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Introduction
à la microbiologie
Microbiologie fondamentale et appliquée
Illustration de couverture : © newannyart – istockphoto.com
© Dunod, 2019
11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-080016-2
À la nouvelle génération : Emma, Jacopo et Elisabetta
À Sarah
Les auteurs
Ouvrage réalisé sous la direction de :
Luciano Paolozzi, professeur honoraire de génétique (université Tor Vergata, Rome),
qui enseignait la génétique bactérienne et la microbiologie (Chapitres 1, 3, 4, 5, 6 et 8).
Jean-Claude Liebart, professeur honoraire (UPMC, Paris), qui enseignait la génétique
bactérienne et la microbiologie (Chapitres 1, 3, 4, 5, 6 et 8).
Relecteurs
Pascal Le Bourgeois, professeur, université Paul-Sabatier, Toulouse
Pascal Combemorel, professeur, ENS, Paris
Anne Decoster, professeur, université catholique de Lille
Audrey Esclatine, professeur, université Paris-Sud
Gilles Etienne, maître de conférences, IPBS, université Paul-Sabatier, Toulouse
Michel Fons, professeur, université d’Aix-Marseille
Claire Geslin, maître de conférences, université de Bretagne occidentale, Brest
Patrizia Ghelardini, responsable de recherche, IBMM-CNR, Rome
Amel Guyonvarch, professeur, université Paris-Sud
Jean-Marie Lacroix, professeur, université Lille 1
Gaétan Le Floch, professeur, IUT, université de Bretagne occidentale, Brest
Philippe Rousseau, maître de conférences, université Paul-Sabatier, Toulouse
Philippe Silar, professeur, université Paris-Diderot
Philippe Urban, chargé de recherche, LISPB-CNRS, Toulouse
IV
Table des matières
Les auteurs IV
Remerciements XI
1 Micro-organismes 1
1. Un monde à découvrir 1
1.1 Les micro-organismes et la vie sur Terre 1
1.2 Formes, dimensions, unicellularité, physiologie 2
3. La cellule procaryote 14
3.1 L’enveloppe 14
3.2 Structure intracellulaire 20
3.3 Quelques éléments de réflexion 22
2 Microbiologie environnementale 41
V
Table des matières
2. Métabolisme énergétique 71
2.1 La chimio-organotrophie 73
2.2 La chimio-lithotrophie 73
2.3 La phototrophie 74
VI
Table des matières
3. Réplication 103
3.1 Les étapes de la réplication 104
3.2 Modèles particuliers de réplication 109
Entraînez-vous 112
4. Variabilité/anti-variabilité 129
4.1 Les systèmes anti-variabilité 129
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VII
Table des matières
1. Le mutualisme 161
1.1 Mutualisme et nutrition 161
1.2 Mutualismes non trophiques 167
2. Le commensalisme 169
2.1 Le microbiote humain 170
2.2 Le microbiote végétal 173
2.3 Algues rouges, makis et évolution du microbiote humain 174
3. Le parasitisme 175
3.1 Les épidémies – Conséquences sociétales et étiologie 175
3.2 Réservoirs, transmission et cycles infectieux 177
3.3 Adhérence/entrée dans les cellules hôtes 182
3.4 Contournement des défenses 183
3.5 Évolution du pouvoir pathogène 189
Entraînez-vous 192
2. Structure 195
2.1 Les capsides 195
2.2 Génomes 199
VIII
Table des matières
Index 249
IX
Avant-propos et guide d’emploi
Cet ouvrage constitue une introduction à la microbiologie, l’étude des espèces générale-
ment unicellulaires et microscopiques. L’univers microbien est un ensemble extrêmement
hétérogène, encore plus diversifié que le monde qui nous est familier. Occupant toutes
les niches écologiques de notre planète, les micro-organismes sont des agents indis-
pensables de l’équilibre de l’ensemble des écosystèmes. Ils comprennent deux grandes
catégories : les protistes, eucaryotes (structure cellulaire semblable à celle des organismes
pluricellulaires), et les procaryotes (structure cellulaire plus simple). Leurs modes de vie
sont très diversifiés, libres ou en association avec d’autres organismes, parfois néfastes
s’il s’agit d’espèces pathogènes, et capables d’entretenir des « dialogues moléculaires »
inter-organismes. Ce monde microbien est doublé du monde des virus, entités de tailles
encore plus réduites et probablement au moins aussi nombreux, intermédiaires entre
monde « vivant » et monde « chimique ». Parasites obligatoires d’organismes de toutes
catégories, ils constituent un maillon important de la diversification et de l’évolution
des organismes qu’ils infectent. C’est à l’étude des micro-organismes, qui n’a réellement
commencé qu’il y a deux à trois siècles, que nous devons une grande partie des connais-
sances actuelles au niveau moléculaire en physiologie, génétique, etc. du monde vivant.
Cela a permis, entre autres, la mise au point de méthodes de lutte contre des maladies
infectieuses ou l’utilisation de micro-organismes dans des productions industrielles.
Nous vous conseillons, avant de vous plonger dans ce manuel, de commencer par la
lecture de la fiche Introduction « Le monde inattendu des micro-organismes » (dispo-
nible sur le site web de l’ouvrage, voir plus loin), qui donne quelques clefs de l’histoire
et du développement de la microbiologie.
En accord avec la nomenclature actuelle, les noms de genres sont écrits en italique
avec une majuscule initiale, et les noms d’espèces en italique et tout en minuscules ;
les noms des trois domaines actuellement reconnus, incluant chacun des micro-
organismes, sont écrits avec une majuscule initiale : Bactéries, Archées et Eucaryotes.
En revanche les termes « protiste » et « procaryote », qui désignent des regroupements
pratiques mais non phylogénétiques, sont écrits tout en minuscules.
Le signe $ en exposant indique une incitation à consulter l’Annexe méthodologique
(sur le site web de l’ouvrage).
Bonne lecture !
X
Remerciements
Cet ouvrage de microbiologie fondamentale et appliquée est le fruit d’une harmonieuse
collaboration avec plusieurs partenaires et collègues, à qui nous tenons à exprimer toute
notre gratitude :
– Mme Laetitia Hérin (Dunod), pour la confiance qu’elle nous a accordée en nous pro-
posant de réaliser ce nouvel ouvrage et pour ses nombreux conseils, qui ont permis
d’assurer l’adéquation des textes aux exigences des étudiants auxquels il s’adresse ;
– nos collègues co-auteurs, bien sûr ;
– nos collègues relecteurs, qui ont contribué à la clarté et à la rigueur scientifiques des
textes ;
– Mme Françoise Joset, professeur honoraire, université d’Aix-Marseille, à qui nous
adressons un remerciement particulier pour avoir mis à notre disposition son
expérience d’enseignante et de scientifique, qui s’est traduite en riches suggestions,
analyses critiques et remaniements des textes, suivis de méticuleuses révisions.
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XI
Et pour en savoir plus…
Les + en ligne
Sur la page associée à l’ouvrage sur le site dunod.com, sont disponibles des fiches et
vidéos formant des compléments à certains chapitres, essentiellement les chapitres à
caractère général ; l’approfondissement des domaines plus spécifiques sera traité en
master.
Fiches spécifiques
Chapitre 1
Fiche 1.1 : Distribution des procaryotes dans la nature
Fiche 1.2 : La classification des organismes vivants – Historique – Ses limites pour les
procaryotes
Fiche 1.3 : La coloration de Gram
Fiche 1.4 : L’identification de Bactéries pathogènes humaines : à chacun sa méthode
Fiche 1.5 : Clé dichotomique d’identification – Cas d’une Bactérie coque à Gram+
Fiche 1.6 : Le manuel Bergey, référence de la systématique des procaryotes
Fiche 1.7 : Structures péri- et trans-enveloppes des procaryotes – Leurs fonctions
Fiche 1.8 : Organites de procaryotes
Fiche 1.9 : L’avantage d’être petit – Rapport dimension/structure d’une cellule
Fiche 1.10 : Chromatine et transcription chez les cellules eucaryotes
Chapitre 2
Fiche 2.1 : Les micro-organismes rares
Fiche 2.2 : Expressions mathémathiques de la diversité microbienne
Fiche 2.3 : Fractionnement des parois végétales et bioraffinerie
XII
Et pour en savoir plus… Les + en ligne
Chapitre 3
Fiche 3.1 : Colonies microbiennes
Fiche 3.2 : La protéine FtsZ
Fiche 3.3 : Les Bactéries non cultivables
Fiche 3.4 : BALO, un monde à exploiter
Fiche 3.5 : Les Streptomycètes, une mine d’applications
Fiche 3.6 : À la recherche d’un mécanisme primitif de prolifération cellulaire
Chapitre 5
Fiche 5.1 : Transferts génétiques horizontaux en conditions naturelles
Fiche 5.2 : Découverte de la conjugaison
Fiche 5.3 : Fonctions et devenirs du plasmide F d’E. coli
Fiche 5.4 : Identification des protéines Uvr chez E. coli
Fiche 5.5 : Hémiméthylation et correction par MMR
Fiche 5.6 : CRISPR, immunité bactérienne acquise ; instrument de génomique ; ses
applications
Chapitre 6
Fiche 6.1 : Nucléotides non canoniques des ARNt – Leurs rôles
Fiche 6.2 : Variation de phase chez la souche pathogène E. coli UPEC
Fiche 6.3 : Variabilité des fréquences d’initiation de transcription
Fiche 6.4 : Fonctionnement du mouvement flagellaire
Chapitre 7
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Chapitre 8
Fiche 8.1 : Décision lyse/lysogénie chez le bactériophage λ
Fiche 8.2 : Encapsidation de l’ADN du bactériophage T4
XIII
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Vidéos
Chapitre 1
Vi 1.1 : L’antibiogramme
Chapitre 3
Vi 3.1 : Isolement de cultures pures
Vi 3.2 : Détermination de la concentration cellulaire
Vi 3.3 : La technique des répliques
Chapitre 8
V 8.1 : Le nombre d’unités virales formant plages de lyse
XIV
Chapitre 1 Micro-organismes
Introduction
La cellule, unité de base de tout organisme vivant, est constituée d’une structure (mem-
brane et éventuellement enveloppe) contrôlant son interaction avec l’environnement et
enserrant le cytoplasme, siège de l’ensemble des réactions nécessaires à la « vie ». Ce
cytoplasme contient des milliers de constituants, dont des macromolécules (majoritaire-
ment protéines et acides ribonucléiques) organisées en structures fonctionnelles, et le
génome, « tableau de commande » du fonctionnement et de la reproduction de la cel-
lule. Cet archétype universel montre cependant des spécificités de contenus, structures
et fonctions propres à la nature eucaryote ou procaryote et aux espèces des organismes.
