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LA RELIGION DU FOOT
1M 2139 - 59 - 35 FF 1
_pELGIQUE 270 FB • MAROC 55 D.
bNADA 7:'505
/
éditorial
de la télévision ~
direction :
Pierre Vial
Jean Varenne
arx disait que les travailleurs n'ont rien d'autre à perdre que leurs chaînes. Les Français
M risquent fort de perdre les leurs. C'est évidemment des chaînes de télévision que nous vou-
lons parler, et plus particulièrement de la décision prise par la nouvelle majorité de privatiser TF-1. rédacteur en chef :
Cette décision n'est pas une surprise. Elle n'en laisse pas moins songeur. Il y a quelque curiosité, Lucien Chanteloup
en effet, à voir la droite se prononcer pour la privatisation de la télévision, alors qu'avant 1981
elle en tenait fermement pour le secteur public et déclarait «illégales» les émissions de radio pri- éditorialiste :
vées. Il est vrai qu'il n'est pas moins ridicule de voir la gauche, après avoir installé Berlusconi Robert de Herte
à la tête de la «Cinq», militer aujourd'hui pour la «défense du secteur public». Cette double incon-
séquence en dit long sur le caractère de la politique politicienne - et sur la toute-puissance des administration :
idées reçues. · Annie Delmas
Pour les milieux libéraux, la privatisation est affaire de principe. On connaît la c)1anson. La
gestion publique est forcément désastreuse . Elle méconnaît les exigences de la «rentabilité». Elle
crée un climat de sécurité artificielle, qui empêche les «lois du marché» de fonctionner et la «main 13 rue Charles-Lecocq
invisible» censée régir la dialectique de l'offre et de la demande de jouer librement. Tout n'est 75737 Paris Cedex 15
certes pas faux dans ce refrain. A ceci près que Je marché n'est pas la forme naturelle de l'échange ; Tél. : (1) 45.30.12.37
qu'il ne fonctionne que lorsqu'il existe une autorité politique capable de l'instituer ; et que la «main
invisible», version laïque de la Providence revue par Adam Smith, est un mythe sans consistance réalisation technique :
ni réalité . A ceci près, surtout, qu'il y a lieu de se demander si Je critère de la rentabilité marchande «La Source d'Or»
et du calcul rationnel est Je seul à prendre en compte. Surtout dans Je domaine culturel. à Marsat (Puy-de-Dôme)
L'argument libéral selon lequel «la libre concurrence» permet automatiquement de sélectionner
Journal bimestriel pub lié par la
les «meiHeurs produits» est dans Je domaine de la culture particulièrement fallacieux. La concur- Société d'Edition, de Presse et de
rence tend à sélectionner ce qui correspond au goût du plus grand nombre, celui-ci étant large- Publicité, S.A.R.L. au capital de
ment façonné par les propagandes publicitaires et dépendant de la puissance et de la stratégie qui 70 000 F. Siège social : 13 rue
caractérisent les firmes. La concurrence, en fait, permet à certains de vendre plus que d ' autres : Charles-Lecocq, 75737 Paris
elle dégage les meilleurs vendeurs, pas nécessairement les meilleurs produits vendus. Transformer Cedex 15. Directeur de la publica-
un «plus» en un «mieux» est du reste bien souvent abusif. Dire que le penchant qui attire Je plus tion : Annie Delmas. La repro-
est forcément le «meilleur» revient, très clairement, à faire dépendre la qualité de la quantité. Dans duction des textes publiés par Elé-
cette aperception, les jeux des vingt heures sont nécessairement «mieux» que les programmes cul- ments est strictement interdite,
sauf autorisation particulière ou
turels, puisqu'ils draînent un plus grand nombre de spectateurs. Le problème est le même dans
accord spécial. Crédit photo pour
tous les secteurs culturels : un livre de Dumézil ou de Nietzsche se vendra toujours moins bien ce numéro : Gamma (5, 6, 24b,
qu'une biographie de Coluche ou un «non-livre» de Michel Drucker. Si l'on veut s'en tenir aux 25b), Maître-Gaillard-Gamma
seuls critères du marché, il faut toucher le plus grand nombre. Pour toucher Je plus grand nombre, (6b), News-Gamma (6a, 10 ab) ,
il faut descendre de plus en plus bas. Lamouroux-Gamma (7b), Gui-
La «rentabilisation» est certes une nécessité. Mais ce n'est qu'une nécessité parmi d'autres. Nous chard-Gamma (8, 17b), Aven-
ne sommes ni pour l'Etat gestionnaire ni pour les nationalisations. Cela ne signifie pas pour autant turier-Gamma (13), Apesteguy-
que tout doive être mis au compte du privé. Pour les libéraux, la collectivité n'est jamais qu'une Gamma (18, 28, 33a), Piel-
somme d'individus : les notions de «politique économique», d' «intérêt national», de «secteur Gamma (29, 31, 38ab , 39b, 27),
Bouvet-Gamma (30a), Mathieson-
public», sont dépourvues de sens. Or, s'il est l)n domaine où ces notions prennent leur pleine por-
Liaison-Gamma (30b), Bureau-
tée, c'est bien celui de la culture et de l'information. Gamma (34), Rapp-Gamma (35,
La télévision n'a pas qu'un rôle éducatif et culturel à jouer. Elle a aussi un rôle distractif et 3b), Fornaciari-Gamma (36a),
informatif. La qualité doit jouer sur tous ces plans. Le secteur public est loin d'être parfait. Il Francolon-Gamma (36b), Depar-
n'en reste pas moins un fait incontestable : dans le monde entier, lorsque des chaînes publiques don -Gamma (37a) , Sommer-
coexistent avec des chaînes commerciales, les secondes sont toujours les plus médiocres ; nulle part, Gamma (37b, 41b), Novosty-
elles ne sont plus objectives ni de meilleure qualité. (On ajoutera que la privatisation de la produc- Gamma (39a), US Press-Gamma
tion, qui n'est pas une mauvaise chose, n'implique nullement celle de la diffusion). En France, (41a), Versele-News-Gamma (43 ,
la multiplication des radios privées a surtout été - à quelques exceptions près - la multiplication 44), Alfa Blue C-Gamma (45),
Mingam-Gamma (48b), Wilden-
de la bêtise, de la sottise et de la vulgarité . L'expérience de la «Cinq» et de la «Six», survenue
berg-Gamma (49b) , Maous-
depuis, est allée dans le même sens. En Italie, la prolifération des télévisions privées a tué le cinéma. Gamma (46), Roger-Viollet (!Sb,
Il y a à cela une logique évidente. C'est la logique de la marchandise. La privatisation de la télévi- 16b, 25a, 47, 48a , 58abd),
sion a les plus grandes chances d'assujettir entièrement la culture et l'information à la logique de L. Monier-APPM (24a, 25c, 19b,
la marchandise. Perpective particulièrement redoutable à une époque où, de surcroît, les réseaux 3a), Sygma (33b), Martial Marmin
mondiaux d'information sont en passe d'être contrôlés par les satellites étrangers. Les autorités (4bc), DR (3c, 4a, 14, 14-15, !Sa,
auraient pu se soucier en priorité de cette «guerre des images». Elles ont préféré favoriser les inté- 16a, 17a, 23, 24cd, 49ac, 51ab, 55,
rêts privés et satisfaire aux dogmes. On est en droit d'être inquiet. 57, 58c, 59ab, 19a, 21ab, 22,
Robert de HERTE 26abc).
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som matre
Avec «l'Homme
bioculturel»
Yves Christen a
jeté un pavé
explosif dans la
Notre couverture : sommes-nous dans
mare de tous
ceux pour qui l'ère de la religion du football ?
l'histoire est La récente coupe du monde, qui vit une
caractérisée équipe de France héroïque venir
par une coupure à bout du légendaire football brésilien
entre nature a suscité des enthousiasmes et des
et culture.
Pour Christen, passions qui vont bien au-delà du simple
en effet, c'est plaisir du jeu. Ce qui se passe
la biologie aujourd'hui sur les stades est en effet
qui explique la très important. Nous assistons
culture (p. 19) ...
peut-être à la résurgence de l'antique
sentiment communautaire, longtemps
refoulé, ainsi qu'à la naissance
de mythes nouveaux. Encore convient-il
de garder les idées claires : tout
n'est pas rose dans la planète football !
Photographie : J. Guichard-Gamma.
ÉTÉ 1986 N° 59
5 La civilisation du football, par le Cercle
Héraclite.
8 Ave Maradona, par Gennaro Malgieri.
Le mur de Berlin reste le symbole de la mutilation de l'Europe 14 Allez les Bleus ! par Pierre Vial.
et de son impuissance à se libérer de la tutelle des deux 17 Un autre moyen du politique, par Gennaro
«grands». Pourtant quelque chose bouge au centre de notre
continent. Quelque chose d'extrêmement important qui pour- Malgieri.
rait peut-être permettre un jour à l'Europe de sortir de Yalta 19 Les chromosomes de la culture, par Chris-
et de redevenir libre. Notre dossier, p. 27. tian La Halle.
23 Le paganisme dans la littérature, par Michel
La gauche Marmin.
l'a célébré sans
l'avoir relu,
la droite, elle, DOSSIER:
l'a couvert
d'ordures sans COMMENT SORTIR DE YALTA ?
l'avoir lu. 28 L'Europe sous tutelle, par Alain de Benoist.
De singulières 34 Comment sortir de Yalta, par A. de B.
oraisons
funèbres pour 43 La réunification par la paix, entretien avec
ce rebelle le général Bastian.
1ont l'œuvre
,. ::onstitue en
réalité la plus 47 Et si on relisait Genet ? par Denys Magne.
