et ces modulations ne sont blâmables
222 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
que lorsqu'elles ont pour but d'exciter des sentiments contraires à la vertu
et à l'honnêteté.
( i ) Lorsqu'il m'arrive d'être plut ému par la mélodie, etc. Le saint
Docteur fait la même observation dans le Livre IV contre Julien, ch. xiv,
n* 66 : с Le chant d'un saint cantique excite certainement dans l'Ame des
mouvements de piété et d'affection religieuse; cependant, c'est un mal si
c'est simplement le son et non le sens des paroles que l'on entend avec
plaisir. Combien ce mal est plus grand encore si ce plaisir est causé par
de vaines et honteuses chansons ! » Remarquons que, lorsque saint Augustin
parle ici de faute, pœnaliter peccare il entend par là ce mouvement de
t
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
d'écouter arec trop de plaisir les chants religieux de l'Eglise. Cet exemple
doit au moins nous engager à bannir de nos églises tous les chants légers,
comme toute musique profane, et à éviter tout ce qui peut offenser la majesté
du lieu saint.
3. Il y a dans le chant divin un baume sur les douleurs, l'oubli des peines,
on coup d'aile hors de la tourbe de ce monde vers les régions de la pure
lumière.
Plus haut, saint Augustin nous a dit les émotions profondes que lui fai-
sait ressentir le chant sacré le jour de son baptême. (Liv. IX, 6.)
Le poète breton Théodore Botrel déclare avoir subi la même influence :
TOME XII
8
CHAPITRE XXXIV
11 avoue qu'il est souvent esclave de la séduction des yeux et qu'il est trop
sensible à la lumière du soleil, à la beauté et à la variété des créature», alors
qu'il ne devrait aspirer qu'à la beauté divine.
voyait Jacob, lui aussi devenu aveugle par son grand âge,
quand elle fit briller, dans son cœur rayonnant de clartés,
toutes les générations du peuple futur, désignées dans ses fils ;
quand il croisa mystérieusement les mains (i) sur les fils de
Joseph, non point selon l'ordre extérieur dans lequel les avait
placés leur père, mais suivant son discernement intérieur!
(Gen. XLvra, 1 0 . ) Voilà la lumière même; elle est unique, et
tous ceux qui la voient et qui l'aiment ne font qu'un. Mais
cette lumière corporelle dont je parlais, elle répand sur la vie,
pour les aveugles amants du siècle, de dangereux attraits
et de perfides douceurs. Ceux, toutefois, qui savent vous en
rendre hommage, ô Dieu créateur de toutes choses, s'en servent
pour monter à votre gloire et ne sont pas entraînés par elle
dans le sommeil de leur âme. C'est ainsi que je désire être.
3. — Je résiste aux séductions des yeux de peur qu'elles
n'enlacent mes pieds qui commencent à marcher dans votre
voie, et j'élève vers vous les yeux invisibles de mon âme
pour que vous dégagiez mes pas des filets qui les arrêtent.
(Ps. xxxv, i5.) Vous les dégagez souvent, car ils sont souvent
retenus. Vous ne cessez de me délivrer, et moi je ne cesse de
tomber dans les pièges semés de toutes parts; car vous ne
dormez ni ne sommeillez jamais, vigilant gardien d'Israël.
(Ps. cxx, 4-) Que de séductions sans nombre les hommes n'ont-
ils pas ajoutées aux convoitises des yeux ! Œuvres variées de
Fart et de l'industrie, vêtements, chaussures, vases et autres
ornements de toute sorte, tableaux et statues diverses, où les
bornes du simple besoin et d'une sage modération, même dans
les objets destinés à de pieux usages, ont été dépassées ! Ils ont
suivi au dehors les œuvres de leurs mains ( 2 ) , ils ont oublié
(s) Ils ont suivi au dehors les œuvres de leurs mains, en mettant leur
joie dans les produits variés de leur industrie, en se séparant intérieure-
ment de celui qui les a faits, et en détruisant dans leur Âme les traits de
Celui qui les avait créés à son image et à sa ressemblance.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
i. Saint Augustin nous donne ici un exemple admirable de la garde
sévère qu'il faut imposer à ses yeux. Le cœur épris de la beauté de Dieu
ne peut plus avoir pour la beauté empruntée des créatures ni estime ni
amour. (Voir BOSSDET, Traité de la concupiscence, ch. vin.)
CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
on eux-mêmes celui qui les a faits, et ont détrait ce qui est son
chef-d'œuvre !
4- — Pour moi, ô mon Dieu qui êtes toute ma gloire, je trouve
ici même un sujet de chanter votre nom et d'offrir un sacrifice
<le louanges à celui qui m a sanctifié. Car les beautés qui de
rame des artistes passent dans leurs mains, procèdent de cette
beauté qui est supérieure à nos âmes et vers laquelle mon
âme soupire nuit et jour. Maïs les artisans de ces merveilles
extérieures, et ceux qui les admirent, tirent de ce principe la
règle pour en bien juger et ne savent pas y trouver la règle pour
en faire un bon usage. Elle y est pourtant, et ils ne la voient
pas, leur disant de ne pas aller plus loin et de vous conserver
toute leur force (P&. tvnr, ro), au lieu de la dissiper dans
d'énervantes délices. Moi-même, qui en parle ainsi, et avec
discernement, je me laisse encore prendre au piège de ces
beautés, mais vous m'en arrachez, Seigneur, vous me délivrez,
parce que votre miséricorde est présente à mes yeux. (Ps. xxxv. 3.)
Ma faiblesse m'y fait tomber ; votre miséricorde m'en délivre,
parfois sans souffrance, quand je tombe sans ni'enfoncer,
parfois avec douleur, quand j ' y reste pris.
et croient faire merveille s'ils étudient avec une attention curieuse celle
niat.se corporelle que nous appelons le monde. » Bossue! « 0 1 1 6 indique In
véritable manière d'étudier utilement ces sciences : « Philosophes de n№
jours, dit-il à ce sujet, de quelque ranir que vous soyez, ou observateurs
des astres, ou contemplateurs de la nature inférieure rt attachés à ce qu'on
appelle physique, ou occupés des sciences abstraites qu'on appelle mathé-
matiques, où la vérité semble présider plus que dans les autres, je ne veux
pas dire que vous n'ayez pas de dîtrnes objets de vos pensées, car, de
vérité en vérité, vous pouvez aller jusqu'à Dieu qui est la vérité des
vérités, la source de la vérité» la vérité même où subsistent les vérités que
vous appelez éternelles et invariables, qui ne peuvent pas ne pas être
vérités. C'est cette vérité que vous devez chercher dans vos sciences. Cul-
tivez donc ces sciences, main ne vous y laissez point absorber; ne pré-
sumez pas et ne croyez pas être quelque chose plus que les autres parce
que vous savez les propriétés et les raisons des grandeurs et des petitesses,
vaine pâture des esprits curieux et faibles, qui, après tout, ne mène à rien
qui existe, et qui n'a rien de solide qu'autant que, par l'amour de la vérité
et l'habitude de la connaître dans les objets certains, elle fait chercher la
véritable e t utile certitude en Dieu seul. » (Elévations sur les mystères,
e
17- Semaine, 3 Elévation)
CHAPITRE XXXV
11 fait voir que notre curiosité, qui, à son «vis, se rattache à la concupiscence
des yeux, trouve tous les jours des causes de tentation et de rechute dans
les plus petites choses, puisqu'elle vient interrompre et troubler le saint
exercice de la prière.