Objectifs Plan
Définir les notions de procaryotes, 1 Un monde à découvrir
eucaryotes, unicellularité 2 Taxinomie des
Connaître la structure et l’organisation, les micro-organismes
différences entre les cellules procaryotes et 3 La cellule procaryote
eucaryotes 4 La cellule des micro-organismes
Identifier les principaux constituants eucaryotes
cellulaires et leurs fonctions chez les 5 Quelques protistes modèles
Bactéries et les Archées
Expliquer comment les micro-organismes ont
développé leur capacité adaptative à une
très large gamme d’environnements
1 Un monde à découvrir
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1
Introduction à la microbiologie
protozoaires, les micro-algues et les champignons, voir § 5), et les procaryotes, incluant
deux domaines : les Bactéries et les Archées (voir § 2). Le monde microbien colonise
une énorme variété de niches écologiques (voir Chapitre 2). Cette présence ubiquitaire
résulte d’une longue histoire évolutive qui lui a permis de s’adapter à une vaste gamme
de conditions physiques (températures, pH, pression hydrostatique, jusque dans les
profondeurs océaniques) et chimiques (nature des nutriments et des sources d’énergie)
(voir Chapitre 3) et a contribué à sa diversification. Cette diversité est fondamentale pour
la vie sur la planète, ces organismes assurant l’équilibre des cycles biogéochimiques,
et ainsi le fonctionnement des écosystèmes. Ils constituent les premiers maillons de
la chaîne alimentaire de l’écosystème marin. On estime qu’une molécule sur deux du
dioxygène (O2) que nous consommons par respiration est produite par des micro-algues
marines. Les procaryotes et les champignons sont les principaux agents de recyclage de
la matière organique morte.
Les modes de vie des micro-organismes sont soit sous forme libre, soit, assez
fréquemment, en association – obligatoire ou non – avec d’autres organismes (inter-
procaryotes ou avec des protistes, des plantes ou des animaux) (voir Chapitres 2, 6
et 7). L’association est très souvent bénéfique, sinon indispensable, pour l’hôte (tel le
microbiote de l’Homme) ; elle peut inversement lui être néfaste, comme c’est le cas
d’une centaine d’espèces pathogènes, qui ne représentent cependant qu’une minorité des
Bactéries connues, aucune Archée, et quelques protistes dont une vingtaine infectant
l’Homme (certaines Amibes, les Trypanosomes). La seule malaria, causée par le proto-
zoaire Plasmodium, a été responsable en 2016 de 216 millions de cas, dont 429 000 décès
(données de l’OMS).
Seul un très petit nombre d’espèces, voire de souches, a été étudié, tant protistes que
procaryotes, en raison soit de caractéristiques plus favorables à leur étude en laboratoire
(cultivabilité, vitesse de croissance, possibilités d’approche génétique), soit d’un intérêt
médical et/ou appliqué (voir Chapitres 2, 7 et 9). Le nombre d’espèces répertoriées est
une minorité par rapport à celles estimées : moins de 1 % pour les procaryotes et, parmi
les protistes, moins de 10 % pour les seuls protozoaires (sans doute une surestimation
pour l’ensemble des protistes).
2
Chapitre 1 • Micro-organismes
Les morphologies des protistes peuvent être irrégulières (Amibe, voir Figure 1.7)
ou présenter des formes géométriques simples – sphères, cubes, prismes, ovoïdes
(Saccharomyces, voir Figure 1.4B) – ou complexes (Paramécie ou Trypanosome, voir
Figures 1.8 et 1.9), avec parfois des appendices : cils (Paramécie), flagelles (Trypa-
nosome, Euglène, voir Figures 1.9 et 1.11), etc. Les morphologies des procaryotes,
Bactéries et Archées, sont généralement plus simples, quoique très variées (voir
Figure 1.1A), les Archées ajoutant d’autres morphologies (cubes, lobes, tétraèdres,
longs filaments non segmentés). Des structures de surface sont souvent présentes
chez les membres des deux groupes (§ 3.1). Des changements de conditions physiques
et/ou nutritionnelles, qui influent sur les capacités de croissance, sont souvent initia-
teurs de changements morphologiques. Ainsi la Bactérie Escherichia coli présente des
cellules individuelles en bâtonnet en condition de croissance rapide, mais forme des
filaments multicellulaires en conditions nutritionnelles limitatives ou inhibitrices de
la division. Un dimorphisme lié au cycle de reproduction est observé chez quelques
espèces (voir Chapitre 3). De nombreuses espèces se mettent en vie quiescente avec
différenciation en spores, une forme de résistance, tant que persistent des conditions
environnementales peu favorables à leur croissance (voir Chapitres 3 et 6). Chez
certaines bactéries pathogènes intervient une cascade de variations morphologiques
suivant les stades de l’infection, liée à leur capacité d’envahissement de l’hôte et/ou de
résistance à sa contre-attaque (voir Chapitre 7). Les espèces cultivables en laboratoire,
reproduites sur milieu nutritif solide (en boîte de Pétri$) forment des colonies consis-
tant en amas de cellules (environ 10 8) d’un diamètre de l’ordre du millimètre (voir
Figures 1.1B, C et D). Chaque colonie est une population clonale, issue d’une cellule
unique, dont la forme, l’aspect, la pigmentation éventuelle sont aussi des caractères
distinctifs (§ 2.3).
Les dimensions des micro-organismes se mesurent généralement en microns.
Chez les protistes elles varient entre 10 et 100 µm (quelquefois plus) et sont très
supérieures à celles des procaryotes (de 1 à 10 µm pour la plupart des Bactéries, et
généralement inférieures au micron pour les Archées). Parmi les exceptions connues
citons les Mégabactéries, ou Bactéries géantes, dont les dimensions varient entre 50
et 750 µm (telle Epulopiscium fishelsoni, de 80 µm de diamètre et 700 µm de long,
visible à l’œil nu) et, à l’opposé, les Ultramicrobactéries, avec des diamètres inférieurs
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à 0,2-0,3 µm. Dans leur ensemble, les volumes des cellules procaryotes couvrent ainsi
huit ordres de grandeur (< 0,01 à 2,106 µm3) ; pour comparaison ces valeurs sont de
30-40 µm3 pour le protiste Saccharomyces cerevisiæ, et de 2 000-4 000 µm3 pour une
cellule de mammifère.
À la diversité morphologique des micro-organismes s’associe une diversité physio-
logique concernant les systèmes d’exploitation de l’énergie, la nature des nutriments
(voir Chapitres 2 et 3), les modes de reproduction (voir Chapitre 3), tant sexuée que par
multiplication végétative, ainsi que de nombreuses autres caractéristiques tels les modes
de locomotion (voir Chapitre 6) et les relations intercellulaires (voir Chapitres 2, 6 et 7).
3
Introduction à la microbiologie
A
Streptococcus
pneumoniae
Streptococcus Neisseria Corynebacterium
Staphylococcus pyogenes gonorrhoeae diphteriae
aureus
Bacillus
cereus Escherichia Vibrio
coli cholerae
Ronde
Ondulée Lobée
Concentrique
Filamenteuse
4
Chapitre 1 • Micro-organismes
définir la notion d’espèce chez ces organismes. En effet cette notion, définie comme
une population dont les individus peuvent naturellement se croiser et produire une
descendance fertile, n’est pas applicable chez des organismes à reproduction asexuée
(voir Chapitres 3 et 5). Leur structure unicellulaire limite l’utilisation des critères
morphologiques. Enfin, les caractères physiologiques sont peu discriminatifs. Certains
peuvent en effet être partagés par des espèces phylogénétiquement distantes (par un
mécanisme de convergence) ou au contraire absents chez des espèces proches (méca-
nisme de régression) (§ 2.5). L’identification d’un procaryote et son classement dans
un taxon ont largement progressé grâce à la disponibilité de méthodes moléculaires$.
Le concept d’espèce selon ces méthodes a dorénavant été défini par le niveau d’identité
5
Introduction à la microbiologie
de séquence (la capacité d’hybridation ADN-ADN) de leur ADN total ou, par défaut,
de leurs gènes ribosomaux. Une espèce sera le regroupement de souches présentant un
degré de similarité d’au moins 70 % pour leur ADN, ou 97 % pour les gènes ribosomaux,
associé à un ensemble de propriétés physiologiques communes qui les différencient des
souches d’une autre espèce. Il existe toutefois des exceptions à cette règle.
Jusqu’à la fin des années 1960 les Archées étaient considérées comme des Bactéries
particulières (d’où le nom d’Archébactéries). Peu distinguables morphologiquement des
Bactéries « vraies », ces organismes étaient groupés en considération de leur habitat ou
d’une particularité métabolique : halophiles, thermophiles, méthanogènes. Ces déter-
minations, cependant, regroupaient aussi des procaryotes strictement définis comme
des Bactéries. Ce ne sera que quelques années plus tard, grâce à l’approche moléculaire,
qu’il deviendra possible, et nécessaire, de séparer ces organismes des Bactéries pour les
classer dans un domaine propre (voir Figure 1.3).
