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Sous la direction de Luciano Paolozzi et Jean-Claude Liébart

Matthieu Arlat, Michel Dion, Harivony Rakotoarivonina

Introduction
à la microbiologie
Microbiologie fondamentale et appliquée
Illustration de couverture : © newannyart – istockphoto.com

© Dunod, 2019
11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-080016-2
À la nouvelle génération : Emma, Jacopo et Elisabetta

À Sarah
Les auteurs
Ouvrage réalisé sous la direction de :
Luciano Paolozzi, professeur honoraire de génétique (université Tor Vergata, Rome),
qui enseignait la génétique bactérienne et la microbiologie (Chapitres 1, 3, 4, 5, 6 et 8).
Jean-Claude Liebart, professeur honoraire (UPMC, Paris), qui enseignait la génétique
bactérienne et la microbiologie (Chapitres 1, 3, 4, 5, 6 et 8).

Avec la contribution, par ordre alphabétique, de :


Matthieu Arlat, professeur (université Paul-Sabatier, Toulouse), qui enseigne la micro-
biologie à la faculté des Sciences et Ingénierie (Chapitre 7).
Michel Dion, professeur (université de Nantes), qui enseigne la microbiologie à la faculté
des Sciences et Techniques (Chapitre 9).
Harivony Rakotoarivonina, maître de conférences (université de Reims Champagne
Ardennes), qui enseigne la microbiologie à la faculté des Sciences Exactes et Naturelles
(Chapitre 2).

Relecteurs
Pascal Le Bourgeois, professeur, université Paul-Sabatier, Toulouse
Pascal Combemorel, professeur, ENS, Paris
Anne Decoster, professeur, université catholique de Lille
Audrey Esclatine, professeur, université Paris-Sud
Gilles Etienne, maître de conférences, IPBS, université Paul-Sabatier, Toulouse
Michel Fons, professeur, université d’Aix-Marseille
Claire Geslin, maître de conférences, université de Bretagne occidentale, Brest
Patrizia Ghelardini, responsable de recherche, IBMM-CNR, Rome
Amel Guyonvarch, professeur, université Paris-Sud
Jean-Marie Lacroix, professeur, université Lille 1
Gaétan Le Floch, professeur, IUT, université de Bretagne occidentale, Brest
Philippe Rousseau, maître de conférences, université Paul-Sabatier, Toulouse
Philippe Silar, professeur, université Paris-Diderot
Philippe Urban, chargé de recherche, LISPB-CNRS, Toulouse
IV
Table des matières
Les auteurs IV

Avant-propos et guide d’emploi X

Remerciements XI

Et pour en savoir plus… Les + en ligne XII

1 Micro-organismes 1

1. Un monde à découvrir 1
1.1 Les micro-organismes et la vie sur Terre 1
1.2 Formes, dimensions, unicellularité, physiologie 2

2. Taxinomie des micro-organismes 4


2.1 Spécificité de la classification des micro-organismes 5
2.2 Critères d’identification 5
2.3 Procédures d’identification 6
2.4 Classification 9
2.5 Les micro-organismes dans l’arbre universel du vivant 11

3. La cellule procaryote 14
3.1 L’enveloppe 14
3.2 Structure intracellulaire 20
3.3 Quelques éléments de réflexion 22

4. La cellule des micro-organismes eucaryotes 23


4.1 Principales structures intracellulaires 23
4.2 Le génome et son expression 25

5. Quelques protistes modèles 26


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5.1 Des protozoaires 27


5.2 Des micro-algues 33
5.3 Les champignons 36
Entraînez-vous 40

2 Microbiologie environnementale 41

1. Les écosystèmes naturels 41


1.1 Périodes de carence, stress et survie 42
1.2 Stratégies trophiques : oligotrophie vs copiotrophie 43
1.3 Organisation des fonctions trophiques en réseaux 43

V
Table des matières

2. Fluctuations des communautés microbiennes 46


2.1 Les facteurs abiotiques 46
2.2 Les interactions biotiques 49
2.3 Résistance et résilience 51
2.4 Formation de biofilms 52

3. Comprendre la diversité microbienne 53

4. Quelques écosystèmes – Applications 56


4.1 Symbioses nutritionnelles dans les tubes digestifs 56
4.2 Écosystèmes du sol – Cycles biogéochimiques 58
4.3 Communautés microbiennes et dépollution 61
4.4 Antibiotiques et résistances 63
Entraînez-vous 67

3 Physiologie microbienne : métabolisme,


croissance, division 68

1. Les systèmes d’échanges cellule/milieu 68


1.1 Les familles de transporteurs 69
1.2 Les systèmes de sécrétion 70

2. Métabolisme énergétique 71
2.1 La chimio-organotrophie 73
2.2 La chimio-lithotrophie 73
2.3 La phototrophie 74

3. Croissance d’une population microbienne – Le modèle E. coli 74


3.1 La croissance, reflet de l’état physiologique 76
3.2 Effets des facteurs externes 78

4. La reproduction, ou division, ou cytokinèse 79


4.1 Division binaire symétrique : Escherichia coli 80
4.2 Division asymétrique et différenciation 83
4.3 Division multiple 86
4.4 Les systèmes de division des Archées 87
4.5 Division sans FtsZ 87
Entraînez-vous 90

4 Génomes : structure et réplication chez les procaryotes 91

1. Le nucléoïde : structure physique et topologie 91


1.1 Propriétés mécaniques de l’ADN 92

VI
Table des matières

1.2 Structure et malléabilité spatio-temporelle du chromosome 94


1.3 Les protéines SMC et NAP, des « architectes » 94
1.4 Organisation des génomes 95

2. L’ADN accessoire : son rôle adaptatif 98


2.1 Les plasmides 98
2.2 Les éléments génétiques mobiles (EGM) 100
2.3 Autres ADN accessoires 102

3. Réplication 103
3.1 Les étapes de la réplication 104
3.2 Modèles particuliers de réplication 109
Entraînez-vous 112

5 Variabilité génétique : potentialités et limites 113

1. Mutations et mutants 113


1.1 Les mutations spontanées 114
1.2 Les mutations induites 119
1.3 Apparition/détection des mutations 120

2. TGH chez les procaryotes 121


2.1 La transformation naturelle 121
2.2 La transduction 123
2.3 La conjugaison 123
2.4 Autres systèmes de transfert de gènes 125

3. Réparation de l’ADN 125


3.1 Les principaux systèmes de réparation 126
3.2 Blocage des fourches de réplication et recombinaison 128

4. Variabilité/anti-variabilité 129
4.1 Les systèmes anti-variabilité 129
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4.2 Les stratégies anti-barrières 131


Entraînez-vous 133

6 Expression génique et adaptation 134

1. Expression génique chez les procaryotes 134


1.1 La transcription chez les Bactéries 134
1.2 La traduction chez les Bactéries 138
1.3 Transcription et traduction chez les Archées 140

VII
Table des matières

2. Régulation de l’expression génique 141


2.1 Régulation du démarrage de la transcription 141
2.2 Autres niveaux de régulation 145
2.3 Le contrôle épigénétique 147

3. Régulation via des transmetteurs de signal 149


3.1 Détection et transmission du signal 149
3.2 Le chimiotactisme chez E. coli et Salmonella typhimurium 151
3.3 La sporulation chez Bacillus subtilis 151

4. Communications intercellulaires 153


4.1 Quorum sensing 153
4.2 Les biofilms : conditions de mise en place 157
Entraînez-vous 160

7 Interactions Bactéries/hôtes 161

1. Le mutualisme 161
1.1 Mutualisme et nutrition 161
1.2 Mutualismes non trophiques 167

2. Le commensalisme 169
2.1 Le microbiote humain 170
2.2 Le microbiote végétal 173
2.3 Algues rouges, makis et évolution du microbiote humain 174

3. Le parasitisme 175
3.1 Les épidémies – Conséquences sociétales et étiologie 175
3.2 Réservoirs, transmission et cycles infectieux 177
3.3 Adhérence/entrée dans les cellules hôtes 182
3.4 Contournement des défenses 183
3.5 Évolution du pouvoir pathogène 189
Entraînez-vous 192

8 Notions de virologie 193

1. Présentation et classification 193

2. Structure 195
2.1 Les capsides 195
2.2 Génomes 199

VIII
Table des matières

3. Phases du développement 201


3.1 Adsorption 201
3.2 Phase endocellulaire (dite d’éclipse) 202

4. Quelques virus typiques 204


4.1 Groupe I 204
4.2 Groupe II - Les phages ΦX174 et M13 210
4.3 Groupe III - Le phage Φ6 211
4.4 Groupe IV - Les phages MS2 et Qβ 212
4.5 Les phytovirus 213
Entraînez-vous 216

9 Biotechnologies microbiennes 217

1. Des procédés classiques à l’ingénierie 217


1.1 Ingénierie génétique : production d’acides aminés 218
1.2 Ingénierie métabolique : crise énergétique et biocarburants 221

2. Santé humaine et ingénierie métabolique 227


2.1 Vers de nouveaux antibiotiques : iChip et métagénomique 228
2.2 Oligosaccharides, un challenge d’ingénierie 230
2.3 Le mévalonate/DMAPP, un précurseur à large spectre 232
2.4 De l’hydrocortisone grâce à la levure 236
2.5 Production d’opiacés : collaboration E. coli - S. cerevisiæ 238

3. Des approches innovantes 241


Entraînez-vous 246

Bibliographie (ouvrages didactiques


et articles à caractère non spécialisé) 247
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Index 249

IX
Avant-propos et guide d’emploi
Cet ouvrage constitue une introduction à la microbiologie, l’étude des espèces générale-
ment unicellulaires et microscopiques. L’univers microbien est un ensemble extrêmement
hétérogène, encore plus diversifié que le monde qui nous est familier. Occupant toutes
les niches écologiques de notre planète, les micro-organismes sont des agents indis-
pensables de l’équilibre de l’ensemble des écosystèmes. Ils comprennent deux grandes
catégories : les protistes, eucaryotes (structure cellulaire semblable à celle des organismes
pluricellulaires), et les procaryotes (structure cellulaire plus simple). Leurs modes de vie
sont très diversifiés, libres ou en association avec d’autres organismes, parfois néfastes
s’il s’agit d’espèces pathogènes, et capables d’entretenir des « dialogues moléculaires »
inter-organismes. Ce monde microbien est doublé du monde des virus, entités de tailles
encore plus réduites et probablement au moins aussi nombreux, intermédiaires entre
monde « vivant » et monde « chimique ». Parasites obligatoires d’organismes de toutes
catégories, ils constituent un maillon important de la diversification et de l’évolution
des organismes qu’ils infectent. C’est à l’étude des micro-organismes, qui n’a réellement
commencé qu’il y a deux à trois siècles, que nous devons une grande partie des connais-
sances actuelles au niveau moléculaire en physiologie, génétique, etc. du monde vivant.
Cela a permis, entre autres, la mise au point de méthodes de lutte contre des maladies
infectieuses ou l’utilisation de micro-organismes dans des productions industrielles.
Nous vous conseillons, avant de vous plonger dans ce manuel, de commencer par la
lecture de la fiche Introduction « Le monde inattendu des micro-organismes » (dispo-
nible sur le site web de l’ouvrage, voir plus loin), qui donne quelques clefs de l’histoire
et du développement de la microbiologie.
En accord avec la nomenclature actuelle, les noms de genres sont écrits en italique
avec une majuscule initiale, et les noms d’espèces en italique et tout en minuscules ;
les noms des trois domaines actuellement reconnus, incluant chacun des micro-
organismes, sont écrits avec une majuscule initiale : Bactéries, Archées et Eucaryotes.
En revanche les termes « protiste » et « procaryote », qui désignent des regroupements
pratiques mais non phylogénétiques, sont écrits tout en minuscules.
Le signe $ en exposant indique une incitation à consulter l’Annexe méthodologique
(sur le site web de l’ouvrage).
Bonne lecture !

X
Remerciements
Cet ouvrage de microbiologie fondamentale et appliquée est le fruit d’une harmonieuse
collaboration avec plusieurs partenaires et collègues, à qui nous tenons à exprimer toute
notre gratitude :
– Mme Laetitia Hérin (Dunod), pour la confiance qu’elle nous a accordée en nous pro-
posant de réaliser ce nouvel ouvrage et pour ses nombreux conseils, qui ont permis
d’assurer l’adéquation des textes aux exigences des étudiants auxquels il s’adresse ;
– nos collègues co-auteurs, bien sûr ;
– nos collègues relecteurs, qui ont contribué à la clarté et à la rigueur scientifiques des
textes ;
– Mme Françoise Joset, professeur honoraire, université d’Aix-Marseille, à qui nous
adressons un remerciement particulier pour avoir mis à notre disposition son
expérience d’enseignante et de scientifique, qui s’est traduite en riches suggestions,
analyses critiques et remaniements des textes, suivis de méticuleuses révisions.
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XI
Et pour en savoir plus…
Les + en ligne
Sur la page associée à l’ouvrage sur le site dunod.com, sont disponibles des fiches et
vidéos formant des compléments à certains chapitres, essentiellement les chapitres à
caractère général ; l’approfondissement des domaines plus spécifiques sera traité en
master.

Fiches d’intérêt général


Fiche Introduction : Le monde inattendu des micro-organismes
Fiche A : Annexe méthodologique
Fiche B1 : Liste des organismes et virus cités dans les chapitres et les fiches
Fiche B2 : Principales Bactéries responsables de maladies infectieuses chez l’Homme
et chez certaines plantes.

Fiches spécifiques
Chapitre 1
Fiche 1.1 : Distribution des procaryotes dans la nature
Fiche 1.2 : La classification des organismes vivants – Historique – Ses limites pour les
procaryotes
Fiche 1.3 : La coloration de Gram
Fiche 1.4 : L’identification de Bactéries pathogènes humaines : à chacun sa méthode
Fiche 1.5 : Clé dichotomique d’identification – Cas d’une Bactérie coque à Gram+
Fiche 1.6 : Le manuel Bergey, référence de la systématique des procaryotes
Fiche 1.7 : Structures péri- et trans-enveloppes des procaryotes – Leurs fonctions
Fiche 1.8 : Organites de procaryotes
Fiche 1.9 : L’avantage d’être petit – Rapport dimension/structure d’une cellule
Fiche 1.10 : Chromatine et transcription chez les cellules eucaryotes

Chapitre 2
Fiche 2.1 : Les micro-organismes rares
Fiche 2.2 : Expressions mathémathiques de la diversité microbienne
Fiche 2.3 : Fractionnement des parois végétales et bioraffinerie
XII
Et pour en savoir plus… Les + en ligne

Chapitre 3
Fiche 3.1 : Colonies microbiennes
Fiche 3.2 : La protéine FtsZ
Fiche 3.3 : Les Bactéries non cultivables
Fiche 3.4 : BALO, un monde à exploiter
Fiche 3.5 : Les Streptomycètes, une mine d’applications
Fiche 3.6 : À la recherche d’un mécanisme primitif de prolifération cellulaire

Chapitre 5
Fiche 5.1 : Transferts génétiques horizontaux en conditions naturelles
Fiche 5.2 : Découverte de la conjugaison
Fiche 5.3 : Fonctions et devenirs du plasmide F d’E. coli
Fiche 5.4 : Identification des protéines Uvr chez E. coli
Fiche 5.5 : Hémiméthylation et correction par MMR
Fiche 5.6 : CRISPR, immunité bactérienne acquise ; instrument de génomique ; ses
applications

Chapitre 6
Fiche 6.1 : Nucléotides non canoniques des ARNt – Leurs rôles
Fiche 6.2 : Variation de phase chez la souche pathogène E. coli UPEC
Fiche 6.3 : Variabilité des fréquences d’initiation de transcription
Fiche 6.4 : Fonctionnement du mouvement flagellaire

Chapitre 7
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Fiche 7.1 : Les systèmes de sécrétion de types IV et VI


Fiche 7.2 : Les adhésines des Yersinia pathogènes pour l’Homme
Fiche 7.3 : Quelques épidémies et pandémies en Europe depuis le Moyen Âge
Fiche 7.4 : Les toxines bactériennes

Chapitre 8
Fiche 8.1 : Décision lyse/lysogénie chez le bactériophage λ
Fiche 8.2 : Encapsidation de l’ADN du bactériophage T4

XIII
Et pour en savoir plus… Les + en ligne

Fiche 8.3 : Injection et transcription séquentielles du génome chez le bactériophage T7


Fiche 8.4 : Le virus de l’hépatite B (VHB)
Fiche 8.5 : Les virus de la grippe

Vidéos
Chapitre 1
Vi 1.1 : L’antibiogramme

Chapitre 3
Vi 3.1 : Isolement de cultures pures
Vi 3.2 : Détermination de la concentration cellulaire
Vi 3.3 : La technique des répliques

Chapitre 8
V 8.1 : Le nombre d’unités virales formant plages de lyse

XIV
Chapitre 1 Micro-organismes

Introduction

La cellule, unité de base de tout organisme vivant, est constituée d’une structure (mem-
brane et éventuellement enveloppe) contrôlant son interaction avec l’environnement et
enserrant le cytoplasme, siège de l’ensemble des réactions nécessaires à la «  vie  ». Ce
cytoplasme contient des milliers de constituants, dont des macromolécules (majoritaire-
ment protéines et acides ribonucléiques) organisées en structures fonctionnelles, et le
génome, « tableau de commande » du fonctionnement et de la reproduction de la cel-
lule. Cet archétype universel montre cependant des spécificités de contenus, structures
et fonctions propres à la nature eucaryote ou procaryote et aux espèces des organismes.

Objectifs Plan
Définir les notions de procaryotes, 1 Un monde à découvrir
eucaryotes, unicellularité 2 Taxinomie des
Connaître la structure et l’organisation, les micro-organismes
différences entre les cellules procaryotes et 3 La cellule procaryote
eucaryotes 4 La cellule des micro-organismes
Identifier les principaux constituants eucaryotes
cellulaires et leurs fonctions chez les 5 Quelques protistes modèles
Bactéries et les Archées
Expliquer comment les micro-organismes ont
développé leur capacité adaptative à une
très large gamme d’environnements

1 Un monde à découvrir
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1.1 Les micro-organismes et la vie sur Terre


Les cellules des millions d’espèces vivantes, tant multi- qu’unicellulaires, sont construites
selon deux modèles : eucaryote et procaryote. À ces deux types correspondent les orga-
nismes que nous sommes habitués à côtoyer (plantes, animaux), mais aussi l’énorme
et riche monde invisible des micro-organismes, un ensemble très hétérogène tant sur
le plan morphologique que physiologique, dont l’unité est leur nature majoritaire-
ment unicellulaire. Il peut être défini en deux ensembles : les protistes, appartenant au
domaine des Eucaryotes et subdivisés en plusieurs sous-ensembles (pour simplifier : les

1
Introduction à la microbiologie

protozoaires, les micro-algues et les champignons, voir § 5), et les procaryotes, incluant
deux domaines : les Bactéries et les Archées (voir § 2). Le monde microbien colonise
une énorme variété de niches écologiques (voir Chapitre 2). Cette présence ubiquitaire
résulte d’une longue histoire évolutive qui lui a permis de s’adapter à une vaste gamme
de conditions physiques (températures, pH, pression hydrostatique, jusque dans les
profondeurs océaniques) et chimiques (nature des nutriments et des sources d’énergie)
(voir Chapitre 3) et a contribué à sa diversification. Cette diversité est fondamentale pour
la vie sur la planète, ces organismes assurant l’équilibre des cycles biogéochimiques,
et ainsi le fonctionnement des écosystèmes. Ils constituent les premiers maillons de
la chaîne alimentaire de l’écosystème marin. On estime qu’une molécule sur deux du
dioxygène (O2) que nous consommons par respiration est produite par des micro-algues
marines. Les procaryotes et les champignons sont les principaux agents de recyclage de
la matière organique morte.
Les modes de vie des micro-organismes sont soit sous forme libre, soit, assez
fréquemment, en association – obligatoire ou non – avec d’autres organismes (inter-
procaryotes ou avec des protistes, des plantes ou des animaux) (voir Chapitres 2, 6
et 7). L’association est très souvent bénéfique, sinon indispensable, pour l’hôte (tel le
microbiote de l’Homme) ; elle peut inversement lui être néfaste, comme c’est le cas
d’une centaine d’espèces pathogènes, qui ne représentent cependant qu’une minorité des
Bactéries connues, aucune Archée, et quelques protistes dont une vingtaine infectant
l’Homme (certaines Amibes, les Trypanosomes). La seule malaria, causée par le proto-
zoaire Plasmodium, a été responsable en 2016 de 216 millions de cas, dont 429 000 décès
(données de l’OMS).
Seul un très petit nombre d’espèces, voire de souches, a été étudié, tant protistes que
procaryotes, en raison soit de caractéristiques plus favorables à leur étude en laboratoire
(cultivabilité, vitesse de croissance, possibilités d’approche génétique), soit d’un intérêt
médical et/ou appliqué (voir Chapitres 2, 7 et 9). Le nombre d’espèces répertoriées est
une minorité par rapport à celles estimées : moins de 1 % pour les procaryotes et, parmi
les protistes, moins de 10 % pour les seuls protozoaires (sans doute une surestimation
pour l’ensemble des protistes).

1.2 Formes, dimensions, unicellularité, physiologie


La forme et la taille des cellules sont des caractéristiques génétiquement déterminées
résultant d’un processus évolutif et adaptatif important. La forme dicte en effet les inte-
ractions entre la cellule et son environnement, les dimensions celles de sa structure
interne. Tout comme chez les autres organismes, les caractéristiques morphologiques
constituent des critères préliminaires pour l’identification des micro-organismes (§ 2).
L’unicellularité est assez générale dans le monde microbien, mais de nombreuses espèces
ont développé diverses formes allant de la simple association de cellules composant une
colonie jusqu’à la pluricellularité.

2
Chapitre 1 • Micro-organismes

Les morphologies des protistes peuvent être irrégulières (Amibe, voir Figure 1.7)
ou présenter des formes géométriques simples – sphères, cubes, prismes, ovoïdes
(Saccharomyces, voir Figure 1.4B) – ou complexes (Paramécie ou Trypanosome, voir
Figures 1.8 et 1.9), avec parfois des appendices : cils (Paramécie), flagelles (Trypa-
nosome, Euglène, voir Figures 1.9 et 1.11), etc. Les morphologies des procaryotes,
Bactéries et Archées, sont généralement plus simples, quoique très variées (voir
Figure 1.1A), les Archées ajoutant d’autres morphologies (cubes, lobes, tétraèdres,
longs filaments non segmentés). Des structures de surface sont souvent présentes
chez les membres des deux groupes (§ 3.1). Des changements de conditions physiques
et/ou nutritionnelles, qui influent sur les capacités de croissance, sont souvent initia-
teurs de changements morphologiques. Ainsi la Bactérie Escherichia coli présente des
cellules individuelles en bâtonnet en condition de croissance rapide, mais forme des
filaments multicellulaires en conditions nutritionnelles limitatives ou inhibitrices de
la division. Un dimorphisme lié au cycle de reproduction est observé chez quelques
espèces (voir Chapitre 3). De nombreuses espèces se mettent en vie quiescente avec
différenciation en spores, une forme de résistance, tant que persistent des conditions
environnementales peu favorables à leur croissance (voir Chapitres 3 et 6). Chez
certaines bactéries pathogènes intervient une cascade de variations morphologiques
suivant les stades de l’infection, liée à leur capacité d’envahissement de l’hôte et/ou de
résistance à sa contre-attaque (voir Chapitre 7). Les espèces cultivables en laboratoire,
reproduites sur milieu nutritif solide (en boîte de Pétri$) forment des colonies consis-
tant en amas de cellules (environ 10 8) d’un diamètre de l’ordre du millimètre (voir
Figures 1.1B, C et D). Chaque colonie est une population clonale, issue d’une cellule
unique, dont la forme, l’aspect, la pigmentation éventuelle sont aussi des caractères
distinctifs (§ 2.3).
Les dimensions des micro-organismes se mesurent généralement en microns.
Chez les protistes elles varient entre 10 et 100  µm (quelquefois plus) et sont très
supérieures à celles des procaryotes (de 1 à 10 µm pour la plupart des Bactéries, et
généralement inférieures au micron pour les Archées). Parmi les exceptions connues
citons les Mégabactéries, ou Bactéries géantes, dont les dimensions varient entre 50
et 750 µm (telle Epulopiscium fishelsoni, de 80 µm de diamètre et 700 µm de long,
visible à l’œil nu) et, à l’opposé, les Ultramicrobactéries, avec des diamètres inférieurs
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

à 0,2-0,3 µm. Dans leur ensemble, les volumes des cellules procaryotes couvrent ainsi
huit ordres de grandeur (< 0,01 à 2,106 µm3) ; pour comparaison ces valeurs sont de
30-40 µm3 pour le protiste Saccharomyces cerevisiæ, et de 2 000-4 000 µm3 pour une
cellule de mammifère.
À la diversité morphologique des micro-organismes s’associe une diversité physio-
logique concernant les systèmes d’exploitation de l’énergie, la nature des nutriments
(voir Chapitres 2 et 3), les modes de reproduction (voir Chapitre 3), tant sexuée que par
multiplication végétative, ainsi que de nombreuses autres caractéristiques tels les modes
de locomotion (voir Chapitre 6) et les relations intercellulaires (voir Chapitres 2, 6 et 7).

3
Introduction à la microbiologie

A
Streptococcus
pneumoniae
Streptococcus Neisseria Corynebacterium
Staphylococcus pyogenes gonorrhoeae diphteriae
aureus

Bacillus
cereus Escherichia Vibrio
coli cholerae

Klebsiella Helicobacter Clostridium Clostridium C


pneumoniae pylori tetani botulinum

B Forme Marge Caractéristique


des colonies des colonies de la surface
D
Punctiforme
Lisse En bouclette Lisse

Ronde

Ondulée Lobée
Concentrique
Filamenteuse

Lobée Filamenteuse Contournée

Figure 1.1 – Morphologies de cellules et de colonies de Bactéries


A. Schémas de cellules, agrandies environ 104  fois. Les noms peuvent renvoyer à
la couleur (aureus, jaune or), ou à la forme des cellules : bacille (bâtonnet, régulier
ou courbé), coque (sphère, plus ou moins régulière), strepto- (chapelet de sphères,
streptos : surenroulée), Sarcina (en paquets), Thermodiscus (en disque), Helicobacter
(en hélice), spirales, cônes, rectangles, étoiles, etc. Certaines cellules sont pédon-
culées, en filaments (ramifiés ou simples, plus ou moins longs), associées par paires
(diplocoque, deux sphères associées) ou en petit nombre, formant des cubes régu-
liers, des grappes (staphylo). B. Détails de contours de colonies. C. Colonies bacté-
riennes sur milieux nutritifs solides (réduction de moitié environ). D. Colonies d’E. coli
(réduction de moitié environ).

2 Taxinomie des micro-organismes


La taxinomie a pour but de décrire et nommer les organismes, et la systématique de les
classer et d’en rechercher les relations phylogénétiques. La taxinomie actuelle définit
hiérarchiquement domaine, règne, division, classe, ordre, famille, genre et espèce. Pour
les organismes dont on dispose de fossiles, les critères d’identification se fondent sur les
données de la paléontologie et de la cladistique (ou cladisme), qui permettent d’établir

4
Chapitre 1 • Micro-organismes

une chronologie de l’histoire évolutive et des relations de parenté entre organismes à


partir d’un ancêtre commun. Cela conduit à la construction d’arbres. Ces classifications
sont continuellement remaniées au fur et à mesure de l’acquisition de données liées
au développement des technologies ou à la découverte de nouveaux organismes. La
nomenclature est classiquement binominale pour les protistes et les procaryotes : Genre
(Majuscule italique) espèce (minuscule italique) souche (plus libre) : Trypanosoma brucei
gambiense ; Escherichia coli B.

2.1 Spécificité de la classification des micro-organismes


La nécessité d’une définition rationnelle et donc d’une classification des micro-organismes,
outre son intérêt scientifique, a été liée aux découvertes du rôle de certains d’entre eux dans
les maladies infectieuses et la détérioration des denrées alimentaires, et à leur utilisation
dans la production d’aliments et boissons par fermentation de produits naturels. Jusque
vers le début du xxe siècle le monde vivant a été divisé en animaux et végétaux, les micro-
organismes étant assignés à l’un ou l’autre groupe (protozoaires, protophytes). La première
modification a consisté en la séparation des champignons en un groupe distinct, fondé
sur les différences chimiques majeures de leur enveloppe cellulaire (§ 4 et 5). Les « bacté-
ries » ont été également identifiées comme un groupe à part sur la base de leur très petite
taille, de la spécificité de leur paroi ainsi que de l’absence de membrane nucléaire (§ 3).
La classification du monde vivant reconnaissait alors cinq domaines : Animaux, Plantes,
Champignons, Protistes et Bactéries (R.H. Wittaker, 1959). Rappelons que les Archées
n’ont été identifiées comme telles que plus tardivement (1967) (§ 2 et 3). Ultérieurement,
les observations en microscopies optique et électronique ont conduit à la définition de
deux groupes cellulaires, Eucaryotes et Procaryotes, amenant à une classification binaire
(R.Y. Stanier & C.B. Van Niel, 1962), positionnant les Procaryotes à la base de l’arbre
universel sur le critère que ce sont eux qui auraient donné naissance aux Eucaryotes.

2.2 Critères d’identification


Si les principes théoriques de la taxinomie sont les mêmes que pour les autres êtres
vivants, plusieurs difficultés apparaissent dans leur application aux micro-organismes
en général, et plus particulièrement aux procaryotes. Il en est ainsi de la difficulté à
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

définir la notion d’espèce chez ces organismes. En effet cette notion, définie comme
une population dont les individus peuvent naturellement se croiser et produire une
descendance fertile, n’est pas applicable chez des organismes à reproduction asexuée
(voir Chapitres  3 et 5). Leur structure unicellulaire limite l’utilisation des critères
morphologiques. Enfin, les caractères physiologiques sont peu discriminatifs. Certains
peuvent en effet être partagés par des espèces phylogénétiquement distantes (par un
mécanisme de convergence) ou au contraire absents chez des espèces proches (méca-
nisme de régression) (§ 2.5). L’identification d’un procaryote et son classement dans
un taxon ont largement progressé grâce à la disponibilité de méthodes moléculaires$.
Le concept d’espèce selon ces méthodes a dorénavant été défini par le niveau d’identité

5
Introduction à la microbiologie

de séquence (la capacité d’hybridation ADN-ADN) de leur ADN total ou, par défaut,
de leurs gènes ribosomaux. Une espèce sera le regroupement de souches présentant un
degré de similarité d’au moins 70 % pour leur ADN, ou 97 % pour les gènes ribosomaux,
associé à un ensemble de propriétés physiologiques communes qui les différencient des
souches d’une autre espèce. Il existe toutefois des exceptions à cette règle.
Jusqu’à la fin des années 1960 les Archées étaient considérées comme des Bactéries
particulières (d’où le nom d’Archébactéries). Peu distinguables morphologiquement des
Bactéries « vraies », ces organismes étaient groupés en considération de leur habitat ou
d’une particularité métabolique : halophiles, thermophiles, méthanogènes. Ces déter-
minations, cependant, regroupaient aussi des procaryotes strictement définis comme
des Bactéries. Ce ne sera que quelques années plus tard, grâce à l’approche moléculaire,
qu’il deviendra possible, et nécessaire, de séparer ces organismes des Bactéries pour les
classer dans un domaine propre (voir Figure 1.3).

2.3 Procédures d’identification


L’identification des micro-organismes procède selon les principes classiques de compa-
raison à d’autres organismes connus pour définir ressemblances et différences. Des clefs
de classification définissent les caractères importants qu’il faut examiner dans ce but.
Il existe essentiellement deux modalités d’identification, fondées pour la plus ancienne
sur des critères phénotypiques et pour la plus récente sur des critères moléculaires.
Cette dernière est actuellement prédominante, en particulier pour la détermination
des pathogènes, et essentielle pour la majorité des organismes non cultivables ou extrê-
mement difficiles à cultiver dans les conditions de laboratoire. Le choix d’une méthode
doit être considéré en fonction de l’utilisation prévue : pratique (bactériologie médicale,
microbiologie industrielle) ou théorique (classification selon l’histoire évolutive).

a. La procédure d’identification phénotypique


La procédure d’identification phénotypique utilise un large éventail de caractères :
aspect externe (morphologie, coloration de Gram ou autres, motilité, formation de
spores, aspects des colonies), capacités culturales (aérobiose ou anaérobiose, tempéra-
tures et pH possibles et optimaux), capacités métaboliques (présence d’enzymes telles
que catalase, oxydase, etc.), nature des antigènes de surface (sérogroupage), sensibilité
à des bactériophages (lysotypie), profil moléculaire (composition en bases de l’ADN,
profil protéique), etc.
Les procédures classiques d’identification phénotypique se déroulent en deux temps.
L’échantillon à analyser provient généralement d’un prélèvement corporel (urine, sang,
salive, fèces, etc.), du sol ou de produits destinés à la consommation, suivant qu’il s’agit
de bactériologie médicale ou agroalimentaire. Il est généralement petit et complexe
(impur). Il faut donc initialement réaliser une culture pure, c’est-à-dire dont les cellules
sont issues d’une unique cellule mère de l’organisme à étudier$ (voir Chapitre 3), pour
obtenir le matériau nécessaire pour la suite des opérations. Les capacités métaboliques

6
Chapitre 1 • Micro-organismes

(utilisation de divers substrats) peuvent être déterminées soit via des cultures en milieu
liquide (délais de réponses minimaux de 24 à 48 heures), soit par des réactions biochi-
miques sur des aliquotes cellulaires au moyen de tests de natures turbidimétrique ou
colorimétrique (délais de réponses inférieurs à 24 heures)$. Chaque résultat est repré-
senté par un code-barres, et des logiciels d’interprétation fournissent l’identification de
la souche. Cette méthode donne de bons résultats mais elle est laborieuse, coûteuse et
parfois peu pratique car assez longue à mettre en œuvre. L’identification d’un patho-
gène nécessite très souvent une réponse rapide pour compléter un diagnostic et initier
une thérapie ciblée. Des kits d’analyse de capacités enzymatiques, disponibles sous
forme de tubes multitests (voir Figure 1.2A), spécifiques soit d’une famille bactérienne
(par exemple Entérobactéries), soit d’un genre (par exemple Salmonella), permettent
d’identifier rapidement et à coût moindre de nombreuses espèces, en particulier des
pathogènes responsables de maladies gastro-intestinales. Des versions plus récentes
de ces tests ont été développées sous forme de galeries miniaturisées, qui analysent
simultanément jusqu’à 50 caractères biochimiques en les associant à un antibiogramme,
permettant l’identification d’une souche en 24 à 48 heures.

b. Les clefs dichotomiques d’identification


Des clefs dichotomiques d’identification (analogues à celles utilisées en botanique ou
en zoologie) permettent l’identification d’une souche par une série d’étapes conduisant
aux différents niveaux d’une table d’identification, au fur et à mesure de la réponse à
chacun des caractères analysés (voir Figure 1.2B).

c. Les méthodes d’identification moléculaire


De nombreuses méthodes d’identification moléculaire, fondées sur l’analyse de l’ADN
ou des protéines$, ont été développées pour contourner certaines limites de l’identifica-
tion phénotypique, dont la non-cultivabilité en laboratoire. Nous discuterons seulement
la méthode de classification moléculaire fondée sur l’analyse de l’ADN, qui consiste
à séquencer un gène ou une portion de génome, et à comparer cette séquence avec
celles d’une banque de référence. Chaque base de l’ADN peut être considérée comme
un caractère en soi, ce qui rend très informative une séquence même de 1 000 paires de
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

bases (taille moyenne d’un gène procaryote). Le gène de l’ARNr de la petite sous-unité
ribosomale (codant l’ARNr 16S ou 18S chez les procaryotes et Eucaryotes, respective-
ment) (§ 3.2 ; 4.1), présent chez tous les organismes, a des caractéristiques qui en font un
excellent marqueur d’identification des micro-organismes (§ 2.5). Il est admis que deux
souches présentant des séquences de leur ARNr différant de plus de 3 % (c’est-à-dire que
leur pourcentage d’identité est inférieur à 97 %) appartiennent très probablement à deux
espèces différentes. La réciproque toutefois n’est pas vraie, puisque des souches d’espèces
différentes peuvent avoir des séquences d’ARNr 16S ou 18S ayant un pourcentage d’iden-
tité supérieur à 97 %. Dans ce cas le comité chargé de la systématique des procaryotes
recommande d’utiliser les pourcentages d’hybridation ADN-ADN, qui doivent être d’au

7
Introduction à la microbiologie

A Voges- Harnstoff /
Glucose Ornithine Adonidol Arabinose Proskauer test urée
Lysine H2S/Indole Lactose Sorbitol Dulcitol Citrate

Production de gaz

B Coques à Gram+

ne poussent pas poussent en


en aérobiose aérobiose

Anaérobies strictes Catalase – Catalase + Catalase +


Peptostreptococcus anaérobies anaérobies aérobies strictes
Peptococcus Staphylococcus Micrococcus
Sarcina

Avec Capsule Coagulase – Coagulase +


Sans capsule Streptococcus Staphylococcus Staphylococcus
pneumoniae non aureus aureus
Stomacoccus
Non tolérance au sel
Streptococcus
Tolérance au sel
Lactococcus Enterococcus
Leuconostoc
Aerococcus
Pediococcus Leuconostoc
Gemella Pediococcus
Streptococcus agalactiae

Vancomycine - Vancomycine -
sensibles résistantes
Leuconostoc
Pediococcus
PYR –
Streptococcus PYR +
autres que Streptococcus
pyogenes pyogenes
Lactococcus Gemella

Figure 1.2 – Procédures d’identification


A. Un système miniaturisé de tests enzymatiques ; exemple d’un Entérotube « mul-
titests ». Un tube en plastique est compartimenté en douze chambres contenant cha-
cune un milieu de culture et un réactif spécifiques, destinés à tester les capacités de
fermentation d’une série de substrats, celles-ci faisant virer la couleur du réactif. Un fil
métallique traverse tout le tube et dépasse à chacune de ses extrémités. Utilisé pour
l’ensemencement, il est chargé sur une colonie de la culture à tester, puis tiré à par-
tir de l’extrémité opposée, permettant ainsi d’inoculer toutes les chambres du tube.
Celui-ci est mis à incuber. Les résultats, exprimés sous forme d’un code-barres, sont
interprétés par un ordinateur. B. Utilisation d’une clef dichotomique d’identification.
Exemple d’application à un échantillon de Bactéries à Gram+. La réponse positive à la
coloration de Gram et la forme de la cellule ont conduit à positionner l’organisme étu-
dié parmi trois grands groupes, bacilles à Gram+, bacilles et coques à Gram−, coques
à Gram+. Progressivement, la croissance de l’échantillon dans une série de conditions
biochimiques et physiques, selon le schéma décrit, permet d’obtenir l’identification de
l’espèce.

8
Chapitre 1 • Micro-organismes

moins 70 %, ainsi que la stabilité thermique à 5 °C des hybrides ADN-ADN des gènes
correspondants. Il est possible de déterminer le profil de migration électrophorétique
de l’ADN, spécifique de chaque souche (technique AFLP), la séquence de gènes (5 à 7)
codant des fonctions conservées (technique MLSA), ou la séquence du génome complet
(technique ANI). La résolution des deux premières méthodes permet de discriminer des
souches au sein d’une espèce, la troisième de discriminer deux génomes ne différant que
de quelques nucléotides.
Des méthodes fondées sur les profils protéiques, en particulier les protéines riboso-
males (spectrométrie de masse MALDI-TOF), analysés par comparaison avec des bases
de données, sont actuellement très utilisées en diagnostic clinique.

2.4 Classification
a. Classification phénétique
La classification phénétique regroupe en principe les organismes sur la base de ressem-
blances anatomiques ; dans le cas des procaryotes ce sont des caractères phénotypiques
tels que définis ci-dessus (§ 2.3). Malgré les points critiques qu’elle présente par rapport
aux classifications phylogénétiques moléculaires actuelles, cette approche conserve
un intérêt pratique en microbiologie médicale, agricole et industrielle. Des progrès
énormes ont été accomplis dès qu’il a été possible de disposer d’outils (ordinateurs et
programmes) permettant de confronter de nombreux caractères et de déterminer des
degrés de similarité entre souches. Développé vers la fin des années 1950 par R. Sokal
et P. Sneath, ce système s’inspire de la classification des plantes fondée sur un ensemble
de caractères ayant chacun la même « valeur ». Les résultats sont présentés sous forme
de matrices de similarité réalisées en calculant un indice par paires de souches (par
exemple, l’indice de Jaccard). Ces matrices sont traduites en dendrogrammes construits
grâce à un algorithme regroupant les souches en fonction de leurs caractères communs.
Des phénons sont ainsi définis, des groupes homogènes dont les individus présentent
environ 80 % de similitude ; dans le cas des procaryotes les phénons sont souvent équi-
valents aux espèces définies selon les autres modes de classification.
Cette classification est critiquable à plusieurs niveaux :
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– Le choix des caractères analysés ainsi que leurs poids relatifs sont subjectifs.
– Il n’est pas tenu compte du nombre de gènes impliqués dans l’expression de
chacun de ces caractères ; ainsi l’ensemble des gènes correspondant à la totalité des
caractères examinés ne représente souvent qu’une petite fraction du génome. Les
similarités phénotypiques prises en compte ne reflètent donc pas l’histoire évolutive
des espèces.
– Non moins important est le fait que la méthode ne s’applique qu’à la minorité des
organismes cultivables.

9
Introduction à la microbiologie

b. Classification phylogénétique
Cette classification, établie sur des bases moléculaires, regroupe les organismes en fonc-
tion de leur lien de parenté, et permet d’aborder leur histoire évolutive. Il s’agit donc d’une
classification naturelle. Les premières phylogénies moléculaires ont eu pour support
l’analyse de séquences protéiques. C’est sur cette base que L. Pauling et E. Zukerkandl
(1965) ont proposé l’hypothèse que les gènes répondent au concept d’horloge molécu-
laire : un gène évoluerait à vitesse fixe au cours du temps, c’est-à-dire qu’il accumulerait
le même nombre de mutations (en majorité neutres vis-à-vis de la sélection naturelle) par
unité de temps. La réalité de l’horloge moléculaire présente l’avantage de permettre de
dater des divergences entre lignées, après calibration à l’aide d’organismes fossiles dont
l’âge est interprétable. Les méthodes antérieures de phylogénie, éventuellement fondées
sur des critères ne respectant pas l’horloge moléculaire, pouvaient conduire à une estima-
tion faussée de l’histoire évolutive des organismes concernés. Cependant ce concept est
rarement applicable pour les phylogénies anciennes du fait que les gènes évoluent souvent
à des vitesses différentes selon les lignées évolutives. D’autres méthodes phylogénétiques
sont disponibles, qui tiennent compte, au moins en partie, de ces variations.
La classification phylogénétique moléculaire exige de respecter certaines contraintes.
Les séquences à analyser doivent répondre aux critères suivants : il doit s’agir de macro-
molécules universellement distribuées, couvrant des fonctions indispensables et
maintenues telles au cours du temps (ADN ou ARN polymérases, ARN ribosomaux).
Le gène ou la molécule qui en dérivent doivent évoluer à une vitesse compatible avec la
résolution taxinomique voulue : la séquence protéique du cytochrome c, très constante
chez les animaux, est utilisable uniquement pour classer des organismes très éloignés
phylogénétiquement. Inversement les hémoglobines ont une vitesse d’évolution rapide
qui permet la comparaison d’organismes évolutivement proches. Les gènes utilisés ne
doivent pas être sujets à des transferts génétiques horizontaux (voir Chapitre 5) fréquents.
Cette propriété est particulièrement importante dans le cas des procaryotes, chez lesquels
le processus est loin d’être négligeable. Plusieurs gènes répondent plus ou moins bien à
l’ensemble de ces contraintes, les meilleurs candidats étant sans aucun doute les ARNr
16S (procaryotes) et 18S (Eucaryotes) (§ 2.5a).
La nature du (des) organisme(s) d’étude conditionne la collecte des séquences à
comparer. Il peut s’agir soit de séquences déjà disponibles dans des banques de gènes
(Genbank, EMBL), soit d’un séquençage à effectuer. Les séquences obtenues sont
alignées, c’est-à-dire positionnées parallèlement en favorisant les zones d’identité, à
l’aide d’algorithmes (tel celui du logiciel Clustal W). Seules les séquences bien alignées
seront retenues. La construction de l’arbre phylogénétique peut être réalisée selon
plusieurs méthodes. Deux d’entre elles (méthode du maximum de vraisemblance et
méthode bayesienne) sont probabilistes et considérées comme plus fiables, mais font
appel à de nombreux paramètres, dont un modèle évolutif. En conséquence ce sont
surtout deux autres méthodes qui sont utilisées couramment :
– La méthode de parcimonie consiste à rechercher parmi tous les arbres possibles
celui ou ceux qui nécessitent le moins de changements évolutifs (i.e. de mutations).

10
Chapitre 1 • Micro-organismes

Sa fiabilité repose sur le préalable que les séquences comparées aient évolué à la
même vitesse, ce qui la rend très sensible à l’applicabilité du concept d’horloge molé-
culaire.
– L’alignement des séquences permet la construction d’une matrice de distances des
organismes testés, qui peut être convertie en une matrice évolutive, puis en arbre
phylogénétique grâce à des algorithmes tels que le Neighbor joining. Cette méthode
est plus rapide que celle du maximum de vraisemblance et moins sensible au non-
respect du concept d’horloge moléculaire. L’enracinement de l’arbre permet de
l’orienter et de positionner l’ancêtre commun aux organismes étudiés. Un groupe
d’organismes externes connus pour avoir divergé très tôt est ordinairement pris
comme référence. La racine cherchée sera entre ce groupe et les séquences de l’arbre
phylogénétique obtenu.

2.5 Les micro-organismes dans l’arbre universel du vivant


a. Carl Woese et la classification des procaryotes
Afin de positionner au sein d’un arbre phylogénétique des organismes jusque-là rangés
dans le groupe « bactéries », C. Woese a choisi de comparer leurs séquences d’ARNr 16S,
molécule qui répond aux contraintes à respecter pour en faire une séquence informative
au niveau évolutif (§ 2.3) : elle est universelle, essentielle, et suffisamment stable pour
être considérée comme une horloge moléculaire, et a une longueur (1 500 nucléotides)
compatible avec la probabilité d’un nombre suffisant de mutations, variées et faciles
à caractériser. Ce travail (1967) n’a pas pu bénéficier des méthodes de séquençage de
l’ADN (datant de 1970). La procédure a consisté à analyser par des méthodes « clas-
siques », chimiques et enzymatiques, des séquences issues de la digestion d’ARNr 16S
longues d’au moins 6 nucléotides, en considérant que la probabilité d’avoir deux
séquences de cette taille identiques par molécule d’ARNr est très faible. L’analyse des
« bactéries » méthanogènes a été déterminante dans sa décision de proposer une modi-
fication de l’arbre universel. Les méthanogènes sont des procaryotes anaérobies stricts,
seuls producteurs de méthane du monde vivant (voir Chapitres 2 et 3). L’analyse de leur
ARNr 16S a montré qu’ils constituaient un groupe singulier, aussi éloigné des « bactéries
classiques » que des Eucaryotes. C. Woese et G. Fox ont alors proposé de remplacer la
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

division Eucaryotes-Procaryotes par une division ternaire, Eubactéries-Archébactéries-


Eucaryotes, prédisant, à juste titre, l’existence d’autres Archébactéries. L’identification
de cette nouvelle catégorie s’est faite sur le profil de résistance aux antibiotiques caracté-
ristique des méthanogènes, retrouvé chez deux autres groupes de « bactéries » aérobies
non méthanogènes, des halophiles et des thermo-acidophiles. Des études moléculaires
ultérieures ont mis en évidence une proximité évolutive inattendue entre Euca-
ryotes et Archébactéries, par exemple la très grande analogie des ARN polymérases
ADN-dépendantes de ces deux groupes (voir Chapitre 6). Ces données ont conduit
C. Woese à favoriser un modèle d’arbre universel enraciné entre les Eubactéries et une
branche commune Eucaryotes-Archébactéries (voir Figure 1.3). On parle maintenant de

11
Introduction à la microbiologie

domaines pour désigner ces trois groupes d’organismes, Eucarya, Bacteria (Bactéries) et
Archæa (Archées), ces derniers termes remplaçant « Eubactéries » et « Archébactéries ».
La séquence de l’ARNr 16S des chloroplastes s’est révélée très proche de celle de ces
mêmes molécules chez les Cyanobactéries, résultat qui a conforté l’origine endosym-
biotique de ces organites.

BACTERIA ARCHAEA EUCARYA


3 - Crénarchéotes
2 - Thaumarchéotes Unikontes

4 - Nanoarchéotes
1 - Euryarchéotes Opisthokontes
Hydrobacteria
Champignons
5 - Planctomycètes
Amoebozoaires Animaux
4 - Chlorobi
Dictyostelium Discristates
Terrabacteria
Entamoeba
Euglènes
8 - Actinobactéries
3 - Bactéroïdètes Trypanosomes
7 - Chloroflexi Excavates
9 - Firmicutes
2 - Protéobactéries 6 - Cyano- Algues vertes
bactéries (Volvox)
10 - Deinococcus-
Thermus Plantes
Rhizaria
Haptophytes Archaeplastida
11 - Platesibacteria Cryptophytes
1 - Spirochètes (CPR) Paramecium
Straménophiles Alvéolates
Bikontes
SAR

ANCÊTRE UNIVERSEL

Figure 1.3 – Les trois domaines du vivant


Les règnes des trois domaines sont indiqués dans les encadrés. Quelques espèces
pour plusieurs de ces règnes : BACTERIA. Hydrobactéries : 1. Treponema pallidum ;
2.  Classe α  : Agrobacterium, Caulobacter, Rhizobium  ; classe β  : Neisseria gonor-
rhœæ ; classe γ : Buchnera, Erwinia, Escherichia coli, Pseudomonas, Vibrio, Yersinia ;
classe ε : Helicobacter pilori ; 4. Chlorobium (phototrophe anoxygénique) ; 5. Gem-
mata obscuriglobus. Terrabactéries  : 6.  Synechocystis (phototrophe oxygénique),
Anabæna, Nostoc (phototrophes oxygéniques, fixatrices d’azote)  ; 7.  Chloroflexia
(phototrophe anoxygénique) ; 8. Streptomyces, Mycobacterium tuberculosis ; 9. Ba-
cillus subtilis, Clostridium, Epulopsiscium, Listeria, Staphylocoques, Streptococus
(Gram+)  ; 10.  Deinococcus. ARCHÆA. 1.  Hyperthermophiles anaérobies  ; métha-
nogènes  ; halophiles anaérobies  : Archeoglobus, Halobacteria, Methonobacteria,
Methanococcus, Methonosarcina, Thermococcus  ; 3. Microaérophiles, thermo-aci-
dophiles, généralement aérobies  : Pyrodictium, Sulfolobus acidocaldarius  ; Hyper-
thermophiles : Pyrodictium (optimum de croissance 105 °C). Autre phylum possible :
Korarchæ : ne comprenant jusqu’à présent qu’une seule espèce, Korarchæum cryp-
tophylum. EUCARYA : voir le texte (§ 5) en ce qui concerne les protistes.

12
Chapitre 1 • Micro-organismes

b. Grands phylums des trois domaines


L’analyse des séquences d’ARNr 16S et 18S a été complétée par une étude comparée de
séquences nucléiques d’un grand nombre de gènes. Elle a conduit à l’établissement, à
l’intérieur de chacun des trois domaines, de grands groupes monophylétiques, phylums
ou divisions. Le domaine des Eucarya inclut la division des Opisthocontes qui réunit les
champignons (dont les micro-champignons) et les animaux, la division des Viridiplantæ
comprenant les plantes et de nombreuses algues, et quatre divisions de protistes. Actuel-
lement, il n’y a pas consensus sur les relations de parenté entre ces divisions. Le domaine
des Bacteria est constitué d’une centaine de phylums, selon les auteurs, là aussi sans
consensus quant aux relations de parenté entre ces phylums (voir Figure 1.3). Le domaine
des Archæa est constitué de trois phylums principaux, les Euryarchæa (ou Euryar-
chéotes), aux phénotypes très variés (méthanogènes, halophiles, thermo-acidophiles
et hyperthermophiles), les Crenarchæa (ou Crénarchéotes), hyperthermophiles, et les
Thaumarchæa (psychrophiles, mésophiles ou thermophiles), de nombreuses espèces
de ce groupe ayant pour caractère commun la capacité d’oxydation de l’ammoniac.
D’autres phylums d’Archées ont été proposés mais leur validité fait encore débat. La
présence d’hyperthermophiles à la base des trois principaux phylums des Archées incite
à penser que ces organismes représentent le dernier ancêtre commun aux Archées.
L’ouvrage de référence pour la description des phylums des procaryotes est le Bergey’s
Manual for Systematic Bacteriology.

c. Les limites de l’arbre universel


L’arbre proposé par C. Woese sur la base des ARNr 16S (voir Figure 1.3) a été confirmé
par des données de génomique comparée concernant des protéines universelles des
trois domaines. D’une façon générale, la version Archée de ces protéines est toujours
plus proche de la version Eucaryote que de celle des Bactéries. Le cas le plus spectacu-
laire correspond aux protéines impliquées dans la réplication, qui ne présentent aucune
homologie entre Archées et Bactéries, mais s’avèrent très proches entre Eucaryotes et
Archées (voir Chapitre 4). Il en va de même pour l’ARN polymérase ADN-dépendante
des Archées (voir Chapitre 6). Ce faisceau de données a conduit à remettre plus ou moins
en question le fait que LUCA (Last Universal Common Ancestor), à la base des trois
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

domaines, aurait eu un génome à ADN.


Certaines sources actuelles remettent en cause la division en trois domaines pour
revenir à deux domaines, les Archées et les Bactéries, les Eucaryotes émergeant des
Archées à la suite d’une ou plusieurs endosymbiose(s) par celles-ci d’une Bactérie, qui
serai(en)t à l’origine des mitochondries et des chloroplastes. La découverte récente des
Asgard, des Archées qui présentent beaucoup de caractères moléculaires considérés
jusqu’à aujourd’hui comme propres aux Eucaryotes, va dans cette direction. On aurait
alors les Eucarya évoluant à partir des Archæa (sans expliquer l’apparition du noyau),
puis l’absorption d’une α-Protéobactérie conduisant à l’endosymbiose mitochondriale.
Le modèle des trois domaines prévoit que la cellule eucaryote serait issue de l’absorption

13
Introduction à la microbiologie

par une Bactérie d’une Archée, celle-ci devenant le noyau et la Bactérie la structure
de base de l’organisme. L’Eucaryote ainsi obtenu aurait absorbé une α-Protéobactérie,
établissant l’endosymbiose mitochondriale, puis l’absorption par l’un de ces Eucaryotes
d’une Cyanobactérie serait à la base de la formation des chloroplastes.
Le séquençage massif de génomes de toutes origines a permis de souligner le rôle
considérable des transferts génétiques horizontaux (TGH) au sein de l’ensemble des
organismes, et en particulier des procaryotes (voir Chapitre 5). Certains auteurs consi-
dèrent que l’importance de ces transferts est telle que la notion d’arbre devrait être
remise en question au profit de la notion de réseaux. Toutefois, du fait qu’elle est fondée
sur la comparaison de protéines ou d’ARN peu ou pas affectés par les TGH, la notion
d’arbre reste légitime telle qu’on l’a définie.
Enfin, l’arbre universel fondé sur les ARN ou les protéines ribosomales n’est évidem-
ment pas applicable aux virus, y compris ceux des procaryotes (voir Chapitre  8),
dépourvus de ribosomes. Il a été proposé de classer ces derniers en lignées évolutives.
L’analyse des protéines majeures de leurs capsides et de leurs structures externes a révélé
une origine très ancienne, contemporaine de LUCA. Cette origine est polyphylétique,
indiquant que les virus ne peuvent être issus d’un même ancêtre commun, mais seraient
apparus indépendamment au cours de l’évolution.

3 La cellule procaryote
Issues d’un ancêtre commun, Bactéries et Archées ont maintenu une organisation
cellulaire similaire. Cette cellule procaryote se distingue d’une cellule eucaryote essen-
tiellement par l’absence de membrane nucléaire, et en général de membranes spécialisées
internes au cytoplasme, deux caractéristiques responsables de nombre de leurs particu-
larités structurales et fonctionnelles (voir Figure 1.4A). Peuvent s’ajouter divers éléments
externes ou intracellulaires, éventuellement différents entre Bactéries et Archées ou
entre espèces de l’un ou l’autre domaine.

3.1 L’enveloppe
L’enveloppe des procaryotes est une structure multi-stratifiée complexe, siège de
nombreuses réactions biochimiques qui pour certaines s’effectuent chez les Eucaryotes
au niveau d’organites intracytoplasmiques (§ 4.1). C. Gram (1884) a mis au point une
méthode de coloration histochimique des enveloppes aboutissant à classer les Bactéries
en deux groupes, dits à Gram− et à Gram+. Ces deux groupes sont corrélés grosso modo
à deux types de structure, en une (monodermes) ou deux (didermes) strates princi-
pales, enveloppant une membrane, dite cytoplasmique ou interne (MI), équivalente à
la membrane plasmique des cellules eucaryotes. La coloration de Gram dépend de la
nature et de l’épaisseur de la couche interne, ou paroi, de l’enveloppe, un réseau macro-
moléculaire qui définit la morphologie cellulaire.

14
Chapitre 1 • Micro-organismes

Structures Structures souches-


obligatoires dépendantes
Paroi* pilus sexuel, couche S,
fimbriae, flagelle, capsule

Enveloppe
A B
Paroi Capsule Membrane
cytoplasmique Vésicule Exocytose
cellulaire secrétoire Espace
Paroi périplasmique

Pilus Membrane Mitochondrie


sexuel
Appareil
de Golgi
Chromosomes
Fimbriae

Granule
lipidique
Nucléoïde
Inclusions Noyau Plasmide

Nucléoles

Vacuole
ADN
mitochondrial
Réticulum
Ribosomes endoplasmique
libres rugueux avec
ribosomes fixés
Cytoplasme
Flagelle avec ribosomes

Figure 1.4 – Schéma simplifié de cellules procaryote (A) et eucaryote (B, type levure
de boulangerie) (Figure modifiée d’après P. Ribéreau – Gayon et al., 1998, Dunod)
Agrandissement : environ 5.104 et 104 fois, respectivement.

La complexité structurale et l’importance fonctionnelle de l’enveloppe sont attes-


tées par le nombre de protéines qui y sont associées (environ le tiers des différents
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types de protéines d’une cellule, dont un tiers constitué de protéines de transport,


et la moitié de rôle encore inconnu). Cette structure joue un rôle fondamental dans
la perméabilité cellulaire, le dialogue des cellules avec leur environnement. Chez les
Bactéries didermes, dont l’espèce Escherichia coli (une Proteobacteria à Gram −) est
l’archétype, l’enveloppe est formée de deux strates, une membrane externe (ME), et
une paroi, enserrant la membrane MI. La paroi baigne donc dans l’espace formé entre
ces deux membranes, dit espace périplasmique. Chacune de ces structures définit un
compartiment cellulaire particulier, avec sa composition protéique propre. L’enveloppe
des Bactéries monodermes est dépourvue de ME, leur paroi étant au contact direct du
milieu extérieur.

15
Introduction à la microbiologie

a. La paroi (ou muréine)


Le constituant clef des parois est le peptidoglycane (PG), un hétéropolymère linéaire
géant (voir Figure 1.5) qui constitue une sorte de sac recouvrant totalement la membrane
interne (d’où les noms de saccule, muréine ou muropeptide). La paroi joue un rôle impor-
tant dans le maintien de l’intégrité cellulaire en contenant la forte pression osmotique
interne du cytoplasme (de l’ordre de 5-20 atmosphères). Son épaisseur est de 5 à 10 nm
chez les didermes, et atteint 20 à 80 nm chez les monodermes, sous forme d’une trame de
50-100 feuillets constituant jusqu’à 40 % du poids sec des cellules. Cette forte épaisseur,
nécessaire pour compenser la pression osmotique interne en l’absence de ME, pourrait
être responsable de la réponse positive de ces Bactéries à la coloration de Gram, par
rétention du colorant à ce niveau lors de l’étape de lavage. Un traitement par le lysozyme,
une enzyme qui détruit l’intégrité du PG, conduit à la formation de cellules sphériques,
appelées protoplastes s’il s’agit de Bactéries à Gram+, ou sphéroplastes s’il s’agit de Bacté-
ries à Gram− : maintenus en condition d’hypotonie (par exemple dans de l’eau distillée),
ceux-ci se gonflent d’eau en raison de la différence de concentrations des solutés entre les
milieux externe (faible) et endocellulaire (plus élevée), jusqu’à éclater. La paroi est donc
bien l’exosquelette des procaryotes, exerçant une contrainte à l’expansion de la cellule
malgré la forte pression du compartiment intracellulaire. Le PG, qui a les propriétés
mécaniques d’un réseau étiré (en raison de la pression de turgescence interne), est cepen-
dant élastique et non rigide. Un étirement réversible est possible jusqu’à environ trois
fois sa longueur. Cette structure porte des pores qui, dans leur forme relâchée, ont un
diamètre moyen de 4 nm, permettant le passage de protéines globulaires d’un poids
moléculaire maximal de 24 kDa. Cependant, dans la cellule vivante, l’expansion de la
muréine pourrait permettre le passage de protéines allant jusqu’à 100 kDa.

A Paroi monoderme B Paroi diderme


Acide Acide
téichoïque lipotéichoïque

Chaîne O-spécifique Porine


du LPS

Lipopolysaccharide
Peptido- Membrane externe
glycane Lipoprotéine
Espace de Braun
périplasmique Peptidoglycane
Membrane plasmique
avec protéines intégrales
de membrane

Figure 1.5 – Parois bactériennes monoderme (A) et diderme (B)

La synthèse du peptidoglycane nécessite l’activité d’une trentaine d’enzymes, selon


trois étapes :
– La synthèse des précurseurs UDP-acétylmuramyl-pentapeptide et acétylglucosa-
mine (étape cytoplasmique).

16
Chapitre 1 • Micro-organismes

– La formation d’un intermédiaire lipidique de l’unité monomérique de base du PG


(étape membranaire).
– L’allongement des chaînes de PG et leur réticulation (étape pariétale).
De nombreux antibiotiques ont pour cible des étapes de cette synthèse. La cyclo-
sérine et la fosfomycine agissent au niveau de la première étape, les β-lactamines
(pénicillines et céphalosporines) et les glycolipides (vancomycine et teïcoplanine) sur
la dernière.
Dans les couches de peptidoglycane des monodermes sont présents des glycopo-
lymères anioniques, les acides téichoïques, lipotéichoïques et téichuroniques chez les
Firmicutes, tels Bacillus subtilis ou S. aureus, archétypes des Bactéries à Gram+, ou des
lipoglycanes chez les Actinobacteria, autre phylum majeur de ce groupe. Ces acides,
qui peuvent représenter une fraction importante du poids de la paroi cellulaire, inter-
viennent dans sa porosité et sa tension. L’acide téichoïque peut être lié au squelette
polysaccharidique du PG (par l’intermédiaire de l’acide N-acétylmuramique) ou être
fixé à la membrane interne (par les acides lipotéichoïques, spécifiques des espèces). La
surface externe des micro-organismes monodermes est en outre tapissée d’une variété
de protéines dont certaines sont localisées dans l’espace périplasmique chez les orga-
nismes didermes. Elles peuvent soit traverser la MI, soit y être ancrées, soit encore
former des liaisons covalentes avec le PG ou l’acide téichoïque de la paroi.

A Paroi monoderme B Paroi diderme

NAG Pentapeptide NAG Liaison directe


N-acétyl-glucosamine N-acétyl-glucosamine
NAM Tétrapeptide NAM
Acide N-acétyl-muramique Acide N-acétyl-muramique
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Figure 1.6 – Structure du peptidoglycane des organismes monoderme


et diderme

b. La ME des didermes
Cette structure, asymétrique, a les caractéristiques fondamentales des membranes
biologiques (double couche de phospholipides et glycolipides). Elle est constituée par un
polymère, le lipopolysaccharide (LPS), spécifique des Gram–, dans son feuillet externe,
et dans le feuillet interne de phospholipides et de la lipoprotéine de Braun (LPP), dont

17
Introduction à la microbiologie

les liaisons, covalentes ou non, avec le peptidoglycane de la paroi contribuent au maintien


de l’intégrité de cette dernière. La composition de la ME est assez uniforme : 30-40 %
de protéines, 35-45 % de LPS et 25 % de lipides. On constate cependant des variations
importantes suivant les types de cellules, les phases de croissance, et les conditions de
culture (milieu, température). Le LPS est un glycolipide complexe, représentant 10-15 %
des molécules exposées à la surface (chez E. coli environ 3,5 millions, couvrant 75 % de la
surface cellulaire). Responsable de la plupart des caractéristiques et fonctions de la ME,
il intervient dans la perméabilité sélective de l’enveloppe, par exemple en s’opposant à
la pénétration des antibiotiques. C’est un facteur important de virulence des bactéries
pathogènes, leur permettant de contrecarrer les défenses immunitaires de l’hôte. Inver-
sement, il est responsable de l’induction de la réponse inflammatoire lors d’infections
bactériennes, justifiant le terme d’endotoxine qui lui est donné. La LPP contribue aussi
à la réponse inflammatoire.
La ME intervient dans la stabilisation de la structure de la cellule et constitue une
barrière de perméabilité, protégeant celle-ci de l’entrée de composés nocifs (antibio-
tiques, sels biliaires pour les bactéries commensales de l’intestin, etc.), et de la perte
des constituants qui résident dans l’espace périplasmique. Elle contrôle le passage de
petites molécules hydrophiles (600-700 daltons), soit la plupart des nutriments (acides
aminés, monosaccharides, sels, etc.), passage qui se fait via des canaux aqueux ouverts
vers l’espace périplasmique. Ces canaux sont formés par une famille de protéines inté-
grées dans cette membrane, les porines (OMPs, integral Outer-Membrane Proteins) qui
constituent des systèmes de transport passif. Certaines porines sont spécifiques pour
le passage de sucres, métaux ou autres protéines, d’autres laissent passer des molécules
hydrophiles, dont quelques antibiotiques comme les β-lactames.

c. La membrane interne (MI)


Commune à tous les procaryotes, cette membrane est formée d’une double couche de
phospholipides, d’une épaisseur d’environ 7,5 nm, et contient la majeure partie des
protéines des structures exocellulaires. Celles-ci sont de deux types, les protéines dites
intégrales, traversant la membrane par des domaines à hélice transmembranaires, et les
lipoprotéines, ancrées dans le feuillet externe par le biais d’un groupement lipidique.
Environ 60-70 % des phospholipides de la MI sont des acides gras liés à du glycérol-
3-phosphate, les 30-40 % restant sont associés à différents produits dont des hopanoïdes.
Ils servent de barrière de perméabilité sélective pour le passage (entrée et sortie) des ions
et molécules diverses. La MI constitue une barrière de perméabilité plus contraignante
que la ME. C’est une structure très dynamique, qui joue un rôle fondamental dans la
réponse de la cellule au milieu extérieur : par sa capacité à percevoir, via des systèmes
senseurs, une série de stimuli physiques (lumière, température) et chimiques (osmo-
larité, disponibilité en eau et autres molécules), elle transmet un signal à la cellule qui
y répond via l’expression de gènes spécifiques (voir Chapitre 6). Elle est le siège d’un
grand nombre de fonctions : énergétiques (phosphorylations oxydatives [respiration]
pour les aérobies et fermentaires [ATPases] pour les anaérobies), biosynthèse des lipides,

18
Chapitre 1 • Micro-organismes

sécrétion de protéines, transport actif des nutriments, formation des précurseurs de la


paroi et de la ME chez les didermes. Beaucoup de ces fonctions sont assurées par des
organites intracellulaires chez les Eucaryotes.

d. Enveloppes atypiques
Bien que classées à Gram+ et appartenant au phylum des Actinobacteria, l’ordre des
Corynebacteriales présente une enveloppe originale, difficile à identifier par la colo-
ration de Gram, qui cependant une fois obtenue résiste à la décoloration. Deux autres
méthodes de coloration (rouge à la fuschine de Ziehl-Neelsen et fluorescence à l’au-
ramine de Dugommier) permettent de les identifier. Une mycomembrane externe,
formée de trois composants, présente une organisation bicouche non classique, avec
un feuillet interne d’acides mycoliques liés à de l’arabinogalactane, lui-même lié au PG.
Cette couche externe contient des lipides libres variés, la plupart spécifiques de ces orga-
nismes, intercalés entre les acides mycoliques. Ces structures sont souvent entourées
d’une capsule (voir Tableau 1.1) constituée principalement de polysaccharides. Trois
espèces présentent un intérêt important en raison de leur pathogénicité, Mycobacte-
rium tuberculosis, Mycobacterium lepræ et Corynebacterium diphtheriæ, responsables
respectivement de la tuberculose, la lèpre et la diphtérie. Deux espèces non pathogènes
à croissance rapide, Mycobacterium smegmatis et Corynebacterium glutamicum, sont
utilisées, respectivement, comme modèle d’étude et en biotechnologie pour la produc-
tion de divers composants dont des acides aminés (voir Chapitre 9).
Les Mycoplasmes, appartenant à la classe des Mollicutes, sont dépourvus de ME
et de paroi, ce qui les rend équivalents à des protoplastes. Cette absence de paroi les
rend insensibles aux antibiotiques de la famille des β-lactames. Ce sont des organismes
commensaux obligatoires des animaux, dont certains pathogènes de l’Homme, tels
Mycoplasma pneumoniæ. Ils peuvent cependant vivre librement soit parce que leur MI
contient des stérols qui leur confèrent une certaine rigidité, soit parce que leur habitat
(par exemple, le corps humain) présente une pression osmotique élevée et contrôlée.
Chez les Archées, l’enveloppe proprement dite, variable suivant les espèces, se
distingue de celles des Bactéries et des cellules eucaryotes. Elle est dépourvue de
muréine ; seules certaines espèces méthanogènes contiennent une pseudo-muréine (des
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répétitions d’acides N-acétylmuramique et N-acétyltalosaminuramique). Chez le genre


Thermoplasma la cellule est entourée d’une seule membrane, tri-stratifiée, incluant
une couche S. Une seule Archée connue a une membrane externe. Ces compositions
particulières rendent les Archées insensibles au lysozyme et aux antibiotiques de type
β-lactames. La plupart des protéines extracellulaires des Archées sont glycosylées,
une modification post-traductionnelle dont le rôle reste inconnu (chez les Bactéries
pathogènes la glycosylation joue un rôle important dans l’interaction avec l’hôte). La
MI des Archées présente une composition lipidique et une structure particulières, qui
rendent ces cellules très imperméables aux protons, leur permettant une survie à des
pH extracellulaires très acides (jusqu’à 4 unités en dessous de celui du cytoplasme)
(voir Chapitre 2). Elle est organisée en bicouche typique. Les lipides, dans la majorité

19
Introduction à la microbiologie

des cas, contiennent de longues chaînes d’alcool isoprénique liées au glycérol par des
liaisons éthers. Les espèces hyper-thermo-acidophiles contiennent des tétraéther-lipides
à longue chaîne, dont certains traversent la membrane, dite alors monostratifiée, lui
conférant ainsi une plus forte stabilité thermique (elle devient non dénaturable), éven-
tuellement liée à la grande thermotolérance de ces organismes.
De nombreuses structures péri- et trans-enveloppes, et/ou des appendices, communs
à tous les procaryotes ou spécifiques des Bactéries ou des Archées, ou de certaines
espèces dans chaque domaine, couvrent une panoplie de fonctions (voir Tableau 1.1).

Tableau 1.1 Structures péri- et trans-enveloppes des procaryotes

Structure Nature Fonction Présence

Tamis moléculaire, adhésion,


Protéines et/ou 10 % des
Couche S rigidité de la paroi, ancrage,
glycoprotéines procaryotes
défense
Nombreuses fonctions dans
la pathogénie (adhérence
Capsule Polysaccharides aux cellules hôtes, protection Bactéries
contre le système immunitaire,
blocage de la phagocytose)
Nombreux
Flagelles Protéines Locomotion
procaryotes
Adhésion, échange
Protéines d’ADN, motilité, transfert Bactéries et
Pili (ou fimbriæ)
(pilines) de protéines, facteur de Archées
virulence, défense immunitaire
Adhésion, transfert d’ADN,
LPS,
Vésicules libération d’enzymes et ME des
phospholipides
membranaires facteurs de virulence, contacts didermes
de membrane
intercellulaires
Appendices
Contact, communication
(canules, épines, Glycoprotéines Archées
intercellulaires
hameçons)

3.2 Structure intracellulaire


Le cytoplasme représente 60-70 % du volume total (soit entre 0,2 et plusieurs μm3 selon
les espèces). Il est moins organisé que son cousin eucaryote et réunit une kyrielle de fonc-
tions effectuées dans des compartiments individualisés chez celui-ci. Il est cependant
structuré grâce à un réseau de plusieurs familles de protéines formant un cytosquelette.
L’actine, la tubuline et les protéines du filament intermédiaire des Eucaryotes ont pour
homologues respectifs les protéines FtsZ, MreB et les crescentines chez les Bactéries, et

20
Chapitre 1 • Micro-organismes

la crénactine (homologue de l’actine) chez les Archées. Ces protéines ont des rôles vitaux
multiples (voir Chapitres 3 et 4).
Un corps amorphe présentant des protubérances irrégulières, le nucléoïde, appa-
raît par microscopie. Il n’est pas enfermé dans une membrane, comme l’est le noyau
des cellules eucaryotes, à l’exception d’un certain nombre de genres du phylum des
Planctomycètes. Il occupe 10-20 % de la région centrale du cytoplasme. Un ou plusieurs
exemplaires peuvent être présents selon les espèces et l’état physiologique des cellules.
Chaque nucléoïde contient l’essentiel de l’ADN, dans la majorité des cas sous forme
d’une seule molécule, le chromosome, maintenu sous une forme compacte par des
protéines basiques chez les Bactéries et des histones chez les Archées (voir Chapitre 4).
Le chromosome porte la majeure partie de l’information génétique. Le reste de l’ADN
est réparti sur des familles d’éléments génétiques, les plasmides, à réplication autonome.
Les ribosomes des procaryotes présentent des caractéristiques spécifiques dans
chacun des deux domaines concernés. Chez les Bactéries, ce sont des particules dont
les deux sous-unités ont des coefficients de sédimentation de 50 et 30 unités Svedberg,
donnant une particule de 70 unités (ribosomes 70S). Ils ne contiennent que trois molé-
cules d’ARN (contre 4 chez les Eucaryotes). Les caractéristiques de ceux des Archées
les rapprochent de ceux des Eucaryotes (voir Chapitre 6). Le nombre de ribosomes par
cellule (au moins 7 000 chez E. coli) varie énormément avec le taux de croissance, et
donc de synthèse protéique (voir Chapitres 3 et 6). La synthèse des protéines ayant lieu
dans le cytoplasme, celles à destination non cytoplasmique doivent être transportées
vers leur site d’activité, interne ou externe ; pour les facteurs multiprotéiques, les sites
d’assemblage doivent pouvoir être reconnus pour aboutir à la formation de complexes
fonctionnels. Les activités de transport transmembranaires sont donc nombreuses et
primordiales (voir Chapitre 3).
Des organites forment des micro-espaces délimités par une barrière protéique
permettant de compartimenter une activité métabolique spécifique. En concentrant
un métabolite volatil ou toxique dans un petit volume, ces structures favorisent le
couple enzyme-substrat, et donc l’efficacité de la réaction biochimique. Ils présentent
des similarités de constituants et/ou de structure. Leur morphologie, des polyèdres
de 80 à 200 nm analogues aux capsides virales (voir Chapitre 8), résulte de l’assem-
blage de milliers de protéines, incluant les sous-unités enzymatiques impliquées dans
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’activité de l’organite. Contrairement aux organites eucaryotes, et à l’exception des


magnétosomes et des anammoxosomes, ils n’ont pas de membrane lipidique. Leur enve-
loppe protéique est étanche, et se comporte comme une barrière à perméabilité sélective
pour certains solutés. Les familles de protéines qui les constituent sont conservées chez
environ 25 % des Bactéries étudiées, mais pas chez les Archées, et sont inconnues chez
les Eucaryotes. Plusieurs voies métaboliques sont ainsi compartimentées : la fixation
du CO2 dans des carboxysome (procaryotes chimiolithotrophes) (voir Chapitre 3), le
transport et le contrôle de la cristallisation du fer dans des magnétosomes (Bactéries
magnétotactiques, phylogénétiquement diverses), la synthèse de butyrate (Clostridium
kluyveri), d’éthanol à partir de pyruvate (Vibrio furnissii), d’éthanolamine (source de

21
Introduction à la microbiologie

carbone, d’azote et d’énergie de nombreuses bactéries), de 1,2-propanediol (produit par


fermentation de certains sucres, abondant dans le gros intestin), l’oxydation anaérobie
de l’ammonium pour produire de l’azote moléculaire (Planctomycètes) (voir Chapitres 2
et 3). Enfin des vésicules gazeuses contrôlent la densité des cellules, participant à leur
déplacement.
Les inclusions sont des réserves de natures variées : carbone et énergie (glycogène,
poly-β-hydroxybutyrate, poly-β-hydroxyalcanoate), phosphate (précurseur des acides
nucléiques et des phospholipides), azote et/ou carbone (cyanophycine), ou encore esters
de cire, triglycérides (lipides). Des réserves de soufre (et d’énergie) peuvent prendre la
forme de granules associés à la membrane externe, ou enveloppés dans des invagina-
tions de la membrane cytoplasmique, ou encore intracytoplasmiques. Dans la plupart
des cas, chaque type bactérien ne possède qu’un type d’inclusion. L’accumulation de ces
produits indique généralement un déséquilibre nutritif, tel un excès de carbone.

3.3 Quelques éléments de réflexion


Le concept d’unicellularité, longtemps indissociable de celui de procaryote, est-il
encore justifié ? Une grande majorité de procaryotes (mais aussi des protistes) vivent
effectivement la plupart du temps sous forme de cellules indépendantes. Procaryotes
comme protistes ont cependant développé au cours de l’évolution différentes voies de
multicellularité pour augmenter leur adaptabilité, en partie grâce à la possibilité de
répartition de diverses fonctions biologiques dans différentes cellules de la commu-
nauté. Ces communautés peuvent être constituées, dans les cas les plus simples, des
Bactéries comme des Archées, de cellules tendant à former des associations (agrégats
sous forme de grappes, chaînes ou filaments), des biofilms, jusqu’à des organisations
quasi-multicellulaires présentant des modalités de vie incluant la présence de cellules
différenciées. Des cas de ce type s’observent au cours du développement de certaines
Cyanobactéries, Myxobactéries, ou Streptomycètes (voir Chapitre 6), et de certains
protistes (Volvox) (§ 5.2).
La simplicité structurale apparente des procaryotes est-elle un leurre ? Tous les types
cellulaires ont dû, pour se perpétuer, optimiser leur fonctionnement physiologique et les
interactions avec leur environnement. Chez les Eucaryotes cette optimisation a nécessité
la localisation d’un certain nombre de fonctions dans des compartiments spécialisés très
structurés (§ 4.1). L’apparente simplicité de structure des cellules procaryotes contraste
avec l’unité de fonctionnement des mécanismes biochimiques de l’ensemble du monde
vivant : molécules génomiques, fonctions à la base de la vie (réplication, expression et
régulation géniques, activités enzymatiques, etc.). La remarquable efficacité fonction-
nelle des constituants chez les procaryotes est donc à rechercher au niveau de structures
spécifiques de la cellule (tels la membrane plasmique ou l’espace périplasmique) liées à
leur petite taille, ou de complexes moléculaires peu ou pas encore connus.
Les procaryotes forment-ils un regroupement taxinomique artificiel ? La défini-
tion historique de la notion de procaryote fondée sur les caractéristiques structurales

22
Chapitre 1 • Micro-organismes

de leurs cellules (§ 2) a conduit à regrouper Bactéries et Archées, des organismes forts
différents et considérés actuellement comme appartenant à deux domaines phylogé-
nétiques distants (§ 2.5). Ce regroupement, qui peut paraître artificiel sous l’angle
taxinomique, conserve toutefois une certaine validité biologique en termes de struc-
ture cellulaire, et une validité pratique et/ou didactique. C’est dans cet esprit que nous
parlerons de procaryotes.

4 La cellule des micro-organismes eucaryotes


Malgré leur grande diversité de morphologies, dimensions et physiologie, les protistes
partagent le même plan de construction cellulaire, typique des Eucaryotes (voir
Figure 1.4B), ce qui a conduit à les classer dans les mêmes ensembles que les organismes
multicellulaires présentant ce type de structure. La phylogénie a confirmé les liens de
filiation les unissant. L’absence ou la présence d’une membrane nucléaire, critère histo-
rique utilisé pour différencier les deux types de cellules, pro- et eucaryotes, même si elle
est importante, n’est en fait qu’un de leurs caractères distinctifs.

4.1 Principales structures intracellulaires


Une membrane externe délimite la cellule, dont l’espace interne, le cytoplasme, est
constitué d’un liquide gélatineux (le hyaloplasme) très organisé par le réseau du cytos-
quelette et des membranes internes, et riche en molécules minérales et organiques
solubles et en structures spécialisées dans les diverses fonctions nécessaires à son déve-
loppement. Le cytoplasme est le lieu où se produisent un grand nombre de processus
vitaux. Sa composition chimique, ses propriétés physiques et son organisation spatiale
et temporelle varient en fonction de l’état physiologique de la cellule, des fluctuations de
l’environnement. Il héberge le noyau (§ 4.2), séparé par une membrane.

a. Complexes structuraux
La membrane plasmique (Mi), ou cytoplasmique, ou interne, unique, délimite les
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

contours de la cellule et constitue l’interface avec son environnement. Elle n’est pas
doublée par une paroi chez les protozoaires, mais l’est chez les champignons (chitine,
un polymère de résidus N-acétylglucosamine) et les micro-algues (principalement de la
cellulose, le polymère prépondérant de la biosphère, comme chez la plupart des algues
et plantes). Chez ces dernières elle agit comme un exosquelette, conférant aux cellules
la rigidité nécessaire pour contrer la pression osmotique interne.
Le cytosquelette, une structure filamenteuse qui contrôle la forme de la cellule (et
permet de la déformer pour assurer son déplacement), est composé de trois grands types
de molécules. Les microtubules, conservés chez tous les Eucaryotes, sont constitués par
polymérisation de dimères de tubuline. Ils participent à la répartition des chromosomes

23
Introduction à la microbiologie

durant mitose et méiose, et interviennent dans la construction des flagelles. Les microfi-
laments d’actine interviennent pour assurer la formation et le transport des vésicules, la
séparation des deux cellules filles à la division, et la génération de pseudopodes pour le
déplacement. L’actine, constituant de toute cellule eucaryote, est l’une des protéines les
mieux conservées du monde vivant. Les filaments intermédiaires, qui assurent l’archi-
tecture de la cellule, sont constitués d’environ 70 protéines fibrillaires différentes, dont
la nature varie chez les différents groupes d’Eucaryotes.
Les réseaux membranaires internes comprennent le système endomembranaire et
le réseau mitochondrial, ainsi que les plastes chez les cellules effectuant la photosyn-
thèse. Le système endomembranaire, issu de la membrane du noyau, reste connecté
à celle-ci. Il comprend un ensemble de membranes spécialisées, formant des compar-
timents qui constituent l’interface entre cytoplasme, membrane plasmique et milieu
extérieur. Le réticulum endoplasmique (RE) en est l’organite principal (de 20 à 60 %
de la surface membranaire totale, environ 10 % du volume cellulaire). Il est constitué
par le RE rugueux (aspect conféré par les ribosomes, attachés sur la face externe de sa
membrane) et le RE lisse. Le premier intervient dans la synthèse et la maturation des
protéines, le second dans la synthèse des lipides (acides gras et phospholipides). Pour
être fonctionnelles, les protéines synthétisées subissent des modifications assurées par
l’appareil de Golgi. Des vésicules assurent leur transport du réticulum vers l’appareil de
Golgi, puis, après modifications, vers leurs destinations finales (membrane plasmique,
organites divers, milieu extracellulaire), correspondant à leurs fonctions.

b. Organites spécialisés
Les mitochondries, dont le nombre varie selon le type et l’état physiologique des cellules
(de centaines à milliers de copies), sont le siège de la production d’énergie par voie
respiratoire, oxydative. Elles peuvent être sphériques ou en bâtonnets (1 à 2 µm de long,
0,1 à 05 µm de diamètre, pratiquement la taille d’une Bactérie). Elles sont composées
de deux types de membranes en bicouches lipidiques ; l’une, externe, uniforme, conte-
nant des protéines, est perméable aux ions et petites molécules ; l’autre, interne, riche
en protéines, forme de nombreux repliements (crêtes mitochondriales, hébergeant les
constituants de la chaîne respiratoire) qui se prolongent dans la matrice, partie centrale
de l’organite. Cette matrice est multifonctionnelle grâce à la présence de mitoribosomes
(de type 70S), d’ADN (circulaire), d’ARN (messagers et de transfert), et de nombreux
systèmes enzymatiques (cycle de Krebs, oxydation du pyruvate et des acides gras). Les
mitochondries ont une reproduction semi-autonome à l’intérieur de la cellule.
Les plastes des organismes photosynthétiques (plantes, algues et micro-algues)
présentent une structure (double système membranaire, génome, etc.) et des propriétés
analogues à celles des mitochondries. On distingue les leucoplastes, dépourvus de
pigments (tels les amyloplastes, qui accumulent l’amidon comme réserve) et les chromo-
plastes, contenant des pigments, comme la chlorophylle des chloroplastes. Le système
membranaire interne de ces derniers (thylakoïdes) est le siège de la chaîne de trans-
fert d’électrons photosynthétique, la chlorophylle permettant l’utilisation de l’énergie

24
Chapitre 1 • Micro-organismes

lumineuse en vue de la synthèse de glucides à partir de CO2 et d’eau. On estime à


environ 150 milliards de tonnes le carbone fixé par an par voie photosynthétique au
niveau planétaire, 40 % sur les continents et 60 % dans les océans et les mers, par des
micro-organismes (phytoplancton principalement).
Le vacuome, ou appareil vacuolaire, est constitué de compartiments délimités par
une membrane, remplis d’eau et contenant des molécules inorganiques et organiques,
dépourvus d’ADN et de ribosomes (toutes leurs protéines sont donc acquises par impor-
tation sélective du cytoplasme). Sa fonction et son importance varient selon le type et
l’état physiologique des cellules. Il assure le maintien de l’équilibre hydrique, l’isolement
de composants toxiques, la digestion enzymatique de déchets. Chez certains végétaux,
une unique grande vacuole occupe environ 80 % du volume cellulaire. Chez les proto-
zoaires aquatiques, une vacuole contractile leur permet d’éliminer l’eau en excès. Un
organite du vacuome est particulièrement important, les lysosomes. Ils ont pour rôle
de dégrader les polymères biologiques intracellulaires (protéines, acides nucléiques,
glucides et lipides) devenus obsolètes. Ils fonctionnent donc comme un système digestif.
Leur taille varie ainsi en fonction des matériaux absorbés.
Les ribosomes sont des complexes ribonucléoprotéiques, sièges de la traduction
des ARNm, donc de la synthèse des protéines (voir Chapitre 6). Ils sont associés au
RE rugueux ou libre dans le cytoplasme. De type 80S, ils se distinguent de ceux des
mitochondries et des chloroplastes, de type 70S comme ceux des procaryotes (§ 3.2). La
composition en ARNr et en protéines, et la sensibilité à des inhibiteurs diffèrent entre
ces deux types. L’assemblage des ribosomes 80S est complexe, la compartimentation
cellulaire impliquant plusieurs migrations transmembranaires de leurs constituants.