{1) A faire des expériences avec les organes pour se procurer les moyens
de connaître. 11 en est qui rapportent l'avarice ou amour de l'argent à la
concupiscence des }*eux. Saint Augustin l'entend, et avec assez de vraisem-
blance, de la curiosité ou du désir déréglé de connaître toutes choses. Saint
Thomas la définit « le désir tout à la fois d'une connaissance déréglée et
CAPUT XXXV
des choses mêmes qui font le plaisir des yeux. » ( I I I * , q . L X X V I I , art. 5.)
( 2 ) yous appliquons cette expression même aux autres sens, parce que
le mot voir est généralement pris dans le sens de connaître; or, tout sens
de sa nature nous sert à connaître. Saint Augustin expose cette doctrine
dans d'autres endroits de ses ouvrages. (Sermon XXIII, Sur les varale*
du Seigneur; Doctrine chrétienne, liv. II, ch. x x n et xxin.)
234 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(3) C'est elle enfin qui, dam la relighu même, va jusqu'à tenter Diea.
Demander des miracles, des prodiges, pour connaître la sagesse, la puis-
sance, la bonté de Dieu, c'est tenter Dieu ; c'est on acte coupable, parce que
c'est une impiété que de douter de ce qui a rapport aux perfections divines.
Mais demander à Dieu, ou qu'il rende la santé à une personne infirme, eu
qu'il manifeste sa gloire par quelque prodige éclatant, ce n'est point n i
péché : les saints l'ont fait fréquemment. Saint Augustin rapporte qu'il
obtint de Dieu, par ses prières et celles de ses amis, la santé d'un persoc-
ii aire distingué, Innocentius, qui, après son baptême, lui donna l'ho spi ta-
lite à son retour dans la ville de Carthage. {Cité de Dieu, Hv. XXII, ch. vm.j
236 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
Une troisième tentation est que certains devoirs de la société nous mettant
dans la nécessité de rechercher la crainte et l'amour des hommes, l'orgueil
nous persuade facilement de nous faire aimer et craindre, non pour Dieu,
mais en place de Dieu. Or il ne nous sert de rien d'être loué des hommes
si Dieu nous blâme et nous condamne.
(1) Votre miséricorde bien connue. D'autres éditions disent votre pleine
miséricorde et portent tota au lieu de nota.
(a) Vous m'avez d'abord guéri de la passion de fa vengeance. Les his-
toriens de la vie de saint Augustin rapportent qu'il supportait les injures
avec une patience inaltérable. Nous avons pour preuve ce qu'il fît plusieurs
C A P U T XXXVI
fois en faveur des Donatistes qui avaient juré sa mort, lorsqu'il intercéda
pour eux auprès des gouverneurs et des proconsuls Marcellin, Apringius,
Donat, etc. « Pensez et dites d'Augustin tout ce que vous voulez, écrivait-
il, pourvu que ma conscience ne m'accuse en rien aux yeux de Dieu. »
{Ep. 122 Cont. Secund. Afanich., cap. x.)
11 n'attachait aucune importance aux outrages diriges contre lui. Aussi
Dieu usa-t-il à son égard de toute sa miséricorde en lui pardonnant ses
péchés, car il remet toutes les dettes à celui qui les remet lui-même à ses
débiteurs.
2i2 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(i) Qui a mis son trône sur l'aqution. L'aquilon» vent du septentrion,
froid et sec, est pris ici pour le septentrion lui-même, où ¡1 n'y a que glace
et ténèbres. C'est pour cela qu'il est l'emblème du royaume des ténèbres et
de son chef, le démon, dont les orgueilleux, aveugles dans leur esprit, privés
dans leur coeur du feu de la charité, sont les malheureux esclaves.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
qu'il n'est point agréable à Dieu, se souvienne de celte vérité enseignée ici
par saint Augustin, que ces louanges ne pourront ni le défendre au jour
du jugement ni le sauver de la damnation. Qu'il se dise souvent : « Que
me servira d'avoir l'estime des hommes, »i je perds l'estime de Dieu? Et
si j'ai le bonheur d'être estimé de Dieu, qu'ai-jc besoin des louanges d e *
hommes? Que peuvent-elles ajouter à mon mérite'? Quel bien m'en revien-
dra-t-il? Je me complairai en moi-mémo et me rendrai indigne des com-
plaisances de Dicu. Les jugements des hommes ne seront-ils pas jugés un
k
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
Nous sommet exposés au danger de la vaine gloire, surtout dans les actions
que nous faisons devant les hommes et jusque dans le mépris que nous
paraissons faire de la vaine gloire.
CONSIDÉRATION P R A T I Q U E
Saint Augustin craint un autre genre de tentation qffi fait qu'on se regarde
.ivec complaisance sans plaire aux autres et en ne se souciant nullement de
leur plaire. Nature et force de l'amour-propre.
CONSIDÉRATION PRATTQUE
Sous 1« conduite de F»'eu qui s'est rendu son maître, il a parcouru toutes choses
tant au dehors qu'au dedans de lui, et il a reconnu que Dieu n'est rien de
tout cela, qu'il se réjouit en Dieu lorsqu'il le peut, et qu'il y trouve un
charme ineffable.
un lieu sûr, où elle rassemble mon être épars afin que rien de
moi ne s'éloigne de vous. Et parfois vous me pénétrez d'un
sentiment bien étrange, de je ne sais quelle douceur intérieure
qui, recevant en moi sa perfection, serait je ne sais quoi qui
ne serait plus cette vie. Mais je retombe sous le poids de ma
chaîne; je suis entraîné par le torrent; je suis captif et je
pleure abondamment, mais je suis fortement enchaîné, tant le
fardeau de l'habitude nous accable! Je puis être ici, mais je
ne le veux pas; je veux être là, et je ne le puis : des deux côtés,
je suis malheureux.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
erit, quod vita ista non erit. Sed recido in haec aerum-
nosis ponderibus, et resorbeor solitis, et teneor, et mul-
tum fleo ; sed multum teneor. Tantum consuetudinis sar-
cina dégrevât. Hic esse valeo, nec volo; illic volo, nec
valeo; miser utrobique.
CONSIDERATIONS PRATIQUES
tonieiens, dont saint Paul confond l'orgueil par ces paroles : « Ces hommes
qui se disaient des sages sont devenus fous. » {Rom. i, 22-) — Voir cette
même idée développée dans la Cité de Dieu (liv. IX, ch. r"), où saint Augus
tin dt'siicne nommément les philosophes platoniciens.
| 3 | Ce fauœ médiateur. Il fallait un médiateur entre Dieu et les hommes.
Le dr-'mon montre avec ostentation l'immortalité qui lui est commune avec
Dieu ; mais il n'a rien de commun avec les hommes que le péché et le châ-
m CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(i) Ce n'est qu'en sa qualité d'homme qu'il est médiateur. C'est ainsi
qu'il tient comme le milieu entre Dieu et l'homme; il est semblable à Dieu
C A P U T XLIII
parce qu'il a été victime (i). Pour nous, il s'est offert comme
sacrificateur et comme sacrifice, sacrificateur parce qu'il a été
sacrifice (2). Enfin, d'esclaves que nous étions, il nous a faits
vos enfants, lui votre fils devenu notre esclave (3). C'est donc
avec justice que je place en lui la ferme espérance que vous
guérirez toutes mes langueurs, par lui qui siège à votre droite
et intercède pour nous. ( R o m . vin, 34.) Autrement je désespé-
rerais, car nombreuses et grandes sont mes infirmités. Oui,
nombreuses et grandes; mais plus grande encore est la vertu
de vos remèdes.