6
Chapitre 1 • Micro-organismes
(utilisation de divers substrats) peuvent être déterminées soit via des cultures en milieu
liquide (délais de réponses minimaux de 24 à 48 heures), soit par des réactions biochi-
miques sur des aliquotes cellulaires au moyen de tests de natures turbidimétrique ou
colorimétrique (délais de réponses inférieurs à 24 heures)$. Chaque résultat est repré-
senté par un code-barres, et des logiciels d’interprétation fournissent l’identification de
la souche. Cette méthode donne de bons résultats mais elle est laborieuse, coûteuse et
parfois peu pratique car assez longue à mettre en œuvre. L’identification d’un patho-
gène nécessite très souvent une réponse rapide pour compléter un diagnostic et initier
une thérapie ciblée. Des kits d’analyse de capacités enzymatiques, disponibles sous
forme de tubes multitests (voir Figure 1.2A), spécifiques soit d’une famille bactérienne
(par exemple Entérobactéries), soit d’un genre (par exemple Salmonella), permettent
d’identifier rapidement et à coût moindre de nombreuses espèces, en particulier des
pathogènes responsables de maladies gastro-intestinales. Des versions plus récentes
de ces tests ont été développées sous forme de galeries miniaturisées, qui analysent
simultanément jusqu’à 50 caractères biochimiques en les associant à un antibiogramme,
permettant l’identification d’une souche en 24 à 48 heures.
bases (taille moyenne d’un gène procaryote). Le gène de l’ARNr de la petite sous-unité
ribosomale (codant l’ARNr 16S ou 18S chez les procaryotes et Eucaryotes, respective-
ment) (§ 3.2 ; 4.1), présent chez tous les organismes, a des caractéristiques qui en font un
excellent marqueur d’identification des micro-organismes (§ 2.5). Il est admis que deux
souches présentant des séquences de leur ARNr différant de plus de 3 % (c’est-à-dire que
leur pourcentage d’identité est inférieur à 97 %) appartiennent très probablement à deux
espèces différentes. La réciproque toutefois n’est pas vraie, puisque des souches d’espèces
différentes peuvent avoir des séquences d’ARNr 16S ou 18S ayant un pourcentage d’iden-
tité supérieur à 97 %. Dans ce cas le comité chargé de la systématique des procaryotes
recommande d’utiliser les pourcentages d’hybridation ADN-ADN, qui doivent être d’au
7
Introduction à la microbiologie
A Voges- Harnstoff /
Glucose Ornithine Adonidol Arabinose Proskauer test urée
Lysine H2S/Indole Lactose Sorbitol Dulcitol Citrate
Production de gaz
B Coques à Gram+
Vancomycine - Vancomycine -
sensibles résistantes
Leuconostoc
Pediococcus
PYR –
Streptococcus PYR +
autres que Streptococcus
pyogenes pyogenes
Lactococcus Gemella
8
Chapitre 1 • Micro-organismes
moins 70 %, ainsi que la stabilité thermique à 5 °C des hybrides ADN-ADN des gènes
correspondants. Il est possible de déterminer le profil de migration électrophorétique
de l’ADN, spécifique de chaque souche (technique AFLP), la séquence de gènes (5 à 7)
codant des fonctions conservées (technique MLSA), ou la séquence du génome complet
(technique ANI). La résolution des deux premières méthodes permet de discriminer des
souches au sein d’une espèce, la troisième de discriminer deux génomes ne différant que
de quelques nucléotides.
Des méthodes fondées sur les profils protéiques, en particulier les protéines riboso-
males (spectrométrie de masse MALDI-TOF), analysés par comparaison avec des bases
de données, sont actuellement très utilisées en diagnostic clinique.
2.4 Classification
a. Classification phénétique
La classification phénétique regroupe en principe les organismes sur la base de ressem-
blances anatomiques ; dans le cas des procaryotes ce sont des caractères phénotypiques
tels que définis ci-dessus (§ 2.3). Malgré les points critiques qu’elle présente par rapport
aux classifications phylogénétiques moléculaires actuelles, cette approche conserve
un intérêt pratique en microbiologie médicale, agricole et industrielle. Des progrès
énormes ont été accomplis dès qu’il a été possible de disposer d’outils (ordinateurs et
programmes) permettant de confronter de nombreux caractères et de déterminer des
degrés de similarité entre souches. Développé vers la fin des années 1950 par R. Sokal
et P. Sneath, ce système s’inspire de la classification des plantes fondée sur un ensemble
de caractères ayant chacun la même « valeur ». Les résultats sont présentés sous forme
de matrices de similarité réalisées en calculant un indice par paires de souches (par
exemple, l’indice de Jaccard). Ces matrices sont traduites en dendrogrammes construits
grâce à un algorithme regroupant les souches en fonction de leurs caractères communs.
Des phénons sont ainsi définis, des groupes homogènes dont les individus présentent
environ 80 % de similitude ; dans le cas des procaryotes les phénons sont souvent équi-
valents aux espèces définies selon les autres modes de classification.
Cette classification est critiquable à plusieurs niveaux :
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– Le choix des caractères analysés ainsi que leurs poids relatifs sont subjectifs.
– Il n’est pas tenu compte du nombre de gènes impliqués dans l’expression de
chacun de ces caractères ; ainsi l’ensemble des gènes correspondant à la totalité des
caractères examinés ne représente souvent qu’une petite fraction du génome. Les
similarités phénotypiques prises en compte ne reflètent donc pas l’histoire évolutive
des espèces.
– Non moins important est le fait que la méthode ne s’applique qu’à la minorité des
organismes cultivables.
9
Introduction à la microbiologie
b. Classification phylogénétique
Cette classification, établie sur des bases moléculaires, regroupe les organismes en fonc-
tion de leur lien de parenté, et permet d’aborder leur histoire évolutive. Il s’agit donc d’une
classification naturelle. Les premières phylogénies moléculaires ont eu pour support
l’analyse de séquences protéiques. C’est sur cette base que L. Pauling et E. Zukerkandl
(1965) ont proposé l’hypothèse que les gènes répondent au concept d’horloge molécu-
laire : un gène évoluerait à vitesse fixe au cours du temps, c’est-à-dire qu’il accumulerait
le même nombre de mutations (en majorité neutres vis-à-vis de la sélection naturelle) par
unité de temps. La réalité de l’horloge moléculaire présente l’avantage de permettre de
dater des divergences entre lignées, après calibration à l’aide d’organismes fossiles dont
l’âge est interprétable. Les méthodes antérieures de phylogénie, éventuellement fondées
sur des critères ne respectant pas l’horloge moléculaire, pouvaient conduire à une estima-
tion faussée de l’histoire évolutive des organismes concernés. Cependant ce concept est
rarement applicable pour les phylogénies anciennes du fait que les gènes évoluent souvent
à des vitesses différentes selon les lignées évolutives. D’autres méthodes phylogénétiques
sont disponibles, qui tiennent compte, au moins en partie, de ces variations.
La classification phylogénétique moléculaire exige de respecter certaines contraintes.
Les séquences à analyser doivent répondre aux critères suivants : il doit s’agir de macro-
molécules universellement distribuées, couvrant des fonctions indispensables et
maintenues telles au cours du temps (ADN ou ARN polymérases, ARN ribosomaux).
Le gène ou la molécule qui en dérivent doivent évoluer à une vitesse compatible avec la
résolution taxinomique voulue : la séquence protéique du cytochrome c, très constante
chez les animaux, est utilisable uniquement pour classer des organismes très éloignés
phylogénétiquement. Inversement les hémoglobines ont une vitesse d’évolution rapide
qui permet la comparaison d’organismes évolutivement proches. Les gènes utilisés ne
doivent pas être sujets à des transferts génétiques horizontaux (voir Chapitre 5) fréquents.
Cette propriété est particulièrement importante dans le cas des procaryotes, chez lesquels
le processus est loin d’être négligeable. Plusieurs gènes répondent plus ou moins bien à
l’ensemble de ces contraintes, les meilleurs candidats étant sans aucun doute les ARNr
16S (procaryotes) et 18S (Eucaryotes) (§ 2.5a).
La nature du (des) organisme(s) d’étude conditionne la collecte des séquences à
comparer. Il peut s’agir soit de séquences déjà disponibles dans des banques de gènes
(Genbank, EMBL), soit d’un séquençage à effectuer. Les séquences obtenues sont
alignées, c’est-à-dire positionnées parallèlement en favorisant les zones d’identité, à
l’aide d’algorithmes (tel celui du logiciel Clustal W). Seules les séquences bien alignées
seront retenues. La construction de l’arbre phylogénétique peut être réalisée selon
plusieurs méthodes. Deux d’entre elles (méthode du maximum de vraisemblance et
méthode bayesienne) sont probabilistes et considérées comme plus fiables, mais font
appel à de nombreux paramètres, dont un modèle évolutif. En conséquence ce sont
surtout deux autres méthodes qui sont utilisées couramment :
– La méthode de parcimonie consiste à rechercher parmi tous les arbres possibles
celui ou ceux qui nécessitent le moins de changements évolutifs (i.e. de mutations).
10
Chapitre 1 • Micro-organismes
Sa fiabilité repose sur le préalable que les séquences comparées aient évolué à la
même vitesse, ce qui la rend très sensible à l’applicabilité du concept d’horloge molé-
culaire.
– L’alignement des séquences permet la construction d’une matrice de distances des
organismes testés, qui peut être convertie en une matrice évolutive, puis en arbre
phylogénétique grâce à des algorithmes tels que le Neighbor joining. Cette méthode
est plus rapide que celle du maximum de vraisemblance et moins sensible au non-
respect du concept d’horloge moléculaire. L’enracinement de l’arbre permet de
l’orienter et de positionner l’ancêtre commun aux organismes étudiés. Un groupe
d’organismes externes connus pour avoir divergé très tôt est ordinairement pris
comme référence. La racine cherchée sera entre ce groupe et les séquences de l’arbre
phylogénétique obtenu.
11
Introduction à la microbiologie
domaines pour désigner ces trois groupes d’organismes, Eucarya, Bacteria (Bactéries) et
Archæa (Archées), ces derniers termes remplaçant « Eubactéries » et « Archébactéries ».
La séquence de l’ARNr 16S des chloroplastes s’est révélée très proche de celle de ces
mêmes molécules chez les Cyanobactéries, résultat qui a conforté l’origine endosym-
biotique de ces organites.
4 - Nanoarchéotes
1 - Euryarchéotes Opisthokontes
Hydrobacteria
Champignons
5 - Planctomycètes
Amoebozoaires Animaux
4 - Chlorobi
Dictyostelium Discristates
Terrabacteria
Entamoeba
Euglènes
8 - Actinobactéries
3 - Bactéroïdètes Trypanosomes
7 - Chloroflexi Excavates
9 - Firmicutes
2 - Protéobactéries 6 - Cyano- Algues vertes
bactéries (Volvox)
10 - Deinococcus-
Thermus Plantes
Rhizaria
Haptophytes Archaeplastida
11 - Platesibacteria Cryptophytes
1 - Spirochètes (CPR) Paramecium
Straménophiles Alvéolates
Bikontes
SAR
ANCÊTRE UNIVERSEL
12
Chapitre 1 • Micro-organismes
13
Introduction à la microbiologie
par une Bactérie d’une Archée, celle-ci devenant le noyau et la Bactérie la structure
de base de l’organisme. L’Eucaryote ainsi obtenu aurait absorbé une α-Protéobactérie,
établissant l’endosymbiose mitochondriale, puis l’absorption par l’un de ces Eucaryotes
d’une Cyanobactérie serait à la base de la formation des chloroplastes.