4.2 Le génome et son expression


Le noyau, qui occupe un quart du volume cellulaire, est séparé du cytoplasme par une
double membrane. Il contient le(s) chromosome(s) et un nucléole, et est le lieu de la trans-
cription. Les chromosomes, des complexes ADN-histones, sont des structures linéaires
compactes, dont le centromère, plus ou moins central, sert de point de fixation sur le
fuseau mitotique au moment de la division, ce qui assure le contrôle de leur ségrégation.
Les extrémités des chromosomes portent des télomères, indispensables pour leur répli-
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

cation et leur stabilité. Plusieurs niveaux de condensation (nucléosomes, enroulement


hélicoïdal, boucles) réduisent les dimensions linéaires des chromosomes. Le nucléole est
une zone du noyau, dépourvue de membrane, ayant pour fonction la synthèse des ARN
ribosomaux (ARNr) et la synthèse ou le transit de petits ARN non codants participant à
la maturation des ARN. Un transcrit pré-ARNr est clivé en quatre ARN fonctionnels – 
28S, 18S, 5,8S et 5S – organisés en ribosomes par adjonction des protéines ribosomiques,
synthétisées dans le cytoplasme et importées.
La transcription, le passage du code ADN au code ARN, se fait dans le noyau.
Contrairement aux procaryotes qui n’en ont qu’une (voir Chapitre 6), les cellules euca-
ryotes disposent de trois ARN polymérases (ARN-Pol) : ARN-PolI synthétise l’ARN

25
Introduction à la microbiologie

préribosomal  35S, représentant 75  % des ARN cellulaires  ; ARN-PolII synthétise


les ARN messagers et les petits ARN nucléaires, soit 85 % du génome ; ARN-PolIII
synthétise l’ARN 5S, les ARNt et quelques petits ARN non codants. Il n’existe pas chez
les Eucaryotes d’organisation en opérons, des groupements de gènes transcrits dans
un unique ARNm, comme chez les procaryotes, mais des ensembles de gènes indivi-
duels pouvant être soumis à un même système régulateur (on parle de régulons) (voir
Chapitre 6). Pour être fonctionnels, les ARNm subissent deux types de modifications
post-transcriptionnelles, qui jouent un rôle de protection : l’adjonction d’une coiffe en
5’ et une polyadénylation en 3’. L’interaction de la coiffe avec la queue polyA assure le
démarrage de la traduction. La séquence polyA intervient dans le relargage de l’ARN-
PolII à l’issue de la transcription du messager. Outre ces deux modifications, l’ARN
messager primaire doit aussi, pour être fonctionnel, être débarrassé de ses introns par
excision et épissage.

Encart La distinction procaryote/eucaryote est-elle encore


appropriée ?
La distinction traditionnelle peut être remise en cause par nombre d’observations
relativisant les critères définissant ces deux types cellulaires, évoquant l’idée que leurs
différences pourraient être de nature quantitative plus que qualitative : certaines Bac-
téries sont pourvues d’une membrane nucléaire (§ 3.2) ; des structures typiques des
Eucaryotes multicellulaires peuvent être absentes ou remplacées par des équivalents
simplifiés : peroxysome, mitochondries et appareil de Golgi semblent remplacés
par des mitosomes (organites dérivés des mitochondries entourés de deux mem-
branes mais sans ADN) chez Giardia intestinalis, un protozoaire flagellé parasite de
nombreux animaux, ou par une structure équivalente simplifiée associée à la pré-
sence de ribosomes de type procaryote chez le champignon parasite intracellulaire
du ver à soie Nosema bombycis ; un cytosquelette d’actine permet d’assurer son
déplacement et la phagocytose de ses proies chez l’Amibe pathogène Entamoeba
histolytica, d’adhérer aux cellules hôtes chez le flagellé parasite Trichomonas vagi-
nalis, de se déplacer et de pénétrer dans leurs cellules hôtes chez les sporozoaires
parasites Plasmodium et Toxoplasma. Rappelons aussi que seule une très petite frac-
tion des organismes unicellulaires, tant procaryotes qu’eucaryotes, est connue. De
nouvelles espèces à découvrir pourraient révéler d’autres caractéristiques en conflit
avec l’idée d’une séparation nette entre les trois domaines du vivant.

5 Quelques protistes modèles


La classification des protistes, qui les répartit dans différents embranchements, est très
complexe et en continuelle révision. Certains sont plus proches de plantes ou d’animaux
que d’autres protistes. Un regroupement « pratique », non phylogénétique, est utilisé ici,

26
Chapitre 1 • Micro-organismes

en trois ensembles définis par leurs caractéristiques structurales et physiologiques (types


trophiques, modes de nutrition). Leurs cycles de vie sont essentiellement sous forme
unicellulaire, mais des organisations coloniales (multicellulaires) sont fréquentes. Leur
reproduction est asexuée et/ou sexuée. Les protozoaires constituent un groupe polyphy-
létique, avec 200 000 espèces dont 10 000 sont symbiotes de métazoaires (Plasmodium,
l’agent du paludisme ; Toxoplasma, infectant majoritairement les félidés). Leur nutrition
se fait par diffusion d’aliments liquides ou ingestion d’aliments solides. Ils se caracté-
risent par leur motilité, par pseudopodes (Amibes), flagelles (flagellés), ou cils (ciliés). Les
micro-algues forment aussi un groupe polyphylétique, avec 47 000 espèces répertoriées,
probablement une infime partie de celles existant. Elles ont en commun un métabo-
lisme énergétique photosynthétique, bien que certaines espèces soient mixotrophes (voir
Chapitre 3). Avec les Bactéries photosynthétiques, elles forment le phytoplancton des
océans et milieux aquatiques, assurant plus de 45 % de la production de matière orga-
nique mondiale. Les champignons constituent un règne indépendant, phylogénétique
solidement établi (§ 2), de 100 000-150 000 espèces actuellement connues, sans doute
moins du dixième de la totalité. Ils se nourrissent de matières organiques en décom-
position. Les cellules reproductrices sexuées, ou spores, peuvent aussi se multiplier par
division mitotique. Les caractéristiques des structures (hyphes) renfermant les spores
(asques ou basides) permettent de distinguer les Ascomycètes (Ascomycota), les Basidio-
mycètes (Basidiomycota), les Chytridiomycètes (flagellés, pour la plupart parasites) et
les Zygomycètes, formant des mycorhizes (associations symbiotiques avec des racines),
des moisissures sur des matières organiques (aliments) en décomposition, ou encore
parasitant des plantes et des animaux.

5.1 Des protozoaires


a. Les Amibes et l’invention de la phagocytose
Le terme « Amibe » regroupe de nombreuses espèces ayant en commun la capacité de
former des pseudopodes. La plupart des espèces vivent à l’état libre dans les eaux et
sols humides (voir Figure 1.7). Certains genres, dits à vie amphizoïque, peuvent vivre
soit libres, soit dans l’organisme d’un hôte (mammifère). D’autres sont des organismes
sociaux. Certaines Amibes parasitent le tube digestif de diverses espèces animales. Une
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

seule est pathogène de l’Homme, Entamoeba histolytica, responsable d’une amibiase


à localisation intestinale (côlon) ou extra-intestinale (foie et poumons). La maladie,
transmise par contamination fécale, est contractée chaque année par 40 à 50 millions
d’individus dans le monde, causant environ 100 000 décès.
Leur morphologie est généralement irrégulière et en perpétuel changement  ;
certaines (sous-phylum Actinopoda) ont une forme en étoile. Le cytoplasme est formé
de deux régions : l’ectoplasme, fluide et dépourvu d’organites, entoure l’endoplasme, gel
granuleux riche en organites et inclusions, dont des vacuoles. Le noyau est unique (mais
en plusieurs copies chez certaines espèces). Le génome a un pouvoir codant de 13 500 à
15 000 protéines, selon les espèces. Les Amibes se déplacent par un mouvement amiboïde

27
Introduction à la microbiologie

assuré par des pseudopodes. Ce mouvement, dont le mécanisme est encore peu connu,
résulte de modifications de structure du cytosquelette d’actine, de courants cytoplas-
miques, et d’un changement réversible de viscosité du cytoplasme. Une cavité se forme
dans l’ectoplasme en périphérie de la cellule, concentrant des organites et des inclusions.
Cela augmente la viscosité locale, qui passe de l’état fluide à l’état granuleux de l’endo-
plasme. L’excroissance ainsi formée crée un nouveau contact sur le substrat extérieur,
et cette poussée provoque un déplacement de la cellule par traction. Le pseudopode
disparaît alors, la partie précédemment à l’état gel redevenant fluide.

A B Amoeba

Vacuole
contractile Pseudopodes

Vacuole digestive

Noyau
Cytoplasme Proie
Membrane

Figure 1.7 – Une Amibe


A. Image en microscopie (agrandissement : environ ×1 000). B. Schéma de la struc-
ture cellulaire. La dimension des cellules varie selon les espèces de 5 à 60 µm (mais
jusqu’à 500-1 000 µm pour Amoeba proteus).

Ces organismes se nourrissent de corps organiques solides (ou proies) et de liquides,


par phagocytose et pinocytose, respectivement, selon un mécanisme dit d’endocytose.
La phagocytose en tant que mode nutritionnel est probablement apparue très tôt au
cours de l’évolution chez des Eucaryotes unicellulaires tels que les Amibes. À côté des
mécanismes universels d’échanges entre membrane et environnement comme la diffu-
sion et le transport actif (voir Chapitre 3), les Eucaryotes ont ajouté l’endocytose, qui
permet à une cellule d’incorporer des éléments extracellulaires (liquides ou solides),
grâce à une invagination progressive de la membrane plasmique, ou pseudopode, qui
entoure le corps extracellulaire à ingérer. Celui-ci finit par être englobé dans la cellule à
la suite d’un étranglement de l’invagination, qui forme alors une vésicule dite d’endo-
cytose, intracytoplasmique. On distingue généralement dans ce processus la pinocytose
pour l’ingestion de liquides, la phagocytose pour des particules de grosses dimensions
et l’exocytose, le mécanisme inverse, qui permet la sortie de macromolécules. Dans le
cas de la phagocytose, l’endosome (ou phagosome) fusionne dans le cytoplasme avec
un ou plusieurs lysosomes pour digérer les substances importées. Les vésicules assurent

28
Chapitre 1 • Micro-organismes

aussi la pénétration dans la cellule de substances de petite taille (protéines, glucides) qui
peuvent être stockées dans des vacuoles ou utilisées dans l’appareil de Golgi, et le transit
des protéines entre le RE et l’appareil de Golgi.
De nombreuses autres activités cellulaires ont recours à l’endocytose, telle la capture
spécifique de ligands par des protéines de membrane, la communication intercellulaire,
et l’ingestion et/ou la destruction d’agents potentiellement pathogènes. Si le mécanisme
d’endocytose s’est maintenu chez tous les Eucaryotes, seuls les protozoaires conti-
nuent de l’utiliser pour se nourrir. Chez les métazoaires, cette fonction s’est maintenue
comme moyen de défense. Elle permet par exemple aux cellules phagocytaires spécia-
lisées du système immunitaire (les neutrophiles et les monocytes, ou macrophages)
d’ingérer et de détruire des agents potentiellement pathogènes. C’est ainsi que l’amibe
sociale Dictyostelium discoideum est devenue un modèle d’étude du fonctionnement
des macrophages.

b. Dictyostelium discoideum et les macrophages des mammifères


L’amibe D. discoideum vit sur les tapis de feuilles mortes sous forme solitaire tant que
des nutriments sont présents. Elle se nourrit par phagocytose de bactéries et levures et
se reproduit végétativement. En condition de carence, les cellules cessent de se diviser
et s’engagent vers un processus de développement et différenciation complexe (cycle
social) qui inclut une association sous forme d’une colonie multicellulaire, au sein de
laquelle vont se différencier des corps fructifères contenant des spores reproductrices.
La structure de la colonie suggère celle du tissu d’un organisme pluricellulaire. Le cycle
de D. discoideum nécessite la mise en jeu de voies de signalisation (voir Chapitre 6) et
un mécanisme de chimiotaxie qui peut être extrapolé au comportement de nombreux
autres types de cellules (leucocytes, fibroblastes, cellules embryonnaires de l’Homme,
certaines cellules cancéreuses). En condition d’axénie (en absence de proies), D. discoi-
deum se nourrit par macropinocytose (endocytose d’un type particulier), processus
propre à certains types cellulaires tels les macrophages, et certains états cellulaires
(transformation de fibroblastes par des oncogènes). Cette caractéristique, associée à
sa non-pathogénicité, sa facilité de manipulation en laboratoire et la disponibilité de
mutants cultivables en milieu axénique, en a fait un modèle d’étude des macrophages
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

du système immunitaire des mammifères. Le séquençage de son génome (six chromo-


somes) a révélé la présence de nombreux gènes codant des fonctions décrites chez les
Eucaryotes pluricellulaires, dont une trentaine d’orthologues de gènes impliqués dans
des maladies humaines.

c. Les Paramécies et l’hérédité cytoplasmique


Les Paramécies, des ciliés, vivent dans des milieux d’eau douce (voir Figure 1.8). Leur
mode nutritionnel est de type phagocytose (§ 5.1a). Les déchets de la digestion sont
acheminés par la vacuole digestive pour être éliminés au niveau d’un pore.

29
Introduction à la microbiologie

A B
Membrane cytoplasmique

Cytoplasme
Pellicule

Vacuole contractile

C
Macronoyau

Micronoyau
Cils vibratiles

Vestibule oral

Cytopharynx

Vacuole digestive

Pore anal

Figure 1.8 – Une Paramécie


A. Image en microscopie (Longueur  : 50 à 300  μm selon les espèces). B. Couple de
Paramécies en conjugaison. Dans chaque conjuguant, le micronoyau subit une méiose
engendrant quatre noyaux haploïdes, dont trois dégénèrent, et le macronoyau est dé-
gradé ; le micronoyau haploïde restant se divise pour former un pronoyau mobile et un
pronoyau fixe ; les deux cellules s’échangent les pronoyaux mobiles, dont la fusion avec
le pronoyau resté dans la cellule rétablit la diploïdie. Le macronoyau est issu du produit
d’une mitose du micronoyau diploïde, suivie d’une polyploïdisation. C. Schéma de la
structure cellulaire. Une large dépression de la surface, recouverte de cils distincts des cils
somatiques, constitue le vestibule (ou cytosome) par lequel entrent les proies (Bactéries).

Les Paramécies contiennent deux types de noyaux : un micronoyau (deux chez


certaines espèces), diploïde, siège de la méiose, et un macronoyau, polyploïde (jusqu’à
1 000 n), qui concentre les processus de transcription. On a estimé à 40 000 leur nombre
de gènes, dont beaucoup sont dupliqués. Cette dichotomie structurale et physiologique
a fait de cet organisme un modèle d’études en génétique. Les Paramécies possèdent
deux formes de reproduction. La multiplication végétative par scission cellulaire assure
la transmission aux deux cellules filles de deux micronoyaux et d’un macronoyau. Ce
processus implique l’activité d’un système de ségrégation nucléaire complexe. Lorsque la
cellule se trouve en état de carence, elle active une reproduction sexuée par conjugaison,
au cours de laquelle deux cellules s’échangent uniquement un micronoyau. Trois aspects
de cette reproduction doivent être soulignés :
– Ce processus de conjugaison ne conduit pas à une multiplication des individus mais
uniquement à un remaniement du patrimoine génétique.
– Les deux types de noyaux dérivent du même noyau zygotique. Le macronoyau
subit une polyploïdisation et l’élimination précise de nombreuses (environ

30
Chapitre 1 • Micro-organismes

50 000) courtes séquences, des régions riches en transposons, séquences répétées et


séquences intergéniques, tandis que le micronoyau subit une mise en silence trans-
criptionnelle.
– Cette reproduction n’impliquant pas la fusion des cytoplasmes des deux conju-
guants, se maintient donc dans chaque cellule une hérédité cytoplasmique (non
mendélienne) pour certains caractères.

d. Les Paramécies et le contrôle épigénétique


Les deux types sexuels, E et O, des Paramécies sont déterminés par la présence dans
le seul type E d’une protéine transmembranaire, A, bien que le gène mtA codant cette
protéine soit présent dans les deux types sexuels. Le contrôle de cette différenciation
est de nature épigénétique. Le cytoplasme contient des petits ARN produits durant
la méiose. Ces ARN sont inactifs dans le type E, tandis qu’ils se lient au promoteur
de mtA dans les cellules de type O, bloquant sa transcription, avec pour conséquence
l’absence de cette protéine dans ce type sexuel. Chacune des deux Paramécies issues de
ce processus garde donc le type sexuel de la cellule qui lui a fourni son cytoplasme, cas
typique d’une hérédité non mendélienne, ou épigénétique (voir Chapitre 6), c’est-à-dire
de modifications transmissibles au cours des divisions mitotiques sans affectation de la
séquence nucléotidique.
La surface de la cellule (comme celle des autres ciliés) est tapissée de milliers d’unités
portant chacune un ou deux cils issus d’un corps basal, le complexe produisant les
cils. Ces unités sont distribuées selon un motif répétitif organisé en files parallèles à
l’axe antéro-postérieur de la cellule, suivant une symétrie droite-gauche et une polarité
dorso-ventrale, l’ensemble formant le cortex. Cette organisation est conservée au cours
des divisions cellulaires, mais il est possible d’obtenir des variants (non génétiques)
par greffe d’un fragment de cortex suivant une polarité inversée. Les motifs greffés se
dupliquent en conservant cette polarité inversée à travers des centaines de divisions, et
sont transmis maternellement (donc épigénétiquement) au cours des croisements. Le
mécanisme moléculaire de cette mémoire structurale réside dans le mode de duplica-
tion, semi-conservative, du corps basal.
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

e. Les Trypanosomes et leur capacité adaptative


Les Trypanosomes sont des protozoaires parasites (voir Figure 1.9). Beaucoup sont
responsables de maladies plus ou moins graves, éventuellement létales, chez les animaux,
dont la maladie du sommeil transmise par T. brucei à l’Homme via la Glossine.
Les Trypanosomes présentent un polymorphisme (deux à six morphologies suivant
les espèces) responsable de modifications liées à leur stade de maturation et à l’orga-
nisme qui les héberge. Une forme longue (de 23 à 30 µm, mais pouvant dépasser 40 µm)
porte un kinétoplaste subterminal. Le flagelle, fixé à l’extrémité postérieure de la cellule
par une membrane (dite ondulante en raison du mouvement entraîné par le flagelle),
se prolonge vers l’extrémité antérieure du parasite sur 6 à 7 µm, et est responsable du

31
Introduction à la microbiologie

déplacement en vrille de la cellule. Une forme courte (12 à 26 µm) sans flagelle libre
(ou peu visible), avec un kinétoplaste plus antérieur que dans la forme longue et une
membrane ondulante bien développée, existe chez certaines espèces. Une mitochondrie
unique, polyploïde, est ramifiée dans tout le cytoplasme. Dans la partie antérieure de la
cellule est localisé un grand noyau (2,5 µm de diamètre) avec un seul grand nucléole. Le
Trypanosome T. brucei apparaît comme une cellule fusiforme munie d’un kinétoplaste,
mitochondrie unique et très développée.

Noyau

Nucléole Membrane
ondulante
Blépharoplaste
ou corps basal Flagelle attaché
au corps du
cytoplasme
Kinétoplaste
Granules de Flagelle libre
réserves de
nutriments
Pellicule

Figure 1.9 – Schéma d’une cellule de Trypanosome


Kinétoplaste, organite contenant l’ADN mitochondrial ; Blépharoplaste, organite de
microtubules impliqué dans la biogenèse du flagelle.

L’ADN nucléaire est constitué d’une centaine de chromosomes (pour un total


de 10 000 gènes), onze mégachromosomes (1 à 6 Mb), diploïdes, un à cinq chromo-
somes de tailles intermédiaires (200 à 900 kb) et une centaine de minichromosomes
(50 à 150 kb), ces deux catégories étant de ploïdie inconnue. La plupart des méga-
chromosomes contiennent des gènes à expression constitutive, dont un millier code
des protéines de surface reconnues par le système immunitaire de l’Homme. Ces
gènes modifient continuellement leurs séquences par recombinaison génétique (voir
Chapitre 5), permettant la production de protéines différentes connues sous le nom
VSG (Variant Surface Glycoproteins). Ce processus constitue un moyen de défense
du parasite.
Le cycle du Trypanosome, Diptère → Homme → Diptère, est complexe. La trans-
mission du Trypanosome à l’Homme est initiée par piqûre d’une Glossine elle-même
infectée. L’insecte possède des centaines de dents dont la morsure provoque une petite
hémorragie sous-cutanée. Les Trypanosomes contenus dans les glandes salivaires de
l’insecte passent dans le sang de l’hôte où ils se multiplient, et se propagent rapidement
dans la lymphe et le liquide céphalo-rachidien. Inversement, le sang d’un hôte infecté
qui passe dans la glossine au cours de son repas rend l’insecte vecteur de la transmission.
Ce sang est mélangé à la salive de la mouche, qui contient un anticoagulant. Commence

32
Chapitre 1 • Micro-organismes

un long parcours vers son intestin, via le gésier où est produite une membrane qui
enveloppe le repas de sang, et le parasite. Lors du passage dans l’intestin moyen, l’action
anticoagulante de la salive disparaît ; puis la nourriture passe dans l’hémolymphe de
l’insecte. Les parasites se multiplient et se transforment en une morphologie capable
de traverser la paroi de l’intestin (par un mécanisme non encore élucidé), et rejoignent
les glandes salivaires. À ce niveau, ils se multiplient et se retransforment en la forme
infectante. Ce cycle nécessite environ trois semaines.
Le cycle de vie du Trypanosome dépend de deux conditions : l’insecte ne doit pas
être tué par le parasite, et celui-ci doit survivre aux moyens de défense des deux hôtes
(enzymes digestives de l’insecte, réponse immunitaire du mammifère). Pour cela,
des changements de son métabolisme engendrent des variations de sa morphologie
et de son revêtement de surface : il se couvre d’un manteau protéique particulier
(la procycline) qui le protège contre les enzymes digestives de l’intestin de l’insecte.
Dans l’hôte mammifère, il se couvre d’une protéine unique, de la famille des VSG,
qu’il remplace périodiquement selon un mécanisme appelé variation antigénique, ou
variation de phase (voir Chapitre 5), pour tenter de rester invisible au système immu-
nitaire de l’hôte.

5.2 Des micro-algues


a. Volvox et la biologie du développement
Le genre Volvox regroupe des algues vertes appartenant aux Chlorobiontes (dont font
partie la plupart des plantes terrestres). Les Volvox sont des organismes d’eau douce.
Volvox carteri a des caractères analogues à ceux de la micro-algue à vie libre Chla-
mydomonas sp., mais aussi une forme de vie de type pluricellulaire. Elle est haploïde
et pourvue au pôle cellulaire antérieur de deux flagelles aux extrémités divergentes,
utilisés pour diriger la cellule vers la lumière nécessaire à la photosynthèse (phototaxie)
(voir Figure 1.10A). La cellule contient dans sa zone antérieure une vacuole contrac-
tile, un chloroplaste et le noyau. Ces cellules vivent à l’intérieur d’une colonie. Celle-ci
est une sphère transparente de 100 à 6 000 µm de diamètre, pouvant contenir jusqu’à
50 000 cellules, reliées par des ponts cytoplasmiques. Ces colonies, équivalentes à des
organismes pluricellulaires, différencient deux types de cellules et ont une maturation
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui ressemble à une gastrulation. Des cellules somatiques, de petite taille, incapables
de reproduction, sont distribuées en monocouche de 2 000-4 000 sur la surface de la
sphère (voir Figures 1.10B et C). Hautement spécialisées, elles assurent la motilité de la
colonie vers une source lumineuse, par mouvement de leurs flagelles, positionnés vers
l’extérieur de la colonie. Juste en dessous de ces cellules se trouvent seize grandes cellules
reproductrices asexuées, ou gonidies. Leurs flagelles sont non fonctionnels car le pôle
apical qui les porte est orienté vers l’intérieur de la colonie. Le restant du volume de la
colonie est occupé par une matrice glycoprotéique.

33
Introduction à la microbiologie

A B C Cellules non reproductrices


Flagelle

Vacuole
contractile
Noyau

Stigma

Chloroplaste
Gonidie (cellules
reproductrices Matrice
asexuées) gélatineuse

Figure 1.10 – Une colonie de Volvox


Schéma d’une cellule (A), de l’organisation coloniale (B). C. Image d’une colonie
de Volvox en microscopie (diamètre : environ 300 µm). Stigma (ou tache oculaire),
organe phototactique contrôlant les battements flagellaires.

V. carteri a deux modalités de reproduction :


– La reproduction asexuée assure la multiplication des colonies. Au cours de ce pro-
cessus, les gonidies d’une colonie deviennent matures et entrent dans une phase de
multiplication mitotique rapide (onze à douze cycles au total). Les cinq premières
divisions conduisent à la formation de trente-deux cellules identiques par gonidie
initiale. La sixième division, déséquilibrée, donne naissance à seize grosses cellules
(les futures gonidies) qui ne se divisent plus, et quarante-huit petites cellules soma-
tiques, qui continuent de se diviser pour donner naissance à une jeune colonie. À la
fin du cycle, la couche cellulaire englobant chaque groupe de seize gonidies néofor-
mées va se structurer en une sphère dans laquelle les cellules somatiques inversent
leur orientation, tournant alors leurs flagelles vers l’extérieur. Les colonies filles
ainsi formées sortent par éclatement de la colonie mère, dont les cellules somatiques
entrent en dégénérescence.
– La reproduction sexuée implique la différenciation des gonidies en deux types de
cellules, mâles et femelles. La différenciation sexuelle est due à l’action de facteurs
externes (chocs thermiques) et internes (phéromones). Un contrôle génétique assure
la formation de cellules de grande taille porteuses d’ovules et de cellules de petite
taille biflagellées, les spermatozoïdes. La fécondation de la cellule femelle par la cel-
lule spermatique engendre un zygospore qui, au moment de la germination, subit
la méiose. Cette dernière produit une seule cellule viable, mâle ou femelle, qui à la
suite de divisions se différencie et recrée une colonie. Le zygospore, adapté pour
résister à la sécheresse et au froid, peut attendre des conditions favorables pour la
germination, assurant la survie de l’espèce.
V. carteri est un exemple d’organisation cellulaire simple dont le cycle de vie inclut
des caractéristiques retrouvées chez les organismes pluricellulaires :
– Cellules somatiques et lignée germinale, destinées respectivement à assurer la vie de
l’individu (en colonie) et la survie de l’espèce, sont nettement différenciées.
34
Chapitre 1 • Micro-organismes

– Les cellules somatiques sont programmées pour la vie végétative puis destinées à
mourir, alors que la lignée germinale est immortelle.
– La division asymétrique des gonidies assure la formation des deux types de cellules,
dont l’un va se différencier en gamètes.
– Le processus destiné à reformer la colonie fille par réorientation des cellules soma-
tiques rappelle la gastrulation observée dans le développement des spongiaires.
– Enfin l’organisation spatio-temporelle de la colonie est parfaitement déterminée.
L’ensemble de ces caractéristiques ferait ainsi de cette micro-algue un modèle pour
l’étude de la biologie du développement.

b. Euglena gracilis, productrice polyvalente


L’insécurité alimentaire et la malnutrition, liées entre autres à l’augmentation démo-
graphique, sont des thèmes de grande préoccupation qui devront être résolus à brève
échéance. Non moins importants sont la production de biocarburants de troisième
génération (ne dérivant pas d’une production agricole, donc ne nécessitant pas l’usage
de terres arables) et le contrôle de la pollution. On attend beaucoup de l’exploitation de
micro-algues, en particulier de l’Euglène, E. gracilis, organisme ubiquitaire et compo-
sant majeur des écosystèmes aquatiques (voir Figure 1.11). On dénombre chez E. gracilis
une soixantaine de molécules présentes dans les légumes, viandes et poissons (dont
vitamines, sels minéraux, acides aminés, acides gras insaturés, etc.) constituant l’alimen-
tation humaine et les compléments de celle des animaux d’élevage. E. gracilis produit
en outre du paramylon, un polymère de glucanes, produit de réserve de la cellule, qui a
des propriétés antitumorales. Cet organisme est déjà exploité en alimentation (humaine
et animale), et pour de nombreuses activités industrielles (production de biodiesel ou
biokérosène, teinturerie), pharmaceutiques (antibiotiques, immunosuppresseurs, vaso-
dilatateurs, narcotiques), ou cosmétiques (parfums).

A B Stigma Flagelle
Mitochondrie
Noyau
Vacuole
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contractile

Appareil
de Golgi

Chloroplaste Pellicule

Figure 1.11 – Une Euglène


A. Image en microscopie (dimensions : 25 à 100 µm selon les espèces). B. Schéma
de la structure cellulaire. Stigma (ou tache oculaire), organe phototactique contrôlant
les battements flagellaires  ; pellicule, zone réfringente déformable permettant un
mouvement de reptation.

35
Introduction à la microbiologie

5.3 Les champignons


Les Basidiomycota et les Ascomycota (§ 2) englobent respectivement 30 % et 65 % des
espèces de champignons répertoriées, dont la moitié sont parties prenantes de lichens.
Les Ascomycota regroupent trois sous-embranchements. Les deux premiers, les levures
au sens large, comprennent des espèces relativement simples, unicellulaires  : les
Taphrinomycotina, dont Schizosaccharomyces pombe, et les Saccharomycotina, dont
Saccharomyces cerevisiæ (voir Figure 1.4B) et Candida albicans. Le troisième sous-
embranchement, les Pezizomicotina (Micromycètes), le groupe majoritaire, beaucoup
plus hétérogène, réunit la majorité des champignons filamenteux tels Aspergillus, Fusa-
rium, Penicillium, Sordaria (voir Figure 1.12), et des espèces communément appelées
« champignons supérieurs », telles truffes ou morilles, et certaines espèces marines. Les
Basidiomycota incluent des champignons comestibles (bolets, agarics, amanites, etc.)
et des champignons microscopiques parasites tels que les charbons et les rouilles. Leur
corps fructifère est généralement formé d’une tige et d’un chapeau, qui se développe
lorsque le champignon se reproduit sexuellement. La partie inférieure de la calotte du
chapeau présente une série de lamelles parallèles ou entrelacées sur lesquelles se trouvent
les basides, où se forment les spores.

A B

Figure 1.12 – Colonies de champignons microscopiques


A. Différentes espèces d’Ascomycètes. B. Un Penicillium.

a. Les Ascomycètes Saccharomyces cerevisiæ et


Schizosaccharomyces pombe
L’utilisation multimillénaire des levures de bière, pour la production de bière mais
aussi de pain et de vin, découle de leur capacité à effectuer une respiration oxygénique
soit comme unique voie énergétique (aérobie obligatoire), soit alliée à une voie fermen-
taire anaérobie (aérobie facultative), suivant les espèces. Plusieurs espèces aérobies

36
Chapitre 1 • Micro-organismes

obligatoires ont été très étudiées en raison d’un intérêt industriel (Yarrowia lypolytica,
productrice d’acide citrique) ou pathogène chez l’Homme (C. albicans). Contrairement
à la majorité des organismes aérobies facultatifs qui utilisent la respiration préférentiel-
lement à la voie fermentaire en condition de faible aérobie (l’effet Pasteur), un certain
nombre de levures (Kluyveromyces, Saccharomyces) ont une préférence pour la voie
fermentaire, même en présence d’oxygène. Saccharomyces, une fois le sucre fermen-
tescible épuisé, utilise les produits issus de cette fermentation (glycérol, éthanol) pour
la production de glucose, par voie respiratoire. Il s’agit donc d’une croissance en deux
étapes, appelée diauxie.
S. cerevisiæ et Sch. pombe se divisent respectivement par bourgeonnement et par
fission binaire. Ces processus mitotiques classiques présentent cependant des durées
relatives des phases différentes de celles de la majorité des Eucaryotes. Ce mode de
reproduction s’applique autant aux formes haploïdes (spores) qu’aux formes diploïdes,
faisant de ces organismes des haplo-diplobiontes. Au cours de la reproduction sexuée de
S. cerevisiæ, une méiose engendre quatre spores haploïdes, contenues dans un asque, se
répartissant en deux cellules de deux types sexuels. La formation d’une cellule diploïde
se fait par fusion d’une cellule haploïde de chacun des deux types sexuels. Ces processus
ont fait de cet organisme, ainsi que de Sch. pombe, d’excellents outils d’analyse génétique
classique.
Les génomes nucléaires de Sch. pombe (13,5 Mb, trois chromosomes) et S. cerevisiæ
(13 Mb, seize chromosomes) présentent de nombreux traits analogues à ceux des méta-
zoaires (dont Homo sapiens), dont la présence d’introns, cependant en moindre quantité
et de dimensions plus courtes. Le génome de Sch. pombe est un peu moins compact que
celui de S. cerevisiæ. Le processus d’épissage des introns, initialement décrypté chez
cette levure, s’est avéré très semblable à celui d’H. sapiens. Leurs génomes présentent
aussi des rétrotransposons, des séquences d’ADN se déplaçant via un passage par une
forme ARN, selon un mécanisme comparable à celui des rétrovirus (voir Chapitre 8)
d’autres Eucaryotes. S. cerevisiæ possède en outre un ADN circulaire double brin, dit
ADN 2μ, ou microgénome, présent à raison de cinquante copies par noyau, et deux ARN
double brin linéaires responsables de la production d’une toxine.
Le génome mitochondrial est un ADN circulaire double brin de 85,8 kb pour S. cere-
visiæ et 19,4 kb pour Sch. pombe. Chez S. cerevisiæ ont été sélectionnés des mutants dits
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« petites colonies », dont le phénotype se révèle sur un milieu sélectif ayant deux sources
de carbone, l’une fermentescible (ordinairement le glucose) en quantité limitante, l’autre
uniquement respirable, en quantité saturante : les mutants ne réalisent qu’une croissance
limitée par rapport aux cellules sauvages, indiquant leur incapacité à respirer. Certains
présentent un comportement mendélien, indiquant l’origine nucléaire de leurs muta-
tions. D’autres, signant une hérédité non mendélienne, sont associés à des mutations
de l’ADN mitochondrial. L’étude transcriptionnelle de l’ADN mitochondrial de S. cere-
visiæ et d’autres ascomycètes a mis en évidence des particularités de cet organite, la
présence de seulement vingt-quatre ARNt (contre quarante-deux dans l’ADN nucléaire)
et quelques entorses à l’universalité du code génétique. Notamment, chez S. cerevisiæ et

37
Introduction à la microbiologie

Sch. pombe les codons stop nucléaires UGA, AUA et CUn codent respectivement dans la
mitochondrie try, la méthionine d’initiation de traduction, et thr ou leu. Cela pourrait
refléter une évolution des génomes mitochondriaux vers un code génétique fondé sur
les seules deux premières bases des codons (ainsi UGA et UGG pour try, AUA et AUG
pour met).
Des formes de communication intercellulaire, impliquant des voies dites de
transduction du signal (voir Chapitre 6), sont à l’œuvre au cours de la reproduction
sexuée. Les formes haploïdes de S. cerevisiæ produisent en permanence une phéromone
peptidique correspondant à leur haplotype. Ces peptides reconnaissent des récepteurs
transmembranaires spécifiques. L’association phéromone-récepteur constitue un signal
qui active la transcription d’une série de gènes permettant la reconnaissance des cellules
du type sexuel opposé. La fécondation, qui implique la fusion d’une cellule de chacun
des types sexuels, est réalisée par dégradation très localisée de la paroi, suivie d’une
réorganisation des membranes cytoplasmiques. Un mécanisme comparable existe chez
Sch. pombe, avec cependant une chaîne réactionnelle notablement différente. H. sapiens
possède le même type de récepteurs pour certaines hormones (l’adrénaline, par exemple)
et certains neurotransmetteurs (impliqués dans la vision, le goût et l’odorat). Les méca-
nismes de maturation et de sécrétion des hormones humaines et de la phéromone de
levure présentent également de fortes similitudes.

b. Quelques Ascomycètes filamenteux


Le sous-groupe des Micromycètes inclut des genres importants au niveau industriel ou
biotechnologique, tels que Penicillium (voir Figure 1.12B) ou Aspergillus. Il comprend
nombre d’espèces dont le métabolisme secondaire est responsable de 20 % environ de la
production naturelle totale d’antibiotiques, ainsi que de nombreuses mycotoxines (2 500
actuellement connues) dont une trentaine est dangereuse : la gliotoxine d’Aspergillus, à
propriétés immunosuppressives, l’aflatoxine, un carcinogène, l’ergotamine et ses dérivés
produits par Claviceps, des vasoconstricteurs, l’alternariol d’Altenaria, endomma-
geant les mitochondries, la citrinine de Penicillium, un néphrotoxique. Actives à faible
concentration, ces toxines représentent la seconde cause des dommages causés aux
graines. Penicillium notatum est connu comme producteur historique de pénicillines,
bien que celles-ci soient actuellement généralement synthétisées par voie chimique. Les
Penicillium sont cependant toujours sources de β-lactames (telles la pénicilline G ou
la céphalosporine). L’utilisation de ces champignons dans la production de fromages
(P. roqueforti ou P. camemberti) est bien connue.
Les Micromycètes comprennent aussi les genres Sordaria, Neurospora et Podospora,
modèles d’analyses génétiques et moléculaires. Podospora présente une limite de sa
croissance associée au phénomène de sénescence, une mort par asphyxie des cellules
issues des dernières divisions, liée à une déstabilisation de l’ADN mitochondrial au
cours des divisions. Le mécanisme de cette déstabilisation reste inconnu.

38
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les micro-organismes, couvrant trois domaines (les procaryotes Bacteria et
Archæa et, parmi les Eucarya, l’ensemble des protistes) forment un ensemble
hétérogène, dont l’unité est la structure majoritairement unicellulaire.
2 Leurs morphologies, dimensions, physiologies et modes de vie (libres ou en
associations variées, néfastes pour les pathogènes) présentent une vaste diver-
sité.
3 Ubiquitaires, ils sont indispensables pour l’équilibre écologique et la vie sur la
Terre.
4 Les Bacteria et Archæa sont définies par l’absence de noyau individualisé et
une faible compartimentation intracellulaire, à l’inverse des protistes.
5 Les Bacteria possèdent une enveloppe à une (monoderme) ou deux (diderme)
couches, dont une paroi de peptidoglycane. L’enveloppe des Archæa est de
nature variée.
6 Leur classification, initiée par C. Woese (1967), fondée sur des critères de mor-
phologie, physiologie et génomique, montre quelques spécificités par rapport
aux règles classiques.
7 Des tests rapides d’identification sont utilisés en microbiologie médicale (Bac-
téries pathogènes) et industrielle.
8 Leur métabolisme permet de définir trois groupes de protistes (protozoaires,
micro-algues et micro-champignons).
9 Certains aspects de la biologie des métazoaires peuvent être présents chez des
protistes modèles.
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39
Entraînez-vous
1.1 Outre la présence d’une membrane nucléaire, quelles caractéristiques morpholo-
giques distinguent les cellules eucaryotes et procaryotes ?
1.2 Quelles sont les différences entre classification phénétique et classification phy-
logénétique ?
1.3 Définir la notion d’horloge moléculaire. Quel rôle joue-t-elle dans la classification ?
1.4 À quels critères doivent répondre les molécules utilisées pour une classification
phylogénique moléculaire ?
1.5 Justifier le choix de C. Woese pour la construction d’un arbre universel du vivant.
1.6 À quoi attribue-t-on la dichotomie Gram− /Gram+ des Bactéries  ? Les Archées
peuvent-elles aussi être divisées en Gram− et Gram+  ? Comment se positionne
leur paroi vis-à-vis de cette dichotomie ?
1.7 Quelles données moléculaires justifient l’origine procaryote des organites eucaryotes ?
1.8 Définir la notion de couplage transcription-traduction chez les procaryotes. Pour
quelle raison est-il difficilement concevable chez les Eucaryotes ?
1.9 Quels protistes sont à l’origine de l’étude de l’hérédité non mendélienne ?
1.10 En quoi la biologie de S. cerevisiæ en fait-elle un organisme modèle pour l’étude
de la transcription chez les Eucaryotes ?

40
Chapitre 2 Microbiologie
environnementale
Introduction

La plupart des micro-organismes de l’environnement vivent en groupes dynamiques de


complexité variable. On y trouve des espèces persistantes, des espèces transitoires et des
espèces rares ou dominantes. L’équilibre entre toutes dépend de différents facteurs, bio-
tiques et abiotiques. Dans tous les cas, ce sont des réservoirs de diversité, qui peuvent
répondre aux changements rapides de l’environnement. Les nombreuses techniques dis-
ponibles ne permettent pas de mesurer in situ et précisément la fonction d’un groupe de
populations au sein d’un écosystème, mais permettent d’en réaliser une évaluation indirecte.

Objectifs Plan
Connaître les notions de base de l’écologie 1 Les écosystèmes naturels
microbienne 2 Fluctuations des communautés
Comprendre la biodiversité des micro- microbiennes
organismes, leurs interactions et leur 3 Comprendre la diversité
importance microbienne
Identifier les différents paramètres 4 Quelques écosystèmes
environnementaux impactant les – Applications
communautés microbiennes ainsi que leurs
stratégies d’adaptation et de survie

1 Les écosystèmes naturels


Une espèce qui se divise et se reproduit, de façon sexuée ou non, dans un environnement
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donné forme une population, généralement définie comme un ensemble d’individus


ayant un patrimoine génétique commun. Cependant, cette population, bien que clonale,
contient très probablement des sous-clones (mutants) différant par plus ou moins de
traits génétiques, et donc phénotypiques. Ces sous-clones, ou sous-populations, peuvent
avoir des activités généralistes ou spécialisées, formant alors des groupes fonctionnels.
Pour des populations proches réalisant une même activité métabolique et utilisant les
mêmes ressources, on parle de guildes microbiennes. Des populations différentes se
trouvant dans un même habitat à un instant donné forment des communautés. Plusieurs
communautés peuvent être amenées à coexister ; elles interagissent alors entre elles et
avec l’environnement, formant ainsi un réseau complexe appelé écosystème. Il est de
plus en plus fréquent de trouver le terme métacommunauté, qui représente un ensemble

41
Introduction à la microbiologie

de communautés au sein d’un « paysage » plus large dont les membres (communautés)
sont liés les uns aux autres par différents processus, dont la dispersion des populations.
L’endroit physique dans lequel une communauté microbienne vit est appelé habitat.
Ce dernier possède toutes les caractéristiques (ressources, en particulier nutriments,
mais également conditions physico-chimiques, etc.) appropriées à la vie des organismes
concernés. Un habitat donné peut présenter des micro-environnements dans lesquels
certaines conditions peuvent être très différentes. Par exemple dans un environnement
à température homogène peuvent exister des différences dans la distribution des nutri-
ments, de l’oxygène, etc. Chaque type de micro-organismes occupe une niche spécifique
en fonction de ses besoins. Plusieurs populations peuvent coexister dans un même
habitat. Chaque population microbienne va avoir une condition de vie optimale dans
une niche principale, qui répond à tous ses besoins nutritionnels et physico-chimiques.

1.1 Périodes de carence, stress et survie


Les conditions nutritionnelles dans la nature sont très variables, avec des micro-
environnements très riches en nutriments et d’autres où les conditions de vie sont
drastiques. Une caractéristique principale des habitats naturels est la périodicité de
la disponibilité des nutriments. Se produisent régulièrement des carences temporelles
(éventuellement très limitées dans le temps) et/ou spatiales (distribution intrinsèque
d’un nutriment au sein d’un micro-environnement) qui entraînent des stress et des
modifications de populations. Si plusieurs populations coexistent, elles sont souvent en
concurrence pour les substrats disponibles, et doivent faire face à deux problématiques :
la capacité à capter de façon efficace les nutriments disponibles, et la capacité à répondre
à ces changements environnementaux rapides.
Les disponibilités en sources de carbone et d’énergie sont des facteurs importants
affectant la croissance des organismes hétérotrophes dans la plupart des écosystèmes.
Ainsi une abondance de nutriments peut être considérée comme favorable car riche
en carbone assimilable, mais être cependant défavorable si elle présente une « activité
de l’eau » (l’eau nécessaire pour réaliser les fonctions métaboliques) faible, et une forte
osmolarité. Les environnements pauvres en nutriments sont communément appelés
oligotrophes par opposition aux environnements riches. Dans ces environnements, le
carbone organique (0,5 à 5 mg/L) est souvent sous forme de polymères complexes, non
utilisables directement par la plupart des micro-organismes présents (voir Chapitre 3).
Les quantités de carbone organique assimilable (10 à 100 µg/L) et de sources de carbone
simple (µg/L) (sucres ou acides aminés) sont en général cinquante fois et cent fois plus
faibles, respectivement, que le carbone organique total présent. De nombreux envi-
ronnements oligotrophes peuvent cependant être riches en micro-organismes (jusqu’à
105 à 106 cellules/mL), dont la plupart sont en vie mais en état de dormance, prêts à se
multiplier dès que les conditions redeviennent favorables.
Les conditions des environnements naturels diffèrent notablement de celles utilisées
en laboratoire (substrats peu variés et en excès) qui permettent d’obtenir une grande
quantité de micro-organismes avec une croissance optimale et rapide (voir Chapitre 3).

42
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

Dans l’environnement, les cellules sont souvent en phase de latence. Cela est vrai aussi
pour l’utilisation et l’assimilation des nutriments, en particulier du carbone. Ainsi la
présence d’un sucre simple peut déclencher un processus de répression catabolique,
qui permet d’éviter une dépense énergétique inutile en utilisant un substrat complexe
à coût plus élevé (voir Chapitre 6). Cette stratégie, applicable à de nombreuses espèces
en conditions artificielles, correspond à une spécialisation permettant l’utilisation d’un
substrat avec une efficacité importante. Les micro-organismes sont cependant généra-
lement capables d’utiliser simultanément plusieurs sources de carbone (dé-répression
catabolique) dans des conditions de nutriments limitants, avec une vitesse de croissance
souvent plus lente qu’en présence d’une seule source de carbone, grâce à l’expression
simultanée d’outils (gènes impliqués dans l’absorption, le transport et le métabolisme)
nécessaires à l’utilisation de ces substrats. Cela constitue un avantage dans un environne-
ment compétitif complexe, tout en permettant une flexibilité physiologique importante.

1.2 Stratégies trophiques : oligotrophie vs copiotrophie


Certains traits physiologiques peuvent influencer la fonction et la distribution des
micro-organismes dans la nature, et modifier la structure de la communauté. Chez les
micro-organismes hétérotrophes, deux stratégies trophiques coexistent, indépendamment
de la présence ou de l’abondance des nutriments. Les espèces oligotrophes, en nombre
constant (généralement faible) et ayant une vitesse de croissance très lente, sont en général
résistantes et adaptées à des conditions de ressources limitées. Les espèces copiotrophes
peuvent se trouver en faible nombre, mais, étant capables de répondre très rapidement à
un changement environnemental, se multiplient rapidement quand les ressources sont
abondantes, jusqu’à atteindre de grandes densités. Elles auront eu un avantage écologique
à cet instant. Une différence principale entre ces deux types de populations est l’utilisation
de l’énergie : les espèces oligotrophes utilisent davantage d’énergie pour se maintenir en
vie que pour croître, tandis que c’est le contraire chez les espèces copiotrophes. Les deux
populations peuvent coexister et fluctuer dans un environnement hétérogène, réalisant
éventuellement chacune une ou plusieurs fonctions écologiques importantes.

1.3 Organisation des fonctions trophiques en réseaux


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Il est rare qu’une seule espèce microbienne puisse réaliser l’ensemble des procédés liés
à l’utilisation de tous les produits issus de la décomposition des substrats disponibles
dans un environnement ou un écosystème donnés, et maintenir les différents cycles de
nutriments en équilibre. L’ensemble de ces fonctions est partagé entre des populations
différentes possédant des capacités complémentaires, interconnectées et interagis-
sant suivant de nombreux modes (§ 2.2). Ces populations forment ainsi des chaînes
alimentaires, interagissant par des relations trophiques, des échanges de nutriments
et d’énergie. Chaque population est un maillon de la chaîne, où elle occupe une place
particulière selon les activités qu’elle réalise. Les différentes populations étant interdé-
pendantes, une modification au sein d’une population (taille ou autre) peut influencer

43
Introduction à la microbiologie

grandement l’ensemble de la communauté. Un écosystème peut contenir plusieurs


chaînes trophiques, formant un réseau trophique, une population pouvant appartenir
à différentes chaînes. Suivant les écosystèmes ceux-ci peuvent être organisés de diffé-
rentes manières (voir Figure 2.1). À leur base se trouvent des producteurs primaires, des
(micro-)organismes photoautotrophes (voir Chapitre 3).
Dans le sol l’essentiel de la matière organique provient des débris végétaux, animaux
et microbiens. Dans les milieux aquatiques, elle est constituée des déchets d’organismes
variés modifiés par des micro-organismes autotrophes, ou est apportée par des acti-
vités humaines (matières organiques allochtones). Ces matières organiques serviront
de nutriments (sources de carbone et d’énergie) à des micro-organismes chimiohété-
rotrophes, qu’on pourrait qualifier de consommateurs. La régulation de ces réseaux
trophiques se fait au sein des différentes populations, ou par des facteurs environne-
mentaux ou même des virus (d’Eucaryotes ou de procaryotes).

Consommateurs :
Organismes supérieurs pluricellulaires
Taille
(µm) Transfert
de matière
et d’énergie
200
Microplanctons

Eucaryotes Algues (Diatomées)


Cyanobactéries
Phytoplancton

hétérotrophes
Zooplancton

Matières
Protozoaires filamenteuses
Organiques
Dissoutes
20 (MOD)
Nanoplanctons

Protozoaires, Microalgues autotrophes


ciliés (Scenedesmus, Volvox…)
Matières
Organiques
2 Particulaires
Picoplanctons

(MOP)
Bactéries Bactéries autotrophes
héterotrophes (obligatoires ou facultatives)
virus

0,2
Femtoplanctons

virus

Production de matières organiques Prédation broutage Régulation par les virus

Utilisation de matières organiques Interactions nutritionnelles possibles

Figure 2.1 – Schéma simplifié de réseaux trophiques microbiens aquatiques

La syntrophie est une interaction nutritionnelle obligatoire, à bénéfices mutuels. De


telles associations existent dans de nombreux habitats, généralement anoxiques, natu-
rels (sédiments et sols anoxiques, tubes digestifs, etc.) ou non (digesteurs anaérobies,
rizières, etc.). En permettant le recyclage du carbone, ce processus assure à la commu-
nauté un fonctionnement et une survie dans un milieu dont les conditions énergétiques

44
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

sont contraignantes (faible potentiel énergétique dû à l’absence d’O2). La dépendance


réciproque des partenaires ne peut pas être remplacée par l’ajout d’un co-substrat. Il est
donc difficile, voire impossible, de maintenir chacun d’eux en culture pure.
Le premier partenaire, ou syntrophe, réalise la première partie du processus méta-
bolique, la minéralisation partielle d’un substrat en CO2 et H2, associée à la libération
d’autres molécules organiques. En conditions anoxiques, H2 est un donneur puissant
d’électrons (on parle alors de transfert interspécifique d’hydrogène), mais d’autres agents
réducteurs (formate, acétate, mais aussi des composés organiques, sulfureux, azotés, des
composés toxiques, etc.) peuvent intervenir pour la production d’énergie (voir Chapitre 3).
Les substrats proviennent généralement de la fermentation primaire anaérobie de molé-
cules complexes (polymères) par d’autres micro-organismes du réseau trophique.
Le deuxième partenaire, le consommateur, est chargé d’utiliser les produits du méta-
bolisme du syntrophe, ce qui maintient leur concentration à un niveau faible, rendant
la chaîne réactionnelle thermodynamiquement favorable (exergonique). De multiples
interactions syntrophes existent dans la nature, faisant intervenir de nombreux micro-
organismes hydrogénotrophes (Bactéries acétogènes ou sulfato-réductrices appartenant
aux embranchements des δ-Proteobacteria [Synthrophus, ou des Firmicutes etc.], Clos-
tridia, Bacillus [Synthrophomonas, etc.] et Archées méthanogènes).
Dans le tube digestif des ruminants (voir Figure 2.2), des polymères glucidiques
disponibles sont hydrolysés par des micro-organismes fermentaires, libérant des sucres

Polymères glucidiques
complexes

(1)
Micro-organismes Hydrolyse et fermentation
hydrolytiques et
fermentaires

Acides gras à chaînes courtes :


Acétate propionate, butyrate, succinate CO2 H2

Hydrolyse
secondaire (4)
Bactéries
(2) acétogènes
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Bactéries
synthropes
(acétogènes)

Acétate
+ CH4
CO2 H2 (3)
Archaea
méthanogènes

Figure 2.2 – Un réseau trophique dans un environnement anaérobie


Les partenaires 2 (syntrophe) et 3 (consommateur) ont une interaction de syntrophie.
Les Bactéries (2) produisent de l’H2, consommé par les Archées (3).

45
Introduction à la microbiologie

simples métabolisés en acides gras à chaînes courtes (propionate, butyrate, succinate,


etc.) et acétate, CO2 et H2. Une fermentation secondaire (acétogénèse) réalisée par des
Bactéries acétogènes (les syntrophes) permet de minéraliser les acides gras à chaînes
courtes en CO2 et H2 en formant de l’acétate. Cette réaction, énergétiquement défavo-
rable si seules des Bactéries acétogènes sont présentes, et donc insuffisante pour soutenir
leur croissance, le devient grâce à la présence de méthanogènes (Archées) qui consom-
ment le H2 produit, maintenant basse sa pression ; cela augmente la vitesse d’utilisation
par les syntrophes de leur substrat et leur permet de se multiplier, stimulant à leur tour
les méthanogènes.

2 Fluctuations des communautés microbiennes


Les conditions physico-chimiques (facteurs abiotiques) des environnements natu-
rels entraînent la sélection de populations microbiennes spécifiques. Parallèlement la
présence d’espèces diverses, microbiennes ou non (facteurs biotiques), entraîne la mise
en place d’interactions entre ces populations.

2.1 Les facteurs abiotiques


Les principaux paramètres abiotiques qui conditionnent le développement des micro-
organismes varient dans les différentes parties du globe terrestre.

a. La température
La température est très variable suivant les biotopes naturels (de moins de 0 °C dans les
zones polaires à 5 °C dans les eaux profondes, autour de 20 °C dans les zones terrestres
tempérées, et jusqu’à 400 °C près des sources hydrothermales). Chaque espèce micro-
bienne présente un optimum de température de croissance, avec un éventail de tolérance
au-delà duquel (température maximale) ces variations deviennent létales (dénaturation
de composants cellulaires), et en deçà duquel (température minimale) les cellules sont
métaboliquement inactives ou ont un métabolisme très ralenti (état de dormance). Au
sein des micro-organismes psychrophiles (avec une plage de tolérance comprise entre
0 et 20 °C, et un optimal à 10 °C), les psychrophiles stricts ne peuvent se développer
qu’à des températures inférieures à 0 °C et sont détruits dès 15 °C ; les psychrotrophes
(psychrotolérants) se développent à basse température mais leur température optimale
de croissance peut être plus élevée (proche de celle des mésophiles). Ces micro-
organismes ont développé de nombreux mécanismes qui leur permettent de résister au
froid (présence d’acides aminés polaires et structures secondaires riches en hélices alpha
dans les protéines ; membranes cytoplasmiques contenant des acides gras insaturés
qui évitent une rigidification membranaire au froid). Leurs biotopes sont les mers et
océans polaires, les abysses, les sols gelés ou les glaciers. Les mésophiles (la plupart des

46
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

Bactéries et protistes des habitats terrestres) se développent entre 15 et 45 °C, avec un


optimum autour de 30 °C. Les thermophiles, dont certains sont thermophiles obliga-
toires, ont une plage de température de croissance entre 40 et 70 °C avec un optimum à
50 °C, et les hyperthermophiles se multiplient à plus de 70 °C avec un optimum autour
de 90 °C. Ces micro-organismes ont adapté leurs constituants et leurs mécanismes
moléculaires à ces hautes températures (contenu en GC de l’ADN élevé, membranes
cytoplasmiques riches en lipides saturés et protéines plus thermostables car riches en
acides aminés hydrophobes). Leurs habitats sont les sources d’eau chaude de surface
issues de fortes activités volcaniques (températures variant de 60 à 100 °C), les sources
hydrothermales océaniques profondes (températures pouvant atteindre 400 °C), ou le
sol (compost, fumier). Parmi les plus thermorésistants connus à ce jour, citons les genres
bactériens Aquifex et Thermotoga (température de croissance pouvant atteindre 90 °C)
et des Archées hyperthermophiles, avec l’embranchement des Euryarchæota (croissance
jusqu’à 110 °C dans des sources hydrothermales terrestres ou aquatiques), dont certaines
espèces produisent en même temps du méthane (Methanoarchæa), et celui des Crenar-
chæota (telles les Sulfolobales), présentes dans des sols volcaniques.

b. La salinité
La salinité est un facteur abiotique important. Les micro-organismes halotolérants
sont résistants à une concentration en sel modérée. L’eau de mer, avec une concentration
autour de 4 %, héberge des micro-organismes faiblement ou modérément halophiles
(croissance entre 2-5 % et 5-20 % de NaCl, respectivement). Dans d’autres environne-
ments, comme les marais salants, lacs salés ou la Mer Morte, dont les concentrations en sel
atteignent entre 20 et 30 % (soit proches de la saturation, à 35 %), on trouve essentiellement
des Archées halophiles extrêmes. Tous ces micro-organismes régulent très finement leur
pression osmotique interne afin de maintenir leurs structures cellulaires intactes.

c. L’aérobiose
L’aérobiose peut aussi moduler la diversité des micro-organismes au sein d’un biotope.
L’oxygène, qui est un accepteur final d’électrons pendant la respiration cellulaire (voir
Chapitre 3), est également un agent oxydatif puissant qui peut générer de nombreux
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éléments réactifs très toxiques tels que les radicaux libres, capables de détruire les
macromolécules biologiques (voir Chapitre 5). En présence de ces éléments, les micro-
organismes déclenchent des réponses adaptatives telle la production d’enzymes capables
de les détruire (peroxydases, catalases, superoxyde dismutases) ou de modifier (autres
oxydo-réductases) le potentiel d’oxydo-réduction de l’environnement. Ces micro-
organismes, dits aérobies, qui peuvent vivre en présence d’oxygène et l’utiliser, colonisent
toutes les zones ouvertes du globe. Certains, microaérophiles, dont les systèmes de
détoxication ont des performances variables, ne sont capables de croître que sous une
pression en O2 inférieure à celle de l’atmosphère. Les micro-organismes anaérobies
facultatifs peuvent se développer en absence d’O2 mais leur croissance est meilleure

47
Introduction à la microbiologie

en sa présence. À l’inverse, de nombreux micro-organismes incapables de réaliser la


détoxication des espèces réactives issues de l’O2, des anaérobies stricts, vivent dans les
sols et environnements aquatiques riches en gaz (méthane), en soufre, etc.

d. Acidité-alcalinité
Chaque micro-organisme montre aussi une plage de pH optimale. La majorité est
neutrophile (développement à pH entre 6,5 et 7,5). Les acidotolérants peuvent croître
à pH acide, mais avec un pH optimal de croissance proche de la neutralité. Les acido-
philes, ne se développant qu’à pH acide, incluent des acidophiles stricts et des acidophiles
extrêmes (pH de croissance inférieurs à 5,5 et à 3, respectivement), avec certaines Archées
hyperacidophiles se développant à des pH entre 1 et 3, dans des environnements riches
en métaux (fer, cuivre, zinc, etc.) ou en composants soufrés ou chlorés issus d’activités
volcaniques ou minières. L’alcalotolérance (pH optimal proche de la neutralité) est
souvent accompagnée d’une capacité de croissance à des pH basiques. Les alcalophiles
modérés et extrêmes ont des pH optimaux autour de 7 et 9, respectivement, avec encore
un extrême pour des Archées hyperalcalophiles, se développant à des pH entre 11
et 12. Les micro-organismes alcalophiles se développent dans des environnements aqua-
tiques riches en carbonate de sodium (sources thermales alcalines). Ce sont souvent des
Bactéries photoautotrophes oxygéniques (Cyanobactéries) ou anoxygéniques (Bactéries
pourpres), mais aussi des Bactéries chimiohétérotrophes et des Archées. Aucun orga-
nisme vivant n’a été trouvé jusqu’à présent à un pH supérieur à 12.

e. La pression
La pression atmosphérique terrestre (1 atmosphère, ou 1 000 kpascal) convient évidem-
ment aux micro-organismes se développant en surface. De nombreux biotopes présentant
de fortes pressions (fond des océans, lacs profonds, mais aussi la croûte terrestre, etc.)
hébergent des micro-organismes piézophiles, ou barophiles, se développant jusqu’à
environ 11 000 mètres de profondeur, sous une pression qui peut atteindre 100 MPa
(Fosse des Mariannes), mais ne supportant pas la pression atmosphérique. Leur vie à ces
pressions extrêmes est possible grâce à la production de protéines particulières (famille
des porines) qui forment des canaux, leur permettant de maintenir une pression intra-
cellulaire stable. La température dans les profondeurs variant de 2 °C à 400 °C, avec une
moyenne de 4 °C, ces organismes sont souvent psychrophiles. Les micro-organismes
barotolérants (piézotolérants) peuvent vivre sous une pression proche de la pression
atmosphérique, et sont moins sensibles aux diminutions de pression que les micro-
organismes piézophiles.

f. Autres facteurs
D’autres facteurs environnementaux sont aussi importants. Des micro-organismes
métallotolérants se développent dans des environnements contenant de fortes concen-
trations en métaux lourds (eaux polluées). D’autres, tolérant de fortes irradiations

48
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

(rayons gamma ou UV), ont été isolés de l’eau de bassins de centrales nucléaires ou de
sols radio-pollués. Des micro-organismes xérophiles peuvent tolérer des environne-
ments contenant très peu d’eau et résister à la dessiccation en formant des spores ou des
kystes. La lumière est indispensable à tous les organismes phototrophes (Bactéries et
Eucaryotes uni- et pluricellulaires).

Remarque Dans un environnement naturel, les micro-organismes peuvent être


confrontés simultanément à plusieurs de leurs limites de tolérance, et doivent alors déve-
lopper diverses aptitudes pour s’y adapter au mieux : Bactéries anaérobies et thermophiles
dans les composts, Bactéries alcalophiles et halophiles dans les lacs hypersalés roses (lac
Hillier en Australie ou lac Retba au Sénégal), Bactéries acidophiles et métallophiles
dans les eaux rouges du Rio Tinto, Bactéries hyperthermophiles et hyperacidophiles,
ou piézophiles et suivant les cas psychrophiles ou hyperthermophiles, dans les abysses.

2.2 Les interactions biotiques


Les cohabitations fréquentes de micro-organismes engendrent des interactions conti-
nuelles, entre eux ou avec des organismes pluricellulaires. Ces interactions sont régulées
par l’émission de molécules excrétées dans leur environnement, qui jouent le rôle de
facteurs de communication entre individus d’une même population ou de populations
différentes, et déclenchent des réponses physiologiques et métaboliques. Le degré d’inte-
raction entre populations influence la structure et les fonctions des communautés. Les
interactions entre micro-organismes sont la plupart du temps fondées sur l’utilisation
des ressources (pouvant être limitantes), et souvent régies par des relations trophiques
(production d’acides aminés, vitamines, etc.) (§ 1.3). Des relations avec des organismes
pluricellulaires mettent en jeu des interactions plus complexes, incluant d’autres niveaux
(protection, résistance à des molécules toxiques, réponse immunitaire, habitat, trans-
mission de virus, etc.).
Ces interactions peuvent être obligatoires ou non, durables ou pas. Une interac-
tion favorable (tous les partenaires tirent bénéfice de l’association), qui se traduit
par une croissance optimisée des partenaires (synergie), est désignée par les termes
de coopération ou de mutualisme. Quand cette interaction favorable est perma-
nente et obligatoire on utilise habituellement le terme généraliste de symbiose (en
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particulier dans les écosystèmes de types tubes digestifs). Quand elle implique des micro-
organismes et des organismes supérieurs on parle de symbiote pour le premier et d’hôte
pour le second. Le symbiote fournit de l’énergie ou des substrats, ou réalise des activités
que l’hôte ne peut pas effectuer. L’hôte, à son tour, offre un environnement adéquat.
Les associations symbiotiques sont nombreuses dans la nature (pucerons héber-
geant des Bactéries du genre Buchnera dans leur hémolymphe ; termites xylophages
et leurs micro-organismes capables de dégrader le bois (voir Chapitre 7). Les herbi-
vores hébergent une communauté microbienne complexe dans leur rumen (§ 4.1). Les
micro-organismes symbiotiques peuvent former des consortia s’ils interagissent de
façon dynamique au sein d’un habitat, se répartissant les différentes étapes d’une voie

49
Introduction à la microbiologie

métabolique (co-métabolisme). Le commensalisme ne profite qu’à un des partenaires,


le deuxième n’étant pas affecté. Sont définies ainsi les associations de micro-organismes
en différents habitats du corps humain (peau, etc.). Le premier offre une protection à
l’Homme, en revanche il est difficile de mesurer s’il y a bénéfice au profit des micro-
organismes (voir Chapitre 7). Ce type de relation est assez rarement mis en avant en
raison de la difficulté à mesurer une absence d’effet sur l’un des partenaires. Lors du
développement de la flore lactique dans la fabrication du yaourt, Streptococcus thermo-
philus se multiplie rapidement en produisant du lactate, ce qui entraîne une acidification
qui permet la croissance de Lactobacillus bulgaricus. L’interaction de ces deux Bactéries
était considérée comme commensale, avec pour seul bénéficiaire L. bulgaricus. Or il a
été montré depuis que ce dernier hydrolyse la caséine en acides aminés que peut utiliser
S. thermophilus.
Les interactions sont qualifiées de défavorables quand un partenaire est impacté
négativement par l’association (phénomène d’antagonisme). Une compétition a souvent
lieu en cas de limitation de ressources ou d’espace dans un habitat occupé par plusieurs
populations microbiennes aux métabolismes proches. La compétition peut s’effectuer
entre individus de la même espèce (intra-population) ou d’espèces différentes. Elle peut
être directe vis-à-vis de l’utilisation d’un substrat : une plus forte affinité pour ce subs-
trat, donc une meilleure capacité à l’importer, peut avantager certains partenaires qui
vont alors coloniser rapidement l’habitat et en devenir les populations dominantes.
Si des Bactéries acétogènes et des Archées méthanogènes, toutes deux hydro-
génotrophes, se trouvent dans un même habitat, elles entrent en compétition pour
l’hydrogène, leur substrat pour la synthèse d’acétate ou de méthane. L’affinité des
Archées pour H2 étant plus élevée, la conversion de H2 et CO2 en méthane est favorisée,
et cette population avantagée. La compétition peut se manifester de manière indirecte,
sous forme d’une lutte chimique par production de molécules toxiques (antibiotiques,
bactériocines, etc.) inhibant la croissance, ou même tuant le micro-organisme le moins
compétiteur, qu’il appartienne à la même espèce que le compétiteur ou à une autre. On
parle d’antibiose, ou d’amensalisme. Les Bactéries marines Vibrio spp. comprennent
une trentaine de sous-populations, dont plusieurs sont capables de produire des antibio-
tiques, spécifiques pour chaque espèce. Ces derniers peuvent agir sur d’autres Bactéries
à Gram− de l’habitat, mais aussi sur les sous-populations non productrices.
Le parasitisme est une interaction dont seul l’un des deux partenaires, le parasite,
tire profit, pour se nourrir et se multiplier, son hôte étant impacté négativement (voir
Chapitre 7). L’hôte, cependant, doit survivre sur une durée assez longue pour assurer
au parasite le temps de se reproduire. Ce type d’interaction concerne de nombreux
micro-organismes pathogènes capables d’infecter des cellules hôtes humaines, animales
ou végétales. On parle de prédation quand des micro-organismes (prédateurs) sont
capables de tuer d’autres micro-organismes (proies) pour s’en nourrir (de nombreux
protozoaires, telles la Paramécie ou des Amibes se nourrissant de Bactéries, micro-
algues ou autres protozoaires) (voir Chapitre 1). Des Bactéries prédatrices (Bdellovibrio,
Vampirococcus, etc.) mettent en œuvre des techniques très élaborées et coordonnées

50
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

incluant mobilité, adhésion et pénétration pour tuer leurs proies. Bien que considérée
comme négative au niveau d’un individu (la proie), cette interaction est nécessaire
pour la régulation et la structuration de la communauté, en permettant de contrôler les
concentrations des populations et le recyclage des nutriments.

2.3 Résistance et résilience


Les perturbations des facteurs environnementaux peuvent être temporelles ou spatiales,
et avoir des intensités, des périodicités et/ou des durées variables. Elles risquent ainsi
de toucher une partie ou la totalité de la communauté concernée. La communauté
affectée peut mourir, ou persister mais avec une distribution (abondances relatives) de
ses sous-populations modifiée. Deux paramètres permettent d’évaluer la stabilité d’une
communauté microbienne après une modification de l’environnement :
– la résistance : l’insensibilité de la communauté à une ou plusieurs perturbations ;
– la résilience : le taux ou la rapidité de recouvrement de la population à son niveau
initial après la survenue de la perturbation.
La sensibilité (inverse de la résistance) représente le degré de changements survenus
au sein de la communauté suite à une ou plusieurs perturbations. La stabilité d’une
communauté est souvent évaluée en termes de composition et de fonctions. Face à des
perturbations, les réponses adaptatives d’une communauté peuvent se situer à diffé-
rents niveaux. Une diversité importante (en espèces et en genres) permet une meilleure
réaction. En effet, cette diversité représente une large gamme de capacités d’adaptation
physiologiques et de réserves génétiques, qui peuvent converger pour permettre à la
communauté de mettre en place rapidement des réponses variées (tolérance ou protec-
tion) contre des effets néfastes de perturbations chimiques (stress nutritionnels) ou
physiques (chocs thermiques).
L’entrée dans un état de dormance, métaboliquement inactif, est une stratégie
fréquente chez des organismes vivant dans des environnements très changeants (tubes
digestifs, environnements aquatiques, sols, etc.). C’est une forme d’adaptation à long
terme, qui permet d’éviter une disparition (voir Chapitre 6). L’état de dormance contribue
également à la constitution d’un inoculum qui peut permettre un retour rapide à l’état
initial (résilience), et le maintien de la diversité au sein de la communauté. La taille des
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populations, leur capacité à se déplacer (mobilité, voir Chapitre 6) ou leur dispersion


contribuent à la reconstruction d’une communauté après une perturbation. En effet, la
mort ou l’inactivation des occupants antérieurs libèrent de nouvelles ressources et crée
des niches « vides », réoccupées aussitôt par les micro-organismes résistants (résilients)
ou par de nouveaux arrivants. Un autre aspect important est le renouvellement des
populations au sein d’une communauté. Ce paramètre est directement lié à la capacité de
croissance et à la rapidité de retour à l’état initial des populations. Les divers réseaux et
interactions (positives, neutres, négatives) existant au sein d’une communauté peuvent
amplifier ou au contraire limiter les effets des perturbations, impactant la nature des
réponses.

51
Introduction à la microbiologie

2.4 Formation de biofilms


Le biofilm est un mode de vie répandu chez les communautés microbiennes. Il consiste
en un ensemble de cellules agrégées dans une matrice extracellulaire constituée de
nombreux types de macromolécules hydrosolubles (polyosides, protéines et ADN) et
insolubles (cellulose, fimbriaie, flagelles, etc.) et de plus de 97 % d’eau. Ce complexe
se maintient grâce aux interactions entre ses constituants, bases de sa stabilité et de
son architecture. Ils peuvent se développer fixés sur des surfaces solides abiotiques
(matériaux submergés, cathéters, prothèses, éléments minéraux du sol) ou biotiques
(muqueuse intestinale ou pulmonaire, vaisseaux sanguins, dents, racines de plantes
terrestres, plantes aquatiques), ou se former en absence de support, et rester mobiles
(les flocs), à l’interface air-liquide. Ce sont des structures non rigides, organisées
en zones. La densité cellulaire y est très élevée (entre 108 et 1011 cellules/g de struc-
ture). Un biofilm peut contenir une seule ou plusieurs espèces, mais même un biofilm
monospécifique contient une population hétérogène, car les cellules peuvent se diffé-
rencier en fonction de leur position, hors ou dans le biofilm. Elles sont organisées
en microcolonies hétérogènes et ordonnées, ce qui crée des pores et des canaux
permettant la circulation de nutriments et de gaz. Par exemple, une structuration en
fonction du gradient en O2 verra les espèces aérobies en surface, puis, vers l’intérieur
et suivant la diminution de tension en O2, successivement les espèces anaérobies facul-
tatives, et les anaérobies strictes à un niveau où l’O2 a été complètement éliminé par
les autres espèces. Les nutriments disponibles sont d’origine exogène ou endogène
(lyses cellulaires).
La formation d’un biofilm de surface est initiée par l’attachement de cellules coloni-
satrices (pionnières) à un support, abiotique ou biotique, en fonction des propriétés de
celui-ci (charge électrique, hydrophobicité, présence de nutriments, etc.). Ces cellules, la
plupart du temps mobiles, se différencient, lors de leur rencontre avec le support ou les
unes avec les autres, en formes capables d’adhésion. Leur reproduction donne naissance
à une microcolonie qui, à un certain stade, produit divers polymères contribuant à la
trame du biofilm. À partir d’une certaine densité (phase de maturation) se forme un
réseau de pores et de canaux au sein de la matrice, qui est en permanent remodelage,
tant au niveau de son architecture que de l’organisation des populations. Certaines
cellules, redevenues mobiles, peuvent aller coloniser de nouveaux habitats. Si la densité
de la population devient critique, le biofilm peut être partiellement dégradé, facilitant
la dispersion des organismes constitutifs.
Les biofilms, présents dans des écosystèmes très divers (aquatiques, végétaux ou
animaux), y jouent des rôles variés. En permettant de capturer et de concentrer des
nutriments, et de maintenir une forte teneur en eau grâce à l’hydrogel constituant la
matrice, ils assurent des propriétés (habitat, protection, en particulier contre la dessic-
cation, et nutriments) essentielles pour la survie des cellules hébergées, même dans des
environnements oligotrophes. Ils peuvent cependant également accumuler de grandes
quantités de molécules toxiques (antibiotiques, polluants, etc.).

52
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

Un biofilm est un modèle d’adaptation intercellulaire, la forte densité cellulaire


contribuant à créer de nombreux réseaux d’interactions physiques et sociales. Les
cellules communiquent par échange de signaux électriques ou de molécules signals
(quorum sensing) (voir Chapitre 6). La division des tâches au sein des populations est
très performante comparativement au cas des micro-organismes planctoniques. Il
peut s’agir de coopération pour réaliser une action complexe (production ordonnée
et en synergie d’enzymes extracellulaires permettant une dégradation efficace de
substrats autrement récalcitrants pour des cellules planctoniques), ou au contraire
de compétition directe (utilisation d’un nutriment) ou indirecte (production de subs-
tances anti-microbiennes). Parmi ces interactions figurent les échanges génétiques par
transferts horizontaux (TGH ; voir Chapitre 5). Un rôle très étudié des biofilms est la
capacité de leurs populations à survivre à l’exposition à des composés toxiques ou anti-
microbiens (antibiotiques) (§ 4.4). Dans leur majorité, les cellules d’un biofilm sont
tolérantes à de nombreuses molécules toxiques, par mise en place de modifications
physiologiques pour survivre (croissance ralentie, dormance, sporulation, etc.) ou de
résistance (par sélection de mutants suite à une exposition à des concentrations sublé-
tales, ou par TGH interpopulations).
Des organismes eucaryotes (Saccharomyces cerevisiæ ainsi que d’autres levures
pathogènes, tel Candida albicans) peuvent aussi donner lieu à la formation de biofilms
dans des conditions naturelles, ce qui revêt une certaine importance quand il s’agit
d’organismes pathogènes. Formés in vitro, ces biofilms sont dimorphiques, avec des
cellules ovoïdes en surface et des pseudohyphes en profondeur, au sein d’une matrice
faite de glucides, protéines, hexosamine et acide uronique. Cette matrice confère à la
levure un niveau élevé de résistance à différentes drogues antifongiques. Sur support
en titane, dans des biofilms mixtes formés de deux micro-organismes présents dans la
plaque dentaire, C. albicans et Streptococcus gordonii, ces derniers s’avèrent hautement
résistants aux traitements antifongiques et antibactériens.

3 Comprendre la diversité microbienne


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Déterminer la diversité au sein d’une communauté renseigne sur sa structure, et permet


d’analyser de possibles fonctions associées aux différentes populations en tenant compte
des relations entre les espèces présentes et de l’espace dans lequel elles se trouvent
(i.e. la biogéographie). L’assemblage et la structure d’une communauté microbienne
dépendent de plusieurs facteurs, qui peuvent se combiner : 1) la diversité des popula-
tions due à une sélection par les différentes niches ; 2) la taille de l’écosystème, qui peut
conditionner l’arrivée de nouvelles espèces dans un habitat (dispersion à partir d’habi-
tats environnants) ; 3) les changements d’abondances relatives des espèces au cours du
temps (turnover) ; 4) la diversification (l’évolution) des populations, due à la fois à leur
taille et aux différentes niches, générant ainsi de nouvelles variantes génétiques.

53
Introduction à la microbiologie

On peut définir une communauté par deux paramètres (voir Figure  2.3)  : la
richesse et la distribution de sa population. La richesse spécifique, S, correspond au
nombre d’espèces différentes (taxa ou unités taxinomiques présentes au sein d’une
communauté). Ce paramètre ne prend en compte ni la proportion ou la distribution
des espèces, ni les populations rares (souvent largement sous-représentées), valeurs
mesurées par l’uniformité, E, la distribution relative de l’abondance des différentes
espèces. Pour deux communautés ayant le même nombre d’individus, une distribu-
tion similaire de toutes les espèces (cas rare) correspond à une valeur élevée de E, et
inversement une distribution non uniforme (une ou quelques espèces numériquement
dominantes, les autres étant rares ; cas le plus fréquent) correspond à une unifor-
mité E faible. La diversité au sein d’un habitat (niveau local) doit aussi être estimée
du point de vue de sa variabilité dans le temps, et pouvoir être comparée au sein de
plusieurs communautés. Des approches mathématiques ont été développées en ce
sens. L’indice de Shannon, H’, permet de réaliser un inventaire (richesse et diversité)
des espèces présentes au sein d’un même habitat (la plus petite échelle). H’ est géné-
ralement compris entre 1,5 et 3,5, et dépasse rarement 4, un indice H’ élevé indiquant
une forte biodiversité. L’indice de Simpson, Ds, indique la probabilité que deux indi-
vidus pris au hasard dans deux habitats soient différents. Si la diversité est faible, il est
probable que les deux individus appartiennent à la même espèce (Ds proche de 0), et
inversement pour une forte diversité (Ds proche de 1) (voir Figure 2.3). Mesuré à un
niveau plus large, faisant alors appel à la notion de dispersion des espèces, cet indice
permet de comparer la diversité entre écosystèmes (indice de différenciation). Deux
communautés appartenant à différents sites présentant des indices Ds différents seront
distinctes dans leur structure (composition et abondance des espèces présentes) et
auront peu d’espèces en commun.
La caractérisation des structures d’un écosystème, de son fonctionnement, des
changements au cours du temps nécessite de recourir à plusieurs stratégies d’analyse$.
L’association des approches devrait répondre à plusieurs questions :
– Quelles cellules (genres et espèces) sont présentes (taxinomie) ?
– Quelle est la taille des différentes populations ?
– Dans quels états physiologiques (métaboliquement actives, viables, dormantes, etc.)
se trouvent-elles ?
– Quelles activités exercent-elles ?
Il est évidemment crucial que l’échantillonnage effectué soit parfaitement repré-
sentatif de l’écosystème. Les approches culturales ne permettent d’identifier qu’une
proportion de la population, passant à côté de micro-organismes viables mais non culti-
vables en laboratoire. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette impossibilité :
– Un micro-organisme ayant une croissance très faible ou très lente peut passer ina-
perçu si la majorité des espèces se développe rapidement.
– Un micro-organisme ayant des besoins nutritionnels (physiques ou chimiques) très
spécifiques, non satisfaits par méconnaissance, ne pourra se développer.

54
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

I Communauté 1 : S = 3 Communauté 2 : S = 4 Communauté 3 : S = 4

II Communauté 1 : E faible : Communauté 1 : E moyenne : Communauté 1 : E élevée :


distribution non uniforme distribution moyennement uniforme distribution uniforme
100 100 100
abondance (%)

abondance (%)

abondance (%)
80 80 80

60 60 60

40 40 40

20 20 20

0 0 0
A B C A B C D A B C D

III Communauté 1 : Ds1 = 0,29 Communauté 2 : Ds2 = 0,68 Communauté 3 : Ds3 = 0,75
a a a
a a a b a b
a b b
b a b d b d
a b a
c a c c c c
a c c
a a b c d d

Figure 2.3 – Estimation de la diversité d’une ou plusieurs communautés


microbiennes
Trois communautés contiennent chacune douze individus appartenant à quatre
espèces différentes (A, B, C, D). (I) Richesse spécifique S des trois communautés ;
(II) distribution de l’abondance relative E de chaque espèce ; (III) indice de diversité
de Simpson Ds. Probabilité P d’appartenance à la même espèce de deux individus
pris au hasard : Communauté 1 : Ds = 0,29, P = 0,71 ; Communauté 2 : Ds = 0,68,
P = 0,32 ; Communauté 3 : Ds = 0,75, P = 0,25.
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– La présence d’autres espèces (cas fréquent pour un échantillon issu de l’environne-


ment) peut être défavorable en raison d’une compétition pour un nutriment ou de
la production de substances inhibitrices par d’autres cellules.
– Inversement, la présence d’autres micro-organismes peut être nécessaire en raison
de coopération métabolique (nutritions croisées) (§ 2.2).
Des approches microscopiques et de cytométrie peuvent pallier cet inconvénient
et renseignent sur les structures des communautés. Les analyses moléculaires, diverses et
très informatives, permettent l’identification des micro-organismes non cultivables et
complètent l’analyse en abordant les modes de fonctionnement des communautés.

55
Introduction à la microbiologie

Malgré l’abondance des approches, la compréhension des relations entre la struc-


ture et les fonctions d’une communauté microbienne est encore modeste. L’observation
de corrélations directes, comme prévisibles, ou à l’inverse d’absence apparente de lien
entre les données de diversité (démontrant des potentiels) et les fonctions réellement
exprimées dans l’environnement reflètent la complexité de ces systèmes et le chemin à
parcourir pour les comprendre.