3. — Nous aurions pu croire votre Verbe trop éloigné de
nous pour s'unir à l'homme, et désespérer de nous, s'il ne
s'était pas fait chair, et s'il n'avait habité parmi nous. Épou-
vanté de mes péchés et du poids de ma misère, j'avais délibéré
dans mon cœur et presque résolu de fuir au désert (4) ; mais
vous m'avez arrêté et rassuré par ces paroles : a Le Christ est
mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour
eux, mais pour celui qui est mort pour eux. » (II C o r . v, i5.)
Aussi, Seigneur, je remets entre vos mains le soin de ma vie,
et je considérerai les merveilles de votre loi. ( P s . cxvni.) Vous
connaissez mon ignorance et ma faiblesse, enseignez-moi,
guérissez-moi. Ce Fils unique en qui sont cachés tous les
trésors de la sagesse et de la science (Coloss. n, 3), m'a
racheté de son sang. Loin de moi les calomnies des superbes
( P s . cxvin), car je connais le prix de ma victime (b) ; je mange
(1) Vainqueur parce qu'il a été victime, car il n'a triomphé du démon
que par le sacrifice sanglant qu'il a offert pour nous sur l'autel de la croix.
(a) Sacrificateur parce qu'il a été sacrifice, car il n'a institué d'autre
sacrifice, il n*a offert d'autre hostie que lui-même, et Dieu son Père ne Ta
établi prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech, qu'afin qu'il
s'offrit pour nous et donnât sa vie pour la rédemption d'un srrand nombre.
(3) Devenu notre esclave, se rendant visiblement esclave pour nous,
quoique véritablement voire fils. C'est ainsi que, comme Dieu, il a pu offrir
une rançon digne et suffisante pour nous racheter, et que, comme homme,
il a pu accomplir l'œuvre de notre rédemption.
(41 J'avais presque résolu dt> fuir ou désert. On voit par là, comme Ta
remarqué le bienheureux Jourljîn de Saxe, ermite de Saint-Augustin, que
LIVRE X — CHAPITRE XLHI 269
le saint Docteur avait en si grande estime la vie solitaire, qu'il eût embrassé
ce genre de vie si Dieu lui-même ne l'en eût détourné.
(5) Je connais le prix de ma victime, le prix de ma rédemption, le sang
de Jésus-Christ. Je mange la chair, je bois le sang de cette victime dans
le sacrifice de la messe; je la distribue aux autres en distribuant l'Eucha-
ristie à ceux qui s'approchent de la Sainte Table.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
i. Bien que la grandeur de ses péchés excitât Augustin à mener une vie
d'austérités et d'entière solitude, Dieu l'appela cependant au gouvernement
et à la direction des âmes afin qu'il pût en retirer un grand nombre du
bourbier de l'hérésie et des autres crimes dans lequel il avait été si long-
temps plongé. Augustin obéit à la voix de Dieu, et il aima mieux vivre
270 CONFESSIONS D S SAINT AUGCSTIN
CHAPITRE PREMIER
Saint Augustin expose le motif qui l'a porté à écrire ses Confessions, c'est
IOUR exciter l'amour de Dieu dans SON cœur et dans le cœur de ceux qui les
f
iront. Dieu, éternel de sa nature, connaît tout ; nous ne laissons pas cepen-
dant de lui confesser NOS misères et NOS besoins dans la prière.
C A P U T PRIMUM
(a) Le Seigneur est grand, etc. Après avoir retracé le tableau des éga-
rements de sa vie et de son retour à Dieu, saint Augustin en revient à
l'exorde de ses Confessions : « Vous êtes grand, Seigneur 1 » pour renouveler
son pieux dessein, et bien imprimer dans l'esprit de ses lecteurs qu'il n'a
écrit cet ouvrage que pour célébrer hautement la grandeur de Dieu. On
peut dire aussi que, en le commençant, il parlait seul à Dieu; mais, ici, il
invite tous les hommes à se joindre à lui, afin que, tous ensemble, nous
disions : « Le Seigneur est grand 1 Dieu seul est grand ! a
(3) C'est par amour de votre amour. J'ai entrepris ce livre pour déve-
lopper et accroître votre amour dans mon cœur et dans celui de tous ceux
qui liront les Confessions. En effet, qui a jamais lu avec piété ces pages
brûlantes sans se sentir embrasé d'un amour pins ardent pour Dieu? « A
très peu d'exceptions près (celles, par exemple, où, dans SES TROIS der-
niers livres, saint Augustin se livre aux plus hautes spéculations de la
métaphysique, à la discussion des opinions platoniciennes, à des commen-
taires allégoriques sur la Genèse), tout ce qu'il raconte de ses anciens
désordres et de ses remords, des inspirations de la grâce et de ses longues
résistances, des déchirements qu'il éprouvait sous le joug des passions, et
du calme délicieux qui avait succédé à ces violentes agitations, est si vrai
et si attachant, tellement animé par le pittoresque des descriptions et des
images, tellement nourri par la sève de nos Saintes Ecritures, qu'en l'en-
tendant, on croit entendre le divin Esprit qui le fait parler lui-même. »
(ABBÉ GUILLO>', Cours d'éloquence.)
C H A P I T R E II
(1) Les heures de loisir que me laisseront les devoirs remplis envers
les hommes. 11 suffit d'avoir lu attentivement l'histoire de la vie de saint
Augustin pour savoir qu'il ne s'épargnait en rien lorsqu'il s'agissait d'un
devoir de charité, quel qu'il fut. Il ne savait pas résister aux sollicitations de
son peuple, et, malgré les fatigues d'un corps épuisé par le travail, tous
C A P U T II
les jours son zèle l'entrafoait à de nouvelles œuvres dans l'intérêt du salut
des âmes.
(a) Ecarter de mon cœur et de mes lèvres toute erreur. Saint Aumistin
veut parler ici non du mensonge théologique, du mensonge proprement dit,
mais du mensonge qui n'entraîne aucune faute, c'est-à-dire de l'équivoque,
280 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
ou des paroles erronées qui pourraient lui échapper, ou même toute témé-
rité dans ses pensées.
( i | Depuis le premier jour où vous avec créé le ciel et la terre, etc.
Saint Augustin annonce ce qu'il développera un peu plus longuement
dans le second livre de ses Rétractations (ch. vi). Dans les dix premiers
livres de ses Confessions, il est question de lui; les trois derniers sont
LIVRE XI — CHAPITRE II 281
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
1. Quelle leçon importante le saint Docteur donne ici à tous les chrétiens
mais surtout aux prêtres sur le prix du temps et l'emploi qu'ils doivent en
faire : « Chaque parcelle du temps me coûte si cherl » Ne doit-on pas en
économiser toutes les minutes?
2 . Ceux qui étudient par état et par devoir les Saintes Ecritures peuvent-
ils, d'ailleurs, se proposer un modèle plus parfait que celui du saint Docteur
282 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
et adresser à Dieu, avant cette étude, une prière plus touchante et plus effi-
cace ? Trois choses sont nécessaires pour réussir dans cette étude : la piété,
LIVRE XI — CHAPITRE II 283
(1) / / a quitté cette terre où il vous était uni. pour passer aux cieux, où
vous êtes. Cette phrase est une de celles où se peint le génie pénétrant du
saint Docteur. En effet, Moïse vivait sur la terre dans une si grande inti-
C A P U T IH
mité avec Dieu, qu'on peut dire, sans nulle incertitude, qu'il a passé de
Dieu à Dieu. C'est avec émotion que saint Augustin rend hommage à cette
vérité dont Moïse était plein.