Le séquençage massif de génomes de toutes origines a permis de souligner le rôle
considérable des transferts génétiques horizontaux (TGH) au sein de l’ensemble des
organismes, et en particulier des procaryotes (voir Chapitre 5). Certains auteurs consi-
dèrent que l’importance de ces transferts est telle que la notion d’arbre devrait être
remise en question au profit de la notion de réseaux. Toutefois, du fait qu’elle est fondée
sur la comparaison de protéines ou d’ARN peu ou pas affectés par les TGH, la notion
d’arbre reste légitime telle qu’on l’a définie.
Enfin, l’arbre universel fondé sur les ARN ou les protéines ribosomales n’est évidem-
ment pas applicable aux virus, y compris ceux des procaryotes (voir Chapitre 8),
dépourvus de ribosomes. Il a été proposé de classer ces derniers en lignées évolutives.
L’analyse des protéines majeures de leurs capsides et de leurs structures externes a révélé
une origine très ancienne, contemporaine de LUCA. Cette origine est polyphylétique,
indiquant que les virus ne peuvent être issus d’un même ancêtre commun, mais seraient
apparus indépendamment au cours de l’évolution.
3 La cellule procaryote
Issues d’un ancêtre commun, Bactéries et Archées ont maintenu une organisation
cellulaire similaire. Cette cellule procaryote se distingue d’une cellule eucaryote essen-
tiellement par l’absence de membrane nucléaire, et en général de membranes spécialisées
internes au cytoplasme, deux caractéristiques responsables de nombre de leurs particu-
larités structurales et fonctionnelles (voir Figure 1.4A). Peuvent s’ajouter divers éléments
externes ou intracellulaires, éventuellement différents entre Bactéries et Archées ou
entre espèces de l’un ou l’autre domaine.
3.1 L’enveloppe
L’enveloppe des procaryotes est une structure multi-stratifiée complexe, siège de
nombreuses réactions biochimiques qui pour certaines s’effectuent chez les Eucaryotes
au niveau d’organites intracytoplasmiques (§ 4.1). C. Gram (1884) a mis au point une
méthode de coloration histochimique des enveloppes aboutissant à classer les Bactéries
en deux groupes, dits à Gram− et à Gram+. Ces deux groupes sont corrélés grosso modo
à deux types de structure, en une (monodermes) ou deux (didermes) strates princi-
pales, enveloppant une membrane, dite cytoplasmique ou interne (MI), équivalente à
la membrane plasmique des cellules eucaryotes. La coloration de Gram dépend de la
nature et de l’épaisseur de la couche interne, ou paroi, de l’enveloppe, un réseau macro-
moléculaire qui définit la morphologie cellulaire.
14
Chapitre 1 • Micro-organismes
Enveloppe
A B
Paroi Capsule Membrane
cytoplasmique Vésicule Exocytose
cellulaire secrétoire Espace
Paroi périplasmique
Granule
lipidique
Nucléoïde
Inclusions Noyau Plasmide
2μ
Nucléoles
Vacuole
ADN
mitochondrial
Réticulum
Ribosomes endoplasmique
libres rugueux avec
ribosomes fixés
Cytoplasme
Flagelle avec ribosomes
Figure 1.4 – Schéma simplifié de cellules procaryote (A) et eucaryote (B, type levure
de boulangerie) (Figure modifiée d’après P. Ribéreau – Gayon et al., 1998, Dunod)
Agrandissement : environ 5.104 et 104 fois, respectivement.
15
Introduction à la microbiologie
Lipopolysaccharide
Peptido- Membrane externe
glycane Lipoprotéine
Espace de Braun
périplasmique Peptidoglycane
Membrane plasmique
avec protéines intégrales
de membrane
16
Chapitre 1 • Micro-organismes
b. La ME des didermes
Cette structure, asymétrique, a les caractéristiques fondamentales des membranes
biologiques (double couche de phospholipides et glycolipides). Elle est constituée par un
polymère, le lipopolysaccharide (LPS), spécifique des Gram–, dans son feuillet externe,
et dans le feuillet interne de phospholipides et de la lipoprotéine de Braun (LPP), dont
17
Introduction à la microbiologie
18
Chapitre 1 • Micro-organismes
d. Enveloppes atypiques
Bien que classées à Gram+ et appartenant au phylum des Actinobacteria, l’ordre des
Corynebacteriales présente une enveloppe originale, difficile à identifier par la colo-
ration de Gram, qui cependant une fois obtenue résiste à la décoloration. Deux autres
méthodes de coloration (rouge à la fuschine de Ziehl-Neelsen et fluorescence à l’au-
ramine de Dugommier) permettent de les identifier. Une mycomembrane externe,
formée de trois composants, présente une organisation bicouche non classique, avec
un feuillet interne d’acides mycoliques liés à de l’arabinogalactane, lui-même lié au PG.
Cette couche externe contient des lipides libres variés, la plupart spécifiques de ces orga-
nismes, intercalés entre les acides mycoliques. Ces structures sont souvent entourées
d’une capsule (voir Tableau 1.1) constituée principalement de polysaccharides. Trois
espèces présentent un intérêt important en raison de leur pathogénicité, Mycobacte-
rium tuberculosis, Mycobacterium lepræ et Corynebacterium diphtheriæ, responsables
respectivement de la tuberculose, la lèpre et la diphtérie. Deux espèces non pathogènes
à croissance rapide, Mycobacterium smegmatis et Corynebacterium glutamicum, sont
utilisées, respectivement, comme modèle d’étude et en biotechnologie pour la produc-
tion de divers composants dont des acides aminés (voir Chapitre 9).
Les Mycoplasmes, appartenant à la classe des Mollicutes, sont dépourvus de ME
et de paroi, ce qui les rend équivalents à des protoplastes. Cette absence de paroi les
rend insensibles aux antibiotiques de la famille des β-lactames. Ce sont des organismes
commensaux obligatoires des animaux, dont certains pathogènes de l’Homme, tels
Mycoplasma pneumoniæ. Ils peuvent cependant vivre librement soit parce que leur MI
contient des stérols qui leur confèrent une certaine rigidité, soit parce que leur habitat
(par exemple, le corps humain) présente une pression osmotique élevée et contrôlée.
Chez les Archées, l’enveloppe proprement dite, variable suivant les espèces, se
distingue de celles des Bactéries et des cellules eucaryotes. Elle est dépourvue de
muréine ; seules certaines espèces méthanogènes contiennent une pseudo-muréine (des
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19
Introduction à la microbiologie
des cas, contiennent de longues chaînes d’alcool isoprénique liées au glycérol par des
liaisons éthers. Les espèces hyper-thermo-acidophiles contiennent des tétraéther-lipides
à longue chaîne, dont certains traversent la membrane, dite alors monostratifiée, lui
conférant ainsi une plus forte stabilité thermique (elle devient non dénaturable), éven-
tuellement liée à la grande thermotolérance de ces organismes.
De nombreuses structures péri- et trans-enveloppes, et/ou des appendices, communs
à tous les procaryotes ou spécifiques des Bactéries ou des Archées, ou de certaines
espèces dans chaque domaine, couvrent une panoplie de fonctions (voir Tableau 1.1).
20
Chapitre 1 • Micro-organismes
la crénactine (homologue de l’actine) chez les Archées. Ces protéines ont des rôles vitaux
multiples (voir Chapitres 3 et 4).
Un corps amorphe présentant des protubérances irrégulières, le nucléoïde, appa-
raît par microscopie. Il n’est pas enfermé dans une membrane, comme l’est le noyau
des cellules eucaryotes, à l’exception d’un certain nombre de genres du phylum des
Planctomycètes. Il occupe 10-20 % de la région centrale du cytoplasme. Un ou plusieurs
exemplaires peuvent être présents selon les espèces et l’état physiologique des cellules.
Chaque nucléoïde contient l’essentiel de l’ADN, dans la majorité des cas sous forme
d’une seule molécule, le chromosome, maintenu sous une forme compacte par des
protéines basiques chez les Bactéries et des histones chez les Archées (voir Chapitre 4).
Le chromosome porte la majeure partie de l’information génétique. Le reste de l’ADN
est réparti sur des familles d’éléments génétiques, les plasmides, à réplication autonome.
Les ribosomes des procaryotes présentent des caractéristiques spécifiques dans
chacun des deux domaines concernés. Chez les Bactéries, ce sont des particules dont
les deux sous-unités ont des coefficients de sédimentation de 50 et 30 unités Svedberg,
donnant une particule de 70 unités (ribosomes 70S). Ils ne contiennent que trois molé-
cules d’ARN (contre 4 chez les Eucaryotes). Les caractéristiques de ceux des Archées
les rapprochent de ceux des Eucaryotes (voir Chapitre 6). Le nombre de ribosomes par
cellule (au moins 7 000 chez E. coli) varie énormément avec le taux de croissance, et
donc de synthèse protéique (voir Chapitres 3 et 6). La synthèse des protéines ayant lieu
dans le cytoplasme, celles à destination non cytoplasmique doivent être transportées
vers leur site d’activité, interne ou externe ; pour les facteurs multiprotéiques, les sites
d’assemblage doivent pouvoir être reconnus pour aboutir à la formation de complexes
fonctionnels. Les activités de transport transmembranaires sont donc nombreuses et
primordiales (voir Chapitre 3).
Des organites forment des micro-espaces délimités par une barrière protéique
permettant de compartimenter une activité métabolique spécifique. En concentrant
un métabolite volatil ou toxique dans un petit volume, ces structures favorisent le
couple enzyme-substrat, et donc l’efficacité de la réaction biochimique. Ils présentent
des similarités de constituants et/ou de structure. Leur morphologie, des polyèdres
de 80 à 200 nm analogues aux capsides virales (voir Chapitre 8), résulte de l’assem-
blage de milliers de protéines, incluant les sous-unités enzymatiques impliquées dans
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21
Introduction à la microbiologie
22
Chapitre 1 • Micro-organismes
de leurs cellules (§ 2) a conduit à regrouper Bactéries et Archées, des organismes forts
différents et considérés actuellement comme appartenant à deux domaines phylogé-
nétiques distants (§ 2.5). Ce regroupement, qui peut paraître artificiel sous l’angle
taxinomique, conserve toutefois une certaine validité biologique en termes de struc-
ture cellulaire, et une validité pratique et/ou didactique. C’est dans cet esprit que nous
parlerons de procaryotes.
a. Complexes structuraux
La membrane plasmique (Mi), ou cytoplasmique, ou interne, unique, délimite les
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.
contours de la cellule et constitue l’interface avec son environnement. Elle n’est pas
doublée par une paroi chez les protozoaires, mais l’est chez les champignons (chitine,
un polymère de résidus N-acétylglucosamine) et les micro-algues (principalement de la
cellulose, le polymère prépondérant de la biosphère, comme chez la plupart des algues
et plantes). Chez ces dernières elle agit comme un exosquelette, conférant aux cellules
la rigidité nécessaire pour contrer la pression osmotique interne.