éton11ai1~ 51 Les filles de l'eau, par RmqS.
exalt'aH-Qfl de
l'ordr~ et
57 Ezra Pound, un géant du siècle, par David
de l'aristocratie. Mata.
Il faut 61 Du nazisme au communisme, par Robert de
découvrir Jean Herte.
Genet (p. 47) !
Encart <<Abonnement>> et «Service librairie» en pages 11-12-53-54.
3
faits et gestes
La civilisation du football
ue le football soit un des phénomènes pas selon eux la noblesse nécessaire pour lon de foot noir et blanc? L'Europe
Q contemporains les plus caractéristiques
et les plus étranges, nul ne songe à le nier.
mériter une analyse sérieuse. Sous l'influence
de l'école de Francfort, le sport de masse a
d'abord, mais aussi l'Amérique latine, les
pays de l'Est, l'Afrique et bientôt le Sud-Est
Sa mondialisation, son impact médiatique, été déclaré une bonne fois pour toute un sim- asiatique sont touchés par la fièvre du foot-
les sommes fabuleuses qui s'y investissent ple moyen d'infantiliser les masses en les pré- ball. Et il ne s'agit pas d'une mode superfi-
depuis quelques années, les débordements cipitant dans un investissement émotif cielle, éphémère et cantonnée dans un ghetto
parfois sanglants qu'il provoque, tout cela régressif. Aussi, la sociologie critique (ten- de spécialistes :c'est un sport profondément
contribue à en faire souvent !'«événement» dance gaucho-libertaire-marxiste) ne peut- populaire, qui draine les foules, qui s'inscrit
d'une actualité en quête de sensations fortes. elle que passer à côté d'un phénomène social dans la vie quotidienne des populations.
Mais dès que l'on essaie de soulever un peu total. C'est la preuve indéniable qu'il permet
le voile, de comprendre ce qui se passe der- l'actualisation d'un vieux fonds de valeurs
rière tout ce remue-ménage, bref de savoir L'actualisation d'un vieux essentiellement populaires, que l'on retrou-
de quoi il est si caractéristique, on se heurte fonds de valeurs populaires vera partout, compte tenu des particularis-
à un néant d'analvse assez fascinant. mes de détail.
D'une part, les professionnels de ce genre Car le football n'est pas seulement un Ce qui apparaît d'emblée au plus profane,
de spectacle s'interrogent en pure perte et ne sport : s'accumulent sur ses épaules diver- au simple regard des manifestations de ses
peuvent que masquer leur crainte et leur ses strates d'investissements populaires, spectateurs plus ou moins engagés, c'est
manque de maîtrise de l'ampleur qu'il d'imaginaire, de pulsions qui font sa com- l'aspect festif, chaleureux, convivial que les
atteint :l'argent, le jeu dur, la violence dans plexité : seule leur distinction peut permet- commentateurs, dans un bel élan d'enthou-
les stades, les enjeux qui couvent laissent tre une appréciation et non pas seulement des siasme, rassemblent sous le terme générique
pantois . Où va le football ? On n'en sait jugements à l'emporte-pièce. de «grande fête du football». Trois moments
rien, mais on y va. D'autre part, les socio- Un sport relève toujours d'une civilisation sont à distinguer, en fonction du degré
logues patentés qui dissèquent avec amour spécifique. Si, à l'origine, le football était d'investissement et de ferveur. Dans un pre-
les moindres changements de rythme de la essentiellement anglais, il s'est en l'espace mier temps, entre les matchs, le football
marche de notre belle civilisation occiden- d'un siècle étendu sur le globe tout entier : fonctionne comme un espéranto de culture :
tale, refusent de se pencher sur ce qui n'a la terre n'est-elle pas ronde comme un bal- au café, dans le métro, entre copains, chez 5
soi, c'est un sujet de discussion idéal : le ne vient l'interrompre. C' est un peu le côté tateurs plus ou moins entassés : l'émotion
fonds de référence commune est constitué fête des fous, fête de l'âne : avec drapeaux, est là du début à la fin dans un jeu qui opère
par la connaissance des tactiques de jeu, le fanions, chants plus ou moins grivois, invec- sur le mode constant de l'intensité maximale.
rappel de matchs historiques, l'évocation de tives, chacun rivalisant de déguisement, L'investissement est total : pas question de
souvenirs de ceux auxquels on a assisté, les d'attitude grotesque. On se fout du bour- regarder du bout des yeux, il faut chanter,
mérites de telle ou telle équipe, les problè- . geois à la triste figure tassé sur son siège, du crier, trépigner, exploser de joie, de tristesse
mes et la grandeur de tel ou tel joueur. Le coincé muré dans sa réprobation muette ou de colère. Le stade étant, surtout en
dynamisme et l'intérêt de ces confrontations ' parce qu'un peu craintive, on est «cool», on Europe, un des derniers endroits d'émotion
verbales sont fondés sur une prise de posi- se marre entre copains, «très bière», bref on collective active devant un destin qui n'est
tion, un simulacre d'engagement pour telle 1 se défoule et on se paie une bonne tranche pas joué d'avance, on mesure sans peine tout
ou telle équipe, sans que ce côté partisan de rigolade. Alors avec l'entrée dans le stade ce qui peut s'y investir.
vienne détruire l'harmonie : il est autorisé commence l'apothéose. Le terrain fait figure Mais si le football permet l'expression de
puisque le consensus général peut s'obtenir d'arène, d'enceinte sacrée. Un destin véri- ferveur populaire, il doit présenter quelques
sur le précepte fameux que des goûts et des table se joue sous nos yeux, ouvert, entre caractères propres qui font que cet investis-
couleurs, on ne discute pas. deux équipes de champions que l'on s'est sement n'est pas accidentel. A eux tous, ils
Ensuite, il y a l'aspect carnavalesque de choisi : l'avenir se décide en deux mi-temps, contribuent également à expliquer l'extraor-
l'avant et de l'après-match : il n'y a-pas de qui rangeront les uns dans la honte des vain- dinaire succès de ce phénomène.
frontière temporelle bien définie, la fête, cus, les autres dans la gloire des vainqueurs . Le jeu en lui-même comporte déjà plu-
spontanée, populaire, existe avant et conti- Le stade est un réceptacle populaire où l'on sieurs éléments de réponse. Il est d'une sim-
nue après l'événement proprement dit. peut voir surgir l'ineffable. L'être biologi- plicité de règle assez fascinante : deux camps
Aucun signal officiel ne donne le départ et que isolé est pris dans l'exaltation des spec- sur un terrain cherchent à loger un ballon
dans les buts adverses. C'est tout ce qu'il
faut savoir pour suivre le jeu : avantage cer-
tain sur le rugby ou le football américain,
par exemple, plus compliqués et qui peuvent
connaître par là des difficultés à l'exporta-
tion. C'est également un sport très visuel, qui
réalise le maximum d'invidualisation dans le
collectif : les joueurs se détachent très bien,
il n'y a pas de masse trop importante,
d'entassement.
Ave Maradona
<< L
aissez-n~u~ au moi?s l'illusion !» ou pour disculper, pour justifier ou pour
C'est a1ns1 que l'atmable et pas- affirmer.
sionné chauffeur de taxi qui me conduit de Le petit peuple qui dit : «laissez-nous au
'
•
che des Napolitains, tifosi (2) ou non - une
chance, un sourire, une occasion. Diego
Armando Maradona, «le chevelu», né dans
la gare de Naples au stade conclut son inter- moins l'illusion !»,ne pense pas, en réalité, l~ banlieue la plus pauvre de Buenos Aires,
prétation de l'arrivée de Diego Armando à un Maradona-rédempteur, mais à tous les est donè, pour les Napolitains, bien plus
Maradona, «le gamin d'or», dans les rangs ennuis, aux désastres, aux catastrophes qui qu'un magnifique . «buteum doué d'une
de l'équipe napolitaine. Au moins l'illusion, se tiennent derrière un rêve de victoire. Un finesse magique. Si l'on ne considère pas le
donc. Mais l'illusion de quoi ? Certainement rêve qui, aujourd'hui et par le seul fait du phénomène Maradona- qui est un phéno-
pas de la victoire en championnat, cette hasard, a l'apparence du jeune Argentin aux mène essentiellement «trans-sportif» -dans
année, vu la façon dont les choses se présen- cheveux frisés, débarqué au stade San Paolo cette optique, ce qui se produit à Naples
tent (1) ; et pas non plus l'illusion de vaincre non tant (ou non seulement) pour marquer depuis l'été 1984 devient presque
les «grands» clubs du Nord, car Maradona des buts que pour offrir à la ville - du incompréhensible.