(a) C'est à vous, dont il était rempli, que je m'adresse. Tout, en effet,
dans les Livres Saints, a Dieu pour auteur : la doctrine, les faits his-
toriques, le style même et rélocution, bien que Dieu s'y soit accommodé
au génie de l'écrivain, dans la langue d'Héber, et jusqu'aux choses mêmes
qui paraissent les plus indifférentes.
CHAPITRE IV
Voici le ciel et la terre : ils existent, ils crient qu'ils ont été
faits, car ils changent et varient. Or, ce qui, sans avoir été créé,
existe cependant, n'a rien en soi qu'il n'ait eu précédemment ;
et le contraire est le propre du changement et de la vicissitude.
Ils proclament aussi qu'ils ne se sont pas faits eux-mêmes:
« Nous sommes, disent-ils, parce que nous avons été faits ; nous
n'étions donc pas avant d'être, pour nous faire nous-mêmes. »
Et leur parole est l'évidence même (i). C'est donc vous, Seigneur,
qui les avez créés: Vous êtes la beauté même, et ils sont
beaux (2) ; vous êtes la bonté par essence, et ils sont bons ; vous
êtes, et ils sont. Mais ils n'ont ni la beauté, ni la bonté, ni l'être
de la même manière que vous, ô Créateur; car, auprès de vous,
ils n'ont ni beauté, ni bonté, ni être. Nous savons cela, grâce
à vous ; et notre science, comparée à la vôtre, n'est qu'ignorance.
(1) Lear parole, etc. La voix des créatures, c'est leur condition même qui
proclame hautement qu'elles ne se sont pas faites elles-mêmes, mais qu'elles
ont Dieu pour auteur. Tous les philosophes, parmi les Hébreux, ont été per-
suadés que Dieu seul est le créateur des êtres visibles et invisibles, et ils
firent de cette croyance un des premiers articles de leur religion.
« La création de toutes les natures appartient à Dieu seul, puisqu'il ne
fait rien qu'avec la matière faite par lui-même et qu'il n'a pour ouvriers
que ceux-mêmes qu'il a créés. S'il retirait de ses œuvres sa puissance créa-
trice, elles retomberaient aussitôt dans leur premier néant. Je dis premier,
vis-à-vis de l'éternité et non du temps; car est-il un autre créateur des
C A P U T IV
temps que celui qui a fait les choses dont les'mouvements règlent la marche
des temps? » (Cité de Dieu, xn, xxv.)
(a) lis sont beaux. Personne ne peut donner ce qu'il n'a pas; si donc
c'est Dieu qui a tiré les créatures du néant, vous ne pouvez trouver en elles
aucune parcelle de sa bonté que vous ne soyez obligé de reconnaître en
Dieu. « Ils n'ont ni votre bonté, ni votre beauté, » etc. Rien de plus naturel,
en effet, que ce raisonnement des Péripatéticiens : ce qui donne sa forme
à un être quelconque possède cette forme dans un degré bien plus eminent ;
H Ì i i M , par exemple, la terre doit toute sa clarté à la lumière du soleil, donc
le soleil lui-même est beaucoup plus lumineux.
CHAPITRE V
Comment Dieu a-t-il créé le monde? Saint Augustin répond qu'il l'a créé de
rien, sans se servir d'aucune matière préexistante.
(1) Ce n'est pnnt comme l'artiste : TOUS avez agi sans façonner une
matière préexistante. Bossuct, développant avec la grandeur de style qui
lui est ordinaire cette pensée de saint Augustin, dit : « Je ne trouve point qu?
Dieu, qui a créé toutes choses, ait eu besoin, comme un ouvrier vulgaire, dr
trouver une matière préparée sur laquelle il travaillât et de laquelle il fil
son ouvrage. Mais n'ayant besoin pour agir que de lui-même et de sa propre
puissance, il a fait tout son ouvrage; il n'est point un simple faiseur dé-
formes et de figures dans une matière préexistante : il a fait et la matière
<H la forme, c'est-à-dire son ouvras? dans son tout, autrement son ouvrage
ne lui doit pas tout, et, dans son fond, il est, indépendamment de son ouvrier.
Mais il n'en est pas ainsi d'un ouvrier aussi parfait que Dieu : lui qui est
CAPUT V
la forme des formes et l'acte des actes, il a fait tout ce qui est selon ce
qu'il est, et autant qu'il e s t ; c'est-à-dire que, comme il a fait la forme, il a
fait aussi ce qui était capable d'être formé ; parce que cela même, c'est quelque
chose qui, ne pouvant avoir de soi-même d'être formé, ne peut non plus avoir
de soi-même d'être formable. » (Elévations sur les mystères, III* semaine,
2* Elévation.) — Cf. De Jlde et symbolo liber unus, cap. 11; De Genes i
contra Munich., lib. I", cap. v i .
(2) C'est vous qui aves fait le corps de l'ouvrier et rame qui commande
à ses organes. C'est probablement d'après cet admirable passage qu'un pro-
fond philosophe de nos jours a défini l'homme « une intelligence servie par
des organes. »
TOME III 10
290 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) Preuve claire et évidente que ce fut l'expression d'un être créé qui
servit dans le temps, ou d'un ange revêtu d'un corps, ou d'une vibration
miraculeuse de l'air, etc. De là, ce principe de l'Ecole que toutes les créa-
C A P U T VI
turcs ont reçu une puissance d'obéissance pour faire, sur Tordre de Dieu»
tout ce qui n'implique pas contradiction.
(->) L'âme intelligente dont l'oreille intérieure s'ouvre, etc. Saint Augus-
tin veut parler ici de l'homme éclairé et conduit par la foi divine.
294 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
( i ) De quel mot vous êtes-vous servi? « Dieu dit : « Que la lumière soit, »
et la lumière fut. Le roi dit : « Qu'on marche ! » et l'armée marche ; « Qu'on
» fasse telle évolution f » et elle se fait t Toute une armée se remue au seul
commandement d'un prince, c'est-à-dire à un seul petit mouvement de ses
lèvres. C'est, parmi les choses humaines, l'image la plus excellente de la
puissance de Dieu : mais, au fond, que cette image est défectueuse t Dieu n'a
point de lèvres à remuer; Dieu ne frappe point l'air avec une langue pour
UVRE XI — CHAPITRE VI 295
en tirer quelque son. Dieu n*a qu'à vouloir en lui-même, et tout ce qu'il veut
éternellement s'accomplit comme il l'a voulu et au temps qu'il a marqué. «
(BOSSDET, Elévations sur les mystères, III* semaine, 4* Elévation.) La
parole de Dieu est sa seule action, et sa raison éternelle, c'est son Verbe,
principe de tout, notre unique maître, immuable venté, comme le saint
Docteur va le dire aux chapitres suivants.
CHAPITRE VII
La parole par laquelle Dieu a créé le monde est coétcrnelle à Dieu, bien que
tout ce qu'il crée par cette parole ne se produise pas en même temps et de
toute éterrité.
(1) Qui dit tout à la fois et éternellement Cette parole, par qui toutes
choses ont été faites, c'est le Verbe, principe coéternel à Dieu, sagesse de
Dieu. Le Verbe était engendré au commencement de l'éternité, s'il est permis
de parler de la sorte, il est engendré et il sera engendre. 11 dit tout à la
fois et éternellement, parce que les opérations de Dieu ne sont point sou-
mises à des accroissements successifs, ni aux changements; elles ne sont
pas et ne peuvent pas être comme n'ayant pas existé auparavant, tout en
Dieu étant éternel.