Le cytosquelette, une structure filamenteuse qui contrôle la forme de la cellule (et
permet de la déformer pour assurer son déplacement), est composé de trois grands types
de molécules. Les microtubules, conservés chez tous les Eucaryotes, sont constitués par
polymérisation de dimères de tubuline. Ils participent à la répartition des chromosomes
23
Introduction à la microbiologie
durant mitose et méiose, et interviennent dans la construction des flagelles. Les microfi-
laments d’actine interviennent pour assurer la formation et le transport des vésicules, la
séparation des deux cellules filles à la division, et la génération de pseudopodes pour le
déplacement. L’actine, constituant de toute cellule eucaryote, est l’une des protéines les
mieux conservées du monde vivant. Les filaments intermédiaires, qui assurent l’archi-
tecture de la cellule, sont constitués d’environ 70 protéines fibrillaires différentes, dont
la nature varie chez les différents groupes d’Eucaryotes.
Les réseaux membranaires internes comprennent le système endomembranaire et
le réseau mitochondrial, ainsi que les plastes chez les cellules effectuant la photosyn-
thèse. Le système endomembranaire, issu de la membrane du noyau, reste connecté
à celle-ci. Il comprend un ensemble de membranes spécialisées, formant des compar-
timents qui constituent l’interface entre cytoplasme, membrane plasmique et milieu
extérieur. Le réticulum endoplasmique (RE) en est l’organite principal (de 20 à 60 %
de la surface membranaire totale, environ 10 % du volume cellulaire). Il est constitué
par le RE rugueux (aspect conféré par les ribosomes, attachés sur la face externe de sa
membrane) et le RE lisse. Le premier intervient dans la synthèse et la maturation des
protéines, le second dans la synthèse des lipides (acides gras et phospholipides). Pour
être fonctionnelles, les protéines synthétisées subissent des modifications assurées par
l’appareil de Golgi. Des vésicules assurent leur transport du réticulum vers l’appareil de
Golgi, puis, après modifications, vers leurs destinations finales (membrane plasmique,
organites divers, milieu extracellulaire), correspondant à leurs fonctions.
b. Organites spécialisés
Les mitochondries, dont le nombre varie selon le type et l’état physiologique des cellules
(de centaines à milliers de copies), sont le siège de la production d’énergie par voie
respiratoire, oxydative. Elles peuvent être sphériques ou en bâtonnets (1 à 2 µm de long,
0,1 à 05 µm de diamètre, pratiquement la taille d’une Bactérie). Elles sont composées
de deux types de membranes en bicouches lipidiques ; l’une, externe, uniforme, conte-
nant des protéines, est perméable aux ions et petites molécules ; l’autre, interne, riche
en protéines, forme de nombreux repliements (crêtes mitochondriales, hébergeant les
constituants de la chaîne respiratoire) qui se prolongent dans la matrice, partie centrale
de l’organite. Cette matrice est multifonctionnelle grâce à la présence de mitoribosomes
(de type 70S), d’ADN (circulaire), d’ARN (messagers et de transfert), et de nombreux
systèmes enzymatiques (cycle de Krebs, oxydation du pyruvate et des acides gras). Les
mitochondries ont une reproduction semi-autonome à l’intérieur de la cellule.
Les plastes des organismes photosynthétiques (plantes, algues et micro-algues)
présentent une structure (double système membranaire, génome, etc.) et des propriétés
analogues à celles des mitochondries. On distingue les leucoplastes, dépourvus de
pigments (tels les amyloplastes, qui accumulent l’amidon comme réserve) et les chromo-
plastes, contenant des pigments, comme la chlorophylle des chloroplastes. Le système
membranaire interne de ces derniers (thylakoïdes) est le siège de la chaîne de trans-
fert d’électrons photosynthétique, la chlorophylle permettant l’utilisation de l’énergie
24
Chapitre 1 • Micro-organismes
25
Introduction à la microbiologie
26
Chapitre 1 • Micro-organismes
27
Introduction à la microbiologie
assuré par des pseudopodes. Ce mouvement, dont le mécanisme est encore peu connu,
résulte de modifications de structure du cytosquelette d’actine, de courants cytoplas-
miques, et d’un changement réversible de viscosité du cytoplasme. Une cavité se forme
dans l’ectoplasme en périphérie de la cellule, concentrant des organites et des inclusions.
Cela augmente la viscosité locale, qui passe de l’état fluide à l’état granuleux de l’endo-
plasme. L’excroissance ainsi formée crée un nouveau contact sur le substrat extérieur,
et cette poussée provoque un déplacement de la cellule par traction. Le pseudopode
disparaît alors, la partie précédemment à l’état gel redevenant fluide.
A B Amoeba
Vacuole
contractile Pseudopodes
Vacuole digestive
Noyau
Cytoplasme Proie
Membrane
28
Chapitre 1 • Micro-organismes
aussi la pénétration dans la cellule de substances de petite taille (protéines, glucides) qui
peuvent être stockées dans des vacuoles ou utilisées dans l’appareil de Golgi, et le transit
des protéines entre le RE et l’appareil de Golgi.
De nombreuses autres activités cellulaires ont recours à l’endocytose, telle la capture
spécifique de ligands par des protéines de membrane, la communication intercellulaire,
et l’ingestion et/ou la destruction d’agents potentiellement pathogènes. Si le mécanisme
d’endocytose s’est maintenu chez tous les Eucaryotes, seuls les protozoaires conti-
nuent de l’utiliser pour se nourrir. Chez les métazoaires, cette fonction s’est maintenue
comme moyen de défense. Elle permet par exemple aux cellules phagocytaires spécia-
lisées du système immunitaire (les neutrophiles et les monocytes, ou macrophages)
d’ingérer et de détruire des agents potentiellement pathogènes. C’est ainsi que l’amibe
sociale Dictyostelium discoideum est devenue un modèle d’étude du fonctionnement
des macrophages.
29
Introduction à la microbiologie
A B
Membrane cytoplasmique
Cytoplasme
Pellicule
Vacuole contractile
C
Macronoyau
Micronoyau
Cils vibratiles
Vestibule oral
Cytopharynx
Vacuole digestive
Pore anal
30
Chapitre 1 • Micro-organismes
31
Introduction à la microbiologie
déplacement en vrille de la cellule. Une forme courte (12 à 26 µm) sans flagelle libre
(ou peu visible), avec un kinétoplaste plus antérieur que dans la forme longue et une
membrane ondulante bien développée, existe chez certaines espèces. Une mitochondrie
unique, polyploïde, est ramifiée dans tout le cytoplasme. Dans la partie antérieure de la
cellule est localisé un grand noyau (2,5 µm de diamètre) avec un seul grand nucléole. Le
Trypanosome T. brucei apparaît comme une cellule fusiforme munie d’un kinétoplaste,
mitochondrie unique et très développée.
Noyau
Nucléole Membrane
ondulante
Blépharoplaste
ou corps basal Flagelle attaché
au corps du
cytoplasme
Kinétoplaste
Granules de Flagelle libre
réserves de
nutriments
Pellicule
32
Chapitre 1 • Micro-organismes
un long parcours vers son intestin, via le gésier où est produite une membrane qui
enveloppe le repas de sang, et le parasite. Lors du passage dans l’intestin moyen, l’action
anticoagulante de la salive disparaît ; puis la nourriture passe dans l’hémolymphe de
l’insecte. Les parasites se multiplient et se transforment en une morphologie capable
de traverser la paroi de l’intestin (par un mécanisme non encore élucidé), et rejoignent
les glandes salivaires. À ce niveau, ils se multiplient et se retransforment en la forme
infectante. Ce cycle nécessite environ trois semaines.
Le cycle de vie du Trypanosome dépend de deux conditions : l’insecte ne doit pas
être tué par le parasite, et celui-ci doit survivre aux moyens de défense des deux hôtes
(enzymes digestives de l’insecte, réponse immunitaire du mammifère). Pour cela,
des changements de son métabolisme engendrent des variations de sa morphologie
et de son revêtement de surface : il se couvre d’un manteau protéique particulier
(la procycline) qui le protège contre les enzymes digestives de l’intestin de l’insecte.
Dans l’hôte mammifère, il se couvre d’une protéine unique, de la famille des VSG,
qu’il remplace périodiquement selon un mécanisme appelé variation antigénique, ou
variation de phase (voir Chapitre 5), pour tenter de rester invisible au système immu-
nitaire de l’hôte.
qui ressemble à une gastrulation. Des cellules somatiques, de petite taille, incapables
de reproduction, sont distribuées en monocouche de 2 000-4 000 sur la surface de la
sphère (voir Figures 1.10B et C). Hautement spécialisées, elles assurent la motilité de la
colonie vers une source lumineuse, par mouvement de leurs flagelles, positionnés vers
l’extérieur de la colonie. Juste en dessous de ces cellules se trouvent seize grandes cellules
reproductrices asexuées, ou gonidies. Leurs flagelles sont non fonctionnels car le pôle
apical qui les porte est orienté vers l’intérieur de la colonie. Le restant du volume de la
colonie est occupé par une matrice glycoprotéique.
33
Introduction à la microbiologie
Vacuole
contractile
Noyau
Stigma
Chloroplaste
Gonidie (cellules
reproductrices Matrice
asexuées) gélatineuse
– Les cellules somatiques sont programmées pour la vie végétative puis destinées à
mourir, alors que la lignée germinale est immortelle.
– La division asymétrique des gonidies assure la formation des deux types de cellules,
dont l’un va se différencier en gamètes.
– Le processus destiné à reformer la colonie fille par réorientation des cellules soma-
tiques rappelle la gastrulation observée dans le développement des spongiaires.
– Enfin l’organisation spatio-temporelle de la colonie est parfaitement déterminée.
L’ensemble de ces caractéristiques ferait ainsi de cette micro-algue un modèle pour
l’étude de la biologie du développement.
A B Stigma Flagelle
Mitochondrie
Noyau
Vacuole
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.
contractile
Appareil
de Golgi
Chloroplaste Pellicule
35
Introduction à la microbiologie
A B
36
Chapitre 1 • Micro-organismes
obligatoires ont été très étudiées en raison d’un intérêt industriel (Yarrowia lypolytica,
productrice d’acide citrique) ou pathogène chez l’Homme (C. albicans). Contrairement
à la majorité des organismes aérobies facultatifs qui utilisent la respiration préférentiel-
lement à la voie fermentaire en condition de faible aérobie (l’effet Pasteur), un certain
nombre de levures (Kluyveromyces, Saccharomyces) ont une préférence pour la voie
fermentaire, même en présence d’oxygène. Saccharomyces, une fois le sucre fermen-
tescible épuisé, utilise les produits issus de cette fermentation (glycérol, éthanol) pour
la production de glucose, par voie respiratoire. Il s’agit donc d’une croissance en deux
étapes, appelée diauxie.