ne forme pas une équipe à lui seul, de même moins si l'on comprend les désirs de revan- On conviendra, je pense, qu'un footbal-
que l'enthousiasme du merveilleux public leur, si brillant soit-il - en l'occurence le
napolitain ne suffit pas à la faire remonter (1) Cet article a été écrit durant l'année 1985. meilleur de tous ! - ne peut pas à lui seul
au classement. Les «supporters» le savent En ce qui concerne la saison 1985-1986, le exciter les masses pendant des mois, enthou-
très bien : à leur manière, ils sont bien plus club de Naples a effectué une remontée spec- siasmer un public qui est à coup sûr l'un des
réalistes qu'il n'y paraît. Alors, de quelle illu- taculaire puisqu'il vient de terminer troi- plus «chauds», mais aussi l'un des plus exi-
sion voulait parler le chauffeur de taxi ? sième du fameux «ca/cio», le championnat geants, réveiller des ardeurs réputées anéan-
C'est une chose difficile à comprendre, je de football italien. (N.d.l.r.) ties par de véritables tragédies comme le cho-
m'en rends compte, pour tous ceux qui ne (2) C'est ainsi que l'on désigne les «suppor- léta, le tremblement de terre, la camorra (3),
sont pas originaires de cette région. ters» italiens des équipes de football ou des tragédies qui ont fait de Naples, ces derniè-
A Naples, comme un peu partout dans le champions cyclistes. (N.d.l.r.) res années, une ville de frontière, pour ne pas
Mezzogiorno, sport et vie civile sont souvent (3) Terme qui désigne le banditisme napoli- dire un no man's land. Il y a autre chose,
la même chose. On parle de football pour . tain, par opposition à la «mafia», d'origine évidemment. Et cette autre chose, ce ne peut
8 parler de problèmes sociaux ; pour accuser sicilienne. (N.d.l.r.) être que l'impression bien napolitaine de
constater quotidiennement, si l'on veut, que vingt-dix minutes peut offrir une lueur épouvantail de l'Etat, c'est un empêcheur de
Naples est une capitale sans roi, le centre d'espoir à ceux qui se sont habitués à vivre jouer en rond, de gagner en rond ; il faut
d'un monde sans mythes et sans buts, le avec le désespoir. bien distinguer sa contestation par les sup-
creuset d'une culture actuellement inexpri- Tout cela est éphémère, objectera-t-on~ porters, sur laquelle nous reviendrons, et sa
mée, voire humiliée. Bien entendu. Mais est-ce si grave ? Les fêtes contestation par les joueurs, les entraîneurs,
On a vite fait de dire et d'écrire- comme organisées par l'assesseur romain Nicolini les présidents de club, qui est en constante
l'ont fait certains - que Maradona est un sont éphémères mais personne ne proteste, augmentation. Si on perd, c'est à cause de
«luxe» que Naples ne peut pas s'offrir, et elles coûtent au Trésor public des centaines lui, il faudrait réduire ses compétences au
même une insulte à la misère, une insulte aux de millions de lires mais c'est parfait ; le car- minimum pour laisser les joueurs libres,
nombreux, trop nombreux pauvres qui naval de Venise, tout aussi éphémère, est libres de s'exprimer, libres de triompher.
vivent dans les «bas» quartiers surpeuplés, même un phénomène culturel ; quant aux Sans se rendre compte qu'il est, comme le
et qui jour après jour se demandent si le plus qu'éphémères productions de certaines fait bien remarquer un journaliste de
dîner suivra le repas de midi. Il est même institutions artistiques, il est préférable l'Equipe, l'ultime garant du jeu.
ignoblement démagogique de crucifier une d'étendre sur elles un voile pudique pour ne
ville en l'accusant de superficialité et de dilet- pas céder à la colère, étant donné qu'elles Le jeu dur se porte
tantisme sous prétexte qu'au lieu de penser coûtent des sommes mirobolantes - payées, de mieux en mieux, merci
à résoudre les problèmes du chômage et de obligatoirement, par toute la commu-
la circulation, de plus en plus chaotiques ici, nauté-, mais personne· ne s'indigne. Ce caractère est bien entendu renforcé,
elle «se permet» d'acheter un joueur de foot- Voilà que Maradona arrive à Naples, et endurci par les enjeux financiers qui s'ins-
ball pour la bagatelle de treize milliards de les hôpitaux sont croulants et vétustes, les taurent à tous les niveaux. Les joueurs stres-
lires. Tous les moralistes en service perma- routes en nombre insuffisant, la saleté enva- sés par la course au salaire se doivent de faire
nent sont descendus en lice durant l'été 1984, hissante, les maisons stir le point de s'effon- des bons matchs, d'être à la hauteur de leur
trempant leur plume dans une encre véné- drer, le chômage ultra-répandu, la délin- mise à prix : modernes sacrifiés à l'autel de
neuse pour dénoncer !'«opération quance toute-puissante, et ainsi de suite. la réussite, tous les coups leur sont permis,
Maradona». Npn, Naples n'a pas le droit de s'offrir le tacle a un bel avenir et le jeu dur se porte
Les faits les ont démentis . Personne ne l'éphémère ! de mieux en mieux, merci. Pour l'équipe et
s'est tranché les veines . La ville n'est pas Il ne s'agit pas de soutenir par là qu'il faut les supporters, l'enjeu est le même : une
allée en bloc au mont-de-piété. Ce qui sem- encourager la fuite devant la réalité. Au con- bonne place, c'est des rentrées de fonds. On
blait être une folie s'est en fait révélé une traire, «lire» l'arrivée de Maradona à Naples sait le drame que constitue en France la chute
géniale opération économique. A présent, le comme un rappel des problèmes et du déses- en deuxième division (où sont les beaux jours
club napolitain nage sur l'or, on enregistre poir me semble franchement plus honnête. de Saint-Etienne ?), et même tout le man-
au stade San Paolo des affluences jamais La ville qui s'identifie à son dernier «héros>>, que à gagner consubstantiel à une chute en-
vues auparavant, et les autres clubs de foot- un garçon de vingt-quatre ans, est assuré- dessous de la quinzième place. A l'inverse,
ball eux aussi - surtout ceux du Nord qui ment une cité submergée de calamités, mais une équipe gagnante est une bonne vitrine
ont pointé, avec le plus de véhémence, aussi gonflée d'un enthousiasme qui pour- pour une municipalité soucieuse de son
l'index accusateur pendant la saison des rait être mieux exploité, capitalisé, en un cer- image de marque de dynamisme et de bonne
transferts - bénéficient de l'effet Mara- tain sens, dans l'optique d'une renaissance gestion, ou bien pour un groupe privé qui,
dona, soit quand ils vont jouer à Naples, en concrète que la conquête d'un premier rang outre les bénéfices, se fait une bonne publi-
raison des profits considérables qu'ils encais- éventuellement sportif pourrait, c'est évi- cité. Il n'est pas jusqu'à la nation qui ne
sent, soit quand ils jouent à domicile parce dent, favoriser. Certes, les frustrations s'investisse dans de telles démarches : les
que les supporters napolitains, il n'est pas n'encouragent pas la reprise, et l'esprit défai- divagations patrioticardes dans les «mun-
inutile de le rappeler, suivent partout leur tiste qui se niche dans tous les recoins de la dials» ne sont plus à souligner. Curieuse-
équipe. Mais ce n'est pas ici le lieu d'insis- ville mène plutôt au repli sur soi et renforce ment, alors que la guerre est unanimement
ter sur ces détails. le désarroi. Voilà pourquoi Maradona est condamnée, dans le foot, son vocabulaire
une possibilité, peut-être une illusion. Mais réapparaît, les journalistes s'improvisent
Une lueur d'espoir pour ceux qu'a-t-on tenté ou que tente-t-on à Naples correspondants de guerre, et toutes les éner-
qui vivent avec le désespoir pour surmonter un tedium vitae de plus en gies nationales sont mobilisées, qui dans le
plus nauséeux et inhumain ? loto sportif, qui dans les stades, qui devant
Certes, c'est vrai, les problèmes de Naples Répétons donc que le sport, en dehors des les postes de télévision. Dame, c'est que le
demeurent, ils s'aggravent même avec le folies a-sportives qui débouchent logique- jeu en vaut la chandelle : l'entreprise France
temps. La pauvreté se change de plus en plus ment sur la criminalité, peut être le support ou autre y va de sa réputation, de son hon-
souvent en misère. Les insultes du destin et d'enthousiasmes renouvelés et canalisés en neur. Ainsi réapparaissent en tapinois les
l'arrogance des affairistes de la politique ren- direction d'une renaissance civile, ainsi enjeux de la guerre économique, guerre
dent Naples toujours plus invivable, lande qu'un moyen d'affirmer une certaine iden- «dean» s'il en est, donc présentable. Sans
désolée au-dessus de laquelle le soleil même tité . Si le sport coïncide, aujourd'hui à compter que la réussite d'une grande nation
paraît moins chaud. Et beaucoup fuient, Naples, avec Maradona, ce n'est pas un bénéficie à toute l'humanité, n'est-il pas
pour essayer de concrétiser des aspirations péché. Et ce n'est pas non plus un drame si vrai?
qui sont systématiquement frustrées dans les milliers de petits voyous napolitains La géographie du football constituera
cette ville. Qui reste donc, alors ? Eh bien, voient en Maradol}a l' un des leurs, un pau- notre ultime argument. Où le football
ceux qui s'adaptent ou qui font les «fous», vre animé d'une grande passion indomptable s'implante-t-il et règne ? En Europe de
en ce sens que se comporter comme un type pour le football. Lorsque je l'ai rencontré l'Ouest, plutôt bien, en Amérique latine, en
honnête à Naples dans les circonstances pré- dans les vestiaires du stade, j'ai lu dans ses Afrique ; il commence dans le Sud-Est asia-
sentes, c'est passer, pour le moins, pour un yeux une grande souffrance passée, mais tique, en Chine, peu au Japon ; dans les pays
«original». Mais ceux qui restent regardent aussi la joie de celui qui est parvenu à s'affir- de l'Est, il est l'objet d'une surveillance
aussi autour d'eux ; et si parmi tant de mer au point de devenir un «mythe» : un sévère; peu aux Etats-Unis d'Amérique. Sa
décombres ils aperçoivent un sourire, une mythe du football, certes, mais dans une courbe de progression suit celle de l'occiden-
possibilité de revanche, peut-être la dernière société d'individualités réduites à l'ombre talisation. L'exemple de l'Amérique du Nord
illusion qu'évoquait le chauffeur de taxi, d'elles-mêmes, c'est déjà quelque chose. n'infirme en rien cette thèse : les Etats-Unis
c'est aussi parce qu'ils savent que le diman- n'ont pas besoin du football comme support
che il y a Maradona, qui pendant quatre- Gennaro MALGIERI du rêve américain, ils l'ont réalisé. C'est 9
sens de bataille, indispensable à l'économie
d'une société. C'est donc une erreur de croire
que le voyeurisme de l'image au Heyse! est
condamnable : au contraire, il donne à la
dimension d' horreur un simple caractère
Le 29 mai 1985, au d'effroi qui désamorce «l'insoutenable», et
stade du Heyse/, joue donc à plein la logique du football
à Bruxelles. Une heure comme spectacle, comme fait social total.