(2) Quiconque n'est pas ingrat envers l'éclatante writè. Révoquer en
doute cette vérité, c'est détruire l'éternité, l'immortalité de Dieu. Or, une
saine philosophie, aussi bien que la foi, nous enseignent, à n'en pouvoir
douter, que Dieu est éternel, qu'il est immortel.
(3) N'être plus ce qu'on était et être ce qu'on n'était pas, c'est mourir
et naître. La mort et la naissance sont prises ici, dans leur sens le plus
C A P U T VII
cependant tout ce que vous créez ainsi, par votre parole, ne ftf
produit pas en même temps (i), ni de toute éternité.
Croyez donc que je suis le Principe, puisque, pour TOUS déterminer à croire,
non seulement je suis, mais je vous parle.....
(i) Nous nous réjouissons de la voix de VEpoux. Voir Traité XIII sur
LIVRE XI — CHAPITRE VIII 303
Il reconnaît que c'est dans le Principe dont il vient de parler que Dieu a crée
le ciel et la terre, bien que le mode de leur création nous reste inconnu.
(i) C'est dans ce Principe, etc. Saint Augustin donne ici aux premières
paroles de la Genèse un sens qui n'est pas adopté généralement comme le
sens littéral. Elles signifient plutôt au commencement des temps, « au début
de la création des choses visibles » (Saint EPHREM), comme il l'explique
lui-même dans le livre I " de la Genèse à ta lettre (chapitre i"), où il
expose les trois significations de cette expression : i° au commencement
des temps; a« avant toutes choses creces; 3° dans le principe qui est le
C A P U T IX
Verbe de Dieu, le t i l s unique, par lequel tout a été créé. (Voir Contre
r
l'adversaire de la Loi et des Prophètes, liv. r» , ch. H; De la Cité de Dieu,
xi, 3 s ; Livre imparfait de la Genèse à la lettre, ch. i « ; Sermon I sur la
Genèse, etc.) Mais comme il est également vrai que Dieu a créé le monde
par sa parole, par son Verbe,
Verbe égal au Très Haut, notre unique espérance,
Jour éternel de la terre et des cieux,
(RACINE.)
les idées que le saint Docteur présente ici n'en sont pas moins justes, grandes
et magnifiques. (Voir aussi PATIUZI, De l'Interprétation des Saintes Ecri
tares, liv. II, quest, a.) « Les anges appartiennent à une création anté-
rieure, dont ne parle pas Moïse. » (Saint BASILE.)
306 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(i) Ne sont-Us pas entachés du vieil homme, etc. ? Saint Augustin entend
par là les esprits qui ne se conduisent que par les inspirations de la chair
et des sens, comme il le développe dans le Sermon CGLXXVII pour la
Pentecôte.
\t) S'il y a eu en Dieu un mouvement nouveau, etc. Saint Augustin donne
un plus grand développement à cette pensée, dans son ouvrage de la Cité
de Dieu (liv. X V , ch. v). C'est un regard de pitié qu'il jette sur ceux qui
nient la création, ou n'y comprennent rien, ou bien ont l'illusion de penser
que l'architecte du ciel et de la terre a laissé couler un océan d'âges infinis
avant d'entreprendre ce grand ouvrage. Il est l'auteur des siècles ; le temps
n'existait pas, son éternité, toujours présente, a précédé le temps. « S'ils
nous demandent pourquoi le monde a été créé plutôt alors qu'auparavant,
ne pouvons-nous pas demander aussi : « Pourquoi plutôt ici qu'ailleurs t »
S'ils imaginent avant le monde des espaces de temps infinis, qu'ils imaginent
donc pareillement hors du monde des espaces de lieux infinis. Et si l'on ne
veut pas que le Tout-Puissant y ait pu demeurer en repos, il faut rêver,
avec Epicure, une infinité de mondes Ï>
|3) La volonté de Dieu est donc sa substance elle-même. Saint Thomas
CAPUT X
nous a donné le meilleur commentaire de cette vérité. (I Dist. 8, quœst. III, art. i,
ad 4.) Dans toute chose où l'opération diffère de la substance, il faut admettre
un certain mode de mouvement qui tend vers l'opération, opération qui
n'existait pas auparavant, et qui forme un nouveau mode d'existence. Dans
Dieu, au contraire, l'opération n'est pas distincte de la substance, et toutes
deux sont éternelles. Cependant, il ne s'ensuit pas que l'opération ait pro-
duit son effet de toute éternité, elle ne l'a produit que selon l'ordre de la
sagesse qui est le principe de l'opération.
Nota. — La plupart des éditions (jusqu'à M. Du Bois) commencent ici le cha-
pitre x i ; il nous parait plus rationnel de ne pas diviser l'objection et de ne
commencer le chapitre xi qu'un peu plus loin, comme ont fait les Bénédictins.
(4} Pourquoi n'est-elle pas éternelle? La matière ne peut pas étrecoéter-
nrlle à Dieu. Saint Augustin le démontre par la différence des deux natures.
La matière ne peut exister que dans le temps, qui implique une succession.
Dieu ne peut exister que dans l'éternité, qui n'implique aucune succession*
[Cité de Dieu, liv. XII, ch. xv.)
C H A P I T R E XI
1
Différence de l'éternité et du temps. L'éternité de Dieu n'a ni passé ni avenir, qui
n'accomplissent leur cours que par la vertu de l'éternité toujours présente.
temps, a Nous qui ne sentons rien que de borné, qui ne voyons rien que de
muable, où avons-nous pu comprendre cette éternité, où avons-nous songé
cette infinité? 0 éternité, ô infinité, dit saint Augustin, que mes sens ne
soupçonnent seulement pas, par où donc es-tn entrée dans nos âmes? Mais
M nous sommes tout corps et toute matière, comment pouvons-nous
concevoir un esprit pur, et comment avons-nous pu inventer ce nom?»
iBoSStTET.)
CHAPITRE XII
Avant lei temps créés par Dieu, aucun temps n'existait encore ; on ne peut
donc demander ce qu'il faisait alors, puisqu'il ne pouvait y avoir d'alors
là où il n'y avait point de temps.
celte question se détruit par ses propres termes. Cependant, les philosophes
et les théologiens emploient quelquefois de semblables expressions en par-
lant de l'éternité de Dieu, mais c'est toujours d'une manière impropre.
316 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
(1) Votre jour n'est pas une suite de jours. L'adverbe quotidie renferme
l'idée de plusieurs jours ; or, en Dieu il n'y a qu'un seul jour.
(»} Je t'ai engendré aujourd'hui. Voyez l'application que saint
Augustin fait de ce mot aujourd'hui à l'éternité de Dieu {Explication du
Psaume II) : <t Aujourd'hui, c'est-à-dire un jour sans veille ni sans len-
LIVRE XI — CHAPITRE XIII 317
Qu'est-ce que le temps ? Nous ne pouvons dire que le temps existe que parce
qu'il tend à n'être plus.
(i) Qu'est-ce donc que le temps? L'idée du temps est très claire à notre
esprit; mais s'a^it-il de définir et d'expliquer le temps, l'esprit se heurte
contre d'incroyables difficultés.
Le temps ne peut se concevoir isolé d'un avenir et d'un passé. Le pré-
sent, s'il était toujours présent, sans glisser au passé, ne serait plus le
temps, mais l'éternité. La conséquence est que le présent est sans étendue,
et ce que l'on peut nommer le présent, c'est, dans le temps, un point idéal
et indivisible, comme le saint Docteur le dit dans le chapitre suivant.