S. cerevisiæ et Sch. pombe se divisent respectivement par bourgeonnement et par
fission binaire. Ces processus mitotiques classiques présentent cependant des durées
relatives des phases différentes de celles de la majorité des Eucaryotes. Ce mode de
reproduction s’applique autant aux formes haploïdes (spores) qu’aux formes diploïdes,
faisant de ces organismes des haplo-diplobiontes. Au cours de la reproduction sexuée de
S. cerevisiæ, une méiose engendre quatre spores haploïdes, contenues dans un asque, se
répartissant en deux cellules de deux types sexuels. La formation d’une cellule diploïde
se fait par fusion d’une cellule haploïde de chacun des deux types sexuels. Ces processus
ont fait de cet organisme, ainsi que de Sch. pombe, d’excellents outils d’analyse génétique
classique.
Les génomes nucléaires de Sch. pombe (13,5 Mb, trois chromosomes) et S. cerevisiæ
(13 Mb, seize chromosomes) présentent de nombreux traits analogues à ceux des méta-
zoaires (dont Homo sapiens), dont la présence d’introns, cependant en moindre quantité
et de dimensions plus courtes. Le génome de Sch. pombe est un peu moins compact que
celui de S. cerevisiæ. Le processus d’épissage des introns, initialement décrypté chez
cette levure, s’est avéré très semblable à celui d’H. sapiens. Leurs génomes présentent
aussi des rétrotransposons, des séquences d’ADN se déplaçant via un passage par une
forme ARN, selon un mécanisme comparable à celui des rétrovirus (voir Chapitre 8)
d’autres Eucaryotes. S. cerevisiæ possède en outre un ADN circulaire double brin, dit
ADN 2μ, ou microgénome, présent à raison de cinquante copies par noyau, et deux ARN
double brin linéaires responsables de la production d’une toxine.
Le génome mitochondrial est un ADN circulaire double brin de 85,8 kb pour S. cere-
visiæ et 19,4 kb pour Sch. pombe. Chez S. cerevisiæ ont été sélectionnés des mutants dits
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.
« petites colonies », dont le phénotype se révèle sur un milieu sélectif ayant deux sources
de carbone, l’une fermentescible (ordinairement le glucose) en quantité limitante, l’autre
uniquement respirable, en quantité saturante : les mutants ne réalisent qu’une croissance
limitée par rapport aux cellules sauvages, indiquant leur incapacité à respirer. Certains
présentent un comportement mendélien, indiquant l’origine nucléaire de leurs muta-
tions. D’autres, signant une hérédité non mendélienne, sont associés à des mutations
de l’ADN mitochondrial. L’étude transcriptionnelle de l’ADN mitochondrial de S. cere-
visiæ et d’autres ascomycètes a mis en évidence des particularités de cet organite, la
présence de seulement vingt-quatre ARNt (contre quarante-deux dans l’ADN nucléaire)
et quelques entorses à l’universalité du code génétique. Notamment, chez S. cerevisiæ et
37
Introduction à la microbiologie
Sch. pombe les codons stop nucléaires UGA, AUA et CUn codent respectivement dans la
mitochondrie try, la méthionine d’initiation de traduction, et thr ou leu. Cela pourrait
refléter une évolution des génomes mitochondriaux vers un code génétique fondé sur
les seules deux premières bases des codons (ainsi UGA et UGG pour try, AUA et AUG
pour met).
Des formes de communication intercellulaire, impliquant des voies dites de
transduction du signal (voir Chapitre 6), sont à l’œuvre au cours de la reproduction
sexuée. Les formes haploïdes de S. cerevisiæ produisent en permanence une phéromone
peptidique correspondant à leur haplotype. Ces peptides reconnaissent des récepteurs
transmembranaires spécifiques. L’association phéromone-récepteur constitue un signal
qui active la transcription d’une série de gènes permettant la reconnaissance des cellules
du type sexuel opposé. La fécondation, qui implique la fusion d’une cellule de chacun
des types sexuels, est réalisée par dégradation très localisée de la paroi, suivie d’une
réorganisation des membranes cytoplasmiques. Un mécanisme comparable existe chez
Sch. pombe, avec cependant une chaîne réactionnelle notablement différente. H. sapiens
possède le même type de récepteurs pour certaines hormones (l’adrénaline, par exemple)
et certains neurotransmetteurs (impliqués dans la vision, le goût et l’odorat). Les méca-
nismes de maturation et de sécrétion des hormones humaines et de la phéromone de
levure présentent également de fortes similitudes.
38
L’essentiel
39
Entraînez-vous
1.1 Outre la présence d’une membrane nucléaire, quelles caractéristiques morpholo-
giques distinguent les cellules eucaryotes et procaryotes ?
1.2 Quelles sont les différences entre classification phénétique et classification phy-
logénétique ?
1.3 Définir la notion d’horloge moléculaire. Quel rôle joue-t-elle dans la classification ?
1.4 À quels critères doivent répondre les molécules utilisées pour une classification
phylogénique moléculaire ?
1.5 Justifier le choix de C. Woese pour la construction d’un arbre universel du vivant.
1.6 À quoi attribue-t-on la dichotomie Gram− /Gram+ des Bactéries ? Les Archées
peuvent-elles aussi être divisées en Gram− et Gram+ ? Comment se positionne
leur paroi vis-à-vis de cette dichotomie ?
1.7 Quelles données moléculaires justifient l’origine procaryote des organites eucaryotes ?
1.8 Définir la notion de couplage transcription-traduction chez les procaryotes. Pour
quelle raison est-il difficilement concevable chez les Eucaryotes ?
1.9 Quels protistes sont à l’origine de l’étude de l’hérédité non mendélienne ?
1.10 En quoi la biologie de S. cerevisiæ en fait-elle un organisme modèle pour l’étude
de la transcription chez les Eucaryotes ?
40
Chapitre 2 Microbiologie
environnementale
Introduction
Objectifs Plan
Connaître les notions de base de l’écologie 1 Les écosystèmes naturels
microbienne 2 Fluctuations des communautés
Comprendre la biodiversité des micro- microbiennes
organismes, leurs interactions et leur 3 Comprendre la diversité
importance microbienne
Identifier les différents paramètres 4 Quelques écosystèmes
environnementaux impactant les – Applications
communautés microbiennes ainsi que leurs
stratégies d’adaptation et de survie
41
Introduction à la microbiologie
de communautés au sein d’un « paysage » plus large dont les membres (communautés)
sont liés les uns aux autres par différents processus, dont la dispersion des populations.
L’endroit physique dans lequel une communauté microbienne vit est appelé habitat.
Ce dernier possède toutes les caractéristiques (ressources, en particulier nutriments,
mais également conditions physico-chimiques, etc.) appropriées à la vie des organismes
concernés. Un habitat donné peut présenter des micro-environnements dans lesquels
certaines conditions peuvent être très différentes. Par exemple dans un environnement
à température homogène peuvent exister des différences dans la distribution des nutri-
ments, de l’oxygène, etc. Chaque type de micro-organismes occupe une niche spécifique
en fonction de ses besoins. Plusieurs populations peuvent coexister dans un même
habitat. Chaque population microbienne va avoir une condition de vie optimale dans
une niche principale, qui répond à tous ses besoins nutritionnels et physico-chimiques.
42
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
Dans l’environnement, les cellules sont souvent en phase de latence. Cela est vrai aussi
pour l’utilisation et l’assimilation des nutriments, en particulier du carbone. Ainsi la
présence d’un sucre simple peut déclencher un processus de répression catabolique,
qui permet d’éviter une dépense énergétique inutile en utilisant un substrat complexe
à coût plus élevé (voir Chapitre 6). Cette stratégie, applicable à de nombreuses espèces
en conditions artificielles, correspond à une spécialisation permettant l’utilisation d’un
substrat avec une efficacité importante. Les micro-organismes sont cependant généra-
lement capables d’utiliser simultanément plusieurs sources de carbone (dé-répression
catabolique) dans des conditions de nutriments limitants, avec une vitesse de croissance
souvent plus lente qu’en présence d’une seule source de carbone, grâce à l’expression
simultanée d’outils (gènes impliqués dans l’absorption, le transport et le métabolisme)
nécessaires à l’utilisation de ces substrats. Cela constitue un avantage dans un environne-
ment compétitif complexe, tout en permettant une flexibilité physiologique importante.