avant le coup Il n'en reste pas moins que, quant à nous,
d'envoi de la finale ces grandes messes du football nous laissent
de la coupe d'Europe un goût désagréable en travers du gosier.
opposant les Anglais du Pour citer Pierre Emmanuel, «les fêtes de
Liverpool F. C. aux l'humanité aliénée sont parfois des saturna-
Italiens de la Juventus les de sang, et elles sont loin d'être des déli-
du Turin, plusieurs vrances». Un troisième et ultime niveau
dizaines de morts d 'analyse est nécessaire pour épuiser le sujet.
sont ramassés sur les
gradins. Le contact
Quand le politique
a été rude entre
les supporters anglais investit le football
et leurs homologues
italiens (ci-dessous) ! La culture contemporaine engendre des
Mais l'important positions paradoxales sur le rapport du spec-
est en fait de savoir tateur au spectacle. D'une part, elle rend
à qui profite en nécessaire et possible une attitude passive
réalité la violence. face au spectacle : soit que l'on assiste à un
spectacle en chair et en os «de qualité», où
l'on aura le bon ton d'applaudir chaleureu-
sement à la fin, soit que l'on se place en posi-
tion de réceptacle, prêt à recevoir un flot de
sons ou d'images diverses. D'autre part, elle
insiste sur la nécessaire participation du spec-
tateur, à la fois raison d'être et destinataire
privilégié du spectacle. Dans la logique de
la conformité au modèle de consommation
de loisirs, cette participation ne peut pren-
dre que deux formes : soit les spectateurs se
font l'écho de meneurs de jeu, chanteurs,
animateurs et se donnent l'illusion d'une
participation en amplifiant les initiatives des
meneurs, soit le spectateur devient l'acteur
total, se regarde dans son action solidaire,
même si une masse est là, dans un culte nar-
cissique de lui-même, comme dans la récente
vague des sports genre body-building ou
aérobic . Deux attitudes qui sont une même
tromperie : dans le premier cas , il n'y a pas
participation véritable, dans le second cas,
il n'y a plus spectacle, l'acteur jouant seul
sans public véritable. La tendance participa-
encore un des rares pays qui peut se permet- et simplement de la compétition sauvage, il triee est donc canalisée, anesthésiée, assagie.
tre d'avoir des sports nationaux comme le n'intéresserait personne ; mais entre les Elle n'en existe pas moins, ne serait-ce qu'à
football américain et le base-bali, qui ne joueurs et les spectateurs se crée une distance l'état de désir diffus. Et le -football, juste-
souffrent pas de leur extrême particularisme. qui met entre parenthèses le caractère dur de ment, peut devenir alors le moyen de con-
Ainsi, le football constitue un bon miroir la compétition pour n'en garder que la repré- crétiser ce désir.
de la société qui le met en valeur : et comme sentation, qui tue le drame, le tragique, et Dans ce moderne jeu du stade, aux con-
la conjoncture mondiale ne prête pas à permet l'espoir sans impliquer la crainte. On tours peu délimités dans le temps, où les
l'apaisement, on peut supputer sans risque ne perd rien réellement quand on perd un spectateurs sont rassemblés pour quelque
qu'une attitude détachée dans le football sera match : seule l'émotion est réelle. Par ce chose d'à la fois prévu pour eux, et d'incon-
de plus en plus difficile. désamorçage peut toutefois s' instaurer une trôlable pour les organisateurs, peuvent se
La description ne serait pas complète sans sacralisation : il ne faut pas négliger ce phé- réveiller de façon spontanée, caractère
une interrogation sur le rôle des médias dans nomène, ni se méprendre sur sa valeur. reconnu par tout le monde, des vieilles pas-
l'affaire. En effet, le football n'est que la Comme dans la tragédie grecque où une âme sions que 1' on croyait définitivement
mise en scène d'un certain idéal : c'est parce collective mettait sa structure en forme par évacuées.
qu'il n'est que mise en scène qu'il bénéficie le héros tragique et le chœur, le football pré- La plus évidente, peut-être, est la mani-
d ' un tel enthousiasme. En effet, sont ainsi sente un peu un rôle de catharsis . Les joueurs festation dite politique spontanée. Comme
permis un désamorçage et une sacralisation. sont les héros modernes, les journalistes le le peuple, de façon presque généralisée, a de
Désamorçage tout d'abord par l'image : le chœur qui commente, apprécie, juge ou sou- moins en moins la possibilité d'orienter son
spectateur ne vient pas retrouver sa vie de tient. Ainsi le spectateur peut s'investir, se propre destin, soit que des systèmes totali-
10 tous les jours. Si le football était purement décharger, selon la notion de dépense, au taires vérouillent l'accès au politique, soit
que les gestionnaires excluent les populations
des grandes décisions et ne leur laissent
qu'une apparence de choix entre démocra-
tie sociale et sociale-démocratie, le stade
constitue l'un des derniers domaines où une
contestation reste possible, parce que la foule
protège l'anonymat, parce que sont rassem-
blées de manière spontanée et cohérente un
grand nombre de personnes, qu'il est
d'autant plus difficile de contrôler que, théo-
riquement, c'est un spectacle qui n'a rien à
voir avec la politique. Un bon exemple de
ce genre de manifestation est donné par
l'anecdote suivante. En Argentine, à la suite
du putsch militaire et du renversement du
second péronisme sous le prétexte plus ou
moins justifié de se débarrasser d'une «cli-
que de voleurs», lors d'une rencontre de
championnat la foule se mit à scander à la
mi-temps : «Nous voulons les voleurs ! »
On rétorquera que cela n'a rien à voir avec
le football. En soi non, en effet ; mais
puisqu'il s'agit de l'une des dernières mani-
festations de cet ordre, puisque même dans Si le football fait indéniablement resurgir certains instincts claniques et dionysiaques, il
les pays où un rassemblement de plus de cinq est peut-être surtout une maquette idéale de l'Occident libéral. Ce n'est évidemment pas
personnes prend figure d'émeute révolution- par hasard que l'ineffable Bernard Tapie (à droite, aux côtés de Michel Hidalgo), parangon
naire, même dans les pays où les raisons de de modernité capitaliste, a «racheté» l'Olympique de Marseille ...
quitter la télé sur le soir s'amoindrissent, il enraciné, traditionnel, peu en France où le Reste maintenant, au terme de l'analyse,
est une raison suffisante de se rassembler, cartésianisme tient encore. à nous interroger sur l'avenir du football.
le football est bien oligé de tenir compte Même dans les pays de l'Est, malgré le peu Il est certain que ce qui correspond à notre
d'une volonté de participation. Il est vrai d'informations qui nous parviennent, on sait premier niveau d'étude, ne peut plus avoir
qu'il est aussi assez grand pour engendrer cependant que les supporters sont «actifs». que le charme désuet de survivances archaï-
tout seul un autre type de sociabilité active . Cette «activité», un peu violente, unanime- ques d'une totale inocuité. Tout se joue entre
Cette participation forte, anormale, est le ment condamnée, mérite quelque attention. les deux dernières strates. Il nous semble que
fait des clubs de supporters qui connaissent Certains s'empressent de dire que le houli- toutes les chances sont, pour le moment
une ampleur fabuleuse. Pour notre part, ganisme n'a rien à voir avec le foot :mieux encore, du côté de l'occidentalisation qui
nous ne 1' étudierons qu'à 1' échelle euro- vaudrait dire une certaine idée du football, finira par avoir raison de la résurgence du
péenne parce qu'elle nous touche de plus et qui n'est pas celle des supporters. Au con- clan.
près et parce que nous la connaissons mieux. traire, la capacité à une certaine violence Son attirail guerrier se compose de deux
d'attaque ou de défense prouve la vitalité du possibilités d'annihilation . Ou bien par
Les supporters réinventent phénomène : vouloir la séparer, c'est l'intermédiaire du jeu médiatique, il fait
la société organique détruire la tendance à la participation dure, dégénérer la volonté d 'action réelle des sup-
sauvage. Car dans la mesure où il y a là une porters en simulacre. L'acteur vivant ne sera
La genèse est claire : sous la poussée des émergence d'un désir de sociabilité organi- plus alors que la figure d ' un spectacle à la
facteurs de dissolutions des réseaux tradi- que, il y a forcément contestation de ce qui «roller-ball», où l'on goûtera à la violence
tionnels d'appartenance et d'identification, ne l' est pas. D'où la haine du flic , du ser- du bout des lèvres avec une moue dégoûtée,
la société éclate en multiples ensembles néo- vice d'ordre, de l'arbitre qui deviennent dans tant pour l'exorciser que pour la canaliser.