Pascal nous rassure, du reste, sur cette difficulté que nous avons de
définir le temps, lorsqu'il dit : « Il y a des mots incapables d'être définis,
et si la nature n'avait suppléé à ce défaut par une idée pareille qu'elle a
donnée à tous les hommes, toutes nos expressions seraient confuses; au
C A P U T XIV
lieu qu'on en use avec la même assurance et la même certitude que s'ils
étaient expliqués d'une manière parfaitement exempte d'équivoques, parce
que la nature nous a elle-même donné, sans paroles, une intelligence plus
nette que celle que l'art nous acquiert par nos explications.
» Ce n'est pas que tous les hommes aient la même idée de l'essence des
choses que je dis qu'il est impossible et inutile de définir. Car, par
exemple, le temps est de cette sorte. Qui le pourra définir? Et pourquoi
l'entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu'on veut dire en
parlant du temps, sans qu'on le désigne davantage ? Cependant, il y a bien
d e s opinions différentes touchant l'essence du temps. Les uns disent que
eVst le mouvement d'une chose créée; les autres, la mesure du mouve-
ment, etc. Aussi, ce n'est pas la nature de ces choses que je dis qui est
connue à tous, ce n'est simplement que le rapport entre le nom et la chose;
en sorte qu'à cette expression temps, tous portent la pensée vers le même
320 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
objet, ce qui suffit pour faire que ce terme n'ait pas besoin d'être défini.
Quoiqu'ensuite, en examinant ce que c'est que le temps, on vienne à dif-
férer de sentiment après s'être mis à y penser, car les définitions ne sont
faites que pour désigner les choses que l'on nomme et non pas pour en
montrer la nature. » (PASCAL, Pensées, De l'esprit géométrique, t. 1 « ,
p. I 3 I , édition P . Faugère.)
Quoi qu'il en soit, saint Augustin ne laisse pas, dans les chapitres suivants,
LIVRE XI — CHAPITRE XIV 321
TOME TÎI 11
CHAPITRE XV
Quelle est la mesure du temps. Dans quel sens faut-il entendre ce que nous
appelons longueur et brièveté du temps. Comment appeler long ou court ce
qui n'existe pas.
(i) Aussitôt il a cessé d'être long en cessant d'être. « Je nie que la vie
de l'homme puisse être longue, disait Bossuet Je me fonde sur ce prin-
cipe de saint Augustin : Non est longum quod aliquando Jinitur, tout ce
fui a fin ne peut être long. (Traité sur saint Jean, x x x n , 9.) Et la raison
en est évidente; car tout ce qui est sujet à finir s'efface nécessairement au
dernier moment, et on ne peut compter de longueur en ce qui est entiè-
C A P U T XV
rement effacé. Car de même qu'il ne sert de rien d'écrire lorsque j'efface
t'Hit par un dernier trait; ainsi la longue et courte vie sont toutes égalées
par la mort, parce qu'elle les efface toutes également. » {Oraison funèbre
dp Yolande de Jfonierhy.)
324 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
plutôt comptons comme un pur néant, tout ce qui finit, puisqu*enfin quand
un aurait multiplié les années au delà de tous les nombres connus, visi-
326 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
reste est à venir. Si Ton conçoit un point dans le temps (i), sans
division possible de moments, si petits soient-ils, c'est celui-là
seulement qu'on peut nommer le présent. Et cependant, il s'en-
vole avec tant de rapidité de l'avenir dans le passé, qu'il ne
peut avoir la plus petite étendue; car, s'il est étendu, il se par-
tage en passé et avenir. Le présent est donc sans aucune étendue.
Ainsi, où est le temps que nous puissions appeler long? Est-ce
l'avenir? Nous ne pouvons dire : « Il est long, » puisque ce qui
doit être long n'est pas encore ; mais nous disons : « Il sera long. »
Quand le sera-t-il donc? Tant qu'il est encore à venir, il ne
peut être long puisqu'il est encore un pur néant. Et s'il ne doit
être long qu'au moment où, de futur, il commencera d'être ce
qu'il n'est pas encore, c'est-à-dire un être présent, ayant la pro-
priété d'être long, alors le présent nous crie, par les raisons
ci-dessus, qu'il ne saurait être long.
blement ce ne sera rien quand nous serons arrivés au terme fatal. » (Bos
SUIT, Oraison funèbre de Michel Le Tellier.)
(i) Si Von conçoit un point dans le temps. Tout ce qui est temps n'est
qu'un point, et moins que rien ; ce qui dure, ce qui est véritablement, c'est
l'éternité, qui ne passe jamais. Accoutumons-nous à juger du temps par la
foi. Selon cette règle, qu'est-ce que dix ans, une année, ou un mois, ou
LIVRE XI — CHAPITRE XV 327
Nous mesurons combien un temps est plus long ou plus court qu'un autre
seulement pendant qu'il passe et que nous le sentons s'écouler.
(1) Nous mesurons même combien tel temps est plus long, etc. Nous
mesurons son passage. C'est improprement qu'on voudrait soutenir que
nous pouvons mesurer le temps en lui-même ; nous ne le mesurons que par
le mouvement des astres, l'espace que nous parcourons, ou par la marche
îles horloges, ou par les phénomènes de la nature. Mais, en dehors de tous
ces moyens naturels, notre esprit peut-il concevoir des temps plus courts
et plus longs? C'est ce que saint Augustin examine au chapitre x x m . En
tous cas, on peut définir l'espace en disant que c'est l'ensemble des relations
de contenance et de distance entre les étendues réelles.
CAPUT XVI
(a) Ce n'est donc que dans sa faite pendant qu'il s'écoule, que le
temps peut se concevoir et se mesurer ; mais, lorsqu'il est passé cela est
impossible, par la raison qu'il n'est plus. « Elles passent donc, ces années
temporelles, écrivait saint François de Sales au président Fabre; leurs mois
se réduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures et les
heures en moments qui sont ceux-là seuls que nous possédons. Mais nous
ne les possédons (et nous ne pouvons les compter et les mesurer) qu'à
mesure qu'ils périssent. »
CHAPITRE XVII
qui ne soit bien établi. Voyez saint Augustin : il s'agit ici d'examiner la
nature du temps, question purement physique ou métaphysique et qui peut
être résolue par les seules lumières de la raison. Cependant, il croit néces
saire d'implorer la lumière et la direction de Dieu. (Voir ch. H, ci-dessus.
CHAPITRE XVIII
(i)La mémoire nous fournit, etc. Lorsque, par exemple, saint Auirustin
décrivait les vertus de sa pieuse mère, ce n'est pas Monique elle-même qui
était présente à l'esprit du saint Docteur, mais son image, sa parole, ses
actions vertueuses et saintes.
(2) J'avoue ici mon ignorance. Cette expression n'indique pas dans saint
Augustin une véritable ignorance sur ce point, mais l'absence d'évidence
CAPUT XVIII
A proprement parler, il n'y a pas trois temps. Peut-être serait-il plus juste de
dire : il y a trois temps, le présent des choses passées, le présent des choses
présentes, le présent des choses futures.
passé et l'attente de l'avenir ne sont pas moins réelles que la vue du présent,
bien que leur objet n'ait pas la même réalité, et elles ne sont pas moins
présentes, en tant que phénomènes de l'Âme, bien qu'elles concernent des
choses passées ou à venir.