4 Quelques écosystèmes – Applications

4.1 Symbioses nutritionnelles dans les tubes digestifs


Au cours de l’évolution, de nombreux animaux hôtes (mammifères, insectes, etc.)
ont établi dans leur tube digestif (TD) des interactions complexes avec des micro-
organismes (voir Chapitre 7). Ces derniers (symbiotes) peuvent aller jusqu’à jouer le rôle
d’un organe à part entière. En effet leur présence est indispensable à l’équilibre de l’hôte,
et ils jouent un rôle dans sa protection vis-à-vis de pathogènes et ses réponses immu-
nitaires. Ils participent au renouvellement des cellules épithéliales des TD en stimulant
leur croissance, et sont impliqués dans les communications intra- ou interspécifiques.
Un de leurs rôles majeurs est la nutrition. Ils participent à la digestion des aliments,
fournissant des sources de carbone et d’énergie à l’hôte, sont capables de pallier des
manques en aliments (acides aminés ou vitamines, apport d’azote par d’autres voies
telle la fixation de diazote, etc.). L’hôte en retour leur offre un environnement protec-
teur, stable, ainsi que des nutriments. La répartition des micro-organismes dans le TD
dépend des paramètres anatomiques (zone de transit, de stase alimentaire), et des condi-
tions physico-chimiques de ses différents compartiments, modulées par les sécrétions
digestives de l’hôte et les activités métaboliques des micro-organismes. Des applications
biotechnologiques intéressantes mettant à contribution ces microflores peuvent être
envisagées.
Les insectes sont les plus diversifiés et les plus abondants des animaux sur Terre (en
termes d’espèces, d’habitats et de biomasse), un succès en partie lié aux liens étroits
qu’ils développent avec les micro-organismes hébergés dans leur TD. Les termites
hébergent dans leurs TD une communauté microbienne complexe parmi les plus
élaborées et les plus étudiées (voir Chapitre 7), constituée de Bactéries et de proto-
zoaires flagellés, dont la proportion varie en fonction de leurs régimes alimentaires.
La digestion des parois végétales par les termites est le résultat d’une coopération entre
les prétraitements mécaniques et enzymatiques par l’insecte et l’action des micro-
organismes.
Les mammifères herbivores (dont les ruminants) ont également développé une rela-
tion avec des micro-organismes installés dans leur TD, ce qui leur permet d’utiliser au
mieux les végétaux, qui constituent la majeure partie de leur alimentation. Cette relation

56
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

est dite symbiotique obligatoire (au sens restrictif d’une relation à effet positif). Le TD
des ruminants comprend un estomac ou caillette (équivalent à l’estomac des autres
mammifères), précédé de trois compartiments, le rumen ou panse, le plus volumineux,
le réseau et le feuillet. Ces pré-estomacs, en particulier le rumen, hébergent la majorité
de la microflore et sont responsables d’au moins 90 % de la capacité de fermentation du
TD. L’hôte régurgite plusieurs fois les végétaux absorbés, afin de les broyer en particules
fines et de tamponner leur pH par salivation. Cette rumination, qui peut durer jusqu’à
huit heures par jour, facilite l’attaque enzymatique ultérieure par les micro-organismes.
La digestion microbienne des végétaux est réalisée en plusieurs étapes selon une chaîne
nutritionnelle complexe et par une flore et une faune abondantes et diversifiées d’orga-
nismes anaérobies stricts (voir Chapitre 7). Les espèces hydrolytiques (cellulolytiques
et hémicellulolytiques) fractionnent les polymères glucidiques en oligosides ou sucres
simples, qui seront utilisés par des micro-organismes fermentaires, libérant des acides
gras à chaîne courte (acétate, butyrate, propionate, etc.), sources de carbone et d’énergie
pour l’hôte. Du H2 et CO2 également libérés sont utilisés par des micro-organismes
hydrogénotrophes, qui produisent d’autres molécules, en particulier du méthane, éructé
par l’animal (voir Figure 2.2).
L’écosystème microbien du rumen contient au moins une cinquantaine d’espèces, à
une concentration de 1010 à 1011 cellules/mL de contenu ruminal. On y trouve des Bacté-
ries hydrolytiques, fermentaires et hydrogénotrophes (acétogènes et sulfato-réductrices)
variées : embranchement des Firmicutes à bas G+C (Ruminococcus, Butyrivibrio…), des
Bacteroidetes (Fibrobacter, Prevotella, etc.), des Actinobacteria, Proteobacteria (Desul-
fovibrio, Enterococcus, etc.) et des Spirochætes (Treponema). Les Eucaryotes du rumen
sont des protozoaires ciliés (105-107 cellules/mL de contenu ruminal) fermentaires ou
capables d’hydrolyser les parois végétales (voir Chapitre 1), dont certaines de leurs
enzymes cellulolytiques et hémicellulolytiques auraient été reçues par TGH à partir de
Bactéries cellulolytiques du rumen. Les méthodes culturales ont permis de dénombrer
jusqu’à 105 spores/mL de champignons, les seuls anaérobies connus de ce groupe. Ce
chiffre est probablement une sous-estimation, la plupart de ces champignons formant
des rhizoïdes qui pénètrent dans les substrats végétaux, facilitant ainsi les digestions
enzymatiques. Les principaux genres en sont Neocallimastix, Piromyces, Orpinomyces,
Anaeromyces. Des Archées (entre 108 et 1010 cellules/mL de contenu ruminal, avec les
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genres Methanobrevibacter, Methanosarcina, Methanobacter), les derniers maillons de


cette chaîne trophique, transforment en méthane le H2 et le CO2 libérés par les autres
micro-organismes.
Ces populations sont spatialement structurées dans le rumen : les cellules adhérentes
aux particules alimentaires (toutes catégories) représentent environ les trois quarts de
la population microbienne totale et participent à la dégradation de quelque 65 % de la
cellulose végétale en quarante-huit heures. Les micro-organismes épimuraux, adhérant
à la paroi interne du rumen, sont constitués d’une flore anaérobie facultative capable
d’utiliser rapidement l’O2 et l’urée qui arrivent dans le rumen par la circulation sanguine,
et d’espèces protéolytiques qui se nourrissent des cellules épithéliales desquamées de

57
Introduction à la microbiologie

l’hôte. Les micro-organismes planctoniques, libres dans le liquide ruminal, sont consti-
tués de protozoaires et Bactéries.

4.2 Écosystèmes du sol – Cycles biogéochimiques


Le sol est une matrice complexe, hétérogène, constituée de matières minérales et orga-
niques à différents stades de décomposition, d’eau, de gaz (CO2 , N2 , O2) et d’êtres
vivants, dont de nombreux animaux des macro- et méso-faunes (lombrics, insectes,
arthropodes, etc.) et de la microfaune. C’est un des habitats les plus riches en micro-
organismes, avec une concentration pouvant atteindre 1012 cellules/g de sol, dont la
composition varie en fonction des types de sol et des conditions environnementales. On
y compte 103 à 106 espèces différentes, dont jusqu’à 60 % de procaryotes (des Bactéries
à Gram+ [Bacilli, Clostridia, Actinobacteria, etc.] et à Gram− [Proteobacteria, etc.]), et
jusqu’à 200 m/g de sol d’hyphes fongiques.
Cette diversité peut entraîner des redondances fonctionnelles, qu’il est souvent diffi-
cile d’attribuer de façon précise à tels groupes, lesquels agissent fréquemment de concert.
Certaines fonctions très spécifiques (nitrification, dénitrification, etc.) sont réalisées par
des guildes microbiennes spécialisées. D’autres, génériques (décomposition du carbone
organique, etc.) sont effectuées par un grand nombre de groupes microbiens. Les acti-
vités microbiennes ne sont pas homogènes dans l’ensemble des sols, mais ont surtout
lieu dans des zones riches en matières organiques. Le rôle de la faune du sol, non abordée
ici, est crucial pour la fragmentation physique et la distribution de la matière organique
fraîche, pour la modification des propriétés physico-chimiques du sol (aération, pH,
structures), et enfin pour la régulation des niveaux de populations des micro-orga-
nismes dans les réseaux trophiques du sol.
Les micro-organismes du sol sont impliqués dans de nombreuses fonctions écosysté-
miques, couvrant la transformation, le recyclage et le stockage de l’essentiel des éléments
chimiques indispensables à la vie, et la modification physique et la structuration du
sol. La plupart des éléments nutritifs contenus dans les matières organiques du sol sont
décomposés et transitent par eux avant d’être de nouveau disponibles et assimilables
par les végétaux, dont ils stimulent la croissance. Ces fonctions sont indispensables au
maintien d’une bonne qualité et de la stabilité des sols, et de leur capacité d’adaptation
rapide face à des changements environnementaux (réchauffement climatique, séques-
tration du carbone, limitation des gaz à effet de serre, etc.).
Tous les éléments indispensables à la vie sont ainsi redistribués via des cycles,
souvent interconnectés. Le cycle du carbone, l’élément majoritaire des molécules orga-
niques, est associé à la formation, l’utilisation et le stockage de ces matières dans et
au-dessus du sol (voir Figure 2.4). Le carbone est présent sous différentes formes, orga-
niques (C-H-O), ou minérales, sous différents états d’oxydation (du CO2 au méthane,
CH4), et passe d’un état à un autre sous l’action de différents organismes vivants. Le CO2
est utilisé par les (micro-)organismes photoautotrophes, dont il constitue la source de
carbone, leur source d’énergie étant la lumière (voir Chapitre 3). La matière organique

58
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

(biomasse) ainsi synthétisée constitue les formes du carbone utilisables par les autres
organismes, chimiohétérotrophes. La majorité de la matière organique des écosystèmes
du sol est fournie par les végétaux, bien qu’y participent des micro-organismes photoau-
totrophes. Apportée par la litière et les racines, elle est constituée de molécules solubles
et de parois végétales, riches en polymères glucidiques (cellulose et hémicelluloses) et
en polymères aromatiques (les lignines). Le sol recèle aussi de nombreux autres types de
matière organique provenant de débris animaux, dont la chitine (parois des insectes, des
champignons, riche en carbone et azote). Le carbone contenu dans ces matières est pour
partie minéralisé en CO2 en présence d’O2 lors de la respiration des micro-organismes,
et pour partie décomposé par des micro-organismes en molécules simples (glucides,
acides aminés, etc.) utilisées par les végétaux et les micro-organismes eux-mêmes. La
biomasse microbienne constitue une réserve importante, libérée lors de la mort de ces
communautés. La biomasse végétale est stockée, en partie sous forme de substances
humiques très stables.

Photosynthèse
O2
Organismes photoautotrophes
Air

=
CO2 Végétaux

Transfert de matières organiques et de C

(Litières, racines…, débris animaux)


Matières organiques fraîches Eucaryotes pluricellulaires
C organiques complexes ou unicellulaires
(macro-, mésofaunes)
Biomasse microbienne Microfaunes
Réserve de C organiques
Champignons
Sol

Respiration
Bactéries Décomposeurs
chimiohétérotrophes

Composés
organiques
simples
Stockage assimilables
Assimilation C
Humus
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Figure 2.4 – Cycle du carbone en milieu aérobie et recyclage de la matière


organique

Autre élément majeur des cellules vivantes, l’azote est impliqué dans la synthèse de
la plupart des macromolécules biologiques (protéines, acides nucléiques, lipides, etc.). Il
existe sous différentes formes, du gaz (N2, représentant les trois quarts de l’azote terrestre
et 80 % de l’atmosphère), aux formes oxydée (nitrates, N03 −) et réduite (ammoniac, NH3
ou ion ammonium NH4+, selon les conditions). D’autres gaz non naturels comme le N2O
(gaz à effet de serre) peuvent être présents dans l’air. Le cycle de l’azote (voir Figure 2.5)
comprend plusieurs étapes faisant intervenir de nombreuses communautés microbiennes,

59
Introduction à la microbiologie

lui permettant de passer par différents états d’oxydation. Le diazote est un gaz inerte que
seuls quelques groupes de procaryotes sont capables d’assimiler directement.
La fixation du N2 est réalisée par des Bactéries fixatrices d’azote, libres ou en
symbiose avec des plantes. Dans ce dernier cas, les bactéries procurent de l’azote trans-
formé (fixé, NH3 ou NH4 +) aux plantes, qui en retour leur fournissent du carbone
assimilable. Les matières organiques azotées accumulées dans le sol subissent plusieurs
transformations, qui peuvent se faire en aérobiose ou en anaérobiose, pour aboutir à la
formation d’ammoniac (ammonification). Ce dernier peut être assimilé ou subir diffé-
rents changements d’état d’oxydation jusqu’à la formation de nitrates. En anaérobiose, il
peut être transformé directement en N2 par la voie Anammox (ANaerobic AMMonium
OXidation). Cette voie, mineure dans le sol, présente un fort intérêt en biotechnologie,
en particulier pour le traitement des eaux usées (§ 4.3). La nitrification (en aérobiose)
se fait en deux étapes. Des Bactéries nitrosantes transforment l’ammoniac en nitrites
(N02−) (étape de nitritation), une forme instable transformée en N03 −, forme facilement
assimilable par les plantes et les micro-organismes dans leur ensemble (étape de nitrata-
tion). Les nitrates peuvent subir un processus inverse de dénitrification en anaérobiose,
étape qui aboutit à la formation de N2. Une autre voie, la réduction dissimilatrice des
nitrates, permet de minéraliser directement le N03 − en N2.

Assimilation
Ammonification
Protéobactéries,
Nitrification Firmicutes
Champignons
Ammonium oxidizing bacteria (AOB) Nitrite oxidizing bacteria (NOB)
Nitrosospira, Nitrosomonas, Nitrosococcus,… Nitrospira, Nitrobacter, Nitrococcus,…
+O2

Nitritation Nitratation

–3 0 +1 +2 +3 +4
Azobacter, Cyanobactéries, États
Rhizobium, Frankia,… d’oxydation Assimi-
Fixation lation Matières
NH4+
N2 N2O NO N02 -
N03 - organiques
NH3 azotées
Planctomyces
(Brocadia,..)

Anammox* Dénitrification
–O2

Protéobactéries, Firmicutes, Actinobactéries…

Réduction
dissimilatrice Champignons
du nitrate Firmicutes
Protéobactéries,
Protéobactéries
Ammonification

Figure 2.5 – Principales étapes du cycle de l’azote


* Le schéma du processus Anammox est simplifié ; en réalité la réaction se fait selon
une voie intermédiaire produisant du N02−.

La teneur des sols en azote est un point critique de leur équilibre écologique, une
surabondance pouvant entraîner une pollution aux nitrates. L’azote étant en général

60
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

un nutriment limitant, sa disponibilité influence la croissance de nombreux organismes


vivants, en particulier les végétaux. En agriculture, l’apport naturel biologique est
remplacé par des apports externes (engrais azotés tels nitrate ou sulfate d’ammonium,
urée, etc.). La conséquence est une augmentation de la qualité des litières tombant au
sol, le carbone et l’azote n’étant alors plus limitants, effet qui devrait favoriser la crois-
sance des micro-organismes. De nombreuses études montrent cependant qu’à long
terme l’utilisation d’engrais chimiques azotés a des effets négatifs sur les communautés
microbiennes du sol, et ce selon plusieurs mécanismes. Une diminution du pH, qui peut
entraîner une lixiviation d’autres ions, résulte en une diminution de leur teneur (magné-
sium, calcium) dans le sol. La disponibilité en carbone peut aussi être impactée si l’azote
en excès se fixe dans des polymères glucidiques formant des complexes réfractaires à
la décomposition. Une diminution de la biomasse microbienne totale, impactant plus
fortement certains groupes, peut atteindre jusqu’à 15 %, entraînant une limitation du
renouvellement et de la quantité de carbone disponible.
Ainsi, les champignons mycorhiziens impliqués dans une symbiose avec des plantes
n’étant plus indispensables pour le captage des nutriments, les plantes leur fournissent
moins de carbone, ce qui en retour impacte négativement leur physiologie et leur popu-
lation. On peut de même observer une diminution de l’abondance d’Actinobactéries
ou de Bactéries à Gram − , et une augmentation de populations de Bactéries à Gram+.
Des modifications de groupes fonctionnels peuvent être observées, telle une augmenta-
tion de populations de Nitrosospira chez des Bactéries nitrifiantes. Les excès de nitrates
fournis en agriculture intensive peuvent être lessivés et entraînés dans les eaux souter-
raines, pour se retrouver dans de nombreux écosystèmes aquatiques terrestres, où ils
sont responsables de dysfonctionnements (eutrophisation, croissance anormale d’algues
dans certaines régions).

4.3 Communautés microbiennes et dépollution


Les polluants chimiques et biologiques présentent un fort risque de perturbation du
bon fonctionnement des environnements naturels et de la santé des organismes qui s’y
trouvent, humains comme autres espèces. De nombreux écosystèmes sont impliqués
dans l’élimination d’un certain nombre de ces polluants.
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L’assainissement des eaux usées est un exemple de procédé utilisant une commu-
nauté microbienne artificielle pour réaliser une dépollution. À l’heure où la disponibilité
en eau devient un problème sociétal majeur sur la planète, l’assainissement des eaux
usées et leur recirculation (c’est-à-dire leur reconditionnement et leur recyclage) sont
des enjeux très importants. Les eaux usées sont constituées des eaux de pluie et de
ruissellement, et des eaux issues de nombreuses activités humaines (rejets domestiques,
hospitaliers, industriels et agricoles). Leur composition est donc très variable, pouvant
consister en matières organiques et minérales dissoutes ou en suspension (composés
pharmaceutiques, pesticides, traces métalliques), les graisses étant souvent abondantes,
et en nombreux micro-organismes (procaryotes, Eucaryotes et virus). L’assainissement,

61
Introduction à la microbiologie

réalisé dans des stations d’épuration selon des procédés sensiblement identiques quel
que soit leur emplacement, permet de rejeter les eaux assainies dans l’environnement,
selon des normes biens définies (concentrations maximales autorisées en azote et phos-
phore de 15 mg/L et 2 mg/L, respectivement).
Un traitement physico-chimique (dégrillage/désassemblage/dégraissage) permet
d’éliminer les éléments solides, la graisse et les substances en suspension. Les eaux
obtenues, clarifiées, contiennent encore des matières organiques dissoutes et de fines
particules en suspension. Elles subissent un deuxième traitement, constitué principa-
lement de procédés microbiologiques. L’eau sera ensuite séparée des micro-organismes
(boues) par décantation, avant son rejet dans l’environnement. Le principe du trai-
tement biologique, très simple, consiste à utiliser des micro-organismes capables
de se multiplier grâce aux différents composants dissous (principalement C, N, P),
et de piéger des éléments nocifs tels des métaux lourds. Il fait intervenir de nombreux
micro-organismes (naturellement présents mais surtout inoculés, par réutilisa-
tion des boues par exemple), dont 90 % sont des Bactéries (chimiohétérotrophes ou
chimioautotrophes, aérobies strictes, facultatives et anaérobies). Les embranchements
présents sont très variés (Proteobacteria, Firmicutes, Actinobacteria, Bacteroides,
etc.). Ils forment des écosystèmes complexes, qui peuvent différer suivant les eaux à
traiter et les conditions environnementales, et dont le fonctionnement est encore mal
connu. La composition et la structuration de la communauté déterminent l’efficacité
du traitement.
Deux types de procédés biologiques sont utilisés : les micro-organismes sont soit
directement en suspension dans des bassins contenant les eaux à traiter (boues dites
activées car contenant des micro-organismes vivants), soit immobilisés en cultures fixes
(lits bactériens, en présence de graviers, billes de pouzzolane, disques ou filtres), sur
lesquelles l’eau est percolée. Les conditions (aération, etc.) sont contrôlées en fonction de
l’activité microbienne souhaitée, et la durée d’incubation modulée pour permettre l’acti-
vité microbienne optimale. Les procédés de traitements par boues activées comprennent
plusieurs étapes, effectuées dans des bassins séparés reliés les uns aux autres.
– L’élimination du carbone organique se fait dans des bassins aérés (par injection
d’air ou par agitation), et implique la plupart des micro-organismes hétérotrophes
présents. Les molécules simples sont métabolisées directement par les micro-
organismes. Les polymères complexes peuvent être fractionnés par des enzymes
extracellulaires avant d’être assimilés. La diminution de la teneur en carbone des
eaux est corrélée à une multiplication microbienne, et à un dégagement de CO2
(respiration). Les micro-organismes produits sont séparés de l’eau par décantation,
formant une phase solide (boues activées).
– L’élimination des matières organiques azotées se fait suivant les étapes du cycle
de l’azote, par une succession de nitrifications et dénitrifications par modifica-
tion des conditions d’incubation, particulièrement de l’aération. La majorité de
l’azote, sous forme d’ions ammonium, va subir une nitrification en aérobiose par
des Bactéries nitrifiantes chimioautotrophes (genres Nitrosomonas, Nitrosospira,

62
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

etc.) et nitratantes (Nitrospira, Nitrobacter, Nitrococcus, etc.). Les nitrates formés


sont dénitrifiés en anaérobiose par la voie de la dénitrification complétée ou non
par Anammox. Dans le premier cas des micro-organismes appartenant aux genres
Pseudomonas, Chromobacterium, Bacillus sont impliqués. Le procédé Anammox
fait intervenir des Planctomyces pour oxyder l’ammonium directement en N2.
L’azote, transformé en N2 gazeux, est rejeté dans l’environnement. Le procédé de
dénitrification permet d’éliminer jusqu’à 90 % de l’azote de l’eau, et les boues for-
mées sont enrichies en azote.
– L’élimination du phosphore, plus complexe, fait intervenir des micro-organismes
aérobies (dits déphosphatants) capables de survivre en condition anaérobie,
majoritairement le genre Acinetobacter, mais aussi Alcaligenes, qui accumulent le
phosphore sous forme de polyphosphates intracellulaires. Les bassins de traitement
étant dans un premier temps placés dans des conditions de stress (anaérobiose),
des micro-organismes fermentaires vont produire des acides gras à chaînes courtes
volatils, utilisables par les bactéries déphosphatantes, qui dans ces conditions vont
devoir utiliser leurs réserves en phosphates, et libérer du phosphore dans le milieu.
Placées ensuite en conditions aérobies, elles utilisent le carbone organique de l’eau
à traiter pour croître, et en même temps ré-accumulent du phosphate de réserve. La
diminution de la concentration en phosphore de l’eau est de 50 à 60 %, la quantité
libérée en phase anaérobie étant inférieure à celle accumulée ensuite. Les boues acti-
vées sont donc riches en phosphore.
– À la fin de chaque traitement biologique, les boues enrichies sont séparées de l’eau
par décantation, en partie réintroduites dans le système (inoculum) et en partie
éliminées (déchets solides). Au cours de certains dysfonctionnements (présence de
Bactéries sulfureuses filamenteuses comme Thiotrix, de mauvaises conditions d’aé-
ration, de polluants réfractaires toxiques, etc.), les micro-organismes ne décantent
pas correctement. Les stations d’épuration risquent alors d’être des voies d’intro-
duction de polluants dans l’environnement (§ 4.4).

4.4 Antibiotiques et résistances


La découverte des antibiotiques dans les années 1940 a été une avancée majeure en
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médecine, humaine et vétérinaire, pour soigner des maladies infectieuses. Ces produits
agissent en bloquant, chacun spécifiquement, une étape d’un processus cellulaire vital
(division, réplication, synthèse protéique, etc. ; voir Chapitres 3, 4 et 6). Ces molécules
peuvent être introduites dans de nombreux environnements (eaux, sols, etc.) par des
activités humaines (industrie pharmaceutique, médicaments non utilisés, eaux usées
domestiques ou issues des hôpitaux). Ces produits sont aussi utilisés massivement pour
prévenir des infections (en cas de risque important de propagation) et pour améliorer
la croissance et les rendements d’animaux d’élevage. Selon les réglementations émises
par des directives de l’OMS, et depuis 2006 de l’UE, leur utilisation comme facteurs de
croissance est cependant interdite sur ce continent. Une grande partie de la quantité

63
Introduction à la microbiologie

d’antibiotiques qui circule dans le monde n’est en fait ni absorbée ni métabolisée. Selon
leurs compositions et leurs propriétés physico-chimiques, 30 à 90 % de ces molécules ou
des produits issus de leur métabolisme sont excrétés dans les urines et les fèces quelques
heures après leur ingestion. Ils sont alors considérés comme des polluants émergents,
dont l’élimination est un problème de santé publique.
De nombreux micro-organismes non pathogènes (Pseudomonas, Microbacterium,
Vibrio, etc.) sont naturellement peu sensibles à divers antibiotiques en raison de la
faible pénétration de ces molécules dans ces cellules. L’acquisition d’une résistance à
un antibiotique (ou à une famille d’antibiotiques) par une souche naturelle sensible
peut se faire par plusieurs voies. Il peut s’agir de mutations spontanées (en général
chromosomiques) modifiant la cible de l’antibiotique, ou augmentant les capacités
d’excrétion, de modification ou de destruction de l’antibiotique, les gènes responsables
de ces types de résistance étant souvent portés par des éléments génétiques mobiles
(voir Chapitre 4), ce qui facilite leur dissémination entre micro-organismes. Depuis
plusieurs années, de nombreux micro-organismes pathogènes sont ainsi devenus
(multi)-résistants  : Entérocoques résistants à la vancomycine, MRSA (Methicillin
Resistant Staphylococcus aureus), Entérobactéries (Escherichia coli, Klebsiella) résis-
tantes aux β-lactamines, E. coli, Shigella flexineri, Klebsiella oxytoca résistants aux
sulfonamides et tétracyclines, etc. L’utilisation massive d’antibiotiques a favorisé la
sélection de tels variants.
Les stations d’épuration et d’assainissement sont donc un des points à risque pour
la dispersion et le maintien de ces gènes de résistance, et des bactéries résistantes
elles-mêmes. Les eaux issues des systèmes d’assainissement sont encore très riches en
micro-organismes (dont 0,5 % à 40 % de bactéries résistantes), qui proviennent des
inoculums ayant participé aux traitements des stations ou sont en transit (Entérobac-
téries des tubes digestifs d’animaux à sang chaud). Ces stations constituent ainsi un
incubateur favorable à des phénomènes d’adaptation pouvant entraîner une évolution
et une dispersion rapides des résistances dans l’environnement (voir Figure 2.6) :
– La présence d’antibiotiques dans les effluents, même en concentrations résiduelles
faibles (variant du ng/L au µg/L), mais supérieures aux teneurs naturelles de l’envi-
ronnement, installe une pression de sélection de micro-organismes naturellement
résistants, souvent non pathogènes, qui peuvent jouer un rôle de réservoir et trans-
férer ces caractères à d’autres espèces (pathogènes ou non). Des technologies de
séparation membranaires sont disponibles pour éliminer les antibiotiques, mais
elles restent coûteuses et ne sont pas toujours appliquées.
– Dans les cas où les eaux assainies sont reversées dans des zones d’activité humaine
(baignades, aquaculture), les traitements biologiques conventionnels ne sont pas
suffisants et il est nécessaire d’ajouter des traitements spécifiques (filtration sur
membranes, irradiation aux rayons UV) pour diminuer la charge microbienne,
dont les Bactéries pathogènes. Cependant le contenu génétique (dont les gènes de
résistance) des organismes tués par irradiation peut être libéré et transmis à d’autres
micro-organismes.

64
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale

– L’effluent après traitement d’assainissement peut être reversé dans l’environnement


ou utilisé pour l’irrigation des cultures, et le solide résiduel servir à l’amendement
des sols. En absence de traitements adéquats, les antibiotiques, gènes de résistance
et Bactéries résistantes présents dans ces matières peuvent être à l’origine de conta-
mination de végétaux, donc de certains aliments.

Utilisation des antibiotiques


par différentes activités anthropiques
=
AB, ARG, et ARB
Voies d’entrée des ARG, ARB
dans l’environnement
Station d’assainissement des eaux
usées : traitement biologique

Sans traitements spécifiques Traitements spécifiques

AB, ØAB, ØARB


ARB ØARB
ARG 1 ARG

2 2
ARB

Effluents, Bio-solides

Irrigations, 3
déversement Amendements
Aquaculture,
eaux naturelles, sols,…
3
Contamination aliments,
eaux
AB : antibiotiques
ARB : bactéries résistantes à des antibiotiques
ARG : gènes de résistance à des antibiotiques
Ø : élimination
1 : sélection des bactéries résistantes
2 : transfert horizontal de gènes
3 : maintien et dispersion dans les environnements

Figure 2.6 – Maintien et dispersion de gènes de résistance à des antibiotiques


et de Bactéries résistantes par les systèmes d’assainissement d’eaux usées
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65
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les micro-organismes vivent en communauté dans l’environnement et s’orga-
nisent en populations.
2 Les différentes populations exercent des types variés d’interactions qui régulent
les communautés.
3 Les populations microbiennes s’organisent pour effectuer une ou des tâches
complexes.
4 La diversité des micro-organismes est très importante, d’autant plus qu’un
grand nombre d’entre eux sont incultivables.
5 Les conditions environnementales sont très variables et influencent les commu-
nautés.
6 L’environnement exerce de nombreuses pressions de sélection sur les micro-
organismes, qui peuvent s’adapter et évoluer.
7 Les interactions entre micro-organismes et organismes « supérieurs » sont indis-
pensables à la vie.
8 Les micro-organismes sont essentiels aux grands cycles biogéochimiques.
9 La plupart des éléments chimiques entrent dans les écosystèmes par les micro-
organismes.

66
Entraînez-vous
2.1 Quels peuvent être les rôles des micro-organismes au sein d’une population ?
2.2 Définir la notion d’écosystème microbien.
2.3 Comment peuvent évoluer les conditions dans un écosystème ?
2.4 Quels types de relations régissent les différentes communautés microbiennes d’un
écosystème ?
2.5 Définir les types de relations trophiques entre micro-organismes.
2.6 Quels types de facteurs régissent la structure d’une communauté microbienne
dans un écosystème ?
2.7 Définir les termes symbiose, prédation, mutualisme.
2.8 Décrire l’importance de la diversité des micro-organismes lors de perturbations
dans un environnement.
2.9 Définir la notion de biofilm et ses conditions d’établissement.
2.10 Pour quelles raisons de nombreux micro-organismes sont-ils non cultivables en
laboratoire ?
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67
Chapitre 3 Physiologie
microbienne :
métabolisme,
croissance, division
Introduction

La croissance d’un micro-organisme est intimement associée à l’augmentation ordonnée


et équilibrée de tous ses constituants, pour aboutir à la division de la cellule, donc à la
reproduction de l’espèce. La grande diversité des nutriments et des sources d’énergie
utilisés reflète l’extrême variété d’habitats de ces organismes, et leur réponse évolutive
à cette variété. Les éléments nécessaires (molécules organiques et minérales, produits
réducteurs et sources d’énergie) devant être puisés dans l’environnement, il s’ensuit une
importante activité d’échanges avec le milieu extérieur.

Objectifs Plan
Connaître les principes de la physiologie des 1 Les systèmes d’échanges
procaryotes : les modalités d’échanges avec cellule/milieu
l’environnement ; la nature des nutriments 2 Métabolisme énergétique
et des sources d’énergie ; les modalités 3 Croissance d’une population
de la croissance d’une population et des microbienne – Le modèle E. coli
facteurs pouvant l’influencer ; leur mode
4 La reproduction, ou division, ou
reproduction et variétés
cytokinèse
Identifier les différents types trophiques
Définir la nature des transporteurs cellulaires,
des phases de la croissance
Expliquer l’adaptation des procaryotes à
l’environnement

1 Les systèmes d’échanges cellule/milieu


Le métabolisme est l’ensemble des processus responsables de la dégradation (cata-
bolisme) et de la synthèse (anabolisme) des molécules biologiques, tous processus
assurés par des réactions enzymatiques. Les voies de synthèse sont analogues chez les

68
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

micro-organismes et le reste du monde vivant. Dans les milieux naturels, les concen-
trations des petites molécules substrats sont en général tellement faibles que leur
utilisation nécessite de les concentrer. Tout un arsenal de transporteurs à haute affinité
pour chacune de ces molécules a été mis en évidence, initialement chez les « bactéries
modèles » (Escherichia coli et autres), puis de façon ubiquiste. Cependant, certains
substrats macromoléculaires abondants, telles la cellulose ou la lignine, insolubles
et intransportables à travers les membranes cellulaires, doivent être préalablement
dégradés en sous-produits solubles, transportables et assimilables (voir Chapitre 2).
D’où le besoin d’excréter les enzymes responsables de ces processus. Ainsi Bacillus
subtilis, une Bactérie du sol qui trouve dans ce milieu des produits de décomposition
partielle de matériaux organiques (polysaccharides, polypeptides, peptides, aminoa-
cides), exporte environ deux cents enzymes dégradatives (protéases, peptidases, lipases,
DNases, RNases). Les systèmes d’échanges des organismes avec leur milieu sont donc
essentiels, et extrêmement variés.
Une cellule doit aussi excréter les déchets de son catabolisme, les toxines, les méta-
bolites secondaires (antibiotiques), ou les produits destinés à être injectés dans d’autres
cellules pour les pathogènes. Des systèmes de transport membranaires sont impliqués
dans cette importante activité.

1.1 Les familles de transporteurs


Il existe quatre types de transport. Le transport par diffusion facilitée via des canaux
fonctionne dans le sens du gradient de concentration, alors que les trois autres peuvent
réaliser un transport contre ce gradient, ce qui nécessite un apport d’énergie (voir
Figure 3.1).
– Le transport facilité utilise des canaux transmembranaires, tels que les porines des
Bactéries à Gram−, pour véhiculer des petites molécules hydrophiles, dans les deux
sens (entrée et sortie). On trouve ce type de protéines chez les procaryotes, mais
aussi dans les mitochondries et les chloroplastes.
– Le transport actif secondaire peut se faire selon trois modes : uniport (trans-
port simple d’une molécule), symport (transport simultané d’une molécule et
d’un cation), et antiport (échange entre une molécule expulsée de la cellule et un
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ion ou une autre molécule incorporée). Sont concernés de nombreux composés


tels monosaccharides, oligosaccharides, acides aminés, vitamines, cations orga-
niques ou inorganiques. Ce type de transport existe dans l’ensemble du monde
vivant.
– Le transport actif primaire, qui utilise ordinairement l’ATP comme source
d’énergie, est effectué par différents complexes moléculaires tels les ATPases et les
transporteurs ABC (ATP Binding Cassette). Ces systèmes, présents dans l’ensemble
du monde vivant, réalisent l’import et l’export de tous types de composés. Les
transporteurs ABC sont composés de deux partenaires : un récepteur, protéine à
affinité spécifique pour un substrat donné, et le transporteur lui-même.

69
Introduction à la microbiologie

– Le transport PEP-dépendant, ou PTS (Phosphoenolpyruvate phosphoTransferase


System), est spécialisé dans le transport de nombreux sucres conjointement à leur phos-
phorylation. Le PEP sert de donneur primaire du groupement phosphate et de source
d’énergie. La synthèse de tous ces transporteurs est généralement induite par les sucres
qu’ils transportent (voir Chapitre 6). Hormis un système PTS de transport du fructose
chez un certain nombre d’Haloarchées, ces systèmes sont présents uniquement chez les
Bactéries, didermes comme monodermes (E. coli en possède vingt et un).

A B1 B2 C1 C2 C3 C4

S S S S S + H+ H++ S S1 S2
Extérieur

Membrane

C
B
ATP A
Cytoplasme
S H
S ADP + Pi I S S+ H+ H++ S S1 S2
PEP
S
pyruvate

Figure 3.1 – Les principaux types de transport de petites molécules


A. Transport facilité, réversible, via un canal membranaire, sans consommation
d’énergie. B. Transport actif primaire. B1 : Transporteur ABC : le substrat, pris en
charge par une protéine spécifique périplasmique (monodermes, ovale vert), ou liée
aux lipides de la face externe de la membrane (didermes), est conduit au transporteur
(une protéine transmembranaire). Ce transfert s’accompagne d’une consommation
d’ATP. B2 : Transporteur PTS (ou PEP) : le substrat (un sucre) est pris en charge par
un ensemble de protéines cytoplasmiques, conjointement au phosphate du PEP, puis
par une protéine transmembranaire, dont un changement de conformation permet
le transport et la phosphorylation. Ces protéines sont soit communes à tous les PTS
(I et H), soit spécifiques à chacun (A, B et C). C. Transport actif secondaire, assuré par
des perméases, réalisé grâce à l’énergie créée par une différence de concentrations
transmembranaire d’un ion (Na+, H+, etc.). C1, Uniport : la molécule traverse la mem-
brane seule. C2, Symport : transport simultané du substrat et d’un cation (générale-
ment H+ ou Na+). C3, Antiport : échange entre une molécule et un ion. C4, Antiport :
échange entre un substrat exogène incorporé (S1) et une molécule expulsée (S2).

1.2 Les systèmes de sécrétion


Certaines protéines doivent être exportées hors du cytoplasme pour exercer leur acti-
vité, soit dans la (les) membrane(s), on parle alors de translocation, soit dans le milieu
extérieur, on parle alors de sécrétion. L’export de ces protéines se réalise selon deux
mécanismes :

70
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

– Le transport SecA-dépendant existe dans l’ensemble des procaryotes. Les


protéines substrats de ce système possèdent une séquence de reconnaissance,
la séquence signal, formée des quinze à trente premiers acides aminés de leur
extrémité N-terminale. Après reconnaissance, la protéine est transloquée dans le
périplasme, avec perte de sa séquence signal. Elle peut soit y demeurer, soit être
transférée (sécrétée) à travers la membrane externe (Bactéries didermes), ou la
paroi (Bactéries monodermes). Ce système permet la sécrétion d’enzymes dégra-
datives (protéases, cellulases, lipases), mais aussi de toxines (telle celle de Vibrio
choleræ).
– Le transport SecA-indépendant est réalisé par des transporteurs ABC. Il ne met
pas en jeu de séquence signal.

2 Métabolisme énergétique
L’anabolisme est consommateur d’énergie. Celle-ci est puisée dans l’environnement,
en particulier grâce à la dégradation de molécules, organiques ou non, par des réac-
tions de catabolisme. Chez les procaryotes, la grande diversité des habitats entraîne
une non moins grande diversité non seulement des sources de carbone, mais aussi des
sources d’énergie et des composés réducteurs. En outre, la variabilité potentielle de ces
milieux peut entraîner une variabilité qualitative et quantitative des ressources, ce qui
exige une adaptabilité des micro-organismes pour utiliser au mieux ces ressources (voir
Chapitre 2). À titre d’exemple, E. coli est capable d’utiliser comme sources de carbone et
d’énergie des sucres, des acides aminés ou des acides organiques tel l’acide succinique, et
Pseudomonas æruginosa, un pathogène opportuniste de l’Homme, une exceptionnelle
variété de molécules carbonées allant des sucres aux carbures aromatiques. De même,
E. coli peut se trouver dans des milieux dépourvus d’oxygène tels que l’intestin, son
habitat usuel, ou au contraire en milieu oxygéné. Ces conditions changeantes ont pour
corollaire une grande flexibilité métabolique, grâce à de nombreuses voies alternatives,
dont l’expression ne s’observe, dans la grande majorité des cas, qu’en présence du ou des
substrats concernés. Cette adaptabilité métabolique, ou régulation, existe chez la grande
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majorité des procaryotes (voir Chapitre 6).


Les sources de carbone sont très variées, des sucres aux acides aminés en passant
par les lipides ou les bases constitutives des acides nucléiques, ainsi que les macromo-
lécules (protéines, polymères de sucres, ADN). Les sources d’énergie sont la lumière
dans le cas des phototrophes, et des composés chimiques réduits dans le cas des chimio-
trophes. La source de pouvoir réducteur peut être minérale ou organique. Certaines
molécules, tels le glucose et les autres sucres, cumulent ces trois fonctions. D’une
façon générale, la captation d’énergie fait appel à des réactions d’oxydo-réduction
(voir Figure 3.2).

71
Introduction à la microbiologie

Source de C sous forme oxydée Composé réduit


Réaction endergonique +nH+ –nH+ Réaction exergonique
(–E2) +n'e– –n'e– (+E1)

Matière organique (C réduit) Composé oxydé

RH2 + Source de carbone R + C réduit + (E1 + E2)


red2 ox1 ox2 red1

Figure 3.2 – Les réactions d’oxydo-réduction


E : potentiel redox ; nH+ : nombre de protons mis en jeu ; n’e− : nombre d’électrons
mis en jeu ; RH : composé réduit.

Les organismes procaryotes, Archées comme Bactéries, caractérisés d’après la nature


de leur source énergétique, se répartissent en types trophiques (voir Tableau 3.1). Dans
tous les cas, l’énergie acquise résulte formellement de réactions d’oxydo-réduction. Selon
le type trophique et l’organisme, l’utilisation de la source de carbone peut emprunter
différentes voies biosynthétiques : cycle de Krebs utilisé par les organismes hétérotrophes,
cycle de Calvin pour la fixation du CO2 (procaryotes et Eucaryotes photosynthétiques),
cycle de Krebs inversé (certaines Bactéries et Archées), voie réductrice de l’acétyl-CoA
(Archées méthanogènes).

Tableau 3.1 Relation entre systèmes énergétiques et types trophiques

Types Chimio-
Chimio-organotrophie Phototrophie
énergétiques lithotrophie

Source Composé
Composé organique Lumière
d’énergie minéral

Donneur Organique ou
Organique (ex. glucose) Minéral
d’électrons minéral

Fermentation
Voie
généralement Respiration aérobie ou non Photosynthèse
énergétique
anaérobie

Types
Hétérotrophe Autotrophe Méthylotrophe Mixotrophe
trophiques

Source de Organique, au CO2


en C1, ≠ CO2 Toutes
carbone moins en C2 principalement

Seules sont indiquées ici les sources de carbone. Les voies biosynthétiques des
métabolites sont quasi-universelles (voir Traités de Biochimie).

72
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

Toutes les transformations des diverses sources de nutriments, carbonés comme


énergétiques, sont indispensables pour maintenir la stabilité et le renouvellement des
milieux naturels. De nombreux autres éléments (P, S, Fe, etc.) sont aussi concernés.
Ces processus sont fortement interconnectés, aboutissant à ce qu’on décrit comme des
cycles biogéochimiques (voir Chapitre 2). Chaque cycle comprend l’ensemble du devenir
(transport, transformations, utilisateurs, etc.) d’un élément ou d’un composé chimique
dans la biosphère, et implique la participation de nombreuses espèces, tant procaryotes
qu’eucaryotes, dont des micro-organismes, variés et nombreux.

2.1 La chimio-organotrophie
La chimio-organotrophie représente plusieurs associations de voies énergétiques et
trophiques. Les voies aérobies ont un rendement énergétique plus élevé que les voies
fermentaires. En conditions anaérobies, les macromolécules peuvent être dégradées
selon différentes voies, avec formation de pyruvate, substrat des fermentations. La
dégradation ultérieure du pyruvate se fait par le biais de la respiration, aérobie ou non.
Les trois voies dégradatives du glucose conduisent à la production de dérivés carbonés
en C3 exploitables par les processus fermentaires (voir Tableau 3.2).
La voie de la glycolyse peut fonctionner en sens contraire, avec consommation
d’énergie, dans le cas de la gluconéogénèse, réaction observée également chez les Euca-
ryotes. Le NADH comme le NADPH générés doivent être réoxydés pour pouvoir participer
à de nouvelles réactions d’oxydation. Ces réoxydations se font soit par réduction du pyru-
vate en donnant du lactate, soit par décarboxylation du pyruvate puis réduction, donnant
de l’acétaldéhyde puis de l’éthanol. Il existe nombre d’autres voies fermentaires, générant
une variété d’autres produits. Ces voies sont sources de métabolites intermédiaires essen-
tiels pour certaines biosynthèses. Le NADPH (voie Entner-Doudoroff) est impliqué dans
la biosynthèse du glutathion et des acides gras. La voie des pentoses phosphates génère
du ribose-5P, précurseur de la biosynthèse des acides nucléiques, du ribulose-5P, inter-
médiaire du cycle de Calvin, et de l’érythrose-4P, précurseur de la synthèse des acides
aromatiques. En aérobiose, le pyruvate est substrat du cycle des acides tricarboxyliques
(cycle de Krebs), avec l’oxygène comme accepteur final d’électrons. En son absence, les
accepteurs terminaux peuvent être très variés : Fe3+ Mn4+, Cr6+, U6+, As5+, fumarate,
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NO3 −, NO2−. Cette grande variété rend compte de la non moins grande variété des habi-
tats anoxiques que peuvent coloniser les organismes procaryotes et certains protistes.

Tableau 3.2 Les voies dégradatives du glucose des procaryotes

Voie Réactions

Glycolyse (Embden-Meyerhof) Glucose + 2 ADP + Pi → 2 ATP + 2 NADH + 2 pyruvate

3 glucose-6P + 6 NADP+ + 3 H2O → 2 fructose-6P
Pentoses Phosphates
 → 3 P-glycéraldéhyde + 3 CO2 + 6 NADPH

Entner-Doudoroff glucose → 2 pyruvate + 1 ATP + 1 NADH + 1 NADPH

73
Introduction à la microbiologie

2.2 La chimio-lithotrophie
Dans la chimio-lithotrophie, l’énergie provient de l’oxydation de composés minéraux
tels que H2, sulfites, H2S, S ou S2O3 −. Le système générateur d’énergie est membranaire,
par création d’un gradient de protons permettant la synthèse d’ATP et de NAD(P)H.
L’accepteur final d’électrons est ordinairement l’oxygène, parfois le nitrate. Il s’agit géné-
ralement d’organismes autotrophes réduisant le CO2 par l’intermédiaire du cycle de
Calvin. Le rendement énergétique de ces réactions est très faible ; il nécessite donc une
forte consommation de produits réducteurs, ce qui peut avoir un impact important dans
les écosystèmes naturels.

2.3 La phototrophie
La phototrophie concerne les organismes autotrophes, qui utilisent la lumière comme
source d’énergie et le CO2 atmosphérique comme source de carbone via le cycle de Calvin.
La source de H+ et d’électrons est un composé minéral. Les Bactéries photosynthé-
tiques vertes possèdent un photosystème proche du photosystème I des embryophytes ;
leur photosynthèse s’effectue sans production d’O2, avec synthèse de NADPH, capable
de réduire le CO2. La source de H+ et d’électrons est soit H2S, soit H2. Les Bactéries
photosynthétiques pourpres pratiquent aussi une photosynthèse anoxygénique, avec
production de NADH. Les Cyanobactéries possèdent deux photosystèmes, PSI et PSII,
analogues à ceux des Bactéries photosynthétiques vertes et pourpres, respectivement.
Ces deux systèmes fonctionnent en cascade, formant une chaîne de transfert dont l’eau
est le donneur d’électrons. C’est l’ancêtre des systèmes des Eucaryotes photosynthé-
tiques. L’ensemble de la chaîne est localisé dans des membranes internes, les thylakoïdes.
Le bilan du fonctionnement de la chaîne est la production d’oxygène moléculaire, la
synthèse d’ATP et la réduction du NADP. Les récepteurs de la lumière sont des bacté-
riochlorophylles chez les Bactéries photosynthétiques, et chez les Cyanobactéries de
la chlorophylle semblable à celle des plantes, assortie d’autres pigments permettant
l’utilisation d’un large spectre lumineux. Les Archées halophiles possèdent un pigment
membranaire, la bactériorhodopsine, une pompe à protons leur permettant de générer
un potentiel membranaire assurant la synthèse d’ATP.

3 Croissance d’une population microbienne –


Le modèle E. coli
Les analyses métagénomiques disponibles ont révélé une extraordinaire diversité du
monde procaryote, dont seule une faible proportion (environ 0,1 à 5 %) est actuellement
identifiée, et cultivable en laboratoire (voir Chapitre 1). Les raisons pour lesquelles un
organisme n’est pas cultivable peuvent être multiples (voir Chapitre 2). Par exemple,

74
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

la Bactérie Tropherima wipplei a longtemps été cultivable uniquement en présence de


fibroblastes, ce qui avait suggéré qu’il s’agissait d’un parasite intracellulaire. En fait, le
séquençage de son génome a mis en évidence son incapacité de synthétiser certains
métabolites, dont l’ajout a permis sa culture en milieu défini exempt de fibroblastes.
Il est probable que le séquençage de génomes d’autres organismes résoudra un certain
nombre de situations similaires. Tant que ces organismes ne sont pas cultivables, il faut
recourir pour leur étude à d’autres stratégies d’analyse, telles celles fournies par les
méta-analyses.
Malgré les conditions « artificielles » de sa réalisation (les effets de variations de
facteurs de croissance ne peuvent être analysés qu’individuellement et non dans leur
ensemble, comme c’est le cas dans les conditions naturelles), l’étude de la croissance
d’un micro-organisme, c’est-à-dire de l’augmentation de la population microbienne
au cours du temps dans des conditions données, se révèle un outil simple et riche en
enseignements. Cette stratégie est restée un instrument indispensable et central dans
toute étude (de base ou appliquée) de physiologie, de génétique ou de biochimie du
monde microbien, en particulier des procaryotes. Le travail pionnier de J. Monod
(1942) sur l’espèce modèle E. coli, fondé sur une observation précise des modifica-
tions du profil de croissance en réponse à des changements nutritionnels contrôlés,
a depuis été élargi à de nombreux micro-organismes. L’étude méticuleuse menée
par J. Monod a initié le développement de nos connaissances actuelles sur la régu-
lation de l’expression génique. Elle a révélé l’extrême capacité de réactivité que cette
régulation permet en vue de l’adaptation à ces changements, avec toute la cohorte
des équilibrages qualitatifs et quantitatifs des paramètres macromoléculaires (voir
Chapitre 6). Chez les organismes pluricellulaires la régulation, ou maintien de l’équi-
libre du milieu intérieur (les liquides organiques circulant où baignent les tissus),
est explicitée par la notion d’homéostasie. Telle quelle, cette notion ne s’applique
pas aux organismes unicellulaires, chez lesquels on y a substitué la notion de régu-
lation de leur milieu intracellulaire en réponse aux conditions, et aux variations, du
milieu dans lequel ces organismes vivent. Certaines de ces conditions peuvent être
« extrêmes » et sont alors définies comme des états de stress (oxydatif, osmotique,
etc.) si elles sont temporaires, ou de vie en conditions extrêmes si elles sont perma-
nentes (voir Chapitre 2).
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Trois impératifs sont nécessaires à l’étude contrôlée de la croissance d’un micro-


organisme : il faut disposer d’une culture pure de la souche à étudier, de milieux de
culture appropriés, et d’une méthode de dénombrement des cellules (ou de leur masse
biologique, ou de tout paramètre équivalent) au cours des observations$. Au cours de
l’étude d’une « courbe de croissance » typique, telle qu’observée dans ces conditions, il
est possible de suivre les effets de la composition du milieu nutritif, ou de paramètres
physiques (pH, température ou autres) ou génétiques, sur la dynamique de croissance.
La nature chimique du milieu et ses variations imposent des adaptations physiologiques,
et éventuellement morphologiques, importantes.

75
Introduction à la microbiologie

3.1 La croissance, reflet de l’état physiologique


Suivre la croissance d’un micro-organisme – ici E. coli – en laboratoire consiste classi-
quement à suivre, par l’une des méthodes disponibles, l’évolution au cours du temps de
la population dans les conditions choisies. Dans le cas présent, nous supposerons que
la croissance a été suivie par numération sur milieu nutritif solidifié (gélosé)$. Cette
croissance (variation du nombre de cellules) sera représentée graphiquement en fonction
du temps, ce qui peut se faire soit à l’aide de coordonnées linéaires, soit par des coordon-
nées semi-logarithmiques. Cette seconde représentation est habituellement préférée car
l’analyse de la courbe est ainsi beaucoup plus aisée. Elle permet de distinguer facilement
les différentes phases (voir Figure 3.3).

log N Log DO 600nm


3-stationnaire
B
4-mort

log N2 2-exponentielle A
5-stationnaire
prolongée
log N1

1-latence
t1 t2 t

Figure 3.3 – Courbe de croissance de la Bactérie Escherichia coli en laboratoire


Évolution au cours du temps de la concentration de cellules viables (A) et de la tur-
bidité (B). logN, logarithme de la concentration de cellules viables ; logDO600 nm,
logarithme de la masse bactérienne ; t, temps d’incubation ; T, temps de génération
en phase exponentielle.

Mesure du temps de génération T en phase exponentielle : (1) N = N0 eln2 t/T = N0 10log2 t/T ;
(2) logN1 =  logN0  +  log2  t1/T  ; (3) logN2 =  logN0 + log2t2/T  ; (4) logN2−logN1 =
logN2/N1 = (t2−t1) log2/T ; (5) T = (t2−t1) log2 /log N2/N1 ; si N2 = 2N1, logN2/N1 = log2
et T = t2−t1.

a. La phase de latence
La phase de latence (segment de courbe plus ou moins parallèle à l’axe des abscisses),
équivalente à une sortie de phase stationnaire, peut correspondre formellement à la
fin d’une carence alimentaire après transfert dans un milieu neuf ; elle prépare le retour
de la croissance selon une chronologie précise de remise en marche de la synthèse des
différentes macromolécules. D’autres facteurs, assez mal définis, peuvent influencer la
durée de cette latence, telle l’élimination de produits toxiques issus de la phase station-
naire. Le pH interne évolue au cours du cycle ; chez E. coli se produit une acidification en
milieu synthétique glucosé et une alcalinisation en milieu complexe, deux états ressentis
comme des stress qu’il faut combattre en opérant un réajustement.

76
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

b. La phase exponentielle
La phase exponentielle, phase de croissance proprement dite, représente l’état durant
lequel les cellules croissent et se divisent le plus rapidement possible, avec un rendement
optimal du métabolisme. Représentée en coordonnées semi-logarithmiques, la droite
correspondante a une pente caractéristique de l’espèce étudiée et des conditions (milieu,
température, etc.) utilisées. La linéarité de cette portion de la courbe indique qu’au cours
de cette phase l’accroissement de la population est proportionnel au temps, ce qui se
traduit par la formule classique :

N = N0 eln2 t/T 
avec les définitions suivantes : N, concentration de cellules au moment t ; N0, concentra-
tion de cellules au temps 0, c’est-à-dire lors de l’ensemencement ; T, temps nécessaire au
doublement de la population, appelé communément temps de génération. Celui-ci varie
selon les conditions de croissance imposées. Mais pour chaque espèce ce paramètre,
pour des conditions définies, est remarquablement constant et reproductible. Pour une
souche d’E. coli cultivée à 37 °C, il varie de vingt minutes (en milieu complexe$) à près
de deux heures (en milieu synthétique avec du succinate pour seule source de carbone),
en passant par quarante à cinquante minutes dans le même milieu synthétique addi-
tionné de glucose au lieu de succinate. La croissance peut également être estimée par le
taux de croissance, µ, qui est le nombre de générations accomplies par unité de temps
(ici, l’heure).
Pour une grande partie des études de physiologie, la phase exponentielle, remarqua-
blement reproductible et fiable, a été et demeure la phase de référence. C’est lors de cette
phase que la population cellulaire est la plus homogène, l’ensemble des cellules étant en
division active, réparties uniformément de celles venant de se diviser à celles proches
de la division. Lors de cette phase, les différents composants macromoléculaires sont
eux-mêmes en phase exponentielle de synthèse avec le même rythme de production.
Toutefois, comparées aux conditions de vie des micro-organismes dans leurs milieux
naturels, celles générant une phase exponentielle sont assez artificielles. La nécessité
d’effectuer des analyses reproductibles impose la mise en jeu d’une seule espèce (pour
éliminer toute compétition avec d’autres espèces présentes dans un habitat naturel),
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et de conditions stables. En outre, l’alimentation fournie est ordinairement plétho-


rique, contrairement à beaucoup de conditions naturelles. Ainsi, le temps de génération
d’E. coli est estimé de dix à vingt heures dans l’un de ses habitats naturels, le côlon.

c. La phase stationnaire
La phase stationnaire correspond à une quantité constante de cellules viables. Elle est
le résultat de plusieurs facteurs pas toujours bien définis : épuisement d’un ou plusieurs
éléments du milieu, accumulation de produits toxiques, etc. C’est un état dynamique,
durant lequel des cellules meurent et d’autres croissent, partiellement aux dépens des
produits issus de la lyse des cellules mortes. Les cellules sont notablement plus petites

77
Introduction à la microbiologie

qu’en phase exponentielle. La majorité de la population ne présente qu’un nucléoïde par


cellule, fortement condensé, et ayant dans la plupart des cas achevé sa réplication. Chez
E. coli et d’autres espèces, il a été montré que la phase stationnaire préside à la mise en
place d’un programme de gestion de la carence nutritionnelle, grâce à un régulateur
transcriptionnel, RpoS (voir Chapitre 6) qui contrôle, directement ou non, l’expression
de 10 % du génome. Le rôle déterminant de RpoS est clairement démontré chez des
mutants dépourvus de cette protéine : leur entrée en phase stationnaire se traduit par
une mort massive et rapide. La concentration en sources de carbone d’un milieu naturel
tel que l’océan, environ 104 fois plus faible qu’en laboratoire, implique que les cellules
sont plus ou moins constamment en phase stationnaire (voir Chapitre 2).

d. La phase de mortalité
La phase de mortalité chez E. coli dure de trois à sept jours, avec une létalité pouvant
atteindre 90 % de la population, qui ne s’accompagne pas de la lyse des cellules non
viables. Cette phase correspond soit à une létalité aléatoire, comme l’est la décrois-
sance de la radioactivité d’un radioélément, soit à une mort programmée, comme lors
de processus de différenciation. Certaines Bactéries à Gram+, telles que Myxococcus
xanthus ou B. subtilis (non pathogène), Bacillus anthracis, Bacillus cereus (pathogènes),
ou de rares espèces à Gram−, possèdent une aptitude à sporuler (voir Chapitre 6).

e. La phase stationnaire prolongée


La phase stationnaire prolongée correspond à une décroissance beaucoup plus lente
de la population viable. Elle peut durer plusieurs mois, voire des années, ce qui met en
évidence la remarquable robustesse de cet organisme. Comme la phase stationnaire,
cette phase correspond à une gestion programmée avec mise en place de nouveaux
facteurs permettant la survie d’une partie de la population. Ainsi chez E. coli il existe
encore des cellules en division active après dix jours de phase stationnaire, révélant la
persistance d’une activité métabolique.

3.2 Effets des facteurs externes


Tous les facteurs, tant physiques (température, pH) que chimiques (tension en oxygène,
salinité, etc.) ou biochimiques (nature du milieu de culture, nature et concentrations
des substrats énergétiques) agissant sur les réactions biochimiques, affectent de façon
spécifique le taux de croissance. Le cas des nutriments est très particulier. Chez E. coli,
les cellules tolèrent de fortes variations en aminoacides ou en glucides sans effet appa-
rent. Ce phénomène est lié au fait qu’elles concentrent les nutriments à l’intérieur de
la cellule, jusqu’à cent fois par rapport au milieu extérieur. Les effets des variations ne
deviennent visibles que lorsque les réserves internes s’épuisent.
Afin de mettre en évidence les capacités adaptatives des cellules en réponse aux varia-
tions des conditions de croissance, O. Maaløe (1960) a déterminé les concentrations de
différentes macromolécules de cellules de Salmonella enterica (espèce proche d’E. coli)

78
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

dans plusieurs situations nutritives : stables (phase exponentielle), et appauvrissement


(shift down) ou enrichissement (shift up) du milieu, ces deux situations étant formelle-
ment analogues à l’arrivée en phase stationnaire et au redémarrage après transfert en
milieu frais, respectivement. Les variations des vitesses de croissance sont déterminées
par la valeur du taux de croissance, µ. Lors de la croissance exponentielle, dite équi-
librée, les concentrations des différentes macromolécules sont strictement régulées et
restent dans un rapport constant caractéristique du taux de croissance. En revanche ces
concentrations évoluent lors de changements du taux de croissance. La quantité d’ADN
en équivalent génome augmente légèrement avec le taux de croissance, et celle des ribo-
somes suit plus ou moins la valeur du taux de croissance. Les concentrations en ARNt
et en protéines rapportées à la quantité d’ADN restent relativement constantes. L’obser-
vation majeure issue de ces expériences concerne la relation entre synthèse d’ADN et
division. De manière prévisible, un shift up conduit à une augmentation du taux de
synthèse d’ADN et un shift down à sa diminution. Dans les deux cas on observe une
modification corrélative, mais décalée, de la division (§ 4.1).

4 La reproduction, ou division, ou cytokinèse


Par observation en microscopie d’un échantillon d’une suspension de bactéries E. coli,
il est possible de suivre particulièrement le devenir d’une cellule. Celle-ci, en forme de
bâtonnet, va à un certain moment se diviser transversalement pour former deux petites
cellules, de tailles identiques, avec disparition de la cellule mère. L’utilisation d’une
vidéo-caméra permet de poursuivre l’observation. Chacune des deux cellules sœurs
néoformées augmente en dimensions (surtout en longueur), puis, lorsque sa taille a
environ doublé, se scinde en deux à son tour. Ce cycle continue tant que les nutriments
sont disponibles. Ce processus aux apparences simples recouvre en fait des mécanismes
fort complexes, assurant la croissance ordonnée de tous les constituants cellulaires. Pour
la majorité des procaryotes, la division est binaire (d’une cellule mère naissent deux
cellules filles), symétrique ou non, mais d’autres schémas peuvent être observés.
La division binaire symétrique (§ 4.1) est une modalité commune à de nombreux
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procaryotes, Bactéries (à Gram − et à Gram+) et Archées (Euryarchées), ainsi qu’aux


chloroplastes et mitochondries des Eucaryotes. La division binaire asymétrique (§ 4.2)
concerne certaines Bactéries en bâtonnets (B.  subtilis) durant la sporulation (voir
Chapitre 6), ou des Bactéries dimorphes (Caulobacter crescentus). La division multiple
(§ 4.3), rencontrée chez de nombreux procaryotes, correspond à des mécanismes très
différents d’une espèce à l’autre. En dernier ressort, et quels que soient les modes de divi-
sion, la multiplication est liée à deux cycles finement coordonnés, la division proprement
dite de la cellule (ou cytokinèse), précédée de la réplication de son génome. Ces deux
fonctions exigent l’assemblage et le fonctionnement des deux grandes usines macro-
moléculaires : l’appareil de cytokinèse, le divisome, et la machinerie de réplication de
l’ADN, le réplisome (voir Chapitre 4).

79
Introduction à la microbiologie

Les complexes moléculaires impliqués présentent de nombreuses similitudes chez la


majorité des organismes étudiés, avec cependant quelques exceptions notoires et éton-
nantes.

4.1 Division binaire symétrique : Escherichia coli


Comment croît une cellule enveloppée dans son exosquelette (voir Figure 3.4) ? Le
système de division binaire symétrique le mieux connu est celui d’E. coli. L’élasti-
cité des filaments de PG, qui permet seulement de petites variations en longueur du
saccule (voir Chapitre 1), est insuffisante pour supporter un doublement de taille de
la cellule, qui doit donc continuellement remodeler la structure de sa paroi. Cela est
réalisé en allongeant les chaînes de PG par intercalation d’un précurseur, l’UDP-
Mur-NAc-pentapetide, synthétisé dans le cytoplasme puis transféré dans l’espace
périplasmique. Cette insertion fait intervenir la protéine du cytosquelette MreB, impli-
quée dans la morphologie cellulaire (voir Chapitre 1), et présente sur une centaine de
sites distribués sur toute la surface interne de la membrane plasmique. Seuls les deux
hémisphères polaires en sont dépourvus et gardent leurs dimensions. Un complexe

A FtsZ B
A1
Filaments linéaires de FtsZ Spirales Z
Chromosome
chromosome
A2
Réplication du chromosome et Anneau Z
formation de l’anneau Z

A3
Formation du complexe de
division et du septum Divisome

A4
Ségrégation des chromosomes
et constriction cellulaire

Figure 3.4 – Division binaire symétrique


A. Schéma d’une division binaire symétrique. A1  : Début de cycle  ; la cellule
possède une copie du chromosome ; les unités de FtsZ sont organisées en proto-
filaments sur la surface interne de la membrane cytoplasmique. A2  : Au terme de
l’allongement de la cellule et de la réplication du chromosome les polymères de FtsZ
forment l’anneau Z au niveau du futur site de division, à équidistance entre les deux
pôles. A3 : Autour de l’anneau Z s’assemble une série de protéines de division ; la
synthèse du peptidoglycane est réorientée en direction médiane de la cellule pour
former le septum. A4  : La constriction de l’anneau  Z et la scission séparent deux
cellules filles, chacune héritant une copie du chromosome. B. Image en microscopie
à fluorescence de la formation du divisome chez E. coli. La sonde fluorescente (ou
fluorochrome) marque une protéine de division, permettant de suivre la formation du
divisome, dans la zone médiane de la cellule (futur septum).

80
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

multiprotéique, l’élongasome, est responsable de la croissance de la cellule (synthèse


de la muréine, recyclage des matériaux du PG). Il est constitué de vingt-cinq enzymes
distribuées entre cytoplasme, membrane interne et espace périplasmique. L’autre
complexe, le divisome, assure la formation du septum (ou anneau Z) séparant les
futures cellules sœurs.
Le divisome (appelé aussi septosome ou anneau septal) est une structure transitoire,
responsable de la division proprement dite. Il est constitué d’un assemblage macromo-
léculaire d’une douzaine de types de protéines appartenant à différentes familles du
cytosquelette, telle FtsZ (une protéine de la famille des tubulines) (voir Chapitre 1), et
de la membrane interne. Les quantités de chaque type de protéines diffèrent (dizaines,
centaines ou milliers de copies), mais leurs concentrations relatives sont finement régu-
lées. Chaque type de protéine est assemblé au complexe selon une hiérarchie temporelle
et topologique bien précise, et est impliqué dans une fonction spécifique : synthèse
du PG septal à équidistance entre les deux pôles cellulaires, biogenèse des nouveaux
pôles hémisphériques des deux cellules sœurs, ségrégation correcte des deux copies du
génome entre les deux cellules sœurs, et cytokinèse.

a. L’assemblage
On distingue trois étapes d’assemblage. La première est la formation et la mise en place
de l’anneau Z, un polymère constitué d’unités de la protéine FtsZ, dont les monomères
sont dispersés dans le cytoplasme. Elle est initiée à un moment précis du cycle, sur la
surface interne de la membrane cytoplasmique, au niveau du site où se produira la divi-
sion. La polymérisation se développe bi-directionnellement, jusqu’à former un anneau
contractile, fixé sur tout le périmètre interne de la membrane plasmique. Cet anneau
constitue l’échafaudage pour le recrutement et l’assemblage des autres protéines du
divisome. Il est d’autre part supposé être le moteur nécessaire à la « constriction » néces-
saire pour invaginer la membrane externe le long du plan de division, ce qui, après des
hydrolyses spécifiques, aboutira à la séparation des cellules sœurs. À cette phase parti-
cipent des protéines membranaires d’ancrage et un certain nombre d’autres protéines
qui renforcent la stabilisation de l’anneau Z. La deuxième étape, la consolidation de
l’anneau Z, commence normalement (selon un mécanisme inconnu) après un délai
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de durée égale à un tiers du cycle cellulaire. La troisième étape, elle aussi séquentielle,
commence avec la synthèse du peptidoglycane septal et des membranes. La structure
tridimensionnelle du divisome est inconnue. Celui-ci se désagrège au terme de chaque
cycle de division.
La chronologie et la localisation de l’assemblage du divisome sont précisément défi-
nies. Arrivée aux derniers stades de la division, la cellule mère possède deux copies de
son génome (deux nucléoïdes), qui auront été préalablement séparées. Potentiellement
le septum pourrait se former au niveau de l’espace central disponible entre les deux
nucléoïdes, ou à l’une ou l’autre des extrémités de la cellule mère, dans la région comprise
entre chaque pôle et chacun des nucléoïdes. La division en deux cellules sœurs de tailles
identiques implique l’existence d’un mécanisme qui reconnaît pour base d’assemblage

81
Introduction à la microbiologie

du septum un site localisé à équidistance des deux pôles ; les déviations de tailles obser-
vées n’excèdent pas plus de 2 %. L’importance de ce processus est attestée par l’existence
de mutants qui ont perdu cette capacité de reconnaissance, et forment des cellules sœurs
non identiques, en raison de la localisation du septum à proximité d’un pôle. La réduc-
tion de taille de l’une des cellules sœurs peut aller jusqu’à l’impossibilité de contenir
un nucléoïde. Ces structures, dites mini-cellules (minicells), sont évidemment létales.

b. Reconnaissance du site de septation


Comment la cellule reconnaît-elle le site de septation ? Chez les espèces de forme sphé-
rique (coques) la division se produit selon un plan équatorial  ; la détermination de
l’emplacement de ce plan est inconnue. Chez les Bactéries en forme de bâtonnets (E. coli
et B. subtilis) le site de division est défini grâce à deux systèmes de contrôle négatif dont
l’action combinée oriente la localisation du site de division. Le système Min, constitué de
trois protéines, en agissant sur les pôles de la cellule, empêche la septation à ce niveau. La
liaison de MinD à un ATP et à un pôle de la membrane interne inhibe la formation d’un
anneau Z à ces emplacements. Le recrutement de MinE par ce complexe après hydrolyse
de l’ATP fournit l’énergie nécessaire pour stimuler le détachement du complexe MinED
du pôle. MinD, libre, récidive avec une périodicité d’environ une minute, mais au pôle
opposé de la cellule. MinC, un autre inhibiteur de formation de l’anneau Z, suit le dépla-
cement de MinD, avec pour conséquence une diminution notoire de sa concentration au
centre de la cellule. Statistiquement les pôles ne sont donc jamais libres pour permettre la
fixation de FtsZ, et la concentration de MinC au centre de la cellule est insuffisante pour
inhiber la formation du l’anneau Z à ce niveau. Le second système, appelé occlusion du
nucléoïde, dépend d’une protéine (SlmA chez E. coli, Noc chez B. subtilis) inhibitrice de
la polymérisation de FtsZ sur les zones occupées par l’ADN. L’analyse des protéines impli-
quées dans ce mécanisme indique qu’il a été « inventé » plusieurs fois, indépendamment,
chez les procaryotes. La protéine inhibitrice se lie à des séquences spécifiques (environ
cinquante copies chez E. coli, soixante-dix chez B. subtilis) de son propre chromosome,
distribuées près de l’origine de réplication et absentes de la région de terminaison (voir
Chapitre 4). Chez E. coli, au début du cycle de réplication, les origines sont localisées dans
la région médiane de la cellule, où les protéines SlmA inhibent l’assemblage de FtsZ ; puis
chaque ADN migre, chargé des protéines SlmA, vers un pôle, contribuant à empêcher la
division à ce niveau, et libérant la région médiane.
Le génome de la cellule doit être dupliqué et chaque copie transmise de la cellule mère
à chacun de ses descendants. Chez les Bactéries le cycle de division à une température
donnée a une durée dépendante de la nature et de la richesse du milieu de croissance
(§ 3.2). En revanche, la durée d’un cycle de réplication du génome est constante à une
température donnée (quarante minutes à 37 °C pour E. coli), et peu influencée par la
nature du milieu. Pour reproduire correctement une cellule il est donc nécessaire que
ces deux fonctions, division et réplication, interdépendantes et de durées différentes,
soient coordonnées. Il en résulte généralement un décalage dans le temps entre les
moments d’initiation de la réplication et d’assemblage du septum. Ainsi, au démarrage

82
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

de la formation du septum, chaque cellule sœur hérite de sa mère une copie de son chro-
mosome non seulement complétée, mais qui a déjà initié le cycle suivant de réplication.
Dans cette cellule la réplication en cours sera ainsi complétée avant la mise en division,
et les chromosomes seront disponibles pour la génération suivante (voir Figure 3.5).

I=C+D
T = 60’

0 10 20 30 40 50 60
C D
40 min 20 min
I
60 min

I<C+D I>C+D
T = 40’ T = 80’
réplication initiée
20’ avant

0 10 20 30 40 I C D
I = 80 min
0 10 20
C C = 40 min
D D = 20 min
I

Figure 3.5 – Modèle de contrôle du cycle cellulaire de C.E. Helmstetter et


S. Cooper (1968) chez E. coli
Introduction d’un décalage, D, entre initiations de réplication, C, et de division,
I. L’initiation à ori se produit quand la cellule a atteint une masse critique, ouvrant
la possibilité d’initiation d’un nouveau cycle de réplication soit avant la terminaison
du cycle en cours, soit après un délai à la fin de sa terminaison. L’initiation dépend
donc formellement de la durée de I. Si I = C + D (cas le plus simple), les divisions se
produisent avec un intervalle de temps (I, 60 min) identique à la somme du temps
nécessaire pour effectuer un cycle de réplication complet (C, ici 40 min) et du temps
nécessaire à la ségrégation des deux cellules filles (D, 20 min), donc la division. Au
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terme de la division, chaque cellule reçoit une copie complète du chromosome, et


il y a un cycle de réplication par cycle de division, un rythme qui ressemble à celui
des cellules eucaryotes. Quand I < C, une nouvelle initiation commence avant la fin
du cycle de réplication en cours. Quand I > C, l’initiation suivante ne se produit que
quand les cellules ont atteint leur maturité.

4.2 Division asymétrique et différenciation


Des conditions de stress et surtout l’appauvrissement en nutriments conduisent les cellules
de B. subtilis à cesser leur division selon le modèle symétrique décrit ci-dessus, pour
entrer dans un programme de développement qui conduit à une division asymétrique

83
Introduction à la microbiologie

et à la formation d’une endospore. Celle-ci est une forme de vie quiescente, particulière-
ment résistante à de nombreux facteurs, qui permet à la cellule de survivre jusqu’au retour
de conditions favorables. Après blocage de la division symétrique, et à l’initiation de la
réplication, les deux origines de réplication migrent vers les pôles opposés. Une modifi-
cation de la conformation du nucléoïde aboutit à la formation d’un filament d’ADN dit
axial, qui part d’un pôle et s’étend sur toute la longueur de la cellule. Un septum, subpo-
laire, va s’organiser à une extrémité de la cellule, accompagné par la compaction de la
molécule d’ADN présente dans cette zone. Ce septum crée ainsi deux compartiments de
dimensions différentes, le plus grand étant celui de la cellule mère, le plus petit se diffé-
renciant en pré-spore. Un circuit complexe de régulation coordonne le positionnement
du septum à la zone subpolaire, la partition des chromosomes, et l’expression différen-
tielle des gènes dans la cellule mère et la pré-spore (voir Chapitre 6). Celle-ci peut ensuite
devenir mature (spore) et se détacher de l’autre cellule, devenue non viable.
Chez certains genres bactériens à Gram+ la formation de spores a subi une évolu-
tion qui conduit à ce que des cellules filles quiescentes (dites parfois incorrectement
endospores) se forment à l’intérieur de la cellule mère. Citons les Bactéries du genre
Epulopiscium (voir Chapitre 1) (voir Figure 3.6A), l’espèce Metabacterium polyspora,
et le groupe des Bactéries dites « non cultivables ». Les Epulopiscium sont des symbiotes
obligatoires de l’intestin de certaines espèces de poissons de la famille des Acanthurides.
Leur progéniture est produite à l’intérieur d’une des extrémités de la cellule mère ; le
processus de division continue jusqu’à son remplissage complet, soit entre deux et huit
cellules filles selon les souches. Celles-ci sont libérées par lyse de la cellule mère. Les
mécanismes moléculaires de cette reproduction sont inconnus à ce jour.
Caulobacter crescentus est une α-Proteobacteria aquatique caractérisée par un
dimorphisme cellulaire très marqué des deux cellules sœurs issues de la division : une
cellule nageuse (SW, SWarmer) incapable de division, et une cellule pédonculée (ST,
STalked), immobile (voir Figure 3.6B). La cellule SW, qui possède un flagelle polaire à la
base duquel se trouvent des pili et un appareil chimiotactique, est la forme de dispersion
de l’organisme. Le pédoncule (ou prosthèque) de la cellule ST consiste en une extension
pourvue à son extrémité de crampons capables de fixer la cellule sur un substrat. À sa
naissance, une cellule SW voit sa réplication bloquée ; mais après une quinzaine de
minutes, durant lesquelles elle continue à croître, elle perd son flagelle, ses pili et son
appareil chimiotactique, et se différencie en une cellule ST. Un pédoncule est synthétisé
au pôle où se trouvait auparavant le flagelle de la cellule SW, qui est alors capable de se
diviser. Sa division passe par une étape prédivisionnelle (cellule PD) au cours de laquelle
un appareil de chimiotaxie et un flagelle se forment au pôle opposé à celui occupé par
le pédoncule, pôle qui, après la division, deviendra le pôle flagellé de la nouvelle cellule
SW. La ségrégation des chromosomes, qui a lieu pendant une courte période du cycle,
est suivie de la scission de la cellule, générant ainsi une descendante SW en maintenant
l’autre sous forme ST, prête pour une autre division. La protéine FtsZ est sujette à une
dégradation rapide, ce qui exige une nouvelle synthèse dès l’achèvement de la division,
avant le cycle suivant. Cette synthèse a lieu durant la transition SW-ST. L’anneau se

84
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

forme dans la cellule ST, sans initiation préalable de la réplication, mais celle-ci est
nécessaire à son insertion correcte au futur site de division, selon un mécanisme encore
inconnu. Aucune protéine homologue à celles des systèmes Min n’a été identifiée. La
division n’a jamais lieu dans la zone médiane, mais toujours à environ les deux tiers de
la longueur à partir du pôle ST.
Chez les genres bactériens Hyphomonas, Hyphomicrobium et les Planctomycètes
(voir Figure 3.6D), la reproduction est caractérisée par un processus de bourgeonne-
ment, ou gemmation, suivant un mécanisme peu connu. La cellule, non réplicative ni
reproductrice mais portant un flagelle qui assure sa nage, se différencie en éliminant ce
flagelle et en synthétisant à sa place une prosthèque, ou pédoncule. Sous cette forme, la
cellule peut alors répliquer son génome, et se divise en libérant des petites cellules filles
par gemmation. Ces bourgeons deviennent des cellules nageuses.

A B Développement non cyclique


cellule-mère descendance
Phase
descendance G1
intracellulaire pili

Cellule
nageuse
FtsZ Flagelle
Epulopiscium
Cellule pédonculée

Phase G2
descendance

Développement
cyclique
Cellule
C prédivisiollelle
Hôte
Phase S

Bdellovibrio
Cellule en prédivision
Pédoncule
Grappin

D
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bourgeons baeocyte
Stanieria

Planctomyces cellule nageuse


species

Figure 3.6 – Quelques modèles de division chez les Bactéries


A. Sporulation intracellulaire chez Epulopiscium. B. Division asymétrique chez Cau-
lobacter crescentus. C. Division multiple : Bdellovibrio. D. Divisions par bourgeonne-
ment chez un Planctomyces et chez la Cyanobactérie Staniera.

85
Introduction à la microbiologie

4.3 Division multiple


Le groupe polyphylétique Bdellovibrio (voir Figure 3.6C) et les organismes appa-
rentés (dits BALO, Bdellovibrio And Like Organisms) présentent un mode de division
multiple. Les BALO sont des Bactéries prédatrices obligatoires occupant de nombreux
habitats (sol, rhizosphère, eaux douces, saumâtres et marines, eaux usées, environ-
nements extrêmes, intestins de certains animaux), où ils jouent un rôle écologique
très important. Leur cycle cellulaire dépend de la présence d’une proie (Bactéries à
Gram −), selon deux stratégies possibles. Dans le premier cas (stratégie épibiotique) le
prédateur se fixe sur la paroi de la proie, digère son contenu cellulaire et se multiplie
par scission binaire, selon un mécanisme peu connu. Dans le deuxième cas (stratégie
périplasmique) le prédateur, dans une phase dite d’attaque motile mais non réplica-
tive, envahit le périplasme de la proie ; suivent une phase transitoire, puis une phase
de croissance et de reproduction, durant laquelle il se reproduit sous forme de filament
non segmenté contenant de multiples copies du nucléoïde. Des compartimentations,
avec séparation des nucléoïdes, se produisent ensuite de façon synchrone tout le long
du filament. Les différentes phases sont caractérisées par des expressions différen-
tielles des gènes.
Les Streptomycètes, un groupe important des Actinobacteria (monodermes à
Gram+) jouent un grand rôle dans la minéralisation des sols, dont ils représentent de
1 à 20 % de la microflore, en dégradant des substances réfractaires (pectine, lignine,
chitine, kératine, latex, composés aromatiques), et produisent 70 à 80 % des substances
bioactives naturelles employées en médecine (environ 70 % de tous les antibiotiques
naturels, immunomodulateurs, molécules vaso-actives et neurologiques), en agro-
chimie (antifongiques, antitumorales, antivirales, insecticides, pesticides et herbicides)
et en biotechnologie (protéases, lipases, cellulases, amylases, pectinases et xylanases).
Le cycle des Streptomycètes, un des plus complexes chez les procaryotes, constitue un
excellent modèle d’étude de développement comprenant une phase pluricellulaire et
une croissance sans division assortie d’une division multiple ultérieure. C’est le seul
organisme connu, avec l’Eucaryote Physarium polycephalum, chez qui la division n’est
pas essentielle à la croissance de l’organisme. Sur un support solide, la germination
d’une spore conduit à la formation d’un mycélium végétatif (dit primaire) constitué
d’hyphes ramifiés dont certains pénètrent dans le substrat pour absorber les nutriments.
Ces hyphes contiennent plusieurs copies du chromosome cloisonnées par petits groupes.
Des signaux environnementaux ou une carence nutritionnelle conduisent à l’activation
d’un second programme de développement avec formation d’hyphes aériens qui se
propagent sur la surface du substrat et en hauteur, pendant que le mycélium primaire
lyse, libérant des nutriments recyclés pour la croissance de ces hyphes. Ceux-ci peuvent
contenir chacun de cinquante à cent chromosomes, non condensés. Après l’arrêt de la
croissance s’initie une phase de sporulation durant laquelle un grand nombre d’an-
neaux Z se forment dans les hyphes, de façon synchrone, constituant des compartiments
de pré-spores avec chacun un unique chromosome, condensé. Ces compartiments se
transformeront en spores, individualisées mais formant une chaîne dans la structure

86
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division

de l’hyphe. Une spore mûre peut éventuellement se détacher et, si les conditions sont
propices, germer et se développer en un nouveau mycélium.
La machine de division se distingue de celle des Bactéries unicellulaires par quelques
différences remarquables. L’activité du divisome différencie deux pôles pour FtsZ, diffé-
rents pour la croissance et pour la sporulation. Le processus de division synchrone
dans l’hyphe sporogène exige l’induction contrôlée de ftsZ. L’analyse du génome de
Streptomyces coelicolor a révélé, outre le gène ftsZ, l’existence d’homologues d’une partie
seulement des gènes des autres composants du divisome des Bactéries. Tous les génomes
de Streptomycètes et de Mycobactéries pathogènes séquencés possèdent à la place du
gène minC d’E. coli, son homologue de B. subtilis. Le contrôle de la division est de type
positif et semblerait exiger la participation, directe ou indirecte, d’une seule protéine
(SsgA). Ces données suggèrent que d’autres constituants, encore à découvrir, pourraient
participer au contrôle de l’assemblage de l’anneau Z chez ces Bactéries.

4.4 Les systèmes de division des Archées


Les Archées se reproduisent, comme les Bactéries, de manière asexuée, par scission
cellulaire. Les deux principaux phylums de ce domaine, les Euryarchées et les Crenar-
chées, se distinguent par leur machinerie de division – du type FtsZ bactérien pour le
premier groupe et d’un type original qui utilise un système, Cdv, proche de celui des
Eucaryotes, pour les Crenarchées. Parmi ces dernières, dans le groupe Sulfolobus, ce
système est constitué de trois protéines, CdvA, B et C, dont les gènes forment un opéron
largement conservé. La protéine CdvA, spécifique des Archées, ressemble à d’autres
protéines cytosquelettiques eucaryotes distinctes de la tubuline. Les protéines CdvB
et CdvC sont homologues aux protéines eucaryotes du complexe ESCRT-III (Endo-
somal Sorting Complex Required for Transport). Chez les Eucaryotes ces protéines sont
associées à la formation de vésicules endosomales, par un processus dit d’« anneaux
concentriques », quelque peu analogue à la division cellulaire par bourgeonnement.
Le rôle de ces protéines dans la division de Sulfolobus reste toutefois peu connu. Des
analyses génomiques ont mis en évidence de multiples paralogues des gènes cdvB, dont
le rôle est inconnu, chez plusieurs Crenarchées. Ceci est vrai aussi chez les Eucaryotes
pour la majorité au moins des gènes de division. Nitrosopumilus maritimus et Cenar-
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chaeum symbiosium, deux espèces de Crenarchées, possèdent les deux systèmes de


division Cdv et FtsZ, sans que l’on sache si le système Cdv est impliqué dans la division
ou seulement dans la formation de vésicules. Curieusement les organismes de l’ordre des
Thermoprotéales (Crenarchées) ne possèdent aucun gène de division connu. En outre,
leur division ne comporte aucune phase de constriction, suggérant un mécanisme de
cytokinèse totalement original.

4.5 Division sans FtsZ


La protéine FtsZ est absente chez un certain nombre de Bactéries, dans le phylum des
Planctomycètes, pour les formes symbiontes ou pathogènes ayant des génomes réduits

87
Introduction à la microbiologie

(Carsonella ruddi, Chlamydia spp., Ureoplasma sp.) ou chez certaines Cyanobactéries


(voir Figure 3.6D). La division cellulaire de ces organismes est peu explorée en raison
des difficultés expérimentales posées par leur manipulation. Par ailleurs, les études de
génomique ont conduit à découvrir de nombreux paralogues de FtsZ, surtout chez les
Archées (§ 4.4). Le rôle de certaines de ces protéines, qui ne semblent pas fonctionnelles,
reste obscur. Ces faits suggèrent que d’autres familles de protéines ayant la même fonc-
tion que la superfamille FtsZ/tubuline pourraient être découvertes au fur et à mesure
qu’augmente la disponibilité de séquences de nouveaux génomes. Enfin chez les formes
L de nombreuses espèces de Bactéries, la multiplication des cellules est (ou peut devenir)
indépendante de FtsZ.