Il est rare qu’une seule espèce microbienne puisse réaliser l’ensemble des procédés liés
à l’utilisation de tous les produits issus de la décomposition des substrats disponibles
dans un environnement ou un écosystème donnés, et maintenir les différents cycles de
nutriments en équilibre. L’ensemble de ces fonctions est partagé entre des populations
différentes possédant des capacités complémentaires, interconnectées et interagis-
sant suivant de nombreux modes (§ 2.2). Ces populations forment ainsi des chaînes
alimentaires, interagissant par des relations trophiques, des échanges de nutriments
et d’énergie. Chaque population est un maillon de la chaîne, où elle occupe une place
particulière selon les activités qu’elle réalise. Les différentes populations étant interdé-
pendantes, une modification au sein d’une population (taille ou autre) peut influencer
43
Introduction à la microbiologie
Consommateurs :
Organismes supérieurs pluricellulaires
Taille
(µm) Transfert
de matière
et d’énergie
200
Microplanctons
hétérotrophes
Zooplancton
Matières
Protozoaires filamenteuses
Organiques
Dissoutes
20 (MOD)
Nanoplanctons
(MOP)
Bactéries Bactéries autotrophes
héterotrophes (obligatoires ou facultatives)
virus
0,2
Femtoplanctons
virus
44
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
Polymères glucidiques
complexes
(1)
Micro-organismes Hydrolyse et fermentation
hydrolytiques et
fermentaires
Hydrolyse
secondaire (4)
Bactéries
(2) acétogènes
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Bactéries
synthropes
(acétogènes)
Acétate
+ CH4
CO2 H2 (3)
Archaea
méthanogènes
45
Introduction à la microbiologie
a. La température
La température est très variable suivant les biotopes naturels (de moins de 0 °C dans les
zones polaires à 5 °C dans les eaux profondes, autour de 20 °C dans les zones terrestres
tempérées, et jusqu’à 400 °C près des sources hydrothermales). Chaque espèce micro-
bienne présente un optimum de température de croissance, avec un éventail de tolérance
au-delà duquel (température maximale) ces variations deviennent létales (dénaturation
de composants cellulaires), et en deçà duquel (température minimale) les cellules sont
métaboliquement inactives ou ont un métabolisme très ralenti (état de dormance). Au
sein des micro-organismes psychrophiles (avec une plage de tolérance comprise entre
0 et 20 °C, et un optimal à 10 °C), les psychrophiles stricts ne peuvent se développer
qu’à des températures inférieures à 0 °C et sont détruits dès 15 °C ; les psychrotrophes
(psychrotolérants) se développent à basse température mais leur température optimale
de croissance peut être plus élevée (proche de celle des mésophiles). Ces micro-
organismes ont développé de nombreux mécanismes qui leur permettent de résister au
froid (présence d’acides aminés polaires et structures secondaires riches en hélices alpha
dans les protéines ; membranes cytoplasmiques contenant des acides gras insaturés
qui évitent une rigidification membranaire au froid). Leurs biotopes sont les mers et
océans polaires, les abysses, les sols gelés ou les glaciers. Les mésophiles (la plupart des
46
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
b. La salinité
La salinité est un facteur abiotique important. Les micro-organismes halotolérants
sont résistants à une concentration en sel modérée. L’eau de mer, avec une concentration
autour de 4 %, héberge des micro-organismes faiblement ou modérément halophiles
(croissance entre 2-5 % et 5-20 % de NaCl, respectivement). Dans d’autres environne-
ments, comme les marais salants, lacs salés ou la Mer Morte, dont les concentrations en sel
atteignent entre 20 et 30 % (soit proches de la saturation, à 35 %), on trouve essentiellement
des Archées halophiles extrêmes. Tous ces micro-organismes régulent très finement leur
pression osmotique interne afin de maintenir leurs structures cellulaires intactes.
c. L’aérobiose
L’aérobiose peut aussi moduler la diversité des micro-organismes au sein d’un biotope.
L’oxygène, qui est un accepteur final d’électrons pendant la respiration cellulaire (voir
Chapitre 3), est également un agent oxydatif puissant qui peut générer de nombreux
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.
éléments réactifs très toxiques tels que les radicaux libres, capables de détruire les
macromolécules biologiques (voir Chapitre 5). En présence de ces éléments, les micro-
organismes déclenchent des réponses adaptatives telle la production d’enzymes capables
de les détruire (peroxydases, catalases, superoxyde dismutases) ou de modifier (autres
oxydo-réductases) le potentiel d’oxydo-réduction de l’environnement. Ces micro-
organismes, dits aérobies, qui peuvent vivre en présence d’oxygène et l’utiliser, colonisent
toutes les zones ouvertes du globe. Certains, microaérophiles, dont les systèmes de
détoxication ont des performances variables, ne sont capables de croître que sous une
pression en O2 inférieure à celle de l’atmosphère. Les micro-organismes anaérobies
facultatifs peuvent se développer en absence d’O2 mais leur croissance est meilleure
47
Introduction à la microbiologie
d. Acidité-alcalinité
Chaque micro-organisme montre aussi une plage de pH optimale. La majorité est
neutrophile (développement à pH entre 6,5 et 7,5). Les acidotolérants peuvent croître
à pH acide, mais avec un pH optimal de croissance proche de la neutralité. Les acido-
philes, ne se développant qu’à pH acide, incluent des acidophiles stricts et des acidophiles
extrêmes (pH de croissance inférieurs à 5,5 et à 3, respectivement), avec certaines Archées
hyperacidophiles se développant à des pH entre 1 et 3, dans des environnements riches
en métaux (fer, cuivre, zinc, etc.) ou en composants soufrés ou chlorés issus d’activités
volcaniques ou minières. L’alcalotolérance (pH optimal proche de la neutralité) est
souvent accompagnée d’une capacité de croissance à des pH basiques. Les alcalophiles
modérés et extrêmes ont des pH optimaux autour de 7 et 9, respectivement, avec encore
un extrême pour des Archées hyperalcalophiles, se développant à des pH entre 11
et 12. Les micro-organismes alcalophiles se développent dans des environnements aqua-
tiques riches en carbonate de sodium (sources thermales alcalines). Ce sont souvent des
Bactéries photoautotrophes oxygéniques (Cyanobactéries) ou anoxygéniques (Bactéries
pourpres), mais aussi des Bactéries chimiohétérotrophes et des Archées. Aucun orga-
nisme vivant n’a été trouvé jusqu’à présent à un pH supérieur à 12.
e. La pression
La pression atmosphérique terrestre (1 atmosphère, ou 1 000 kpascal) convient évidem-
ment aux micro-organismes se développant en surface. De nombreux biotopes présentant
de fortes pressions (fond des océans, lacs profonds, mais aussi la croûte terrestre, etc.)
hébergent des micro-organismes piézophiles, ou barophiles, se développant jusqu’à
environ 11 000 mètres de profondeur, sous une pression qui peut atteindre 100 MPa
(Fosse des Mariannes), mais ne supportant pas la pression atmosphérique. Leur vie à ces
pressions extrêmes est possible grâce à la production de protéines particulières (famille
des porines) qui forment des canaux, leur permettant de maintenir une pression intra-
cellulaire stable. La température dans les profondeurs variant de 2 °C à 400 °C, avec une
moyenne de 4 °C, ces organismes sont souvent psychrophiles. Les micro-organismes
barotolérants (piézotolérants) peuvent vivre sous une pression proche de la pression
atmosphérique, et sont moins sensibles aux diminutions de pression que les micro-
organismes piézophiles.
f. Autres facteurs
D’autres facteurs environnementaux sont aussi importants. Des micro-organismes
métallotolérants se développent dans des environnements contenant de fortes concen-
trations en métaux lourds (eaux polluées). D’autres, tolérant de fortes irradiations
48
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
(rayons gamma ou UV), ont été isolés de l’eau de bassins de centrales nucléaires ou de
sols radio-pollués. Des micro-organismes xérophiles peuvent tolérer des environne-
ments contenant très peu d’eau et résister à la dessiccation en formant des spores ou des
kystes. La lumière est indispensable à tous les organismes phototrophes (Bactéries et
Eucaryotes uni- et pluricellulaires).
particulier dans les écosystèmes de types tubes digestifs). Quand elle implique des micro-
organismes et des organismes supérieurs on parle de symbiote pour le premier et d’hôte
pour le second. Le symbiote fournit de l’énergie ou des substrats, ou réalise des activités
que l’hôte ne peut pas effectuer. L’hôte, à son tour, offre un environnement adéquat.
Les associations symbiotiques sont nombreuses dans la nature (pucerons héber-
geant des Bactéries du genre Buchnera dans leur hémolymphe ; termites xylophages
et leurs micro-organismes capables de dégrader le bois (voir Chapitre 7). Les herbi-
vores hébergent une communauté microbienne complexe dans leur rumen (§ 4.1). Les
micro-organismes symbiotiques peuvent former des consortia s’ils interagissent de
façon dynamique au sein d’un habitat, se répartissant les différentes étapes d’une voie
49
Introduction à la microbiologie
50
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
incluant mobilité, adhésion et pénétration pour tuer leurs proies. Bien que considérée
comme négative au niveau d’un individu (la proie), cette interaction est nécessaire
pour la régulation et la structuration de la communauté, en permettant de contrôler les
concentrations des populations et le recyclage des nutriments.
51
Introduction à la microbiologie
52
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
53
Introduction à la microbiologie
On peut définir une communauté par deux paramètres (voir Figure 2.3) : la
richesse et la distribution de sa population. La richesse spécifique, S, correspond au
nombre d’espèces différentes (taxa ou unités taxinomiques présentes au sein d’une
communauté). Ce paramètre ne prend en compte ni la proportion ou la distribution
des espèces, ni les populations rares (souvent largement sous-représentées), valeurs
mesurées par l’uniformité, E, la distribution relative de l’abondance des différentes
espèces. Pour deux communautés ayant le même nombre d’individus, une distribu-
tion similaire de toutes les espèces (cas rare) correspond à une valeur élevée de E, et
inversement une distribution non uniforme (une ou quelques espèces numériquement
dominantes, les autres étant rares ; cas le plus fréquent) correspond à une unifor-
mité E faible. La diversité au sein d’un habitat (niveau local) doit aussi être estimée
du point de vue de sa variabilité dans le temps, et pouvoir être comparée au sein de
plusieurs communautés. Des approches mathématiques ont été développées en ce
sens. L’indice de Shannon, H’, permet de réaliser un inventaire (richesse et diversité)
des espèces présentes au sein d’un même habitat (la plus petite échelle). H’ est géné-
ralement compris entre 1,5 et 3,5, et dépasse rarement 4, un indice H’ élevé indiquant
une forte biodiversité. L’indice de Simpson, Ds, indique la probabilité que deux indi-
vidus pris au hasard dans deux habitats soient différents. Si la diversité est faible, il est
probable que les deux individus appartiennent à la même espèce (Ds proche de 0), et
inversement pour une forte diversité (Ds proche de 1) (voir Figure 2.3). Mesuré à un
niveau plus large, faisant alors appel à la notion de dispersion des espèces, cet indice
permet de comparer la diversité entre écosystèmes (indice de différenciation). Deux
communautés appartenant à différents sites présentant des indices Ds différents seront
distinctes dans leur structure (composition et abondance des espèces présentes) et
auront peu d’espèces en commun.
La caractérisation des structures d’un écosystème, de son fonctionnement, des
changements au cours du temps nécessite de recourir à plusieurs stratégies d’analyse$.
L’association des approches devrait répondre à plusieurs questions :
– Quelles cellules (genres et espèces) sont présentes (taxinomie) ?
– Quelle est la taille des différentes populations ?
– Dans quels états physiologiques (métaboliquement actives, viables, dormantes, etc.)
se trouvent-elles ?
– Quelles activités exercent-elles ?
Il est évidemment crucial que l’échantillonnage effectué soit parfaitement repré-
sentatif de l’écosystème. Les approches culturales ne permettent d’identifier qu’une
proportion de la population, passant à côté de micro-organismes viables mais non culti-
vables en laboratoire. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette impossibilité :
– Un micro-organisme ayant une croissance très faible ou très lente peut passer ina-
perçu si la majorité des espèces se développe rapidement.
– Un micro-organisme ayant des besoins nutritionnels (physiques ou chimiques) très
spécifiques, non satisfaits par méconnaissance, ne pourra se développer.