{n\ Nous avons bien peu de locutions justes. Il y a, en effet, peu de
choses dont nous parlions exactement. Les exemples de cette vérité sont
si nombreux, si fréquents et si connus, qu'il est inutile d'en citer aucun»
Saint Augustin en apporte un des plus frappants à propos des astrologues
qu'il renvoie aux philosophes, pour apprendre à exprimer correctement leurs
cr
présages. (Cité de Dieu, liv. V, ch. i . )
CHAPITRE XXI
(i) Nous mesurons le temps à son passage, dette parole de saint Augustin
nous revient à l'esprit au commencement de l'année 1 9 0 1 , la première du
c
x x siècle, et nous ne résistons pas au plaisir d'emprunter ici à M. Eugène
Tavernier un article d'actualité sur le temps. 11 servira de commentaires
à ces divers chapitres xx-xxix sur notre manière de diviser le temps, après
de longues discussions qui viennent d'avoir lieu, dans tous les journaux,
sur le numérotage du siècle.
« II faut bien se résigner à n'avoir que des mesures incomplètes et irré-
gulières pour cette chose, le temps, que nous voudrions considérer comme
la précision même. Arithmétique, astronomie, géométrie, nous employons
des méthodes très perfectionnées et certainement admirables; mais quelles
lacunes demeurent en maint endroit, au commencement, à la fin, au milieu I
» D'abord, l'impropriété des termes. Elle est évidente. On dit : « J'ai
a vingt ans, j'ai trente ans. » II semble que ce soit une possession assurée;
C A P U T XXI
l'année à la fois sur le soleil et sur la lune. Ils se trouvaient tous les quatre
ans en avance de vingt-quatre heures; de là l'institution des Jeux olym-
piques, une manière ingénieuse d'employer un excédent de loisirs. Méton
et Calyppe corrigent le calendrier sans arriver encore à l'exactitude com-
plète. Numa intercale un mois de vingt-deux jours après le 2 4 février tous
les deux ans, et un de vingt-trois jours après deux autres années. Ce n'est
pas simple et ce n'est pas exact. César fait travailler So si gène, qui emploie
l'année solaire bissextile tous les quatre ans. Mais, depuis Numa, des erreurs
avaient été commises pour la désignation des dates par les pontifes, et ii
y avait quatre-vingt-dix jours en trop. Ce n'était pas de quoi intimider
César, qui s'offrit, par exception, une année de quinze mois pour liquider
le stock.
» M. l'abbé Colomber retrace très clairement les travaux poursuivis ensuite.
Il expose la méthode de Denys le Petit, qui fut publiée en 5a6, et qui
comptait les années à partir de l'Incarnation; il retrace en détail la réforme
faite par Grégoire XIII, et il indique les moyens de résoudre les problèmes
auxquels peuvent donner lieu les divers éléments du comput ecclésiastique.
Les savants, même ceux de notre époque, ont reconnu le grand mérite de
l'œuvre due au Pape. Mais toutes les difficultés n'ont pas disparu.
» Et d'autres ont surgi. Chaque nation veut avoir l'heure sur laquelle les
autres doivent se régler. Depuis dix années au moins, le P. Tondiui dépense
d'intelligents efforts pour faire adopter un méridien unique, ceh.i de Jéru-
salem. La Russie qui, en ce moment (une Commission a été nommée au
mois de novembre 1890 par le czar) étudie les avantages du calendrier uni-
versel, doit être assez favorable à l'idée du P. Tondini. Nous verrons la
suite. Le plus sûr, c'est qu'on n'a pas achevé de calculer et de fixer le
temps, cette chose si banale, si mobile, et où se trouvent, là comme ail-
leurs, tant de mystères! » {Cnivers, 12 janvier 1900.)
Nouvelle étude sur le calendrier grégorien (ses origines, son nixtvir.; ses élé-
ments), par H. l'abbé COLOMBER, professeur au Grand Séminaire de Perpignan
— Perpignan, imprimerie Latrobe.
CHAPITRE XXII
(i) J'ai entendu dire à un savant, etc. « Non, le temps n'est pas le mou-
vement des corps, et saint Augustin en donne la raison lorsqu'il dit plus
loin ; 0 Quand le soleil s'arrêta, à la prière d'un homme, pour lui laisser le
loisir d'achever sa victoire, le temps s'arrèta-t-il avec le soleil? Et n'est-ce
pa» dans l'espace de temps nécessaire que se termina la bataille? » Non»
CAPUT XXIII
io temps n'est pas le mouvement des corps : c'est dans l'esprit humain qu'on
mesnre le temps. La réalité passe et laisse dans l'âme une impression qui
Mir\it : l'impression, qui seule n'a pas fini, voilà ce que l'esprit humain
peut saisir et mesurer. Le temps n'est qu'une abstraction. » ( A . DESJARDINS,
Esttai sur les Confessions de saint Augustin, 127.)
348 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
Le temps n'est pas le mouvement des corps, bien que ce soit par le temps
}ue nous mesurons les mouvements des corps.
quand elles sont en repos. Les philosophes font cette distinction que le
temps est par lui-même la mesure du mouvement, tandis qu'il n'est la
mesure du repos que « par accident », en ce sens que le repos est la pri-
vation du mouvement.
352 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
Toaa III.
C H A P I T R E XXV
CONSIDÉRATION PRATIQUE
« Notre vie est toujours emportée par le temps qui nous échappe; tâchons
d'y attacher quelque ehose de plus ferme que lui.
» II est tard ménager quand on est au fond : rien de plus essentiel que
CAPUT XXVI
C'est dans notre esprit que nous mesurons le temps, c'est-à-dire l'impression
que les choses ont faite sur nous en passant et dont notre mémoire garde
l'empreinte.
ni celui qui n'est pas encore, ni celui qui n'est déjà plus, ni
celui qui n'a aucune étendue, ni celui qui n'a pas de limites.
Donc, nous ne mesurons ni l'avenir, ni le passé, ni le temps
présent, ni le temps qui passe, et néanmoins nous mesurons le
temps.
3. — Le vers Deus, creator omnium a huit syllabes, alter-
nativement brèves et longues. Il y a donc quatre brèves ; la
première, la troisième, la cinquième, la septième. Elles sont
simples comparativement aux quatre longues, la seconde, la
quatrième, la sixième, la huitième, qui durent chacune le
double de temps des autres. Je les prononce, je les scande, et
je le vois avec évidence par le témoignage de mes sens. Autant
que je puis croire ce témoignage, je mesure une longue par une
brève, et je sens qu'elle est double de celle-ci. Mais lorsqu'elles
résonnent Tune après l'autre, si la brève précède la longue,
comment retenir la brève pour l'appliquer comme mesure à la
longue, et me convaincre que celle-ci a deux fois plus de durée,
puisque la longue ne commence à résonner que lorsque le son
de la brève a fini? Et cette longue même, je ne la mesure pas
tant qu'elle est présente, puisque je ne saurais la mesurer avant
sa fin. Mais une fois finie, elle est passée. Qu'est-ce donc que
je mesurerai? Où est la brève qui sert de mesure? Où est la
longue à mesurer? Toutes deux ont résonné, disparu, passé,
elles ne sont plus; pourtant je les mesure et je réponds hardi-
ment, autant qu'on peut se fier k des sens exercés, que l'une
est simple et l'autre double en durée ; je ne le puis que quand
elles sont passées et finies. Ce n'est donc pas elles que je
mesure, puisqu'elles ne sont plus, mais quelque chose qui reste
fixé dans ma mémoire. C'est en toi, mon esprit, que je mesure
le temps (i). Ne murmure pas à mes oreilles : « Qu'est-ce que
\i) C'est en toi, mon esprit, que je mesure te temps. Si Ton veut peser
sérieusement toutes ces preuves apportées par saint Augustin et en laissant
franchement de côté toutes les équivoques qui, loin de résoudre les diffi-
cultés, ne font que les éluder ou les couvrir, on arrive nécessairement à
cette conclusion que le temps uV*t pas un être véritablement indépendant
des opérations de notre esprit. Suivant saint Augustin, nous devons donc
LIVRE XI — CHAPITRE XXVII 363
J'esprit par la succession des choses. La réalité passe et laisse dans l'âme
une impression qui lui survit. L'impression qui, seule, n'a pas fini, voilà ce
que l'esprit humain peut saisir et mesurer. Le temps, cette image mobile
de l'immobile éternité, n'est qu'une abstraction: le présent, un point idéal,
le passé et l'avenir n'ont d'être que dans les conceptions de l'esprit.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
Augustin, distrait par la vicissitude des temps, dont l'ordre lu! est inconnu,
désire se recueillir tout entier en Dieu et dans les délices de l'éternité, qui ne
commencent ni ne finissent point.