88
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les échanges entre milieux exo- et endocellulaire, par internalisation (nutri-
ments organiques et minéraux) et excrétion (enzymes, toxines, déchets), sont
essentiels.
2 Les échanges de petites molécules utilisent quatre types de transporteurs, avec
ou sans apport énergétique.
3 Les voies énergétiques incluent fermentation et respiration (aérobies ou non)
et photosynthèse (oxygénique ou non).
4 Les sources de carbone utilisées sont en C1 (CO2, CH4) (autotrophie, méthylo-
trophie) ou/et C2 (ou plus) (hétérotrophie, mixotrophie).
5 Croissance et division dépendent des facteurs externes physiques et nutrition-
nels.
6 La croissance montre une phase exponentielle (croissance proprement dite,
surtout observée en laboratoire) et des phases de latence, stationnaire, et
éventuellement de mortalité, phases les plus fréquentes en milieux naturels.
7 La reproduction des procaryotes est asexuée. Les modes de division cellulaire
sont variés : binaires (symétriques ou non), multiples, par bourgeonnement,
avec différenciation.
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89
Entraînez-vous
3.1 Citer les différents types de transport et leurs rôles dans la physiologie cellulaire.
3.2 Quels mécanismes permettent le transfert des protéines à l’extérieur de la cellule ?
3.3 Qu’est-ce qu’un chimio-organotrophe ? Quelle est la différence principale entre les
voies aérobies et anaérobies chez ces organismes ?
3.4 Les Cyanobactéries comme les Bactéries photosynthétiques et certaines Archées
utilisent la lumière comme source d’énergie. Quelle différence y a-t-il dans les
mécanismes d’utilisation de la lumière chez ces trois types d’organismes ?
3.5 Quelles sont les conditions nécessaires à l’étude de la courbe de croissance d’un
micro-organisme ? En quoi ces conditions sont-elles artificielles ?
3.6 Comment mesure-t-on le temps de génération d’un micro-organisme ?
3.7 Quels facteurs indiquent qu’en phase stationnaire les bactéries sont encore méta-
boliquement actives ?
3.8 Dans le processus de division, quels sont le rôle et la localisation de la protéine
FtsZ ?
3.9 Chez E.  coli, comme chez beaucoup de bactéries, la division est symétrique et
conduit à deux cellules identiques. Dans quels cas rencontre-t-on une division asy-
métrique ?

90
Chapitre 4 Génomes : structure
et réplication chez les
procaryotes
Introduction

Dans tout organisme vivant, la vie est le résultat de l’exécution d’un programme génétique
que les cellules héritent de leurs parents. Le génome, qui en est la structure dépositaire au
sein de molécules d’ADN, est organisé principalement en chromosomes, des complexes
nucléoprotéiques structurés en gènes codant pour la plupart pour des protéines, mais
inclut aussi des molécules d’ADN annexes.

Objectifs Plan
Connaître la structure physique, 1 Le nucléoïde : structure
l’organisation génétique et la malléabilité physique et topologie
spatio-temporelle du génome procaryote 2 L’ADN accessoire : son rôle
Identifier les éléments structuraux du adaptatif
nucléoïde ; les séquences codantes 3 Réplication
Définir ADN essentiel, ADN accessoire,
plasmides, éléments génétiques mobiles,
origine de réplication et terminaison,
fourche de réplication
Expliquer les rapports entre la structure du
génome et sa réplication
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1 Le nucléoïde : structure physique et topologie


Les chromosomes procaryotes, de Bactéries comme d’Archées, n’ont pas une morpho-
logie bien définie, contrairement à ceux des Eucaryotes. Ils sont organisés en une
structure de forme apparemment irrégulière, le nucléoïde (souvent improprement
appelé chromosome), qui occupe une grande partie de la région centrale de la cellule
(voir Figure 4.1). Rien n’est connu sur sa structure 3D, ni sur la position des gènes dans
l’espace. Sa position dans la cellule est rigoureusement contrôlée (voir Chapitre 3).
Extrait dans des conditions qui en préservent l’intégrité, il apparaît en microscopie élec-
tronique comme une structure lobée fermée sur elle-même, dont les boucles convergent
vers son centre (structure dite « en rosette »).

91
Introduction à la microbiologie

Structure au niveau de 1 kb
A

ARN-P
NAPs

Domaine topologique Foyers de


B (10 kb ) transcription

Structures au niveau du nanomètre

FIS
C
CbpA
IHF H-NS Dps

Figure 4.1 – Structure du nucléoïde


A. Structure cristalline dans la cellule. B. Organisation du chromosome en rosette, et
différents niveaux de compaction de l’ADN dans la cellule. C. Schéma d’interdépen-
dance des domaines topologiques. Une coupure au niveau d’un domaine n’affecte
que celui-ci, laissant intacts les autres.

1.1 Propriétés mécaniques de l’ADN


Le double filament d’ADN est plutôt malléable. En suspension dans une solution aqueuse
et non soumis à des contraintes physiques (forme dite relâchée, configuration la plus
stable) ou à des interactions avec des macromolécules cytoplasmiques, il tend naturelle-
ment à se condenser sous l’effet de l’agitation thermique. Le volume que devrait occuper
dans ces conditions le chromosome d’E. coli serait de l’ordre de 200 µm3, soit encore
environ mille fois celui de la cellule, qui est d’environ 0,2 µm3. Sa longueur linéaire
totale est de 1,57 mm, soit environ mille fois la longueur de la cellule. Rappelons qu’un
filament bi-caténaire d’ADN forme une hélice qui s’enroule autour d’un axe longitudinal
virtuel, et fait un tour complet sur elle-même tous les 3,4 nm, soit toutes les 10,5 pb (le
pas de l’hélice). Pour une molécule d’ADN circulaire non contrainte le nombre de tours
(nombre d’enlacements) est fixe et défini par sa longueur.
Dans une cellule l’ADN est soumis à des contraintes topologiques qui entraînent un
surenroulement (superhélicité) et des repliements (plectonèmes). Selon le sens de rota-
tion, cela peut introduire des super-tours positifs ou négatifs (le nombre d’enlacements
augmente ou diminue), mais dans les deux cas cela induit un vrillage de la molécule,
donc une compaction. Dans la cellule l’ADN est généralement présent sous forme de
superhélice négative. La formation des surenroulements nécessite un apport d’énergie,

92
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

puisque la molécule passe d’un état sans tension à un état sous tension. Les changements
d’états topologiques sont assurés par des ADN topoisomérases, présentes chez tous les
organismes. Les procaryotes en possèdent quatre classes principales : la gyrase introduit
un surenroulement négatif favorisant l’ouverture de la double hélice ; la toposisomé-
rase I relâche l’ADN ; la topoisomérase IV participe à la résolution des intermédiaires
de la réplication et de la recombinaison (voir Chapitre 5), et la gyrase inverse introduit
un surenroulement positif. Ces enzymes effectuent une coupure simple brin (classe I) ou
double brin (classe II) de la molécule d’ADN préalable au changement d’enroulement,
qu’elles ressoudent ensuite. Une cassure simple brin dans une petite molécule d’ADN
circulaire surenroulée (un plasmide par exemple) suffit pour lui faire retrouver son
état relâché. Pour relâcher un chromosome bactérien, cependant, il faudrait appliquer
plusieurs centaines de coupures (environ quatre cents pour celui d’E. coli), réparties sur
l’ensemble de la molécule, en raison d’une organisation en domaines (voir Figure 4.2)
(§ 1.2) ; une coupure dans un domaine est sans effet sur les domaines adjacents.
Les capacités de changement d’états topologiques confèrent à la molécule d’ADN
d’importantes propriétés. Lors de leur formulation du modèle de la double hélice (1953),
J. Watson et F. Crick ont souligné les implications de l’entrelacement des deux brins
de l’ADN. Ainsi, une séparation localisée des deux filaments génère une perturbation
locale du pas de l’hélice, avec en avant de ce site des surenroulements positifs qui doivent
être compensés par des surenroulements négatifs en arrière. De telles modifications
structurales locales sont produites régulièrement à tout site de la molécule d’ADN lors
des processus de réplication, transcription, recombinaison, ou réparation. Elles doivent
être prises en charge pour assurer la progression correcte de la machinerie en cours de
fonctionnement.

A B
Zone ori
ori non structurée gauche droite
ter

Droite
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droite gauche
ori ter ter ori
gauche droite
Zone
non structurée

ter ori ori


gauche droite gauche droite
Gauche ter ter

Figure 4.2 – Les macro-domaines topologiques du chromosome d’E. coli


A. Organisation sur le chromosome. B. Réorganisations cellulaires au cours du pro-
cessus de division.

93
Introduction à la microbiologie

1.2 Structure et malléabilité spatio-temporelle du chromosome


L’organisation linéaire des gènes sur nombre de chromosomes procaryotes, dérivée
de données historiquement génétiques puis issues de la génomique, est bien connue.
Le chromosome est organisé de façon hiérarchisée en domaines topologiques de
dimensions très différentes. Chez E. coli, un niveau de base comprend des domaines de
l’ordre de 10 à 100 kb (un gène comprend environ mille bases), eux-mêmes organisés
dans une structure supérieure en deux macrodomaines d’environ 1 Mb chacun, l’un
comprenant l’origine (ori) et l’autre, à son opposé, la région de terminaison (ter) de
la réplication (§ 3). Ces domaines, organisés grâce à la présence de protéines qui en
assurent l’échafaudage, sont structuralement et fonctionnellement indépendants (§ 1.3).
Les macrodomaines sont disposés de façon précise par rapport à certaines coordonnées
liées à la dynamique de vie de la cellule. Chez E. coli tout de suite après la division le
nucléoïde est localisé dans la région centrale de la cellule (voir Chapitre 3), les séquences
ori et ter orientées en superposition l’une de l’autre dans la région médiane. Cette dispo-
sition change au cours du cycle jusqu’à placer l’origine de réplication vers un des pôles,
tandis que la région ter conserve sa position dans la zone médiane. Une disposition
ordonnée du nucléoïde a aussi été décrite chez deux autres Bactéries, Bacillus subtilis et
Caulobacter crescentus. Un certain nombre d’expériences confirment que la disposition
des domaines (donc des gènes qu’ils portent) par rapport aux coordonnées cellulaires
est dynamique, par exemple pour répondre à des besoins d’accessibilité pour d’autres
enzymes (ARN polymérases).

1.3 Les protéines SMC et NAP, des « architectes »


Les acteurs de l’organisation du nucléoïde sont deux classes de protéines. Les protéines
SMC (Structural Maintenance of the Chromosome) permettent à la molécule d’ADN
de conserver sa superhélicité négative et son organisation en domaines topologiques,
tout en maintenant une certaine flexibilité. Elles interviennent aussi dans la ségréga-
tion des chromosomes au moment de la division et dans la réparation des dommages
de l’ADN. Ce sont des protéines ubiquitaires ; les Eucaryotes en ont de nombreux
types tandis que celles des procaryotes, en nombre plus limité, ressortissent à deux
familles : la plus fréquente chez les Bactéries montre un haut niveau d’homologie avec
les condensines d’Archées et d’Eucaryotes, la seconde est constituée du complexe
MukEBF présent chez des Enterobactéries et de nombreux autres ordres de Bactéries.
Le complexe MukBEF d’E. coli, le plus étudié parmi les SMC procaryotes, intervient
dans la condensation de l’ADN surenroulé négativement et dans la ségrégation des
chromosomes.
Dans une cellule en croissance active environ quatre cents  copies du complexe
assurent au nucléoïde une sorte d’échafaudage maintenant sa structure. L’ensemble
des protéines SMC/MukB ont des structures leur permettant d’assumer deux configu-
rations, dites ouverte et fermée. La configuration ouverte permet un déplacement de
MukB le long de l’ADN, tandis que le changement de conformation agit directement sur

94
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

la molécule d’ADN en la pliant. L’inactivation de MukBEF par mutation se traduit par


une désorganisation du chromosome, une décondensation et des coupures de l’ADN ;
les cellules se divisent en formant une descendance dépourvue de nucléoïde, et leur
tolérance thermique est limitée à 25 °C (l’optimum pour E. coli est de 35-37 °C). Les
protéines NAP (Nucleoid Associated Proteins), à tort définies comme de type histones,
s’associent à l’ADN pour former des courbures et des repliements de cette molécule ainsi
que des pontages entre segments d’ADN éloignés. Elles jouent en outre un rôle physio-
logique important en intervenant sur la régulation de l’expression d’environ 5 % des
gènes, dont ceux des ARNr et ARNt, et ceux intervenant dans la réponse aux stress et la
pathogénicité. La concentration des différentes NAP varie suivant la phase de croissance
(exponentielle/stationnaire).

1.4 Organisation des génomes


La comparaison de données fournies par la génomique montre qu’il n’existe aucune
corrélation simple entre dimensions des génomes et groupe taxinomique ou complexité
des organismes (des espèces proches pouvant montrer de grandes différences de taille
génomique), ni entre nombre de gènes et taille des génomes ; ainsi chez Buchnera
aphidicola, un parasite intracellulaire obligatoire des Aphides (voir Chapitre 7), et
Homo sapiens, ces nombres sont respectivement de 583 et 21 000 gènes, contre quatre
ordres de grandeur entre leurs tailles de génome. Chez les organismes unicellulaires
les dimensions des génomes varient de moins de 105 pb (pour certains Mycoplasmes)
à autour de 107-108 pb chez la majorité des procaryotes, et de moins de 107 à plus de
1011 pb chez les protistes. Les tailles des chromosomes des Archées, définis essentielle-
ment à partir de données génomiques limitées à un nombre restreint d’espèces, varient
entre environ 0,5 Mb pour le parasite Nanoarchæum equitans et 5,5 Mb chez Metha-
nosarcina barkeri, avec une moyenne de l’ordre de 2 Mb. Ces gènes sont en majorité
constitués de cadres de lecture ininterrompus, avec une présence peu fréquente de
micro-introns chez quelques espèces. La proportion d’ADN codant semble dimi-
nuer avec la « complexité » des organismes, avec au moins 75 % (environ 90 % chez
E. coli) chez les procaryotes, 75-50 % pour les Eucaryotes « inférieurs » (70 % chez la
levure), et environ 50 % pour la plupart des plantes et animaux (mais seulement 3 %
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chez l’Homme). La taille des génomes des procaryotes est donc toujours réduite, et
plus directement liée au nombre de gènes, avec une fraction faible et assez constante
d’ADN non codant. La densité de gènes des Archées (environ 1,2 par kb, contre 0,8
pour les Bactéries) fait de ces génomes les plus compacts. Parmi les Bactéries, des
génomes plus grands sont rencontrés chez les espèces au style de vie complexe et occu-
pant des environnements à forte variabilité. À l’opposé les Bactéries à petits génomes
sont symbiotes et endosymbiotes obligatoires, en particulier d’Eucaryotes, leur envi-
ronnement protégé et constant ayant favorisé la perte de gènes, illustrant l’efficacité
de la sélection. L’origine des grands génomes pourrait résulter de l’invasion d’ADN
non fonctionnel et non d’une nécessité physiologique. Cet ADN, désigné souvent par

95
Introduction à la microbiologie

le terme inapproprié de « poubelle » et peu exploré, pourrait en réalité cacher, comme


on commence à le soupçonner, d’importantes propriétés.
Les procaryotes sont majoritairement monochromosomiques, avec la présence
très fréquente de nombreux éléments génétiques annexes. L’ADN chromosomique
procaryote est généralement une molécule circulaire. De nombreuses espèces, toute-
fois, ont des chromosomes linéaires, ou même des deux types. La composition en
bases (pourcentage de GC) varie beaucoup, allant de 17 à 75 %, de 28 à 66 % et de
35 à 50 %, respectivement, chez Bactéries, Archées et Eucaryotes. En revanche, les
variations à l’intérieur d’un genre sont inférieures à 10 %. La proportion de GC,
déterminée par la température de fusion de l’ADN (température à laquelle les deux
brins d’une molécule se séparent), associée à d’autres paramètres, peut permettre
d’identifier des séquences issues de transferts géniques horizontaux (TGH) (voir
Chapitre 5). Les procaryotes sont souvent haploïdes, mais avec un nombre de copies
du génome variant selon l’état physiologique. Une polyploïdie est toutefois rencon-
trée chez certaines espèces. La présence de quatre à cinq copies chez Deinococcus
radiodurans expliquerait en partie l’extrême résistance aux radiations de cette
Bactérie. Une autre Bactérie, Azotobacter vinelandii, possède normalement quatre-
vingts copies, et certaines Cyanobactéries en ont aussi un nombre élevé (deux cent
dix-huit copies en phase exponentielle et quarante-deux en phase stationnaire chez
Synechocystis PCC 6803). Chez B. aphidicola, le nombre de copies varie selon le stade
de développement de l’hôte, pour des raisons inconnues. L’Archée Halobacterium
salinarum passe de trente copies de son chromosome en phase exponentielle à dix
en phase stationnaire.
L’information génétique de la cellule peut être classée en deux programmes : l’ADN
indispensable, devant assurer le fonctionnement de base et la reproduction de la cellule,
est porté par les chromosomes proprement dits ; l’ADN accessoire, non nécessaire,
confère des caractères qui peuvent cependant s’avérer indispensables dans certaines
conditions (voir Tableau 4.1 et Figure 4.3). Cette seconde classe d’information peut
résider soit dans le(s) chromosome(s), soit sur des molécules d’ADN extrachromoso-
miques à réplication autonome (§ 2), soit sur les deux. La distribution des gènes sur le
chromosome (organisation souvent en opérons [voir Chapitre 6], répartition sur l’un
ou l’autre filament de l’ADN, orientation par rapport à la progression de la réplication
[§ 3], distance par rapport à l’origine de réplication) n’est pas le fruit du hasard mais le
résultat d’une sélection qui a opéré à travers les effets de ces facteurs sur la physiologie
des cellules. Une fraction minoritaire des gènes (dits de ménage ou housekeeping) code
les fonctions de base de la construction et du fonctionnement de la cellule. Ils sont
exprimés de façon permanente, alors que la grande majorité des autres gènes ne l’est
qu’en réponse à des signaux environnementaux (voir Chapitre 6). Cette capacité de
programmation permet à l’organisme d’optimiser son interaction avec son environne-
ment et de maintenir l’homéostasie cellulaire.

96
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

Tableau 4.1 Distribution des fonctions essentielles et accessoires sur les


chromosomes et plasmides chez les procaryotes

Fonctions essentielles Fonctions accessoires


Génomes
(indispensables dans toutes (indispensables dans
procaryotes
les conditions) certaines conditions)

– Métabolisme central
– Synthèse des précurseurs – Métabolisme secondaire
des constituants cellulaires – Dégradation de composés
– Assemblage organiques
Chromosome des constituants – Enzymes de modification et/
macromoléculaires ou de protection de l’ADN
– Division – Prophages et gènes viraux
– Régulation de l’ensemble – Résistance aux antibiotiques
des fonctions cellulaires – Pathogénèse
– Autres fonctions pouvant
– Autonomie de réplication conférer des avantages
Plasmide(s) – Contrôle du nombre de adaptatifs
copies et de leur ségrégation

A B
Régulon mal
dnaK D
U
B
A
-

(dégradation
"

thr
+

argI

A
leu

Opéron lac Le génome d’Escherichia coli


%

Y
F

du maltose)
&

Z
uv xA

arg
'

I
le al
rA

(dégradation MG 1655
lac
m

du lactose)
ar

Origine de 100/0 gU
g

ar Nombre de nucléotides 4 639 675


réplication ar
g
oricX 90 10 K
T
spo gal E Nombre de gènes 4 321 (96,1 %)
T
codant des protéines
maIS

80 20 pyrD Nombre de gènes 179


gor codant des ARN
4
0 mal
1 purB
argD umuD Nombre de gènes 22
!
rpsL trp " codant des ARNr
#
70 30 $
argR % Nombre de gènes
arg
G
codant des ARNt 89
sad
Opéron trp
tolC (biosynthèse
60 40 m
an Nombre de gènes 203
du tryptophane) sans fonction connue
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

Régulon mal gP
A
ar
(dégradation 50
fe
ar A

o
y
gA
th

du maltose) Opéron his


arg
A
gV
rec

S $
his

(biosynthèse
ar

hiss

gyrA

'
argw
argT

de l’histidine)
#
"
(
!
&
)
%

Figure 4.3 – Le chromosome d’E. coli.


A. Carte génétique historique. B. Nature des produits codés.

97
Introduction à la microbiologie

2 L’ADN accessoire : son rôle adaptatif


Jusqu’à 20 % du génome d’un procaryote peut être constitué d’ADN accessoire (ou
éléments génétiques associés, EGA), dont la perte spontanée ou induite (en laboratoire)
ne se traduit pas par un effet « visible ». Celui-ci peut conférer à la cellule porteuse
des avantages adaptatifs pouvant aller jusqu’à assurer sa survie dans certaines condi-
tions. Certains de ces éléments sont responsables de nombreux types de réarrangements
chromosomiques, participant à la variabilité génétique des organismes concernés, et/
ou encore s’auto-transfèrent par contact intercellulaire selon un mécanisme de para-
sexualité dit conjugatif (voir Chapitre 5). Les différentes familles d’EGA se distinguent
par de nombreuses propriétés. Un aspect particulier d’une catégorie dit EGM (éléments
génétiques mobiles) est cette « mobilité », qui met en jeu des mécanismes de recombi-
naison (dite non homologue ou site spécifique) impliquant des enzymes particulières,
intégrases et excisionases, ou transposases.

2.1 Les plasmides


Ces molécules d’ADN peuvent être soit uniquement libres et à réplication autonome,
soit présentes à l’état libre ou intégrées dans un chromosome (et dans ce cas répliquées
passivement par le chromosome porteur), ces deux formes étant réversibles (plasmides
dits intégratifs). On connaît plusieurs milliers de plasmides, dont mille sept cents sont
entièrement séquencés. Ils sont présents chez tous les types de procaryotes ; une même
cellule peut en porter plusieurs, appartenant à des familles différentes. Le nombre
d’exemplaires (dit nombre de copies) d’un plasmide dans une cellule hôte est stricte-
ment contrôlé par chaque plasmide ; ce nombre peut aller de un à plusieurs dizaines par
rapport au nombre de chromosomes, suivant les plasmides.
Le premier plasmide identifié, et le plus décrit, est le plasmide (dit aussi épisome ou
facteur) F (pour fertilité), d’E. coli (voir Figure 4.4A). Il est représentatif d’une classe
de plasmides complexes dont l’étude a été fondamentale en génétique, pas seulement
bactérienne. L’épisome F est un double filament d’ADN circulaire de 99 kb, équiva-
lent à environ 2 % du chromosome hôte, qui peut se maintenir soit à l’état libre dans
le cytoplasme, soit intégré dans le chromosome. Le nombre de F libres par cellule est
rigidement contrôlé, dans un rapport de 1:1 par rapport au nombre de copies chromoso-
miques. Le génome de F est organisé en différentes régions fonctionnelles : la région oriV
contient une origine de réplication fonctionnelle quand F est libre dans le cytoplasme ;
la région tra (environ un tiers de ce génome) code pour des protéines nécessaires au
transfert de F vers une autre Bactérie, d’où la désignation de plasmide conjugatif (voir
Chapitre 5) ; la région oriT porte une autre origine de réplication qui participe à ce
transfert ; enfin une vaste région contient des gènes de fonctions peu connues, deux
séquences d’insertion (IS2 et IS3) permettant l’insertion dans le chromosome, et un
transposon (Tn1000) (§ 2.2).

98
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

A IS3
B Cytokinine
Auxine Opine
Tn1000
Région ADN-T

F IS3 Ti
Région des Métabolisme
gènes tra IS2 ’
de l’opine
Région de
virulence

oriT oriV oriV

Figure 4.4 – Organisation génétique de deux plasmides


A. Le plasmide (ou facteur) F d’E.  coli. B. Plasmide Ti d’A. tumefaciens. La région
ADN-T du plasmide Ti d’Agrobacterium code la synthèse d’auxine et de cytokinine,
protéines responsables de la prolifération et de la différenciation bactériennes chez
la plante, et les enzymes de biosynthèse de composés azotés particuliers, des opines
(nopaline ou octopine). Ces opines, exportées par les cellules végétales nodulées,
servent de source de C, N et énergie aux bactéries. Région de virulence, gènes
de fixation de la Bactérie aux cellules végétales et de transfert de l’ADN-T. Deux
régions, oriT (non représentée) et oriV, interviennent dans la réplication végétative
et de transfert du plasmide, respectivement.

La famille des plasmides R, largement répandus parmi les Bactéries, doit sa dési-
gnation au fait que ces ADN sont porteurs de gènes conférant la résistance à un ou
plusieurs antibiotiques ou autres inhibiteurs. Ils ne sont généralement pas intégrés dans
le chromosome, et nombre d’entre eux sont conjugatifs. L’un d’eux, le plasmide R100,
approximativement de même dimension que F, confère une résistance à cinq antibio-
tiques (sulfonamides, streptomycine, spectinomycine, chloramphénicol, tétracycline) et
aux effets toxiques du mercure. Ces plasmides, et en particulier ceux pouvant être trans-
férés par conjugaison, jouent un rôle important dans la diffusion de multirésistances aux
antibiotiques, notamment chez les Bactéries pathogènes.
Les plasmides de « virulence » confèrent une capacité de pathogénicité aux hôtes
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

porteurs (seules des Bactéries sont connues). Ils leur permettent d’échapper aux défenses
de l’hôte ou de produire des toxines. Les plus étudiés sont le plasmide conjugatif Ti
d’Agrobacterium tumefaciens (voir Figure 4.4B), qui induit des tumeurs (galles) chez les
Angiospermes (mais en même temps leur fournit de nouvelles sources de carbone), et les
plasmides enterotoxigènes de souches d’E. coli responsables de pathologies intestinales
graves avec perte de liquides et de sels. Les plasmides Col produisent des protéines
(bactériocines) létales pour d’autres Bactéries. La bactériocine agit en augmentant la
perméabilité de la membrane cytoplasmique, ou en dégradant le PG, l’ADN ou l’ARN.
Ce sont des plasmides de petites dimensions présents dans l’hôte en grand nombre de
copies. Les plasmides métaboliques, appelés aussi dégradatifs, confèrent la capacité de

99
Introduction à la microbiologie

dégrader des substances organiques très toxiques comme le toluène ou d’autres subs-
tances aromatiques, des pesticides, mais aussi des substances non toxiques (lactose).

2.2 Les éléments génétiques mobiles (EGM)


Ces éléments sont potentiellement présents dans tous les chromosomes, procaryotes
ou eucaryotes, mais jamais libres dans le cytoplasme. Ils jouent un rôle fondamental
dans la plasticité et l’évolution des génomes. Leur caractéristique principale est de
pouvoir changer spontanément de localisation, de façon aléatoire par rapport au site et
à la nature de l’ADN cible (chromosome, plasmides, virus bactériens), soit en cis dans
un autre locus de l’ADN porteur, soit en trans sur un autre ADN, par un mécanisme
particulier de recombinaison appelé transposition (voir Chapitre 5). Ces transpositions
peuvent provoquer chez l’hôte des réarrangements génomiques ou l’induction de muta-
tions suite à l’insertion de l’EGM dans une région codant une fonction essentielle de la
cible. Les nombreuses classes connues de ces éléments chez les procaryotes peuvent être
groupées en deux principales catégories, les séquences d’insertion et les transposons.
Cette mise en catégories est cependant très réductrice. Plusieurs EGM appartenant à des
catégories différentes pouvant coexister dans une même cellule, des interactions entre
ces éléments sont possibles. Une recombinase particulière responsable de la mobilité
réalise une recombinaison entre un site de l’élément et une séquence cible sur un autre
ADN, provoquant la duplication de la cible sous forme d’une séquence répétée directe
à chaque extrémité de l’élément mobile (voir Chapitre 5). La taille de cette duplication
est variable d’un élément à l’autre, mais constante pour un élément donné. La réaction
inverse, l’excision de l’élément, est réalisée sous l’action d’une excisionase.
Les séquences d’insertion (IS) sont des séquences longues de 770 à 2 700 pb, dont
l’organisation est très uniforme (voir Figure 4.5A). Des séquences répétées inversement
– palindromiques, IR, de 10 à 40 pb, positionnées à chaque extrémité – sont à leur tour
flanquées, en position externe, d’une séquence directement répétée (DR), de 5 à 11 pb,
générée à partir la séquence cible au cours du précédent événement de mobilité de l’IS.
Comme potentiellement une séquence IS peut se fixer à n’importe quel site de sa cible, la
nature de la séquence DR sera différente d’un événement de transposition au suivant. La
partie codante des IS, comprise entre les deux séquences IR, ne code en général que pour
les fonctions liées à leur transposition. Les IS (dont plus de 1 500 sont connues) ont été
classées en vingt familles, en particulier sur la base de leur longueur et de la nature des
IR. Un même chromosome peut en posséder plusieurs, appartenant ou non à diverses
familles. Ainsi, des séquences de la famille IS1 sont présentes en cinq à dix copies chez
différentes souches d’E. coli K12, et en quarante et aucune, respectivement, chez les
espèces proches Salmonella et Shigella.
Les transposons (Tn), d’abord identifiés chez le maïs par B. McClintock (1950-60),
ont ensuite été trouvés dans l’ensemble du monde vivant. Ce sont des séquences de type
IS portant en outre des gènes codants pour des fonctions pouvant conférer des avan-
tages adaptatifs aux cellules porteuses (résistance à un ou plusieurs antibiotiques ou aux

100
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

IR IR
A Séquence IS
Fonctions de
transposition Transposons
IR Marqueurs IR

Fonctions de
transposition
Transposons composés

Séquence IS Séquence IS

Fonctions de Marqueur(s) Fonctions de


transposition transposition

B C 59-be
ARNt RDF ARNt
Chromo- Intégrase Fonctions Chromo-
some biologiques some Gène
RD RD ORF 1 cassette

attL attR
Intégration/
Intégrase
excision
attl 59-be 59-be
intl
Chromosome Chromosome ORF 1 ORF 2

ARNt intégron

Figure 4.5 – Principaux éléments génétiques mobiles bactériens


A. Séquences IS et transposons. B. Structure d’un îlot génomique. C. Un intégron et
son schéma de capture d’un gène.

effets toxiques de certains ions) (voir Figure 4.5A). Comme pour de nombreux gènes de
résistance associés aux éléments mobiles, il s’agit d’une résistance par inactivation de
l’antibiotique. On distingue deux classes :
– les transposons dits simples, ou non composites, ont une structure rappelant
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

celle des IS (séquences IR flanquées de séquences DR). La région entre les deux
IR contient, outre les fonctions liées à la transposition, le ou les gènes annexes. Le
transposon simple Tn3, long d’environ 5 kb, est présent chez de nombreuses Bacté-
ries à Gram–, dont plusieurs pathogènes ; il porte deux gènes de transposition (une
transposase et une résolvase, ou régulateur de la transposition), et une β-lactamase,
qui confère la résistance aux antibiotiques β-lactames ;
– les transposons composites, en général plus grands (de 5 à 20 kb), sont un assemblage
de deux copies de la même IS (en orientations directes ou inversées) positionnées
chacune à une extrémité de l’élément, flanquant une région interne portant le ou les
gènes adaptatifs.

101
Introduction à la microbiologie

2.3 Autres ADN accessoires


a. Les îles génomiques (IG)
Les îles génomiques (IG) sont des régions continues du génome, de tailles allant de 4,5 à
60 kb (les plus courtes portent souvent le nom d’îlots génomiques), qui peuvent contenir
des dizaines ou des centaines de gènes conférant à la cellule hôte de nombreux caractères
adaptatifs (voir Figure 4.5B). Les IG sont acquises par un mécanisme de TGH, c’est-à-dire
d’une cellule à une autre, n’appartenant pas nécessairement à la même espèce, ni même
au même domaine (voir Chapitre 5). Leur distribution phylogénétique est souvent aléa-
toire, des IG pouvant être présentes chez certains organismes et absentes chez d’autres
étroitement apparentés. La présence d’une catégorie d’IG, dite îlots de pathogénicité
(PAI, PAthogenic Islands), chez des Bactéries par ailleurs non pathogènes de l’Homme,
des animaux ou des plantes, entraîne l’acquisition de la virulence par ces Bactéries (voir
Chapitre 7). D’autres îlots sont porteurs de gènes de résistance à des antibiotiques, de
dégradation et/ou de capture de certains composés (îlots métaboliques). D’autres encore
sont responsables de la capacité de symbiose (îlots de symbiose) de certaines Bactéries
infectant des plantes. Très probablement, d’autres types sont encore à découvrir. Les IG
se distinguent du génome propre de l’hôte par la présence dans leur séquence de gènes
liés à leur mobilité, de répétitions directes (DR) à leurs extrémités, et d’un gène codant
une intégrase, et par leur contenu en GC et leur usage de codons souvent différents de
ceux de l’ADN hôte. Ces caractéristiques structurales et fonctionnelles rendent les IG
assimilables à des EGM. Le mécanisme d’intégration nécessite la présence de séquences
particulières sur l’ADN hôte, reconnues par leur intégrase.

b. L’hérédité infectieuse intracellulaire


L’hérédité infectieuse intracellulaire correspond à de l’ADN issu de virus bactériens, les
bactériophages (voir Chapitre 8). Elle peut constituer chez certaines espèces la fraction
prépondérante de l’ADN accessoire. Cela n’est pas surprenant si l’on considère que toute
cellule peut être infectée au cours de sa vie par un ou plusieurs types de virus. Certains
contractent avec leur hôte un rapport permanent par intégration de leur génome (dit alors
prophage) dans celui de l’hôte (Bactéries et certaines Archées). Les prophages confèrent
aux hôtes des traits phénotypiques désignés sous le terme de conversion lysogénique. La
production de toxines par certains prophages est responsable de la pathogénicité de leur
hôte, d’où l’intérêt médical associé à ces éléments. Citons, parmi les quinze cas connus,
la toxine diphtérique codée par le phage β de Corynebacterium diphteriæ, agent de la
diphtérie, le phage CTXΦ de Vibrio choleræ responsable du choléra, le phage C1 de Clos-
tridium botulinum codant une neurotoxine agent du botulisme.

c. Les intégrons
Les intégrons, capteurs de gènes d’origine mystérieuse d’abord découverts chez V.
choleræ, forment une classe d’éléments génétiques présents sur chromosomes, plas-
mides et transposons, particulièrement importante car elle est associée à la diffusion

102
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

de la résistance à des antibiotiques (voir Figure 4.5C). Il s’agit d’éléments capables de


s’intégrer dans la molécule hôte, ou de se reproduire sous forme libre dans le cytoplasme.
Le passage entre formes intégrée et libre (intégration/excision) résulte de l’activité d’une
recombinase codée par l’intégron. Ces éléments ont la propriété de capturer des gènes
dits cassettes, non réplicatifs, qui existent à l’état libre dans le cytoplasme. Au moins
cent trente types de ces gènes cassettes ont été inventoriés, dont les plus fréquents four-
nissent une résistance à de nombreuses catégories d’antibiotiques (aminoglucosides,
β-lactames, chloramphénicol, triméthoprime, phosphomycine, quinolones, érythro-
mycine) ainsi qu’à des antiseptiques (ions ammonium quaternaires et désinfectants). Ils
sont généralement dépourvus de promoteur, donc non transcrits. Leur expression est
conditionnée à leur intégration, qui se fait dans un site spécifique de l’intégron (aboutis-
sant à mettre en phase le gène cassette avec un promoteur de l’intégron). La réversibilité
et/ou la répétition de ces événements a pour conséquence d’augmenter le nombre de
cassettes associées à l’intégron. Chez certaines bactéries (Vibrio, Treponema, etc.), les
intégrons constituent deux grandes familles, celle dite de « résistance » (RI), portant
généralement moins de dix cassettes de résistance, et les « super-intégrons » qui peuvent
posséder jusqu’à cent cassettes codant pour de nombreuses fonctions. Des intégrons
et des gènes cassettes ont récemment été identifiés dans l’environnement (sol et sédi-
ments marins). On pense qu’ils pourraient infecter certaines Bactéries, par un processus
d’entrée directe (dit de transformation, voir Chapitre 5) dans les cellules. L’origine de
ces gènes cassettes et leur maintien dans le cytoplasme bactérien sont un grand mystère,
étant donné qu’ils ne peuvent ni se répliquer ni exprimer aucune fonction à l’état libre.

d. Les shufflons
Les shufflons constituent une classe importante d’éléments génétiques de certains
protistes (T. brucei, la levure Candida albicans) et de nombreuses Bactéries, chez lesquels
ils sont responsables d’un brassage génétique programmé. Chez ces dernières ils sont
présents sur le chromosome ou sur le génome de certains bactériophages. Ces éléments
portent un ou des gènes dont l’expression (ou la non-expression) dépend du sens d’inser-
tion de l’élément sur l’ADN hôte. Le shufflon code pour la recombinase qui catalyse de
façon spécifique cette inversion au site d’intégration. Ce processus est responsable des
variations des antigènes impliqués dans la virulence chez de nombreuses Bactéries patho-
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gènes, telles Campylobacter jejuni, Citrobacter freundii ou Streptococcus pneumoniæ. En


modifiant la nature des fimbria ou des pili chez Neisseria meningitidis, ils interviennent
dans l’interaction avec la cellule hôte, et ainsi dans sa pathogénicité.

3 Réplication
La réplication est le processus cellulaire de synthèse d’un acide nucléique à fonction géno-
mique grâce auquel un brin est complété, pour former une copie dite complémentaire
(réplication semi-conservative). Dans le cas d’une molécule bicaténaire, les deux molécules

103
Introduction à la microbiologie

néoformées auront chacune un filament parental, ayant servi de modèle, et un filament


néo-synthétisé. Une synthèse d’ADN utilisant plus ou moins les mêmes enzymes inter-
vient aussi dans d’autres activités telles la réparation et la recombinaison (voir Chapitre 5).

3.1 Les étapes de la réplication


a. Synthèse de l’ADN et réplication d’un chromosome
Les caractéristiques principales de la réplication sont les mêmes chez tous les organismes.
Toutefois des spécificités apparaissent au niveau des machineries de réplication dans
chacun des trois domaines du vivant, même si nombre des protéines impliquées montrent
des liens évolutifs. Les caractéristiques de la réplication et des complexes qui inter-
viennent chez les Archées sont pour partie analogues à celles des Bactéries et pour partie
proches de celles des Eucaryotes, dont c’est en quelque sorte une version plus simple.
La synthèse d’un acide nucléique in vitro est un processus simple. C’est la polyméri-
sation de quatre nucléotides assemblés de façon complémentaire à ceux du brin modèle1.
En revanche, la réplication d’un chromosome est un processus complexe en raison de
sa structure (circulaire ou linéaire), de son état de surenroulement (§ 1) et de la coor-
dination nécessaire avec le cycle cellulaire (voir Chapitre 3). Toutes ces contraintes ont
nécessité l’existence d’une machinerie extrêmement élaborée, et de nombres de contrôles
(Fig. 4.6 ; 4.7). La réplication d’un ADN bicaténaire, le cas le plus fréquent, est initiée

ADN polymérase
Brin rapide fixée sur le brin rapide
Anneau coulissant
(synthèse continue)

Topoisomérase
ADN hélicase
Primosome
ADN primase

Brin matrice de la
synthèse continue
Brin matrice de
la synthèse discontinue
ADN parental
Point de départ
du prochain fragment
d’Okazaki

ARN amorce (primer) Protéine Ssb


Nouveau
fragment Polymérase
d’Okazaki

Figure 4.6 – Schéma d’ensemble des constituants et du fonctionnement d’une


fourche de réplication

1. Voir cours de Biologie moléculaire

104
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

ori
A 5 3 B

5’
Ssb
3 5
Topoisomérase
Réplichore I Réplichore II

licase

Brin Watson
Brin Crick 3’
ter

Ssb
C 3’
5’
Brin retardé

AD parental
3’
5’
3’ 5’
Brin rapide
ADN
Polymérases

Figure 4.7 – Phases de la réplication du chromosome d’E. coli


A. Structure du chromosome et organisation en deux réplichores, montrant les ca-
ractéristiques de la réplication (semi-conservative, bidirectionnelle, et orientation de
copie par l’ADN-PolIII), initiée au site ori, et terminée au site ter. B. Une fourche
de réplication, constituée par de l’ADN parental simple brin protégé par les pro-
téines Ssb. Structure formée après l’initiation de la réplication, par l’ADN hélicase,
qui sépare les filaments de la structure double brin, et la topoisomérase, qui déroule
l’ADN au fur et à mesure de l’avancement de la fourche. C. Modèle topologique
de la réplication au niveau de chaque brin d’ADN d’une fourche de réplication d’un
réplichore (voir aussi Figure 4.10).

au niveau d’un (ou de plusieurs) site(s) de la molécule, dit(s) origine(s) de réplication :


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origine unique dans le cas des Bactéries (ori) (voir Figure 4.7A) et de nombreuses Archées
(telle Pyrococcus abyssii), ou origines multiples (ORBs, Origin Recognition Boxes) chez
d’autres Archées (deux chez Halobacterium, trois chez Sulfolobus solfataricus et Sulfo-
lobus acidocaldarius), comme chez les Eucaryotes, dont les chromosomes sont linéaires.
La réplication est la plupart du temps bidirectionnelle, deux complexes de réplication
(dits réplisomes) se déplaçant en sens inverse l’un de l’autre (voir Figure 4.7A).
Les enzymes de synthèse d’ADN, les ADN-Pol, forment plusieurs familles, qui inter-
viennent dans les différents processus impliquant le métabolisme de l’ADN. Les enzymes
responsables de la synthèse réplicative (ADN-PolIII) sont aussi dites réplicatives, ou
réplicases. Toutes ces enzymes ont deux particularités conditionnant le processus de

105
Introduction à la microbiologie

synthèse : l’obligation de synthèse dans la direction 5′ à 3′, et le besoin d’un 3’OH libre
où fixer les nucléotides, donc d’une amorce au démarrage du processus.

b. Le réplisome
Le réplisome est un complexe multi-protéique, dont les constituants sont analogues
dans les trois domaines du vivant, avec toutefois de nombreuses variantes. Il contient
deux molécules d’ADN-PolIII, une pour chaque brin d’ADN, responsables de l’élonga-
tion, la phase de progression de la synthèse le long du chromosome. Afin de coordonner
les synthèses sur les deux brins, des deux polymérases sont liées par une protéine
de pontage. L’initiation de la réplication passe par la reconnaissance de ori par une
protéine spécifique, DnaA. L’origine (oriC chez E. coli, longue de 245 pb) contient
plusieurs répétitions d’un motif de 9 pb auxquelles se lient les molécules de DnaA
(dites DNA-boxes), et des séries de répétitions de 13 pb riches en AT (voir Figure 4.8).
Du fait que seulement deux liaisons H sont contractées dans un couple AT (contre trois
pour un couple GC), cette région est donc potentiellement malléable, ce qui favorise la
séparation des deux brins. Le complexe ADN-DnaA étire l’ADN, provoquant la forma-
tion de deux fourches de réplication (voir Figure 4.7B). Cette structure est stabilisée par
l’hélicase (DnaB chez E. coli), qui détruit les liaisons H au fur et à mesure de l’avance
sur la molécule d’ADN (par un mécanisme inconnu), permettant la progression des
fourches de réplication. La région ori contient également une proportion importante
de motifs GATC, reconnus par une enzyme qui méthyle les adénines de ces séquences
(voir Chapitre 5), créant un signal participant au contrôle de la fréquence d’initiation
de cycles de réplication.

Série de 3 DNA-Boxes
séquences en tandem
(riches en AT)

Protéine HU
DnaA IHF
ATP

Figure 4.8 – L’origine oriC


Schéma simplifié et mécanisme de séparation des deux brins au moment de l’ini-
tiation de la réplication. La protéine HU intervient dans la régulation de la structure
(stabilisation, surenroulement négatif) de l’ADN. IHF est la principale protéine de
repliement de l’ADN.

106
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

c. L’ADN polymérase PolIII : propriétés et contraintes


L’ADN-PolIII est un hétérotrimère asymétrique dont chaque monomère est composé de
dix-sept sous-unités de dix protéines différentes (voir Figure 4.9). Deux noyaux enzyma-
tiques, fixés à chacun des brins de l’ADN par un anneau coulissant lui-même associé à
un chargeur, incluent le site de polymérisation, une exonucléase 3′ à 5′ (corrigeant les
erreurs d’insertion), et les polymérases elles-mêmes, qui accrochent un désoxyribonu-
cléotide à une extrémité 3’OH libre de l’amorce ou du dernier nucléotide, suivant la règle
de complémentarité. L’amorce, constituée d’un fragment d’ARN de dix à trente bases,
complémentaire d’une séquence du brin à compléter, est synthétisée par une ARN-Pol
particulière, ou primase, qui n’exige pas de 3’OH libre pour fixer le premier nucléotide.
L’anneau coulissant, entraînant le complexe, se déplace le long de l’ADN, permettant
une activité de synthèse optimale. Plus de 5 × 105 nucléotides (équivalent à environ
cent gènes) sont synthétisés sans détachement du complexe (propriété dite de processi-
vité). Le brin d’ADN en cours de synthèse croît en direction 5′ à 3′.

A Petit Grand fragment dit de Klenow B Nucléotide


fragment (76 kDa)
(34 kDa) en cours Direction
d’addition de synthèse
1 324 928 en 3 5
N C
5 3 3 5 3’
Exonucléase Exonucléase Polymérase Anneau 2

Noyau de l’ADN
Brin d’ADN polymérase III
nouvellement
synthétisé
α (pol) α (pol) 5

3 5 3
3 5 exo
exo

Figure 4.9 – L’ADN polymérase III


A. Structure et organisation des sous-unités de l’ADN-Pol III d’E. coli. B. Structure du
noyau de l’enzyme et de l’anneau coulissant β.
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En raison de l’obligation de synthèse dans la direction 5′ à 3′ des polymérases, les


processus de synthèse de chacun des deux brins au niveau d’une fourche diffèrent (voir
Figure 4.7C). La matrice 3′ à 5, dite meneuse, rapide ou précoce (leading strand), est
dupliquée par un brin synthétisé de façon continue, dans l’orientation 5′ à 3′, celle de la
progression de la fourche de réplication. En revanche, pour le brin 5′ à 3′ de la matrice
(brin lent ou retardé, lagging strand), le déroulement de la molécule d’ADN procède dans
l’orientation opposée à celle que doit prendre le complexe de réplication. La synthèse
procède de façon discontinue : au fur et à mesure de l’avancement de la fourche, de
nouvelles amorces ARN sont formées, à partir desquelles la polymérase synthétise des

107
Introduction à la microbiologie

fragments (appelés fragments d’Okazaki), le tout dans le sens 5′  à  3′. Ces frag-
ments sont d’environ mille à deux mille nucléotides chez les Bactéries, et plus courts
(150-250 pb) chez les Archées comme chez les Eucaryotes. Le brin néosynthétisé est donc
une succession de fragments ARN-ADN, dont il faudra ensuite éliminer les parties ARN
et combler les lacunes ainsi formées par de l’ADN, opérations réalisées par une polymé-
rase particulière (la polymérase PolI chez E. coli). Cette enzyme possède en effet trois
activités, de polymérase 5′ à 3′, et d’exonucléase 5′ à 3′ et 3′ à 5′ (cette activité n’inter-
vient que dans la correction d’erreurs de réplication ou de brèches consécutives à certains
types de lésions). Enfin une ADN ligase crée les liaisons phosphodiester manquantes
entre les nucléotides terminaux en 5′ et en 3′OH des fragments d’Okazaki adjacents.
La progression des fourches pendant la réplication crée des contraintes topologiques
sur l’ADN (supertours de l’hélicité en avant de la fourche) qui doivent être compensées
à l’arrière. En outre, la structure du réplisome crée un problème pour l’avancement du
processus de synthèse ; en effet non seulement les synthèses des deux brins procèdent en
sens divergents, mais leurs vitesses sont différentes. Ce dilemme a été résolu grâce à un
modèle qui propose la formation d’une anse qui orienterait localement le brin lent dans la
même direction que le brin rapide au niveau de la fourche de réplication (voir Figure 7.4).

d. Terminaison de la réplication
La réplication d’un chromosome circulaire se termine lorsque les deux fourches de répli-
cation se rencontrent. Chez les Bactéries, cela se produit généralement au niveau d’un
site dit de terminaison (voir Figure 4.7A). Sur le chromosome circulaire d’E. coli, ce site,
ter, est diamétralement opposé à oriC. C’est une région d’environ 300 kb, contenant des
séquences particulières sur lesquelles se fixent des protéines spécifiques. Le complexe
ainsi formé bloque transitoirement la progression des fourches. Chez les Archées la
terminaison semble se produire de manière aléatoire dans les zones du chromosome
où les fourches de réplication convergentes se rencontrent. En revanche, des sites spéci-
fiques, formant des barrières à la progression de la fourche de réplication, ont été décrits
chez les Eucaryotes. La réplication une fois terminée, la cellule possède deux copies de
son chromosome, sous forme de deux cercles enchaînés. La résolution, ou décaténation,
de cette structure est réalisée par une topoisomérase spécifique. Les deux chromosomes
peuvent alors être répartis entre les deux cellules sœurs au moment de la division. L’arrêt
des fourches dans ces régions entraîne une désagrégation du réplisome, mettant fin à la
réplication. Chez E. coli, l’élongation se fait à raison de 350-500 nt.s–1 à 37 °C, le chro-
mosome étant répliqué en quarante minutes.

e. Le problème des chromosomes linéaires


La réplication des chromosomes linéaires pose un problème au niveau de l’extrémité
de l’ADN. En effet, l’élimination de la première amorce à chaque cycle de réplication
et l’impossibilité de la remplacer par de l’ADN en raison de son orientation devraient
entraîner un raccourcissement progressif de la molécule à partir de cette extrémité.

108
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes

Les Eucaryotes ont résolu ce problème grâce à la présence de séquences répétées (télo-
mères) aux extrémités des chromosomes, auxquelles se lie une enzyme, la télomérase,
qui permet d’allonger la synthèse de l’ADN à l’extrémité 5’. Chez les procaryotes, plas-
mides et bactériophages à chromosomes linéaires, deux solutions ont été adoptées : la
présence de répétitions inversées reconnues par une protéine qui sert d’amorce, ou la
formation d’une liaison covalente entre les extrémités des deux brins de l’ADN, formant
une structure équivalente à un chromosome circulaire, une enzyme spécifique rompant
la soudure covalente à la fin de la réplication.

3.2 Modèles particuliers de réplication


Beaucoup d’EGM et de virus, tant de procaryotes que d’Eucaryotes, utilisent des
variantes du schéma général ci-dessus, dont seuls quelques systèmes représentatifs
seront décrits.
Les plasmides, selon qu’ils sont intégrés dans le chromosome hôte ou libres dans le
cytoplasme, sont répliqués, respectivement, de façon passive lors de la réplication du
chromosome porteur, ou de façon autonome. La réplication autonome suit les modalités
de celle des chromosomes, avec cependant de nombreuses spécificités :
– La séparation des deux brins d’ADN dépend, suivant les plasmides, de la transcrip-
tion ou d’une protéine spécifique, Rep.
– L’amorce peut être un transcrit ou être générée par une primase codée par l’hôte ou
par le plasmide.
– L’initiation exige dans la plupart des cas une protéine spécifique codée par l’élé-
ment, qui dans certains cas fonctionne conjointement avec la protéine DnaA de
l’hôte. Cette protéine initiatrice reconnaît généralement une origine de réplication
unique dont la structure rappelle celle du chromosome hôte. Certains plasmides ont
deux origines séparées, une pour chaque brin.
– L’origine contient des séquences directement répétées, dénommées itérons, recon-
nues par la protéine Rep. Dans une origine donnée, les itérons ne sont généralement
pas identiques, mais possèdent un motif consensus. Chez certains plasmides, des
itérons, présents hors de la région origine, n’interviennent que dans le contrôle du
nombre de copies du plasmide.
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Trois schémas principaux sont utilisés dans le cas des génomes circulaires. La
réplication de type Thêta est celle décrite pour un chromosome circulaire. La bulle de
réplication formée au niveau de ori se déplace au cours du processus de réplication, ce
qui confère à l’ADN une structure semblable à celle de la lettre grecque théta (θ), d’où
son nom. De nombreux plasmides et bactériophages ont recours à ce type de réplication.
Dans le cas du facteur F sous forme libre végétative, l’appareil de réplication est essen-
tiellement celui de l’hôte, avec plus de vingt protéines du système de l’hôte, contre une
seule protéine codée par F, la protéine RepE. La synthèse est amorcée sur le brin continu
à un site prédéterminé avec intervention de RepE, puis utilise le réplisome de l’hôte.
D’autres plasmides, plusieurs bactériophages et certains virus d’Eucaryotes à génomes
circulaires utilisent le système dit sigma, ou du cercle roulant (voir Figure 4.10).

109
Introduction à la microbiologie

3’–OH
Coupures par 5’–P
endonucléase

B
Nucléotide ajouté en 3’–OH,
déplaçant l’autre brin
5’–P

Direction du
déroulement

5’–P
Deuxième brin copié de façon discontinue

Figure 4.10 – Réplication d’un ADN bidirectionnel circulaire selon le modèle du


cercle roulant
A. La réplication est initiée à l’origine par une coupure d’un seul brin libérant deux
extrémités, 3′OH et 5′P. B. L’extrémité 3′OH sert à PolIII pour commencer l’élonga-
tion, de façon unidirectionnelle, en utilisant le brin resté circulaire comme matrice, et
en déplaçant au fur et à mesure le brin 5′P. C. Arrivée en fin de cercle, PolIII poursuit
sa progression, ce qui prolonge la molécule synthétisée, toujours liée de façon cova-
lente à la molécule initiale. Au niveau de l’origine de ce brin linéarisé, qui vient d’être
libérée, la primase synthétise alors une amorce 5′ -> 3′, qui permet à une molécule
PolIII d’effectuer une réplication complémentaire, en direction 5’ -> 3′, c’est-à-dire
en sens inverse du déroulement du cercle, et donc de la libération du brin 5′P. Cette
synthèse conduit à la formation d’une molécule double brin identique au chromo-
some initial. La progression de la fourche fonctionnant de façon circulaire peut se
poursuivre de nombreuses fois, libérant à chaque cycle l’équivalent d’un génome
simple brin, complété comme précédemment par la primase et une PolIII. Les nou-
veaux génomes double brin ainsi formés, sous forme d’une chaîne continue à partir
de l’extrémité 5’P et d’équivalents génome complémentaires discontinus sur l’autre
brin, peuvent être séparés par coupure de la liaison covalente.

Certains réplicons ont une réplication mixte. Le bactériophage λ, sous forme lytique,
utilise le processus thêta dépendant de protéines codées par le virus et par l’hôte pour
conduire à la formation d’une dizaine de copies circulaires de son chromosome, et dans
un second temps chacune de ces copies sert de matrice pour une réplication par cercle
roulant, conduisant à la formation de multiples copies du génome (voir Chapitre 8). Les
plasmides conjugatifs utilisent la réplication à cercle roulant lors du transfert de leur
ADN vers un hôte bactérien (voir Chapitre 5).

110
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Le génome procaryote est un ADN bicaténaire en général circulaire, condensé
en domaines par des protéines (spécifiques Bacteria/Archæa) dans un nucléoïde
directement dans le cytoplasme. Deux régions, ori et ter, définissent deux
macrodomaines.
2 Les dimensions (106 / 108 pb) reflètent la nature des cycles de vie. Ce sont des
molécules à haut pouvoir codant (environ 75 %), avec quelques microintrons
(Archæa).
3 Les procaryotes sont généralement monochromosomiques, haploïdes, à ploï-
die variable suivant l’état physiologique.
4 Des ADN annexes, souvent mobiles, plasmides (portant des gènes de virulence,
autotransfert, métabolisme), transposons/séquences d’insertion (résistances à
des antibiotiques), îlots génomiques (pathogénicité), virus, sont fréquents.
5 La réplication suit plusieurs modèles : elle peut être bidirectionnelle ; sur un
seul brin, par cercle roulant ; avec pré-circularisation des ADN linéaires (pro-
téines ou extrémités cohésives).
6 Deux réplisomes sont chargés de la reconnaissance de l’origine (ori), la sépa-
ration des chaînes (fourches), la polymérisation 5′ à 3′ (ADN-PolIII) bidirection-
nelle simultanée (continue/discontinue) jusqu’à la région ter.
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111
Entraînez-vous
4.1 Quels facteurs interviennent dans la compaction et l’organisation structurale de
l’ADN chez les procaryotes ?
4.2 Que définit-on comme ADN essentiel et ADN accessoire ?
4.3 Définir plasmide et épisome. Définir le mode de reproduction d’un plasmide
autotransmissible.
4.4 Qu’est-ce qui distingue tous les gènes plasmidiques de certains gènes chromoso-
miques ?
4.5 Quelles différences et similitudes y a-t-il entre séquences IS et transposons ?
4.6 Quelles sont les différentes classes de transposons ? Qu’est-ce qui les différencie ?
4.7 En quoi la réplication d’un ADN double brin circulaire, tel que le chromosome
d’E. coli, permet-elle de s’affranchir d’un problème : la réplication de l’extrémité
3’OH d’un ADN linéaire ?
4.8 Quel problème se pose lors de la terminaison de la réplication chez E. coli ?
4.9 Lors de la réplication du chromosome bactérien, comment se réalise la synthèse
des deux brins néosynthétisés ? Quel problème pose cette réplication et comment
a-t-il été résolu ?
4.10 Quelles différences y a-t-il entre intégron et superintégron ?

112
Chapitre 5 Variabilité génétique :
potentialités et limites
Introduction

Le maintien de l’intégrité d’une espèce ou d’un organisme est le reflet de son adéquation
optimale à son environnement, ce qui requiert une pérennité de son information génétique.
Toutefois ces conditions de vie peuvent être changeantes, ce qui a contrario nécessite une
capacité d’adaptation. Celle-ci peut être transitoire, ou fixer dans les génomes des modi-
fications introduites de diverses manières. Il se crée donc un équilibre entre ces forces
antagonistes.

Objectifs Plan
Connaître la nature des mutations, leurs 1 Mutations et mutants
causes endogènes et externes ; les 2 TGH chez les procaryotes
moyens d’identification ; le rôle des 3 Réparation de l’ADN
systèmes de réparation dans l’équilibre
4 Variabilté/anti-variabilité
variabilité-antivariabilité
Identifier les mécanismes moléculaires à la
base des mutations
Définir mutation spontanée et induite,
variabilité génétique
Expliquer comment l’équilibre variabilité
et anti-variabilité assure permanence et
évolution de l’espèce

1 Mutations et mutants
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Tout changement héréditaire d’un caractère implique une modification de la séquence


de l’acide nucléique génomique, ADN ou ARN, ce que désigne le terme de mutation. On
distingue ordinairement mutation spontanée, dont l’apparition n’est pas attribuable à un
événement identifié, et mutation induite, résultant d’agents dits mutagènes, augmentant
la fréquence de ces changements. Cependant, certains changements de l’expression
génique, donc du phénotype, peuvent être transmis au cours de plusieurs générations
sans modification de la séquence d’ADN, phénomène désigné par le terme d’épigéné-
tique (voir Chapitre 6).

113
Introduction à la microbiologie

1.1 Les mutations spontanées


Ces mutations peuvent être estimées par leur fréquence (proportion de mutants dans une
population), et leur taux, rapporté au nombre de bases ou par génome d’une cellule. Les
valeurs observées en conditions de laboratoire sont remarquablement constantes pour
l’ensemble des organismes, tant procaryotes qu’Eucaryotes (5,4 × 10 −10 par paire de bases
répliquée chez E. coli, et 2,2 × 10 −10 chez Saccharomyces cerevisiæ). Des facteurs internes
et d’autres processus liés à la réplication sont potentiellement mutagènes : glissements
de brins au niveau de séquences monobasiques, conduisant à des micro-insertions/
délétions, recombinaison, déplacements d’éléments mobiles (voir Chapitre 4), processus
de réparation (§ 3) ou de déblocage de la réplication (§ 3.2).
Parmi les facteurs internes, le taux de mutation « spontané » est imputable pour
une bonne part à l’activité de copiage et réparation des ADN polymérases processives
(voir Chapitre 4). Ces enzymes sont capables d’exciser les bases incorporées par erreur
lors de la réplication, et interviennent dans nombre de processus de réparation (§ 3). Des
mutants d’E. coli dépourvus de cette activité de correction présentent une augmenta-
tion de ce taux de mutation d’environ 104 fois. Des produits naturels endocellulaires
sont capables d’endommager toute molécule biologique, et en particulier l’ADN ou
ses précurseurs. Les principaux sont les formes réactives de l’oxygène (dites FRO, eau
oxygénée, et surtout peroxydes et superoxydes, et le radical HO•, extrêmement réactif),
générées par le métabolisme aérobie : ainsi la guanine, oxydée en 8-oxo-guanine, peut
s’apparier soit à une cytosine, donc sans conséquence, soit à une adénine, ce qui donne
une transversion GC à TA.
La recombinaison génétique joue un rôle essentiel dans le brassage génétique chez
tous les organismes, avec les risques d’erreurs inhérents. L’étude de la recombinaison,
initiée avec les travaux de T.H. Morgan (dès 1910) sur la Drosophile, a permis l’établisse-
ment des premières cartes génétiques. Il s’agissait en fait de recombinaison homologue,
avec échanges, au cours de la méiose, entre séquences quasiment identiques. Son impli-
cation a ensuite été reconnue dans d’autres processus impliquant des remaniements
des molécules d’ADN. Elle intervient, et c’est peut-être sa fonction essentielle, dans le
maintien de l’intégrité du matériel génétique, via divers systèmes de réparation d’ADN
endommagé (§ 3), et dans la séparation des chromosomes à l’issue de leur réplica-
tion (voir Chapitre 4 ; § 3.2). Si la première approche, formelle, de la recombinaison a
concerné des Eucaryotes, principalement des micro-champignons ascomycètes, l’ana-
lyse moléculaire en a été réalisée chez des procaryotes, dont essentiellement E. coli, et
des bactériophages. La réalité d’un échange physique entre molécules d’ADN durant la
recombinaison a été démontrée par une co-analyse physique et génétique du devenir
des molécules d’ADN du bactériophage λ d’E. coli au cours de leur réplication. Les
mécanismes moléculaires mis en évidence chez E. coli trouvent leurs équivalents dans
l’ensemble du monde vivant. Chez tous les organismes, E. coli comme Homo sapiens,
les levures et les Archées, une protéine, RecA (ou ses homologues), est indispensable
dans ce processus. Elle est un partenaire obligé de toutes les voies impliquant des ADN
hors structure double brin canonique. Grâce à son affinité pour l’ADN simple brin, elle

114
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

recouvre ces régions sur une longueur pouvant dépasser 1 000 pb ; le complexe ainsi
formé s’associe avec un ADN double brin homologue, permettant l’échange de brins.
En outre, le lien intime entre déficience pour la recombinaison homologue et sensibilité
aux radiations, agents à effets mutagènes (§ 1.2), confirme le rôle déterminant de ce
processus dans les voies de réparation de l’ADN.
La recombinaison homologue elle-même, à de rares cas près, ne modifie guère la
structure des génomes, les réassortiments se faisant ordinairement par substitution
d’un allèle d’un gène par un autre. Il n’en va pas de même d’autres types de recombi-
naison, dite non homologue ou site spécifique, liés à la présence d’éléments mobiles,
qui peuvent conduire à des modifications d’organisation des génomes, contribuant à
leur plasticité. Ces modifications se font par le biais de recombinases site-spécifique
(Sérine- et Tyrosine-recombinases, d’après l’acide aminé de leur séquence intervenant
dans le processus). Ce type de recombinaison est impliqué dans diverses propriétés
telles que la variation de phase chez Salmonella enterica (l’expression alternative de
deux antigènes de surface) (voir Figure 5.1A), ou l’aptitude de Mu (voir Figure 5.1B) et
P1, deux phages d’E. coli, à exprimer deux protéines différentes intervenant dans leur
spécificité d’hôte, ce qui leur permet de varier leur répertoire infectieux. La recom-
binaison non homologue intervient aussi dans l’intégration et l’excision de l’ADN
du phage λ en un site spécifique du chromosome de son hôte (voir Chapitre 8) (voir
Figure 5.2). De même, la mobilité des cassettes des intégrons (voir Chapitre 4) fait inter-
venir des recombinases particulières (intégrases, excisases) dont l’originalité réside
dans le fait que leur substrat est un ADN simple brin généré à partir de la cassette à
déplacer.
La transposition met en jeu un système de recombinaison non homologue, mutateur
et éventuellement générateur de remaniements chromosomiques, faisant intervenir
plusieurs types d’éléments génétiques mobiles (voir Chapitre 4). La question, largement
débattue, de savoir si ces éléments confèrent un avantage sélectif à l’organisme qui les
héberge, n’a abouti qu’à des réponses assez contradictoires. D’une façon générale, ils
jouent probablement un rôle majeur dans la diffusion de caractères nouveaux, par une
forme de transfert horizontal (non générationnel) (§ 2). Les séquences acquises peuvent
être de toute nature. Les plus préoccupantes concernent les gènes de résistance à des
antibiotiques, dont certains éléments peuvent en porter une panoplie (voir Chapitre 4),
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’autant que ces éléments sont souvent intégrés dans des plasmides aptes à réaliser des
transferts interspécifiques (§ 2.3). Compte tenu des effets sur la structure de l’ADN
hôte et du potentiel mutagène de ces éléments, leur mobilité est cependant strictement
régulée, par les éléments eux-mêmes.
Le bactériophage-transposon Mu est un phage tempéré, dont l’insertion de l’ADN
se fait quasi aléatoirement dans le génome de son hôte. La découverte de ce phage résulte
de l’observation que 1-2 % des cellules lysogènes pour Mu présentent une mutation
pouvant affecter un large éventail de gènes, la mutation étant toujours génétiquement
associée au site d’intégration du prophage. En effet le cycle infectieux du phage implique
l’insertion de son génome dans l’ADN de l’hôte, la production des nouveaux génomes

115
Introduction à la microbiologie

A. Inversion de phase S. enterica

IR(L) IR(R) P
A1 hin h2 rH1 h1
R
Phase 1 H P Flagelline R
H2 Répresseur
Invertase
RH1

H H

A2
IR(L) IR(R)
hin h2 rH1 P h1
Phase 2
P H Flagelline
Invertase H1

B. Inversion G-loop de Mu

B1

Sc Sv U gin
B2
p
Phase G+ IR IR
U Sv
S U Gin

Sc S v U gin
p
B3 IR IR
U Sv
Phase G–
S U Gin

Figure 5.1 – Modifications génomiques dues à des Sérine-recombinases


A. Inversion de phase chez Salomonella enterica : Synthèse de flagellines. Phase
1 : Le promoteur P permet la transcription de h2 (flagelline) et rH1 (répresseur de
h1). Il y a expression de la seule flagelline H2. Phase 2 : L’invertase H inverse l’ADN
entre les séquences répétées inversées IRR et IRL. Le promoteur P n’est plus actif ; il
n’y a plus expression de h2 et rH1. La flagelline H1 est produite. B. Inversion de la
G-loop dans le génome du bactériophage Mu. B1. Structure d’un hybride ADN-
ADN d’un lysat de phages Mu montrant le segment (3 kb) non hybridé de la G-loop
(les parties non hybridées aux deux extrémités sont de l’ADN bactérien). B2 et B3.
La Sér-recombinase Gin provoque l’inversion réversible du segment d’ADN compris
entre les séquences répétées inversées IR, codant les protéines Sv, U, S’v et U’, res-
ponsables de la spécificité d’hôte de Mu. Phase G+ : synthèse des protéines Sv et
U, à partir du promoteur p. Phase G− : synthèse des protéines S’v et U’, à partir du
même promoteur p.

116
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

P P’
A J int cI R
A. cos cos
attP

B.
A R

J int

Int P P’ Int,Xis
B B’
gal bio

C. attB

B P’ P B’
gal bio
int R A J

Figure 5.2 – Intégration du génome de λ grâce à une Tyrosine-recombinase


A. Carte simplifiée du génome du virion λ. cos, séquences simple brin de douze
bases, complémentaires. B. L’ADN se circularise par action de la ligase de l’hôte au
niveau des régions cos. C. La Tyr-recombinase site-spécifique Int (intégrase) réalise
l’insertion de l’ADN de λ au niveau des sites PP’ (attP) phagique et BB’ (attB) bac-
térien, entre les gènes bactériens des opérons galactose et biotine. L’induction du
prophage correspond au processus inverse, réalisé par l’intégrase Int et l’excisase
Xis phagiques.

résultant de transpositions réplicatives répétées (voir Figure 5.3). Le génome phagique


porte les caractéristiques des éléments mobiles : deux gènes codant une transposase
(MuA) et un cofacteur de transposition (MuB) et des séquences répétées inversées,
nécessaires au processus de transposition, aux extrémités de l’ADN. Le processus de
transposition met en jeu, en outre, d’autres séquences reconnues par des protéines de
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’hôte, dont la gyrase (voir Chapitre 4). Un complexe de transposition est mis en place
associant un dimère MuA2 à chacune des extrémités de l’ADN phagique. S’ensuit une
coupure simultanée de l’ADN aux deux extrémités du prophage, celle de chaque extré-
mité se faisant par l’intermédiaire du dimère MuA2 associé à l’autre extrémité. Cette
contrainte a pour conséquence d’éviter toute coupure prématurée de l’ADN, préjudi-
ciable au développement du cycle. Le contrôle de la transposition nécessite l’expression
d’un seul répresseur, codé par Mu, assurant le choix entre lysogénisation (forme stable)
et transposition. Il s’établit un équilibre entre ces deux événements. Les insertions se
faisant au hasard par rapport aux gènes de l’hôte, cette forte fréquence de transposition
explique la capacité mutagène de ce phage.

117
Introduction à la microbiologie

attL C A B Lys gènes de tête et de queue G - Loop gin mom attR


A
de l’ e de l’ e

B
L1 L2 L3 E R3 R2 R1

E
ADN cible
L R
E
MuA Mu B
HU ATP
Mg2+
R

miniMu LER Type 0 Type 1 Type 2

Figure 5.3 – Transposition réplicative de l’ADN de Mu


A. Carte génétique simplifiée de Mu. C, répresseur de l’expression des gènes de
Mu à l’état lysogène  ; A, B, protéines nécessaires à la transposition  ; G-loop, voir
Figure 5.1 ; en rouge, ADN d’origine bactérienne, variable d’un virion à l’autre. B.
Structures des extrémités de l’ADN de Mu. Les séquences L1, L2, R1 et R2 sont né-
cessaires à la transposition dans leur position et leur orientation. E, séquence néces-
saire à la transposition. C. Les étapes de la transposition du vecteur dit « miniMu »
étudiées in vitro  : partie Mu réduite aux extrémités attL et attR (bleu) encadrant
la séquence E (jaune), à l’intérieur d’une séquence « neutre » de Mu (vert clair) et
une séquence « non-E » (orange). LER : premier intermédiaire identifiable. HU est
une protéine bactérienne de fixation à l’ADN. Type 0 : la protéine MuA sous forme
tétramérique est associée à attL et attR. Type 1  : l’ADN cible, clivé aux bordures
attL-attR, n’est plus surenroulé. La partie Mu associée à MuA le reste. Type 2 : l’ADN
cible (vert foncé), recruté grâce à la protéine MuB, s’associe aux extrémités attL-attR.
La réaction se termine par la réplication de la partie Mu du complexe avec formation
de deux molécules portant chacune la partie Mu, l’une associée à la séquence « non-
Mu », l’autre à l’ADN cible.

Tn5 est un transposon composite de 5,7 kb. Il porte deux séquences (IS50R et IS50L)
semblables à des séquences d’insertion (voir Chapitre 4), ne se distinguant que par deux
mutations ponctuelles inactivant le gène de la transposase dans IS50L. Le mécanisme
de transposition est du type non réplicatif, coupé-collé (voir Figure 5.4). La région
interne de Tn5 code la résistance à trois antibiotiques (streptomycine, bléomycine et
kanamycine), caractères qui peuvent être avantageux pour l’hôte, suggérant qu’un équi-
libre pourrait s’établir entre efficacité de transposition et survie de l’hôte. En effet, des
études in vitro ont montré que des variantes des séquences cibles ou de la transposase

118
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

permettraient une augmentation notable de l’efficacité du processus, et d’autre part


l’expression du gène codant la transposase est modulée par le degré de méthylation de
la séquence GATC présente dans son promoteur.

A OE IS50R IE str, ble, kan IE IS50L OE

Tnp
B
OE OE
Fixation de Tnp

Tnp Tnp
Synapse

Capture de
Coupure la cible

Insertion

Duplication de 9 pb

Figure 5.4 – Transposition de type coupé-collé de Tn5


A. Structure du transposon Tn5. OE et IE, extrémités répétées inversées. La trans-
posase (Tnp) n’est codée que par IS50R. str, ble, kan, gènes codant la résistance à la
streptomycine, la bléomycine et la kanamycine, respectivement. B. Une unité de la
transposase se fixe sur chaque OE. Leur réunion sous forme dimérique conduit à une
coupure double brin libérant le transposon associé à la transposase. Cette structure
reconnaît la séquence cible et permet l’insertion de Tn5 avec duplication de 9 pb de
la séquence cible.

1.2 Les mutations induites


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Ces mutations, analogues dans leurs structures aux mutations spontanées, résultent
de l’action d’agents mutagènes de nature variée. Le premier agent mutagène exogène
connu a été les rayons X, utilisés par H.J. Mueller (1925) pour obtenir des mutants chez la
Drosophile. Parmi les agents physiques, les radiations ionisantes (rayons X et γ) forment
des radicaux libres tels que HO. endommageant l’ensemble des molécules biologiques,
dont l’ADN (oxydation des bases ou ruptures double ou simple brin), et les ultraviolets
(UV), produisant des pontages entre pyrimidines, surtout T-T, dont la réparation peut
s’avérer mutagène.
Un nombre considérable de produits chimiques « artificiels » sont mutagènes. Il peut
s’agir d’analogues de bases (5-bromouracile analogue de la thymine, 2-aminopurine

119
Introduction à la microbiologie

analogue de l’adénine) provoquant ordinairement des transitions, d’agents alkylants,


désaminants (transformant respectivement l’adénine, la guanine et la cytosine en
hypoxanthine, xanthine et uracile) ou intercalants (s’insérant entre les bases de l’ADN),
toutes modifications risquant d’entraîner des modifications de l’ADN. Des tests précis
ont été conçus pour déceler un effet potentiellement mutagène de l’arsenal de produits
nouveaux générés par l’industrie chimique.

1.3 Apparition/détection des mutations


Toute étude de génétique implique l’obtention de mutants affectés dans le caractère
analysé. Chez les micro-organismes manipulables en laboratoire, certains types sont
faciles à sélectionner, tels ceux portant sur la coloration de colonies, ou présentant un
avantage sélectif comme la résistance à un virus ou à un antibiotique. Même si leur
fréquence spontanée est faible, le crible sélectif restera suffisamment puissant pour
les sélectionner aisément. Il n’en va pas de même pour les mutants ne présentant pas
d’avantage sélectif connu, par exemple une déficience de synthèse (auxotrophie) pour
un aminoacide$. Les outils de biologie moléculaire ont actuellement considérablement
élargi la panoplie des méthodes disponibles. Il est possible maintenant de fabriquer
des mutants de toute séquence d’ADN par différentes stratégies de mutagénèse dirigée
réalisée in vitro sur le gène (ou une séquence de ce gène), permettant d’obtenir des muta-
tions de nature connue (ponctuelle, délétion, insertion, inversion), puis de réinsérer le
gène muté, éventuellement associé à un caractère permettant une sélection directe, dans
le génome de l’organisme étudié.
Le fait que l’on puisse déterminer un taux de mutation spontané implique que toute
population doit contenir une collection de mutants différents, dont les mutations sont
neutres vis-à-vis de la sélection opérant dans les conditions considérées. Par exemple,
pour une population d’E. coli de 108 cellules (équivalente à une colonie), un calcul un
peu simpliste (supposant un taux de mutation de 5 ⋅ 10 −10 par paire de bases, 103 bases
par gène, et 5 ⋅ 103 gènes par cellule) conduit à la prédiction qu’une cinquantaine d’exem-
plaires de chaque gène porterait une mutation, en supposant (ce qui est peu probable)
qu’elles soient toutes neutres, et donc viables dans les conditions utilisées. Ces notions
sonnent un peu maintenant comme des truismes, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il
est intéressant de voir par quelles méthodes elles ont pu être établies. L’étude princeps,
dite test de fluctuation, réalisée par S.E. Luria et M. Delbrück (1943), qui cherchaient
à répondre à la question du rapport entre l’apparition d’une mutation et sa détection,
avait pour base le dénombrement de mutants d’E. coli résistants à un virus lytique, le
bactériophage T1. Une culture de bactéries soumises à ce virus devient rapidement
limpide suite à une lyse massive. Mais, maintenue incubée pendant environ dix heures,
elle redevient trouble : il y a eu croissance de bactéries non lysées initialement, qui
s’avèrent dans leur immense majorité résistantes au bactériophage. Deux hypothèses
peuvent a priori expliquer la présence de ces mutants. Une adaptation des bactéries
après leur mise en présence du virus prévoit une probabilité, faible mais constante,
d’apparition de mutations vers la résistance, transmissibles à leur descendance. Dans ce

120
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

cas, les mêmes conditions expérimentales (même nombre de virus et de cellules) appli-
quées à de nombreuses cultures indépendantes devraient conduire, statistiquement, à
un nombre de cellules résistantes semblable (rapport moyenne/variance proche de 1).
L’hypothèse de mutations de résistance au virus préexistantes à la mise en contact des
cellules avec le virus prédit au contraire que, dans des cultures indépendantes comme
ci-dessus, l’apparition de nouvelles mutations est aléatoire dans le temps. Une culture
dans laquelle une mutation serait apparue précocement, et aurait donc pu être repro-
duite de nombreuses fois, donnerait une descendance notablement plus élevée qu’une
autre culture dans laquelle la mutation serait apparue tardivement. Il devrait dans ce cas
y avoir une grande variabilité de la quantité de cellules résistantes d’une culture à l’autre
(rapport moyenne/variance très différent de 1). D’autres tests plus qualitatifs ont été
développés ultérieurement par H.B. Newcombe puis par E. et J. Lederberg (portant sur
l’analyse de la fréquence de mutants d’E. coli résistants au phage T1, et sur la résistance
à la pénicilline, respectivement). Tous aboutissent à la même conclusion : les mutations
préexistent au crible sélectif, qui ne fait que révéler leur présence. Le test de Lederberg,
outre son intérêt scientifique, a fait appel à une technique dite des répliques, mise au
point pour ce test, abondamment utilisée depuis en génétique microbienne$.

2 TGH chez les procaryotes


Chez les Eucaryotes, la reproduction sexuée est un moyen puissant de brassage des
gènes : deux gamètes avec chacun leur propre histoire génétique participent d’égale
manière à former le zygote. Chez les procaryotes, malgré l’absence de reproduction
sexuée, des mécanismes de parasexualité, dits de transferts génétiques horizontaux
(TGH), assurent un flux génétique permettant aux cellules de recevoir et d’intégrer de
l’ADN provenant d’autres cellules (voir Figure 5.5). Ces mécanismes constituent dans
leur ensemble une force importante de diffusion de gènes (tels ceux liés à la virulence et
à la résistance à des antibiotiques chez les pathogènes), et de diversification des espèces.
Un processus artificiel de pénétration d’ADN dans divers types de cellules, mimant
le processus naturel de transformation, est utilisé au cours de manipulations d’ingénierie
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génétique. Les conditions, dites de façon inappropriée de « compétence », auxquelles


sont soumises les cellules pour les rendre permissives à l’entrée de l’ADN sont sans
rapport avec le processus physiologique.

2.1 La transformation naturelle


Il s’agit de la capture par une cellule d’ADN libéré dans l’environnement à la suite de
la lyse d’autres cellules (voir Figure 5.5A). Les couches supérieures du sol contiennent
entre 0,03 et 1 mg/g de terre d’ADN, d’origine procaryote, et les milieux aquatiques (eaux
douces, marais, estuaires, côtes et haute mer) de 0,2 à 44 µg ⋅ L −1, concentration dimi-
nuant avec la profondeur. Une grande partie de cet ADN est dégradée par des nucléases

121
Introduction à la microbiologie

excrétées par des procaryotes, qui en utilisent les produits comme nutriment. Certains
facteurs (acides humiques du sol, argile associé à des matières organiques) préviennent
cette dégradation. Cet ADN, dit transformant, peut être substrat pour la transformation,
inséré dans le génome de cellules réceptrices par recombinaison génétique. Ce processus
a été décrit dans plus de quatre-vingts espèces de Bactéries à Gram − et à Gram+ (dont
une dizaine au moins de Bactéries pathogènes) et d’Archées, appartenant à tous les types
nutritionnels. Il pourrait intéresser 1 % de toutes les Bactéries connues.
Les cellules candidates réceptrices doivent être dans un état dit de compétence, peu
mentionné dans les environnements naturels. En laboratoire les conditions conduisant
au développement de cet état sont très variables selon les espèces, et souvent encore
incomprises (fin de croissance rapide, suite à un stress nutritionnel, forte densité de
la population, etc.). La proportion de cellules compétentes, propre à chaque espèce,
s’étend d’une fraction à 100 % d’une population. Chez Streptococcus pneumoniæ elle
s’observe lorsque la population atteint une certaine densité, avec un pH intracellulaire
de l’ordre de 8,3. Une stratégie originale, dite fratricide, chez le genre Streptococcus,
consiste pour les cellules compétentes à tuer les non compétentes pour en libérer l’ADN.
L’état de compétence consiste en la synthèse, en réponse aux signaux environnemen-
taux, de vingt-cinq à cinquante protéines, homologues à celles qui interviennent dans
certains types de pili et certains systèmes de sécrétion, selon les genres bactériens (voir
Chapitre 7). Ces protéines, organisées en structures externes, favorisent l’adhésion d’un

A Transformation B Transduction

C Conjugaison

Figure 5.5 – Principaux systèmes de transfert génétique chez les procaryotes


A. Transformation. Des fragments d’ADN présents dans l’environnement sont trans-
portés dans les cellules. S’il y a homologie, l’ADN est intégré par recombinaison gé-
nétique dans le génome de l’hôte. B. Transduction. Des accidents dans le processus
de maturation d’une particule virale peuvent conduire à l’encapsidation (inséré dans
le génome viral ou libre) de fragments d’ADN de l’hôte, qui seront transmis au cours
d’une infection ultérieure à une autre cellule hôte. C. Conjugaison. Certains plas-
mides (cercle rouge) peuvent s’auto-transférer d’une cellule bactérienne à une autre
cellule, bactérienne ou eucaryote. Dans certains cas le transfert peut entraîner celui
de fragments du chromosome de la cellule hôte (donatrice) à la cellule réceptrice.

122
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

fragment d’ADN double brin sur la surface de la cellule. L’ADN est alors fragmenté par
des nucléases, un seul filament transporté à travers l’enveloppe cellulaire, l’autre étant
dégradé (dans les systèmes les plus connus). Une fois l’ADN internalisé, les activités de
recombinaison, si elles reconnaissent une homologie entre cet ADN et l’ADN endogène,
l’intègrent dans le génome. Chez deux espèces bactériennes étroitement apparentées,
Haemophilus influenzæ et Haemophilus parainfluenzæ, la compétence correspond au
développent en surface de vésicules membranaires dans lesquelles l’ADN transformant
est internalisé, et ainsi protégé d’éventuelles DNases externes. L’ADN internalisé est soit
progressivement dégradé (H. influenzæ), soit peu dégradé (H. parainfluenza) ; une de
ses extrémités quitte la vésicule en s’appariant à la région homologue du chromosome
receveur, entraînant le restant du fragment dans le cytoplasme, où il peut alors être
intégré dans l’ADN receveur par recombinaison homologue.

2.2 La transduction
La transduction est le fait de phages tempérés à prophage intégré dans le chromosome
de l’hôte (type λ) comme de phages tempérés non intégratifs (P1) (voir Chapitre 8)
(voir Figure 5.5B). Les premiers réalisent une transduction restreinte (ou spécialisée), ne
concernant que les gènes bactériens adjacents à l’une ou l’autre extrémité du prophage
intégré, entraînés avec l’ADN phagique suite à une excision imprécise. Les phages
tempérés non intégratifs peuvent encapsider par erreur, au cours du cycle lytique, tout
fragment de génome bactérien de taille convenable (1 à 2 %) contenant une séquence
reconnue par le processus d’encapsidation du phage (transduction généralisée). L’ADN
ainsi libéré, mixte ou pas, empaqueté dans une capside virale, constitue un vecteur,
dit particule transductrice. Celle-ci peut, au cours d’une nouvelle infection, transférer
cet ADN à une nouvelle cellule hôte. Certains phages de type intégratif comme P22
possèdent un double mécanisme de transduction spécialisé et généralisé.
La transduction a longtemps été sous-estimée dans les environnements naturels.
Des analyses métagénomiques récentes de viriomes (ensembles des génomes viraux
présents dans un environnement donné) suggèrent que 50 à 60 % des bactériophages
sont porteurs de gènes d’hôtes fonctionnels et que ces particules peuvent servir de
réserves de gènes au sein d’environnements très diversifiés. Ces données revêtent une
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

importance significative, par exemple pour les gènes de résistance à des antibiotiques,
présents en abondance chez les bactériophages collectés dans la nature. La transduction
joue certainement un rôle important dans la diffusion de ces gènes chez les Bactéries
pathogènes.