tribaux, le clan des supporters représentant cette optique, le bouc émissaire traditionnel, Ou bien on choisira de policer les stades :
une des variantes de ce processus. Mais il ne qui doivent être sacrifiés pour cimenter la c'est ce qui se produit déjà en Union sovié-
s'agit pas d'une variante comme les autres, cohésion du groupe. Pour le supporter à part tique où chacun peut applaudir entre deux
groupes d'intérêts, minorités sexuelles ou entière, tout ce qui n'est pas de son mode files de miliciens. C'est ce qui se met en place
raciales, clubs de fans, bandes traditionnel- est négatif : rien d'étonnant à cela puisque ici même, où l'on envisage des fouilles, des
les . Le groupe de supporters ne revendique c'est parce que son mode quotidien lui paraît flics et des systèmes vidéo, l'œil du maître
rien et réinvente complètement en marge, à insuffisant qu'il trouve refuge dans les clubs. qui servira Big Brother. Ou bien les deux à
sa façon il est vrai, les fondements d'une A ce titre, il faut faire rendre gorge à la la fois. Ne soyons pas chiche ! Les possibi-
société organique. Le clan a ses grands axes légende tenace de la pauvreté et de la mar- lités de contrôle sont infinies et la violence
de fonctionnement avec ses fonds propres, ginalité des houligans : c'est vrai qu'il y a est un bon moyen de jouer sur les réflexes
ses chants, ses bannières, son rituel, ses mes- des chômeurs, fils de chômeurs qui n'ont sécuritaires, le dualisme police-terrorisme
ses, ses héros. L'osmose est d'ailleurs com- plus rien à perdre, mais il y a aussi d'autres allant en crescendo pour la plus grande gloire
plète entre ces derniers et leurs supporters : couches sociales qui prouvent par leur pré- de la bourgeoisie libérale.
le salut rituel des joueurs à leur public n'est sence cette volonté de participation dure qui Mais même le développement libéral du
plus alors un «morituri te salutant», mais ne peut s'exprimer collectivement nulle part foot ne va pas sans risques. D'une part parce
une reconnaissance explicite du tout qui les ailleurs. que la surenchère financière peut conduire
englobe, dont ils ne sont que les hérauts et Il n'en reste pas moins qu'aucun néo- à un «jeudi noir». D' autre part parce que
qui les portent. Ce phénomène se retrouve, tribalisme ne peut nous agréer. Le dionysia- le durcissement des enjeux économiques
plus ou moins structuré, dans toute que a ses côtés positifs , mais seul il ne mène mondiaux, les clivages entre continents, peu-
l'Europe. En Espagne, en Italie, en Allema- pas loin. Aussi, si nous voyons d'un bon œil vent déboucher sur une autre violence.
gne, en Angleterre bien sûr, où il joue peu ce phénomène, ce n'est pas pour ce qu'il con- L'avant-guerre se dessine partout. Alors ,
son rôle de vecteur d'occidentalisation dans tient, mais pour son caractère de symptôme préparons-nous.
la mesure où il est sport du cru , national, de ce à quoi nous aspirons. Cercle Héraclite 13
Les Romains ne jouaient pas au football, mais les jeux du cirque suscitaient
des passions formidables parmi les supporters des différentes «factions».
La défaite des «verts» ou des «bleus» pouvait même être ressentie comme un
drame aussi douloureux que la perte d'une bataille face à l'ennemi ...
Grandeur tragique
de l'aventure humaine
Alain
cette peur, parce qu'elle leur est profitable.
C'est parce qu'ils ont le sentiment d'être
menacés par la puissance soviétique que les
Européens sollicitent ou admettent l'hégé~
monie américaine . Les deux emprises se con-·
de Benoist
fortent ainsi mutuellement. «Les meilleurs
alliés du Kremlin sont aussi ses adversaires»
(Lohausen).
Pendant des années, l'alliance américaine
a fonctionné comme un alibi permettant aux
Européens de croire qu'ils pouvaient faire
l'économie d'une défense autonome com-
(20) «Les stratégies européennes évacuent, Si la France est aujourd'hui mieux défendue ceux sur qui il faut compter pour garantir
à juste titre, comme un cauchemar, écrit contre les Russes, c'est qu'elle n'a pas hésité l'avenir européen ? La réponse est évidem-
encore Alain Mine, le découplage avec les hier à se dresser contre les A méricains. ment négative. La vérité est que la dépen-
forces stratégiques américaines. A nier une Ceux qui, il y a bientôt un demi-siècle, ont dance vis-à-vis d'une sup~rpuissance rend à
réalité pourtant probable à terme, elles choisi de s' allier à Staline et qui , depuis, terme dépendant vis-à-vis d'une autre. Si
s'interdisent de s'y adapter, craignant que . n'ont jamais remis en cause l'emprise sovié- l'Europe ne parvient pas à assumer son sort
toute mesure en ce sens ne donne un prétexte tique sur l'Est européen, ceux qui ont cons- elle-même, elle sera peut-être un jour sovié-
à l'isolationnisme des Etats-Unis» (op. cil. , tamment «lâché» leurs alliés (Vietnam du tisée pour avoir accepté d'abord d'être amé-
p. 30). Sud, Formose, Iran, Philippines, Haïti, etc.) ricanisée. C'est dès lors en n'étant pas Amé-
(21) Régis Debray, «Libération», 22 avril après leur avoir fait les promesses les plus ricains aujourd'hui que nous ne serons pas
1985. solennelles, ceux qui ont tenté d 'empêcher Russes demain.
(22) Charles de Gaulle, «Mémoires la France de se donner elle-même les moyens
d'espoir>>, vol. 1, Plon, 1970, p . 177. d'une défense plus efficace, sont-ils vraiment Alain de BENOIST 33
L'existence d'une Europe
indépendante rendrait beaucoup
moins grand le risque de
guerre entre les deux blocs.
C'est ce qu'avait parfaitement
compris le général
de Gaulle. C'est aussi,
aujourd'hui, le sentiment qui
anime les mouvements pacifistes
en Europe de l'Ouest,
notamment en Allemagne, en
Grande-Bretagne et en Italie.
C'est enfin ce qui pousse
certains Etats européens, à
l'Ouest comme à l'Est,
à tenter des rapprochements
contraires à l'esprit de Yalta.
Une nouvelle politique dont
Willy Brandt avait été l'un des
précurseurs en n'hésitant
pas à se rendre officiellement
en Allemagne de l'Est.
Et si l'URSS rouvrait
la question allemande ?
Pacte de Varsovie) consolide et aggrave la place un nouveau nationalisme. Les deux la tension existante, contribuera au contraire
division de l'Europe, et donc de l'Allema- arguments me paraissent aussi erronés l'un à la réduire en établissant une sorte de «tam-
gne . Une politique qui aboutirait à réduire que l'autre. Le mouvement pacifiste en Alle- pon» entre des blocs militaires qui se trou-
progressivement l'armement nucléaire dans magne est beaucoup plus complexe que cela. vent aujourd'hui directement affrontés les
les deux blocs permettrait de combler dans - Un argument fréquemment opposé à uns aux autres.
une certaine mesure le fossé qui sépare l'armement nucléaire tient à l'«overkill», - Certains théoriciens pensent qu'il pour-
actuellement les deux parties de l'Europe. c'est-à-dire au fait que les grandes puissan- rait être possible un jour, par une attaque
- Pensez-vous que le mouvement pacifiste ces détiennent des armements bien supérieurs «préventive» de grande efficacité, de détruire
devrait se transformer en parti ? à ce qui est nécessaire pour provoquer totalement le potentiel nucléaire de la puis-
- Je ne suis pas certain qu'il aurait alors l'anéantissement complet de l'adversaire. sance adverse, en sorte que seules les trou-
beaucoup de chances. Il me semble que son - Au cours de ces dernières années, la capa- pes conventionnelles feraient la décision.
impact sera meilleur si les pacifistes essaient cité d'overkill a effectivement été multipliée Qu'en pensez-vous ?
de faire passer leurs idées dans tous les par- de façon aussi dangereuse que ridicule. Il est - Je suis convaincu que cela restera impos-
tis, afin de toucher et de convaincre le plus évident en effet que lorsqu'on a la possibi- sible. Aucun moyen technique ne pourra
grand nombre possible de parlementaires et lité de détruire dix fois l'adversaire, il est par- jamais enlever à l'adversaire la totalité de son
d'hommes politiques. Une telle stratégie lui faitement inutile de pouvoir le détruire vingt arsenal nucléaire. Une attaque surprise
évitera aussi d'être victime de la bureaucra- fois. L'augmentation de la capacité de pourra éventuellement le décimer, ou le
tie et de la fonctionnarisation, qui lui frappe destructrice était liée en fait à l'effet réduire de moitié, mais il restera toujours un
feraient perdre le caractère «direct» et spon- dissuasif présumé. Or, ce qui est grave, c'est potentiel dit «de seconde frappe» qui servira
tané qui est en grande partie à l'origine de que nous voyons apparaître maintenant de à la contre-attaque et anéantira l'attaquant.
son succès. nouveaux systèmes d'armements, à l'Ouest Personne ne peut espérer échapper à cette
- Beaucoup d'observateurs estiment que le d'abord et sans doute demain aussi à l'Est, seconde frappe.
mouvement pacifiste renforce les groupes qui rompent avec la logique de la dissuasion - Faut-il maintenir l'OTAN et l'intégration
extrémistes. Quelle est votre opinion ? (la «non-guerre») et engendrent l'idée redou- de la Bundeswehr dans ce système de
- Vous faites sans doute allusion à la pré- table que, grâce à ces nouvelles armes, il défense?