CONSIDÉRATIONS PRATIQUES
qu'il est aisé de tromper par la ressemblance, qui ne sait pas distinguer ce
qui est semblable ; et c'est en ceci, si je ne me trompe, que consiste cette
malice du temps dont l'Apôtre nous avertit par ces mots : Redimentes
tempus, quoniam dies malt sunt : Rachetez le temps, parce que les
jours sont mauvais [Ephes. v, 16), c'est-à-dire malins et malicieux. II ne
paraît pas qu'une année s'écoule, parce qu'elle semble ressusciter dans la
suivante. Ainsi l'on ne remarque pas que le temps se passe, parce que,
quoiqu'il varie éternellement, il montre presque toujours le même visage.
Voilà le grand malheur, voilà le grand obstacle à la pénitence.
a, » Toutefois, une longue suite découvre son imposture. La faiblesse,
les cheveux gris, l'altération visible d u tempérament nous contraignent de
remarquer quelle grande partie de notre être est abîmée et anéantie. Mais
prenez garde à la malice du temps: voyez comme ce subtil imposteur tâche
de sauver ici les apparences, comme il affecte toujours l'imitation de l'éter-
nité. C'est le propre de l'éternité de conserver les choses dans le même état,
le temps, pour en approcher en quelque sorte, ne nous dépouille que peu a
peu; il nous dérobe si subtilement que nous ne sentons point son larcin;
il nous mène si finement aux extrémités opposées, que nous y arrivons sans
y penser. Ezéchias ne sent point écouler son âge ; et dans la quarantième
année de sa vie il croit qu'il ne fait que de naître: Dum adhuc ordirer
succidit me • 11 a coupé ma trame dès le commencement de mes jours.
374 CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN
nous voyons toujours du temps devant nous. Il est vrai, il est devant nous;
mais peut-être que nous ne pourrons pas y atteindre. Parmi ces illusions
nous sommes tellement trompés que nous ne nous connaissons pas nous-
mêmes, nous ne savons que juger de notre vie. Tantôt elle est longue, tantôt
elle est courte, selon le gré de nos passions. Toujours trop courte pour les
plaisirs, toujours trop longue pour la pénitence. » (BOSSUET, 4* sermon pour
le premier dimanche de Carême.)
CHAPITRE XXX
ncl. De toutes les raisons apportées par lui dans le cours de ce livre, on
aurait tort de conclure qu'il admet (quelle que soit l'opinion qu'on se forme
du temps) qu'aucune créature n'aurait pu être tirée du néant de toute éter-
nité. 11 parle simplement de ce qui a eu lieu, et non pas de ce qui aurait
pu se faire. Si donc il dit dans un certain endroit que la créature n'a été
et ne peut être éternelle, il considère l'élcrnilé dans la réunion de toutes
ses propriétés. C'est ce qu'il faut avoir continuellement devant les yeux en
parcourant les ouvrages des Pères. Saint Augustin lui-même parait être
favorable à cette opinion dans son ouvrage de la Cité de Dieu, où il la
présente comme probable, tout en ayant soin de faire observer que si Dieu a
toujours eu soumise à sa puissance une créature qui n'a pas été engendrée
de sa substance, mais qu'il a tirée du néant, cette substance ne lui est pas
coéternelle, car il était avant elle bien qu'en aucun temps il n'ait été sans
elle. Aussi presque toutes les écoles enseignent que. par un acte de la puis*
sance divine, les créatures auraient pu être dans ce sens produites de toute
éternité.
CHAPITRE XXXI
LIVRE NEUVIEME
LIVRE DIXIÈME
CH. I. —
En Dieu seul notre joie et notre espérance g?
II. —
Confession du cœur à Dieu. Pourquoi celle d'Augustin.. tfi
III. —
Son dessein en confessant ce que la grâce a fait de lui.. 100
IV. —
Quel fruit il espère de cette confession 10O
V. —
L'homme ne se connaît pas entièrement lui-même 112
VI. —
Certitude qu'il a d'aimer Dieu. On s'élève jusqu'à lui
par la considération des choses créées n4
VIL — Dieu ne peut être connu par les sens 11».
VIII. — Etendue et puissance de la mémoire 124
IX. — De la mémoire des sciences i3a
82 TABLE ABRÉGÉE DES CHAPITRES
X. — Les sciences n'entrent pas dans la mémoire par les sens.. i3£
XI. — Apprendre, c'est se ressouvenir i38
XII. — De la mémoire des mathématiques x4o
Xlil. — De ta mémoire des passions et des opération* de l'esprit.. i4a
XIV. — De la mémoire des affections de l'àme i44
XV. — Manières dont les réalités absentes se représentent à la
mémoire i5o
XVI. — La mémoire se souvient même de l'oubli i5a
XVII. — La mémoire est chose merveilleuse; cependant c'est au
delà qu'il faut chercher Dieu i58
XVIII. — Pour retrouver un objet perdu il faut en avoir con-
servé la mémoire 162
XIX. — De l'oubli et du souveuir 164
X X . — Chercher Dieu, c'est chercher la vie heureuse 168
XXI. — Comment l'idée de la béatitude peut être dans la
mémoire 17s
XXII. — La vie heureuse, c'est se réjouir en Dieu 176
XXIII. — C'est la joie que donne la vérité 178
X X I V . — Dieu, la vérité même, se trouve dans la mémoire 184
X X V . — Quelle place Dieu occupe dans la mémoire 18G
X X V I . — Dieu est la vérité consultée de tous 188
XXVII. — La beauté divine ravit le cœur 193
XXVIII. — Vicissitudes du cœur et misères de la vie 196
X X I X . — Espérance en la miséricorde de Dieu 300
X X X . — Triple tentation de la volupté, de la curiosité et de
l'orgueil 202
X X X I . — De la volupté dans les aliments 208
X X X I I . — Des plaisirs de l'odorat 218
XXXIII. — Délectation de l'ouïe. Du chant de l'Eglise 320
X X X I V . — Séduction des yeux 326
X X X V . — Tentation de la curiosité a3a
X X X V I . — Tentation do l'orgueil 240
X X X V I I . — Dispositions d'Auçustin touchant le blâme et les louanges.
XXXVIII. — Danger de la vaine gloire 246
X X X I X . — De la complaisance en s o i - m ê m e . . . . , r>5*î
X L . — Comment Augustin a cherché Dieu 254
XLI. — Ce qui le rejetait loin de Dieu. 256
XLIL — Egarement des orgueilleux recourant aux anges déchus t6o
comme médiateurs entre Dieu et les hommes ... 362
XLIII. — Jésus-Christ seul médiateur 266
LIVRE ONZIÈME