2.3 La conjugaison
La découverte par J. Lederberg et E.L. Tatum (1946) du transfert d’ADN par conju-
gaison chez E. coli a constitué un moment décisif dans l’histoire de la microbiologie car
les concepts qui en dérivèrent furent à la base de la naissance de la génétique des proca-
ryotes. À partir de ce moment E. coli devint un modèle pour les études de génétique

123
Introduction à la microbiologie

classique, au même titre que l’étaient les organismes eucaryotes modèles de cette époque,
le Maïs et la Drosophile. De nombreuses Bactéries à Gram − comme à Gram+ peuvent
transférer de l’ADN par conjugaison.
Un couple de cellules pouvant conjuguer est constitué de deux types « sexuels » (voir
Figure 5.5C). La cellule donatrice est caractérisée par la présence d’une machinerie de
conjugaison, dont les protéines sont codées par un élément génétique de type auto-
transférable, tel le plasmide, ou facteur ou épisome, F chez E. coli (voir Chapitre 4) qui
assure le transfert de l’ADN. La souche porteuse de F est dite F+, la souche réceptrice F−.
L’appareil de conjugaison comprend deux complexes protéiques. Le premier est un pilus
sexuel, le transférosome, positionné sur la surface de la cellule. Son rôle est l’identifica-
tion d’une cellule réceptrice appropriée (non porteuse du même plasmide conjugatif),
le rapprochement des deux cellules jusqu’à les amener côte à côte (probablement par un
processus de rétraction par dépolymérisation du pilus), et enfin la transmission d’un
signal nécessaire à la manipulation de l’ADN pour son transfert. La voie de passage de
l’ADN entre les deux cellules est objet de discussion, l’idée dominante étant celle d’un
canal interne du pilus F. Le deuxième complexe, le relaxosome, se lie à l’origine de
réplication oriT du facteur F (voir Chapitre 4), coupe un des deux brins de l’ADN sur
cette séquence, et forme un lien covalent avec l’extrémité 5’ libérée, ce qui détermine le
filament qui sera transféré (dit T), en direction 5 à 3′. La structure relaxosome-ADN
est guidée vers le canal de jonction intercellulaire. En réponse à un signal dépendant
du contact entre les deux cellules, il transfère le filament T à la cellule réceptrice via ce
canal. Simultanément, une réplication asymétrique dans la cellule réceptrice reconstitue
un filament double brin de l’ADN transféré, qui est alors re-circularisé. Une réplication
similaire reconstitue la structure double brin du plasmide dans la cellule donatrice
(voir Figure 5.6). Le facteur F peut s’intégrer dans le chromosome de l’hôte, qui est dite
alors Hfr (Haute fréquence de recombinaison). Cette Bactérie peut transférer des gènes
chromosomiques à une Bactérie F−. Ceux-ci peuvent être échangés avec ceux du chro-
mosome de la cellule réceptrice par recombinaison homologue.

Donneur Donneur Donneur

5 Receveur
5
3
3

Receveur
Receveur

Figure 5.6 – Transfert du plasmide conjugatif au cours de la conjugaison


Un filament simple brin du plasmide est transmis entre cellules donatrice et récep-
trice. Des réplications selon le modèle du cercle roulant dans la cellule donatrice
et par réplication classique dans la réceptrice reconstituent une molécule d’ADN
double brin dans chacune à l’issue du processus.

124
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

L’abondance de plasmides de type auto-transférable chez les procaryotes, la conser-


vation des protéines de l’appareil de conjugaison et la non-spécificité du transférosome
ont permis la mise en évidence en laboratoire de nombreuses possibilités de conjugaison
inter-spécifiques, par exemple entre E. coli et Salmonella typhimurium ou de nombreuses
autres Bactéries (Cyanobactéries, Spirochètes, nombreuses Bactéries à Gram+). La présence
de nombreux plasmides conjugatifs chez les Archées et une capacité de conjugaison Bacté-
ries → Archées mise en évidence en laboratoire pourraient indiquer que nos connaissances
sur la conjugaison chez les Archées sont sous-estimées. Une capacité de conjugaison a été
observée entre E. coli et des cellules eucaryotes (Saccharomyces, cellules Hela, et cellules
ovariennes de Cochon d’Inde), et des transferts d’ADN plasmidique entre la Bactérie
pathogène Bartonella henselæ et des cellules endothéliales humaines en culture. Un cas
important pour ses applications en biotechnologie verte est la conjugaison d’Agrobacterium
tumefaciens (via son plasmide Ti) avec de nombreuses cellules végétales ou avec S. cerevisiæ.

2.4 Autres systèmes de transfert de gènes


Moins connus, ces systèmes ont une prévalence et un impact encore inconnus, mais leur
présence dans des écosystèmes divers suggère qu’ils y jouent un rôle significatif. Les GTA
(Gene Transfer Agent) sont présents chez des Bactéries très distantes phylogénétique-
ment. Leur structure et leurs propriétés rappellent celles des phages et de la transduction,
puisque ces particules sont capables de transférer un fragment d’ADN pris au hasard dans
le génome de leur cellule productrice. Leur capside ne peut cependant empaqueter qu’une
quantité d’ADN inférieure à 14 kb (contre par exemple 20 pour le phage P22). Leurs
propriétés les différencient cependant des phages transducteurs du fait qu’ils encapsident
rarement leur propre génome, et sont donc défectifs pour leur propre propagation sous
forme de particules virales libres. Ils codent cependant, au moins, les protéines formant
leur capside. Ils fonctionnent comme des systèmes de transfert d’ADN génomique entre
cellules, sans les effets négatifs souvent associés aux virus. Les nanotubes (ou nanopodes)
sont des extensions membranaires (voir Chapitre 1) qui réalisent des ponts mettant en
communication des cellules peu éloignées fixées sur un support solide. Plusieurs études
récentes suggèrent que divers constituants intracellulaires (métabolites, protéines, ARNm
et ADN plasmidique) peuvent être transférés via ces nanotubes. Ce processus pourrait
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donc représenter un mécanisme potentiellement important dans la diffusion de gènes


de résistance à des antibiotiques. Les vésicules membranaires, présentes dans les trois
domaines du vivant, constituent une autre modalité de communication intercellulaire.
En permettant des fusions cellulaires, elles fonctionnent comme des cargos pour véhi-
culer des molécules enveloppées et ainsi protégées des aléas extracellulaires.

3 Réparation de l’ADN
L’ADN pouvant subir de nombreuses lésions dues à des facteurs divers (§ 1), l’ensemble
du monde vivant a développé une panoplie de systèmes de réparation permettant de

125
Introduction à la microbiologie

détecter et d’éliminer ces dommages, contribuant ainsi à une limitation du nombre de


mutations. Certains ont des cibles similaires, donc des rôles redondants. Chez E. coli,
la chaîne de conséquences déclenchée suite à une irradiation UV résume assez bien la
complexité de la réponse, même en cas d’une lésion non létale :
– arrêt quasi immédiat de la réplication et de la division ;
– dégradation locale de l’ADN, dont l’importance est fonction de la dose d’UV reçue ;
– réparation de la région touchée ;
– reprise de la réplication puis de la division une fois dégradation et réparation ache-
vées.
Tout dommage de l’ADN peut également avoir un effet mutateur, car il induit l’ex-
pression d’une quarantaine de gènes appartenant à un système de « survie », dit SOS,
dont le but premier est la réparation de l’ADN endommagé par expression accrue de
plusieurs fonctions de réparation et de recombinaison. L’induction est déclenchée par
la synthèse de deux protéines à effets antagonistes : l’une, RecA, impliquée aussi dans le
processus de recombinaison homologue (§ 1.1), dégrade, par une activité protéolytique
spécifique, l’autre protéine, LexA, le répresseur de l’ensemble du système SOS.

3.1 Les principaux systèmes de réparation


Le système de réparation par excision de bases, BER (Base Excision Repair), très
efficace, est présent dans l’ensemble du monde vivant. Il prend en charge tout mésap-
pariement, quelle qu’en soit la cause. Il fait intervenir une batterie de N-glycosylases
spécifiques chacune d’un type d’anomalie, dont certaines possèdent une activité lyase
qui leur permet d’éliminer aussi le désoxyribose-5’P. La correction se fait en plusieurs
étapes : la base à éliminer est excisée, générant un site abasique ; le désoxyribose-5’P
concerné est éliminé, créant un hiatus dans l’ADN, qui est comblé par l’ADN poly-
mérase PolI ; la ligase ADN-dépendante rétablit la continuité de la séquence. PolI, au
lieu d’insérer un seul nucléotide, peut parfois répliquer une séquence d’une dizaine de
nucléotides, conduisant à la formation d’un court segment simple brin, qui est alors clivé
par l’activité exonucléase 5′ à 3′ de cette même polymérase, avant l’achèvement de la
réparation par l’ADN ligase.
Le système de réparation par excision de nucléotides, NER (Nucleotide Exci-
sion Repair), prend en charge les lésions issues de l’action de facteurs externes (agents
chimiques ou radiations) après dégradation partielle de la région lésée. Dans le cas
d’E. coli il met en jeu quatre protéines, UvrA, B, C et D, et PolI (voir Figure 5.7). Chez
E. coli il a été observé que l’efficacité d’une mutagénèse induite par irradiation est très
fortement diminuée (90 à 95 %) par des traitements inhibant la transcription. In vivo,
pour une lésion sur un brin d’ADN en cours de transcription reconnue par le complexe
UvrA2-UvrB, l’ARN polymérase va jouer le rôle d’une sous-unité du complexe de recon-
naissance des lésions, avec pour conséquence une réparation beaucoup plus efficace que
pour une lésion similaire sur un brin non en cours de transcription.

126
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

Les systèmes NER, ou leurs équivalents, y compris la capacité de couplage à la machi-


nerie de transcription, semblent quasi universels. La présence d’enzymes homologues
à UvrA, B et C chez seulement quelques Archées mésophiles donne à penser que les
gènes codant auraient été acquis par transfert horizontal (§ 2). La majorité des autres
Archées possède des enzymes homologues aux protéines eucaryotes impliquées dans ce
processus. Leurs mécanismes de détection des dommages et de mise à contribution de
la machinerie de transcription n’ont pas été identifiés. Sulfolobus solfataricus ne montre
pas de réparation plus efficace sur le brin transcrit que sur le brin non transcrit.

Lésion

A
ATP UvrA

ADP+Pi
UvrB

B
UvrC
ATP

ADP+Pi

C
ATP

ADP+Pi

5 incision 3 incision

UvrD Hélicase

E
Pol-I
Ligase
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Figure 5.7 – Réparation par excision de nucléotides (NER)


La lésion (A) est reconnue par le trimère UvrA2UvrB (B). UvrB seule reste associée à
l’ADN lésé (C), interagit avec UvrC (D) et excise l’ADN de part et d’autre de la lésion,
créant une région simple brin de 12-13 nucléotides. L’hélicase UvrD permet le relar-
gage d’UvrB (E), et PolI et la ligase réparent la partie excisée (F).

La réparation de mésappariements, quelle que soit leur origine, peut être effec-
tuée par un système spécialisé, MMR (Methyl-directed Mismatch Repair). Chez les

127
Introduction à la microbiologie

procaryotes, des mutations de ce système conduisent à un phénotype hypermutateur


et hyper-recombinogène. Chez E.  coli et quelques autres espèces bactériennes, une
protéine, Dam (Desoxy-Adénosine Methylation), méthyle les adénines présentes dans
les séquences GATC après leur réplication, le brin néosynthétisé étant donc transitoi-
rement non méthylé (il est dit hémiméthylé), ce qui permet de l’identifier. C’est ce brin
qui risque de porter des mésappariements résultant de la réplication. Chez E. coli, les
mutants dam ont un phénotype mutateur et des doubles mutants dam recA sont non
viables. Ces propriétés ont permis, à partir des mutants dam, d’identifier trois gènes,
mutH, mutL et mutS, impliqués dans la réparation des mésappariements. Un complexe
des trois protéines reconnaît une lésion sur le brin néosynthétisé, ce qui conduit à sa
dégradation par MutH à partir de la séquence GATC non méthylée la plus proche. La
région simple brin générée est protégée par des protéines spécifiques, puis réparée par
PolI et l’ADN ligase.
Seuls quelques genres Bactériens possèdent une protéine MutH. Cependant, l’es-
sentiel des étapes du système MMR décrites pour E. coli est actif chez la plupart des
procaryotes et des Eucaryotes. La reconnaissance de brin se fait, sur le brin néosyn-
thétisé, à synthèse discontinue, grâce aux coupures correspondant aux fragments
d’Okazaki (voir Chapitre 4). Le système MMR, chez ces organismes, est associé à une
structure du complexe de réplication, l’anneau coulissant (voir Chapitre 4), et le rôle de
MutH dévolu à la protéine MutL, qui possède aussi une activité nucléasique. Chez la
levure, la fréquence de mutations est dix fois plus élevée sur le brin à synthèse continue
que sur l’autre.

3.2 Blocage des fourches de réplication et recombinaison


Les fourches de réplication rencontrent régulièrement divers obstacles (protéines telles
que régulateurs ou complexes de transcription, lésions de l’ADN, erreurs de réplication).
Les dimères chromosomiques ainsi générés, apparaissant avec une fréquence « natu-
relle » de 15 %, peuvent provoquer un arrêt provisoire ou définitif des fourches. La cellule
doit résoudre ces structures en monomères, pour assurer une répartition équilibrée
des chromosomes aux deux cellules filles. Le démantèlement des réplisomes, en cas de
blocage irréversible, nécessite la mise en place d’un nouveau complexe de réplication.
Dans la majorité des cas, il s’agit de blocages transitoires, résolus par l’action de trois
protéines, PriA, B et C, non requises dans la réplication elle-même. La faible viabilité
de mutants priA, comparativement à celle des mutants recA, a permis de définir l’impli-
cation de PriA dans le redémarrage de fourches bloquées. Ce processus fait intervenir,
en outre, les complexes de réparation UvrA,B,C, et de recombinaison RecB,C,D. Ce
dernier aurait pour rôle premier de maintenir fonctionnels les complexes de réplication,
mais pourrait intervenir en cas de remaniements plus ou moins importants de l’ADN
suite au redémarrage. Le brassage génétique consécutif n’en serait qu’un sous-produit.
Le lien entre les deux processus de recombinaison et de réparation est courant chez les
procaryotes. Il culmine dans le cas de Deinococcus radiodurans, une Bactérie hautement
résistante aux radiations, lors du processus de réparation de son ADN après irradiation.

128
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

D’autres enzymes, des polymérases dites translésionnelles, mises en évidence chez


E. coli (qui en possèdent deux) et présentes dans l’ensemble du monde vivant, jouent un
rôle fondamental dans le déblocage des fourches de réplication. Étant dépourvues d’acti-
vité exonucléolytique, ces enzymes sont par nature mutatrices. Cependant ce dernier
risque est moins préjudiciable aux cellules que la mort consécutive au blocage de la
réplication.

4 Variabilité/anti-variabilité
Le compromis étroit que doit trouver toute espèce entre les forces tendant à préserver
son identité génétique d’une part et la modifier de l’autre est particulièrement critique
pour les procaryotes, leur état haploïde leur faisant subir directement les effets de
flux génétiques résultant de mutations et des divers modes de TGH. Des systèmes de
« protection » ont ainsi été développés.
L’observation que les Bactéries peuvent contrecarrer une infection virale a permis
de découvrir deux systèmes qui reconnaissent un ADN exogène : la restriction-modi-
fication, qui détruit tout ADN (phagique, plasmidique ou autre) étranger, et le système
CRISPR, une sorte de mémoire innée contre les infections virales.

4.1 Les systèmes anti-variabilité


Les systèmes de restriction-modification (R-M) de l’ADN permettent aux Bactéries
et Archées de distinguer leur propre ADN (self) d’un ADN xénogénétique (non-self,
celui de phages, plasmides ou autres) invasif, et de détruire ce dernier. Des complexes
macromoléculaires s’en chargent, qui exercent deux activités opposées : l’une, dite de
restriction, produit des coupures double brin dans la molécule d’ADN exogène (activité
endonucléolytique), et l’autre, dite de modification, « marque » l’ADN self de manière à
le différencier de tout ADN étranger, et simultanément à le protéger contre le processus
de restriction en bloquant l’accessibilité à cette activité. Les deux activités fonctionnent
donc obligatoirement de façon conjointe. Le marquage consiste en l’addition de résidus
méthyl (−CH3) sur certaines bases présentes au sein de courtes séquences définies de
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l’ADN : spécifiques de l’organisme et de chaque système R-M, elles constituent un signal


d’identification.
Les systèmes R-M sont très répandus parmi les procaryotes. Les données de la géno-
mique ont révélé leur présence dans plus de deux mille génomes. Plus de deux cents
systèmes R-M, actuellement groupés en quatre classes principales, ont déjà été découverts
– un nombre sûrement très sous-estimé, la génomique en prédisant environ 4 600 diffé-
rents. Les enzymes fonctionnant dans de nombreux systèmes R-M, en particulier les
endonucléases, ont été purifiées, leurs gènes isolés et clonés, permettant actuellement la
production industrielle des enzymes correspondantes, dont la grande spécificité d’action
en fait des outils indispensables dans les manipulations de génétique moléculaire.

129
Introduction à la microbiologie

Le système CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats)


confère aux Bactéries et Archées une immunité héréditaire contre tout ADN exogène. Un
fragment de l’ADN étranger stabilisé dans l’hôte lui sert de mémoire pour détruire toute
nouvelle intrusion similaire. Un locus CRISPR est composé d’une série de séquences
d’environ cinquante nucléotides chacune, directement répétées (DR), parfois plus de
cent fois. Ces séquences, et leur nombre, sont spécifiques et conservées chez chaque
espèce. Elles sont séparées par des séquences intercalantes différentes, d’origine virale,
dites espaceurs (spacers). Lors de l’entrée d’un ADN exogène, un fragment de celui-ci est
intégré au niveau d’une séquence CRISPR grâce à l’activité de protéines appelées Cas,
codées par l’hôte. Ce fragment d’ADN servira de mémoire, à la manière de l’anticorps
d’un système immunitaire, pour prévenir les conséquences d’une éventuelle invasion
ultérieure par un ADN xénogénétique portant cette séquence. La région CRISPR,
incluant les espaceurs, est transcrite en un ARN qui est ensuite clivé en petites séquences
(crARN) contenant un espaceur et une partie des répétitions. Un ADN étranger qui
porte cette même séquence mémoire entrant dans la cellule est reconnu par le crARN
correspondant, avec lequel il forme un hybride ADN-crARN. L’ADN est clivé par une
endonucléase (une protéine Cas), au niveau de son appariement avec le crRNA, empê-
chant ainsi son expression et/ou sa réplication.
Généralement, un unique locus CRISPR est présent par génome ; toutefois un
nombre variant entre un et vingt, différant par leurs DR et leurs espaceurs, est assez
commun. Certaines espèces en sont dépourvues. On a à ce jour répertorié douze
familles de loci CRISPR, présentes dans environ 40 % des génomes des Bactéries
séquencés et 90 % de ceux des Archées, chez lesquelles ils peuvent représenter plus de
1 % du chromosome.
Le système CRISPR-Cas, outre son importance biologique, a ouvert depuis une
dizaine d’années un champ énorme d’applications en génomique moléculaire.
La recombinaison contribue à la variabilité des génomes, même si la nécessité d’une
homologie entre les ADN impliqués en limite l’envergure. Elle fonctionne comme un
système de reconnaissance d’ADN « self » et « non self ». L’échange entre molécules
parfaitement homologues est évidemment sans effet sur la variabilité génétique. Le
potentiel d’innovation d’un ADN xénogénétique est d’autant plus important que
l’homologie est plus faible, cependant dans les limites de sa possibilité d’intégration
dans le chromosome hôte. Le système de recombinaison homologue classique (§ 1.1)
exige une homologie stricte sur au moins 30 à 50 b. Une divergence de 16 % réduit de
105 fois la fréquence de recombinaison, en raison notamment du fonctionnement des
processus de réparation normalement associés, en particulier le système MMR (§ 3.1)
qui tend à éliminer les régions non ou mal appariées. Cependant des processus de répa-
ration défectueux peuvent favoriser la recombinaison malgré une homologie limitée.
Des recombinaisons inter-espèces semblent effectivement possibles dans les conditions
naturelles, les cellules isolées de ces habitats se révélant souvent mutées dans leur(s)
système(s) de réparation.

130
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites

4.2 Les stratégies anti-barrières


Certaines stratégies permettent de contrecarrer les barrières à l’intrusion d’ADN xéno-
génétique. Ainsi le fonctionnement des systèmes de restriction peut être empêché à
chacun des points critiques, par blocage transitoire des sites de restriction, par inhi-
bition directe de l’enzyme de restriction, par modification de la séquence des sites de
reconnaissance, ou encore par mystification de l’activité du système de R-M de l’hôte.
Deux stratégies principales contournent les strictes conditions imposées par la recom-
binaison RecA-dépendante, permettant des recombinaisons non ou moins homologues.
La première exploite la présence éventuelle aux extrémités du fragment d’ADN étranger
de courtes séquences pouvant être reconnues spécifiquement par des intégrases ou des
transposases d’EGA. La seconde correspond à un mécanisme particulier de recombi-
naison (dit de recombinaison facilitée par l’homologie) qui utilise une unique région
d’homologie éventuellement présente à une des extrémités de l’ADN exogène. Enfin,
certaines Bactéries ont pu développer des capacités de blocage de l’expression des gènes
reçus par TGH, leur permettant ainsi d’annuler d’éventuels effets indésirables tout en
maintenant ces séquences.
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131
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les ADN présentent des mutations soit spontanées, à taux constant, résultant
de processus naturels (erreurs des ADN-Pol, présence de FRO, recombinaison),
soit résultant d’agents mutagènes externes.
2 Les mutations préexistent au moyen utilisé pour leur détection (Luria – Del-
bruck, 1943).
3 Des TGH (transferts génétiques horizontaux) fréquents participent à la variabi-
lité génétique, selon trois processus principaux  : un fragment d’ADN peut
entrer nu (transformation), porté par un génome viral (transduction), ou intro-
duit par un plasmide (conjugaison).
4 Les cellules ont élaboré des mécanismes de réparation contre cette variabilité,
par excision de la base (BER) ou du nucléotide (NER), ou de la région (MMR)
portant la lésion.
5 Des processus, souvent mutagènes, résolvent les dimères chromosomiques,
non viables, apparaissant au cours de la réplication.
6 Une protection par reconnaissance et protection de l’ADN « self » (systèmes
de restriction/modification) et par immunité contre des virus (CRISPR) contribue
au maintien de l’identité génomique.
7 Un équilibre s’établit entre processus de variabilité et protection des génomes.

132
Entraînez-vous
5.1 Quels sont les différents rôles de la recombinaison homologue ?
5.2 Quels rôles biologiques jouent les recombinases site-spécifique ?
5.3 Pourquoi le bactériophage Mu a-t-il été déterminant dans l’étude du mécanisme
de transposition ?
5.4 Quel problème pose le mécanisme de transposition de type «  coupé-collé  » de
Tn5  ? En quoi, et comment, l’association de la transposition à la réplication
permet-elle d’éliminer ce problème ?
5.5 Qu’entend-on par FRO et par quels processus métaboliques sont-ils générés ?
5.6 Les UV comme les rayons X sont des radiations endommageant l’ADN. Par quels
mécanismes sont-ils mutagènes ?
5.7 Par quels mécanismes se réalisent les transferts génétiques chez les procaryotes ?
5.8 Par quel mécanisme le système NER permet-il la réparation de lésions provoquées
entre autres par les UV ? Quel rôle joue l’ARN polymérase dans ce mécanisme ?
5.9 Par quel mécanisme peut-on régénérer une fourche de réplication qui conduirait
à la mort cellulaire ?
5.10 Par quels mécanismes un procaryote peut-il préserver son génome de l’invasion
par un ADN « étranger » ?
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133
Chapitre 6 Expression génique
et adaptation
Introduction

Chaque cellule exprime son information génétique par le biais de protéines, dont la syn-
thèse nécessite la transcription des gènes (passage de l’ADN à une forme en ARN), puis
la traduction (passage du code ARN à la séquence en acides aminés équivalente). Les
principes généraux en sont les mêmes dans les trois domaines du vivant, les constituants
responsables de ces fonctions caractérisant chaque domaine et/ou organisme. À tout
moment seule une fraction du patrimoine génétique est exprimée ; celle-ci change suivant
les modifications des conditions de vie. Des signaux externes informent la cellule de ces
variations, déclenchant son adaptation. Les processus impliqués chez les procaryotes, pré-
sentés ici, diffèrent de ceux de protistes, de type eucaryote classique.

Objectifs Plan
Connaître les mécansimes de l’expression 1 Expression génique chez les
génique (transcription et traduction) et de procaryotes
sa régulation 2 Régulation de l’expression
Identifier les structures, effecteurs et génique
enzymes permettant l’expression génique 3 Régulation via des
(opérateur, promoteur, région codante, transmetteurs de signal
opéron, ARN messager) 4 Communications intercellulaires
Définir les modes et les effecteurs de
régulation de l’expression génique
Expliquer le fonctionnement de l’ARN
polymérase, des mécanismes de
transcription et traduction, et de régulation

1 Expression génique chez les procaryotes


1.1 La transcription chez les Bactéries
La transcription consiste à produire, pour chaque gène ou groupe de gènes, la réécriture
de sa séquence ADN sous forme d’une autre molécule informative, un ARN simple brin,
dit messager (ARNm) (voir Figure 6.1). Le brin servant de matrice, ou brin transcrit,
utilisé pour la synthèse de cet d’ARNm est dit non codant. L’ARNm, complémentaire de
ce brin, porte la même information que le brin codant, avec substitution des T par des U

134
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

(et bien sûr du désoxyribose par le ribose). L’ARN polymérase (ARN-Pol), responsable
de la synthèse des ARNm, fonctionne uniquement en direction 5′ → 3′. L’enzyme des
procaryotes est polyvalente : elle réalise la synthèse de toutes les classes d’ARN (ARNm,
ARNt, ARNr), contrairement à celles des Eucaryotes, spécialisées pour la synthèse de
chacun des types d’ARN. Le brin codant d’un gène peut se trouver sur l’un ou l’autre
des deux filaments de l’ADN, si bien que l’orientation du brin transcrit, et donc celle de
la progression de l’ARN-Pol, varient d’un gène à l’autre par rapport à celle de la répli-
cation de l’ADN.

Brin matrice Brin codant


Enroulement ou non codant Déroulement

3’ 5’

5’ 3’ 3’

ARN Hélice hybride ARN-ADN


naissant
Site
d’élongation

5’ ppp Mouvement de
l’ARN polymérase

Figure 6.1 – Structure de l’ADN et de l’hybride ADN/ARN durant la transcription


chez les Bactéries

Les ARNm sont en général très instables, caractéristique fondamentale pour les
processus de régulation de l’expression génique. Chez les procaryotes l’organisation de
nombreux gènes en opérons (voir Chapitre 4), structures ayant un promoteur unique,
produit donc une seule molécule d’ARNm polygénique, dite polycistronique. Chez les
Bactéries comme chez un certain nombre d’Archées, des gènes et/ou des opérons distants
sur le chromosome, produisant chacun leur propre ARNm, peuvent être co-régulés ; ces
structures, analogues à celles présentes dans les génomes d’Eucaryotes, sont désignées
par le terme de régulon.
Deux éléments sont critiques pour la transcription, l’ARN-Pol et le promoteur.
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a. La région promoteur
Ce dernier (voir Figure 6.2) est une région du gène non transcrite, en amont de la région
transcrite, qui fournit à la sous-unité σ (dite aussi facteur sigma) de l’ARN-Pol l’indi-
cation d’où initier la transcription, et sur laquelle s’exerce l’activité de régulation de
l’expression (§ 2). Chez la majorité des Bactéries le promoteur est constitué de deux
séquences consensus, de chacune six  nucléotides, localisées l’une en position −10
(dix nucléotides en amont du premier nucléotide transcrit, par convention +1 ; il n’y a
pas de 0), et l’autre en position −35. La première (dite « TATA box » ou boîte de Pribnow)
a pour séquence consensus TATAAT, l’autre TTGACA.

135
Introduction à la microbiologie

Région de contrôle
A de la transcription Gènes de structure abc

O p a b c
5’ 3’
ADN

Site d’initiation
de la transcription

B « Amont » « Aval »
Direction de la transcription

Région Up – 35 17 - 19 pb – 10 +1
6 pb 6 pb

Figure 6.2 – Les régions de contrôle et d’initiation de la transcription


A. En amont des gènes de structure, les sites promoteur et opérateur. B. Le pro-
moteur : sites de reconnaissance pour le facteur σ de l’ARN-Pol, et d’initiation de
la transcription. La région Up (UPstream sequence element) renforce la liaison avec
l’ARN-Pol.

En fait ces séquences varient d’une espèce à l’autre, et au sein d’un même orga-
nisme d’un promoteur à l’autre ; l’examen d’un grand nombre de promoteurs a défini
la fréquence moyenne de chaque base à chaque position, soit T80A95t45A60a 50T96 et
T82T84G78A65C94a45, les chiffres en indices indiquant des pourcentages et les lettres
minuscules des fréquences inférieures à 50 %. Chez la majorité des Bactéries, ces deux
séquences sont nécessaires et suffisantes pour assurer une bonne reconnaissance par
le facteur σ ; toutefois chez certains promoteurs, riches en A/T, une séquence, Up, en
amont de −35, active la transcription soit en augmentant l’affinité de l’ARN-Pol pour
l’ADN, soit en servant de site de reconnaissance à d’autres facteurs transcriptionnels.
Ces variabilités de séquences conditionnent, outre la régulation de la transcription, la
« force du promoteur ». En outre, pour chaque classe de promoteurs, des mutations
ponctuelles de l’une des séquences, et/ou des changements du nombre de nucléotides
les séparant, modifient (diminuent, bloquent, ou rarement augmentent) l’efficacité de
la transcription. La diversité des familles de promoteurs a pour corollaire une diversité
de familles de facteurs σ, chacune reconnaissant une famille de ces séquences. Ainsi
E. coli dispose de sept facteurs σ différents. L’un d’eux, σ70 (dit « de ménage »), permet la
reconnaissance de la majorité des promoteurs de cette Bactérie. Un autre, RpoS (ou σ38),
présent uniquement en état de stress (telle la phase stationnaire), reconnaît des promo-
teurs qui lui sont propres, outre ceux reconnus par σ70 (installant une compétition entre
les deux facteurs). Les facteurs σH et σN, impliqués respectivement dans la réponse
au stress thermique et dans le métabolisme de l’azote, ont leur classe de promoteurs
spécifiques. Le nombre et le rôle de facteurs σ varient notablement d’une espèce à une

136
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

autre. Les Mycoplasmes, parasites intracellulaires d’Eucaryotes, n’en possèdent qu’un


et les Streptomyces plus de soixante. Chez Bacillus subtilis, les facteurs σ sont les acteurs
majeurs du processus de différenciation conduisant à la sporulation (§ 3.3). La fréquence
de transcription d’un gène s’étend sur quatre ordres de grandeur (de rarement ou pas
du tout à une fois par seconde au cours d’une génération). Conditionnée par la séquence
de la région promotrice, elle est aussi modulée par de nombreux facteurs (§ 2), ainsi que
par la localisation et l’orientation des gènes sur le chromosome par rapport au sens de
réplication.

b. L’ARN-polymérase (ARN-Pol)
L’ARN-Pol intervient dans le contrôle de son positionnement sur le gène au démarrage
de la transcription, l’allongement de la chaîne d’ARNm, et enfin la terminaison du
processus. L’enzyme interagit aussi avec de multiples activateurs et répresseurs de la
transcription (§ 2). L’holoenzyme (enzyme active) est constituée de six sous-unités
(2 α, 1 β, 1 β′, 1 σ, 1 ω), dont chacune assure l’une de ces activités (voir Figure 6.3). La
sous-unité ω est une protéine chaperon (protéine chargée d’assister la maturation ou
le repliement correct d’une autre protéine) responsable de l’assemblage du noyau de
l’enzyme. Le complexe 2α-β-β′ de l’ARN-Pol, noyau de l’enzyme, a une faible affinité
pour l’ADN double brin ; c’est son association avec la sous-unité σ − qui reconnaît
le promoteur, formant alors l’holoenzyme – qui active l’initiation de la transcrip-
tion. L’affinité de l’holoenzyme pour les séquences promoteurs est environ 107 fois
supérieure à celle pour des séquences d’ADN sans promoteur. L’holoenzyme se lie
à l’ADN autour du promoteur, formant un complexe dit fermé. L’enzyme déroule
l’ADN de la région −10 à +2, formant un complexe dit ouvert, permettant la sépa-
ration des deux brins, et le démarrage de la synthèse de l’ARNm. L’ARN-Pol soude
les sept ou huit premiers ribonucléotides ; le facteur σ, devenu inutile, se détache du
complexe. La synthèse de l’ARN continue (élongation), en déroulant l’ADN en avant
du point de synthèse, séparant les deux brins de l’hétéro-duplex, et le réenroulant
après déplacement du complexe de synthèse. Ceci jusqu’à la phase de terminaison, qui
se produit normalement lorsque l’ARN-Pol atteint, à la fin de la région codante, une
région contenant un terminateur transcriptionnel. Les Bactéries possèdent deux types
de terminateurs. Les terminateurs Rho-indépendants sont constitués d’une séquence
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nucléotidique riche en GC suivie en 3’ d’une série de A (environ six). La séquence


GC, palindromique, forme sur le transcrit une structure secondaire en « épingle à
cheveux », qui bloque l’avancement du complexe de transcription, entraînant à la
rupture des liaisons H entre la séquence polyA de l’ADN et le brin complémentaire
polyU de l’ARN en cours de synthèse. La dissociation de ces deux molécules met fin
à la transcription. La terminaison Rho-dépendante fait intervenir une hélicase, Rho,
qui favorise la dissociation du complexe d’élongation. Aucun facteur de terminaison
n’est connu chez les Archées, des études bioinformatiques récentes semblant cepen-
dant suggérer la présence de facteurs de type Rho.

137
Introduction à la microbiologie

α
ntd
β
ctd
β
α
ntd

ctd
σ Direction de
la transcription

Élément Up – 35 – 10 +1
6 pb 17 - 19 pb
6 pb

Figure 6.3 – Structure de l’ARN-polymérase bactérienne


L’enzyme noyau α2ββ′ω de l’ARN-Pol s’assemble avec la sous-unité  σ pour former
l’holoenzyme fonctionnelle. La sous-unité ω (non représentée) a pour rôle de struc-
turer les sous-unités ββ′. La sous-unité α se lie par ses extrémités C (ctd) et N (ntd) à
l’ARNm et aux sous-unités ββ′, respectivement. La sous-unité σ est responsable de la
reconnaissance des séquences −35 et −10 du promoteur, via deux sites (en jaune et
vert, respectivement). La région Up s’associe à l’ARN-Pol, soit par interaction directe
avec l’extrémité C-terminale de la sous-unité α, soit par l’intermédiaire d’une pro-
téine de liaison.

1.2 La traduction chez les Bactéries


La seconde étape du processus d’expression, la traduction, est le décodage de l’ARNm
et la synthèse de la (des) protéine(s) correspondante(s). Chez E. coli ce sont environ
2 × 106 protéines (équivalant à 720 × 106 aminoacides) qui sont synthétisées à chaque
génération (toutes les quarante minutes en conditions optimales). Pour réaliser cette
extraordinaire performance, quantitative et qualitative, sont employés 20 000 ribo-
somes, dont chacun polymérise jusqu’à vingt aminoacides par seconde, ce qui requiert
40  % de l’énergie cellulaire totale. Contrairement aux Eucaryotes chez lesquels la
transcription se fait dans le noyau et la traduction dans le cytoplasme, les procaryotes
réalisent transcription et traduction de façon couplée dans le temps et dans l’espace.
Les ribosomes se fixent sur les molécules d’ARNm naissantes, non encore terminées,
au niveau d’une séquence appelée RBS (Ribosome Binding Site, ou Shine-Dalgarno, SD),
située trois à neuf nucléotides en amont du premier codon de la partie codante (voir
Figure 6.4) ; celui-ci est un codon particulier, dit « initiateur », codant un acide aminé
modifié, une N-formyl-méthionine (Fmet), qui participe au placement correct du ribo-
some. L’ARNm est aussi porteur, outre de la séquence de codage de la (des) protéine(s),
de l’information définissant un site de terminaison de traduction. Ce site correspond à
la présence sur l’ARNm, dans le même cadre de lecture, d’un autre codon particulier dit
stop ou non-sens, ne correspondant à aucun acide aminé, et reconnu par une protéine
de libération du ribosome. Trois codons sont utilisés dans ce rôle : UAA, UGA et UAG.
La traduction requiert une série d’ARN, dits de transfert (ARNt), qui constituent les

138
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

composants essentiels du décodage de l’ARNm1. Ce sont les « traducteurs » du code


nucléotidique de l’ARN messager en acides aminés. Le décodage consiste en une recon-
naissance par complémentarité entre un codon de l’ARNm et un anticodon (séquence
de trois bases, ou triplet) de l’ARNt spécifique d’un acide aminé.

Grande
A B sous-unité
ribosomale
Fmet Fmet
E P A
Petite sous-unité ARNt d’initiation
ribosomale

UAC UAC
3’ GGAGG AUG UUC CGA 5’ GGAGG AUG UUC CGA

Codon
d’initiation Complexe d’initiation
Séquence
Shine-Dalgarno
Chaîne
Fmet polypeptidique
C D
Fmet phe phe arg
E P A E P A

UAC
AAG UAC UAC GCU
GGAGG AUG UUC CGA GGAGG AUG UUC CGA

Figure 6.4 – Étapes de la traduction d’un ARNm


A. Fixation de la petite sous-unité du ribosome sur l’ARNm au niveau de la séquence
Shine-Dalgarno, et d’un ARNtFmet-Fmet chargé au niveau du triplet d’initiation (AUG) ;
toutes les protéines synthétisées commencent par une N-formyl-méthionine, puis
déformylée ou excisée ensuite. B. Formation du complexe d’initiation par fixation
de la grande sous-unité ribosomale, le site P au niveau de l’ARNtFmet-Fmet. C. L’ARNt
chargé correspondant au triplet suivant (ici ARNtphe-phe) est placé au site A. D. Une
translocation de l’ARNm par rapport au ribosome conduit l’ARNtphe-phe à entrer sur
le site P. L’ARNtFme déchargé est déplacé vers le site E, d’où il sera libéré. Une pep-
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tidyl-transférase forme une liaison peptidique entre Fmet et phe. Le cycle continue
pour les codons suivants, jusqu’à atteindre un codon non-sens du messager.

Les ARNt sont désignés par un exposant indiquant l’aminoacide reconnu (ARNtala,
reconnaissant l’alanine), sigle suivi du nom de l’aminoacide quand cet ARN est chargé
par cet acide aminé (ARNtala-ala). L’acide aminé Fmet possède son ARNt particulier
(ARNtFmet). Le décalage entre les nombres d’ARNt, de codons disponibles et d’acides
aminés (respectivement 47, 64 et 20 chez E. coli) s’explique par l’existence des codons stop
et le fait que certains codons sont redondants (six pour leu, deux pour phe, etc.). Rappelons

1. Voir cours de Génétique ou de Biologie cellulaire

139
Introduction à la microbiologie

que le code est universel, à l’exception de certains organites d’Eucaryotes (voir Chapitre 1).
Les ARNt, constitués de soixante-dix à quatre-vingt-dix nucléotides, présentent des struc-
tures secondaire et tertiaire très conservées au cours de l’évolution. La présence de trois
principales boucles leur confère une forme en feuille de trèfle typique dont la tige (en
double brin) porte le site accepteur sur lequel se fixe l’aminoacide. L’anticodon, qui recon-
naît le codon sur l’ARNm, est situé sur la boucle centrale, opposée à la tige.
Dans les trois domaines du vivant les ribosomes sont constitués de deux sous-unités
qui diffèrent en composition, structure et fonction (voir Chapitre 1). Chez les Bactéries,
la sous-unité 30S est impliquée dans la lecture (ou décodage) de l’ARNm et la fidélité de la
traduction. La sous-unité 50S porte la formation des liaisons peptidiques entre les acides
aminés au fur et à mesure de leur incorporation (activité peptidyl-transférase), et est
donc responsable de l’élongation de la chaîne peptidique. Les sous-unités équivalentes
chez les protistes (40S et 60S) sont analogues à celles de tous les Eucaryotes. Le ribosome
fonctionnel, résultant de l’assemblage des deux sous-unités, présente à l’interface de
celles-ci trois sites de liaison, A pour l’ARNt chargé qui entre dans le ribosome, P pour le
complexe peptide-ARNt (la chaîne polypeptidique en cours de synthèse encore associée
au dernier ARNt en cours de transfert), et E pour l’ARNt désacylé (l’ARNt précédent, qui
ne porte plus son acide aminé, celui-ci ayant été incorporé dans la chaîne peptidique) et
prêt à être dissocié du complexe. L’initiation est une étape cruciale, puisque le complexe
de traduction doit reconnaître la phase de lecture de l’ARNm, autrement dit identifier
à partir de quelle base lire la séquence, et donc la succession des codons. La fin de la
traduction se produit lorsque l’appareil de traduction rencontre un codon non-sens,
reconnu grâce à des facteurs de terminaison qui forment des structures 3D proches de
celle d’un ARNt. L’acide aminé de l’ARNt encore sur le site P se détache de son ARNt,
ce qui libère le polypeptide. Les sous-unités ribosomales, dissociées de l’ARNm et l’une
de l’autre, sont recrutées presque immédiatement pour une autre traduction. La Fmet
initiale est soit clivée enzymatiquement, soit débarrassée du résidu formyl.

1.3 Transcription et traduction chez les Archées


Transcription et traduction chez les Archées montrent des caractéristiques proches
de celles observées soit chez les Eucaryotes, soit chez les Bactéries. Les ribosomes des
Archées sont de type 70S, mais apparaissent comme une version simplifiée de ceux
des Eucaryotes, toutes leurs protéines étant communes au domaine Eucaryote (voir
Chapitre 1). La plupart des gènes (50 à 70 %) sont organisés en opérons de deux ou trois
unités. Contrairement à ceux des Eucaryotes, les ARNm des Archées sont générale-
ment dépourvus d’introns. Les Archées possèdent une seule ARN-Pol, beaucoup plus
complexe que celle des Bactéries, avec douze sous-unités, dont certaines sont struc-
turalement et fonctionnellement semblables à celles de l’ARN-PolII des Eucaryotes.
Comme chez les Eucaryotes l’ARN-Pol reconnaît une boîte TATA. Deux protéines
recrutent la polymérase et forment un complexe de pré-initiation fermé. L’association
d’un facteur d’initiation stimule la formation d’un complexe d’initiation ouvert, prêt à
démarrer la polymérisation du transcrit. Les processus d’élongation et de terminaison

140
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

de la transcription sont peu caractérisés. Certains facteurs d’élongation homologues à


ceux des Eucaryotes ont été identifiés. Le démarrage de la traduction présente des carac-
téristiques eucaryotes et bactériennes. Le couplage transcription/traduction (analogue à
celui des Bactéries) n’a été mis en évidence que récemment. Comme chez les Eucaryotes
l’ARNt initiateur porte une méthionine non formylée, et c’est une protéine analogue
à celle des Eucaryotes qui le positionne sur le ribosome. Deux autres protéines forte-
ment homologues aux protéines eucaryotes essentielles à la formation du complexe de
démarrage, sont également présentes. En revanche d’autres facteurs présents chez les
Eucaryotes participant à cette étape sont absents. L’élongation de la traduction utilise
des facteurs d’élongation homologues des équivalents bactériens.

2 Régulation de l’expression génique


Le terme de régulation de l’expression génique regroupe une pléthore de mécanismes
qui permettent à une cellule d’activer ou de réprimer l’expression d’un ou plusieurs
gènes selon ses besoins. Ces systèmes permettent d’optimiser les synthèses cellulaires à
moindre coût énergétique. Les méthodes d’analyse actuellement disponibles permettent
d’avoir un tableau de l’ensemble des types de protéines ou d’ARNm présents dans une
cellule à un moment donné, notions désignées sous les termes respectifs de transcrip-
tome et protéome. B. subtilis cultivé sur différentes sources de nutriments, en état de
stress ou pendant la sporulation, exprime une base de 3 % de ses séquences codantes.
La majorité des autres gènes ne s’exprime que dans certaines conditions, définissant des
transcriptomes spécifiques. Une cellule d’E. coli cultivée à 37 °C en milieu synthétique
avec du glucose exprime environ deux mille types différents (son protéome), présents
de quelques exemplaires à 105 copies et représentant approximativement la moitié des
capacités codantes de son génome. Les premières descriptions de systèmes de régulation
(utilisation de sucres ou biosynthèse d’aminoacides), réalisées chez des Bactéries, ont
mis en évidence l’importance des mécanismes de contrôle transcriptionnel. Ces modes
de régulation existent dans l’ensemble du monde vivant, avec des spécificités suivant les
domaines et organismes. D’autres processus de régulation jouent sur la stabilité des ARN
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ou des protéines, l’existence de mécanismes épigénétiques, ces derniers encore peu docu-
mentés chez les procaryotes, ou des voies plus complexes de transmission de signaux (§ 3).

2.1 Régulation du démarrage de la transcription


a. Régulation négative : l’opéron lactose d’E. coli
L’exemple décrit ici, l’analyse d’un système de régulation au moyen de diploïdes pour
les éléments régulateurs (promoteur, opérateur) et les protéine(s) impliqués, est devenu
classique. L’utilisation du lactose, un β-galactoside, par E. coli met en jeu deux protéines
principales, la galactoside perméase LacY, une protéine de la membrane interne qui assure
le transport du lactose dans la cellule, et la β-galactosidase LacZ, qui hydrolyse le lactose

141
Introduction à la microbiologie

en ses deux sous-unités, le glucose et le galactose. Il s’agit d’un système inductible : ces
enzymes ne sont synthétisées qu’en présence de molécules inductrices, le lactose bien
sûr, mais aussi des dérivés de ce sucre. Parmi ces derniers, des inducteurs dits gratuits
parce que non métabolisables (tels l’IPTG, isopropyl-β-thiogalactopyranoside) ont été
un outil d’étude particulièrement précieux du fait que leur concentration, à l’inverse
d’un inducteur métabolisable, reste constante et contrôlable, et qu’ils pénètrent dans la
cellule sans le secours de la perméase. En présence de glycérol comme source de carbone,
l’adjonction d’IPTG entraîne immédiatement la synthèse de novo de ces deux enzymes.
Au taux maximal d’induction, la β-galactosidase peut représenter 7 % des protéines
cellulaires. L’élimination de l’inducteur conduit à un arrêt quasi instantané de la synthèse
des deux enzymes. Les deux gènes lacZ et lacY sont contigus et organisés en opéron
(voir Figure 6.5) comprenant un troisième gène (lacA) non impliqué dans ce processus.
Adjacent à cet opéron se trouve un gène, lacI, codant la protéine régulatrice du système.

lac01
A. lacI lac03 lacP lac02 lacZ lacY lacA

LacI

B. lacI lac03 lacP lac02 lacZ lacY lacA

lac01

β - galactosidase perméase acétylase


+ allolactose

lac01
C. lac03 lacP

lacZ

lac02

Figure 6.5 – Régulation de l’opéron lac chez E. coli


A. En absence de lactose, le répresseur LacI se fixe sur l’opérateur lacO sous forme
tétramérique, et empêche la fixation de l’ARN-Pol sur le promoteur lacP. L’expression
de l’opéron lac est réprimée. B. En présence d’inducteur (ici l’allolactose), la confor-
mation du répresseur LacI est modifiée ; il ne se fixe plus à l’opérateur lacO. L’ARN-Pol
peut se fixer au promoteur et y démarrer la transcription. L’expression de l’opéron lac
est induite. C. En fait, trois sites de l’opérateur contribuent à la fixation du répresseur
LacI. La fixation simultanée du tétramère sur les sites lacO1 et lacO2, possible en
raison de leur rapprochement grâce à une boucle de l’ADN, inhibe la transcription.

142
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

L’étude de la régulation de l’utilisation du lactose (F. Jacob et J. Monod, 1965) a été


fondée sur l’obtention de mutants affectés dans ce processus, et sur la possibilité d’obtenir
des diploïdes partiels construits à partir du plasmide F (voir Chapitre 5). Chez la Bactérie
« haploïde », on peut sélectionner des mutants de régulation au phénotype prévisible :
des mutants qui expriment les gènes de l’opéron même sans inducteur, appelés mutants
constitutifs (c), et d’autres qui n’expriment jamais ces gènes, bien que ceux-ci restent
fonctionnels, appelés mutants sur-réprimés (s). Des mutants des deux types affectent le
gène lacI. On trouve également des mutants constitutifs en un site appelé opérateur, O,
très proche du gène lacZ. L’analyse phénotypique de diploïdes partiels, portant des formes
alléliques différentes de la région lactose sur le plasmide F libre dans le cytoplasme (F’lac)
(voir Chapitre 5 et compléments web) a été déterminante pour comprendre le mécanisme
de régulation sous-jacent, comme l’indiquent ces exemples :

Cas Chromosome F'lac Phénotype Conclusion


ensemble des gènes inductible ;
1 lacI+ lacZ +Y + lacI − lacZ +Y + Lac+
lacI+ dominant sur lacI−
aucun gène exprimé ; l’allèle
2 lacI + lacZ +Y + lacIs lacZ +Y + Lac −
lacI+ récessif sur lacIs
lacZ + est inductible ; lacY +
3 lacI+ O+ lacZ +Y − lacI+ Oc lacZ −Y + LacZ−Y+
exprimé constitutivement
lacZ + non exprimé ; lacY +
4 lacIs O + lacZ +Y − lacI+ Oc lacZ −Y + LacZ −Y+
exprimé constitutivement

L’interprétation est la suivante : en l’absence de lactose le gène lacI produit une


protéine, diffusible, qui réprime l’expression de l’opéron par fixation au site opérateur.
En présence de lactose, l’interaction de LacI avec le sucre inactive le répresseur, ce qui
permet la transcription. Les mutants lacI− produisent un répresseur inactif, ce qui
permet à l’ARN-Pol de transcrire l’opéron en absence comme en présence de lactose :
de tels mutants doivent être récessifs (cas 1). Les mutants lacIs produisent un répresseur
actif en l’absence comme en présence de lactose : de tels mutants doivent être dominants
(cas 2). Les mutants Oc révèlent la présence d’un site de l’ADN permettant une interaction
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec le répresseur qui conduit à l’inhibition de la transcription. Ces mutants ont perdu
l’aptitude à fixer le répresseur : les gènes de l’opéron qui lui sont adjacents s’exprimeront
de façon constitutive (effet cis dominant), alors que ceux présents sur l’autre structure
génétique conserveront leur phénotype d’inductibilité (cas 3 et 4). En fait le répresseur,
une forme tétramérique, reconnaît simultanément deux sites de l’opérateur, induisant
la formation d’une boucle d’ADN qui empêche la reconnaissance du promoteur par
l’ARN-Pol (voir Figure 6.5C). L’ajout d’inducteur entraîne une modification structu-
rale (une transition allostérique) du répresseur, qui ne reconnaît plus l’opérateur, ce qui
permet la transcription de l’opéron. En réalité, l’inducteur naturel de l’opéron lactose
n’est pas le lactose mais un dérivé, l’allolactose, synthétisé par… la β-galactosidase !
Dans les cellules, il existe toujours un niveau basal d’expression de l’opéron qui assure

143
Introduction à la microbiologie

la mise en marche du système. L’utilisation d’inducteurs gratuits, tels l’IPTG, a permis


d’éviter le problème posé par les mutants lacZ − qui, ne pouvant convertir le lactose en
allolactose, se comportent donc comme des mutants de régulation. Le gène régulateur
lacI est génétiquement très lié au système qu’il régule, mais cette situation n’est pas obli-
gatoire dans la mesure où le répresseur est diffusible. D’autres systèmes, dont le système
maltose (§ 2.1b) et l’opéron tryptophane (§ 2.1d), ne présentent pas cette caractéristique.

b. Régulation positive : le système maltose d’E. coli


Les gènes responsables du métabolisme de ce sucre et des maltodextrines (polymères de
glucose) sont organisés en quatre opérons, dont trois codent les protéines nécessaires
au transport et au métabolisme des substrats, le quatrième (en fait un seul gène, malT)
codant le régulateur des quatre structures. L’inducteur est le maltotriose, un trimère de
glucose. Des mutants de ce régulateur présentent les mêmes phénotypes, constitutifs ou
sur-réprimés, que ceux isolés pour l’opéron lactose. En revanche, chez les diploïdes, les
mutants constitutifs sont dominants alors que les sur-réprimés sont récessifs. En outre,
parmi les sur-réprimés, on obtient des mutants de type non-sens, indiquant une perte
de l’activité de la protéine régulatrice. Le régulateur, MalT, ne peut donc pas être un
répresseur, mais doit être un activateur de la transcription. MalT, en présence de malto-
triose, reconnaît un site opérateur spécifique présent en amont de chacun des quatre
opérons, ce qui permet la mise en place efficace de l’ARN-Pol au niveau des promoteurs,
et l’expression de l’ensemble des gènes. Puisque les quatre opérons répondent au même
régulateur, ce système constitue un régulon.

c. Régulations multiples : la répression catabolique


Dans les deux systèmes précédents, en réalité, la présence d’inducteur ne suffit pas pour
permettre l’expression des gènes concernés. Ainsi, en présence simultanée de lactose et
de glucose, E. coli métabolise d’abord le glucose, et seulement après épuisement de celui-
ci, le lactose : c’est le phénomène de diauxie. Un second système, un régulateur positif de
transcription, se superpose aux systèmes spécifiques, les gènes lacI pour l’opéron lactose
et malT pour le régulon maltose. Une protéine, Crp (Cyclic-AMP Receptor Protein) égale-
ment appelée Cap (Catabolite Activator Protein), s’associe à l’AMP cyclique pour activer
la transcription de ces systèmes, ainsi que d’une centaine d’autres, notamment la plupart
des systèmes inductibles d’utilisation des sucres. Chez E. coli et d’autres Entérobactéries, la
priorité donnée au glucose réside dans la faible concentration d’AMP cyclique en présence
de ce sucre, concentration qui augmente en son absence. D’autres glucides peuvent exercer
le même type d’effet, plutôt dénommé répression catabolique par le carbone actuelle-
ment. Des systèmes similaires ont été décrits chez B. subtilis et chez certaines Archées.
Parmi les nombreux systèmes de régulation multiple identifiés chez l’ensemble des
procaryotes, le système SOS mis en jeu lors d’une lésion de l’ADN (voir Chapitre 5)
active l’expression d’une trentaine de gènes, le système Lrp (Leucine Responsive Regu-
latory Protein) module en particulier des fonctions métaboliques liées au métabolisme

144
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

des aminoacides, et la réponse stringente conduit à une inhibition de la synthèse des


ARN stables (ribosomaux et ARNt) lors d’une carence en aminoacides.

d. Atténuation : l’opéron tryptophane d’E. coli


Cet opéron de cinq gènes (trpEDCBA) impliqués dans la biosynthèse du tryptophane a
a priori une structure tout à fait classique, avec un promoteur-opérateur en amont de
trpE, et, non lié à l’opéron, le gène d’un répresseur, TrpR, actif sous forme tétramérique.
L’inactivation du gène trpR conduit, comme prévisible, à une expression constitutive
de l’opéron. La transcription reste cependant modulable par le tryptophane, avec une
expression plus importante en l’absence qu’en présence de l’aminoacide. En présence de
tryptophane, un court ARN est transcrit, correspondant à la région amont de l’opéron
et possédant une courte séquence codante, avec un codon d’initiation de traduction
et un codon stop ; cet ARN permet la synthèse d’un peptide de quatorze aminoacides,
appelé peptide leader, comprenant deux résidus tryptophane. La structure de cet ARN
engendre un mécanisme dit d’atténuation, qui tire avantage du couplage entre trans-
cription et traduction des procaryotes, les ribosomes se déplaçant à distance derrière
l’ARN-Pol (§ 1.2). La partie aval de la région codante du peptide leader révèle la présence
de trois blocs de séquences, 2 à 4, susceptibles de former des hybrides 2-3 ou 3-4, de
structure tige-boucle (voir Figure 6.6), dont le dernier, suivi d’un groupe de U, est
équivalent à un terminateur de transcription. Suivant la concentration de tryptophane
disponible, les ARNttrp sont ou non chargés, permettant ou non une traduction rapide
de la région codant le peptide leader dès le passage de l’ARN-Pol. Cela conditionne la
progression des ribosomes, et ainsi les appariements possibles de la séquence 3 avec la
séquence 2 ou avec la séquence 4.
Des mécanismes d’atténuation similaires sont documentés dans l’ensemble du monde
procaryote. L’opéron histidine, chez E. coli comme de Salmonella enterica, ne présente que
ce mécanisme régulateur, le peptide leader possédant sept histidines successives.

2.2 Autres niveaux de régulation


Certaines protéines peuvent participer à un contrôle de leur propre synthèse (régulation
post-transcriptionnelle). Ainsi, entre autres, pour chacun de la vingtaine d’opérons
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

codant les protéines ribosomales, l’une des protéines exerce un contrôle négatif sur
la traduction du messager de son propre gène/opéron, par interaction avec le site RBS
de l’ARNm. Ces protéines ont une plus forte affinité pour les ARNr que pour leur site
RBS, et vont donc préférentiellement s’associer à ces ARN, contribuant à la formation
des sous-unités ribosomales. Si aucun ARNr n’est « libre », une protéine en excès inte-
ragira alors avec son RBS, conduisant à une extinction de la traduction du messager
correspondant. Ce système contribue donc à une expression équilibrée des différents
constituants du ribosome.
Un système de régulation universel, qui présente beaucoup de similarité avec l’at-
ténuation, fait intervenir des ARN régulateurs, dits commutateurs ribonucléiques

145
Introduction à la microbiologie

A
trpP trpO trpL trpE trpD trpC trpB trpA

Promoteur Séquence Gènes de biosynthèse du tryptophane


de l’opéron Opérateur leader
cible du
répresseur
TrpR

B Région 1 Région 2 Région 3 Région 4 trpE’


5’
UUUUUU AUG –
Codons trp Stop
AUG
peptide leader terminateur

TT

C
2 2 3

3 4
1
1 4

Figure 6.6 – Régulation par atténuation de la biosynthèse du tryptophane


A. Structure de l’opéron trp. trpP, promoteur  ; trpO, opérateur  ; trpL, séquence
leader ; trpEDCBA, gènes de structure des enzymes de synthèse du trp. Le gène du
répresseur TrpR, qui se lie à l’opérateur trpO, n’est pas génétiquement lié à l’opéron
qu’il régule. B. La séquence leader trpL permet la synthèse d’un peptide de qua-
torze acides aminés dont deux trp contigus. C. Le mécanisme d’atténuation. À forte
concentration en tryptophane, les ribosomes suivent de près (couplage transcription –
traduction) l’ARN-Pol. La région 2 est alors masquée par le complexe de traduction,
ce qui empêche l’appariement 2-3, et permet l’appariement 3-4, une structure tige-
boucle suivie d’une séquence polyU, typique d’un terminateur de transcription. Il
n’y a alors pas transcription de l’opéron. À faible concentration en tryptophane, la
présence des deux codons trp dans la séquence leader retarde le complexe de tra-
duction par rapport à la transcription. Il s’ensuit le démasquage de la région 2, qui
peut alors s’apparier à la région 3, ce qui permet la poursuite de la transcription de
l’ensemble de l’opéron.

(riboswitch). Il s’agit d’une séquence amont du site d’initiation de la traduction d’un


messager, composée de deux éléments : une séquence fixatrice d’un ligand, dite apta-
mère, et un domaine régulateur. En l’absence de ligand, la structure de l’aptamère permet
la traduction du messager ; son absence conduit à former soit une structure de type
terminateur transcriptionnel, entraînant une terminaison de la transcription, soit une
structure double brin piégeant le site RBS, aboutissant à une inhibition de la traduction.

146
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

Tous les organismes possèdent des ARN régulateurs, ou sARN, des petites molé-
cules (cinquante à trois cents nucléotides) non codantes, pouvant former une structure
secondaire en type tige-boucle (E. coli en dispose d’une centaine). À la différence de
ceux des Eucaryotes, qui sont issus d’un ARN précurseur de grande taille, ceux des
procaryotes sont codés par des gènes de structure classique, de taille analogue à l’ARN.
Ces ARN ont pour cibles des ARNm, avec lesquels ils s’hybrident plus ou moins parfai-
tement, grâce à une protéine dite chaperon à ARN, Hfq, qui, d’une part protège le sARN
des nucléases, et d’autre part aide à la recherche de sa ou ses cible(s) ARNm. L’interaction
avec l’ARNm peut conduire à une inhibition de sa traduction par masquage du RBS, ou
au contraire à une activation par modification de sa structure secondaire démasquant
le RBS (par exemple le sARN qui interagit avec l’ARNm de RpoS [§ 1.1], activant son
expression), ou encore à une déstabilisation de l’ARNm, qui est dégradé. C’est le cas
d’un sARN, ryhB, intervenant dans l’homéostasie du fer chez E. coli. Bien qu’abon-
dant, le fer est peu disponible dans les conditions naturelles en raison de sa très faible
solubilité sous forme Fe3+ en atmosphère aérobie. D’autre part, la concentration en fer
intracellulaire doit respecter des limites étroites, suffisante pour assurer sa fonction au
niveau de nombreuses enzymes, mais assez basse pour éviter la génération de FRO, très
nocifs (voir Chapitre 5). La régulation de l’utilisation du fer est sous le contrôle d’une
protéine, Fur, qui, associée à Fe2+, réprime de nombreux opérons, dont ceux impliqués
dans le transport du fer, par action au niveau d’une séquence de ces promoteurs appelée
boîte fur. Le sARN ryhB, synthétisé en absence de fer, inhibe l’expression de dix-huit
opérons (plus de cinquante gènes), dont les gènes codant des protéines non essentielles
ayant le fer comme cofacteur. Le gène ryhB possédant une boîte fur, son expression est
inhibée par Fur-Fe2+. De telles conditions permettent de réserver l’utilisation du fer aux
protéines essentielles, telles que les cytochromes.
Une modulation de l’activité de certaines protéines peut être produite par des
modifications post-traductionnelles, consistant ordinairement en méthylations ou
phosphorylations. Ce mode de régulation, fréquent chez les Eucaryotes, existe égale-
ment chez les procaryotes. C’est le cas de la cohorte de kinases et phosphatases modulant
l’expression de protéines impliquées dans la sporulation chez B. subtilis (§ 3.3) ou du
régulateur du cycle de reproduction de Caulobacter crescentus (voir Chapitre 3).
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

2.3 Le contrôle épigénétique


Ce terme était initialement utilisé pour désigner un ensemble des processus conduisant
à une différenciation cellulaire, c’est-à-dire à des changements héritables de l’expres-
sion génique sans modification de la séquence d’ADN. Chez les Eucaryotes, relèvent
de phénomènes épigénétiques les prions, l’imprinting (répression allélique de gènes
maternels ou paternels), la modification des histones notamment par méthylation de
lysines ou, chez la Paramécie, l’hérédité cytoplasmique maternelle (antigènes de surface)
(voir Chapitre 1) et le caractère killer présent chez certaines souches, transmis de façon
non mendélienne, résultant de la présence d’endosymbiontes bactériens dits particules
Kappa.

147
Introduction à la microbiologie

Un fonctionnement à première vue « anormal » de l’opéron lac de E. coli relève d’un


tel processus. On ajoute à une culture d’E. coli une forte dose d’inducteur de l’opéron
lac (§ 2.1a), puis on sépare la culture en deux aliquotes, l’un fortement dilué immédia-
tement, et en conséquence non encore induit, l’autre fortement dilué après dix minutes.
La première culture, comme prévu, ne présente pas d’activité des enzymes de l’opéron
lac au cours des générations ultérieures. L’autre présente ces activités, et les maintient au
taux maximal pendant de nombreuses générations. Cette culture diluée tardivement a
eu le temps de synthétiser la perméase qui va maintenir un niveau intracellulaire élevé
en inducteur, permettant ainsi l’expression de l’opéron lac. Ce système exprime de façon
stable deux phénotypes à partir d’un même génotype.
La méthylation de l’ADN est le mécanisme épigénétique le mieux connu. Sa
présence dans les trois domaines du vivant suggère une origine commune et un taux de
conservation élevé. Chez E. coli, la méthylase Dam reconnaît les séquences GATC (voir
Chapitre 5) qu’elle méthyle sur les résidus adénine des deux brins. Cependant, certaines
séquences GATC incluses dans des sites reconnus par des protéines régulatrices, telles
Fur (§ 2.2), Cap, et Lrp (§ 2.1c), peuvent rester non méthylées de façon stable, et trans-
mises en l’état aux cellules descendantes. L’état de méthylation peut être altéré par des
variations des conditions de croissance qui modifient la teneur en protéines régulatrices
ou leurs propriétés de liaison à l’ADN. La variation de phase chez la souche uropatho-
gène E. coli UPEC illustre ce fonctionnement, sans que son rôle dans la pathogénicité
soit clairement établi. Un opéron, pap, impliqué dans la pathogénicité de cette souche,
intervient dans la synthèse de piline, qui permet l’adhésion des bactéries aux cellules
hôtes. La région régulatrice de cet opéron, qui possède deux séquences GATC, peut
exister sous deux états stables, activé et non exprimé, correspondant à la méthylation de
la séquence proche ou distale du promoteur, respectivement. Un régulateur de l’opéron,
Lrp, masque l’une ou l’autre des deux séquences selon leur état de méthylation, modi-
fiant la structure de l’ADN et ainsi l’action d’un autre régulateur, Cap, qui assure le
positionnement de l’ARN-Pol.
Des analyses génomiques réalisées sur un ensemble de deux cent trente procaryotes,
tant Bactéries qu’Archées, a révélé que 93 % d’entre eux montrent un ADN méthylé, avec
huit cent trente quatre profils de méthylation reproductibles. Parmi eux, 48 % possèdent
des méthylases dites orphelines, c’est-à-dire non associées à une enzyme de restriction
(voir Chapitre 5), et reconnaissant des séquences palindromiques de quatre ou six paires
de bases. Les motifs de méthylation sont compatibles avec des fonctions régulatrices.
Les prions, tel celui responsable de la maladie d’Alzheimer, sont des protéines qui
acquièrent par mutation une modification conformationnelle transmissible à la forme
non mutée, par agrégation avec cette protéine, donnant des corps amyloïdes. Ils sont
présents dans l’ensemble du monde vivant, ayant été observés chez des protistes (la
levure ou Plasmodium) et des procaryotes. Le prion de levure PSI+, connu de longue
date, est une forme altérée d’un facteur de terminaison de traduction, altération qui
résulte en son agrégation assortie de la diminution de son activité. Plus récemment a
été identifié un domaine protéique de type prion dans un terminateur transcriptionnel

148
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

de la Bactérie Clostridium botulinum, fonctionnellement semblable à celui de la levure


et pouvant donner des corps amyloïdes. Enfin, une analyse métagénomique portant sur
des virus de procaryotes révèle l’importance de gènes de type prions, impliqués dans
les interactions virus-procaryotes telles que l’attachement et la pénétration du virus, ce
qui pourrait en faire des régulateurs de ces interactions.

3 Régulation via des transmetteurs de signal


3.1 Détection et transmission du signal
Des systèmes permettant la détection de signaux externes, leur transduction intra-
cellulaire, et la mise en œuvre de réponse(s) appropriée(s) ayant en commun la
phosphorylation transitoire de protéines, existent dans les trois domaines du vivant.
Les procaryotes possèdent trois systèmes principaux de ce type, dont le mécanisme de
phosphorylation, la distribution et les fonctions diffèrent.
Les systèmes PTS sont impliqués dans de nombreuses fonctions de régulation, tels le
transport d’une vingtaine de sucres (voir Chapitre 3) et son contrôle, ou le chimiotactisme
(§ 3.2). L’utilisation efficace des sucres par les procaryotes est liée à leur détection, puis à
leur transport. Les systèmes PTS responsables de l’activation de leur transport possèdent
des constituants communs, exposés sur la membrane cellulaire ou cytoplasmique, et un
transporteur membranaire, spécifique d’un sucre. Cette enzyme est constituée de trois
modules, dont deux sont en contact avec le cytoplasme et le troisième en partie exposé dans
le périplasme, au contact direct du sucre à transporter. Le fonctionnement de ce système
passe par une cascade de cinq transferts d’un groupement phosphoryl du phosphoénolpy-
ruvate, du cytoplasme vers la membrane, simultanément à la translocation du sucre.
Les systèmes kinases à sérine/thréonine (STPK) ont été initialement découverts
chez les Eucaryotes chez lesquels ils coordonnent des activités cellulaires très diverses
(division cellulaire, prolifération, différenciation et apoptose). Leur activité passe par une
cascade de phosphorylations résultant généralement en un changement, pour la protéine
cible, de son activité enzymatique, sa localisation cellulaire ou encore son interaction
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec d’autres protéines. La structure de ces protéines est caractérisée par la présence
d’un domaine kinase cytoplasmique et d’un ou plusieurs domaines transmembranaires
dont le fonctionnement reste peu compris, malgré de nombreuses observations souli-
gnant leur importance. Des études génomiques récentes ont étendu l’existence de ces
systèmes aux Archées et à de nombreuses Bactéries, chez lesquelles ils interviennent
dans la régulation d’importantes activités cellulaires : métabolismes central (glucides,
protéines, lipides) et spécialisé (synthèse d’antibiotiques ou d’autres molécules), divi-
sion et différenciation (morphogenèse chez Streptococcus pneumoniæ, germination de
l’endospore chez B. subtilis [§ 3.3], développement des corps fructifères chez Myxococcus
xanthus), ou encore virulence (chez des pathogènes tels Yersinia pseudotuberculosis ou
Mycobacterium tuberculosis, avec ses onze types de STPK).

149
Introduction à la microbiologie

La régulation effectuée via les systèmes de transduction du signal à deux compo-


sants (SDC) met en jeu un couplage entre un signal spécifique reçu par une cellule et
sa réponse (voir Figure 6.7). Le signal, un changement de l’environnement, peut être de
nature chimique ou physique. La première molécule impliquée (senseur) est une histi-
dine kinase (HK), généralement membranaire, constituée de deux domaines, récepteur
et émetteur du signal. La réception du signal conduit à l’activation de l’HK, c’est-à-dire
son autophosphorylation sur un résidu histidine conservé. L’HK activée assure ensuite le
transfert du groupe phosphoryl à un résidu aspartate conservé du deuxième composant,
le régulateur de réponse, RR, ce qui active cette protéine, lui permettant de se lier à l’ADN
et d’activer la transcription d’un ensemble de gènes (régulon). Chez les Bactéries cette voie
est le principal système de régulation des réponses à des changements externes. Le nombre
de SDC différents est très variable, selon la complexité du cycle de reproduction des orga-
nismes (aucun chez Mycoplasma genitalium et Candidatus Amoebophilus asiaticus, des
endosymbiontes à génome très réduit, quatre vingts chez Synechocystis sp., onze chez
Helicobacter pylori, soixante chez E. coli, soixante-dix chez B. subtilis). Leur distribution
phylétique est très inégale dans les trois domaines du vivant. Les données génomiques
(2010) ont révélé leur présence dans 864 génomes de Bactéries sur 899 disponibles, seule-
ment 50 % des génomes d’Archées, certains phylums en étant complètement dépourvus,
et moins de 30 % des Eucaryotes, dont des champignons, en particulier des levures. Dans
tous les cas la structure de base des deux composants HK et RR est très conservée ; toute-
fois leur structure modulaire a permis la construction de plusieurs dizaines de systèmes
pouvant être adaptés à une variété de circuits de régulation et de signalisation cellulaire.

Relâché Compacté
Domaine
périplasmique

Domaine trans-
membranaire

Domaine
HAMP

+ Attractant

Domaine
kinase + Méthylation

Kinase désactivée Kinase active

Figure 6.7 – Le senseur d’un système de régulation à deux composants


Ce système est constitué d’un domaine détecteur (senseur) d’un signal environne-
mental comportant un domaine périplasmique, un domaine transmembranaire de
fixation et un domaine HAMP (Histidine kinase, Adenyl cyclase, Methyl-accepting
protein, Phospatase). La réception d’un signal induit un changement conformationnel
du domaine HAMP, entraînant la phosphorylation du résidu spécifique histidine de la
kinase (en bleu sur la figure).
150
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

3.2 Le chimiotactisme chez E. coli et Salmonella typhimurium


La motilité dirigée, ou taxie, confère à de nombreux organismes procaryotes et euca-
ryotes la capacité de s’approcher ou de s’éloigner d’un stimulus physique ou chimique
pour rejoindre un environnement favorable ou, au contraire, fuir un environnement
hostile. Chez de nombreux pathogènes, cette capacité est essentielle dans certaines
phases de leur cycle de développement ainsi que pour leur virulence. La mobilité est
distincte du tropisme, qui concerne exclusivement les organismes fixés (le géotropisme,
positif ou négatif, oriente la croissance des racines vers le sol et des tiges vers le haut,
respectivement ; l’héliotropisme du tournesol, Helianthus tuberosus, oriente la fleur vers
la lumière solaire). Les organismes détectent des gradients de nombreux types de para-
mètres chimiques (chimiotaxie) ou physiques (magnétotaxie, aérotaxie, respectivement
le champ magnétique, l’atmosphère). Les signaux détectés sont transmis à des récepteurs
intracellulaires par des voies de transduction, entraînant une réponse adaptative.
La chimiotaxie permet aux organismes de se diriger vers des sources d’attractants, ou
de s’éloigner de produits potentiellement nocifs (acides gras, alcools, cations divalents).
Le système le mieux caractérisé est celui d’E. coli et de S. typhimurium, qui utilisent
le réseau flagellaire comme organe de déplacement (voir Chapitre 1). Un système de
senseurs transmembranaires, organisé surtout au niveau d’un pôle cellulaire, détecte la
nature et la concentration des agents externes, ou ligands, et le transmet au moteur du
flagelle (voir Figure 6.8). L’élément central de la détection des signaux est un complexe
protéique transmembranaire, MCP (le senseur) – CheW (un adaptateur) – CheA (une
histidine kinase) et CheY (une protéine cytoplasmique accepteur d’un groupement
phosphoryl, capable de se lier au moteur du flagelle). La présence/absence d’un signal,
donc d’un ligand sur MCP, entraîne une chaîne de réactions résultant en une modifi-
cation du type de mouvement du flagelle, en sens antihoraire (permettant une course,
en vue d’un rapprochement vers un attractant ou d’une fuite devant un répulsif), ou en
sens horaire (favorisant le mouvement de culbute, donc un déplacement aléatoire). Les
variations du niveau de méthylation de MCP constituent la clef du système. En outre la
courte durée de vie de CheY phosphorylée (dix secondes) entraîne une réaction rapide
des cellules aux changements de concentration du ligand. En absence d’attractant ou de
répulsif les cellules maintiennent un niveau intermédiaire de phosphorylation de CheA
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

et CheY, ce qui produit un équilibre entre les phases de course et de culbute.

3.3 La sporulation chez Bacillus subtilis


Dans des conditions défavorables (voir Chapitres 2 et 3) certains organismes (unique-
ment des Bactéries, semble-t-il) sont capables de survivre sous une forme dormante, ou
spore. Ce processus est différent de celui, aussi dit de sporulation, de certains protistes
(tels les champignons ascomycètes), spécifiquement associé à la reproduction sexuée.
B. subtilis, en condition de carence nutritive, peut enclencher, de façon exclusive, la voie
de la compétence (§ 4.1) ou le processus de sporulation. Ce dernier est un processus long
(environ dix heures dans les conditions optimales en laboratoire), coûteux en énergie

151
Introduction à la microbiologie

A
+CH3
CH3 R
Ligands –CH3OH

Alternateur
MCP Pi

Moteur
W A Pi B
Récepteur
MCP W A
Pi Y
CH3
ATP ADP Z
Pi

Culbute Course
B

Rotation anti-horaire
des flagelles
Rotation horaire
des flagelles

Figure 6.8 – Mouvement et réponse chimiotactique


A. Régulation du chimiotactisme. Le récepteur du signal est un complexe protéique
transmembranaire, MCP2-W2-A2. MCP (Methyl-accepting Chemotaxis Protein), le
senseur, capable aussi d’accepter un groupement méthyl ; CheW, un adaptateur du
complexe  ; CheA, une histidine kinase  ; CheY, accepteur d’un groupement phos-
phoryl. MCP répond aux variations de concentration du ligand via son niveau de
méthylation, sous l’effet respectif des méthyltransférases CheR et CheB. Un signal lié
à la forme méthylée de MCP et transmis via CheW active l’autokinase CheA. Cette
protéine, alors phosphorylée, transfère le phosphate à CheY. CheY phosphorylée
diffuse dans le cytoplasme et se lie à l’inverseur de rotation du moteur à la base
du flagelle, induisant une rotation antihoraire, qui déclenche la course de la cellule.
CheY est très rapidement déphosphorylée par la phosphatase CheZ ; l’induction de
ce mouvement ne dure que tant que le signal est transmis par MCP. CheA peut aussi
transférer le groupe phosphoryl à CheB, qui est activée et élimine alors les groupes
méthyl de MCP (sous forme de méthanol), réinitialisant le transducteur dans le mode
« détection ». La méthylation, réversible et de courte durée, de MCP, en réponse aux
variations de concentration du ligand, est donc l’étape clef du système, contrôlant
l’activation et la durée de chaque phase. Les majuscules W, A, Y, R, B, Z désignent les
différentes protéines Che. B. Les deux modes de déplacement. Durant la rotation
horaire les flagelles sont déployés autour de la cellule, leurs actions s’annulant ; la
cellule culbute ou tourne sur elle-même, ce qui lui permet de se réorienter. Durant la
rotation antihoraire, les flagelles s’assemblent en faisceau qui fonctionne comme un
organe de propulsion, poussant la cellule vers l’avant.

et surtout irréversible. Il se manifeste par une division asymétrique avec pour résultat
deux cellules restant associées, la cellule mère, de grande taille, et la pré-spore, plus
petite (voir Chapitre 3). Il est déclenché par l’activation, par phosphorylation, d’un régu-
lateur transcriptionnel, Spo0A, qui contrôle directement l’expression de cent vingt et un

152
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

gènes, dont l’ensemble de ceux impliqués dans la sporulation. Cette phosphorylation est
très précisément régulée par le biais d’un phospho-relais faisant intervenir différentes
kinases qui réagissent en réponse à des signaux métaboliques. Le groupe phosphoryl
est transféré, via ces protéines, au récepteur final Spo0A. Les protéines du phospho-
relais sont également contrôlées par des phosphatases qui elles aussi réagissent à des
signaux métaboliques, ce qui fait du système un ensemble très finement régulé. Spo0A
activé déclenche la programmation de la sporulation par la synthèse séquentielle de
plusieurs facteurs sigma : σH, commun aux deux cellules, puis, chronologiquement :
σF (pré-spore), σE (cellule mère), σG (pré-spore), σK (cellule mère), chacun contrôlant
l’expression de gènes différents dans leur compartiment propre. La sporulation est
donc le résultat d’un dialogue entre deux cellules, la cellule mère destinée à mourir
par autolyse, et la future spore destinée à assurer la survie de la population soumise à
carence. Si les processus sont similaires, cependant chaque espèce bactérienne sporu-
lante possède ses spécificités propres vis-à-vis des facteurs déclenchant la germination.
Chez B. subtilis la germination de la spore est déclenchée par certains métabolites tels
que des aminoacides.

4 Communications intercellulaires
4.1 Quorum sensing
Jusqu’au début des années  1970, il était implicitement admis qu’une population de
micro-organismes était homogène, chaque individu agissant pour son propre compte,
sans intercommunication. Il a été depuis établi que, dans leur ensemble, non seulement
ils s’adaptent à leur environnement physico-chimique, mais qu’ils ne sont pas sourds à la
présence d’autres organismes avec lesquels ils cohabitent. Cette perception passe par des
systèmes connus sous le nom de quorum sensing (QS), à l’œuvre dans nombre d’inte-
ractions pouvant impliquer des organismes des trois domaines du vivant, suivant des
modes opératoires variés. La première mise en évidence de QS a concerné le phénomène
de bioluminescence, une propriété propre à un organisme ou réalisée par une Bactérie
hôte, comme chez certains poissons ou calamars, dans le but d’attirer des proies ou de
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se camoufler vis-à-vis de prédateurs (voir Chapitres 2 et 7).


Aliivibrio fischeri est ainsi hôte de l’organe lumineux du poisson Photoblepharon
palpebratus. Cette Bactérie à Gram −, cultivée en culture pure, non associée à son hôte,
montre une courbe de croissance classique (voir Chapitre 3). La bioluminescence appa-
raît de façon « explosive » à partir d’une certaine densité bactérienne. L’ensemble des
gènes impliqués dans ce processus est organisé en un opéron, lux, (voir Figure 6.9),
contrôlé par deux éléments régulateurs : une protéine, LuxR, codée indépendamment et
une molécule dite auto-inducteur, une acyl-homosérine-lactone (AI-1), codée par le gène
luxI de l’opéron lux. À faible concentration bactérienne, la production limitée d’AI-1
reflète la faible expression de l’opéron lux. À forte concentration bactérienne, la teneur

153
Introduction à la microbiologie

en AI-1 atteint un niveau suffisant pour s’associer à LuxR, qui active alors la transcrip-
tion de l’opéron lux, conduisant à une expression massive de la luminescence. Chez
tous les organismes présentant le même type de régulation, une homosérine-lactone
particulière est impliquée, avec une forte spécificité pour « son » régulateur, ce qui est
en faveur d’une action essentiellement intra-spécifique.

A Faible densité cellulaire

luxR luxR box luxI C D A B E

AHL

B Forte densité cellulaire

luxR luxR box luxI C D A B E

AHL
luminescence

Figure 6.9 – L’opéron lux d’Aliivibrio fischeri et sa régulation


Expression constitutive à faible niveau de luxI, premier gène de l’opéron lux. Faible
production de AHL (Acyl Homosérine Lactone). B. Accumulation de AHL qui, à partir
d’un niveau seuil, associé au produit de luxR active l’opéron lux, entraînant une aug-
mentation explosive de la luminescence.

a. Les systèmes QS des Bactéries à Gram− pathogènes


La stratégie infectieuse de Bactéries à Gram- pathogènes (du monde animal ou végétal)
inclut un processus QS, les différences notables portant sur le nombre de couples auto-
inducteur/régulateur et sur leur chronologie d’action. L’infectivité d’Erwinia carotovora,
dont la pathogénèse nécessite la synthèse d’exo-enzymes (protéases, cellulases, pecti-
nases), met en jeu un système QS avec un seul couple auto-inducteur/régulateur, très
semblable à celui de A. fischeri. C’est donc une forte concentration d’AI-1 qui entraîne
l’expression de la virulence, ce qui revient à n’exprimer le potentiel pathogène qu’à partir
d’une concentration bactérienne suffisante pour conduire à une infection victorieuse.
Certaines espèces d’E. carotovora produisent un antibiotique, le carbapénème (une
β-lactamine), dont la synthèse est sous le contrôle du même inducteur, associé à un autre

154
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

régulateur. Cet antibiotique pourrait servir à éliminer d’autres espèces bactériennes


susceptibles de profiter des exo-enzymes d’Erwinia. Vibrio harveyi, commensale et/
ou pathogène opportuniste d’animaux marins divers, met en jeu en parallèle trois
systèmes QS. Elle synthétise trois auto-inducteurs qui, associés chacun à l’une de trois
protéines régulatrices distinctes, agissent sur le même régulateur positif de l’expression
des gènes de virulence, LuxO. Une basse concentration en auto-inducteur aboutit à la
phosphorylation de LuxO, ce qui permet la synthèse de cinq ARN régulateurs (§ 2.2).
Ceux-ci se complexent à l’ARNm de LuxO, provoquant sa dégradation, et bloquant
ainsi l’établissement de la virulence. À forte concentration en bactéries, et donc en
auto-inducteur, LuxO reste non phosphorylé, avec pour conséquence l’expression des
gènes de virulence. Ce système un peu compliqué pourrait avoir pour rôle de détecter
et de prévenir l’effet de bruit de fond d’auto-inducteurs exogènes potentiels présents
chez l’hôte infecté. Pseudomonas æruginosa est un pathogène opportuniste, notam-
ment chez des malades atteints de mucoviscidose, chez lesquels elle forme des biofilms
pulmonaires. À une certaine densité cellulaire, la synthèse d’un auto-inducteur et de sa
protéine cible activent en cascade un premier système QS, lequel déclenche l’expression
d’un deuxième couple auto-inducteur/régulateur, donc d’un deuxième système QS,
conduisant à la formation de biofilms (§ 4.2 ; voir Chapitre 2).

b. Les systèmes QS des Bactéries à Gram+


Dans les systèmes QS des Bactéries à Gram+, l’auto-inducteur n’est pas une homosé-
rine-lactone, mais un oligopeptide. Staphylococcus aureus présente une stratégie de
pathogénicité en deux étapes : à basse concentration les bactéries adhèrent pour former
des micro-colonies, structures denses en cellules qui déclenchent un processus de QS
suite à la synthèse d’un octapeptide, couplé à un système à deux composants (§ 3.1).
L’autophosphorylation du composant membranaire de ce système démarre une suite
de réactions aboutissant à la répression des protéines d’adhésion aux tissus de l’hôte, et
à la synthèse des protéines de virulence (toxines et protéases). Il existe quatre souches
de S. aureus, dont les auto-inducteurs diffèrent. Lors d’une infection, la présence de
l’auto-inducteur de la souche infectante inhibe compétitivement la mise en place des
trois autres souches. B. subtilis, en cas de stress, est devant un choix alternatif, sporu-
lation versus compétence (§ 3.3 ; voir Chapitre 3). Le choix vers l’une ou l’autre voie
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

est déterminé par deux peptides, ComX et CSF, dont le jeu est régi par un système QS.
ComX provoque l’autophosphorylation d’une protéine régulatrice, déclenchant ainsi
une chaîne de réactions qui induit la synthèse de l’ensemble des gènes de compétence
(régulon com). Le comportement de CSF, un peu plus complexe, passe par sa sécrétion
dans le milieu, puis sa ré-internalisation. À basse concentration, CSF favorise indirec-
tement, par un jeu de répresseurs, la compétence, alors qu’à haute concentration, par un
autre jeu de régulateurs à effets négatifs, il inhibe la voie vers la compétence et favorise
la sporulation. Seule des Bactéries à Gram+, Streptomyces utilise une γ-butyro-lactone
comme inducteur, laquelle, liée à un régulateur, est responsable de la synthèse de méta-
bolites dits spécialisés, dont les antibiotiques, produits pas ces souches.