sence d'éléments d'extrême gauche, commu- devient possible de mener et de gagner rapi- - Pour l'instant, certainement. Il n'y a
nistes notamment, dans les rangs du mou- dement un conflit sur un territoire limité. Or, aucune raison de démanteler unilatéralement
vement pacifiste. Cette présence ne signifie dans le cas qui nous intéresse, ce territoire l'alliance défensive occidentale aussi long-
nullement que nous soyons favorables au n'est ni l'Afrique ni l'Alaska ni l'Australie, temps que le Pacte de Varsovie reste en
communisme ou que nous ayons voulu avoir mais bien l'Europe où se font face les for- vigueur sous sa forme actuelle. La RFA, qui
avec les communistes des rapports privilé- ces armées des deux blocs militaires, avec est la première victime de la partition de
giés. Cela montre seulement que le mouve- une concentration de moyens de destruction l'Europe, devrait par contre tendre tous ses
ment pacifiste est assez tolérant pour colla- qui n'a aucun équivalent dans l'histoire. efforts à surmonter la confrontation des
borer avec les groupements les plus divers, - La création d'une zone dénucléarisée en blocs, en créant une situation dans laquelle
même extrémistes, lorsqu'ils approuvent ses Europe écarterait-elle vraiment le risque de les deux blocs militaires en présence devien-
mots d'ordre en faveur de la paix et du guerre? draient inutiles et n'auraient plus qu'à dis-
désarmement. L'évolution de l'opinion est - Ceux qui, comme moi, sont partisans paraître. C'est aussi la seule façon de per-
d'ailleurs significative. On a d'abord accusé d'une telle création ne cultivent pas le rêve mettre aux pays de l'Est d'avoir un peu plus
le mouvement pacifiste d'être un «cheval de puéril que l'existence d'une ou de plusieurs de liberté.
Troie» du Kremlin, puis, comme cet argu- zones dénucléarisées engendrera partout la - Dans la situation actuelle, l'Allemagne
ment vraiment ridicule devenait éculé, on lui paix mondiale. Mais il est évident que la fédérale peut-elle se dispenser d'avoir une
44 a fait le reproche inverse : celui de mettre en constitution de ces zones, loin d'augmenter défense, représentée par la Bundeswehr ?
Dans toute l'Europe, d 'importantes
manifestations pacifistes se sont produites
pour protester contre l'installation
de missiles américains Pershing, comme ici
à Copenhague, le 27 mars 1983.
Pacifiste et européen convaincu,
le général Bastian croit à la possibilité
de mesures unilatérales en matière
de désarmement, avec des gestes limités
et progressifs propres à mettre
un terme à l'escalade et à convaincre
les Russes que cette escalade n'est pas
nécessaire pour aboutir à une négociation.
Et si on relisait Genet ?
C ' était le premier jour de vrai prin-
temps après un long hiver pluvieux.
l'extrême droite. Ceux qui n'ont pas encore
digéré le scandale des Paravents à l'Odéon,
qui voyaient en · lui un révolutionnaire et
espéraient des manifestes pleurnichards sur
Sur le trottoir une vieille mendiante me pré- pour y avoir vu une atteinte à l'honneur de l'injustice, les prisons et la peine de mort,
cédait. J'accélérai le pas. Je n'ai jamais l'armée française -qui en 1966 en avait durent ravaler très vite leur déception. Ils
beaucoup aimé les clochards. Question subi bien d'autres- se sont déchaînés con- n'avaient découvert qu'un révolté, un soli-
d'odorat, probablement ! Mais selon mon tre l'auteur de cette pièce plutôt ratée. Pour taire taillé dans la plus belle eau.
habitude, je me retournai sur elle lorsque je les inconditionnels de la «France d'abord», La vie de Jean Genet offre peu d'intérêt :
la dépassai et vis qu'elle avançait à pas lents, celle qui ne fait pas la moue sur Peyrefitte, en fait l'écrivain a toujours transfiguré le
retenant de sa main droite en le soulevant ce Voltaire de pissotière, mais reproche à réel. Quelques repères s'imposent cependant.
légèrement, un pan de son haillon. Cette Genet «de s'enorgueillir de ce que l'on Il naît en 1910 de parents inconnus, passe
femme déchue avait le maintien et la démar- cache», la disparition de cet écrivain laisse son enfance chez des paysans du Morvan,
che d'une infante d'Espagne. Le matin «un monde un peu plus propre» (Minute, commet très tôt quelques vols qui le condui-
même, on m'avait demandé cet article sur 18 avril1986). Je suis sûr que des deux hom- sent en maison de redressement. Puis, c'est
Jean Genet qui venait de mourir, et voilà mages, celui des embaumeurs et celui qui l'errance d'une vie de mendiant et de pros-
qu'il m'envoyait ce clin d'œil bien caracté- crache sur son cadavre, Jean Genet aurait titué dans toute l'Europe des ports, des bas-
ristique de son œuvre. préféré le dernier. Sous sa plume, les cra- fonds où grouillent voleurs, trafiquants et
Pauvre Jean Genet, hissé par le chœur des chats se transfiguraient en roses. maquereaux, et toujours, quel que soit le
pleureuses au rang des écrivains officiels ! pays, la prison et l'expulsion. A Fresnes, il
Depuis Sartre, les intellectuels bien-pensants, Quand Jean-Paul Sartre écrit son premier poème, le Condamné à
en bons pédagogues soucieux de normaliser assassine Genet mort, à la gloire d'un assassin qu'il trans-
un délinquant, n'ont jamais désespéré de forme en demi-dieu. Pour chanter l'abjec-
mener cet ancien taulard sur la «voie de la Il ne s'agit pas de défendre Genet pour ce tion, le crime, le monde des réprouvés, il
\socialisation>>. Le temps de la récupération qu'il a revendiqué être : homosexuel, traî- choisit la métrique la plus conventionnelle
semblait enfin venu avec la France socia- tre, voleur, presque criminel (mais trop lâche -l'alexandrin - , usant d'une langue
liste : l'inévitable Jack Lang lui remettait en pour cela). Avec ce palmarès il a excité les superbe, parfois précieuse, extrêmement
1983le Grand Prix national des Lettres (mais salons littéraires et conforté le masochisme musicale, plus proche des symbolistes que
Genet eut le bon goût de se récuser) ; la de la caste intellectuelle. celle des surréalistes anarchisants :
Comédie-Française l'inscrivait à son réper- Mais si Genet se prêta un peu à ce jeu au
toire. A cet éloge funéraire tendancieux, il tournant des années cinquante, il cessa rapi- J'ai tué pour les yeux bleus d'un bel
fallait une fausse note. Elle est venue de dement d'être l'otage de qui que ce fût. Ceux indifférent 47
Qui jamais ne comprit mon amour Genet n'a plus besoin de s'évader dans la guïté, · p~r · lés partisans de l'antithéâtre.
contenue, littérature. Aujourd'hui .l'audace des pièces de Jean
Dans sa gondole noire une amante Pour son malheur il intéresse Sartre qui Genet nous app~raît bien émoussée. Moins
inconnue, «commet» sur lui un énorme pavé, Saint objets de· divëriissemènt que cérémonies
Belle comme un navire et morte en Genet, comédien et martyr (1952). Mis à nu, funèbres, .~es .pièces visent au Sacré. En
m'adorant. violé par un philosophe insensible au sacré, exprimant rintenti~·n que J.es théâtres' soient
qui nie la dimension métaphysique de sa établis au milieu de cimetières afin d'asso-
Toujours prisonnier, Genet écrit en moins révolte et lui explique qu'il n'y a pas cier ·les morts aux vivants, Genet a voulu
de cinq ans l'essentiel de son œuvre poéti- d'archétype du Mal, voici Genet réduit à un renouer, sans 'en prendre tout à fait cons-
que et romanesque. Son lyrisme chatoyant pauvre garçon en délicatesse avec la société. cience, avec les origines les plus lointaines
se déploie pour magnifier les travestis D'un trait de plume, un professeur à lunet- du théâtre grec, né du culte des héros morts .
(Notre-Dame des Fleurs), les délinquants du tes a évacué ses fleurs de rhétorique et pié- Malheureusement étouffée dans le moule
bagne d'enfants de Mettray et les condam- tiné ses jardins secrets : Genet ne se livrera sartrien, la langue de Genet s'intellectualise,
nés de la centrale de Clairvaux (le Miracle plus. Le romancier-poète meurt assassiné par se prend à penser et ne trouve comme lieu
de la Rose), les matelots et les policiers (Que- l'Université. Après quelques années d'hébé- sacré de représentation qu'une architecture
relle de Brest) et, dans son roman le plus sul- tude, de vide intérieur, il a cru trouver son bourgeoise -l'Odéon - ou les maisons
fureux, le plus irrécupérable, Pompes funè- salut dans le théâtre qu'il avait déjà abordé bétomiées de la culture. Dans ce monde qui
bres, les SS, les miliciens et les résistants . à la prison de la Santé avec Haute Surveil- a perdu le goût de la cérémonie, le théâtre
Lorsqu'il est gracié en 1948, il entreprend lance et les Bonnes (1944), sa pièce la plus de Genet, du moins tel qu'on peut le rêver,
une autobiographie héroïsée dont seul paraî- jouée. Le Balcon (1956), les Nègres (1958), n'a guère sa place.
tra le premier tome, Journal du Voleur puis enfin les paravents (1961) ont été Conscient de son échec, Genet se réfugie
(1949). Délivré des contraintes carcérales, accueillis avec ferveur, mais non sans am bi- dans le silence. Il n'en sort que pour défen-
dre les plus rejetés, ceux qui ne trouvent pour
s'exprimer, que la violence :les Black Pan-
thers en Amérique, les Palestiniens, les
immigrés en France et la bande à Baader en
Allemagne. Il intervient sans a priori idéo-
logique, se justifiant par cette phrase superbe
qui a dû en faire sursauter plus d'un : «Ils
ont le droit pour eux, puisque je les aime.»
Jean Genet prônait le droit suprême à
l'injustice.
éléments
tégrer la société. Leur absence d'orgueil ne
les rend plus dignes d'être «les enfants des
anges».
Abel Bonnard ~ ~
tain écho.
«Magie verbale et exploration de l'inté-
rieur sont les deux mots de passe du roman
futur», écrivait Michel Mourlet en 1958.
Presque trente ans plus tard, la trilogie ache-
La marque superbe
du détachement
Gazette littéraire
. - - - - - - - - - - E N EXCLUSIVITÉ DANS LE N° 2 - - - - - - - - - .
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Un événement considérable :
la traduction française intégrale
des «Cantos» d'Ezra Pound.
Et une occasion de s'interroger
sur la portée véritable
d'une œuvre monumentale dont
le caractère encyclopédique mais
aussi dans certains cas, il
faut bien le dire, passablement
difficile, est une défi
permanent aux idées toutes
faites. En invoquant les plus
hautes figures de l'Histoire et
de la tradition, en faisant
des «Cantos» le microcosme total
du destin de l'Occident,
Ezra Pound a fait œuvre non
seulement de constructeur, mais
aussi de prophète : sa poésie,
vécue comme une ascèse,
est en effet un appel déchirant à
une nouvelle Renaissance...
Un géant du siècle
a gloire et la jeunesse du monde, qu'il verbal les figures d'Homère, de Dante, de fluidité impressionniste, ou bien à l'hermé-
L avait découvertes dans le vieux conti-
nent, Ezra Pound ne voulait pas qu'elles fus-
Villon, les troubadours, les condottieri, les
papes de la Renaissance, Eléonore d' Aqui-
tisme mallarméen. Pound, dont on sait
l'importance qu'il attachait aux idéo-
sent passées en vain, et ce poète qui aurait taine, et aussi la Chine de Confucius (can- grammes chinois, s'efforce de présenter des
pu dire : «Magnificat anima mea histo- tos LII à LXI), et aussi les Américains Jef- scènes, des faits concrets, qu'il faut se suc-
riam», entonnait très tôt, non pas certes un ferson et John Adams (cantos LXII à céder de manière abrupte, provoquant des
chant funèbre, mais le plus neuf, le plus LXXI). télescopages déconcertants. C'est ainsi, par
imprévisible des chants incantatoires, où Quelle que soit l'abondance des gloses, des exemple, qu'à peine vient-on de quitter la
l'expression «magie du Verbe» prend tout exégèses (parfois trop subtiles, trop savan- Dogana, à Venise, que tout d'un coup le Cid
son sens. tes), la toute récente publication des Cantos campéador apparaît : Mon Cid s'en vint à
Poète digne du nom, c'est-à-dire homme par Flammarion (la préface est de Denis Burgos.
de pouvoir, et non doux rêveur, et non Roche), incite à s'interroger à propos de cet Le vers est tout simple, sans doute tiré du
décorateur-ensemblier, non artiste pour opus magnum, où beaucoup voient à juste romancero, mais il surgit avec une fraîcheur
l'art, Pound va où l'appelle son devoir de titre une des réalisations majeures d'un siè- sans pareille. Et resurgit l'âge roman. Les
poète : il descend aux enfers, traverse cle au souffle plutôt court. effets de surprise, de dépaysement abondent,
l'Achéron, et de partout, à son chant orphi- dus à une conception de l'image (le vorti-
que, on voit les ombres accourir. Des éclairs, Le refus d'une culture cisme), qui fait d'elle une sorte de centre
soudain, trouent la nuit, et tumultueuse, une domestiquée radio-actif, à l'incorporation inopinée dans
procession que l'on croyait achevée s'ébranle le poème de documents, de chiffres, de bri-
à nouveau . Et sur les tréteaux, la revoici, Exceptionnelle, hors du commun, l'œuvre bes de conversation. On a pu comparer cette
l'humaine tragi-comédie. Mais cette fois, un l'est d'évidence. Elle l'est non pas grâce à technique aux collages cubistes, et ce que
poète est là qui observe. Mieux que cela : qui l' obscurité, précision importante, mais mal- Bernard Dorival écrivait de ces derniers
mène le jeu, projetant sur les événements un gré elle. Cette difficulté, qui est indéniable, s'applique assez bien, il ne faut pas crain-
éclairage intense, partial. Qui officie. Acta mais que peu osent reconnaître, de peur de dre de le dire, à certaines pages des Cantos.
est fabula ? Non, elle recommence. passer pour des béotiens, n'apparente nul- «Le peintre en arrive à créer un monde
Somme poétique, épopée lyrique, légende lement le poème à ces monuments d'inco- étrange, plein de signification pour l'artiste
de la tribu, on a tout dit ou presque des Can- hérence que nous aura laissés le surréalisme. qui sait par quel processus il en est venu à
tos, ce fruit prodigieux d'une existence (ils A aucun moment, ici, l'inconscient ne dicte cette recréation, mais qui ne représente rien
s'étalent sur à peu près un demi-siècle), où sa loi, l'extrême lucidité de Pound, sa vigi- pour le spectateur, étranger à sa démarche.
Ezra Pound, poète plus commenté que vrai- lance, ne se démentant au contraitre jamais. L'univers cubiste a une valeur unilatérale.»
ment lu, confronte dans un immense palais Rien non plus de comparable au flou, à la C'est qu'en littérature, de même que dans 57
le domaine pictural, ce siècle outrancière-
ment bien que nécessairement critique,
n'aura su dresser contre la déliquescence
romantique, les brumes symbolistes, que le
rempart de techniques rapidement ivres
d'elles-mêmes.
Il fallait toute la vigueur poétique de
Pound pour surmonter l'obstacle, pour don-
ner le jour, malgré le recours à des techni-
ques souvent desséchantes, à une œuvre véri-
tablement organique, et, ce qui ne gâte rien,
à maints égards attrayante. Car, hâtons-nous
de le souligner, ces chants déroulent à nos
yeux le plus bigarré, le plus mouvementé des
convois. Tantôt saccadées, crépitantes, tan-
tôt harmonieusement liées, les images fulgu-
rent tout au long du poème, qui unit la net-
teté (dans l'évocation des lieux, des
moments), au vertige (celui que provoque la
brusque juxtaposition des siècles).
Comme exemple de force plastique, ces
vers:
Et nous voici assis
Sous le mur
Arena romana, de Dioclétien, les gradins
Quarante-trois rangées en calcaire.
D'incohérence (pour ce qui est de la
forme), d'inhumanité (pour ce qui est du
contenu), on n'a pas manqué de taxer Ezra
Pound. Il est certain qu'il n'y a pas ici trace
d'humanitarisme, et que le poème, à des
yeux si souvent mouillés de larmes hypocri-
tes, peut sembler sec. Mais vains sont ces
reproches, partisanes ces accusations, aux-
quelles ne pouvait que prêter le flanc ce dis-
sident viscéral qu'était Ezra Pound. Car on
comprend ce qui le rendait suspect. Poète
doté d'un regard d'aigle, il r-efusait de chaus-
ser les besicles universitaires. Avec Nietzs-
che et Lawrence, il refusait une culture qui
n'est que domestication des esprits. D'où
l'émotion, qui est loin d'être apaisée, des
éternels mandarins.
tions, qui fait parler les détracteurs d'étalage blement à une quête, quelque nom qu'on lui cette ivresse naquit un jour le désir de clari-
d'érudition. C'est justement l'abondance des donne, l'Histoire, avec ses fastes et ses écrou- fier, d'ordonner, de composer un auto-
références littéraires et historiques qui ren- lements, avec sa fantastique, sa quasi sur- sacramental pour temps de crise. L'Histoire
dait peut-être nécessaire un index . L'index naturelle dramaturgie, pouvant peut-être s'offrait comme une matière chaotique. Il
existe, qui figurait dans l'édition américaine conduire, si un poète audacieux la pénètre, fallait porter la torche dans ces ténèbres, et
de 1948, et on ne peut ici qu'en regretter à une subite et décisive illumination. Ses cent c'est ce que, fasciné par le grand théâtre du
l'absence. Redisons-le pourtant, le terme tableaux variés, je ne puis m'empêcher de monde, tenta le poète des Cantos. Un tel
érudition ne convient pas aux Cantos. Pound croire qu'ils enivraient le poète, et que de désir de clarté, une telle passion pour les âges
fait sa substance de tout ce qu'illit, de tout
ce qu'il écoute et voit, mettant ce prodigieux
acquis au service d'une vision orgueilleuse-
ment subjective.
De quoi avons-nous parlé
Actualité d'Ezra Pound
De litteris et armis e centenaire de la naissance d'Ezra Pound (30 octobre 1885-1er novembre 1972) a
Praestantibusque ingéniis
Ces vers me réjouissent, sans doute parce
L été l'occasion de différentes publications de ses œuvres en français . Outre les
«Cantos», il convient en effet de mentionner la parution des «Poèmes», dans une
qu'on les dira élitistes, ce qui me permet de traduction de Michèle Pinson, Ghislain Sartoris et Alain Suied, et précédés d'une
rétorquer à l'avance que je ne sais pas célèbre préface de T.S. Eliot (Gallimard, 270 pages, 130 F). Ces poèmes, parallèles
d'humanisme qui ne soit aristocratique. à la gestation des cantos, sont essentiels à la compréhension de la pt;nsée poétique
Pound voulait protéger le langage, il écrivait et philosophique d'Ezra Pound et permettent notamment d'identifier clairement les
ceci, que nous ferions bien de méditer : «Une sources de son art (les troubadours, la poésie anglo-saxonne, la poésie chinoise, les
nation dégénère si son langage s' altère.» Il poètes latins) . Signalons également la réédition de son «Esprit des littératures roma-
voulait transmettre le vaste patrimoine hérité nes», qui demeure l'un des essais littéraires les plus toniques et les plus originaux de
de l'Antiquité, du Moyen Age, et de la ce siècle (Bourgois, 364 pages, 80 F). Sur Ezra Pound, deux opuscules particulière-
Renaissance, «car la tradition culturelle, ment excitants ont enfin été récemment publiés : «Pound Périphériques», un recueil
c'est la beauté qu' on sauvegarde, et non des de commentaires et de textes inédits (Trois Cailloux, 94 pages, 70 F), et surtout «le
chaînes contraignantes» . Peut-être ne Gravier des vies perdues», superbe méditation de Dominique de Roux sur le destin
voulait-il rien de moins que l'anamnésis, les du poète- «représentant du ciel sur la terre» (Le Temps qu ' il fait, 48 pages, 39 F) .