155
Introduction à la microbiologie

c. Des QS chez les Archées


Des phénomènes de type QS ont été caractérisés récemment chez quelques Archées.
Methanosaeta harundinacea, une Euryarchée, produit un auto-inducteur (une homo-
sérine-lactone) agissant à partir d’une certaine concentration sur un régulateur
transcriptionnel. Aucun processus de type QS n’a été caractérisé chez les Crenarchées.
Compte tenu de la faible fréquence de ces mécanismes chez les Bactéries, il se peut que
l’échantillon d’Archées étudié soit trop faible, ou que les molécules auto-inductrices
n’aient pas été reconnues car différentes de celles identifiées par ailleurs.

d. Processus de QS inter-espèces
Des processus de QS peuvent faire intervenir des communications inter-espèces via
l’auto-inducteur. La production d’un inhibiteur d’homosérine-lactone d’autres espèces
(dont E. carotovora) par B. subtilis, dont le système QS n’utilise pas ces molécules, pour-
rait être un mode de défense. Une autre acyl-homosérine-lactone, AI-2, produite dans
les conditions naturelles par des organismes variés, pourrait constituer un senseur de
l’environnement à large spectre. Ce produit, à l’inverse d’autres homosérine-lactones,
n’est internalisé que grâce à un système de transport membranaire, pour lequel des
récepteurs ont été identifiés chez plusieurs espèces, ouvrant la voie à des relations inters-
pécifiques (on parle d’« eavesdropping », une forme d’écoute de voisinage). Des Bactéries
telles que P. æruginosa, Rhodobacter capsulatus et Rhodobacter spheroides, ne synthé-
tisent pas ce produit mais possèdent un senseur de sa présence. De même, on pourrait
envisager un rôle d’E. coli dans la pathogénèse de V. harveyi, deux hôtes de l’intestin.
AI-2 produit par E. coli peut être perçu par V. harveyi, déclenchant sa pathogénicité. La
production d’AI-2 par V. harveyi peut déclencher un système QS. Des cas d’interaction
Eucaryote/procaryotes sont aussi documentés. L’algue marine Delisea pulcra produit
des furanones, analogues de AI-1, capables d’inhiber des systèmes QS. De même la
légumineuse Medicago tronculata (voir Chapitre 7), en réponse à certaines homosérine-
lactones bactériennes de type AI-1, synthétise des facteurs stimulant cette synthèse et
inhibant celles d’homosérine-lactones de type AI-2, favorisant ainsi les espèces bacté-
riennes possédant un système QS AI-1-dépendant.

e. Le quorum quenching
Ces interactions interspécifiques suggèrent la possibilité de stratégies de lutte antimi-
crobienne grâce à la production d’AI, ce que désigne l’expression quorum quenching
(extinction du quorum), avec l’avantage majeur que ce processus n’élimine pas la
Bactérie sensible et devrait diminuer notablement l’apparition de mutants résistants.
Quelques exemples d’applications potentielles : B. subtilis inhibant la pathogénicité
d’E. carotovora quand ces deux espèces se développent sur du tabac ou de la pomme de
terre ; l’administration efficace, dans un système modèle de souris, d’antagonistes de
AI-1 de S. aureus, ou de furanones de D. pulcra (bien que leur haute toxicité ne permette
pas leur utilisation thérapeutique) ; l’ajoène, une substance produite par l’ail, se révélant

156
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation

antibactérien à toxicité réduite, par inhibition de la mise en place du QS chez P. ærugi-


nosa et S. aureus.

f. Mise en place et maintien d’un système QS


La mise en place et le maintien d’un système QS ont un coût énergétique, favorisant
l’apparition d’organismes dits tricheurs, incapables de mettre en place le QS mais qui
en profitent. Il en va ainsi chez Agrobacterium tumefaciens : au cours du processus
infectieux le plasmide responsable de la virulence peut être perdu par une partie de
la population, qui se développe en profitant des substances sécrétées par la popula-
tion « intacte ». De même, M. xanthus produit des corps de fructification, sièges de la
formation de spores dont une forte proportion est incapable de former ces corps de
fructification. Dans ces deux cas, l’avenir de ces tricheurs est compromis dans la mesure
où ils ne pourront pas assurer seuls la propagation de leur descendance. Le cas de
A. fischeri est plus intrigant : une co-culture de la souche sauvage et d’un mutant affecté
dans le QS de la bioluminescence chez le calamar conduit à l’élimination de la souche
mutée. Quand P. æruginosa se développe dans des biofilms, une forte proportion de la
population est constituée de mutants affectés dans le processus QS-dépendant de la mise
en place des biofilms ; toutefois, il a été montré in vitro qu’une trop forte concentration
de ces bactéries mutantes s’avère en dernier ressort préjudiciable à l’établissement du
biofilm, ce qui contribue au maintien de la population sauvage.

4.2 Les biofilms : conditions de mise en place


Si la majorité des connaissances sur les micro-organismes est issue d’études en cultures
liquides homogènes, il est connu que la plupart d’entre eux ont tendance à adhérer à des
surfaces, pouvant donner naissance à des structures appelées biofilms (voir Chapitre 2)
où elles acquièrent de nouvelles propriétés. Dans le domaine de la santé, ces biofilms sont
impliqués dans des complications thérapeutiques telles que infection de prothèses ou de
cathéters, invasion des poumons par P. æruginosa. La formation d’un biofilm commence
par la fixation des cellules sur une surface, donnant naissance à une micro-colonie qui,
à un certain stade (une certaine densité) produit diverses substances (exo-polysaccha-
rides, acides nucléiques, protéines) constituant la trame du biofilm. Du biofilm mûr
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

peuvent se détacher des cellules pouvant à leur tour coloniser d’autres surfaces.
Chez les Bactéries, l’étude génétique de certains systèmes a démontré l’intervention
de plusieurs facteurs dans l’établissement et/ou le maintien des biofilms. Dans les deux
cas les mieux étudiés, la mise en place du biofilm met en jeu des structures de la paroi
bactérienne (flagelles et pili pour P. æruginosa, curli et acide colanique pour E. coli). Un
processus de QS est déterminant dans le maintien du biofilm. Intervient également le
di-GMP cyclique, qui agit comme signal intracellulaire, chez ces deux espèces comme
chez d’autres (Yersinia pestis, S. enterica, Vibrio). Bien que les études de biofilms chez
les Archées soient peu développées, en raison de la difficulté technique de leur étude
et du faible intérêt du fait qu’il n’y a pas de pathogènes connus, il a été montré que ces

157
Introduction à la microbiologie

organismes peuvent aussi donner naissance à des biofilms, dans lesquels jusqu’à présent
aucune intervention d’un QS n’a été établie. Chez la Crenarchée Sulfolobus acidocalda-
rius, l’intervention de structures de type pili ou flagelles révèle un point commun avec
les biofilms bactériens. Chez les protistes les mécanismes intervenant dans la mise en
place de biofilms monospécifiques, partiellement compris, font appel notamment à une
adhésine, mais ceux présidant à la mise en place de biofilms mixtes restent obscurs. La
mise en place sur la plaque dentaire du biofilm mixte Candida albicans – Streptococcus
gordonii ainsi que de biofilms faisant intervenir plusieurs espèces bactériennes, fait
intervenir AI-2 produit par Streptococcus.

158
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les promoteurs de transcription procaryotes sont définis par deux séquences
(−10 et −35), dont la variabilité définit la force.
2 La même ARN-Pol synthétise tous les ARN. Sa sous-unité σ reconnaît le pro-
moteur, définissant le point de départ. Une structure en « épingle à cheveux »
(parfois secondée par un facteur Rho) la termine à l’extrémité du gène.
3 La traduction, simultanée à la transcription, est initiée au site d’initiation (dit
Shine-Dalgarno), à partir d’un codon spécifique, Fmet, et terminée par atteinte
d’un codon stop.
4 Les ribosomes sont de type 70S chez les Bactéries et Archées, avec des pro-
téines de type eucaryote chez ces dernières.
5 Les gènes procaryotes sont souvent organisés en opérons ou en régulons.
6 Des régulations directes (positives, négatives, atténuation, méthylation de
l’ADN, épigénétique, ARN régulateurs) ou via des systèmes de détection de
signaux externes (phosphorylation réversible de protéines kinases) affectent le
niveau de transcription d’une ou plusieurs voies métaboliques.
7 Des régulations post-traductionnelles (modifications protéiques, prions)
affectent les propriétés des protéines.
8 Des communications (quorum sensing) via un auto-inducteur et une protéine
régulatrice permettent à des populations procaryotes de développer des pro-
priétés nouvelles, éventuellement via des biofilms.
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159
Entraînez-vous
6.1 Quels facteurs de l’ARN polymérase interviennent dans la mise en place de l’en-
zyme pleinement fonctionnelle ?
6.2 Chez les Bactéries, quels facteurs interviennent dans la mise en place de la traduc-
tion de l’ARNm en protéines ?
6.3 Quelles sont les différences entre les ARN polymérases des Bactéries et des
Archées ?
6.4 Quel est le mode d’action de la protéine régulatrice d’un système de régulation
négatif ?
6.5 Quel est le mode d’action de la protéine régulatrice d’un système de régulation
positif ?
6.6 Expliquer pourquoi, en présence simultanée de glucose et lactose, l’opéron lactose
n’est pas exprimé.
6.7 Quels sont la structure et le mode d’action des petits ARN régulateurs des pro-
caryotes ?
6.8 Décrire un mécanisme épigénétique important observé chez les procaryotes.
6.9 Chez Bacillus subtilis, quels sont les facteurs déclenchant la sporulation ? Com-
ment est régulée l’activité de la protéine Spo0A, régulateur de l’expression des
gènes de sporulation ?
6.10 Comment le quorum sensing intervient-il dans la pathogénèse d’Erwinia caroto-
vora ?

160
Chapitre 7 Interactions
Bactéries/hôtes
Introduction

Parmi l’éventail des environnements colonisés par les procaryotes figurent des plantes et
des animaux, avec lesquels ils peuvent établir des interactions biotiques, ou symbioses,
selon trois types principaux : le mutualisme (association à bénéfices réciproques), le com-
mensalisme (un seul partenaire tire avantage de l’association sans nuire aux autres), et
le parasitisme (symbiose dont l’un des partenaires bénéficie au détriment du second).
Les micro-organismes partenaires d’une symbiose sont dits symbiotes (ectosymbiotes et
endosymbiotes suivant qu’ils vivent à la surface ou à l’intérieur de l’hôte), et leurs parte-
naires eucaryotes hôtes. Bien que majoritairement à deux partenaires, certaines symbioses
peuvent concerner plusieurs symbiotes, et même des symbiotes de symbiotes. L’entité
formée par un hôte et ses symbiotes forme un holobionte.

Objectifs Plan
Connaître les différents types d’interactions 1 Le mutualisme
hôtes/bactéries 2 Le commensalisme
Identifier les différentes étapes du cycle 3 Le parasitisme
infectieux
Définir les notions de symbiose, mutualisme,
commensalisme et parasitisme, de
microbiote, cycle infectieux, virulence et
pouvoir pathogène
Expliquer les bases du dialogue moléculaire
sous-tendant les interactions hôte/bactéries
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1 Le mutualisme
Le mutualisme peut concerner la nutrition ou d’autres aspects de la relation entre parte-
naires. Cette relation, obligatoire ou non, peut affecter de manière différente chacun des
partenaires.

1.1 Mutualisme et nutrition


Les symbioses mutualistes trophiques sont fréquentes. Elles peuvent être obligatoires ou
facultatives, et dans le premier cas obligatoires pour les deux ou un seul des partenaires.

161
Introduction à la microbiologie

Au contraire, les partenaires d’une symbiose mutualiste facultative peuvent se déve-


lopper de manière indépendante, sous forme libre.

a. Mutualisme obligatoire réciproque : le puceron et Buchnera


Les pucerons sont des insectes piqueurs-suceurs qui se nourrissent de la sève élaborée
(phloème) des plantes sur lesquelles ils vivent. Ainsi, le puceron Arcytosiphon pisum se
nourrit de sève de pois. Cependant cette sève ne contient pas certains acides aminés
essentiels à son développement. Ces derniers lui sont fournis par la Bactérie Buchnera
aphidicola qui vit dans des cellules spécialisées de l’insecte, les bactériocytes. Le dévelop-
pement de la Bactérie dépend elle aussi de son hôte, qui lui fournit d’autres acides aminés
qu’elle ne synthétise pas. Cette symbiose mutualiste très étroite est donc obligatoire pour
les deux partenaires. Les bactéries sont directement transmises à la descendance par
les pucerons femelles, passant des bactériocytes aux embryons au cours de leur diffé-
renciation. Cette transmission maternelle est dite verticale. Des analyses génomiques
et phylogénétiques ont montré une co-évolution très étroite entre partenaires, rendant
leur interdépendance très spécifique.

b. Mutualisme obligatoire univoque chez Riftia, des vers


tubicoles géants
Le caractère obligatoire des relations mutualistes peut ne concerner qu’un des partenaires
de l’association. Les Riftia sont des vers tubicoles géants (d’un à deux mètres de long) qui
vivent au fond des océans, à proximité des fumeurs des sources hydrothermales, à une
température de 10 à 20 °C. Ce milieu est anoxygénique et très riche en sulfure d’hydro-
gène (H2S). Dépourvus d’intestin, les Riftia dépendent de la Bactérie endosymbiotique
chimiolithotrophe Candidatus Endoriftia persephone (classe des γ-Proteobacteria) pour
leur survie (voir Figure 7.1) À la mort du ver les endosymbiotes, relâchés dans l’eau de
mer, peuvent se reproduire à l’état libre, et être acquis par de nouvelles larves de Riftia.
Les bactéries sont donc transmises horizontalement. La taille de la population libre de
la Bactérie rend élevée la probabilité d’événements de rencontres entre hôte et symbiotes.

c. Mutualisme facultatif : les rhizobiums et les légumineuses


Les partenaires d’une symbiose mutualiste facultative peuvent se développer de manière
indépendante, et donc se trouver sous forme libre dans l’environnement. C’est le cas
des symbioses mutualistes fixatrices d’azote entre les légumineuses et leurs Bactéries
endosymbiotiques, les rhizobiums. Les légumineuses (haricot, pois, soja, luzerne, etc.)
peuvent se développer sans rhizobium, mais ont besoin d’un apport d’engrais azotés
pour optimiser leur développement. Les rhizobiums sont capables de vivre librement
dans le sol. La symbiose ne s’établit que si le sol est pauvre en matières azotées. La recon-
naissance entre l’hôte et son symbiote, fondée sur un dialogue moléculaire spécifique,
déclenche le développement, au niveau des racines, d’un nodule, dans lequel les rhizo-
biums vont s’installer, et certains entrer dans des cellules végétales (voir Figure 7.2).
Sous l’action de molécules de défense de la plante, ils se différencient en bactéroïdes,

162
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

A B

Embryon
Stade asymbiotique Branchies

Vaisseau Capillaire
sanguin
Larve trochophore
Trophosome
Infection Trophosome
Tube
Tube Capillaire
Stade H2S/O2Nutriments
symbiotique CO2

Larve Libération
Infection des endosymbiotes Bactéries
spécifique
par les symbiotes Adulte p l o de l’ e endosymbiotiques

Figure 7.1 – Symbiose mutualiste entre le ver Riftia et son endosymbiote


Candidatus Endoriftia persephone (d’après Li Y. et al., 2018)
A. Différents stades de développement de Riftia et transmission horizontale des
symbiotes. Les embryons et les premiers stades larvaires sont asymbiotiques. Les
symbiotes (rose) coexistent avec d’autres bactéries (rose clair et grenat) dans l’envi-
ronnement. Les endosymbiotes s’attachent spécifiquement aux larves de Riftia et
envahissent leur mésoderme, qui se différenciera en trophosome. Le ver adulte est
fixé au sol. À sa mort les endosymbiotes sont libérés. B. Schéma simplifié d’un Riftia
et échanges métaboliques entre l’hôte et l’endosymbiote au niveau du trophosome.
Les branchies absorbent le sulfure d’hydrogène, l’oxygène et le dioxyde de carbone
présents dans l’eau de mer. Ces éléments sont transportés par une hémoglobine
spéciale présente dans les vaisseaux sanguins du ver, puis fournis aux bactéries
endosymbiotiques du trophosome. Celles-ci, dont la concentration peut atteindre
1011 cellules par gramme de tissu de ver, oxydent le H2S et se servent d’une partie
de l’énergie produite pour réduire le CO2. Une partie des composés carbonés réduits
est transférée au ver.

capables de fixer l’azote atmosphérique (voir Chapitre 3). L’ammoniac formé gagne le


cytoplasme des cellules végétales, où il va permettre la synthèse de glutamine et d’aspa-
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

ragine, qui seront transportés dans le xylème et diffuseront dans toute la plante. Chaque
nodule contient environ 109 cellules de rhizobium, dont environ 107 sont capables de
survivre dans le sol une fois libérées à la mort du nodule, jusqu’à un prochain cycle de
symbiose (transmission horizontale). Ce processus joue donc un rôle important dans
la dynamique des populations de rhizobiums dans le sol. Les associations Rhizobia-
légumineuses se font selon un spectre d’hôte strict, une composante très importante
des relations symbiotiques. Ainsi, Sinorhizobium meliloti « nodule » la luzerne Medicago
truncatula mais pas le haricot (Phaseolus vulgaris), et inversement pour Rhizobium etli.
S. meliloti et R. etli ont des spectres d’hôtes très étroits ; d’autres en ont de beaucoup
plus larges, tel Sinorhizobium fredii NGR234, qui nodule plus de cent douze genres de
légumineuses. Ces spécificités sont déterminées au cours des nombreuses étapes qui
conditionnent la mise en place des symbioses.

163
Introduction à la microbiologie

Schéma d’une Attraction des rhizobia Production de LCO en réponse aux


A légumineuse B par des chémoattractants C flavonoïdes produits par les racines

Poil absorbant
Flavonoïdes
Chémoattractants

rhizobia et divers rhizobia


Racine micro-organismes
LCO : facteurs Nod
Chémoattractants

D Attachement des rhizobia E Courbure des poils absorbants


aux poils absorbants des racines et formation de biofilms

Glucomannane

Lectine
Courbure
des poils
absorbants

Formation d’un cordon Déplacement des rhizobia Formation du nodule


F de pré-infection G dans le cordon d’infection H et des symbiosomes

Nodule

Cordon de Cordon
pré-infection d’in e ion

I Formation d’ammoniac dans le symbiosome

Symbiosome
Export
O2 NH3 NH4+ Gln Asn vers
le xylème
Acides ATP, e-
dicarbo-
xyliques

Cytoplasme végétal

Figure 7.2 – Les symbioses rhizobium/légumineuses (d’après P. Gamas et al.,


2017 ; G.E. Oldroyd, 2013 ; P. Poole et al. 2018)
A. La légumineuse M. truncatula. Le rectangle indique la zone de la racine infectée par
les Bactéries. B. Grossissement de la zone d’infection. Les rhizobiums sont spécifique-
ment attirés vers les racines de leur hôte par des chémoattractants. C. Des flavonoïdes
produits par les racines induisent chez les Bactéries arrivant à proximité la produc-
tion de facteurs Nod spécifiques (des lipochito-oligosaccharides). Ceux-ci se fixent
sur des récepteurs présents sur les poils absorbants de la racine, ce qui déclenche
164
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

le programme de développement cellulaire aboutissant à la formation des nodules


dans lesquels les Bactéries vont se développer. D. Les Bactéries s’attachent à l’extré-
mité des poils absorbants par l’intermédiaire de glucomannane (cercle rose) disposé
au pôle de la Bactérie, qui se lie à des lectines présentes sur le poil absorbant (mar-
ron). E. Les Rhizobia forment des biofilms au sommet des poils absorbants, entraî-
nant leur déformation en crosse de berger, ce qui enferme une ou deux Bactéries.
F. La mise en place du programme symbiotique se traduit par la formation d’un cordon
de pré-infection qui progresse dans les tissus racinaires. G. Les Bactéries progressent
dans ce cordon, tandis que la division des cellules du cortex de la racine amorce la
formation d’un nodule à la base du cordon. H. Des cordons d’infection envahissent le
nodule et se ramifient. Une partie des rhizobiums présents dans les cordons d’infec-
tion est libérée, par un processus proche de l’endocytose, dans les cellules végétales.
Ils restent entourés d’une membrane végétale qui les isole du cytoplasme de la cellule
hôte (symbiosome). I. Dans le symbiosome, les bactéries se différencient progressive-
ment en bactéroïdes, où elles peuvent fixer l’azote atmosphérique.

d. Symbiose à plus de deux partenaires : les termites xylophages


Les termites sont des insectes sociaux qui jouent un rôle essentiel dans le cycle du carbone
en dégradant environ 30 % de la production primaire nette terrestre, et émettent environ
4 % et 2 % des émissions totales de CH4 et CO2. II existe deux classes principales de
termites : ceux dits « inférieurs » sont exclusivement xylophages, alors que ceux dits
« supérieurs » ont une alimentation beaucoup plus variée. Leur point commun est de
se nourrir de lignocelluloses, principaux composants des parois végétales, riches en
cellulose, hémicellulose et lignines, pauvres en azote et très difficiles à digérer, qu’ils
minéralisent grâce à une coopération étroite avec une micro-flore constituée de plus de
trois cents espèces de procaryotes (Bactéries et Archées endosymbiotiques), protistes
(dans le cas des termites inférieurs) et champignons (voir Chapitre 2).
Chez les termites inférieurs, la microflore est dominée par des protozoaires flagellés
spécifiques (trois à dix-neuf espèces suivant les espèces de termites), représentant jusqu’à
107 individus par animal. La communauté bactérienne (107-1011 cellules/mL) est dominée
par des Spirochètes (genre Treponema) et des Fibrobacteres, libres ou ectosymbiotes des
flagellés. Cette microflore, hébergée dans l’intestin postérieur du termite, hypertrophié
et pauvre en oxygène, complète la dégradation de la cellulose amorcée dans l’intestin
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

moyen de l’insecte (voir Figure 7.3). Si de nombreuses Bactéries sont libres dans l’in-
testin postérieur, d’autres sont attachées aux protozoaires ou même hébergées dans leur
cytoplasme. Il s’agit donc d’ectosymbiotes et d’endosymbiotes d’endosymbiotes ! Le
protozoaire endosymbiotique Trichonympha agilis du termite inférieur Reticulitermes
speratus héberge ainsi de façon permanente deux espèces de Bactéries, Candidatus
Endomicrobium trichonymphae et Candidatus Desulfovibrio trichonymphae. L’ana-
lyse des génomes de ces deux Bactéries a montré qu’elles contribuent spécifiquement
l’une à la fermentation des monosaccharides pour produire de l’acétate, du CO2 et de
l’H2, l’autre à la biosynthèse de plusieurs acides aminés et cofacteurs, et à l’oxydation de
l’hydrogène. Cette consommation d’hydrogène permet de limiter la teneur en H2 à un
niveau non inhibiteur pour les autres fermentations.

165
Introduction à la microbiologie

Chez les termites supérieurs, dépourvus de protozoaires endosymbiotiques, il


semble que ce soient les Bactéries qui assurent la dégradation de la lignocellulose. La
composition de ces populations est très variable d’une espèce de termite à l’autre. Ces
différences de composition pourraient refléter une adaptation fonctionnelle des commu-
nautés bactériennes endosymbiotiques à la diète de leur hôte.

Intestin Intestin Intestin


antérieur moyen postérieur

Hôte
Endoglucanases Protozoaires
β-glucosidases flagellés
Exoglucanases
Endoglucanases
Glande β-glucosidases
salivaire .
........
. ......
Bactéries
Production NH3, H2 et CO2
Mandibules
Glucose Archées
Production CH4
Acides gras
Gésier à chaînes courtes

Fécès
Bois Bioma (riches en lignine)
sse
(lignocellulose) + +
Hôte biomasse
Trophallaxie proctodéale

Figure 7.3 – La digestion du bois par les termites « inférieurs » (D’après A. Brune, 2014)
La dégradation du bois repose sur les activités cellulolytiques de l’hôte et de ses
endosymbiotes localisés dans l’intestin postérieur. L’insecte découpe le bois grâce
à ses mandibules pour produire des particules qu’il ingurgite. Ces particules sont
dégradées dans l’intestin moyen par des enzymes produites par les glandes salivaires
et broyées au niveau du gésier. Le glucose produit dans l’intestin moyen est absorbé
au niveau de l’épithélium. Les particules partiellement digérées arrivent dans l’intes-
tin postérieur où elles sont phagocytées par les protozoaires flagellés qui les hydro-
lysent grâce à leur cocktail très actif de cellulases et d’hémicellulases produit dans
des vacuoles digestives. Les produits de fermentations ainsi obtenus, du CO2, de
l’H2, des acides gras à chaînes courtes (acétate) sont absorbés par l’hôte. Les résidus,
très riches en lignine, sont évacués sous forme de fèces. Une partie de la biomasse
microbienne très importante produite dans l’intestin postérieur est transmise par tro-
phallaxie aux autres termites présents dans le nid. Il s’agit d’un comportement social,
les termites sollicitant leurs congénères pour qu’ils produisent des gouttelettes de
fluide de l’intestin postérieur remplies d’endosymbiotes qu’ils «  boivent  ». La bio-
masse ainsi réabsorbée est digérée dans les intestins antérieurs et moyens, produi-
sant des vitamines et des acides aminés récupérés par l’hôte. Au cours de cette
dégradation de l’acide urique riche en azote est produit, et déversé dans l’intestin
postérieur où des bactéries le transforment en ammoniac qui va être assimilé par
la communauté microbienne. Parallèlement, d’autres bactéries présentes dans les
protozoaires fixent l’azote atmosphérique ; l’ammoniac produit sera assimilé par le
protozoaire, pour former des acides aminés, ce qui complète le cycle de l’azote chez
l’holobionte. Les Archées présentes dans l’intestin combinent l’hydrogène et le CO2
produits par les autres endosymbiotes pour synthétiser du méthane.

166
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

1.2 Mutualismes non trophiques


Le mutualisme ne repose pas uniquement sur des relations trophiques, mais peut assurer
la protection de l’hôte contre la prédation, le rendre mobile, augmenter sa fécondité ou
renforcer ses défenses.

a. Mutualiste, protection, luminescence : le calamar et Aliivibrio


fischeri
Les calamars Euprymna scolopes originaires d’Hawaï produisent de la lumière (biolumi-
nescence) grâce à un organe ventral complexe comprenant trois cryptes qui hébergent
la Bactérie endosymbiotique A. fischeri (autrefois nommée Vibrio fischeri). Ce sont les
symbiotes qui produisent cette lumière, qui servirait de camouflage contre les préda-
teurs, par contre-illumination. En effet, ces petits calamars vivent dans les eaux peu
profondes. Par nuit claire, les animaux non lumineux projettent une ombre qui peut
être un signal pour des prédateurs tapis plus bas sur le fond. La production de lumière
permet aux calamars d’éviter la projection de cette ombre, ce qui les rend invisibles à
leurs prédateurs. L’intensité et l’incidence de la lumière peuvent être modulées grâce à
une lentille et des tissus réflecteurs présents dans l’organe qui abrite les Bactéries (voir
Figure 7.4).
A. fischeri ne représente qu’une très faible fraction (quelques centaines ou milliers
par millilitre d’eau parmi des millions d’autres Bactéries) de la population bactérienne
libre dans l’eau de mer. Très rapidement après l’éclosion des œufs du calamar, les cellules
d’A. fischeri, et spécifiquement elles, sont attirées dans les cryptes de l’organe lumi-
neux des juvéniles suite à un dialogue moléculaire complexe avec l’hôte. La présence
des Bactéries modifie morphologiquement et fonctionnellement le développement de
l’organe (apparition de microvillosités), ce qui stabilise et pérennise la symbiose. Curieu-
sement, la forme mature de cet organe présente une convergence de forme et de fonction
avec un œil. Dans la crypte les Bactéries, trouvant les substrats et l’énergie nécessaires
à leur croissance, atteignent des concentrations de l’ordre de 1012 cellules.mL −1. La
production de lumière par celles-ci est contrôlée par un mécanisme de quorum sensing
(QS), déclenché lorsqu’un seuil de population du symbiote est atteint (voir Figure 7.4 ;
voir Chapitre 6). Ce contrôle permet de synchroniser la production de lumière, qui
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doit être assez intense pour que la contre-illumination soit effective. Un seul opéron de
A. fischeri, lux, code la luciférase, l’enzyme impliquée dans la production de lumière,
les enzymes produisant les substrats de la luciférase, et l’auto-inducteur qui contrôle
le QS, ce qui permet de coupler la production de lumière et le phénomène de QS (voir
Chapitre 6).
Un contrôle circadien, actif sur le calamar et les bactéries, permet de ne déclencher
la bioluminescence qu’en début de nuit, quand les calamars partent se nourrir. Juste
avant l’aube, le calamar expulse plus de 90 % des bactéries des cryptes, ce qui bloque le
processus de QS, et la luminescence par voie de conséquence. Parallèlement un remo-
delage du cytosquelette des cellules de la crypte leur fait perdre leurs microvillosités.

167
Introduction à la microbiologie

Les bactéries restantes reprennent leur croissance, dans un premier temps grâce à une
respiration anaérobie fondée sur l’utilisation des constituants membranaires de l’hôte.
Pendant ce temps, les cellules des cryptes retrouvent leurs microvillosités. Vers midi, les
bactéries changent de métabolisme pour fermenter la chitine. Cette alternance permet
de réguler la taille des populations du symbiote, donc le QS, et de synchroniser l’en-
semble avec l’alternance jour-nuit.

A B

1
2

Figure 7.4 – Symbiose mutualiste « lumineuse » Euprymna scolopes - Aliivibrio


fischeri (D’après M.J. McFall-Ngai, 2014)
A. Dissection ventrale de l’animal adulte. B. Section frontale d’un des lobes, avec les
trois cryptes (1, 2, 3) qui hébergent l’endosymbiote.

b. Mutualisme et mobilité : le tréponème et le protiste


Mixotricha paradoxa
Retournons maintenant dans l’intestin des termites pour étudier la mobilité du protiste
flagellé M. paradoxa. Cet endosymbiote du termite australien Mastotermes darwiniensis
vit en association avec plusieurs espèces de Spirochètes. Bien que le protozoaire possède
des flagelles, il ne les utilise pas pour sa locomotion mais plutôt comme gouvernail.
Ce sont les Spirochètes, du genre Treponema, qui assurent ses déplacements. Environ
250 000 de ces Bactéries, de forme hélicoïdale, sont attachées à la surface du protozoaire
de manière polaire. Leur ondulation assure les déplacements de l’endosymbiote, ce qui
lui permet de s’alimenter et de se maintenir dans l’intestin du termite. Ces Bactéries sont
donc des ectosymbiotes mutualistes de l’endosymbiote flagellé.

c. Mutualisme, reproduction et résistance : Wolbachia et les


arthropodes
Les Bactéries du genre Wolbachia (des α-Proteobacteria de la famille des Anaplasma-
taceæ) sont des endosymbiotes intracellulaires très répandus chez les arthropodes (dans

168
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

plus de 40 % d’entre eux, et dans environ 60 % des espèces d’insectes). Ces Bactéries
peuvent être transmises de manière verticale ou horizontale. Elles sont surtout connues
pour leur rôle dans la manipulation de la reproduction chez les arthropodes, dont l’effet
varie selon les espèces d’insectes et les souches de Wolbachia. Au moins quatre modes de
manipulation sont connus. Les Wolbachia peuvent induire une parthénogenèse abou-
tissant à la féminisation de la population de l’hôte, entraîner la mort de la descendance
mâle des hôtes femelles infectées, ou la féminisation des mâles en inhibant la produc-
tion des hormones masculinisantes lors du développement. Enfin, certaines souches
de Wolbachia peuvent provoquer une incompatibilité cytoplasmique : une femelle non
infectée sera infertile si fécondée par un mâle infecté ; seules les femelles infectées pour-
ront donc se reproduire avec des mâles infectés. Dans tous les cas le sex-ratio de la
population penche en faveur des femelles, et particulièrement des femelles infectées.
L’ensemble de ces altérations favorise la propagation de Wolbachia dans les populations
d’arthropodes. L’infection par Wolbachia pourrait aussi augmenter la fécondité des
insectes infectés.
L’association particulière entre les insectes et Wolbachia se reflète dans l’existence
de nombreux échanges de gènes (TGH) entre les Wolbachia et leurs hôtes. Ce processus
semble atteindre son paroxysme chez la mouche des fruits Drosophila ananassæ, dont le
génome contient l’intégralité du génome de Wolbachia pipientis. S’agit-il de parasitisme
ou de mutualisme ? La question fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats. Toutefois,
il a récemment été établi que les infections par Wolbachia pouvaient conférer à certains
moustiques et certaines drosophiles une meilleure résistance à des virus à ARN, des
bactéries pathogènes ou encore Plasmodium, l’agent du paludisme. Il est même proposé
d’utiliser l’infection par Wolbachia pour lutter contre certaines maladies humaines
transmises par des moustiques de la famille des Aedes et provoquées par des virus à
ARN, telles que le Chikungunya ou la Dengue.

2 Le commensalisme
Les plantes et les animaux vivent en association avec une multitude de micro-organismes,
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tant Bactéries qu’Archées, Champignons et virus. La plupart des micro-organismes


concernés n’ont pas d’effet néfaste sur leur hôte. Apparemment plutôt neutres, ils tirent
parti de l’association en exploitant des nutriments ou des déchets produits par l’hôte.
Ils sont donc considérés comme des commensaux. Un être humain de 70 kg en héberge
environ 1013 (autant que le nombre de ses cellules somatiques), un simple calcul permet-
tant d’estimer que l’humanité dans sa globalité en accueille plus de 7 × 1022. Le côlon est
son organe le plus riche en microbes, avec de 1011 à 1012 cellules par cm3. La situation est
très similaire chez les plantes, avec en moyenne de 1011 à 1012 Bactéries par cm2 de feuille.
D’après des études de modélisation du couvert végétal attribuant à la surface foliaire
(faces inférieures et supérieures) deux fois celle des terres émergées, ceci correspondrait

169
Introduction à la microbiologie

à au moins 1026 Bactéries hébergées par la phyllosphère (partie aérienne des plantes).


L’ensemble des micro-organismes vivant en association stable avec un hôte constitue le
microbiote (autrefois appelé flore microbienne), l’entité fonctionnelle de l’hôte et de son
microbiote constituant l’holobionte.
Certains micro-organismes peuvent s’installer de manière stable sur ou dans leur
hôte, constituant le microbiote normal (ou flore normale). Très souvent le microbiote,
dans sa diversité ou dans sa globalité, joue un rôle bénéfique pour son hôte. Par consé-
quent, la limite entre commensalisme et mutualisme est très ténue et difficile à fixer.
Certains micro-organismes commensaux peuvent cependant s’avérer nuisibles s’ils
se retrouvent dans un site inhabituel de leur hôte : certaines souches d’E. coli vivant
normalement dans notre gros intestin, où elles sont inoffensives, peuvent provoquer des
infections (cystite, pneumonie) si elles gagnent d’autres organes (vessie ou poumons,
respectivement). Ces micro-organismes sont appelés pathogènes opportunistes.

2.1 Le microbiote humain


La caractérisation des microbiotes a connu des avancées majeures ces dix dernières
années grâce au développement de nouvelles techniques de séquençage et d’analyse
génomiques$. La métagénomique (y compris fonctionnelle) a permis de définir l’en-
semble des gènes d’un microbiote : le microbiome. Initialement surtout consacrées à
l’étude du microbiote humain intestinal, des études portent actuellement sur d’autres
sites du corps humain, sur le développement du microbiome au cours de la croissance,
et sur la comparaison des microbiomes d’individus sains et malades.
L’état actuel de nos connaissances du microbiote humain repose sur l’analyse d’en-
viron 2 000 individus provenant majoritairement des États-Unis, d’Europe et de Chine,
dont la majorité était en bonne santé, et une minorité présentait des pathologies (diabète,
maladies chroniques de l’intestin). Ces études ont principalement porté sur le tractus
intestinal mais d’autres habitats (la peau, la bouche, le vagin) ont été analysés. Il ressort
de ces travaux les points majeurs suivants (voir Figure 7.5) :
– Il existe une très grande variabilité entre individus. Ainsi, sur les mille à mille cent
cinquante espèces bactériennes globalement trouvées dans l’intestin de l’ensemble
des échantillons, chacun n’en portait qu’environ cent soixante. Bien qu’il soit donc
difficile de définir un microbiote intestinal type, il semble que deux phyla dominent
cette flore : les Bacteroidetes et les Firmicutes, dont au moins neuf familles princi-
pales ont pu être identifiées chez les individus en bonne santé. Le microbiote varie
aussi au cours du temps chez un individu.
– Chez les adultes la diète, l’origine géographique ou certains caractères génétiques
peuvent jouer un rôle dans la composition de ces communautés, mais sans impact
majeur. Chez les très jeunes enfants, en revanche, les facteurs influençant sa dynamique
de développement sont très importants pour la mise en place d’un microbiote « sain ».
– Malgré les limites des études portant sur d’autres habitats, il semble qu’il existe plus
de similitude des communautés bactériennes par type d’habitat qu’entre habitats

170
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

différents chez un même individu. Le microbiote de la bouche, aussi complexe


que celui de l’intestin, semble dominé par des espèces du genre Streptococcus. La
peau héberge principalement trois groupes bactériens, avec des différences notables
entre régions sèches, humides ou sébacées. La flore vaginale semble beaucoup plus
structurée, avec cinq communautés types reflétant en partie l’origine ethnique, et
influencée le cas échéant par la grossesse. Dans l’intestin, la présence de symbiotes
tels que Bacteroides, Clostridium, Lactobacillus, Bifidobacterium et Faecalibacterium
prauznitzii favorise un état de bonne santé. En effet, ces Bactéries sont capables de
dégrader des glucides non digestibles par l’Homme, produisant des acides gras à
chaînes courtes, qui constituent une source d’énergie importante pour l’hôte. Ce
sont des immuno-modulateurs (inhibant les pathogènes communs) qui pourraient
posséder des propriétés anti-tumorales.
– Il semble possible d’identifier des voies métaboliques spécifiques conservées au
niveau des différents sites chez les personnes en bonne santé. Il s’agit bien sûr de
fonctions de ménage indispensables à la survie des micro-organismes (voir Cha-
pitres 4 et 6), mais aussi de fonctions spécifiques de chacun des sites. Au niveau de
l’intestin ces fonctions comprennent la dégradation des glycosaminoglycanes, la
production de certains lipopolysaccharides, d’acides gras, de vitamines et d’acides
aminés essentiels. Toute perturbation du microbiote altérant ces fonctions peut
entraîner l’apparition de maladies intestinales (obésité, maladie de Crohn). Des
essais de transplantation fécale de microbiotes provenant d’individus sains admi-
nistrés à des patients atteints d’affections intestinales (comme la maladie de Crohn)
permettent un recul très notable des symptômes. Le microbiote, particulièrement
celui de l’intestin, joue donc un rôle essentiel dans l’état de bonne santé.
– Le microbiote joue probablement également un rôle important dans le développe-
ment normal ou l’éducation du système immunitaire. La surface de l’intestin, soit
environ 200 m2 (contre 2  m2 pour la peau), représente la plus grande surface du
corps humain en contact avec l’extérieur. Il n’est donc pas surprenant que le micro-
biote intestinal puisse avoir une influence sur notre immunité. Cela est vrai pour
la maturation normale du système immunitaire des enfants dès l’âge de 6  mois,
ce qui promeut la tolérance immunitaire, et par voie de conséquence l’atténuation
ou même la suppression de certaines maladies auto-immunes. Le microbiote peut
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également limiter le développement de pathogènes par un phénomène d’exclusion


de niche.
– Enfin, de manière plus surprenante, le microbiote pourrait avoir un rôle dans l’ap-
parition de certaines dépressions ou dans certaines formes d’autisme. L’intestin est
en effet en contact avec un très grand nombre de cellules nerveuses (on le qualifie
ainsi parfois de deuxième cerveau). La production d’acides gras à courtes chaînes
ou de neurotransmetteurs (le GABA, acide γ-aminobutirique, ou la sérotonine) par
certains éléments du microbiote pourrait influencer notre système nerveux central.
Des déséquilibres du microbiote pourraient alors modifier ce dialogue et favoriser
l’émergence de telles maladies.

171
Introduction à la microbiologie

A
Période prénatale Période postnatale

In utero Période néonatale 1ers stades maturation


Hypothèse stérilité Accouchement naturel Sevrage Puberté Âge adulte
Présence de microbes ? Microbiote vaginal Bifidobacterium
- Sperme Lactobacillus, Prevotella Maturation sexuelle Stabilisation du
- Placenta Faible diversité Prevotella, Sneathia Ruminococcus -Influence hormones microbiome
- Liquide Proteobacteria Accouchement césarienne Bacteroïdes (2 ans) sexuelles - Richesse
amniotique Microbiote peau -Populations - Complexification
Staphylococcus, microbiennes Bacteroïdes
Corynebacterium, Maturation système spécifiques du genre Firmicutes
Propionibacterium immunitaire -Établissement Grossesse
Allaitement au sein (6 mois) de variations liées - Influence des
Lactobacillus, au genre hormones sexuelles
Staphylococcus, Enterococcus Proteobacteria
Allaitement biberon Actinobacteria
Altération 1ers colonisateurs ?
Inhibe croissance Bacteroides?

Diversité microbienne et effectifs


B Taxonomie Fonctions
Intestin Peau Bouche
B : Bacteriodceae, Clostridiaceae, B : Propionibacterium, Dégradation des sucres simples
Prevotellaceae, Eubacteriaceae, Staphylococcus, Corynebacterium, Régulation du pH (réduction des nitrates,
Ruminococcaceae, Lactobacillaceae, Moraxella désamination de l’arginine)
Enterobacteriaceae. C : Malassezia
C : Saccharomycetaceae
A : Methanobacteriaceae Peau
Biosynthèse de vitamine D
Bouche Vagin
B : Streptococccus, Rothia, B : Lactobacillus, Gardnerella, Intestin
Neisseria, Veillonella, Mycoplasma/Ureoplasma Production d’acides gras à chaînes courtes par
Actinomyces fermentation des glucides
C : Candida Dégradation du glycosaminoglycane

Figure 7.5 – Le microbiote/microbiome humain


A. Évolution du microbiote intestinal au cours du développement humain (d’après
P. Kundu  et al., 2017 et V.N. Vemuri  et al., 2018). L’embryon est probablement
stérile. Toutefois, des microbes ont été isolés dans le sperme, le placenta ou le
liquide amniotique. Un accouchement par les voies naturelles permet l’installation
et la structuration d’un microbiote sain, tandis qu’une naissance par césarienne
favorise l’implantation de pathogènes opportunistes qui persistent au cours du
temps, augmentant les taux d’infection. De même, l’allaitement maternel favorise
certaines espèces (Bifidobacterium ou Bacteroides) capables d’utiliser les oligosac-
charides du lait humain, ce qui permet une structuration du microbiote qui autre-
ment se réalise au hasard. Le sevrage entraîne une complexification du microbiote,
ce qui semble aussi s’accompagner d’une maturation du système immunitaire.
Lors de la puberté, les hormones sexuelles introduisent des nouvelles propriétés
liées au genre qui ont un impact sur la spécificité du microbiote. À l’âge adulte,
le microbiote se complexifie et un microbiome « de base » se constitue. Celui-ci
réduit notre vulnérabilité aux changements internes ou externes. B. Un microbiote
sain  : taxa trouvés au niveau de différents sites du corps d’individus en bonne
santé (d’après J. Lloyd-Price et al., 2016). Chaque site montre un enrichissement
notable de certains taxa (B : Bactéries ; C : Champignons ; A : Archées). Les études
métagénomiques ont permis de dégager des fonctions typiques et spécifiques de
différents habitats d’individus en bonne santé.

172
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

L’étude systématique à très grande échelle du microbiote humain n’en est vraiment
qu’à ses débuts. Des avancées fascinantes devraient voir le jour très prochainement.
L’utilisation d’animaux modèles (la souris ou le poisson zèbre) devrait également
permettre de mieux comprendre les implications du (des) microbiote(s) dans la santé,
en particulier humaine.

2.2 Le microbiote végétal


Une plante peut être schématiquement décomposée en deux parties externes, la phyl-
losphère (parties aériennes) et la rhizosphère (parties du sol fermement attachées aux
racines). L’endosphère définit les parties intérieures des plantes. La microflore du sol
est extrêmement riche. Il existe en général une convergence entre les taxons de micro-
organismes présents dans la phyllosphère et la rhizosphère, mais certains taxons sont
spécifiques de l’une ou l’autre zone. Chaque espèce végétale a-t-elle un microbiote
particulier, ou celui-ci dépend-il de leurs conditions de croissance ? Le microbiote
peut-il jouer un rôle dans la santé des plantes et dans leur résistance aux maladies ? Les
questions concernant le microbiote végétal sont analogues à celles adressées à celui de
l’Homme : existe-t-il des micro-organismes spécifiquement adaptés aux différents sites
des plantes (feuilles, racines) ?

Phyllosphère

e
d

c a
Rhizosphère b

Biodiversité
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Sol

Figure 7.6 – Le microbiote végétal (d’après D.B. Müller et al., 2016)


Des micro-organismes du sol peuvent vivre à la surface des racines (b), des feuilles et
des tiges (d, e) (organismes épiphytes). Certains, dits endophytes (c) sont capables de
s’immiscer et de vivre à l’intérieur des tissus de la plante (rhizosphère ou phyllosphère).

L’émergence des méthodes de génomique a permis d’aborder ces questions chez


plusieurs espèces végétales, dont la plante modèle Arabidopsis thaliana, différentes
espèces d’arbres ou de plantes d’intérêt agronomique (orge, maïs, vigne, laitue, pomme

173
Introduction à la microbiologie

de terre, tomate, canne à sucre, soja, riz). Les Bactéries sont très abondantes dans les
communautés associées aux plantes, mais d’autres micro-organismes (algues, proto-
zoaires), des nématodes et même des virus sont présents. Seules quelques règles générales
peuvent être déduites de ces études, du fait qu’elles ont été réalisées dans des conditions
très différentes et suivant des protocoles très variés.
Quelques phylums semblent dominer la flore bactérienne associée aux plantes :
des Proteobacteria, Actinobacteria et Bacteroidetes, et dans une moindre mesure des
Firmicutes. La composition des microbiotes de la rhizosphère et de l’endosphère, chez
Arabidopsis et le riz, diffère de celle du sol environnant, avec une tendance à un appau-
vrissement du sol vers la rhizosphère puis l’endosphère, le site le plus pauvre en taxons.
La plante influencerait donc la composition de son microbiote. Chez Arabidopsis, de
manière intéressante, les microbiotes des feuilles et des racines montrent de fortes simi-
litudes. Il semble que la nature du sol et les conditions climatiques puissent également
influencer la composition des microbiotes végétaux. Le microbiote semble influer sur son
hôte en jouant un rôle dans sa résistance à différents stress abiotiques, tels que séche-
resse, inondations, fortes teneurs en sel, ou contaminations par des métaux lourds, son
développement en augmentant la part de nutriments accessibles dans le sol (phosphore,
fer), ou en modifiant son architecture racinaire. Comme c’est le cas chez l’Homme, il
peut protéger les plantes contre les attaques par des pathogènes, selon plusieurs méca-
nismes : une compétition pour la niche ou les nutriments, la production d’antibiotiques
ou d’enzymes dégradatives, l’inhibition de la virulence. Certains microbiotes, ou des
Bactéries contenues dans ceux-ci, peuvent activer des voies de défenses des plantes,
cette activité étant elle-même indispensable au développement normal du microbiote.
Le défi consiste maintenant à mieux comprendre ces relations plantes-microbiote(s),
pour améliorer la croissance et la production des plantes d’intérêt agricole, ainsi que
leur résistance aux maladies.

2.3 Algues rouges, makis et évolution du microbiote humain


Notre diète peut influencer le développement de notre microbiote, particulièrement
durant les premiers mois de notre vie. Le microbiote du monde végétal, au sens large,
peut-il influencer l’évolution du microbiote des animaux qui les ingèrent ? La Bactérie
marine Zobellia galactanivorans, qui s’associe à une algue rouge du genre Porphyra, peut
fournir une réponse à cette question. Z. galactanivorans possède une enzyme unique,
appelée porphyranase, capable de dégrader de manière spécifique le porphyrane, un
polymère de sucre présent dans la paroi des Porphyra. Ces algues rouges, aussi appelées
algues nori, sont utilisées depuis plusieurs siècles au Japon pour entourer le riz des
makizuschi (appelés maki en Europe). Elles revêtent une grande importance culturelle,
pouvant servir de cadeau ou de valeur de paiement de taxes. Une étude métagénomique
comparant les microbiotes intestinaux de treize Japonais et dix-huit Nord-Américains
a montré que la porphyranase est présente dans le microbiote des premiers et absente
dans celui des seconds. Une grande partie du locus génomique de Z. galactanivorans

174
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

permettant de dégrader et d’exploiter le porphyrane est conservée chez les souches de


Bacteroides plebeius présentes dans l’intestin des Japonais. Est-ce que la longue expo-
sition des Japonais aux algues nori et à leur microbiote aurait permis le transfert (par
TGH) de ce locus à leur flore intestinale ?

3 Le parasitisme
Le parasitisme est une symbiose dont l’un des partenaires tire parti au détriment du
second. Si des modifications physiologiques et/ou développementales de l’organisme
atteint sont provoquées par un micro-organisme parasite ou ses produits (toxines) on
parlera de maladie infectieuse. Notons que le terme infection s’applique non seulement
aux maladies provoquées par des micro-organismes parasites, dits pathogènes, mais
aussi à des associations avec des micro-organismes mutualistes tels que les rhizobiums
ou A. fischeri.

3.1 Les épidémies – Conséquences sociétales et étiologie


Bien que rares, les maladies infectieuses ont la caractéristique de se propager rapidement
à l’intérieur d’une population, provoquant une épidémie, et même une pandémie si
l’épidémie se développe chez un grand nombre de personnes sur une zone géographique
pouvant couvrir un ou plusieurs continents. Au cours des siècles des épidémies dévas-
tatrices ont fortement impacté le développement de nos sociétés et notre imaginaire
collectif. L’épidémie de peste noire qui a sévi en Europe au Moyen Âge (en fait une
pandémie), la grande famine qu’a connue l’Irlande au xixe siècle suite à l’infection des
pommes de terre, ou beaucoup plus proches (2011 en Europe), l’épidémie du syndrome
hémolytique et urémique et le syndrome du déclin rapide de l’olivier en sont des
exemples frappants.
La lutte contre les maladies infectieuses repose sur un large éventail de mesures,
allant de la prophylaxie (processus destiné à prévenir l’apparition, la propagation ou
l’aggravation d’une maladie) aux recherches visant à caractériser les bases moléculaires
permettant aux pathogènes d’infecter leur hôte. L’étiologie permet d’identifier l’agent
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causal d’une maladie. Parallèlement il est important d’en analyser la pathogénie, les
processus conduisant au développement de la maladie. Les maladies infectieuses sont
naturellement heureusement assez exceptionnelles, reflétant d’une part un équilibre
entre le pouvoir pathogène d’un organisme et les mécanismes de défenses de l’hôte
(animaux et plantes) (immunité), et d’autre part le fait que seul un très petit nombre de
Bactéries (quelques centaines d’espèces), aucune Archée, et seuls quelques protistes, sont
pathogènes (voir Chapitre 1). Les personnes immunodéprimées sont plus sensibles aux
agents pathogènes et pourront même être infectées par des agents pathogènes oppor-
tunistes, normalement incapables d’infecter des hôtes sains.

175
Introduction à la microbiologie

Parallèlement, les différentes souches d’un agent pathogène peuvent montrer des
degrés variés de virulence. Ce sont L. Pasteur et R. Koch qui ont établi au xixe siècle les
bases de la microbiologie médicale moderne (Fiche Introduction). L. Pasteur a démontré
le rôle des « germes » dans les modifications de la matière organique. Les travaux de
R. Koch sur l’anthrax, une maladie du bétail qui peut atteindre l’Homme, ont montré
pour la première fois qu’une maladie infectieuse pouvait être provoquée par une Bactérie,
dans ce cas Bacillus anthracis. R. Koch a aussi identifié Mycobacterium tuberculosis
comme l’agent responsable de la tuberculose (1882). Cette maladie est aujourd’hui encore
la première cause mondiale de décès due à un agent infectieux unique (10,4 millions de
cas en 2016 avec plus d’un million de morts, dont respectivement 5 000 et environ 500
en France), devant le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). Ces travaux ont
amené R. Koch à développer un protocole expérimental, le postulat de Koch, qui fait
encore référence en étiologie, utilisé pour déterminer la nature microbienne de l’agent
causal d’une maladie :
– L’agent soupçonné doit être trouvé chez tous les individus atteints.
– Cet agent doit pouvoir être isolé et purifié à partir d’un organisme malade.
– Son injection à un organisme sain sensible (animal ou plante), doit déclencher la
même maladie.
– Il faut pouvoir réidentifier le micro-organisme injecté chez l’organisme malade ino-
culé expérimentalement. Ce postulat n’est pas applicable tel quel dans tous les cas,
par exemple si l’agent pathogène n’est pas cultivable in vitro (comme Mycobacte-
rium lepræ, l’agent de la lèpre). La disponibilité de méthodes moléculaires a depuis
permis de caractériser (et d’identifier) de tels pathogènes, et des virus.
Deux autres évolutions constituent des préoccupations majeures actuelles en santé
humaine. L’apparition de souches bactériennes multirésistantes aux antibiotiques. C’est
le cas de M. tuberculosis : bien que les traitements actuels permettent de soigner plus de
86 % des cas, l’OMS a déclaré en 2016 490 000 nouvelles infections dues à des souches
multirésistantes, qui se sont traduites par le décès d’environ 200 000 personnes. L’autre
problème concerne les infections nosocomiales, c’est-à-dire les infections contractées
à l’hôpital. En France leur prévalence s’élève à environ 5 % des patients hospitalisés,
entraînant environ 4 000 décès par an. Les plus fréquentes sont des infections urinaires,
des pneumonies, des infections du site opératoire et des infections généralisées (septi-
cémies, bactérémies). Les principaux agents responsables de ces infections sont des
pathogènes opportunistes comme E. coli, Staphylococcus aureus, Enterococcus faecalis
ou Pseudomonas aeruginosa. Ces infections peuvent s’expliquer par l’intégration de
plusieurs facteurs :
– l’état d’affaiblissement des patients hospitalisés ;
– la réunion de personnes malades ;
– la présence et l’évolution de micro-organismes dans le milieu hospitalier ;
– la présence de chaînes de transmission en milieu hospitalier (personnels, maté-
riels, etc.).

176
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

3.2 Réservoirs, transmission et cycles infectieux


La caractérisation du cycle infectieux d’un pathogène consiste à identifier les différentes
étapes de sa reproduction, soit la ou les sources de sa provenance, et les moyens lui
permettant d’infecter son hôte (voir Figure 7. 7).

Transmission
Aérosols
Contact direct ou indirect
Vection passive ou active

Adhésion

Résistance aux défenses

Réservoir / Source
Invasion des cellules

Colonisation Hôte

Acquisition nutriments

Altération ou modification des fonctions de l’hôte


Sortie

Maladie / Mutualisme

Figure 7.7 – Schéma du cycle infectieux de micro-organismes parasites ou


mutualistes

L’étude du mécanisme pathogénique a connu un essor extraordinaire dès les


années 1980 grâce aux développements en biologie et microbiologie cellulaires et
moléculaires, couplées aux approches génétiques et biochimiques (construction de
mutants, clonage de régions génomiques, etc.)$. Elles ont permis d’identifier chez les
agents pathogènes des gènes contrôlant les interactions avec leur hôte. L’infection de
cellules, animales ou humaines, en culture a permis d’étudier de manière très fine
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

certaines étapes clefs de la pathogénie, comme l’entrée dans les cellules de l’hôte pour les
pathogènes intracellulaires, ou l’induction de l’apoptose de certaines cellules de l’hôte.
L’utilisation de cette « biologie cellulaire ex vivo » animale permet de mener des études à
grande échelle sans sacrifice d’animaux de laboratoire. En phytopathologie, la biologie
cellulaire a joué un rôle moins important à cette période. Les travaux ont souvent débuté
par la construction de banques de mutants d’agents pathogènes destinées à isoler des
variants incapables de provoquer la maladie chez les plantes hôtes, ces dernières étant
cultivées en grand nombre en serre ou en chambres de culture. Les gènes mutés ont
ainsi pu être identifiés, et la fonction de nombre d’entre eux déterminée (années 1990),
permettant de dessiner une image très fine des interactions. Les progrès en microscopie,

177
Introduction à la microbiologie

notamment en microscopie confocale, ont été déterminants pour comprendre la fonc-


tion des composants du pouvoir pathogène. L’identification des cibles de ces composants
chez l’hôte a ensuite permis de comprendre leur effet, et d’en construire une vision plus
intégrée. Aujourd’hui, en menant ces approches à grande échelle, la génomique compa-
rative permet d’étudier l’évolution du pouvoir pathogène, en comparant les génomes
d’espèces pathogènes avec ceux d’espèces proches, pathogènes ou non, présentant des
spécificités différentes.
Les sources de pathogènes, qui constituent leur réservoir, sont très diverses. Il peut
s’agir d’organismes vivants (Homme, animaux domestiques ou sauvages, plantes, etc.),
incluant les organismes malades mais aussi des porteurs sains qui hébergent l’agent
pathogène sans développer la maladie (telles les graines germées de Fenugrec). Les mala-
dies transmises à l’Homme par des animaux sont appelées zoonoses. Parmi les sources
abiotiques, dans lesquelles le pathogène vit ou survit, figurent l’eau, le sol, divers objets
ou les aliments.
La transmission du réservoir à l’hôte peut s’opérer directement d’hôte infecté à
hôte sain, par contact direct (toucher, baiser, acte sexuel, etc.) ou indirect par l’inter-
médiaire d’un objet (mouchoir, verre, etc.), d’eau contaminée ou suite aux pratiques
médicales (transfusions, cathéters…), ou par le biais de pratiques culturales pour les
plantes (taille, élagage, arrosage, etc.). La transmission peut également se faire à courte
distance, par des gouttelettes de mucus (aérosols) émises par les individus infectés
(toux, éternuements). Des vecteurs peuvent être impliqués. Il s’agit de vection active
si le vecteur est un organisme vivant infecté par l’agent pathogène. Citons le cas de
Yersinia pestis transmise à l’Homme par la puce du rat (Xenopsylla cheopis), ou de
Xylella fastidiosa transmise d’oliviers malades à oliviers sains par Philaenus spuma-
rius. La vection est passive si le vecteur ne fait que transporter l’agent pathogène : une
mouche peut transporter un agent pathogène sur ses pattes ou son abdomen après
un passage sur des fèces contaminées, et le déposer ensuite sur un aliment qui sera
consommé.
Une fois sur ou dans l’hôte, plusieurs étapes vont se dérouler avant que n’appa-
raissent les symptômes de la maladie. Leur ordre chronologique est variable d’un agent
pathogène à un autre, et certaines étapes peuvent même être facultatives. Dans la plupart
des cas, le pathogène doit adhérer aux cellules de l’hôte. Il doit ensuite échapper ou
contourner ses mécanismes de défense, envahir un tissu, y demeurer et éventuellement
s’y multiplier (colonisation). Pour ce faire, il devra être capable d’acquérir chez l’hôte ses
nutriments spécifiques. Certains agents pathogènes d’animaux, dits agents pathogènes
intracellulaires, doivent pénétrer à l’intérieur des cellules de l’hôte. Enfin, les activités
et/ou la reproduction du pathogène pourront entraîner une altération des fonctions de
l’hôte, aboutissant à l’apparition de la maladie. Enfin, les pathogènes libérés doivent
regagner leur réservoir, infecter de nouveaux vecteurs ou contaminer d’autres hôtes.
Les symbiotes mutualistes passent par des étapes très similaires ; la notion de cycle
infectieux ne concerne donc pas que les agents pathogènes mais aussi de nombreux
micro-organismes mutualistes.

178
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

Trois cas, Yersinia, Listeria monocytogenes et Pseudomonas syringæ, illustrent la


variété des différents aspects de ces cycles.

a. Yersinia
Le genre Yersinia, une Bactérie à Gram– pathogène pour l’Homme, compte dix-
sept espèces, dont trois pathogènes. Y. pestis, l’agent de la peste pour l’Homme, a pour
réservoir principal les rongeurs, en particulier le rat noir Rattus rattus. La Bactérie
peut survivre dans les terriers de ces rongeurs et être transmise à l’Homme par la puce
Xenopsylla cheopis (vecteur) du rat (voir Figure 7.8). Après morsure d’un rongeur conta-
miné par une puce, les bactéries récupérées par l’insecte forment un biofilm au niveau
de la valve entre son œsophage et son intestin moyen. Ce biofilm bloque le flux de sang
prélevé par celle-ci lors de son alimentation, ce qui l’affame et la rend plus agressive et
capable de s’en prendre aux humains. Lorsqu’elle mord un humain, la puce infectée
régurgite le sang et une grande quantité de bactéries au niveau du derme (inoculation
sous-cutanée). Les Bactéries, qui ne sont pas tuées par les macrophages humains, vont

Yersinia enterocolitica

Poumons
Porc Absorption orale Gouttelettes
Yersinia pseudotuberculosis Peste pulmonaire

Sang

Légumes Ganglions
lymphatiques
Cellule M / intestin grêle
Yersinia Peste bubonique
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Plaque de Ganglion Yersinia pestis


Peyer Morsure par
Macrophage lymphatique puce infectée

Ganglions lymphatiques
mésentériques
Puce
Infection localisée
Yersiniose
(foie/rate) Rongeur

Figure 7.8 – Cycles infectieux et pathogénie des espèces de Yersinia


pathogènes pour l’Homme (D’après A.K. Heroven et P. Dersch, 2014 ;
P. Sansonetti, 2001)

179
Introduction à la microbiologie

être transportées jusqu’aux ganglions lymphatiques, où elles se multiplient et forment


des bubons (peste bubonique). La létalité de cette pathogénie est de l’ordre de 50 % en
absence de traitement. Dans certains cas, Y. pestis se dissémine dans le flux sanguin,
entraînant des septicémies fatales, et dans de très rares cas gagne les poumons (peste
pulmonaire). Les Bactéries peuvent aussi arriver dans les poumons directement par
inhalation de poussière de terrier contaminé ou via des gouttelettes émises par des
individus ayant déjà développé une peste pulmonaire. Cette forme est létale dans 90 %
des cas, la mort intervenant de vingt-quatre à soixante-douze heures après l’inhalation.
Yersinia enterocolitica et Yersinia pseudotuberculosis, des entérobactéries provoquant
des maladies intestinales (entérites, diarrhées, adénites mésentériques) communément
appelées yersinioses, affectent principalement les animaux. Leurs réservoirs sont très
variés (eaux souterraines, sol, plantes, insectes, animaux sauvages ou domestiques).
Ces deux pathogènes sont transmis par voie oro-fécale, Y. enterolitica principalement
par de la viande de porc crue ou mal cuite, et Y. pseudotuberculosis par des légumes
et des laitues (voir Figure 7.8). Ces deux Bactéries franchissent la barrière intestinale,
envahissent ensuite les ganglions lymphatiques mésentériques et éventuellement le foie
et la rate, provoquant des maladies différentes, beaucoup moins graves que la peste. Elles
présentent néanmoins un tropisme marqué pour le tissu lymphoïde, comme Y. pestis, ce
qui en fait des modèles d’étude pour analyser le développement de la peste.

b. Listeria monocytogenes
Listeria monocytogenes, l’agent étiologique de la listériose, une Bactérie à Gram
positif, se trouve communément dans le sol, l’eau et les détritus, mais peut également
être isolée de divers aliments (lait, fromages à pâte molle, sandwiches, plats cuisinés,
fruits et légumes frais). Elle est capable de croître à la température du réfrigérateur sur
les aliments en conservation. Elle infecte de nombreux animaux (oiseaux, ruminants,
rongeurs). C’est un pathogène opportuniste de l’Homme, qui se développe principale-
ment chez les personnes immunodéprimées, les personnes âgées, les femmes enceintes,
leur fœtus et les nouveau-nés. Bien que le nombre d’infections annuelles soit relati-
vement faible (~23 000), la mortalité est très élevée (20 à 30 %), ce qui en fait un des
pathogènes très préoccupants pour l’industrie agroalimentaire. Après ingestion, la
Bactérie gagne l’épithélium intestinal par phagocytose, traverse la barrière intestinale et
gagne ses organes cibles (foie et rate) via la lymphe ou le flux sanguin. L. monocytogenes
peut traverser la barrière hémato-encéphalique chez les personnes immunodéprimées,
provoquant des méningites, et la barrière fœto-placentaire chez les femmes enceintes,
provoquant des avortements, des accouchements prématurés et/ou des septicémies chez
les nouveau-nés (voir Figure 7.9).

c. Pseudomonas syringæ
Pseudomonas syringæ, Bactérie phytopathogène à Gram − , provoque des maladies
(nécroses, taches, chancres) sur les feuilles, les tiges, les gousses ou les fruits des végétaux.

180
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

Aliments contaminés par


Listeria monocytogenes

Absorption orale Absorption orale

Cellules épithéliales intestin


L. monocytogenes

Lamina
propia

Lymphe
Sang

Rate
Foie

Barrière fœto-placentaire
Barrière hémato-céphalique

Figure 7.9 – Cycle infectieux de Listeria monocytogenes (D’après L. Radoshevich


et P. Cossart, 2018)

Les souches sont classées en pathovar (pv.) sur la base des plantes hôtes sur lesquelles
elles ont été isolées et pour lesquelles elles sont pathogènes (P. syringæ pv. tomato infecte
la tomate, P. syringæ pv. phaseolicola le haricot commun, Phaseolus vulgaris L). Cette
Bactérie épiphyte est fréquente à la surface des feuilles de plantes sauvages (de 102 à 104
bactéries par cm2), mais également dans les rivières, les lacs et les eaux souterraines des
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zones tempérées (jusqu’à environ mille bactéries.L −1), les nuages, les précipitations et
les aérosols surmontant la canopée, dans le manteau neigeux des régions alpines et les
litières végétales immédiatement inférieures. Il a été proposé que son cycle de vie soit
intimement lié à celui de l’eau : grâce à une protéine présente à sa surface qui favorise la
formation de cristaux, elle possède une activité de nucléation de la glace à des tempéra-
tures de l’ordre de −2 à −8 °C, auxquelles la glace ne se forme pas seule. Cette capacité
pourrait intervenir dans le déclenchement de précipitations qui permettraient le retour
des bactéries à la surface des feuilles hôtes, dans lesquelles elles doivent pénétrer pour
accomplir leur cycle infectieux (Fig 7.10).

181
Introduction à la microbiologie

Manteau
neigeux

Ruisseau
Lac Canal
Eau souterraine d’irrigation b
stomate Pseudomonas syringae

Figure 7.10 – Infection d’une plante par Pseudomonas syringæ (D’après C.E.
Morris et al., 2013)
A. Cycle de transmission et cycle de l’eau (les flèches indiquent les mouvements
des bactéries). B. Feuille en coupe infectée par P. syringæ. (a) Les Bactéries peuvent
entrer dans les plantes à la faveur de blessures naturelles ou provoquées par leur
activité de nucléation de la glace  ; (b) Certains pathovars peuvent induire l’ouver-
ture des stomates grâce à une toxine, la coronatine, qui, en mimant une hormone
végétale (le jasmonate) entraîne l’ouverture des stomates, des pores présents à la
surface des feuilles impliqués dans les échanges gazeux, par lesquels les bactéries
vont entrer. À l’intérieur des feuilles, les bactéries présentes dans l’apoplaste (espace
entre les cellules végétales) s’y multiplient, provoquant les symptômes de la maladie.

3.3 Adhérence/entrée dans les cellules hôtes


L’attachement de Bactéries pathogènes à leurs cellules hôtes est souvent une étape déter-
minante, et le premier échange moléculaire initiant les étapes suivantes du processus
infectieux. Cette étape ancre de manière stable le pathogène à son hôte, et lui permet
ainsi de résister à une élimination mécanique. De nombreuses protéines bactériennes,
des adhésines, participent à cet attachement, sous forme monomérique ou polymérique,
formant alors des structures, les pili ou fimbriæ (voir Chapitre 1). En général, les patho-
gènes produisent plusieurs adhésines, chacune ayant une spécificité leur permettant
de se lier à des molécules particulières de l’hôte. Certaines adhésines peuvent même
promouvoir l’entrée des bactéries à l’intérieur des cellules de l’hôte. Les Yersinia patho-
gènes de l’Homme produisent au moins sept adhésines, toutes n’étant pas présentes
ou actives chez les trois souches pathogènes, et certaines pouvant avoir des fonctions
supplémentaires. L. monocytogenes peut être internalisée dans les cellules de l’hôte par
l’intermédiaire d’adhésines, permettant son entrée dans des entérocytes et des cellules
en gobelet, des cellules hépatiques ou le placenta. L’absorption peut être opérée par des
cellules non phagocytaires, l’une des caractéristiques de l’infection par cette Bactérie.
Plusieurs molécules (exopolysaccharides, pili de type IV, hémagglutinines filamen-
teuses) favorisant l’attachement de P. syringæ peuvent être impliquées à la fois dans
leur adhérence aux cellules végétales et dans la formation de biofilms bactériens (voir
Chapitre 6).

182
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

3.4 Contournement des défenses


L’immunité innée constitue l’une des premières lignes de défense chez les animaux et les
plantes. Le déclenchement de cette réponse immunitaire est fondé sur la reconnaissance
de molécules diverses (dites PAMP, Pathogen-Associated Molecular Pattern, ou MAMP,
Microbial-Associated Molecular Pattern) spécifiques des micro-organismes, y compris
les pathogènes, dont elles ne sont pas forcément spécifiques. Dans le monde bacté-
rien il s’agit de molécules telles que les lipopolysaccharides, le peptidoglycane, l’acide
teichoïque, l’ADN CpG, ou des fragments de la flagelline du flagelle (voir Chapitre 1). Les
mêmes molécules déclenchent l’immunité innée chez les animaux et chez les plantes.
Les PAMP sont reconnus par des récepteurs spécifiques, dits PRR (Pattern Recognition
Receptors).
Chez les vertébrés, les PRR peuvent être associés aux membranes des macrophages
(récepteurs TLR de type Toll), insérés dans la membrane plasmique ou dans celle des
endosomes, ou solubles (récepteurs de type NOD (Nucleotide Oligomerisation Domain
Receptors), localisés dans le cytoplasme). L’activation de ces récepteurs enclenche une
réaction pro-inflammatoire qui se traduit notamment par la synthèse de cytokines
(interleukines, facteurs de nécrose).
Les plantes n’ont pas de système d’immunité adaptative. Leur défense contre les
micro-organismes repose en partie sur une immunité innée qui se joue à deux niveaux.
Le premier, appelé PTI (PAMP-Triggered Immunity), fondé sur la reconnaissance des
PAMP par des récepteurs PRR, se traduit par une réponse permettant de limiter la
croissance des micro-organismes. Le deuxième niveau de défense, spécifiquement
induit par les agents pathogènes, dépend de récepteurs appartenant principalement à la
famille NOD, capables de détecter l’activité des pathogènes (voir Figure 7.2). Ce niveau
de défense, ETI (Effector-Triggered Immunity), se traduit par une réponse très forte
caractérisée en particulier par une apoptose rapide des cellules infectées, ou réponse
hypersensible (HR), qui est associée à la résistance aux pathogènes. Les plantes résis-
tantes peuvent être des non-hôtes (par exemple le tabac pour P. syringæ pv. tomato)
ou un hôte devenu résistant (par exemple la souche DC3000 de P. syringæ pv. tomato
provoque la maladie sur la variété de tomate 76S, un hôte sensible, mais pas sur la variété
76R, résistante). Il semble donc qu’il y ait une véritable course aux armements entre le
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pathogène et le déploiement des systèmes de garde mis en place par les plantes, reflétant
une co-évolution continuelle entre les agents pathogènes et leurs hôtes.
Le LPS, PAMP des trois souches de Yersinia pathogènes pour l’Homme, est diffé-
rent et moins immunogène quand il est produit à 37 °C (hôte mammifère) qu’à 26 °C.
Cette capacité permet à la Bactérie d’être moins facilement détectée par l’immunité
innée de l’hôte. Par ailleurs, ces trois souches ne déclenchent pas la production de cyto-
kines lors d’infection de macrophages en culture, et inhibent la phagocytose. En outre,
elles partagent plusieurs caractéristiques liées à la présence d’un plasmide, pYV, dont
une incapacité de croissance à 37 °C en milieu pauvre en calcium et la production de
longs filaments composés de huit protéines Yop (Yersinia Out Proteins) sécrétées dans
le milieu.

183
Introduction à la microbiologie

L’appareil de sécrétion, formé par les protéines Ysc et Lcr, codées par pYV, dit de type
III (SST3), diffère des systèmes de types I et II caractérisés jusqu’alors (voir Chapitre 3)
(voir Figure 7.11). L’analyse fonctionnelle de SST3 a permis d’établir la relation entre
sécrétion des protéines Yop et inhibition de la production des cytokines et de l’acti-
vité anti-phagocytaire. La découverte du rôle de SST3 dans l’injection (translocation)
de certaines protéines Yop à l’intérieur des cellules animales représente une avancée
conceptuelle majeure en pathologie, puisqu’elle montre que des agents pathogènes non
intracellulaires peuvent « agir » à l’intérieur des cellules hôtes grâce à ces systèmes
d’injection. Le SST3 de Yersinia est devenu le paradigme de ces systèmes. Il comprend
une aiguille creuse à l’intérieur de laquelle les effecteurs Yop transitent, dont la longueur
est finement régulée pour être compatible avec l’espace existant entre les Bactéries et les
cellules hôtes, espace déterminé par les systèmes d’attachement. L’aiguille se termine
par une structure, dite translocon, qui crée un pore dans la membrane plasmique des
cellules hôte (voir Figure 7.11). L’analyse des protéines Yop, encore en cours, a permis
de montrer leur fonction d’effecteurs (voir Chapitre 6) actifs sur plusieurs fonctions
de l’hôte  : quatre protéines Yop altèrent l’activité du cytosquelette, inhibant ainsi

Cytoplasme Cytoplasme
cellule végétale cellule hôte

Translocon Membrane
HrpK1 Membrane
cellule hôte
Filament Coiffe
YopBD Translocon
Paroi
LcrV FliC
HrpA

YscF

FliD
Pilus Aiguille
Espace Espace FlgE Crochet
extracellulaire extracellulaire Espace extracellulaire
FlgH Membrane externe
HrcC YscC
FlgI

HrpB YscI FlgBCF


HrcRS HrcJ YscRS YscJ YscD FliPQT FliF
HrcD FliG Membrane interne
TU TU FlhB
HrcV Ys cV YscQ Fl hA FliMN
HrcQ

Cytoplasme
HrcN YscN FliI
HrpO YscO
Effecteur FliJ
HrpE Effecteur YscL
FliH
HrpD YscK
SST3 de SST3 des SST3 des
Pseudomonas syringae Yersinia flagelles

Figure 7.11 – Systèmes de sécrétion de type III (SST3) de Yersinia spp., de


P. syringæ et du flagelle des Bactéries à Gram − (D’après W. Deng et al., 2017)
Les protéines et les structures conservées dans les trois types de nano-machines sont
figurées par des couleurs identiques. La translocation (injection) d’effecteurs dans les
cellules hôte est illustrée pour Yersinia et P. syringæ.

184
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

la phagocytose par les macrophages, et deux autres l’immunité innée en modifiant


certaines kinases, ce qui inhibe la production de cytokines (voir Figure 7.12). Les deux
derniers effecteurs Yop participent à la formation du translocon.

Yersinia
Récepteurs
YopB et YopD
Adhésines PAMPs
Forment le translocon
Fak TRL
YopE, YopO et YopT Rho
Inactivation des Rho GTPases YopB et YopD Perception des
Dépolymérisation des PAMPs par les TRL
filaments d actine
Inhibent la phagocytose J
E H
par les macrophages T YopJ
YopH l B
O
YopH NF B
Déphosphorylation des complexes YopE, YopO M ?
d adhérence locale et YopT
Inhibe la phagocytose
par les macrophages
Réponse pro-
YopJ inflammatoire
Cellule hôte Cytokines
Inhibe la libération de NF B
NF B
Inhibe la production
de cytokines
Pas de réponse
pro-inflammatoire Cytoplasme Noyau

Figure 7.12 – Fonctions des effecteurs Yop des Yersinia pathogènes pour
l’Homme

Le pouvoir pathogène de P. syringæ prend avantage d’un système de sécrétion de


SST3 (voir Figure 7.11). Une mutagenèse aléatoire effectuée sur cette Bactérie a permis
d’identifier un groupe de gènes contrôlant la virulence sur plante hôte et l’induction de
la HR sur plantes non-hôtes ou sur des variétés de plantes hôtes résistantes. Ces gènes,
hrc, groupés dans le génome, contrôlent la formation d’un SST3 très semblable à celui de
Yersinia. Les différences concernent la longueur de l’aiguille, supérieure chez P. syringæ,
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

certainement du fait qu’elle doit traverser l’épaisse paroi des cellules végétales (voir
Figures 7.11 à 7.13), et le translocon. Le nombre d’effecteurs est beaucoup plus impor-
tant que chez les Yersinia (vingt-huit chez la souche P. syringæ pv. tomato DC3000, tous
injectés par le SST3), et diffère en répertoires, nombre et spécificité entre souches. Ces
effecteurs ont souvent des fonctions redondantes, ce qui rend leur étude difficile. La
souche Psto-DC3000 a servi de modèle car elle est pathogène sur tomate et sur la plante
modèle A. thaliana, qui a servi de modèle pour la plupart des résultats décrits ci-dessous.
Parallèlement à la coronatine qui intervient dans l’ouverture des stomates, quatre effec-
teurs de P. syringæ (AvrB, HopBB1, HopXA et HopZ1a) participent à ce processus, ce
qui démontre l’importance de cette étape pour l’entrée des Bactéries. D’autres effecteurs

185
Introduction à la microbiologie

manipulent directement l’immunité d’Arabidopsis. Les effecteurs AvrPto et AvrPtoB


inhibent les voies de défenses induites par plusieurs PAMP (flagelline, facteur EFTU)
lors de la PTI (PAMP-Triggeterd Immunity) en ciblant des PRR spécifiques (FLS2 et
EFR). AvrPto inhibe l’activité kinase de FLS2 et d’EFR, tandis qu’AvrPtoB induit l’ubi-
quitination de FLS2, entraînant sa dégradation par le protéasome. Les effecteurs HopM1
et HopR1 agissent en aval, en ciblant la voie des MAP Kinases (MAPK) activée par les
PRR. Les effecteurs HopM1 et HopR1 interfèrent avec la production des défenses anti-
microbiennes située en aval des étapes de signalisation (voir Figure 7.13).
Par conséquent, comme pour Yersinia, des effecteurs de P. syringæ sont capables
d’inhiber les défenses de l’hôte. Toutefois, chez les plantes le deuxième niveau de défense,
ETI, est beaucoup plus intense que la PTI. L’ETI est spécifiquement déclenchée par les
effecteurs. Par exemple, la protéine RIN4 d’Arabidopsis qui intervient dans la PTI peut
être clivée par l’effecteur AvrRpt2 qui agit comme une protéase. Cette protéolyse inhibe
la voie de défense PTI basée sur la reconnaissance de la flagelline.
Toutefois, il existe chez Arabidopsis un système dit de garde, capable de détecter toute
modification de RIN4. Il repose sur des gènes dits de résistance qui codent généralement

A Plante hôte sensible P. syringae B Plante résistante


P. syringae
pv. tomato
PAMPs PAMPs

1 Effecteurs 1 Effecteurs
AvrPto AvrPt2
AvrPtoB PRRs Rin4 PRRs
Rin4 RPS2
2 PTI :
PAMP-Triggered 2 X
HopF2 RPS2 3
Immunity Rin4
Voie MAPK Voie
HopAI1 ETI :
MAPK Effector-Triggered
3 HopR1
Cytoplasme Défenses Cytoplasme Immunity
HopM1 4 HR
4
5
Noyau Expression
gènes de défense Noyau Expression
gènes de défense
Paroi cellule Arabidopsis Paroi cellule Arabidopsis
Maladie 1 Résistance

Figure 7.13 – Rôle de certains effecteurs de Pseudomonas syringæ dans


l’inhibition ou l’induction de l’immunité chez la plante Arabidopsis thaliana
(D’après X.-F. Xin et S.H. He, 2013)
A. Inhibition de l’immunité innée induite par les PAMP (PTI) par les effecteurs AvrPto,
AvrPtoB, HopF2, HopAI1, HopR1 et HopM1. Cette inhibition permet l’apparition de
la maladie. B. Induction de l’immunité induite par l’effecteur (ETI) AvrPt2 chez une
plante résistante par l’intermédiaire la protéine de résistance RPS2. RPS2 « garde » la
protéine RIN4. Lorsque celle-ci est clivée par AvrPt2, RPS2 induit un programme de
défense spécifique ETI, qui se traduit par la mise en place de défenses qui limitent la
croissance du pathogène. Dans certains cas, cela se traduit par une réaction hyper-
sensible (HR). La plante « résiste » ainsi à la maladie.

186
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

pour des protéines cytoplasmiques de type NLR. Un système de garde donné n’est pas
présent chez toutes les variétés d’une plante, mais s’il est présent, il permet la détection
des modifications d’éléments clefs de la PTI, ce qui déclenche l’ETI. Les plantes résistent
alors à la maladie. Ainsi, la protéine de résistance RPS2 qui garde RIN4 n’est pas présente
dans toutes les lignées d’Arabidopsis, mais si elle est présente et qu’un agent pathogène,
par son activité, modifie RIN4, alors il y aura déclenchement de l’ETI et résistance à la
maladie. Dans notre exemple, c’est donc l’effecteur AvrRpt2 qui déclenche l’ETI. C’est
pour cela que l’on parle d’immunité induite par les effecteurs. Toutefois, les choses
peuvent encore se complexifier. En effet, un autre effecteur de Psto-DC3000, HopF2,
interagit avec RIN4 et empêche sa dégradation par AvrRpt2. Dans les souches possé-
dant à la fois AvrRpt2 et HopF2, l’ETI est inhibée, ce qui va permettre la progression
de la maladie. Il y aurait une véritable course en avant chez le pathogène pour contrer
le déploiement des systèmes de garde mis en place par les plantes, et une coévolution
continuelle entre agents pathogènes et hôtes.
Le pouvoir pathogène de L. monocytogenes, qui ne possède pas de SST3, passe
par son internalisation par les cellules phagocytaires ou non phagocytaires (voir
Figure 7.14). Dès le contact Bactérie-hôte et durant le processus d’internalisation,
ses PAMP déclenchent les voies de défenses contrôlées par les récepteurs de type Tol,
qui conduisent à l’induction des gènes de la réponse pro-inflammatoire. Il semble
que la plupart des bactéries soient tuées lors de la fusion des phagosomes et des lyso-
somes, ce qui génère la production d’antigènes et le déclenchement des réponses des
cellules T CD4+. Toutefois, dans certaines conditions, une fois dans ces vacuoles, les
bactéries produisent deux phospholipases (PlcA et PlcB), une listériolysine (LLO) et
une lipoprotéine (PplA) qui provoquent la rupture des vacuoles par production de
pores et dégradation des lipides membranaires (voir Figure 7.14Ba). Cela libère les
bactéries dans le cytoplasme des cellules hôtes. Certaines bactéries sont lysées, ce
qui déclenche l’inflammasome et d’autres voies de défense comme la voie STING
(Stimulator of INterferon Genes) spécifiquement induite par la présence d’ADN dans
le cytoplasme (voir Figure 7.14Bc). De manière paradoxale, l’induction de cette voie de
défense a un effet négatif sur l’immunité contre L. monocytogenes. Les Bactéries qui
survivent produisent des molécules qui vont également inhiber les voies de défense. Il
s’agit par exemple de l’internaline InlC qui inhibe la voie NFkB (voir Figure 7.14Bd),
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

ou encore d’un dinucléotide, le di-AMP cyclique qui interfère avec la voie STING
et la protéine RECON (une enzyme du foie) (voir Figure 7.14B). Parallèlement, les
Bactéries présentes dans le cytoplasme produisent à leur surface une protéine, ActA,
qui, en interagissant avec le complexe Arp2/3, induit la polymérisation des filaments
d’actine (voir Figure 7.14Bb). Ceux-ci forment une queue en comète à la base des
cellules bactériennes, les propulsent à l’intérieur des cellules hôtes et permettent même
leur passage d’une cellule à une autre. Par ailleurs, lors de l’infection des cellules en
gobelet, les cellules de L. monocytogenes restent dans les vacuoles d’endocytose et
ressortent par transcytose, ce qui permet le passage rapide de la barrière intestinale
(voir Figure 7.14B).