Cantos dans ce cas apparaissant comme un Parmi les éditions plus anciennes, trois ouvrages théoriques d'Ezra Pound sont indis-
gigantesque effort pour recouvrer la pensables à une bonne approche des «Cantos» : «A.B.C. de la lecture» (L'Herne,
mémoire (de ce monde-ci, s'entend, et non 1966), «Au cœur du travail poétique» (L'Herne, 1980) et «le Travail et l'Usure» (L'Age
d'un au-delà platonicien). d ' Homme, 1968), recueil de textes politiques. Sur Ezra Pound, outre l'introuvable
Un mot me vient à l'esprit, que je me ris- «Cahier de l'Herne» édité en 1965 par Dominique de Roux (en deux volumes), on
que à tracer, parce que l'œuvre, tout à coup se reportera avec profit à l'excellent «Ezra Pound» de Laurette Véza (Seghers, 1973),
me le suggère, parce qu'elle me renvoie à ainsi qu'à un beau texte de Kenneth White, «Ruines et lumières d'Ezra Pound», dans
cette autre ascèse qu'est le tantrisme. Les «la Figure du dehors» (Grasset, 1982), qui a le mérite - et le courage - de lier le
temps forts de l' Histoire qui retenaient projet poétique de Pound à son projet politique et de ne pas traiter à la légère de
Pound, ne joueraient-ils pas le rôle des chak- sa tentation fasciste : «Reste (... ) la question de savoir si le désir de Pound , quels
ras ? Ne s'agit-il pas à la fois de combattre que soient les moyens qu'il ait cru avoir trouvés pour le réaliser, ne vaut pas qu'on
l'usure des mots et celle du temps ? Si ambi- y prête attention .»
tieuse est l'entreprise, qu'on pense inévita- 59
classiques ne pouvaient qu'impliquer le refus
d'une société morcelée, dévitalisée, et Pound
RECHERCHES
Rouille l'art l'artiste
Du nazisme au communisme
isparu au mois de mai dernier, Richard Sème régiment d'artillerie. Le procès fait du fait notamment des «réparations» impo-
D Scheringer est assurément l'un des per-
sonnages dont la destinée politique, dans
grand bruit, d'autant que Hitler en personne
figure parmi les témoins (1) !
sées à l'Allemagne par le plan Young . Pour
exploiter le ressentiment répandu dans les
l'Allemagne des années trente, fut la plus milieux les plus divers, une véritable suren-
étonnante. Il était né le 13 septembre 1904 Quand le parti communiste chère oppose les nationaux-socialistes et les
à Aix-la-Chapelle. Fils d'un officier de débauchait les nazis communistes du KPD. Ceux-ci, cherchant à
l'ancienne armée impériale, il choisit lui- rallier les éléments «révolutionnaires» du
même très tôt la carrière des armes. Trop Condamnés à une peine de détention, parti nazi, n'hésitent pas à infléchir quelque
jeune pour participer à la Première Guerre Scheringer et ses amis sont incarcérés à la peu leur propagande. En août 1930, le
mondiale, il se trouve par contre plongé de forteresse de Gollnow, dans Je Mecklem- comité central du PC publie une
plein fouet dans le tourbillon politique qui bourg, où se trouvent aussi un certain nom- Déclaration-programme pour la libération
saisit son pays au lendemain des hostilités. bre d'intellectuels et de militants du parti nationale et sociale du peuple allemand qui
Comme beaucoup d'Allemands qui n'accep- communiste (KPD). Entre les détenus, Je correspond à une indéniable ouverture en
tent pas l'humiliation du traité de Versail- contact s'établit rapidement. Il a des effets direction de la droite et de l'extrême droite
les, il fréquente les milieux nationalistes. En inattendus. Peu à peu convaincu de la jus- révolutionnaire. Il se crée même, au sein du
1923, il participe au putsch de Küstrin. Quel- tesse des vues du KPD, Scheringer décide de KPD, une fraction «nationale» dirigée par
ques mois plus tard, il entre dans la Reichs- rompre avec la NSDAP . Le 19 mars 1931, Heinz Neumann. C'est dans ce contexte que
wehr. Il a tout juste vingt ans. le député communiste Kippenberger fait sen- naît la troisième (et dernière) vague de
En 1930, Je nom de Richard Scheringer, sation au Reichstag en lisant Je texte d'une «national-bolchevisme» qui toucha l'Alle-
qui est alors lieutenant, devient brusquement longue lettre du lieutenant Scheringer, vingt- magne sous Weimar et reçut, de façon très
célèbre dans toute l'Allemagne. Devenu six ans, dans laquelle celui-ci déclare avoir significative, le nom de Scheringer-Kurs
membre du parti nazi, Scheringer est en rallié le «front du prolétariat» et accuse Je («tendance Scheringer»).
effet, avec Hans Ludin et Hans Friedrich mouvement hitlérien d'avoir trahi l'intérêt Le ralliement de Richard Scheringer au
Wendt, le principal accusé du fameux «pro- national. KPD fut alors considéré comme un événe-
cès de la Reichswehr>>, qui s'ouvre en sep- On est alors en pleine crise économique, ment. Peu après, le Secours rouge devait
tembre 1930 devant le tribunal du Reich de d'ailleurs éditer une brochure à la gloire du
Leipzig. Les trois hommes sont jugés pour (1) Cf Peter Bucher, «Der Reichswehrpro- converti (Scheringer. Der Weg eines Kiimp-
«subversion nationale-socialiste». Scherin- zess. Der Hochverrat der V/mer Reichsweh- fers, Tribunal, Berlin). Etle22juillet 1931,
ger est accusé d'avoir créé une cellule de la roffiziere, 1929-1930», Harald Boldt, Bop- la Rote Fahne, organe du parti communiste,
NSDAP dans la garnison d'Ulm, au sein du pard, 1967. publiait un appel signé par treize anciens 61
officiers ou cadres nationalistes invitant leurs frère de l'écrivain Ernst von Salomon ; Bodo Certains auteurs, comme Margarete Buber-
camarades à suivre !'«exemple du lieutenant Uhse (1904-1963), ancien membre de la Neumann, affirment que ce journal était
Scheringer» . NSDAP, actif également dans le Mouvement contrôlé en sous-main par les communistes.
Parmi ceux qui, suivant cet exemple, vont paysan (Landvolkbewegung), qui émigrera A côté des marxistes de stricte obédience, on
adhérer au KPD se trouvent l'écrivain Lud- en 1933 (2) et s'installera en RDA après y lisait quand même des textes dont les
wig Renn (Arnold Vieth von Gosselnau), 1945 ; et le capitaine Beppo Rômer, fonda- auteurs n'appartenaient pas au KPD. En
officier pendant la Grande Guerre, rallié teur à Munich en 1919 de l'organisation juin 1932, la direction du journal sera prise
ensuite à l'antimilitarisme (Guerre, 1928), révolutionnaire «Eiserne Faust», devenu par par Beppo Rômer. Le dc;:rnier numéro sor-
qui combattra en 1936 aux côtés des répu- la suite l'un des chefs du corps-franc Ober- tira en janvier 1933 .
blicains durant la guerre d'Espagne ; le land, puis membre du parti nazi. Scheringer publie aussi quelques articles
comte Alexander Stenbock-Fermor (1902- Parallèlement est lancée la revue Auf- dans la petite revue de Karl-Otto Paetel, Die
1972), ancien combattant du Baltikum ; bruch, qui se définit comme «feuille de com- sozialistische Nation, lancée en janvier 1931,
l'ancien chef paysan Bruno von Salomon, bat dans le sens du lieutenant Scheringer». qui prône une alliance entre les communis-
tes et les nationaux-révolutionnaires et fera
voter en 1932 pour Thiilmann. L'état
d'esprit de ce groupe «nationaliste social-
révolutionnaire» est bien exprimé par les ter-
mes qui permettent, dans le premier numéro
POUR CONSERVER de la revue, à A. Grosse de définir le mot
«national-bolchevisme» : «Par ce mot, nous
(3) «Stratégie communiste et dynamique Guen Versalller Srstem und lmperlallstlidle UnterdrlltkU1111
conservatrice. Essai sur les différents sens de FOr die nationale und tolialeBetreiung derWetktltlgen Dtutublanch
fDr die Verteldlgung der Sowletunlon
l'expression 'national-bolche.v isme' en A lle-
magne, sous la République de Weimar !ll!!fllll<
(1919-1933)», Honoré Champion, 1976, 20
11!1111
pp. 568-569. 63
Comm ission Paritaire : 55.29 1 - Dépôt légal Je trimestre 1986
FLASH
SE.R VICES
32, Rue des Blancs Manteaux
75004 PARIS