187
Introduction à la microbiologie

A Listeria
monocytogenes

InlA InlB
Membrane
E-cadhérine Cellule hôte
MET
Entérocyte Cellule
Cellule en gobelet hépatique

B PAMP
Listeria monocytogenes

Cellule en TLR
gobelet
c-di-AMP

a d lnlC
c
PlcA
Transcytose PlcB ADN c-di-AMP
Actine
LlO
PlpA RECON l B
b STING NF B
ActA
X
Noyau Cytokines
Noyau LntA

a PlcA,PlcB, LlO et PlpA c c-di-AMP


Rupture des vacuoles d’endocytose Activation STING
Libération des bactéries Production d’interférons
Agit sur RECON
b ActA
Inhibition NF B
n ra tion a r
Polymérisation des filaments d lnlC
d’actine Inhibition de NFkB
LntA
Interaction avec complexe BADHD1
Production d’interférons

Figure 7.14 – Attachement et infection de cellules humaines par Listeria


monocytogenes (D’après L. Radoshevich et P. Cossart, 2018)
A. Attachement des cellules de L. monocytogenes par l’intermédiaire de liaisons des
internalines InlA et InlB aux récepteurs E-cadhérine et MET, respectivement. Cette
reconnaissance induit l’endocytose des bactéries. B. Devenir des Bactéries dans les
cellules hôtes et inhibition de l’immunité. Les bactéries peuvent passer la barrière
intestinale par transcytose au niveau des cellules en gobelet, entraîner la rupture des
vacuoles d’endocytose (a), ou migrer d’une cellule à une autre grâce à la polymérisa-
tion de filaments d’actine induite par ActA (b).

Comme nous l’avons vu ici, le contournement des défenses de l’hôte est une étape
très importante, qui repose sur la production d’effecteurs ou de molécules qui vont
être capables d’agir à l’intérieur des cellules de l’hôte, que ce soit par l’intermédiaire
d’un système d’injection ou suite à l’entrée des Bactéries à l’intérieur des cellules de

188
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes

l’hôte. Cette bataille se joue donc en grande partie dans le cytosol des cellules de l’hôte.
Toutefois, certains effecteurs peuvent même gagner le noyau des cellules hôtes pour en
modifier l’expression. C’est par exemple le cas de la nucléomoduline LntA de L. mono-
cytogenes. Cette protéine interagit avec la protéine BAHD1 de l’hôte, un répresseur
de la chromatine. Son interaction avec LtnA se traduit par la dérépression de gènes
d’interférons, ce qui paradoxalement bénéficie à la Bactérie. Chez Yersinia, la protéine
YopM pourrait également agir dans le noyau des cellules hôtes. Toutefois, ses cibles et
ses effets sont encore inconnus. Chez P. syringæ, aucun effecteur ne semble agir dans le
noyau. Cependant, chez d’autres Bactéries phytopathogènes comme Xanthomonas ou
Ralstonia solanacearum, des effecteurs, les TAL (Transcription Activator Like), injectés
par les SST3 de ces Bactéries, agissent directement dans le noyau des cellules hôtes où
ils activent l’expression de gènes spécifiques.

3.5 Évolution du pouvoir pathogène


Le système SST3 est très conservé chez de nombreuses Bactéries à Gram− pathogènes de
vertébrés, d’insectes, de plantes ou de champignons, et chez des symbiotes mutualistes.
Chez les pathogènes, les effecteurs injectés n’entraînent pas la mort des cellules hôtes
comme le font généralement les toxines, mais agissent plutôt de manière synergique
pour générer des réponses complexes non destructives. Certaines Bactéries comme
Salmonella thyphimurium possèdent plusieurs SST3 qui interviennent chacun dans une
étape différente de l’interaction : l’entrée dans les cellules hôtes, le contrôle de la survie
et la croissance dans les vacuoles à l’intérieur des cellules infectées. Le flagelle bactérien
comprend dans sa partie basale un SST3 ayant de très fortes analogies avec les SST3
des agents pathogènes (voir Figure 7.11). Ce SST3 permet la sécrétion des constituants
du flagelle, qui s’assemblent au fur et à mesure de leur sortie pour former le crochet et
le filament (voir Chapitre 6). Les analyses phylogénétiques suggèrent que les SST3 des
pathogènes auraient évolué à partir de celui du flagelle pour assurer la sécrétion de
protéines. La capacité à injecter des effecteurs serait apparue par la suite au cours de
l’évolution des pathogènes par l’acquisition de composants spécifiques. Les SST3 ne sont
pas les seules machines (ou nano-machines) permettant l’injection d’effecteurs dans des
cellules hôtes. Les systèmes de sécrétion de type IV et de type VI (voir Chapitre 3) en
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

sont aussi capables. Ces systèmes contrôlent également la pathogénie des bactéries qui
en possèdent. Enfin le système de sécrétion ESX-1 de type VII, spécifique de M. tubercu-
losis, bien que n’étant pas vraiment un système d’injection, agit à l’intérieur des cellules
infectées en permettant la sécrétion d’effecteurs qui déclenchent la lyse des membranes
des phagosomes et la suppression de l’immunité.
En règle générale, les gènes codant ces différentes nano-machines forment des
clusters, ou îlots de pathogénicité (voir Chapitre 4), qui peuvent être portés par des
plasmides (chez les Yersinia pathogènes pour l’Homme) ou localisés sur le chromosome
(P. syringæ). Les analyses phylogénétiques ont montré qu’ils pourraient résulter de
transferts horizontaux. Les effecteurs de ces systèmes peuvent être codés par des gènes

189
Introduction à la microbiologie

appartenant à ces îlots, mais dans de nombreux cas sont éparpillés dans le génome. Si
les constituants de ces « machines » sont conservés entre différentes Bactéries, le nombre
et la nature des effecteurs sont variables et caractéristiques de chaque agent pathogène.
Les contraintes évolutives ayant permis leur émergence reposent vraisemblablement
sur la nécessité de pouvoir délivrer plusieurs effecteurs dans une seule et même cellule,
caractéristique très difficile à atteindre par les mécanismes plus simples utilisés par
les exotoxines. Ces systèmes complexes semblent dans la plupart des cas avoir dérivé
de systèmes impliqués dans des interactions inter-bactéries ou avec l’environnement
(SST3).
La découverte de ces systèmes de sécrétion et les études sur L. monocytogenes ont
permis de comprendre des processus fondamentaux non seulement en microbiologie
mais aussi en immunologie et en biologie cellulaire. Les connaissances acquises sur
ces systèmes et leurs effecteurs permettent d’envisager des applications thérapeutiques
complètement nouvelles, fondées sur leur inactivation par des inhibiteurs spécifiques
ou par l’intermédiaire d’anticorps dirigés contre des composants clefs. Parallèlement,
il est envisagé d’utiliser ces systèmes pour administrer des antigènes et développer de
nouveaux vaccins, ou pour délivrer des enzymes dans des cellules déficientes, faire de
l’édition de gènes ou encore cibler des cellules cancéreuses. Il est également proposé
d’utiliser certains effecteurs pour soigner des maladies. Ce n’est donc que le début d’une
nouvelle histoire initiée dans les années 1980.

190
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les symbioses, des associations facultatives ou obligatoires entre organismes
d’espèces différentes, existent sous trois types : mutualisme (tous les parte-
naires en tirent bénéfice), commensalisme (un partenaire tire avantage sans
nuire aux autres), parasitisme (un partenaire tire profit au détriment de l’autre).
2 Les Eucaryotes et Bactéries d’une interaction sont appelés hôtes et symbiotes.
3 De nombreuses symbioses impliquent des interactions spécifiques entre par-
tenaires, définissant le spectre d’hôtes du symbiote.
4 Un microbiote est l’ensemble des micro-organismes vivant en association
stable avec un hôte.
5 Le microbiote intestinal humain est dominé par deux grands types de phyla
bactériens : les Bacteroïdètes et les Firmicutes, dont l’équilibre détermine un
état de bonne santé. Sa composition varie au cours de la croissance et se sta-
bilise à l’âge adulte.
6 Les plantes sélectionnent leur microbiote.
7 Les maladies infectieuses sont dues à des agents pathogènes, dont la virulence
définit l’intensité du pouvoir pathogène.
8 Un cycle infectieux présente un ensemble d’étapes associées aux notions de
réservoir, transmission, vecteur, adhésion, colonisation, contournement de
l’immunité et de sortie de l’hôte.
9 L’immunité innée (animaux et plantes) est fondée sur la reconnaissance de
molécules microbiennes spécifiques (MAMP ou PAMP).
10 Les bactéries pathogènes peuvent injecter dans les cellules hôtes des effec-
teurs qui agissent en synergie, provoquent des dysfonctionnements et
contournent l’immunité.
11 Certaines Bactéries pathogènes produisent des toxines qui altèrent le fonction-
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

nement normal de leurs cellules hôtes.

191
Entraînez-vous
7.1 Donner la définition des termes symbiose, mutualisme, commensalisme et para-
sitisme.
7.2 Décrire les grandes étapes du cycle d’une Bactérie infectieuse.
7.3 Comment définir le terme microbiote ?
7.4 Quels phyla bactériens dominent le microbiote intestinal humain ?
7.5 Quel(s) rôle(s) joue le microbiote intestinal chez l’Homme ?
7.6 Nommer et décrire les spécificités des molécules bactériennes qui déclenchent
l’immunité innée.
7.7 Quelle est la fonction principale des systèmes de sécrétion de type 3 des Bactéries
pathogènes ?
7.8 Décrire le postulat de Koch.
7.9 Expliciter les différences entre pouvoir pathogène et virulence.
7.10 Décrire les grandes classes de toxines produites par les Bactéries pathogènes
d’animaux.

192
Chapitre 8 Notions de virologie

Introduction

Les virus sont des entités biologiques parasites caractérisées par la présence d’un seul
type d’acide nucléique et l’absence de tout métabolisme propre. Leur reproduction se
fait uniquement à l’intérieur et au détriment d’hôtes. Ils existent ainsi sous deux états, une
forme extracellulaire libre, dite virion ou virus, métaboliquement inerte, et un état intracel-
lulaire reproductif, qui à son terme produit les virions libres.

Objectifs Plan
Connaître la structure des virus infectant 1 Présentation et classification
pro- et Eucaryotes 2 Structure
Identifier le rôle des constituants des 3 Phases du développement
particules virales dans le cycle reproductif 4 Quelques virus typiques
Définir les caractéristiques de leur cycle de
multiplication
Expliquer les relations entre nature et
structure (ADN/ARN, double ou simple
brin) du génome viral et les principales
caractéristiques des cycles reproductifs

1 Présentation et classification
Le terme virus est une dénomination générale, recouvrant plusieurs catégories définis-
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sables par les hôtes dans lesquels ils se reproduisent. Ces spectres d’hôte(s) sont stricts
quant au domaine auquel appartiennent les hôtes, ce qui a conduit à définir une nomen-
clature usuelle : bactériovirus (ou, plus utilisée, bactériophage ou phage), archéovirus, et
eucaryovirus (ou virus d’Eucaryote). Les virus sont de loin les entités biologiques les plus
abondantes sur la planète (1031 particules), dont majoritairement des phages (avec une
abondance dix fois supérieure à celle des procaryotes). Cependant ils ne représentent
qu’environ 5 % de la biomasse terrestre totale, en raison de leurs faibles dimensions.
Ils jouent un rôle important dans l’équilibre des populations des micro-organismes
des environnements naturels ; ainsi des phages détruisent environ 20 % de la masse
bactérienne des océans chaque jour. Tous les virus ont besoin pour leur reproduction
d’un hôte en état de métabolisme actif, en raison de leur nature parasitaire. Ils sont

193
Introduction à la microbiologie

potentiellement létaux (virulents), ou au minimum nocifs ; cependant beaucoup sont


dans un état chronique (ou porteur) n’entraînant pas directement la mort de l’hôte.
Certains bactériovirus, dits tempérés, peuvent se maintenir transitoirement sous une
forme silencieuse (dite de lysogénie ou de virus latents) dans la cellule hôte. Ils peuvent
alors parfois apporter une information génétique utile à leur hôte, tels les gènes à fonc-
tion métabolique. Chez l’Homme et chez les animaux et plantes d’intérêt agronomique,
les infections virales sont responsables de nombreuses pathologies, souvent létales. De
nombreux eucaryovirus sont objets d’intenses recherches, pour l’aspect sanitaire ainsi
que pour leur intérêt appliqué.
L’étendue du domaine de la virologie impose que ce chapitre n’en soit qu’une intro-
duction générale, avec une grande place pour les bactériovirus, étant donné l’importance
qu’ils ont jouée dans nombre de découvertes et de définitions de concepts de base de la
biologie cellulaire actuelle.
Les premières classifications des virus se fondaient sur la nature des organismes
parasités (bactériophages, mangeurs de bactéries), leur mode de transmission (virus
entériques, arbovirus, transmis par la voie digestive ou les arthropodes) ou la patho-
logie provoquée (virus de la rage, de la grippe). Une classification proposée en 1962 par
A. Lwoff (prix Nobel de médecine), R.W. Horne et P. Tournier, de structure linnéenne,
hiérarchique et non phylogénétique utilisait quatre principaux critères : la nature de
l’acide nucléique génomique, la morphologie et les dimensions de la particule virale,
et la présence ou non d’une enveloppe. Adoptée en 1975 par le Comité international
de taxonomie des virus (ICTV), elle a été complétée par l’ajout de nouveaux critères :
maladies associées à l’infection, organismes et tissus affectés, données moléculaires,
dont la séquence nucléique des génomes. La classification actuelle met en avant ces
critères moléculaires (nature [ADN/ARN], structure [double/simple brin, circulaire/
linéaire], polarité positive ou négative des génomes simple brin et processus de répli-
cation), définissant ainsi sept groupes (D. Baltimore, prix Nobel de médecine, 1975)
(voir Tableau 8.1). Les niveaux supérieurs (classe, phylum, domaine) n’existent pas, en
raison de l’énorme difficulté à établir des liens phylogénétiques entre les virus. Cette
classification utilise la nomenclature …virales (ordre), …viridæ (famille), …virinæ
(sous-famille), et virus pour le genre et l’espèce. Les sept groupes (ICTV 2017) répar-
tissent les virus actuellement connus en neuf ordres, 134 familles, 455 genres et plus
de 4 000 espèces. Les virus infectant les Bactéries (dont l’ordre des Caudovirales repré-
sente 96 % de ces virus) sont classés en douze familles, avec plus de 2 200 génomes
entièrement séquencés (bases de données virales des sites NCBI et ViralZone). Ainsi,
le bactériophage T4 (§ 4.1b) est classé : groupe I (virus à ADN double brin), ordre des
Caudovirales, famille Myoviridæ (virus à queue contractile), sous-famille Tevenvirinæ
(série T « paire »), genre T4, espèce Escherichia virus T4. Malgré leur nombre encore
limité (une centaine de génomes), les archéovirus actuellement caractérisés se répar-
tissent au sein de dix-sept familles, indiquant leur grande diversité morphologique
et génétique.

194
Chapitre 8 • Notions de virologie

2 Structure
2.1 Les capsides
Un virus est constitué d’un acide nucléique, ADN ou ARN, enfermé dans un revête-
ment protéique (ou coque), la capside, dont certaines sont entourées d’une enveloppe
(ou péplos). La capside assure la protection du génome contre des dommages possibles
et permet, grâce à des structures appropriées, la fixation du virion à la cellule hôte,
prémisse de l’infection virale. Leurs morphologies varient beaucoup suivant les types
de virus, sans corrélation (connue) avec les organismes qu’ils infectent (voir Tableau 8.1)
(voir Figures 8.1 et 8.2). La majorité d’entre elles peut être définie par cinq prototypes,
correspondant à deux structures de base, chacune enveloppée ou nue (virus dits enve-
loppés ou nus, respectivement), et à une structure complexe, avec une « tête » et une
« queue » (virus dits caudés). Certaines ont des formes moins bien définies, variables (les
Poxvirus) – telles que fuseau allongé, goutte, amphore (les virus géants Pandavirus) –,
recouvertes de fibrilles (Mimivirus), dont la liste continue à s’enrichir avec la découverte,
en particulier, de virus d’Archées, riches en morphotypes.
La capside icosaédrique, très fréquente chez les virus des trois domaines du vivant,
est une structure à vingt faces en triangles équilatéraux identiques et douze sommets.
La capside hélicoïdale est constituée de protéines interagissant entre elles et avec
l’acide nucléique pour former une structure enroulée en ruban. Cette structure exige
peu de protéines différentes pour sa construction. Le virus de la mosaïque du tabac,
le premier étudié ayant cette structure, et le Filovirus Ebola, en présentent une forme
souple. C’est celle des bactériovirus filamenteux (famille des Inoviridæ, dont le virus
d’E. coli M13) et des archéovirus de la famille des Lipothrixviridæ. La capside de M13
est un cylindre flexible construit autour de son génome, formé d’une protéine majori-
taire, à raison de 2 700 à 3 000 copies par particule. La longueur du filament peut varier
avec la dimension du génome, certaines formes délétées artificiellement (avec un ADN
de 221 nucléotides) ne nécessitant des capsides que de 50 nm de long, contre 930 nm
pour le virus sauvage. Cette caractéristique est à la base de nombreuses applications
biotechnologiques.
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Les capsides complexes sont constituées d’une « tête » icosaédrique (régulière ou


irrégulière), qui contient le génome, et d’une partie tubulaire à symétrie hélicoïdale,
la « queue », qui sert de canal d’injection du génome au moment de l’infection. Cette
queue porte les déterminants moléculaires impliqués dans la reconnaissance spécifique
de la cellule hôte. Les virus caudés de Bactéries et d’Archées (groupe I, ordre des Caudo-
virirales), se distinguent par les caractéristiques de leur queue, contractile ou non, ou
réduite et non contractile. Les virus enveloppés comportent, à l’extérieur de la capside,
une membrane dérivée, selon les virus, des membranes cytoplasmique ou nucléaire,
ou des phospholipides, de l’hôte dont ils sont issus. L’enveloppe est décorée de spicules
jouant un rôle important dans l’interaction avec l’hôte. Cette structure est présente chez

195
196
Tableau 8.1 Caractères principaux définissant les sept groupes de classification des virus

Groupe/
I II III IV V VI VII
Propriétés

Génomes : ADN db ADN sb ARN db ARN sb ARN sb ARN sb ADN db


type, c/l, mpa c/l, l, s (2 à 12) l, s (1 à 5) l, s (1 à 8) c/l, mp l/c, mp
Introduction à la microbiologie

morphologie mp/s (1 à 8) P (+) P (−) P (+)


et dimension 4.5−2473 kb P (+)/(−) 3,7−18,2 kb 2,3−27,6 kb 11−17 kb 7−11 kb 3,2−8,2 kb
4.5−12 kb

Réplication et Enzymes de Enzymes de Polymérase/ Polymérase Polymérase/ RT virale RT virale


transcription l’hôte l’hôte transcriptase virale transcriptase
Enzymes virale virale

Lieu N (Euc) ;
C (Proc) N (réplication) C C C/N (épissage) C C

Capsides Icosaédrique Icosaédrique, Icosaédrique Icosaédrique Sphérique Env Sphérique Env Bacille NEnv
Morphologies filamenteuse filamenteuse sphérique, filamenteuse Env pléomorphe sphérique Env
complexe géminéeb filamenteuse flexible/rigide/ NEnv pléomorphe
diverses projectile Env Env
(bâtonnet, bâtonnet NEnv
citron,
bouteille, tige)
Nucléocapsides
Enveloppe Nenv/Env NEnv Nenvc NEnv/Env NEnv
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Abréviations  : db/sb, double/simple brin  ; c/l, circulaire/linéaire  ; mp/s, monopartite/segmenté (nombre de segments)  ; P, polarité
positive (+)/négative (−)  ; N/C, noyau/cytoplasme  ; Euc/Proc, Eucaryotes/procaryotes ; Env/NEnv, enveloppés/non enveloppés  ; RT,
rétro-transcriptase.

Notes : aUne exception : les Polydnaviridæ, qui ont un génome circulaire avec au moins dix segments. bDeux ou trois virions sont conte-
nus dans une même enveloppe. cSeuls de ce groupe, les Cystoviridæ sont Env.

Groupe I – Ce groupe extrêmement vaste renferme presque tous les types de capsides connus et la plus grande variété de capacités
de pouvoir codant des génomes viraux. Faisant exception à la réplication nucléaire des eucaryovirus de ce groupe, les Poxviridæ ont
une réplication cytoplasmique et codent pour toutes leurs enzymes de réplication et de transcription. Groupe II – L’ADN simple brin
est converti en ADN double brin, qui sera transcrit. Bien que de structures capsidaires distinctes, les cycles de développement des
phages de ce groupe se déroulent suivant le même schéma. Groupe III – Le brin négatif est utilisé comme matrice pour la production
des ARNm. La segmentation (trois segments) des génomes des Cystoviridæ est un cas unique chez les bactériophages. Groupe IV –
Chez les Togaviridæ et Coronaviridæ le génome viral permet la synthèse d’une protéine précoce, la polymérase, qui synthétise un brin
complémentaire du génome, ARN (−), matrice pour la traduction des autres gènes. Groupe V – Une copie complémentaire du génome,
ARN (+), sert pour la synthèse des ARNm et de nouveaux génomes. Chez certains virus à ARN dits ambisens (tels des arbovirus et
arénavirus) le génome est transcrit dans l’une ou l’autre orientation suivant les gènes, la majorité des ARNm étant complémentaire
de la séquence génomique. Groupe VI – Ces virus exigent la rétrotranscription de leur génome en ADN double brin, effectuée par la
rétrotranscriptase virale. La copie ADN migre dans le noyau, où elle est intégrée dans le génome de l’hôte, puis transcrite par l’ARN
PolII cellulaire. Les ARNm viraux ainsi transcrits, après un éventuel épissage, sont exportés dans le cytoplasme pour être traduits.
Groupe  VII – La nucléocapside de ces virus, qui inclut la famille des Hepadnaviridæ, dont le virus de l’hépatite B, pénètre dans le
noyau  ; le génome, complété et circularisé par liaison covalente (ADNccc), sert de matrice à la PollI cellulaire pour la production
d’ARNm viral et d’ARN subgénomique. Ces ARN sont transportés dans le cytoplasme, soit pour être traduits, soit pour servir de matrice
de réplication (en fait une rétrotranscription) réalisée par la rétrotranscriptase virale (TR). Les génomes synthétisés seront encapsidés
avec la rétrotranstriptase.

Les sites de l’ICTV (http://ictvonline.org/virusTaxInfo asp) et de ViralZone (https://viralzone.expasy.org), continuellement mis à jour,
fournissent une description de la structure, du cycle et de la classification de tous les virus connus.
Chapitre 8 • Notions de virologie

197
Introduction à la microbiologie

de nombreuses classes d’eucaryovirus, dont d’importants pathogènes humains (virus


de la grippe, de la rage), et d’archéovirus, mais est restreinte à une unique famille de
bactériovirus, les Cystoviridæ (groupe III, le bactériophage Φ6).
Les dimensions des particules virales, très variables, sont en relation avec les
dimensions du génome contenu, et avec la présence d’éventuels autres constituants
intra-capsidaires. Pour tous les virus icosaédriques connus, elles se distribuent de 17 nm
(Porcine circovirus) à 200 à 300 nm pour les plus grands (Herpesvirus), en passant par
certains bactériophages (T4, 120 nm de long et 86 de large). Les virus hélicoïdaux, bacté-
riens comme d’Eucaryotes, sont nettement plus grands (930 nm de long contre 6-7 nm
de diamètre pour le phage M13, 970 nm de long contre 80 de diamètre pour le virus
Ebola). Des virus de protistes, dits « géants », ont des dimensions de l’ordre de celles des
Bactéries (tels les virus d’amibes Mimivirus, de 500 nm, Pandora, de 500 × 1000 nm,
Pithovirus, de 500 × 1100 nm, ou Ehv86, infectant la micro-algue Emiliana huxleyi, de
100-220 nm).
L’organisation de la structure interne, la nucléocapside, est peu connue. Le génome
viral est condensé et n’occupe pas tout le volume disponible, mais sa structure tridi-
mensionnelle reste conjoncturelle. De nombreux virus intègrent dans la capside des

Archéovirus et Bactériovirus Bactériovirus

Cystoviridae
Tectiviridae Plasmaviridae
Podoviridae Corticoviridae
Turriviridae
Spherolipoviridae
Microviridae
Inoviridae
Myoviridae Leviviridae
Siphoviridae

Archéovirus

Clavaviridae
Guttaviridae Globuloviridae
APOV1 Pleolipoviridae

Fuselloviridae
salterprovirus
Lipothrixiviridae: Lipothrixiviridae: , , TPV1, PAV1

Spiraviridae
Rudiviridae

Ampullaviridae STSV1, STSV2,


Bicaudaiviridae SMV1, APSV1

Figure 8.1 – Morphologies de capsides de virus de procaryotes

198
Chapitre 8 • Notions de virologie

56 nm
87 nm
A B 55 nm

D E
Génome 9×10–5 55 nm
ADN ds mm3 Tête à
génome ADN

Cou
210 nm
Gaine
C 7 nm 150 nm

700 ÷2 000 nm
Fibres
de queue
F G 25 nm

12 nm Plaque
80 à 120 µm 60 nm basale

Figure 8.2 – Structure de quelques capsides virales


A. Capside isométrique simple (le virus MS2 d’E. coli). B. Capside à enveloppe (les virus
PM2 et Φ6 de Pseudomonas). C. Capside hélicoïdale (phage M13 d’E. coli). D. Capside
caudée complexe, formée d’une tête isométrique et d’une queue (phage λ d’E. coli).
E. Capside caudée complexe irrégulière, avec tête allongée (phage T4 d’E. coli).
F. Capside avec enveloppe (virus grippal). G. Capside non enveloppée (adénovirus).

protéines associées à l’ADN ou des enzymes (ARN-polymérase). La capside du VIH


(groupe VI) héberge un groupe d’enzymes (protéase, intégrase, rétrotranscriptase).
Chez certains virus du genre Influenza (grippe, groupe V) une neuraminidase intervient
pour libérer la particule virale nouvellement synthétisée de la surface de la cellule. Les
virus des protistes présentent une situation encore plus diversifiée.

2.2 Génomes
Les génomes viraux peuvent être à ADN ou à ARN, et dans chaque cas double (db)
ou simple (sb) brin, linéaires ou circulaires, avec des dimensions et pouvoirs codants
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très divers (voir Tableau 8.1). De nombreuses classes de virus à ARN double brin (de
procaryotes comme d’Eucaryotes) ou simple brin (d’Eucaryotes) sont segmentés, l’in-
formation génétique étant répartie sur plusieurs molécules. Les génomes à ADN sb ou
à ARN sb sont tous de polarité positive (+) (l’ARN génomique est aussi l’ARNm) chez
les virus de procaryotes, mais à polarité (+) ou (−) chez les eucaryovirus. Les génomes
viraux sont haploïdes, à la seule exception connue des Retroviridæ, qui sont diploïdes.

a. Génomes des virus de procaryotes


Les génomes des bactériovirus sont le plus fréquemment à ADN db linéaires, mais
tous les autres cas existent. Les extrémités des génomes à ADN db linéaires peuvent

199
Introduction à la microbiologie

être redondantes (répétitions bicaténaires d’une séquence de nucléotides, T4), cohé-


sives (à filament simple brin, complémentaire entre les deux extrémités, λ), soudées de
façon covalente entre brins complémentaires (P22, SPP1), ou encore liées par un pont
protéique (Mu). Certains génomes contiennent des nucléotides modifiés (5-hydroxy-
méthyl-cytosine chez T4 et des phages apparentés, le groupe hydroxyl étant souvent
glycosylé), une protection contre une éventuelle restriction par des endonucléases de
l’hôte (voir Chapitre 5). Les dimensions de ces génomes varient de 3,5-4 kb pour les
plus petits à 500 kb pour le plus grand, le phage G de Bacillus megaterium, atteignant la
dimension des génomes de Bactéries endosymbiontes ou parasites intracellulaires. Les
plus petits génomes sont à ARN sb (Leviviridæ) et à ADN sb (9-15 kb) (Microviridæ).
Les génomes de tailles supérieures à 16 kb (37 kb pour Mu, 48 kb pour λ, 169 kb pour
T4) sont associés à des capsides de type complexe. Chez de nombreux phages les gènes
sont organisés et transcrits par groupes fonctionnels.
Le nombre de génomes d’archéovirus actuellement séquencés étant d’environ une
centaine (contre six mille pour les bactériovirus), toute comparaison entre ces deux
groupes est à prendre avec précaution. Les génomes connus sont le plus fréquemment à
ADN db, linéaires ou circulaires, plus rarement à ADN sb, et récemment des génomes
à ARN sb (+) ont été identifiés. En général (et pour le moment) les dimensions de ces
génomes sont plus réduites (entre 8 et 75 kb) pour les génomes à ADN sb. Les génomes
linéaires ont souvent à leurs extrémités des régions inversées répétées de tailles variables
(190 pb à 2 kb). La très grande majorité des gènes des archéovirus ne présente aucune
ressemblance avec les données des bases génomiques virales ni avec des séquences
d’éventuels provirus intégrés à des génomes hôtes. Au sein des archéovirus, certains
partagent au mieux un nombre restreint de gènes.

b. Génomes des eucaryovirus


L’analyse des génomes des eucaryovirus élargit encore la grande diversité décrite
jusqu’ici. Ces génomes sont aussi à ADN ou ARN, db ou sb, linéaires ou circulaires, y
compris pour des génomes à ARN. Ces derniers sont très fréquents, et souvent segmentés.
Les génomes des eucaryovirus couvrent un large éventail de tailles. Les génomes à ADN
peuvent atteindre des tailles jusqu’à cent fois supérieures à celles des virus à ARN, ceux
à ADN db étant en général plus grands que ceux à ADN sb. Les génomes à ADN db des
virus infectant des vertébrés ont de 4,5-5 kb (Polyomaviridæ) à 152 kb (Herpesvirus) et
375 kb (certains Poxviridæ). D’autres eucaryovirus, en particulier d’algues et de protistes
(§ 4.1d), ont des génomes remarquables par leur grande taille (jusqu’à un millier de
gènes). En revanche les virus des plantes, phytovirus, sont de petites dimensions, avec
un nombre de gènes relativement réduit (§ 4.5). Le plus petit des virus à ARN sb (1,7 kb)
est celui de l’hépatite D, les plus grands (27,6 kb) ceux des Coronaviridæ. Autre caracté-
ristique singulière des eucaryovirus, la réplication de leur(s) génome(s) a lieu, suivant les
types, dans le cytoplasme ou dans le noyau des cellules infectées (§ 3.2). Les rétrovirus
empaquettent dans chaque capside un génome diploïde, les deux copies étant alignées
et liées de façon non covalente par leur extrémité 5’. Les modalités d’exclusion de formes

200
Chapitre 8 • Notions de virologie

monomères sont mal connues ; il est admis que la nucléocapside aurait une plus forte
affinité pour la forme dimère. Une hypothèse pour expliquer cette diploïdie veut que la
forme dimère confère le double avantage de distinguer l’ARN génomique de l’ARNm,
et de pallier leur faible fidélité de réplication en éliminant facilement des recombinants
délétères (ces virus ont une forte fréquence de recombinaison).

3 Phases du développement
Les mécanismes de multiplication des virus s’avèrent très variés et très complexes. La
reproduction, toujours intracellulaire, comprend adsorption (ou attachement), pénétra-
tion, synthèse des constituants viraux (phase dite d’éclipse comprenant deux périodes,
précoce [synthèse du génome] et tardive [synthèse des composants capsidaires]), assem-
blage et libération des particules. L’efficacité (nombre de virions produits par cellule
infectée) de la reproduction est élevée (de la centaine au millier).

3.1 Adsorption
Première étape de l’infection, l’adsorption débute par la reconnaissance spécifique
d’une cellule hôte par le virus. Cette spécificité est déterminée par l’identification par
le virus de constituants particuliers, utilisés comme récepteurs, présents sur la surface
de la cellule. L’ensemble des souches reconnues par un virus définit son spectre d’hôtes.
Certains virus ont un large spectre d’hôtes, infectant de nombreuses espèces, voire
souches dans le cas des Bactéries. D’autres, en revanche, ont un spectre d’hôte restreint
à une espèce ou même une souche. La première interaction entre un bactériovirus non
enveloppé et sa cellule hôte est une collision dont la fréquence dépend principalement de
la concentration des deux partenaires, de la présence de certains ions dans le milieu, de
la température. Se produit alors un attachement initial, réversible, entre composants de
la capside virale et certaines structures de l’hôte, par formation de liaisons faibles. Si la
structure cellulaire impliquée est sa surface, le virus « voyage » sur cette surface jusqu’à
la rencontre éventuelle d’un récepteur approprié, sur lequel une interaction secondaire le
stabilise. D’autres, fixés sur des pili (tel le pilus sexuel F) ou des flagelles, atteignent leur
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récepteur secondaire soit par glissement, soit suite à une rétraction (dépolymérisation
des sous-unités protéiques) du pilus ou du flagelle. Les récepteurs sont une protéine
de surface, un lipopolysaccharide ou une lipoprotéine de la Bactérie. Les archéovirus
utilisent des flagelles, mais la nature du récepteur est inconnue.
L’interaction entre les deux structures, virale et cellulaire, a pour conséquence
possible que des mutations affectant les récepteurs peuvent rendre ces hôtes spécifique-
ment résistants à l’infection, et que de même une souche hôte ainsi devenue résistante
peut redevenir sensible par mutation compensatoire chez le virus.
Les eucaryovirus ayant pour hôtes des animaux ou des protistes n’infectent géné-
ralement qu’un nombre restreint d’espèces, et pour les premiers chaque virus peut

201
Introduction à la microbiologie

éventuellement ne reconnaître qu’un type cellulaire précis (tropismes tissulaire et cellu-


laire), en fonction de la présence de récepteurs appropriés. Le polyovirus n’infecte que
l’Homme, les virus de la grippe principalement les cellules des voies respiratoires, le
virus de l’immunodéficience humaine (VIH) principalement les lymphocytes T CD4 +
dont la protéine CD4 leur sert de récepteur. Des récepteurs cellulaires d’adhésion fixent
le virus de manière réversible, ce qui améliore l’infectiosité en concentrant les virus à
proximité de leurs récepteurs secondaires. Ces derniers déclenchent l’entrée du virus
par endocytose ou pinocytose, ou par fusion de l’enveloppe du virion (dans le cas des
virus enveloppés) avec la membrane cellulaire (voir Figure 8.3). Les virus des végétaux
ont en général des spectres d’hôtes larges, et présentent une stratégie d’attachement sans
spécificité tissulaire (§ 4.5).

3.2 Phase endocellulaire (dite d’éclipse)


La première étape du développement intracellulaire d’un virus exige la pénétration
de son acide nucléique à l’intérieur de la cellule hôte, selon des processus très variés,
liés aussi au mode d’adsorption du virus. Les virus enveloppés entrés entiers doivent
perdre leur capside pour libérer le génome (processus fréquent chez les eucaryovirus).
Les virus non enveloppés (à l’exception de Φ6 [§ 4.3] et des Picornaviridæ), injectent
leur seul génome à travers un pore, au niveau de leur récepteur secondaire. Les Papil-
lomaviridæ et les Polyomaviridæ et Orthomyxoviridæ (genre Influenza, grippe) (voir
Figure 8.3) entrent entiers par endocytose. Les modalités de l’injection (forces impli-
quées, déterminants moléculaires) sont peu connues. La pression interne libérée par
la décondensation de la molécule génomique ne permet pas son injection, comme
supposé dans les premiers modèles proposés, mais elle est néanmoins suffisante pour
déclencher l’éjection. Des facteurs de l’hôte, des protéines virales, la différence de
pression osmotique entre cytoplasme de l’hôte et milieu environnant, un gradient
électrochimique de protons à travers la membrane cytoplasmique, peuvent intervenir.
Les aspects mécaniques de ce processus ont essentiellement été étudiés dans le cas
des virus caudés. C’est lors de cette première étape que la majorité des procaryotes
révèle deux mécanismes d ’inactivation de l ’ADN viral  : le système
de restriction-modification et le système CRISPR (voir Chapitre 5).

a. Synthèse des constituants


Les synthèses des constituants du virion commencent dès l’entrée du génome dans
la cellule (cytoplasme ou noyau selon les cas). Les mécanismes de transcription et de
traduction dépendent de la nature des génomes (ADN ou ARN, db ou sb, et polarité dans
ce cas) et de l’hôte. Chez la majorité des bactériophages, la réplication est dépendante
d’ARN- ou ADN-polymérases hôtes. La synthèse des ARNm procède souvent dans
un ordre séquentiel, conformément à l’ordre dans lequel les différents produits sont
nécessaires au développement du virus. Le bactériophage N4 (un Podoviridæ, groupe I)
constitue un cas spécial. Son génome, à ADN db linéaire, est transcrit séquentiellement

202
Chapitre 8 • Notions de virologie

par trois ARN polymérases : la première, une enzyme virale, vARN-Pol1, empaquetée
dans la capside et injectée en même temps que l’ADN, permet l’expression d’une
deuxième enzyme, vARN-Pol2, elle-même responsable de la transcription des enzymes
de réplication et de synthèse des protéines capsidaires, alors que les gènes impliqués
dans l’assemblage de la capside et l’empaquetage de l’ADN et de la vARN-Pol1 sont
transcrits par l’ARN-Pol de l’hôte. Les schémas de développement des eucaryovirus
sont plus complexes, en particulier en raison de la compartimentation cellulaire. D’une
façon générale transcription et réplication des virus à ADN db ont lieu dans le noyau
grâce aux enzymes cellulaires, et celle des virus à ARN dans le cytoplasme. Les cellules
hôtes ne produisant pas d’ARN polymérase ARN-dépendante capable de rétrotranscrire
(convertir un génome à ARN en un ADN complémentaire, dit cDNA), les virus à ARN
codent donc pour leur propre polymérase, qui fonctionne comme enzyme de réplication
et de transcription. Les génomes à ARN sb (+) forment, à partir d’une copie à ARN (−),
des ARNm sub-génomiques qui portent en général les signaux nécessaires pour leur
traduction. Pour la réplication, la polymérase synthétise un ARN db, matrice pour la
production de nouveau génomes ARN sb (+).

b. Assemblage et encapsidation
Les étapes suivantes du développement viral sont l’assemblage de la capside et l’encap-
sidation du génome viral. Chez la plupart des virus à ADN, les protéines constituant la
capside s’auto-assemblent, dans le cytoplasme ou dans le noyau, soit directement autour
du génome viral soit préalablement à l’empaquetage. La capside des virus à ARN sb (−)
(groupe V) s’assemble au fur et à mesure de la synthèse du génome. Les capsides de
nombreux virus (Herpesvirus et virus à capsides complexes) exigent la participation de
protéines d’échafaudage, qui forment une charpente sur laquelle se fixent les protéines
capsidaires, réalisant une procapside. Les protéines d’échafaudage sont ensuite élimi-
nées, et le génome intégré. Des mutants affectés dans diverses étapes de ce processus
chez le phage T4 (§ 4.1b) ont permis d’en reconstruire la chronologie.

c. Libération des virions


La libération des virus de la cellule productrice est une phase importante du cycle car
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elle assure la diffusion des virus dans l’environnement et l’infection de nouveaux hôtes.
De nombreux systèmes ont été développés pour assurer cette fonction. Le processus
est bien connu pour les bactériovirus qui, à la seule exception des phages filamenteux,
utilisent principalement deux groupes de protéines : une holine, qui forme des pores
membranaires, expose alors le peptidoglycane à des endolysines (enzymes lytiques)
qui dégradent cette paroi cellulaire, induisant la cytolyse. Les phages filamenteux sont
libérés par un système d’extrusion sans lyse cellulaire. Les eucaryovirus disposent de
plusieurs mécanismes : destruction de la membrane plasmique, insertion des virus dans
des bourgeons membranaires qui éclatent, libérant les particules, ou dans des nanotubes
formant des connections intercellulaires qui permettent le passage du virus d’une cellule
à une autre.

203
Introduction à la microbiologie

1. Adsorption
et endocytose

2. Décapsidation
libération de l’ARN viral

endosome

4. Morphogenèse
baisse Bourgeonnement
du pH

Synthèse et glycosylation
des protéines d’enveloppe
HANAM2
vARN– vARN–

vARN+
vARNm

Synthèse des
3. Multiplication protéines virales
Réplication du génome
et expression

Figure 8.3 – Cycle d’un eucaryovirus, Influenza (grippe)


La particule virale, entourée d’une enveloppe lipidique hérissée de spicules, est fixée
de manière réversible sur des récepteurs primaires, puis à ses récepteurs secon-
daires, qui permettent son entrée par endocytose, par fusion de l’enveloppe avec la
membrane cellulaire. À l’intérieur de la cellule, le génome viral (sept ou huit molécules
d’ARN), associé à de nombreuses protéines, dont trois polymérases, est transporté
dans le noyau cellulaire, pour y être reproduit. Les nouveaux génomes sont réexpor-
tés dans le cytoplasme, encapsidés et éjectés.

4 Quelques virus typiques


4.1 Groupe I

a. Les phages tempérés λ et Mu


La carte génétique du bactériophage λ (famille des Siphoviridæ) (voir Figure 8.4A),
linéaire, révèle la présence à chaque extrémité de l’ADN de séquences simple brin de
douze bases, complémentaires, dites séquences cos (pour cohésives), permettant la circu-
larisation de la molécule par liaisons covalentes, étape nécessaire à l’infectivité du virus.

204
Chapitre 8 • Notions de virologie

L’infection peut conduire à deux voies exclusives, caractéristiques d’un phage tempéré,
la lyse ou la lysogénie (voir Figure 8.5).
Alternativement au cycle lytique, l’infection peut conduire à l’intégration de l’ADN
phagique, dit alors prophage, en un site précis du génome bactérien. Ce processus,
dit lysogénie, respecte la survie de l’hôte. La Bactérie, dite alors lysogène, perpétue le
prophage, dormant, de façon très stable. La présence de l’ADN viral confère à l’hôte
une immunité contre une surinfection par ce même phage, due à la présence d’une
protéine, CI, codée par le seul gène phagique exprimé dans la cellule lysogène, un
répresseur de l’expression de l’ensemble des autres gènes du phage. Une induction,
spontanée (fréquence de 10 −5 par cellule) ou provoquée (par perturbation de la synthèse
de l’ADN, notamment par irradiation), induit le cycle lytique dont l’une des étapes
précoces est l’excision du prophage de son site d’insertion. La décision lyse/lysogénie
dépend de deux protéines régulatrices à effets antagonistes : la protéine CI et une
protéine, Cro, inhibitrice de l’expression du gène cI, qui sont en compétition pour les
mêmes séquences opératrices (voir Chapitre 6). Lors de l’infection, les deux protéines
sont synthétisées, et c’est leur concentration relative qui va déterminer la voie suivie.
L’acteur essentiel de la décision est une autre protéine phagique, CII, un régulateur
transcriptionnel, qui permet un jeu de reconnaissance par l’ARN-Pol bactérienne
entre séquences promotrices des gènes cI et cro (et de celui de l’intégrase), affectant
leurs niveaux d’expression. Le choix entre voie lytique et voie lysogénique dépend
aussi d’autres facteurs tels la présence d’une protéase bactérienne dégradant CII ou
d’une protéine phagique la protégeant, l’état physiologique de l’hôte (une croissance
rapide conduira plus fréquemment à la voie lytique), la multiplicité d’infection (nombre
moyen de phages infectant une cellule) – une multiplicité supérieure à 3 conduisant
toujours à la lysogénie.

A Gènes non essentiels Contrôle tardif


Recombinaison :
tête queue site-spécifique homologue lyse
cos
cos

Nu1AWB C Nu3 D E FI FIIZU V G T H M L K I J lom sib int xis exo bet N cI cro cII OP Q S R Rz

attP
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Transposition

B Activateur de
Immunité

transcription des gènes Région G


tardifs
Gènes semi-essentiels Lyse Tête Queue

c ner A B kil gam sot arm gemAB C lys D E H F G I T J K L M Y N P QVW R S UU’ S’ gin com mom
attL attR

Figure 8.4 – Cartes génétiques de deux bactériophages tempérés intégratifs


d’E. coli λ (A) et Mu (B)

205
Introduction à la microbiologie

A B

Figure 8.5 – Cycle du bactériophage tempéré λ d’E. coli


Dans la cellule infectée, l’ADN phagique, injecté sous forme linéaire, est circularisé par
liaisons covalentes au niveau des extrémités cos. Un contrôle génétique et épigéné-
tique conduit le génome viral à suivre l’un ou l’autre de deux programmes alternatifs
de développement : cycle lytique, productif de particules virales (A) ou lysogéniques
(B). Dans la voie lytique, la réplication se produit en deux étapes, une multiplication
de formes circulaires suivie de leur réplication par cercle roulant, conduisant à la for-
mation de concatémères génomiques (voir Chapitre 4). Parallèlement, la synthèse des
protéines de la capside permet la formation de têtes et de queues du phage. Chaque
tête est emplie par une unité génomique issue d’une structure concatémérique, d’une
séquence cos à la suivante. La queue y est alors adaptée, formant une particule virale
complète. Dans la voie lysogénique le génome viral est intégré par une recombinaison
entre deux sites, bactérien, attB, et phagique, attP, grâce à une intégrase phagique.
Sous cette forme le génome viral (prophage) est reproduit par la machinerie de répli-
cation du chromosome bactérien, et transmis de façon stable au cours des divisions
cellulaires. L’induction conduit à l’excision du prophage, qui suit alors un cycle lytique.

Les cartes génétique et physique du bactériophage Mu (famille des Myoviridæ) sont


les mêmes dans le virus libre et dans sa forme prophage (voir Figure 8.4B). L’état lyso-
gène se caractérise par la synthèse d’un répresseur de l’expression de l’ensemble des
gènes impliqués dans le processus lytique. À la différence de λ, le choix lyse/lysogénie
est gouverné par la dégradation ou le maintien du répresseur, sous le contrôle de deux
protéases bactériennes. Une autre différence importante avec λ concerne l’intégration et

206
Chapitre 8 • Notions de virologie

la réplication de l’ADN de Mu, réalisées selon un processus de transposition réplicative


(voir Chapitre 5). L’insertion du prophage se fait par intégration sans spécificité de site,
et la réplication correspond à une série de transpositions du prophage, dont les copies
ne sont jamais libres dans le cytoplasme mais réintégrées au hasard sur le génome ou sur
d’autres réplicons de la cellule. Durant le cycle lytique, la synthèse des protéines structu-
rales de la capside conduit à la formation de têtes et de queues de phages. L’encapsidation
consiste en un remplissage intégral de la tête phagique (mécanisme de la tête pleine) à
partir d’une extrémité de l’ADN de Mu, puis de la coupure de « ce qui dépasse ». Après
ajustage de la queue, la Bactérie est lysée et libère environ cent bactériophages.
Chez d’autres bactériophages tempérés (tel P1, qui infecte E. coli) le prophage n’est
pas intégré dans le chromosome de l’hôte, mais reste dans le cytoplasme, sous une
forme équivalente à un plasmide, transmis de façon stable au cours des divisions (voir
Chapitre 5).

b. Le phage virulent T4
Historiquement, le bactériophage T4 et ses « frères » T2 et T6 (la série des phages T
pairs), ont été au cœur d’études de problèmes fondamentaux de biologie : origine spon-
tanée des mutations, nature du code génétique, mise en évidence de l’ARN messager. Le
phage T4 a été la première entité biologique dans laquelle ont été identifiés des introns.
Ces trois phages ont aussi été les premiers isolés de cette famille. Ils présentent une
forte ressemblance morphologique et peuvent donner lieu à des échanges génétiques.
Comme les autres membres de cette sous-famille, le virion a une structure complexe,
avec tête icosaédrique et queue contractile (voir Figure 8.2E). Plus de 40 % de leur infor-
mation génétique est consacrée à la synthèse et l’assemblage de ces structures. L’ADN,
db linéaire, a une taille de 169 kb, avec des redondances terminales de 2,3 à 4,3 kb,
différentes d’une particule à l’autre d’un même phage.
L’adsorption irréversible du phage sur son hôte, par le biais des fibres terminales de
sa queue, entraîne la contraction de celle-ci, provoquant l’injection de l’ADN dans la
Bactérie (voir Figure 8.6). Le cycle suit une chronologie stricte (voir Figure 8.7). L’ADN
est protégé des réactions de défense de l’hôte par hydroxyméthylation des cytosines, lors
de sa réplication. En outre, des protéines virales injectées lors de l’infection bloquent
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l’action des enzymes de restriction. La machinerie de transcription de l’hôte est tota-


lement détournée au profit du phage par deux processus, une modification (par une
protéine virale) d’une sous-unité de l’ARN polymérase, et la dégradation rapide de l’ADN
de l’hôte, les produits de dégradation étant utilisés pour la synthèse de l’ADN du virus.
T4 code les enzymes nécessaires à sa réplication, ainsi que des protéines impliquées
dans la réparation et la recombinaison de l’ADN. La réplication du génome, sous forme
linéaire, génère des extrémités 3’OH simple brin que ne peuvent pas combler les ADN
polymérases classiques. T4 résout ce problème grâce à des recombinaisons faisant inter-
venir soit les deux extrémités d’une même molécule, soit une autre molécule d’ADN
possédant une séquence homologue à l’intérieur de sa propre séquence, permettant

207
Introduction à la microbiologie

ainsi la mise en place d’une fourche de réplication. Cela permet de générer de longs
concatémères, substrats pour l’encapsidation de l’ADN. Le processus d’encapsidation,
mécaniquement semblable à celui de λ, se rapproche toutefois de celui de la tête pleine du
phage Mu. En effet, la dimension de la tête du phage lui permet de contenir un peu plus
d’un génome, générant les répétitions terminales que l’on observe dans les particules
matures. L’encapsidation de l’ADN est suivie de l’adjonction d’une queue à la tête pleine.
La lyse de la Bactérie libère cent à deux cents virions.

Contact non Fixation spécifique, Contraction Pénétration dans Injection de


spécifique ou adsorption de la queue l’enveloppe l’ADN

Figure 8.6 – Adsorption du bactériophage T4 d’E. coli


La durée du processus est de l’ordre d’une minute à 37 °C.

ADN phagique Protéines du cou,


de la plaque basale,
des fibres caudales
Nucléases,
ADN polymérase,
Nouveaux facteurs

Réplication de l'ADN phagique Protéines de la Particule phagique


tête phagique mature

ARNm précoces ARNm tardifs Auto-assemblage

ARNm intermédiaires Production de lysozyme


Infection
T4-spécifique
Protéines précoces Protéines tardives

Protéines intermédiaires Lyse

0 5 10 15 20 25
Minutes

Figure 8.7 – Chronologie du cycle du bactériophage virulent T4 d’E. coli


Dans la cellule l’ADN viral est exprimé et traduit selon une séquence temporelle
précise (indiquée par des flèches). La réplication commence quelques minutes après
l’entrée de l’ADN viral dans la cellule et continue pendant environ la moitié du cycle
pour former une centaine de copies. Les protéines structurales de la capside sont
synthétisées à peu près simultanément, assemblées pour former de nouvelles têtes,
qui intègrent les génomes par le mécanisme de la tête pleine, et sont soudées aux
queues, donnant de nouveaux virions. La lyse de la cellule libère les virions.

208
Chapitre 8 • Notions de virologie

c. Deux archéovirus
L’étude des archéovirus s’avère difficile, tant dans la nature qu’en laboratoire, du fait
des conditions extrêmes dans lesquelles vivent leurs hôtes. Des études approfondies
ne peuvent être menées que pour des souches assez aisément cultivables, ce qui biaise
la connaissance que l’on peut avoir de la diversité de ces virus. Cette diversité a cepen-
dant été mise en évidence grâce aux approches de métagénomique. Les archéovirus
« modèles » sont donc peu nombreux. Deux d’entre eux, STIV1 (17,3 kb) et SIRV2
(35 kb), respectivement icosaédrique et filamenteux, ont pour hôte le genre Sulfolobus.
Le processus d’adsorption de STIV1 n’a guère été abordé. Les études transcriptomique
et protéomique de l’infection montrent que l’expression des gènes est non séquentielle. En
outre l’infection entraîne une modification du niveau d’expression d’un certain nombre
de gènes de l’hôte, dont celui d’un constituant du complexe ESCRT (voir Chapitre 3), qui
participe à la maturation de la capside virale et à la sortie du virus. Le processus de sortie,
très complexe et unique, implique la formation de structures pyramidales sur la paroi
cellulaire, lesquelles s’ouvrent en fin de cycle, laissant s’échapper les virus. Ce mécanisme
laisse intacte l’enveloppe de la cellule, bien que celle-ci ne soit plus viable.
L’adsorption de SIRV2 se fait par des filaments terminaux situés en queue du virus
reconnaissant l’extrémité de pili de l’hôte, abondants sur sa surface. Le virus glisserait
ensuite le long du pilus, se rapprochant de la surface membranaire. L’analyse transcrip-
tomique indique aussi une expression non séquentielle des gènes au cours du processus
infectieux. Une protéine de l’hôte serait impliquée dans la réplication de l’ADN viral. La
libération des virions suit le même mécanisme que pour STIV1, une similitude remar-
quable étant donné les différences de morphologie de ces virus.

d. Acantamoeba polyphaga mimivirus


Les virus des protistes sont peu connus, leur étude ayant longtemps été limitée à un petit
nombre de parasites de levures, micro-algues et diatomées. La découverte du premier
virus « géant » infectant des amibes, en 2003, suivie d’un certain nombre d’autres, a
révélé des propriétés insoupçonnées, ce qui a conduit à réexaminer un certain nombre
de concepts de virologie que l’on croyait solidement établis. Actuellement, une seule
famille est définie, les Mimiviridæ, comprenant un seul genre, Cafeteria Mimivirus,
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avec deux espèces, Acantamoeba polyphaga mimivirus (APMV) et Cafeteria roenber-


gensis virus. D’autres virus du même groupe (Pandora, Pithovirus) n’ont pas encore
été assignés à une famille. Ces virus ont un niveau de complexité proche de celui de
procaryotes ou d’Eucaryotes parasites. Les dimensions de sa capside (700 nm) et de
son génome (1,14 Mb), et les propriétés de APMV l’avaient initialement fait considérer
comme une Bactérie (d’où son acronyme MImicking MIcrobes VIRUS). La particule
virale est couverte de fibrilles de 120-140 nm de long qui permettent sa fixation sur
des supports vivants. À l’intérieur de la capside icosaédrique une bicouche lipidique
(probablement acquise à partir du réticulum endoplasmique de la cellule hôte) enve-
loppe la nucléocapside, compartiment fermé par une membrane lipidique contenant

209
Introduction à la microbiologie

l’ADN viral et des ARNm. La particule entre dans la cellule par phagocytose, où elle
libère la nucléocapside à travers un unique sommet de la capside. La transcription peut
être initiée dès ce stade. Le génome est libéré et répliqué dans le cytoplasme. Il pourrait
être enrobé dans une couche membranaire du réticulum endoplasmique, formant « un
centre réplicatif », et plusieurs de ceux-ci pourraient fusionner pour constituer une
« usine virale » contenant des zones impliquées, successivement, dans la réplication,
la biogenèse membranaire, l’assemblage de la capside, l’encapsidation de l’ADN puis
l’acquisition des fibres. L’analyse protéomique de particules de Pithovirus a montré la
présence de 159 protéines impliquées dans la structure de la particule, la transcription,
la réparation de l’ADN, les modifications de l’ARN ou de protéines ou de lipides, ou
de fonction inconnue. Le génome code 979 gènes, beaucoup plus que les autres virus
connus, dont, fait particulier, des ARNt et des enzymes impliquées dans la synthèse
des nucléotides et le métabolisme d’acides aminés et de polysaccharides. La découverte
des Mimiviridæ s’est accompagnée de celle d’un ensemble d’autres virus, les virophages
(tel Sputnik), des virus à petit génome à ADN db (seize à trente-quatre gènes) ne se
répliquant que dans des amibes infectées par un Mimiviridæ, en exploitant la machine
réplicative de ces derniers, dont ils peuvent aussi intégrer le génome.

4.2 Groupe II - Les phages ΦX174 et M13


ΦX174 (famille des Microviridæ) n’infecte que les Entérobactéries, alors que les phages
filamenteux connus, dont M13 (famille des Inoviridæ), infectent une soixantaine de
Bactéries à Gram− incluant Escherichia, Salmonella, Pseudomonas, Xanthomonas, Vibrio,
Thermus, Neisseria, et au moins deux espèces à Gram+. ΦX174 comme M13 et les phages
apparentés fd et f1, s’adsorbent sur les pili sexuels des hôtes à Gram −. Des pili (§ 3.1) ils
rejoignent leur récepteur secondaire, les molécules de lipopolysaccharides (ΦX174) et
des protéines membranaires (M13). L’ADN viral est injecté, sous forme circulaire, à
travers la (les) membrane(s) (par un mécanisme peu connu) jusqu’au cytoplasme (voir
Figure 8.8). Les génomes (onze et dix gènes, respectivement) codent pour le(s) gène(s)
produisant une (des) protéine(s) impliquée(s) dans la réplication, et ceux (dix et huit,
respectivement) codant les protéines de la capside et de son assemblage. La réplication
inclut la formation d’un ADN db par synthèse par la polymérase de l’hôte du filament
(−). Cet intermédiaire circulaire sert de matrice pour la synthèse du concatémères du
brin linéaire (+) par cercle roulant. Ce brin est scindé en unités génomiques, qui sont
circularisées. Une fois les gènes tardifs exprimés, dans le cas de ΦX174, une procap-
side est assemblée dans le cytoplasme, et une protéine virale associée au complexe de
réplication induit l’empaquetage dans celle-ci de la forme génomique, l’ADN sb (+). Les
virions mûrs sont libérés par lyse de la paroi cellulaire par des molécules de lysozyme,
codé par le virus. La maturation des particules de M13 et leur export ont lieu au niveau
d’un canal trans-enveloppes cellulaires, qui guide l’assemblage autour de l’ADN viral de
protéines de structure de la capside, laquelle s’allonge au fur et à mesure de la progression
de l’ADN. Ce processus attente peu à l’intégrité de l’hôte, dont la croissance se poursuit,
plus lentement cependant, et permet une réplication prolifique du génome phagique. Les
rendements peuvent atteindre 1013 particules par millilitre de culture infectée.

210
Chapitre 8 • Notions de virologie

sF
n pilu
àu
on
ati
Fix Particule phagique mature

Assemblage et sortie
F+ d’une particule mature
Membrane externe
? ?
Membrane interne

Infection

Signal de
Brin + infectieux P2, morphogenèse
P10 Complexe PV/ADN ss
Forme réplicative
P2, P10 Phase tardive (forte [P5])
Production
Cercle roulant de brins +
Phase précoce ([P5] faible)

Figure 8.8 – Cycle du bactériophage M13 d’E. coli

4.3 Groupe III - Le phage Φ6


Le phage le plus connu de la famille des Cystoviridæ, Φ6, infecte Pseudomonas syringæ,
une Bactérie diderme pathogène des plantes (voir Chapitre 7). Φ6 est un virus sphé-
rique enveloppé par une structure en triple couche. La couche externe, une membrane
lipidique originaire de l’hôte, est couverte de protéines virales dont l’une est respon-
sable de la spécificité d’hôte via son interaction avec le récepteur du phage sur l’hôte.
Cette membrane enveloppe une nucléocapside, caractéristique rare chez les virus de
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

procaryotes, de forme icosaédrique, formée de deux coques concentriques de protéines


virales, la plus interne étant une ARN-Pol ARN-dépendante (ou ARN réplicase),
responsable à la fois de la transcription et de la réplication. Après adsorption du virion
sur un pilus F et rétraction de ce dernier, la membrane externe du phage se fond dans la
membrane externe de la Bactérie et une digestion locale du peptidoglycane entraîne la
nucléocaspide dans l’espace périplasmique, d’où elle rejoint le cytoplasme. L’ARN-Pol
synthétise les ARNm correspondant aux trois segments génomiques, permettant la
synthèse des protéines virales. L’auto-assemblage des protéines capsidaires forme des
procapsides, dans lesquelles l’empaquetage contrôlé d’une copie (+) de chacun des trois
ARNm peut alors avoir lieu, suivant un mécanisme peu connu. L’ARN-Pol reconstitue le
génome ARN db en synthétisant les brins complémentaires. L’enveloppe du virion sera

211
Introduction à la microbiologie

constituée au moment de la libération des particules par assemblage avec des phospho-
lipides de la membrane de l’hôte. Les virions sont alors libérés (quarante-cinq minutes
après l’infection) suite à une lyse partielle du peptidoglycane par une protéine phagique.

4.4 Groupe IV - Les phages MS2 et Qβ


Les cycles des deux phages modèles de ce groupe, Qβ et MS2 (famille des Leviviridæ),
présentent de fortes similitudes (voir Figure 8.9). L’ARN-Pol ARN-dépendante, associée
à des protéines de l’hôte, est la seule protéine phagique ayant une activité enzyma-
tique. Synthétisée précocement, elle complémente l’ARN parental (+) pour produire un
intermédiaire ARN db, qui sert de matrice pour synthétiser les copies ARN sb (+) géno-
miques. Deux autres protéines phagiques constituent la capside mature, et la quatrième,
responsable de la reconnaissance du pilus F pour l’adsorption, inhibe la synthèse du

Virus fixé sur un


pilus sexuel
Génome à ARN + ss
Pilus sexuel

Pénétration de l’ARN viral

Capside virale vide

ARN Réplicase
Traduction des protéines phagiques
de synthèse du brin

Traduction des Tête phagique


protéines phagiques Synthèse accrue de brins
de lyse Traduction
des brins
Lyse
cellulaire
Assemblage ARN + dans la tête

Figure 8.9 – Le cycle du bactériophage MS2.


P5, P10 et PV sont des protéines codées par MS2.

212
Chapitre 8 • Notions de virologie

peptidoglycane, provoquant la lyse de la cellule et la fin du cycle. Tous deux, s’adsorbant


sur un pilus sexuel, ont pour hôtes les genres bactériens dans lesquels le plasmide F
peut être maintenu (E. coli, Salmonella, Shigella, Proteus). Qβ, le plus petit phage connu
(24 nm de diamètre, quatre gènes), est donc présent en abondance dans les eaux usées,
en particulier d’origines animale et humaine. Sa détection dans un échantillon de ces
eaux est utilisée comme indicateur de la présence d’Entérobactéries, donc d’une conta-
mination fécale pouvant éventuellement contenir d’autres pathogènes de l’Homme.

4.5 Les phytovirus


Les connaissances sur les virus des plantes, ou phytovirus, moins étendues que celles
concernant les virus des animaux, se sont surtout focalisées sur les virus de plantes
cultivées, soit moins de 0,1 % des végétaux connus. Cela peut sembler paradoxal, compte
tenu de leur importance dans la naissance et le développement de la virologie, et de
l’incidence économique des dommages qu’ils produisent sur les plantes alimentaires
et ornementales (la perte de récoltes annuelle mondiale est estimée à 60 milliards de
dollars US). En 2014, le nombre de phytovirus répertoriés (données de l’ICTV) était
de 1 210 espèces, réparties en cent treize genres et vingt familles. Les phytovirus sont
ubiquistes chez les végétaux. Leur nomenclature dérive généralement de l’hôte chez
lequel le premier isolement a été obtenu, suivie parfois du type de manifestation provo-
quée dans la plante (virus de la mosaïque du tabac, VMT) ou encore de son origine
géographique. Les spectres d’hôtes sont très variables. À une extrémité le virus Papaya
Ring Spot n’infectant qu’un nombre limité d’espèces, surtout des cucurbitacées, à l’autre
le virus de la mosaïque du concombre (VMC) capable d’infecter 1 200 espèces végétales,
dont des plantes maraîchères, des plantes ornementales et des plantes adventices. Les
symptômes de l’infection par ces virus sont une marbrure foliaire (décoloration du
limbe foliaire formant une mosaïque de couleurs, d’où le nom des virus), un jaunis-
sement du feuillage, des anneaux nécrosés, le rabougrissement et des déformations de
l’ensemble de la plante.
Une infection par un phytovirus a deux caractéristiques principales : elle se produit
par dissémination du virus au niveau d’abrasions provoquées par la pratique agricole
ou par la piqûre d’un insecte porteur du virus (le VMC peut être transmis par plus de
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quatre-vingts espèces d’aphides) ; elle intéresse tous les organes de la plante, les virions
passant d’une cellule à une autre, dans tous les tissus, provoquant une infection systé-
mique.
Les principales morphologies des capsides sont des sphères ou des bâtonnets (plus
ou moins rigides), généralement icosaédriques. Les génomes sont généralement petits
(quatre à douze gènes), et présentent toutes les combinaisons possibles, ADN ou ARN,
double ou simple brin, linéaires ou circulaires, les génomes à ARN sb, (+) ou (−), étant
cependant très majoritaires (environ 90 %), et ceux à ARN db linéaires et ADN db
circulaires représentant chacun environ 4 %. Les génomes à ARN sb (+) présentent une
étonnante diversité. Ils sont souvent segmentés (deux à cinq parties), chaque fragment

213
Introduction à la microbiologie

enfermé dans une capside propre. L’infection, pour être efficace, nécessite donc la
présence de toutes les particules permettant de reconstituer un génome entier. Les virus
à ARN sb (−) ou ambisens sont en revanche morphologiquement et génétiquement peu
différents des Bunyaviridæ qui infectent les animaux. La réplication de la majorité des
génomes de phytovirus (donc à ARN sb) passe par une phase à ARN db.
Le virus de la mosaïque du tabac forme un bâtonnet long de 300  nm avec un
diamètre de 18 nm, constitué de 2 300 copies d’une même protéine, qui s’enroulent
autour d’un génome à ARN sb linéaire (+) de 6,3-6,5 kb. Cet ARN porte à l’extrémité 3’
une structure 3D de type ARNt et en 5’ une coiffe constituée d’un nucléotide modifié
analogue à la coiffe des ARNm eucaryotes. Cette coiffe assure la protection de l’ARNm
pendant la traduction. Le génome du VMT code trois protéines : une ARN-Pol ARN-
dépendante (ou réplicase) impliquée dans la transcription et la réplication, une protéine
impliquée dans le déplacement du virus (MP) et la protéine de capside. La particule
entre dans le cytoplasme, où commence la désagrégation de la capside. La traduction de
l’ARN pourrait faciliter ce désassemblage par association d’un ribosome à l’extrémité 5’
de l’ARN viral. Une fois le génome libre, la réplicase initie le cycle par la synthèse d’un
ARN db. Puis elle transcrit cette forme bicaténaire en vue de la production des protéines
virales, et réplique des molécules génomiques, ARN sb linéaires (+). La réplication a
probablement lieu dans un complexe associé à la membrane, contenant l’ensemble des
protéines de réplication, la protéine MP, l’ARN viral et des protéines de l’hôte. L’assem-
blage des virions est intra-cytoplasmique. Au terme du cycle le complexe virion-protéine
MP passe vers d’autres cellules via les plasmodesmes (des pores de communication
intercellulaires), provoquant une infection systémique.

214
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Les virus sont des entités biologiques parasites dépourvues de métabolisme,
ne pouvant se reproduire que dans une cellule hôte, qu’ils infectent, Bactérie,
Archée ou Eucaryote.
2 Le virion est la forme extracellulaire inerte, formée d’une capside, éventuelle-
ment enveloppée, qui enferme le génome, constitué d’une ou plusieurs molé-
cules, d’ARN ou ADN, mono ou bicaténaire.
3 La capsule protège le génome et porte les structures spécifiques nécessaires
à l’adsorption sur le(s) hôte(s) et le transfert du génome dans celui/ceux-ci.
4 Les cycles de développement varient suivant les virus et le type d’hôte.
5 Les virus peuvent soit injecter leur seul génome dans l’hôte (cas fréquent chez
les virus des procaryotes), soit pénétrer sous forme de nucléocapside (virus
d’Eucaryotes).
6 La réplication du génome viral est cytoplasmique (virus de procaryotes), et
cytoplasmqiue ou nucléaire chez les virus d’Eucaryotes.
7 Réplication et transcription utilisent des enzymes virales et/ou de l’hôte.
8 Les virus jouent un rôle important dans l’évolution des organismes.
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215
Entraînez-vous
8.1 Quels sont actuellement les critères retenus pour la classification des virus ? Pour-
quoi cette classification ne retient-elle pas les niveaux supérieurs (classe, phylum,
domaine) utilisés pour l’arbre universel du vivant ?
8.2 Définir les étapes du développement d’un virus.
8.3 Quelles structures de l’hôte procaryote interviennent dans sa reconnaissance par
un virus ?
8.4 Définir le terme de phage tempéré, et préciser la différence principale entre les
phages Mu et lambda d’E. coli.
8.5 L’intégration du génome du phage lambda dans l’ADN bactérien conduit à une
permutation circulaire alors que celle du phage Mu maintient la carte génétique
(voir Chapitre 5). À quoi doit-on attribuer cette différence ?
8.6 En quoi l’infection par le phage T4 est-elle irréversible pour son hôte ?
8.7 En quoi la découverte des Mimivirus remet-elle en question certains concepts de
virologie ?
8.8 Quels sont les processus utilisés par les bactériovirus pour sortir de la cellule
infectée ?
8.9 Le phage ΦX174 donne des plages de lyse sur un tapis de son hôte, alors qu’il n’en
va pas de même pour M13, qui ne donne que des « taches claires ». En quoi leur
processus de sortie de la Bactérie explique-t-il cette différence ?

216
Chapitre 9 Biotechnologies
microbiennes
Introduction

Depuis les premières utilisations de micro-organismes pour la production d’aliments et de


boissons, destinées à améliorer la conservation des produits disponibles, en passant par
la rationalisation des procédés (L. Pasteur et R. Koch) au XIXe siècle, la biotechnologie a
largement évolué, grâce aux avancées des connaissances (génétique et physiologie) et des
technologies, atteignant l’ère de l’ingénierie métabolique et de la biologie synthétique.

Objectifs Plan
Connaître les principaux métabolites produits 1 Des procédés classiques à
par des Bactéries grâce à l’ingénierie l’ingénierie
métabolique 2 Santé humaine et ingénierie
Identifier les enzymes clefs permettant la métabolique
biosynthèse de ces métabolites ou exerçant 3 Des approches innovantes
une action défavorable
Définir les différentes stratégies utilisant
alternativement la surexpression ou la
répression de voies métaboliques pour
optimiser le rendement
Expliquer comment un micro-organisme
peut être modifié génétiquement afin de
produire une nouvelle molécule

1 Des procédés classiques à l’ingénierie


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Les premières biotechnologies datent de plusieurs millénaires, quand nos ancêtres


commencèrent à préparer des aliments et des boissons tels que pain, bière, vin, vinaigre,
ou produits de la fermentation du lait, grâce à leurs observations empiriques. Ces prépa-
rations permettant de conserver les produits naturels disponibles, leur pratique s’est
maintenue à travers les siècles. L’utilisation de végétaux décomposés naturellement
comme fertilisants dans le sol doit dater d’à peu près la même période (le début de l’agri-
culture). La rationalisation des procédés, qui a découlé de la mise en évidence du rôle
fondamental des micro-organismes dans ces transformations, n’a vraiment démarré
qu’avec les débuts de la microbiologie scientifique, grâce à L. Pasteur et R. Koch, au

217
Introduction à la microbiologie

xixe siècle. L’exploitation de fermentations contrôlées pour la production de molécules


à usage industriel ou de vaccins s’est alors développée. Ainsi, la seconde guerre mondiale
a déclenché et accéléré la production de glycérol, d’acétone et de butanol (nécessaires
pour préparer la nitroglycérine, la poudre explosive et le caoutchouc, respectivement),
et des premiers antibiotiques. La diversification des domaines impliqués a incité cher-
cheurs et industriels à améliorer les souches productrices et les procédés de culture, afin
de parvenir à des rendements économiquement rentables. Ceci a débuté en soumettant
les souches à des mutagénèses physico-chimiques « à l’aveugle » (voir Chapitres 5 et 6),
destinés entre autres à lever ou modifier certaines régulations cellulaires interférentes.
Ces procédés, qui nécessitaient de longues étapes de criblage, ont néanmoins permis
d’améliorer sensiblement les niveaux de production de métabolites naturels primaires
ou secondaires. La plupart des métabolites d’intérêt sont encore produits par des micro-
organismes sélectionnés dans l’environnement et améliorés génétiquement. Des acides
aminés et des antibiotiques (β-lactamines, tétracyclines, macrolides…) restent parmi
les métabolites les plus produits malgré la crise que traverse actuellement l’antibiothé-
rapie ; il en est de même des produits à usage alimentaire (vitamines, arômes, acides
organiques, dextranes, etc.), des substituts de pétrole (1,2 propane-diol, butanol), et des
biopolymères bactériens naturels, tel le poly-β-hydroxybutyrate produit par Alcaligenes
eutrophus, utilisables pour la synthèse de plastiques biodégradables.
L’avènement du génie génétique, renforcé par les avancées spectaculaires des techno-
logies de biologie moléculaire et l’accumulation de très nombreuses données génétiques
et biochimiques, a donné lieu à une nouvelle discipline, l’ingénierie métabolique. Il
devient possible de cibler les mutations souhaitées, d’exprimer des enzymes hétérolo-
gues dans une souche microbienne plus « manipulable », d’identifier plus facilement les
enzymes pertinentes, et d’ouvrir la voie à une multiplicité de combinaisons génétiques.

1.1 Ingénierie génétique : production d’acides aminés


La demande en acides aminés concerne de nombreux secteurs. Méthionine, tryptophane,
lysine et thréonine, peu ou pas présents dans les fourrages, servent de compléments
alimentaires en zootechnie. D’autres sont des points de départ de procédés industriels
variés (alimentation, pharmacie, plastiques biodégradables, solvants « verts », cosmé-
tiques, textiles, détergents et agents tensio-actifs) ou des précurseurs de produits à usage
médical, telle la dopamine. Ces métabolites primaires sont majoritairement produits
par voie fermentaire$ à partir de souches bactériennes améliorées. Les productions de
glutamate et de lysine par Corynebacterium glutamicum figurent parmi les plus emblé-
matiques.
Commercialisé essentiellement sous forme de sel de sodium, le glutamate (forme
aqueuse normalement ionisée de l’acide glutamique) est un additif exhausteur de goût
largement utilisé. Actuellement, environ trois millions de tonnes d’acide glutamique
sont produites par an, grâce à une souche modifiée de C. glutamicum. C’est le plus fort
tonnage au niveau de la production des acides aminés.

218
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

Ce métabolite est synthétisé par la glutamate déshydrogénase à partir de


l’α-cétoglutarate (voir Figure 9.1). Durant la phase de croissance, la pyruvate carboxy-
lase est l’enzyme anaplérotique majoritaire chez C. glutamicum ; c’est elle qui alimente
le cycle de Krebs. Lorsque la phase stationnaire de croissance est atteinte, la majorité de
l’isocitrate (82 %) est transformée en glutamate, notamment du fait que C. glutamicum
possède un cycle de Krebs déficient en α-cétoglutarate déshydrogénase. Le glutamate
devient alors le produit final majeur de la dégradation du glucose par cette Bactérie.
Cependant cette surproduction n’est possible que par inhibition au moins partielle des
régulations biochimiques affectant précisément le taux de produit final dans la cellule.
La souche industrielle C. glutamicum 2262, portant des mutations de ces régulations,
permet de s’affranchir de certaines rétro-inhibitions.
Par ailleurs, si rien n’est fait, le glutamate produit en abondance s’accumule à l’in-
térieur de la cellule, ce qui entraîne une inhibition de certaines enzymes (glutamate

Glucose

CO2

Pyruvate Acétyl-CoA
CO2
Pyruvate carboxylase CO2

CO2 CO2
Oxaloacétate
Citrate
Acétyl-CoA
Malate
Malate
synthétase
cis-Aconitate
Glyoxylate
Fumarate
membrane
cellulaire
Isocitrate lyase Isocitrate
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Succinate

Succinyl-CoA Oxalosuccinate

Absence de l’α-céto glutarate α-céto


déshydrogénase glutarate

Glutamate NH4+
CO2
déshydrogénase

Glutamate

Figure 9.1 – Production de glutamate par Corynebacterium glutamicum

219
Introduction à la microbiologie

déshydrogénase) par rétro-inhibition négative. En effet, les Corynébactéries, qui sont


capables d’excréter convenablement les acides aminés basiques et neutres, n’excrètent
pas naturellement les acides aminés dicarboxyliques (aspartate et glutamate). Afin d’en
diminuer la concentration intracellulaire, l’excrétion de l’acide glutamique est induite
artificiellement, principalement par trois types de stress :
– Une limitation de la concentration en biotine (vitamine H), qui intervient dans la
synthèse des acides gras. C’est pourquoi une souche ayant besoin de biotine pour
sa croissance et cultivée dans un milieu pauvre en cette vitamine peut développer
une membrane défectueuse (pauvre en phospholipides, avec un taux d’acides palmi-
tiques plus élevé que le taux d’acides oléiques), ce qui facilitera l’excrétion de l’acide
glutamique.
– L’ajout d’un tensioactif (Tween 40), qui fragilise la membrane et contribue à aug-
menter sensiblement le flux de glutamate vers le milieu de culture.
– Une élévation de la température du milieu de culture. Une fois que la biomasse
obtenue à 33  °C est suffisante, la température est amenée à 39  °C. Ce traitement
conduit à une augmentation très significative du niveau de glutamate extracellu-
laire. Il est ainsi possible d’atteindre un taux de 85 g/L dans le milieu de culture
(avec stress thermique), alors qu’il est négligeable dans la même culture non sou-
mise à ce traitement.
La lysine est un acide aminé essentiel pour les animaux domestiques et les humains,
puisqu’ils ne le fabriquent pas naturellement. Il existe aussi quelques indications
médicales de cet acide aminé. C’est la deuxième plus importante production après le
glutamate (environ un million de tonnes en 2018). Aujourd’hui la lysine est essentielle-
ment produite par des souches de C. glutamicum portant des mutations d’auxotrophie et
de régulation (voir Figure 9.2). Dans la voie métabolique de synthèse de la lysine, l’aspar-
tokinase K joue un rôle clef. Deux rétrorégulations négatives exercées par la thréonine
et la lysine règlent précisément son activité. Afin de les éliminer, différentes mutations
ont été incluses dans la souche d’origine :
– Le gène de l’homosérine déshydrogénase a été inactivé, ce qui empêche désormais
la conversion de l’aspartate β-semialdéhyde en homosérine. Cela entraîne plusieurs
conséquences. Tout d’abord la thréonine n’étant plus produite, l’aspartokinase n’est
plus inhibée par cet acide aminé. Ensuite, le flux métabolique vers l’homosérine
étant interrompu, le flux vers la lysine est renforcé. Enfin, cette souche étant devenue
auxotrophe pour la méthionine, la thréonine et l’isoleucine, il faudra fournir ces
trois acides aminés dans le milieu de culture.
– Le gène de l’aspartokinase K, aspK, a été muté pour surmonter la rétro-inhibition
par le couple lysine + thréonine. Ces mutants ont été sélectionnés par leur capacité
de croissance en présence de S-2-aminoéthylcystéine, un analogue de la lysine qui
inhibe la croissance des bactéries sauvages en raison de la forte rétro-inhibition
qu’il exerce sur l’aspartokinase K. Après une mutagénèse aléatoire (par des agents
mutagènes physiques ou chimiques), des mutants du site de régulation de aspK ont

220
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

pu être sélectionnés par leur non-reconnaissance de la S-2-aminoéthylcystéine (et


donc aussi de la lysine).
La présence conjointe de ces mutations (et l’élimination d’autres mutations néfastes)
a donné naissance à une souche hyperproductrice de lysine. La souche native de
C. glutamicum excrète naturellement la lysine au-delà d’une certaine concentration
intracellulaire, grâce à un transporteur, LysE. Il n’est donc pas nécessaire de fragiliser
la membrane pour l’excrétion de cet acide aminé, contrairement au cas du glutamate.
Grâce à ce type de mutants, les rendements de conversion du glucose en lysine atteignent
30 % et les concentrations de lysine environ 40 g/L de culture. La souche sauvage n’en
sécrète que des quantités négligeables du fait des rétro-inhibitions qui limitent le flux
vers cet acide aminé.

L-aspartate

Aspartokinase K
Rétro-inhibition Rétro-inhibition

β-aspartyl-phosphate

L-aspartate-β-semialdéhyde

Homosérine déshydrogénase

homosérine thréonine

acide diamino- méthionine isoleucine


pimélique

lysine
Transporteur LysE
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lysine

Figure 9.2 – Production de lysine par Corynebacterium glutamicum

1.2 Ingénierie métabolique : crise énergétique


et biocarburants
a. Des biocarburants à base de déchets végétaux ?
La disparition annoncée des ressources de pétrole a stimulé la recherche de nouvelles
sources d’énergie, en particulier des biocarburants. L’éthanol est une alternative

221
Introduction à la microbiologie

possible. Actuellement sa production industrielle est majoritairement assurée par la


fermentation de saccharose (canne à sucre, betterave), mais aussi de glucose (provenant
de l’hydrolyse d’amidon), qui constituent déjà des sources de carbone renouvelables. Des
études approfondies sont actuellement menées pour optimiser ces processus de fermen-
tation. En outre il serait préférable d’utiliser la cellulose et la lignocellulose à la place de
sucres simples comme le saccharose. D’une part ces polysaccharides représentent une
biomasse beaucoup plus importante (déchets de végétaux, paille…) et d’autre part leur
utilisation ne viendrait pas en concurrence avec des productions alimentaires. Essen-
tiellement deux micro-organismes sont actuellement envisagés pour relever ce défi, la
levure Saccharomyces cerevisiæ et la Bactérie à Gram − Zymomonas mobilis. L’une et
l’autre nécessitent cependant certaines modifications, réalisées par ingénierie métabo-
lique. Le procédé fermentaire de production d’éthanol à partir d’hexoses est exploité
depuis des siècles pour la préparation de vin ou de bière grâce à la transformation de
sucres (hexoses) en alcool par S. cerevisiæ maintenue en anaérobiose (voir Figure 9.3A).
Deux enzymes clefs agissent successivement, la pyruvate décarboxylase (PDC) et l’al-
cool déshydrogénase (ADH). La production peut atteindre 150 g/L d’alcool. Z. mobilis,
aussi capable de produire de l’alcool, est très performante. Contrairement à la levure,
ce bacille dégrade les sucres en pyruvate par la voie d’Entner-Doudoroff. Possédant les
deux enzymes PDC et ADH, il produit de l’éthanol avec un rendement d’environ 80 %
(100 g/L d’éthanol pour 230 g/L de sucre).
S.  cerevisiæ comme Z.  mobilis sont particulièrement intéressantes pour une
utilisation industrielle : elles résistent à de nombreux stress (acidité, forte pression
osmotique…) et présentent une haute résistance à l’alcool. Z. mobilis a une croissance
2,5 fois plus rapide que S. cerevisiæ, permettant une meilleure productivité, et tolère
d’assez hautes températures. Sa croissance est optimale à 32 °C, mais reste possible
jusqu’à 42 °C. Ce point est important car le refroidissement des bioréacteurs représente
un coût important, particulièrement pour les industries installées dans les pays tropi-
caux. Toutefois, Z. mobilis a un défaut, ses auxotrophies pour la lysine et la méthionine,
ce qui requiert l’enrichissement de ses milieux de culture. Malgré toutes les qualités
énoncées, ni Z. mobilis, ni S. cerevisiæ ne sont capables de métaboliser la lignocellu-
lose, un substrat bon marché constitué majoritairement de pentoses. L’arabinoxylane,
qui en est le constituant principal, contient des xyloses et des arabinoses polymérisés.
Ce polysaccharide peut être dégradé chimiquement (en milieu acide par exemple) ou
enzymatiquement, mais les pentoses produits (essentiellement du xylose) ne sont pas
assimilés par les souches sauvages de ces micro-organismes.
Une manœuvre d’ingénierie métabolique chez S. cerevisiæ va lui permettre de
cataboliser le xylose, via deux implants génétiques (voir Figure 9.3A) :
– le gène xylA du champignon Pyromyces codant pour une xylose isomérase (XI) a
été modifié pour ajuster ses codons à la fréquence d’utilisation de S. cerevisiæ, puis
greffé et surexprimé ;
– le gène tal1 codant pour une transcétolase de Saccharomyces stipitis a été ajouté
pour renforcer une des réactions de la voie des pentoses phosphates.

222
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

La souche résultante s’est bien révélée capable de croître sur xylose comme seule
source de carbone, mais très lentement. Les chercheurs ont pu identifier deux goulets
d’étranglement, à savoir les deux premières réactions enzymatiques (isomérisation et
phosphorylation) du métabolisme du xylose. Le gène xks1 codant pour la xylulokinase
(XK) endogène a donc été surexprimé pour renforcer le flux vers le xylulose-5P. En
revanche, la xylose isomérase était déjà surexprimée ; pour augmenter son activité,
les auteurs lui ont donc fait subir une évolution dirigée (§ 3) : le gène a été muté de
façon aléatoire, les gènes mutants ont été introduits à la place de l’allèle sauvage dans
la souche précédente, et les mutants possédant les meilleures activités ont été sélec-
tionnés. Des tests de fermentation (production d’éthanol) ont été réalisés. La croissance
est effectivement beaucoup plus rapide, et la production d’éthanol plus élevée : au bout
d’une semaine de fermentation, le xylose a été presque entièrement consommé et le
rendement en éthanol atteint 0,4 g/g de xylose (voir Figure 9.3.B). Cela pourrait être

A Xylose Saccharose
Transporteur
invertase
Voie des pentoses
Xylose phosphate Glucose + Fructose
oxydative
Xylose
XI isomérase 6-PG Glucose-6-P
XylA NADPH NADP+

Xylulose 6-PG Fructose-6-P


NADP+
ATP
ADP
XK NADPH
Glycolyse
Ribulose-5-P
Xylulose-5-P

Voie des pentoses


phosphate Fructose-6-P
non oxydative

GA-3-P GA-3-P
NAD+ NADH NADH NAD+
25 10
B
Concentration en éthanol (g/L)
Concentration en xylose (g/L)

20 8
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15 6
Xks1++
Pyruvate
10 4
PDC CO2
5 2 ADH
Xks1 Acétaldéhyde Éthanol
0 0 NADH NAD+
0 30 60 90 120
Temps (h)

Figure 9.3 – Production d’éthanol par Saccharomyces cerevisiæ


(d’après S. Kwak et Y.S. Jin, 2017)
6-PG : 6-phosphogluconate, GA-3-P : glycéraldéhyde-3-P.

223
Introduction à la microbiologie

encore amélioré par l’introduction d’une perméase à xylose car ce sucre transite par les
perméases à hexoses, peu efficaces pour ce pentose. D’autre part, la voie des pentoses
phosphates, cruciale pour ce catabolisme, pourrait être encore stimulée. Néanmoins cet
exemple montre ce que peut apporter l’ingénierie métabolique à un procédé de produc-
tion microbien. Des améliorations du même type ont été apportées pour permettre le
catabolisme de l’arabinose. Il est donc clair que des souches industrielles capables de
transformer des hydrolysats de végétaux en alcool seront bientôt disponibles.
L’alternative Zymomonas mobilis a fait l’objet de nombreux travaux pour adapter
cette Bactérie à l’utilisation d’hydrolysats de lignocellulose comme substrat. Plusieurs
gènes ont été insérés dans le chromosome de la souche d’origine (nommée Z ici) :
– les cinq gènes de la voie des pentoses phosphates de E. coli : yfdZ, metB, xylA, xylB,
tktA, talB ;
– les deux gènes d’E. coli complémentant ses auxotrophies pour la lysine et la méthio-
nine, yfdZ et metB ;
– le gène d’une protéine de choc thermique, Pfu-sHSP, provenant d’une Archée
hyperthermophile (Pyroccocus furiosus), devant jouer le rôle de chaperonine pour
éviter l’agrégation et la dénaturation de protéines soumises à un stress de chaleur.
La souche résultante (Z*) devient capable de croître sur xylose comme seule source
de carbone dans un milieu sans méthionine ni lysine. Après trois jours de fermentation à
32 °C, l’éthanol est produit avec un rendement très analogue (0,4 g d’éthanol/g de xylose)
à celui obtenu à partir de glucose (voir Figure 9.4). Dans un milieu contenant un mélange
glucose-xylose (170 et 60 g/L, respectivement) qui mime l’hydrolysat végétal, le rendement
est légèrement inférieur mais permet tout de même d’atteindre 90 g d’éthanol/L. Enfin, des
tests réalisés à 42 °C pour vérifier le rôle de la chaperonine Pfu-sHSP ont montré que celle-ci
protège clairement les enzymes impliquées dans le processus, puisque la souche qui n’en
possède pas produit deux fois moins d’éthanol. La souche Z*, bien que moins performante
à 42 °C qu’à 32 °C, parvient tout de même à une production de 60 g/L.

120

100

80
Éthanol (g/L)

60

40

20
Souche Z
0 Souche Z*
Glc 32 °C Xyl 32 °C Glc + Xyl 32 °C Glc + Xyl 42 °C

Figure 9.4 – Production d’éthanol par Zymomonas mobilis


(d’après M. Zhang et al., 2013)
Sources de carbone fournies : Glc : glucose (230 g/L) ; Xyl : xylose (230 g/L) ; Glc +
Xyl : glucose (170 g/L) + xylose (60 g/L)

224
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

b. Bactéries modifiées et production de « pétrole vert » ?


On ne compte plus aujourd’hui le nombre de produits de consommation fabriqués à
partir de dérivés du pétrole : plastiques en tout genre, textiles, polymères, etc. enva-
hissent notre quotidien, mais comme pour les carburants, cette source n’est pas éternelle.
Des recherches sont donc actuellement menées pour produire les molécules de base
nécessaires à ces diverses synthèses par des procédés durables. Le 1,3-propanediol
(1,3-PDO) est à la base de la fabrication d’un polyester de spécialité, le polytéréphta-
late de triméthylène (PTT) qui, par ses propriétés exceptionnelles (toucher, élasticité,
résilience, résistance à l’abrasion), peut être utilisé pour la production de fibres textiles,
tapis et moquettes, ou encore pour de nombreux plastiques. La production mondiale
est d’environ 150 000 tonnes par an, actuellement principalement par voie chimique.
Cependant ce procédé est coûteux, dangereux et toxique pour l’environnement, ce qui
a incité à le produire par voie biologique.
Clostridium butyricum semble actuellement l’espèce la plus performante parmi les
Bactéries qui produisent naturellement le 1,3-PDO. De plus, elle est capable de réaliser
cette biotransformation à partir de glycérol, ce qui est intéressant du point de vue
environnemental, et économique puisque le glycérol est un sous-produit de transesté-
rification d’huiles végétales. C. butyricum métabolise le glycérol selon deux voies (voir
Figure 9.5) : la voie oxydative, qui mène au pyruvate grâce à la glycérol déshydrogénase
puis aux enzymes de la glycolyse, et la voie réductive qui mène au 1,3-PDO grâce à la
glycérol déshydratase (GDHT) et à la 1,3-PDO déshydrogénase.

GDHT
glycérol déshydratase
3-Hydroxypropioaldéhyde Glycérol

NADH2 H 2O NAD+
1,3-propanediol
1,3-PDDH GDH glycérol déshydrogénase
déhydrogenase
NAD+ NADH2

1,3-Propanediol (1,3-PDO) Dihydroxyacétone (DHA)


CH2OH-CH2-CH2-CH2-CH2OH
ATP
DHAK dihydroxyacétone kinase
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ADP

Dihydroxyacétone-P (DHAP)

Glycéraldéhyde-3-phosphate
ADP
glycéraldéhyde-3-phosphate NAD+
déshydrogénase NADH2
ATP
Butyrate Pyruvate Acétate

Figure 9.5 – Production de 1,3-propanediol par Clostridium butyricum


(d’après Przystalowska, H., J. et al., 2015)

225
Introduction à la microbiologie

Le glycérol sert donc à la fois de source d’énergie pour la croissance et de substrat pour
la synthèse du produit. Il est également fermenté en butyrate de façon minoritaire. Contrai-
rement à d’autres GDHT, celle de C. butyricum n’a pas besoin de vitamine B12 comme
co-facteur, d’où une économie substantielle pour le processus car cette vitamine est très
chère. En revanche, C. butyricum étant anaérobie stricte, la culture doit être faite en anaé-
robiose, ce qui implique une croissance lente. De plus la production simultanée d’acétate
et de butyrate tend à inhiber la croissance à partir d’une certaine concentration, en raison
d’une neutralisation du potentiel transmembranaire (la culture en continu est un des
moyens pour surmonter cette limitation). Néanmoins, après une semaine de fermentation
en culture discontinue, le rendement avoisine tout de même 60 g/L, ce qui est compétitif.
De plus, le butyrate co-produit peut être valorisé en nutrition animale. Le procédé est
actuellement considéré comme suffisamment rentable au niveau industriel pour envisager
sa mise en application, avec une production annuelle en France de 24 000 tonnes.
L’isobutène est un précurseur pour de nombreuses synthèses chimiques, en parti-
culier celle de tert-butyl éther (ETBE), un additif de carburants, de polymères ou
d’antioxydants. Sa production annuelle est de quinze millions de tonnes par an. Il est
actuellement principalement obtenu par cracking de pétrole brut. De nombreux travaux
sont donc menés pour le produire par fermentation à partir de sources de carbone renou-
velables. Quelques micro-organismes sont capables de le synthétiser, mais à un niveau
extrêmement faible. Il a donc semblé préférable de le faire produire par E. coli en lui
implantant une nouvelle voie métabolique. Cette démarche est originale par l’associa-
tion d’enzymes de différentes provenances, par le type d’extraction, mais surtout par
l’utilisation d’une enzyme, la mévalonate diphosphate décarboxylase (MDD), dont
l’activité naturelle n’a jamais concerné la synthèse d’isobutène. Elle consiste à produire
tout d’abord de l’acétone, structuralement très proche de l’isobutène. Pour cela, trois
enzymes de Clostridium acetobutylicum ont été exprimées chez E. coli (voir Figure 9.6A).
Ensuite une enzyme de Bacillus subtilis (PksG) a été ajoutée pour condenser l’acétone en
3-hydroxy-isovalérate. Enfin, on connaissait depuis 1985 l’existence d’un cytochrome
P450 de levure capable de réaliser la dernière étape enzymatique, la transformation de ce
composé en isobutène, mais son activité était trop faible. Il fallait donc trouver une autre
enzyme, également plus à même d’être exprimée chez E. coli. Une observation attentive
a permis de montrer que le 3-hydroxyisovalérate constitue une partie de la molécule de
mévalonate diphosphate (un précurseur de l’ergostérol) (voir Figure 9.6B), transformé
en isopentényl diphosphate par la MDD. L’hypothèse que la MDD serait aussi capable de
transformer le 3-hydroxyisovalérate s’est avérée exacte : cette enzyme (de levure) présente
une promiscuité catalytique pour ce substrat, ce qui lui permet de synthétiser un peu
d’isobutène. Son activité étant faible, une recherche systématique d’enzymes ortholo-
gues a été réalisée chez une douzaine d’organismes et micro-organismes, la MDD de
l’Archée Picrophilus torridus s’étant montrée la plus active. Son potentiel fut encore
augmenté par évolution dirigée (§ 3). L’isobutène étant faiblement soluble dans l’eau
(267 mg/L) et toxique pour E. coli, il est récupéré sous forme de gaz au-dessus du bioréac-
teur, puis séparé des vapeurs d’eau et du CO2. Ce procédé permet un rendement d’une

226
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

mole d’isobutène à partir de 1,5 mole de glucose, jugé suffisant dès 2018 pour envisager
une valorisation industrielle à partir de saccharose de betterave ou de lignocellulose.

acétyl-CoA acétyl-CoA
A
H-S-CoA ThioIase

acétoacétyl-CoA

butyrate acétate
Enzymes de
CoA-transférase Clostridium
acetobutylicum
butyryl-CoA acétyl-CoA

acéto-acétate

Acéto-acétate
CO2 décarboxylase

acétone Enzyme de
PksG Bacillus
subtilis
3-hydroxyisovalérate Enzyme de
Picrophilus
MDD torridus
isobutène

B 3-hydroxyisovalérate Isobutène
OH O
MDD
+ CO2
O– ATP ADP + PI

Mévalonate diphosphate Isopentényl disphosphate


O O OH O O O
MDD
–O P O P O –O P O P O + CO
2
O– ATP ADP + PI
O– O– O– O–
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Figure 9.6 – Production d’isobutène par E. coli


(d’après B.N.M. Van Leewen et al., 2012)

2 Santé humaine et ingénierie métabolique


L’ingénierie métabolique, bien qu’extrêmement prometteuse, requiert encore beaucoup
d’études préalables et de tâtonnements. Il reste que des métabolites de haute valeur
ajoutée, difficiles à obtenir ou inaccessibles par voie chimique, ont pu être synthétisés

227
Introduction à la microbiologie

avec des rendements suffisants. Dans le domaine de la santé, les avancées des technolo-
gies de biologie moléculaire et l’accumulation de données génétiques et biochimiques
ont été particulièrement profitables. Certains travaux sont aboutis et se traduisent par
une production industrielle, d’autres en sont encore au stade recherche/développe-
ment. Des applications inattendues, comme la conception de bactéries anti-tumorales,
montrent que les chercheurs ne manquent pas d’imagination pour exploiter le monde
très prometteur des micro-organismes.

2.1 Vers de nouveaux antibiotiques : iChip et métagénomique


La résistance des Bactéries pathogènes aux antibiotiques constitue actuellement
un problème de santé publique, en particulier en milieu hospitalier. Les recherches
menées depuis des décennies ont surtout consisté à modifier chimiquement les anti-
biotiques connus afin de contourner les résistances, ou à identifier des molécules de
synthèse pouvant agir sur de nouvelles cibles cellulaires (protéines de la réplication,
de la division, etc.). D’une part, bien sûr, les antibiotiques modifiés ont aussi donné
lieu à l’apparition rapide de résistances, et d’autre part très peu de nouvelles molécules
ont été découvertes.
La plupart des antibiotiques ont été découverts chez des micro-organismes du sol
cultivables en laboratoire. Classiquement, des lixiviats de différents types de sols sont
dilués et ensemencés dans un milieu de culture approprié$, et des échantillons des
micro-organismes isolés sont déposés sur une série de milieux gélosés pré-ensemencés
chacun d’un tapis d’une Bactérie pathogène différente. Si après incubation un halo d’in-
hibition de croissance de la Bactérie pathogène se développe autour du point de dépôt
d’un micro-organisme, il est probable que celui-ci sécrète un produit bactériostatique
ou bactéricide. Cette technique, équivalente à un test d’antibiogramme classique, est très
simple à réaliser. Toutefois le produit impliqué est beaucoup plus difficile à identifier, et
bien souvent il appartient à une famille d’antibiotiques déjà connue. La découverte de
nouvelles molécules semble donc plus probable chez des micro-organismes peu ou pas
explorés, en particulier chez ceux qu’on ne sait pas cultiver dans les conditions classiques
de laboratoire, soit approximativement 99 % des micro-organismes du sol ! Des cher-
cheurs ont récemment développé une stratégie permettant d’explorer cette flore, grâce
à l’obtention de micro-croissances de ces organismes.
L’iChip est un assemblage de plaques qui contient des centaines de puits, chacun
formant une très petite chambre de diffusion, recouverts de membranes en plastique
semi-perméables (voir Figure 9.7). Chaque puits est ensemencé par un échantillon de
sol dilué de telle sorte qu’il ne contienne, en moyenne, qu’une cellule. Les plaques sont
ensuite enfouies dans le sol pendant un mois, ce qui permet une micro-croissance grâce
à la diffusion des facteurs de croissance et nutriments présents dans le milieu naturel
des micro-organismes. Elles sont ensuite déposées sur un milieu gélosé portant un
tapis de Bactéries pathogènes (Staphylococcus aureus par exemple) pour tester un effet
antimicrobien potentiel de chaque puits. Dix mille micro-organismes ont été criblés

228
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

de cette façon, ce qui a permis d’en isoler vingt-cinq potentiellement intéressants, dont
une nouvelle espèce de β-Protéobactéries, Eleftheria terræ, qui produit un nouvel anti-
biotique, la teixobactine. Les auteurs ont montré que la teixobactine est capable de
tuer des souches représentatives de Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniæ,
Bacillus anthracis, Clostridium difficile (Bactéries à Gram+), ainsi que Mycobacterium
tuberculosis (voir Chapitre 1). Une faible croissance de E. terræ a pu être obtenue in vitro
après onze jours de culture, ce qui a permis de purifier la teixobactine et de déterminer
sa structure :
Nmphe-ile-ser-gln-ile-ile-ser-thr-ala-end-ile,
qui inclut une liaison covalente entre thr et le résidu ile terminal. Il s’agit d’un peptide
inhabituel contenant un aminoacide très rare, l’enduracidine (end), de la méthylphény-
lalanine (Nmphe) et quatre acides aminés de la série D. Sa voie de biosynthèse, identifiée
par séquençage du génome, repose sur l’activité de deux peptide-synthétases non ribo-
somales. Sa synthèse chimique a pu être réalisée avec succès et de nouveaux variants
sont déjà en cours d’expérimentation. En outre, l’enduracidine n’est pas indispensable
pour l’activité de la molécule, ce qui permet de faciliter la synthèse d’une molécule
active proche de l’antibiotique naturel. La teixobactine a un mode d’action différent de
celui des antibiotiques actuellement utilisés pour traiter les infections bactériennes. Elle
inhibe la biosynthèse du peptidoglycane en se liant à des motifs hautement conservés
portés par le lipide II (un précurseur du peptidoglycane) et le lipide III (un précurseur
de l’acide téichoïque (voir Chapitre 1). Jusqu’à présent, aucun S. aureus ou M. tubercu-
losis résistant à la teixobactine n’a pu être isolé, principalement en raison de ce double
ciblage qui diminue drastiquement la probabilité de voir émerger de tels mutants. Une
société pharmaceutique mène actuellement des tests cliniques sur cette molécule pour
une prochaine mise sur le marché. L’analyse de micro-organismes non cultivables s’est
donc avérée fructueuse et devrait permettre l’identification d’antibiotiques actifs contre
des Bactéries en particulier à Gram− (E. coli ou Klebsiella).

Couche d’une
bactérie
pathogène
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

Cuve remplie
d’échantillons Micro-organismes
de sol en croissance
dans un puits
Membranes
semi-perméables
Halo d’inhibition
de croissance :
sécrétion
d’un produit
antibactérien

Figure 9.7 – Recherche et identification de nouveaux antibiotiques. Schéma de


la technique des iChip. (d’après Ling, L.L., 2015)

229
Introduction à la microbiologie

L’approche métagénomique est une alternative pour accéder aux voies métaboliques
de micro-organismes difficilement cultivables : de grands fragments d’ADN peuvent
être extraits d’échantillons de sol, puis clonés dans un hôte microbien. Si les gènes
de ces organismes peuvent être correctement exprimés dans l’hôte de clonage, et si
les voies métaboliques concernées sont complètes, il sera possible de cribler ces clones
recombinants pour leur production d’antibiotiques. Cette stratégie, assez aléatoire, peut
néanmoins faciliter l’identification des clusters de gènes responsables, et l’obtention
d’un micro-organisme hôte producteur directement cultivable.

2.2 Oligosaccharides, un challenge d’ingénierie


a. Intérêt des oligosaccharides
La glycobiologie est en plein essor. Depuis quelques années, la communauté scientifique
a pris conscience de l’importance des oligosaccharides (OS) portés par les protéines ou
les lipides. Ils jouent des rôles fondamentaux dans la communication intercellulaire, la
fécondation, l’immunité, les infections, ou encore le développement tumoral. Ainsi, les
Bactéries pathogènes débutent bien souvent la colonisation de tissus par l’adhésion sur
des sucres présents à la surface des cellules épithéliales. Les toxines qu’elles sécrètent
ciblent aussi la plupart du temps des OS des cellules hôtes. Pour des besoins de recherche
et d’applications thérapeutiques, la demande en oligosaccharides croît donc fortement,
en décalage avec les capacités de synthèse actuelles. Ces molécules sont d’une extrême
diversité structurale, et leur synthèse chimique est rendue très complexe en raison des
multiples fonctions hydroxyles qu’elles portent, qui peuvent générer de nombreux régio-
ou stéréo-isomères. Ainsi de nouvelles voies de synthèse ont été envisagées, et la voie
enzymatique in vivo semble l’une des plus prometteuses.

b. Synthèse in vivo avec des glycosyltransférases


Dans les cellules, les OS sont produits par des glycosyltransférases (GT) qui présentent
de fortes spécificités de substrats (donneur et accepteur), de régiospécificités (bran-
chement 1→2, 1→3, etc. entre deux sucres), et de stéréospécificités (branchement de
l’hydroxyle du carbone anomérique en position α ou β). Il semblait donc pertinent d’uti-
liser ces enzymes pour produire différents types d’OS dans un hôte bactérien adapté.
Pour rendre ce procédé viable, certaines conditions devaient être réunies : la disponi-
bilité en nucléotides-sucres endogènes (tel l’UDP-glucose), l’absence de glycosidases
capables de dégrader les OS synthétisés, l’expression de GT actives, la mise au point
d’une méthode de purification à partir du lysat cellulaire. Une démarche de ce type
s’est révélée extrêmement fructueuse, en particulier pour l’obtention de très nombreux
antigènes de groupes sanguins (A, B, O, Lewis…) ou d’antigènes glycotumoraux. C’est
le cas de la synthèse de l’antigène glycotumoral GloboH, présent à la surface de cellules
tumorales variées (sein, ovaire, prostate, poumons) suite à des défauts de glycosylation
chez ces cellules. D’une façon générale, l’hôte bactérien producteur retenu est E. coli en

230
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

raison de sa facilité de manipulation, de la très large connaissance de son métabolisme


et de sa génomique. Cette Bactérie présente deux défauts : elle ne possède que peu de
GTs adéquates, et ne fabrique naturellement que quelques nucléotides-sucres. Il faut
donc introduire par clonage des GTs provenant d’organismes eucaryotes ou proca-
ryotes, qui doivent être délétées de leur domaine transmembranaire pour permettre une
bonne activité chez E. coli (voir Figure 9.8). Il faut aussi pallier le manque de diversité
des nucléotides-sucres endogènes disponibles grâce à des modifications métaboliques.
La purification du GloboH se fait en plusieurs étapes : perméabilisation des cellules
par autoclavage, rétention des sucres du surnageant par mélange à du charbon actif,
élution par l’éthanol, et séparation des différentes espèces d’OS par chromatographie.

Galα-4Galβ-4Glc (Gb3)

LacY
Mel A–
Gal + Lac Galα-4Galβ-4Glc (Gb3)
UDP-GlcNAc UDP-GalNAc
Gne LgtD
UDP

GalNAcβ-3Galα-4Galβ-4Glc (Gb4)

UDP-Gal
LgtD
UDP

Galβ-3GalNAcβ-3Galα-4Galβ-4Glc (Gb5)
GDP-Fuc
FucT
GDP

Fucα-2Galβ-3GalNAcβ-3Galα-4Galβ-4Glc

(Globo H)

Figure 9.8 – Biosynthèse de l’antigène glycotumoral GloboH par E. coli à partir


du globotriose Gb3 (d’après M. Randriantsoa et al., 2007)
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

Deux gènes de GT ayant chacun les spécificités requises et directement impliquées dans
la synthèse de GlogoH ont été clonés chez E. coli : lgtD, codant la GalNac-transférase
(qui possède aussi une activité galactosyl-transférase) de Haemophilus influenzæ, et
fucT, codant la fucosyl-transférase, de Helicobacter pylori. L’introduction d’un sucre
« accepteur », ici le Gb3, permet d’amorcer la synthèse. Le Gb3 pénètre dans le cyto-
plasme grâce à la perméase LacY d’E. coli. Par contre, il ne doit pas être métabolisé,
ce qui requiert l’inactivation de l’α-galactosidase endogène MelA. Le substrat de LgtD,
l’UDP-GalNAc, n’étant pas produit par E. coli, le gène gne de Campylobacter jejuni co-
dant pour une UDP-GlcNAc-C4-épimérase capable de transformer l’UDP-GlcNAc en
UDP-GalNAc a été introduit. Les GTs agissent successivement pour ajouter les sucres,
la GT LgtD branchant le GalNAc avant le GlcNAc car son affinité est plus forte pour le
GalNAc.

231
Introduction à la microbiologie

La production en fermenteur a permis d’obtenir quelques g/L de GloboH. L’antigène,


couplé à une protéine porteuse, est actuellement en cours de tests cliniques en tant que
vaccin anti-cancéreux. Le couplage nécessite une modification de l’OS pour le rendre
plus réactif. Différents groupes activateurs peuvent être associés. Leur importation par
E. coli permettra à la Bactérie de modifier l’OS in vivo.
Un autre groupe d’oligosaccharides, les HMOs (Human Milk Oligosaccharides),
présents dans le lait maternel sous forme libre ou fixés sur des protéines (mucines),
assure très vraisemblablement une protection des nourrissons vis-à-vis de Bactéries
pathogènes ou de virus. Ils constitueraient une sorte de leurre sur lesquels les patho-
gènes se fixeraient, évitant l’infection des cellules intestinales du nourrisson. Les HMOs
n’étant pas présents dans le lait de vache, d’importantes industries agroalimentaires
cherchent actuellement à « humaniser » ce lait, pour prévenir des gastro-entérites chez
des enfants en bas âge non allaités naturellement. Le challenge est important car ces
HMOs sont très nombreux et difficiles à caractériser !

2.3 Le mévalonate/DMAPP, un précurseur à large spectre


En pharmacopée, la plupart des molécules actives sont extraites de plantes. Celles-ci
s’y trouvent parfois à de très faibles concentrations, ce qui exige de partir d’une masse
importante de végétal pour les obtenir. De plus la culture des plantes peut subir un
certain nombre d’aléas néfastes à l’approvisionnement. L’ingénierie métabolique semble
être une opportunité pour faire produire ces principes actifs par des micro-organismes
dont la culture est maîtrisée, et avec un rendement pouvant éventuellement dépasser
celui des plantes. Ces dernières années, deux molécules présentant un intérêt en santé
humaine ont fait l’objet d’études particulières, le lycopène et l’artémisinine, produites
naturellement, respectivement, par la tomate et l’armoise annuelle (Artemisia annua).
Leurs voies de biosynthèse ont un précurseur commun, le mévalonate, lui-même ensuite
transformé en diméthylallyl-pyrophosphate (DMAPP), conduisant aux terpènes et aux
stéroïdes (voir Figure 9.9A). De très nombreuses molécules dérivent de ces composés,
avec des applications en agro-alimentaire, énergie, santé. Les terpènes (C5H8) sont
formés à partir d’isopentényl-pyrophosphate (IPP), par réaction avec une molécule
amorce, ici le DMAPP. C’est pourquoi il a semblé primordial de s’intéresser à la voie
métabolique du mévalonate, en cherchant à l’optimiser chez E. coli, qui produit naturel-
lement du mévalonate, mais à un niveau faible. Parmi les organismes possédant une voie
de biosynthèse de mévalonate plus performante se trouve S. cerevisiæ. En effet, le méva-
lonate est un précurseur de l’ergostérol, un composant constitutif de sa membrane
lipidique, donc abondant. Les enzymes responsables de cette synthèse à partir de
l’acétyl-coA ont été identifiées chez S. cerevisiæ (voir Figure 9.9A). Les gènes correspon-
dants de ce micro-organisme ont été placés sur un plasmide multicopie afin d’obtenir
une surexpression chez E. coli. La concentration intracellulaire du mévalonate est en
effet fortement augmentée par rapport au niveau de base. Quatre autres enzymes néces-
saires pour produire le DMAPP à partir du mévalonate ont été obtenues à partir de
S. cerevisiæ et d’E. coli (voir Figure 9.9B).

232
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

ldi
A OPP OPP
DMAPP lPP
AtoB
O ERG13 OH O CrtE
tHMG1
CoA HO OH OPP
acétyl-CoA mévalonate GGPP
ERG12
CrtB
ERG8
MVD1

phytoène
ldi
OPP OPP Crtl
DMAPP lPP

lycopène

40 1400
B 30
35 1200
Production de lycopène (mg/L)

25
30

Glycérol résiduel (g/L)


Masse cellulaire (g/L)

1000
25 20
800
20 Lycopène 15
600 Masse cellulaire
15
Glycérol résiduel 10
400
10
5
5 200
0
0 0
0 4 8 12 16 20 24 28 32 36
Temps après l’induction (h)

Figure 9.9 – Production de lycopène chez Saccharomyces cerevisiæ


(d’après Zhu et al., 2015)
A. Voies de production de DAMP, IPP et lycopène (enzymes d’E. coli avec les AtoB,
ldi), S.  cerevisiae (ERG13, tHMG1, ERG12, ERG8, MVD1), Pantoea ananatis (CrtE,
CrtB, Crtl). B. Production de lycopène en fermenteur.

a. Production de lycopène, un anti-oxydant


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Le lycopène est un pigment naturel synthétisé par des plantes et des micro-organismes.
Sa fonction principale est d’absorber la lumière et de protéger les cellules de dommages
photo-oxydatifs. En santé humaine, il peut donc agir comme anti-oxydant en piégeant et
en désactivant les radicaux libres et les formes réactives de l’oxygène (voir Chapitre 5), ce
qui lui confère un intérêt pour la prévention de certains cancers. Il peut être extrait de la
tomate, synthétisé chimiquement, ou obtenu par fermentation par le champignon Blakeslea
trispora. Ce dernier en produit naturellement mais sa croissance est lente, ce qui handicape
par conséquent la productivité ; or la demande de lycopène est en nette augmentation.
Des tentatives de synthèse par ingénierie par différentes voies métaboliques ont été
amorcées chez E. coli, et c’est finalement la voie « mévalonate » qui s’est révélée la plus effi-
cace. Dans un premier temps, le mévalonate était fourni à la Bactérie ; puis, l’optimisation

233
Introduction à la microbiologie

de sa biosynthèse (voir ci-dessus) a permis de cultiver la souche en milieu minimum


sur glycérol pour obtenir les deux molécules IPP et DMAPP. Les autres enzymes de la
voie métabolique conduisant au lycopène proviennent de la Bactérie Pantoea ananatis
(une Protéobactérie), autre producteur de lycopène. Grâce à une bonne surexpression des
enzymes, une production supérieure à 1 g/L de lycopène a pu être obtenue en bioréacteur
de 5 L avec cette souche. Le passage à un fermenteur de 100 L a montré que le rendement
était conservé, ce qui n’est pas toujours le cas. De plus, des améliorations sont encore
possibles : l’expression de certaines enzymes (CrtB, permettant la transformation du
GGPP en phytoène) pourrait être stimulée ; la stabilité de la souche devra être renforcée ;
en outre, les gènes plasmidiques pourront être intégrés en multicopies dans le chromo-
some. D’autres essais d’ingénierie ont également été réalisés chez la levure, qui présente le
grand avantage d’avoir le statut « GRAS » (Generally Recognised As Safe), ce qui n’est pas le
cas d’E. coli, qui produit naturellement des endotoxines. Les résultats récemment obtenus
ont nécessité des investigations métaboliques assez poussées et sont encourageants.
Ainsi, les bases semblent désormais assez solides pour envisager la production de
lycopène par fermentation selon un procédé compétitif vis-à-vis de la synthèse chimique
ou de l’extraction à partir de la tomate. De plus, d’autres composés présentant un intérêt
appliqué s’obtiennent à partir des mêmes précurseurs ; ces travaux constituent donc une
avancée plus générale dans le domaine de la synthèse des terpénoïdes.

b. Production d’artémisinine, un antipaludique


Le paludisme, dû au parasite Plasmodium falciparum transmis par un moustique, est une
maladie très répandue qui cause une mortalité importante dans les pays de l’hémisphère
sud (voir Chapitre 1). Les médicaments antipaludiques trouvent actuellement leur limite,
à l’instar des antibiotiques contre les bactéries pathogènes, en raison de l’émergence de
résistances. C’est pourquoi des chercheurs se sont récemment intéressés à une thérapie
vieille de deux millénaires, particulièrement en Chine, à savoir des décoctions d’armoise
annuelle, A. annua. Le principe actif, l’artémisinine, une lactone sesquiterpènique (voir
Figure 9.10A), est produit en faible quantité par la plante : une tonne de feuilles permettent
l’extraction d’environ un kilogramme d’artémisinine pure ! De plus, les productions fluc-
tuent en fonction des aléas climatiques. La synthèse chimique est particulièrement ardue,
ce qui explique que des recherches aient été menées depuis une dizaine d’années sur la
possibilité de la produire par ingénierie métabolique chez E. coli ou chez la levure. Deux
étapes enzymatiques conduisent, à partir du couple DMAPP + IPP (voir Figure 9.9A), à
l’amorphadiène, un précurseur de l’artémisinine. Une enzyme présente chez E. coli, la
farnésyl pyrophosphate synthase (FPP, codée par le gène ispA) réalise la première étape,
la fusion DMAPP – IPP, pour former le farnésyl-pyrophosphate. La deuxième étape est
réalisée par l’amorphadiène synthase de l’armoise. Le gène de cette enzyme (aps) a été
optimisé au niveau de ses codons pour permettre une bonne expression chez E. coli, et
les deux gènes ispA et aps ont été surexprimés chez la souche d’E. coli surproductrice
de mévalonate (voir Figure 9.9A). L’amorphadiène est effectivement produite, mais à un
niveau insuffisant pour une exploitation industrielle (0,5 g/L), l’un des facteurs limitants

234
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

étant la trop faible concentration de mévalonate endogène. Des enzymes plus efficaces
pour améliorer le flux vers ce métabolite ont été trouvées chez Staphylococcus aureus.
Ainsi, les gènes de levure erg13 et tHMG1 ont été remplacés par leurs orthologues bacté-
riens. De plus, les conditions de culture ont été optimisées : les concentrations d’azote
ammoniacal ont été maintenues à un faible niveau, et la production a été réalisée dans un
réacteur biphasique, ce qui permet d’éviter la perte d’amorphadiène par évaporation. Ce
dernier ajustement consiste à ajouter à la culture 20 % de volume d’un solvant organique,
le dodécane ; celui-ci, peu volatile et peu toxique pour E. coli, va retenir l’amorphadiène
en raison de son hydrophobicité. Ainsi, la production a pu atteindre 28 g/L.
L’amorphadiène est purifiée puis traitée chimiquement pour donner de l’artémisinine.
Il s’agit d’une suite de réductions et d’oxydations dont le rendement et la spécificité (régio-
et stéréospécificité) sont loin d’être optimaux. Chez la plante, ces réactions sont effectuées
par plusieurs cytochrome-oxydases, malheureusement inactives chez E. coli. On a donc
cherché à mimer l’activité d’une de ces enzymes par un cytochrome P450 bactérien, donc
mieux exprimé chez cet hôte, pour produire l’acide artémisinique-11S-époxide, dont
la modification chimique en amorphadiène ne pose pas de problème particulier (voir
Figure 9.10B). Il s’agit du P450 de Bacillus megaterium (P450amo), dont le gène a cependant
dû subir une mutagénèse dirigée au niveau de son site actif afin de pallier l’encombrement

CH2
H 3C
O O
H CH3 H
O O O H
DMAPP + IPP O P O P O –

2 O– O–
FPP synthase FPP Amorphadiène O
H
Farnésyl- synthase CH3 H
pyrophosphate
Amorphadiène Artémisinine
A Synthèse biologique chez E. coli Synthèse chimique

pe en i e pe d’o do d ion i i e on ende en in vitro)


in vivo e le
de B. megaterium
H H H
NaBH3CN [oxydation]

BM3 [oxydation]
H H H H H
H HO H
O O
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H H
O O
l ool
O
Époxyde -11S, 12 Aldéhyde
i ini e di do i ini e di do i ini e
H H H
H HO O
H
O O
op di ne ide
H H H di do i ini e Artémisinine

d ion
H H H
HO H HO

l ool i ini e O O
ld de i ini e ide i ini e

oie de io n en elle e o d ion


B p de o o e de l pl n e

Figure 9.10 – Production d’artémisinine chez E. coli


(d’après Dietrich J.A. et al., 2009)
A. Voie de synthèse. B. Production hémisynthétique.

235
Introduction à la microbiologie

stérique de l’amorphadiène. Ainsi, après surexpression de l’ensemble de ces enzymes,


l’acide artémisinique-11S-époxide a pu être obtenu. Le niveau est cependant assez faible
(250 mg/L), principalement en raison de la toxicité du cytochrome P450.
Un travail similaire a été réalisé chez la levure, avec plus de succès. Différentes cyto-
chrome oxydases d’A. annua ont pu être exprimés chez S. cerevisiæ, ce qui a permis
d’accéder à l’acide artémisinique. La production est analogue à celle de l’amorphadiène
chez E. coli (25 g/L de culture) mais le traitement chimique final est facilité. Une usine en
a produit environ cinquante tonnes en 2014, ce qui représente cent vingt-cinq millions
de traitements antipaludiques.
Fait intéressant, on a pu montrer que l’artémisinine est aussi active contre d’autres
parasites, et même contre certains cancers (sein et poumon) avec moins d’effets secon-
daires que la chimiothérapie classique. Cela ne fait donc que renforcer l’intérêt pour
cette molécule, et pour l’optimisation de sa méthode de production. Le processus
biosynthétique reste toutefois en concurrence avec la production naturelle, par extrac-
tion à partir de la plante.

2.4 De l’hydrocortisone grâce à la levure


L’hydrocortisone (ou cortisol) est une hormone de la famille des stéroïdes (voir
Figure 9.11) qui a de nombreuses fonctions dans l’organisme. Cette famille de molé-
cules est largement utilisée en santé humaine comme agents anti-inflammatoires,
contraceptifs, anticancéreux et anti-vieillissement. Dans les années 1950, la production
d’hydrocortisone était réalisée par un procédé chimique nécessitant 40 étapes, donc très
laborieux et très coûteux. Il a pu être ramené à 9 étapes grâce à la mise au point d’une
hémi-synthèse utilisant des acides biliaires ou des phytostérols comme point de départ,
mais associant tout de même une étape de bioconversion avec un micro-organisme
naturel. Ce processus, faisant encore principalement appel à la chimie fine, restait relati-
vement complexe, coûteux et générateur de sous-produits. On a donc cherché à produire
cette hormone par voie totalement biologique. Cela a été réalisé en introduisant chez
S. cerevisiæ des gènes provenant de différents organismes, et en détournant ou repro-
grammant certaines étapes métaboliques de ce micro-organisme. Les auteurs de ce
travail sont partis du constat que l’ergostérol, présent naturellement dans la membrane
de la levure, pouvait servir de précurseur à la synthèse de l’hydrocortisone. Ce sont
en effet des molécules très proches qui se distinguent majoritairement par leur niveau
d’oxydation. Chez les mammifères comme chez la levure, ces oxydations sont majori-
tairement catalysées par des cytochromes P450, enzymes très nombreuses et présentant
chacune une spécificité de substrat et une régiospécificité. La difficulté fut donc d’iden-
tifier des enzymes présentant les bonnes spécificités et capables d’être exprimées chez
la levure. De bonnes candidates furent trouvées chez des organismes aussi divers que
l’Homme, le bœuf et une plante, Arabidopsis thaliana. De plus, comme les P450 ont
besoin de protéines d’oxydoréduction associées qui leur fournissent des électrons, il
fallut introduire des P450 réductases. Les gènes des différentes protéines sélection-
nées ont été soit clonés sur des plasmides, soit intégrés au génome par recombinaison

236
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

homologue, et soumis à une régulation stricte par manipulation de leur promoteur. La


souche recombinante produit en effet de l’hydrocortisone, mais aussi des molécules
intermédiaires ou indésirables résultant d’une spécificité insuffisante des enzymes intro-
duites ou de l’activité parasite d’enzymes endogènes. De fait, les premiers essais ont
fourni un mélange de stéroïdes dans lequel l’hydrocortisone était sous-représentée.
Des améliorations ont donc été apportées en inactivant certains gènes de S. cerevisiæ.
D’autres réglages affectant la régulation transcriptionnelle d’autres gènes ont permis
d’orienter le flux métabolique dans la direction souhaitée. En définitive, la souche opti-
misée produit au moins 10 mg/L d’hydrocortisone, qui devient le stéroïde majoritaire
(70 %).

Glucose/éthanol

Ergostérol
∆7-réductase
Ncp1P
Cyp11A1
ADX + ADR

Pregnénolone Acétyl pregnénolone


Aft2

3β-HSD

Progestérone Désoxycorticostérone
Cyp17A1 Cyp21A1 Cyp11B1
Ncp1P Ncp1P ADX
Arh1p

17-OH-progestérone Corticostérone
Gcy1p
Cyp21A1
Ncp1P Ypr1p

11-déoxycortisol 17α-20α-dihydroxyprég-4-ène-3-one

Cyp11B1 Cyp11B1
ADX ADX
Arh1p Arh1

Hydrocortisone 11β-17α-20α-dihydroxyprég-4-ène-3-one
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Figure 9.11 – Production d’hydrocortisone par Saccharomyces cerevisiæ


(d’après F.M. Szczebara et al., 2003)

La réalisation de la biosynthèse totale de stéroïdes et en particulier de l’hydro-


cortisone par un micro-organisme à partir de sources de carbone simples (alcool,
sucre) et d’oxygène représente une avancée décisive tant en matière de compétitivité
industrielle que de développement de nouveaux processus de synthèse respectueux
de l’environnement. Ce saut technologique majeur a été rendu possible en particulier
par l’accumulation d’informations sur la séquence du génome de nombreuses espèces,
micro-organismes, plantes et mammifères. Il illustre d’autre part l’efficacité d’une
collaboration entre organismes de recherche fondamentale, en l’occurrence le CNRS,

237
Introduction à la microbiologie

partenaires académiques et industriels. La conséquence fut la construction en 2016


d’une usine qui produit environ cent tonnes d’hydrocortisone par an.

2.5 Production d’opiacés : collaboration E. coli - S. cerevisiæ


Les substances analgésiques sont largement utilisées en médecine occidentale contre
la douleur. La plupart d’entre elles sont extraites ou dérivées de l’opium, extrait du
pavot Papaver somniferum, et agissent sur les récepteurs opiacés de l’organisme. On
en distingue deux catégories : les dérivés naturels, les opiacés (morphine, codéine,
thébaïne…) et les dérivés synthétiques, les opioïdes (héroïne, méthadone) qui induisent
des effets similaires à ceux des opiacés. Les opiacés font partie de la famille des alcaloïdes
benzylisoquinoléines (BIA), synthétisés à partir de la tyrosine. Pour former la morphine
à partir de ce squelette BIA, les enzymes catalysent des couplages carbone-carbone, des
réductions NADPH-dépendantes, des hydroxylations, des acétylations, des méthyla-
tions et des déméthylations.
La teneur en alcaloïdes du pavot est faible, et sa culture, en outre, est tributaire des
conditions climatiques, de facteurs sociaux et politiques liés à son utilisation potentielle-
ment illicite. Des études ont été réalisées pour permettre la production de ces substances
par des micro-organismes faciles à manipuler tels qu’E. coli ou S. cerevisiæ, en combinant
des enzymes microbiennes et végétales. Comme dans les exemples précédents, les points
clefs sont l’obtention d’une quantité non limitante de précurseurs et d’enzymes actives
chez l’hôte choisi, ainsi que l’élimination des réactions indésirables. De fait, aucune
souche microbienne capable de satisfaire à une production industrielle d’opiacés n’a
encore été obtenue. Cependant l’obtention de métabolites intermédiaires ou de produits
finaux à partir de précurseurs par différentes souches représente un pas important.

a. Production de thébaïne chez E. coli


La thébaïne, chimiquement proche de la codéine et de la morphine, peut servir de
précurseur de synthèse de la morphine. Sa biosynthèse complète a été obtenue par étapes
réparties sur une batterie de souches d’E. coli (voir Figure 9.12). La production de tyro-
sine, le précurseur de base, a été optimisée, entre autres en inactivant le répresseur TyrR
de la voie de biosynthèse de cet acide aminé. La tyrosine est convertie en dopamine
(DOPA) grâce à deux réactions enzymatiques : une hydroxylation par la tyrosinase
pour donner la L-DOPA, convertie en dopamine par la DOPA-décarboxylase. La dopa-
mine est fournie à une autre souche d’E. coli synthétisant une monoamine oxydase
(MAO), permettant la production de tétrahydropapavéroline (THP). Une troisième
souche recombinante produit la R-réticuline, et une dernière, la thébaïne. Ce procédé
est complexe mais il permet d’éviter des réactions indésirables. Ainsi, la tyrosinase
dégrade le THP, et ne peut donc pas être exprimée dans la même souche que la MAO.
D’autre part, pour une raison encore inconnue, la R-réticuline ne peut être produite
dans la même souche que la thébaïne. Le rendement final est faible (2 mg/L) mais bien
supérieur à ce qui avait été obtenu chez la levure.

238
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

Glycérol L-Tyrosine L-Dopa Dopamine


DODC TYR
OH
HO OH
E. coli 1

MAO
Réaction
CNMT + 4’OMT spontanée
R-réticuline (R,S) -THP 3,4-DHPAA

E. coli 3 E. coli 2

R-réticuline
SalSNcut + ATR2

SalR
Salutaridine Salutaridinol

Réaction SalAT
spontanée
Thébaïne 7-O-acétylsalutaridinol

E. coli 4

Figure 9.12 – Production d’opiacés chez E. coli.


(d’après Nakagawa A. et al., 2016)
ATR2, NADPH-cytochrome P450 réductase 2 ; CNMT, coclaurine N-méthyltransfé-
rase ; DODC, dopa-décarboxylase ; MAO, monoamine oxydase ; SalSNcut, saluta-
ridine-N-tronquée synthase ; SalR, salutaridine réductase ; SalAT, salutaridinol acé-
tyltransférase ; TYR, tyrosinase ; 3,4-DHPAA, 3,4-dihydroxyphénylacétaldéhyde ;
4’OMT, 30-hydroxy-N-méthylcoclaurine,4’-O-méthyltransférase

b. Production de morphine chez la levure


La levure prend alors le relais pour la production d’opiacés. La biosynthèse de la
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morphine à partir de la thébaïne est catalysée par trois enzymes de P. somniferum,


la thébaïne 6-O-déméthylase (T6ODM), la codéine O-déméthylase (CODM) et la
codéinone réductase (COR) (voir Figure 9.13). Cette synthèse se fait selon deux voies
distinctes dans le pavot (i et ii). Ces enzymes végétales sont capables de catalyser les
transformations des opiacés chez la levure. Cependant, chez ce micro-organisme, une
voie nouvellement identifiée (iii) produit deux isomères supplémentaires, la néopine
et la néomorphine. Cette ramification dirige donc le flux en partie vers ces deux sous-
produits indésirables. De plus, les niveaux d’opiacés détectés par spectrométrie de masse
sont faibles (0,2 mg/L de morphine). Plusieurs optimisations ont donc été nécessaires
pour augmenter la production de morphine. (a) Afin d’augmenter l’activité de la COR
dans la levure, plusieurs isoformes de cette enzyme ont été testées. L’une d’entre elles

239
Introduction à la microbiologie

MeO

O
NMe

H
MeO
2-Oxoglutarate
Thébaïne
CODM
Succinate 2-Oxoglutarate
T6ODM
Succinate

MeO MeO HO

Réaction
O spontanée O O
NMe NMe NMe
H
H H H
O O MeO
Néopinone Codéinone Oripavine

NADPH NADPH 2-Oxoglutarate

COR COR T6ODM


NADP+ NADP+ Succinate

MeO MeO HO

O O O
NMe NMe NMe
H H
H H H
HO HO O
Néopine Codéine Morphinone

2-Oxoglutarate 2-Oxoglutarate
NADPH
CODM CODM
Succinate Succinate

HO HO
NADP+ COR

O O
NMe NMe
H
H H
HO HO
Néomorphine Morphine

Voie iii Voie i Voie ii

Figure 9.13 – Production d’opiacés chez Saccharomyces cerevisiæ


(d’après K. Todey et al., 2014)
T6ODM, thébaïne-6-O-déméthylase ; CODM, codéine-O-déméthylase ; COR, codé-
inone réductase (enzymes du pavot P. somniferum)

240
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

(COR1.3) a été sélectionnée sur la base d’une affinité plus élevée pour la codéinone.
(b) Par ailleurs, le milieu de culture a été amélioré. Le 2-oxoglutarate, qui est un cosubstrat
clef de la T6ODM et de la CODM dans les voies (i), (ii) et (iii), s’est avéré limitant dans la
voie de la biosynthèse de la morphine. En effet, il a un rôle d’accepteur d’oxygène dans
la déméthylation oxydative par ces enzymes de la thébaïne et de la codéïne, respecti-
vement. L’addition de 2-oxoglutarate a permis d’augmenter le taux de morphine d’un
facteur 10 (soit 2,5 mg/L). (c) Certaines réactions catalysées par l’enzyme COR, dont la
conversion de la codéine vers la codéinone, sont réversibles. Le flux vers la codéine, et
par conséquent vers la morphine, pourrait être augmenté en optimisant les niveaux des
enzymes impliquées. Le ratio des enzymes T6ODM, COR et CODM a été modifié pour
obtenir une proportion 2/1/3, respectivement. La concentration de morphine produite a
ainsi été portée à 5,2 mg/L. (d) Enfin, un aménagement parut nécessaire pour diminuer
la voie vers la néomorphine. La cause principale de la ramification de la morphine vers
la néomorphine est la trop faible vitesse de transformation spontanée de la néopinone
(précurseur de la néomorphine) en codéinone (précurseur de la morphine). Une sépa-
ration spatiale de ces molécules a permis de laisser plus de temps à la néopinone pour se
réarranger spontanément en codéinone : l’enzyme COR a été fusionnée à une étiquette
de localisation vers le réticulum endoplasmique tandis que l’enzyme T6ODM est restée
cytoplasmique. Cette compartimentation a permis d’augmenter la conversion de néopi-
none en codéinone, ce qui a entraîné un flux deux fois plus important vers la morphine.

c. Vers la synthèse d’opioïdes par une seule souche microbienne ?


Plusieurs souches d’E. coli sont donc requises pour obtenir la thébaïne, puis une souche
de levure est ensuite nécessaire pour produire la morphine à partir de ce précurseur. Les
processus industriels utilisant plusieurs souches sont difficiles à mettre en œuvre. C’est
pourquoi des tentatives ont été menées pour obtenir une souche unique capable de synthé-
tiser des dérivés d’opiacés à partir d’une source de carbone simple. Ceci a été réalisé chez
la levure : pas moins de vingt-trois gènes provenant de la levure, de plantes (Papaver
somniferum, Papaver bracteatum, Coptis japonica, Eschscholzia californica), du rat (Rattus
norvegicus) et d’une Bactérie (Pseudomonas putida) ont été introduits chez S. cerevisiæ.
L’hydrocodone, un opioïde très utilisé en thérapie, a pu être obtenu mais à une concentration
extrêmement faible (de l’ordre du µg/L), alors qu’un procédé rentable demande une concen-
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tration d’environ 5 g/L ! Cela traduit bien l’énorme travail d’investigation qui est nécessaire
pour parvenir à la synthèse d’un composé complexe par un seul micro-organisme.

3 Des approches innovantes


a. Amélioration de la production de protéines recombinantes
Parmi les protéines recombinantes d’intérêt thérapeutique l’insuline, l’interféron,
l’hormone de croissance sont les premiers cas de production chez E. coli et la levure. De
nombreuses souches et de nombreux vecteurs ont été construits, ce qui a rapidement permis

241
Introduction à la microbiologie

d’obtenir ces protéines avec un bon rendement. Cependant, leur synthèse n’a pas été sans
poser quelques problèmes : mauvais repliements dans le cytoplasme du micro-organisme,
pont disulfure absent ou illégitime, glycosylation absente ou différente. Plusieurs stratégies
ont permis d’améliorer le repliement au cas par cas : expression contrôlée ou à tempéra-
ture modérée, co-expression de chaperonines (pour assister le repliement) ou de disulfide
isomérase (pour former des ponts disulfures corrects), utilisation de souches mutantes à
cytoplasme oxydant, expression sous forme de protéine de fusion, etc. Grâce à ces ajuste-
ments, beaucoup de protéines recombinantes ont pu être produites dans des conditions
satisfaisantes. À cet égard, les levures S. cerevisiæ ou Pichia pastoris constituent des hôtes
intéressants car en tant qu’Eucaryotes, ils sont plus adaptés à l’expression de protéines
eucaryotes. De plus, leur système de sécrétion leur permet d’exporter les protéines recom-
binantes, ce qui constitue un sérieux avantage pour leur purification. À titre d’exemple, le
vaccin recombinant contre l’hépatite B est produit chez la levure et est exploité commer-
cialement. Cependant, même les micro-organismes eucaryotes trouvent leurs limites pour
la synthèse de certaines protéines, comme les anticorps, et leur système de glycosylation
(absent ou différent) peut se révéler néfaste soit pour l’activité de la protéine, soit pour son
immunogénicité. Ainsi, la plupart des anticorps thérapeutiques conçus par génie géné-
tique sont produits par des cellules eucaryotes de mammifères (souvent des cellules de
Hamster CHO). Bien que leur expression soit assez faible et coûteuse, leur repliement est
correct et leur glycosylation est davantage conforme à celle d’origine.

b. L’évolution dirigée des protéines


Les protéines ont évolué naturellement au cours des millions d’années antérieures,
pour s’adapter à leurs environnements et devenir performantes au sein de leurs cellules
hôtes. Ces propriétés naturelles peuvent cependant ne pas concorder avec les contraintes
industrielles, en particulier en ce qui concerne leur surexpression, leur régulation,
leur activité dans des conditions physico-chimiques particulières (température, pH,
présence de solvant organique, etc.). Depuis quelques décennies, on a donc cherché à
imposer de nouvelles pressions de sélection aux protéines afin de leur faire acquérir de
nouvelles propriétés. Cela passe par une étape de mutagénèse aléatoire (réalisée bien
souvent par une amplification PCR infidèle, c’est-à-dire faisant des erreurs d’insertion
de nucléotides), par la construction et le criblage de banques de milliers de mutants
dans des micro-organismes appropriés. Les clones sélectionnés peuvent subir plusieurs
cycles, ce qui représente une sorte d’évolution dirigée in vitro des protéines, qui mènera
progressivement à leur amélioration dans le sens souhaité. Le crible est une étape clef de
l’évolution dirigée, spécifique pour chaque relation activité/protéine/hôte. Le crible le
plus puissant est la sélection directe. Une alternative réside dans la conception de subs-
trats chromogènes donnant lieu à un produit coloré. Enfin, plus laborieusement, on peut
déceler la molécule recherchée par des méthodes classiques (chromatographies, RMN,
spectrométrie de masse). Il est aussi possible de concevoir des cribles « intelligents » pour
éviter des analyses fastidieuses, surtout pour des protéines n’ayant pas d’activité facile-
ment testable. À titre d’exemple, voici un crible permettant d’améliorer la solubilité de

242
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes

protéines recombinantes : leur gène peut être fusionné à celui d’une protéine « marqueur »
(en l’occurrence la GFP$ ou ses dérivés, décelables grâce à leur fluorescence). Une protéine
recombinante se repliant mal dans le cytoplasme du micro-organisme producteur, donc
inutilisable, va influencer le repliement de GFP, provoquer son agrégation et par consé-
quent inhiber sa fluorescence. Les « bons » clones seront donc aisément identifiables. La
modification de quelques acides aminés sur la protéine recombinante, grâce à une muta-
génèse aléatoire sur le gène correspondant, peut suffire pour qu’elle ne se s’agrège pas.
L’évolution dirigée concerne aussi des protéines dépourvues d’activité enzymatique,
majoritairement destinées à interagir avec d’autres protéines ou d’autres molécules.
Les anticorps en sont les exemples les plus marquants, mais on peut également citer les
lectines (fixant les sucres), les « affibodies » (protéines affines artificielles), etc. L’évolu-
tion dirigée de ces protéines visera principalement l’amélioration de leur spécificité et
de leur affinité pour une cible. Plusieurs méthodes sont disponibles, celle de « Phage
display » $ étant la plus répandue. Les propriétés de nombreux anticorps ont pu ainsi être
améliorées. La mutagénèse intensive des boucles d’un anticorps peut aussi permettre
d’obtenir un anticorps d’une certaine spécificité sans avoir besoin d’immuniser un
animal avec l’antigène. Une autre solution, plus aléatoire et moins pratiquée, est l’expo-
sition des protéines d’intérêt à la surface du micro-organisme producteur par fusion
avec une de ses protéines membranaires (Cell-display).

c. Ingénierie des Bactéries anti-cancer


L’utilisation de Bactéries pour lutter contre le cancer découle des travaux de W. Coley au
siècle dernier, qui a montré que certaines infections bactériennes ont un effet bénéfique
sur la régression de cancers. Les cellules cancéreuses, bien que présentant des antigènes
spécifiques, sont peu reconnues par le système immunitaire, qui a tendance à les tolérer.
L’injection dans l’organisme malade de certaines Bactéries qui auront tendance à se loca-
liser dans les tumeurs renforce la réaction inflammatoire et potentialise le rejet. Bien
que cette approche soit tombée en désuétude pendant quelques décennies, elle reprend
de la vigueur grâce aux nombreux travaux venus compléter et améliorer les premières
tentatives. Un élément déterminant le choix des Bactéries réside dans leur capacité à
se développer dans les conditions d’anoxie qui prévalent la plupart du temps dans les
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tumeurs solides. Les bactéries disposant d’un métabolisme anaérobie, obligatoire ou


facultatif, prolifèrent davantage auprès des cellules tumorales que des cellules saines.
Cette croissance site-spécifique est favorisée par la très faible réaction immunitaire et la
forte disponibilité en métabolites dans cet environnement. Les Bactéries testées jusqu’ici,
Clostridium, Salmonella, Streptococcus, Bifidobacterium, E. coli, Mycobacterium, etc., ont
montré un tropisme insuffisant ; il est donc apparu nécessaire d’augmenter leur spécificité
d’interaction, et donc leur développement majoritairement au sein des tumeurs. De plus,
ces Bactéries étant conçues pour le ciblage d’un marqueur tumoral, leur titre initial peut
être beaucoup moins élevé pour atteindre la même concentration au site voulu. Ceci est
particulièrement important car même si ces Bactéries ont été atténuées du point de vue
de leur virulence, l’infection entraîne une certaine toxicité qu’il faut juguler.

243
Introduction à la microbiologie

Il a récemment été possible d’exposer un anticorps ciblant un marqueur tumoral à la


surface d’E. coli par fusion avec une protéine transmembranaire servant de support. Ces
bactéries modifiées se sont avérées capables de reconnaître in vivo le déterminant anti-
génique correspondant exposé à la surface de cellules de mammifères. De même, on a
construit une souche d’E. coli présentant à sa surface un peptide dont le récepteur (inté-
grine) est surexprimé dans de nombreux cancers. Son injection a permis une régression
plus rapide de cancers « xénogreffés » chez la souris. Certaines souches bactériennes ont
fait l’objet de modifications génétiques ciblées afin de les rendre plus efficaces : expres-
sion de cytotoxines (azurine), d’enzymes capables d’activer des prodrogues (cytosine
désaminase), d’agents immuno-modulateurs (TNF).
Bien que la médecine actuelle soit très réticente pour utiliser des Bactéries atténuées
comme traitement thérapeutique antitumoral, il n’est pas impossible que cette stratégie
– au demeurant peu coûteuse ! – fasse son chemin dans les esprits.

d. Bientôt l’intelligence artificielle en biotechnologie ?


L’intelligence artificielle (IA) fait son apparition dans différents secteurs économiques
et la biotechnologie n’y échappe pas, ouvrant la voie de la biologie synthétique. L’ingé-
nierie métabolique est une thématique complexe qui dépend de nombreux paramètres,
souvent difficiles à prédire, et nécessite donc de nombreux essais avant l’obtention
du micro-organisme « champion » pour la production d’une molécule d’intérêt. Un
cluster de start-up américaines s’intéresse actuellement à l’utilisation de l’IA pour
booster la biotechnologie, accélérer les optimisations. Pour un micro-organisme de
cinq mille gènes, les possibilités de mutations sont immenses et l’IA peut contribuer
à les identifier plus facilement et rapidement. La première étape consiste à analyser les
données bibliographiques sur le sujet d’intérêt, de façon automatisée, parmi toutes les
revues scientifiques existantes, ce qui permet d’extraire de façon exhaustive les rela-
tions connues entre génotype et phénotype. Ensuite, toujours de façon automatisée, des
robots très perfectionnés vont construire des variants de souches microbiennes à raison
d’une mutation par cellule en fonction de l’analyse précédente, et ceux-ci seront testés
pour l’amélioration de leur potentiel. L’ordinateur sera ensuite capable d’analyser lui-
même les résultats et de concevoir de nouvelles expériences pour poursuivre de façon
précise l’évolution de la souche. En outre, les expériences viseront à conserver la plupart
des mutations bénéfiques ou neutres, au détriment de celles qui altèrent la croissance.
L’IA devrait même permettre de faciliter la rédaction de l’article scientifique corres-
pondant ! Cela n’en est qu’au stade expérimental et certaines étapes nécessitent bien sûr
l’intervention humaine : en particulier, un goulet d’étranglement consiste à donner les
bonnes directives au départ afin que l’auto-apprentissage puisse se dérouler correcte-
ment. Mais il est incontestable que l’exploration du génome microbien sera sur-multiplié
grâce à cette assistance informatique et robotique. Reste que les chercheurs devront sans
doute affronter une nouvelle frustration, celle de ne pas toujours comprendre l’impact
des mutations, qui résulte d’un cheminement propre à l’IA…

244
L’essentiel

Les points clefs du chapitre


1 Des mutants de régulation d’une souche de Corynebacterium glutamicum per-
mettent une production massive de glutamate et de lysine.
2 L’ingénierie de Saccharomyces cerevisiæ et de Zymomonas mobilis conduit à
la production d’alcool à partir de pentoses contenus dans une matière première
non alimentaire, la lignocellulose.
3 De nouvelles voies métaboliques sont créées chez E. coli pour la production
de substituts du pétrole.
4 Un nouvel antibiotique est découvert grâce à la mise au point d’une nouvelle
méthode de culture.
5 Des oligosaccahrides, enchaînement de sucres difficiles à produire chimique-
ment, sont synthétisés in vivo par une seule souche d’E. coli génétiquement
modifiée.
6 Des molécules d’intérêt primordial pour la santé humaine, l’artémisinine (un
antipaludique), l’hydrocortisone, la morphine, sont obtenues chez E. coli ou
chez la levure par greffage de gènes provenant de différents organismes ou
micro-organismes.
7 L’évolution dirigée pratiquée chez les micro-organismes peut modifier les pro-
priétés d’enzymes ou de protéines de reconnaissance comme les anticorps.
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245
Entraînez-vous
9.1 La souche de Corynebacterium glutamicum sécrète-elle naturellement le gluta-
mate, la lysine ? Quelle solution a été appliquée pour améliorer cette sécrétion ?
9.2 Pourquoi est-il important de forcer les micro-organismes producteurs d’éthanol
à utiliser également les pentoses comme source de carbone ?
9.3 En quoi l’utilisation de la glycérol déshydratase de Clostridium butyricum est-elle
intéressante pour la production de 1,3-propane-diol ?
9.4 Pourquoi est-il plus prometteur de rechercher de nouveaux antibiotiques chez des
souches non cultivables ?
9.5 Décrire la production d’oligosaccharides in vivo chez E. coli par des glycosyltrans-
férases.
9.6 À quoi sert l’optimisation des codons d’un gène introduit chez un micro-orga-
nisme hétérologue ?
9.7 Décrire les étapes permettant de produire l’artémisinine, un antipaludique, par
un seul micro-organisme.
9.8 Quelle molécule sert de base pour la biosynthèse de l’hydrocortisone chez la
levure ?
9.9 Quelle méthodologie peut-on utiliser pour restaurer la solubilité d’une protéine
surexprimée dans le cytoplasme bactérien ?
9.10 Comment peut-on améliorer le tropisme de Bactéries pour les tumeurs ?

246
Bibliographie (ouvrages
didactiques et articles à
caractère non spécialisé*)
Benkimoun P., « Une technique révolutionnaire permettrait de produire de la morphine
à partir de sucre », Le Monde, 25/06/2015.
Bertrand J.C., Lebaron P., Normand P., Caumette P. et Matheron R., Écologie micro-
bienne : microbiologie des milieux naturels et anthropisés, Presses universitaires de Pau
et des Pays de l’Adour, 2011.
Bertrand J.C., Caumette P., Lebaron P., Matheron R., Normand P. et Sime-Ngando
T., Environmentalt microbiology: Fundamentals and applications: Microbial Ecology,
Springer 2016.
Claverie J.M. et Abergel C., « Les virus géants – État des connaissances, énigmes, contre-
verses et perspectives », Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 1087-1096. (**)
Cézard F. Biotechnologies, Dunod, 2013.
Daubin V. et Abby S. « Les transferts horizontaux de gènes et l’arbre de la vie », Med Sci
(Paris) 2012 ; 28 : 895-698. (**)
Duperron S., Les symbioses microbiennes : associations au cœur du vivant, Collection
Écologie, ISTE, 2017.
Paolozzi L. et Liébart JC., Microbiologie : Biologie des Procaryotes et de leurs virus,
Dunod, 2015.
Silar Ph., Protistes eucaryotes : Origine, évolution et biologie des microbes eucaryotes,
HAL Archives-ouvertes.fr. 2016. (**)
Pauthenier C. et Faulon J.C., « Techniques de l’ingénieur. Ingénierie métabolique et
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.

biologie de synthèse pour la chimie verte », Techniques de l’ingénieur, 10/02/2018.


Dessein R., Un nouvel antibiotique ? Le Nouvel Observateur, 11/01/2015.
Dauga C, Doré J. et Sghir A., « La diversité insoupçonnée du monde microbien », Med
Sci (Paris), 2005 ; 21 : 290-296. (**)

(*) Une bibliographie spécialisée est disponible sur la page associée à l’ouvrage sur le
site dunod.com
(**) téléchargeable gratuitement

247
Index

A antigène glycotumoral 230


acide lipotéichoïque 17 antiport 69
acide N-acétylmuramique 17 apoptose 183
acide téichoïque 17 appareil de Golgi 24, 29
acidité-alcalinité 48 appendice 20
actine 20, 187 aptamère 146
activité de l’eau 42, 52 arbre phylogénétique/universel 5, 11
acyl-homosérine-lactone 153 Archæa 12, 13
adaptabilité 51, 53, 58, 64, 75, 78 Archée 6, 19, 125, 156
adhésine 182 archéovirus 193, 201
adhésion 52, 157, 178, 230 ARN de transfert (ARNt)/chargé 138-140
ADN accessoire 96 ARN messager (ARNm)/polycistronique
ADN codant 95 134, 135, 138
ADN polymérase (ADN-Pol) 105 ARN polymérase (ARN-Pol) 25, 135-137,
I 108, 126, 128 140, 145, 148, 203, 207, 211, 212
III 106, 107 ARN régulateur 147, 155
processive 114 ARN ribosomal (ARNr) 16S/18S 7, 10, 12
translésionnelle 129 artémisinine 234
ADN self/non-self (xénogénétique) 129-131 Ascomycète 36, 38
ADN transformant (ADN - T) 122, 124 Asgard 13
ADN xénogénétique 130 aspartokinase K 220
aérobie/anaérobie 47, 57, 62, 226, 243 ATPase 69
alcool déshydrogénase (ADH) 222 atténuation 145
algue nori 174 attractant 151
allostérie 143 auto-inducteur 153-156, 167
amensalisme 50 autophosphorylation 155
Amibe 27 autotrophie 44, 62, 74
amorce 107 auxotrophie 120, 220, 222, 224
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anabolisme/catabolisme 68, 71 azote (métabolisme, source) 62


analogue de base 119
Anammox 60, 63 B
ancêtre commun 11 Bacteria 13
anneau coulissant 107 bactérie anti-cancer 243
anneau Z 81, 86 bactérie atténuée 244
antibiogramme 228 bactérie modifiée 244
antibiotique 17, 38, 52, 69, 86, 99, 102, 103, bactériochlorophylle 74
115, 118, 121, 123, 154, 174, 176, 228 bactériophage 102, 193
anticodon 139 tempéré 115, 123, 194, 204
antigène 103 T-pair 207

249
Index

bactériophage-transposon Mu 115, 206 chromosome circulaire/linéaire 96, 108


bactériorhodopsine 74 cible (séquence) 100
bactériovirus 201 cil 27, 31
bactéroïde 162 circadien 167
Baltimore (D.) 194 cis dominant 143
Bergey’s Manual 13 clé d’identification 6
bêta-lactame (β-lactame) 19, 38 clonage 231
biocarburant 221 clone 41
bioconversion 236 codon 234
biodiesel 35 codon initiateur 138
biofilm 22, 155, 179, 182 codon stop, ou non-sens 138, 140
bioluminescence 153, 167 colonie 29, 33
biotine 220 colonisation 178
boîte de Pribnow 135 coloration de Gram 14, 16
boîte TATA 135, 140 commensalisme 50
boues activées 62 communauté 22, 41, 54, 170, 174
bourgeonnement 85 communication intercellulaire /
brin lent, ou retardé/rapide 107 environnement 29, 38, 49,
brin transcrit/non codant 134 56, 230
γ-butyro-lactone 155 commutateur ribonucléique (riboswitch)
145
C compaction 92
cancer 233, 236 compartimentation cellulaire 25, 203
Cap (Catabolite Activator Protein) 144, 148 compétence 122, 151, 155
capside 195 compétition 50, 53, 174, 205
capside icosaédrique/hélicoïdale/complexe complémentarité 139
195, 207, 209 concatémère 206, 208, 210
capsule 20 conjugaison inter-spécifique 125
carbone 62 constitutif (mutant) 143, 144
carence 42, 78, 145 coopération 56
cassette 103, 115 corps fructifère 29
catabolisme 71 couche S 20
cathéter 157 couplage transcription traduction 138, 141,
caudé 195 145, 150
Cdv 87 courbe de croissance 75, 153
cellules en gobelet 182 Crick (F.) 93
cellulolyse 57 CRISPR 130, 202
cellulose 59, 69, 165, 222 Crp (Cyclic-AMP Receptor Protein) 144
cercle roulant 109, 206, 210 cultivabilité/non cultivabilité 2, 74, 229
Champignon 13, 27, 57 culture en continu 226
chaperon 137, 147, 224 culture pure 6, 75, 153
chargeur 107 cycle
chimiotaxie 29, 84, 149, 151 biogéochimique 2, 73
chitine 59 de l’azote 60
chloroplaste 12, 13, 24 de Calvin 73

250
Index

de Krebs 73, 219 élongation 137


de l’eau 181 émetteur (du signal) 150
du carbone 58, 165 encapsidation 203
cytochrome P450 235, 236 endocytose 28, 29, 202
cytochrome P450 réductase 236 endonucléase 128, 129, 148
cytokine 183 endosphère 173
cytoplasme 20, 23, 138 endospore 149
cytosquelette 20, 23, 26, 28 endosymbiose mitochondriale 13
endosymbiote 162, 165
D énergie 3, 42, 69, 71
Dam (Désoxy-Adénosine Méthylase) 128, enveloppe 195, 202
148 enzyme dégradative 69, 71, 174
décantation 63 enzyme de restriction 129
décaténation 108 épigénétique 31, 113
décodage 140 épingle à cheveux 137
Delbrück (M.) 120 épisome 98
dénitrification 63 ergostérol 236
dialogue intercellules / environnement 15 ESCRT-III 87
dialogue moléculaire 153, 162, 167 espace périplasmique 15
diauxie 37, 144 espaceur 130
diderme 14 espèce 5
différenciation 22, 29, 52, 78, 137, 149 essentiel (métabolite) 162, 220
dimension géonomique 95 éthanol 221
dimorphisme cellulaire 84 étiologie 175
diploïde/diploïde partiel 37, 143 étiquette (ciblage) 241
distribution relative de l’abondance 54 Eucarya 13
diversité 2, 51, 121, 230 eucaryovirus 193, 201
division 149 évolution 10, 22, 53, 64, 100
asymétrique 35, 152 évolution dirigée 223, 226, 242
synchrone 87 excrétion 220, 221
divisome 81, 87 exonucléase 107
DnaA 106, 109 exosquelette 16, 80
domaine phylogénétique 12 extrémités
domaine topologique 93 cohésives 200
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dormance 51 liées par un pont protéique 200


double brin (db) 199 redondantes 199
soudées 200
E
eaux usées 61, 213 F
écosystème 62 facteur F 98, 124, 143
ectosymbiote 165, 168 facteur sigma (σ) 135, 136, 153
effecteur 184 σ70 (de ménage) 136
élément génétique accessoire (EGA) 96 féminisation 169
élément génétique mobile (EGM) 64 fer 147, 174
élongasome 81 fermentation 45, 57, 165, 222

251
Index

fermentation anaérobie 36 H
feuille de trèfle 140 habitat 42, 170
fixation d’azote 60, 162 halophile/halotolérant 47
flagelle 20, 27, 33, 84, 85, 151, 157, haploïde 37, 96, 129
189, 201 hélicase 106
flore microbienne 170 hélicité 108
Fmet 138, 139, 140 hémiméthylation 128
force du promoteur 136 hérédité cytoplasmique 29
forme réactive de l’oxygène (FRO) 114, 147, hérédité infectieuse intracellulaire 102
233 hérédité non mendélienne 37, 147
formyl-méthionine 138 hétérotrophie 42, 59, 62
fourche de réplication 106 Hfq 147
fragment d’Okazaki 108, 128 Hfr (haute fréquence de recombinaison)
fréquence de mutation 114 124
FRO 114, 147, 233 histidine kinase (HK) 150, 151
FtsZ 20, 84, 87 HMOs (Human Milk Oligosaccharides) 232
Fur 147, 148 HO• 119
holobionte 170
G holoenzyme 137
galerie d’identification 7 homéostasie 75, 96
GATC 106, 119, 128, 148 homosérine-lactone 156
GC 96, 102 horloge moléculaire 10
gemmation 85 hybridation ADN-ADN 6
gène de ménage 96 hyphe 86
génome mitochondrial 37 I
génome viral
île de pathogénicité 189
circulaire 200
île génomique 102
linéaire 199, 200
îlot métabolique 102
segmenté 199, 200, 213
immunité 29, 33, 56, 130, 171, 205
GFP 243
adaptative 183
GloboH 230
ETI 183
glucose 144 héréditaire 130
glutamate 218 innée 183
glycérol 225, 234 implant génétique 222
glycolyse 73 inclusion 22
glycosylase 126 incompatibilité 169
glycosyltransférase (GT) 230, 231 indice de Shannon, H’ 54
Gram– 154 indice de Simpson, Ds 54
Gram+ 155 inducteur 142, 143, 144
GRAS (Generally Recognised infection nosocomiale 176
As Safe) 234 infection systémique 213
GTA (Gene Transfer Agent) 125 ingénierie métabolique 234
guilde microbienne 41, 58 initiation 137, 140
gyrase 93, 117 intégron 102, 115

252
Index

intelligence artificielle 244 lysosome 25, 28


interaction inter-cellulaire 44, 49, 52, 153 lysozyme 16, 19, 210
interféron 189
intron 37 M
IPTG 142 macrophage 29, 183
irradiation 48 maladie de Crohn 171
isobutène 226 MalT, activateur de transcription 144
isoforme 239 membrane 202, 220
isomère 230 externe (ME) 15
interne (MI) 18
J nucléaire 5, 26
Jacob (F.) 143 plasmique 23
ménage (fonctions de) 171
K ménage (gène) 96
kinase 147, 149, 185 ménage (σ70, de) 136
kinase à sérine/thréonine (STPK) 149 mésappariement 126, 128
Koch (postulat de) 176 métagénomique 230
Koch (R.) 176, 217 métallotolérant 48
méthanogénèse/méthanogène 11, 46, 57
L méthode de parcimonie 10
Lederberg (E. et J.) 121, 123 méthylase 148
levure 36, 234, 236, 239, 242 méthylation 128, 129, 147, 148, 151, 207
LexA 126 mévalonate 232, 233, 235
liaison peptidique 140 mévalonate diphosphate décarboxylase
libération des virus 203, 209 (MDD) 226
ligand 146, 151 micro-algue 27
ligase 108, 126, 128 microbiome 170
lignine 59, 69, 165 microbiote 57, 170
lignocellulose 222 micro-croissance 228
lipopolysaccharide (LPS) 17 microflore 173
lipoprotéine de Braun (LPP) 17 micro/macro noyau 30
listériose 180 micro-organisme du sol 228
lit bactérien 62 milieu de culture 241
lixiviation 61 mini-cellule 82
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Lrp (Leucine Responsive Regulatory Protein) mitochondrie 13, 24


144, 148 modification post-traductionnelle 147
LUCA 13, 14 monochromosomie 96
Luria (S.E.) 120 monoderme 14
lutte antimicrobienne 156 Monod (J.) 75, 143
LuxR 153 Morgan (T.H.) 114
Lwoff (A.) 194 morphine 238, 239
lycopène 232, 233 motilité 27, 33, 52, 151, 168
lyse 205, 207, 208, 210, 212, 213 MreB 20, 80
lysine 220 multirésistance 176
lysogénie 194, 205 muréine 16

253
Index

mutagène 117, 119 P


mutagénèse aléatoire/dirigée 220, 235, palindrome 100, 148
242 paludisme 27, 169, 234
mutateur 129 pandémie 175
mutation 129 Paramécie 29, 31
mutation spontanée 64, 100, 201 paramylon 35
MutH,L,S 128 parasite 193, 236
mutualisme 49, 175 parasitisme 50
facultatif 162 paroi 16, 157
obligatoire réciproque/univoque 162 parthénogenèse 169
mycélium 86 particule transductrice 123
Pasteur (L.) 176, 217
N pathogène 53, 87, 99, 123, 125, 148,
nanotube 125 151, 154, 169, 174, 213, 230,
neurotransmetteur 171 232
niche 42, 171, 174 pathogène opportuniste 170, 175
nitratation 60 pathogénèse 156
nitrification 60, 62 pathogénicité 69, 95, 102, 103
nodule 162 pathogénie 56, 175, 177
nombre de copies 98 pathologie 99, 194
nomenclature 5 PCR infidèle 242
noyau 14, 25, 138 pédoncule 84, 85
nucléation de la glace 181 pentose 222
nucléocapside 198, 209, 211 peptide leader 145
nucléoïde 21, 86, 94 peptide-synthétase 229
peptidoglycane (PG) 16, 80, 229
nucléole 25
périplasme 71
nucléotide-sucre 230
perméabilité 15, 18, 231
nutriment 3, 42, 43, 52, 56, 78
perméase 224
O peste bubonique/pulmonaire 180
petite sous-unité ribosomale 7
obésité 171 phage 193
occlusion du nucléoïde 82 Phage display 243
oligopeptide 155 phagocytose 27, 180, 183, 210
oligosaccharide 230 phagosome 28
opéron 96, 135, 140, 147 phase
opéron lactose 141, 148 de latence 43, 76
opéron lux 167 de lecture 140
opéron tryptophane 145 de mortalité 78
organite 19, 21, 24 exponentielle 77
origine (ori) 94, 105 stationnaire 77, 136
oriT 98, 124 stationnaire prolongée 78
oriV 98 phénon 9
orthologue 226, 235 phénotype 143, 148
oxydo-réduction 71, 235 phosphatase 147, 153

254
Index

phosphore 174 protoplaste 16, 19


phosphorylation 147, 149, 150, 152, 155 protozoaire 27, 165
photosynthèse 24 pseudo-muréine 19
photosystème 74 pseudopode 27, 28
phototrophie 49, 58 psychrophile/psyschrotrope 46
phyllosphère 173 pyruvate 73
piézophile 48 pyruvate décarboxylase (PDC) 222
pilus 20, 157, 182, 209
pilus sexuel 124, 201, 210, 211, 212 Q
plasmide 207 queue 195
auto-transférable, ou conjugatif 98, 125 quorum quenching 156
conjugatif Ti 99, 125 quorum sensing (QS) 53, 153, 157, 167
intégratif 98 inter-espèces 156
multicopie 232
R 99 R
métabolique 99 racine phylogénétique 11
plectonème 92 radiation ionisante 119
pluricellularité 29, 33, 86 radical libre 47, 119
polarité 199 réacteur biphasique 235
pôle cellulaire 81, 84, 151 réarrangement chromosomique 98, 100, 115
pollution 60, 63 RecA 114, 126, 128, 131
polymorphisme 31 RecB,C,D 128
population 41 récepteur 150, 201
pore 16, 184 récessif 143, 144
porine 18 recombinaison homologue 114, 124, 128,
porteur sain 178 130, 207, 236
pouvoir réducteur 71 recombinaison non-homologue 115
prédation 50, 86 recombinaison site-spécifique 115
pression 48 recyclage 58
pression osmotique 47 redondantes (extrémités) 200
PriA,B,C 128 régulateur de réponse, RR 150
primase 107 régulation 44, 75, 95, 135, 219, 220, 237, 242
prion 148 négative 141
procaryote 2, 22 positive 144
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processivité 107 post-transcriptionnelle 145


profil protéique 9 régulon 135, 144, 150, 155
promiscuité catalytique 226 régulon maltose 144
promoteur 135, 148, 237 relation trophique 43
propanediol (1,3-PDO) 225 relaxosome 124
prophage 205 réparation 94
prosthèque 84, 85 de mésappariement, MMR 127
protéase 155 par excision de bases, BER 126
protéome 141 par excision de nucléotides, NER 126
prothèse 157 réplication semi-conservative 103
protiste 1 réplication thêta 109

255
Index

réplisome 106, 128 d’insertion (IS) 98, 100, 118


réponse stringente 145 RBS (Ribosome Binding Site) 138
répresseur 189, 238 Shine-Dalgarno 138
LacI 142, 143 signal 71
TrpR 145 Up 136
répression catabolique 43, 144 séquences inversées/répétées 117, 130,
réseau trophique 58 200
réservoir 178, 179 shufflon 103
résistance 53, 64, 99, 115, 118, 121, 123, 201, sigma voir facteur sigma
222, 228, 229 signal 149-151, 157
respiration aérobie, oxygénique 24, 36 simple brin (sb) 199
restriction-modification (R-M) 129, 131, SlmA 82
202, 207 SOS 126, 144
réticulum endoplasmique (RE) 24 source de carbone 37, 42, 43, 71, 226
rétro-inhibition 220 sous-unité 30S/50S 140
retrotranscriptase 203 spécificité (régio- ; stéréo) 230, 235
rétrotransposon 37 spectre d’hôte 163, 201, 211, 213
rhizosphère 173
sphéroplaste 16
Rho 137
spore 84, 151
ribosome 21, 24, 25, 138, 140, 145
sporulation 78, 84, 86, 137, 151, 155
RpoS (σ38) régulateur transcriptionnel 78,
stabilité (d’une communauté microbienne)
136, 147
51
rumen 57
station d’épuration 62
ryhB 147
stress 95, 136, 155, 174, 220, 222
S stress thermique 220, 224
structuration (du sol) 58, 62
salinité 47
santé 61, 64, 157, 170, 173 structure cellulaire 22
sARN 147 structure péri-enveloppe 20
sécrétion 70, 242 structure pyramidale 209
de type III (SST3) 184 substance bioactive 86
de type IV et de type VI 189 sucre 70, 144, 149
ESX-1 de type VII 189 superhélicité 92
ségrégation 94 surenroulement 92
sélection 64, 96, 120, 242 surexpression 222, 223, 232, 234, 236, 242
sénescence 38 sur-réprimé (mutant) 143, 144
senseur 18, 150, 151, 156 survie 44, 52, 78, 98, 126, 153, 162, 171, 205,
sensibilité (d’une communauté 210
microbienne) 51 symbionte 87
septation (site de) 82 symbiose 49, 102
septum 81, 84 symport 69
séquence syntrophie 44
−10/−35 135 systématique 4
cos 204 système à deux composants 155
de reconnaissance 129, 131 système inductible 142, 143

256
Index

T transposase 100, 131


Tatum (E.L.) 123 transposition 100, 115
taux de croissance 77 non-réplicative, coupé-collé 118
taux de mutation 114, 120 réplicative 117, 207
technique des répliques 121 transposon (Tn) 100
température 46 transposon composite/simple 101
temps de génération 77 tricheur 157
tensioactif 220 triplet 139
terminaison (ter) 94, 108, 137, 138, 146 Trypanosome 31
termite 56, 165 tube digestif (TD) 45, 56
test de fluctuation 120 tube multitests 7
tête 195 tubuline 20, 23
tête pleine 207, 208 Tween 40 220
thébaïne 238 type sexuel 31
thermophile 47 type trophique 72
thylakoïde 74 tyrosine 238
tige-boucle 140, 145, 147
Tn5 118
U
topoisomérase 93 ultraviolets (UV) 119
topologie 93 unicellularité 2, 22
toxine 38, 69, 71, 102, 155, 175, 230 uniformité (E) 54
tra 98 uniport 69
transcription 109, 126, 152 UvrA,B,C,D 126, 128
transcriptome 141
transcytose 187 V
transduction du signal à deux composants vaccin anti-cancéreux 232
(SDC) 150 vacuole 25, 27, 29, 187
transduction généralisée 123 variabilité 170
transduction restreinte (ou spécialisée) 123 variation de phase 32, 33, 103, 115,
transférosome 125 148
transferts génétiques horizontaux (TGH) vection active/passive 178
10, 14, 53, 102, 121 vésicule 24
transformation 103 vésicule membranaire 20, 125
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translocation 70 virophage 210


transmission horizontale/verticale 129, 162, virulence 18, 99, 121, 149, 151, 154, 155,
163, 169 174, 185
transport 69 virus 14, 129, 169, 232
ABC (ATP Binding Cassette) 69 enveloppé 195
actif 19 « géant » 209
actif primaire/secondaire 69 latent 194
dépendant (PTS) 70, 149 vitesse de croissance 43
facilité 69 voie des pentoses phosphates
passif 18 73, 224
SecA-dépendant/indépendant 71 voie Entner-Doudoroff 73

257
Index

W Y
Watson (J.) 93 yersiniose 180
Woese (C.) 11
Yop 183
X
xérophile 49
Z
xylose 222 zoonose 178

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