54
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
abondance (%)
abondance (%)
80 80 80
60 60 60
40 40 40
20 20 20
0 0 0
A B C A B C D A B C D
III Communauté 1 : Ds1 = 0,29 Communauté 2 : Ds2 = 0,68 Communauté 3 : Ds3 = 0,75
a a a
a a a b a b
a b b
b a b d b d
a b a
c a c c c c
a c c
a a b c d d
55
Introduction à la microbiologie
56
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
est dite symbiotique obligatoire (au sens restrictif d’une relation à effet positif). Le TD
des ruminants comprend un estomac ou caillette (équivalent à l’estomac des autres
mammifères), précédé de trois compartiments, le rumen ou panse, le plus volumineux,
le réseau et le feuillet. Ces pré-estomacs, en particulier le rumen, hébergent la majorité
de la microflore et sont responsables d’au moins 90 % de la capacité de fermentation du
TD. L’hôte régurgite plusieurs fois les végétaux absorbés, afin de les broyer en particules
fines et de tamponner leur pH par salivation. Cette rumination, qui peut durer jusqu’à
huit heures par jour, facilite l’attaque enzymatique ultérieure par les micro-organismes.
La digestion microbienne des végétaux est réalisée en plusieurs étapes selon une chaîne
nutritionnelle complexe et par une flore et une faune abondantes et diversifiées d’orga-
nismes anaérobies stricts (voir Chapitre 7). Les espèces hydrolytiques (cellulolytiques
et hémicellulolytiques) fractionnent les polymères glucidiques en oligosides ou sucres
simples, qui seront utilisés par des micro-organismes fermentaires, libérant des acides
gras à chaîne courte (acétate, butyrate, propionate, etc.), sources de carbone et d’énergie
pour l’hôte. Du H2 et CO2 également libérés sont utilisés par des micro-organismes
hydrogénotrophes, qui produisent d’autres molécules, en particulier du méthane, éructé
par l’animal (voir Figure 2.2).
L’écosystème microbien du rumen contient au moins une cinquantaine d’espèces, à
une concentration de 1010 à 1011 cellules/mL de contenu ruminal. On y trouve des Bacté-
ries hydrolytiques, fermentaires et hydrogénotrophes (acétogènes et sulfato-réductrices)
variées : embranchement des Firmicutes à bas G+C (Ruminococcus, Butyrivibrio…), des
Bacteroidetes (Fibrobacter, Prevotella, etc.), des Actinobacteria, Proteobacteria (Desul-
fovibrio, Enterococcus, etc.) et des Spirochætes (Treponema). Les Eucaryotes du rumen
sont des protozoaires ciliés (105-107 cellules/mL de contenu ruminal) fermentaires ou
capables d’hydrolyser les parois végétales (voir Chapitre 1), dont certaines de leurs
enzymes cellulolytiques et hémicellulolytiques auraient été reçues par TGH à partir de
Bactéries cellulolytiques du rumen. Les méthodes culturales ont permis de dénombrer
jusqu’à 105 spores/mL de champignons, les seuls anaérobies connus de ce groupe. Ce
chiffre est probablement une sous-estimation, la plupart de ces champignons formant
des rhizoïdes qui pénètrent dans les substrats végétaux, facilitant ainsi les digestions
enzymatiques. Les principaux genres en sont Neocallimastix, Piromyces, Orpinomyces,
Anaeromyces. Des Archées (entre 108 et 1010 cellules/mL de contenu ruminal, avec les
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57
Introduction à la microbiologie
l’hôte. Les micro-organismes planctoniques, libres dans le liquide ruminal, sont consti-
tués de protozoaires et Bactéries.
58
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
(biomasse) ainsi synthétisée constitue les formes du carbone utilisables par les autres
organismes, chimiohétérotrophes. La majorité de la matière organique des écosystèmes
du sol est fournie par les végétaux, bien qu’y participent des micro-organismes photoau-
totrophes. Apportée par la litière et les racines, elle est constituée de molécules solubles
et de parois végétales, riches en polymères glucidiques (cellulose et hémicelluloses) et
en polymères aromatiques (les lignines). Le sol recèle aussi de nombreux autres types de
matière organique provenant de débris animaux, dont la chitine (parois des insectes, des
champignons, riche en carbone et azote). Le carbone contenu dans ces matières est pour
partie minéralisé en CO2 en présence d’O2 lors de la respiration des micro-organismes,
et pour partie décomposé par des micro-organismes en molécules simples (glucides,
acides aminés, etc.) utilisées par les végétaux et les micro-organismes eux-mêmes. La
biomasse microbienne constitue une réserve importante, libérée lors de la mort de ces
communautés. La biomasse végétale est stockée, en partie sous forme de substances
humiques très stables.
Photosynthèse
O2
Organismes photoautotrophes
Air
=
CO2 Végétaux
Respiration
Bactéries Décomposeurs
chimiohétérotrophes
Composés
organiques
simples
Stockage assimilables
Assimilation C
Humus
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Autre élément majeur des cellules vivantes, l’azote est impliqué dans la synthèse de
la plupart des macromolécules biologiques (protéines, acides nucléiques, lipides, etc.). Il
existe sous différentes formes, du gaz (N2, représentant les trois quarts de l’azote terrestre
et 80 % de l’atmosphère), aux formes oxydée (nitrates, N03 −) et réduite (ammoniac, NH3
ou ion ammonium NH4+, selon les conditions). D’autres gaz non naturels comme le N2O
(gaz à effet de serre) peuvent être présents dans l’air. Le cycle de l’azote (voir Figure 2.5)
comprend plusieurs étapes faisant intervenir de nombreuses communautés microbiennes,
59
Introduction à la microbiologie
lui permettant de passer par différents états d’oxydation. Le diazote est un gaz inerte que
seuls quelques groupes de procaryotes sont capables d’assimiler directement.
La fixation du N2 est réalisée par des Bactéries fixatrices d’azote, libres ou en
symbiose avec des plantes. Dans ce dernier cas, les bactéries procurent de l’azote trans-
formé (fixé, NH3 ou NH4 +) aux plantes, qui en retour leur fournissent du carbone
assimilable. Les matières organiques azotées accumulées dans le sol subissent plusieurs
transformations, qui peuvent se faire en aérobiose ou en anaérobiose, pour aboutir à la
formation d’ammoniac (ammonification). Ce dernier peut être assimilé ou subir diffé-
rents changements d’état d’oxydation jusqu’à la formation de nitrates. En anaérobiose, il
peut être transformé directement en N2 par la voie Anammox (ANaerobic AMMonium
OXidation). Cette voie, mineure dans le sol, présente un fort intérêt en biotechnologie,
en particulier pour le traitement des eaux usées (§ 4.3). La nitrification (en aérobiose)
se fait en deux étapes. Des Bactéries nitrosantes transforment l’ammoniac en nitrites
(N02−) (étape de nitritation), une forme instable transformée en N03 −, forme facilement
assimilable par les plantes et les micro-organismes dans leur ensemble (étape de nitrata-
tion). Les nitrates peuvent subir un processus inverse de dénitrification en anaérobiose,
étape qui aboutit à la formation de N2. Une autre voie, la réduction dissimilatrice des
nitrates, permet de minéraliser directement le N03 − en N2.
Assimilation
Ammonification
Protéobactéries,
Nitrification Firmicutes
Champignons
Ammonium oxidizing bacteria (AOB) Nitrite oxidizing bacteria (NOB)
Nitrosospira, Nitrosomonas, Nitrosococcus,… Nitrospira, Nitrobacter, Nitrococcus,…
+O2
Nitritation Nitratation
–3 0 +1 +2 +3 +4
Azobacter, Cyanobactéries, États
Rhizobium, Frankia,… d’oxydation Assimi-
Fixation lation Matières
NH4+
N2 N2O NO N02 -
N03 - organiques
NH3 azotées
Planctomyces
(Brocadia,..)
Anammox* Dénitrification
–O2
Réduction
dissimilatrice Champignons
du nitrate Firmicutes
Protéobactéries,
Protéobactéries
Ammonification
La teneur des sols en azote est un point critique de leur équilibre écologique, une
surabondance pouvant entraîner une pollution aux nitrates. L’azote étant en général
60
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
L’assainissement des eaux usées est un exemple de procédé utilisant une commu-
nauté microbienne artificielle pour réaliser une dépollution. À l’heure où la disponibilité
en eau devient un problème sociétal majeur sur la planète, l’assainissement des eaux
usées et leur recirculation (c’est-à-dire leur reconditionnement et leur recyclage) sont
des enjeux très importants. Les eaux usées sont constituées des eaux de pluie et de
ruissellement, et des eaux issues de nombreuses activités humaines (rejets domestiques,
hospitaliers, industriels et agricoles). Leur composition est donc très variable, pouvant
consister en matières organiques et minérales dissoutes ou en suspension (composés
pharmaceutiques, pesticides, traces métalliques), les graisses étant souvent abondantes,
et en nombreux micro-organismes (procaryotes, Eucaryotes et virus). L’assainissement,
61
Introduction à la microbiologie
réalisé dans des stations d’épuration selon des procédés sensiblement identiques quel
que soit leur emplacement, permet de rejeter les eaux assainies dans l’environnement,
selon des normes biens définies (concentrations maximales autorisées en azote et phos-
phore de 15 mg/L et 2 mg/L, respectivement).
Un traitement physico-chimique (dégrillage/désassemblage/dégraissage) permet
d’éliminer les éléments solides, la graisse et les substances en suspension. Les eaux
obtenues, clarifiées, contiennent encore des matières organiques dissoutes et de fines
particules en suspension. Elles subissent un deuxième traitement, constitué principa-
lement de procédés microbiologiques. L’eau sera ensuite séparée des micro-organismes
(boues) par décantation, avant son rejet dans l’environnement. Le principe du trai-
tement biologique, très simple, consiste à utiliser des micro-organismes capables
de se multiplier grâce aux différents composants dissous (principalement C, N, P),
et de piéger des éléments nocifs tels des métaux lourds. Il fait intervenir de nombreux
micro-organismes (naturellement présents mais surtout inoculés, par réutilisa-
tion des boues par exemple), dont 90 % sont des Bactéries (chimiohétérotrophes ou
chimioautotrophes, aérobies strictes, facultatives et anaérobies). Les embranchements
présents sont très variés (Proteobacteria, Firmicutes, Actinobacteria, Bacteroides,
etc.). Ils forment des écosystèmes complexes, qui peuvent différer suivant les eaux à
traiter et les conditions environnementales, et dont le fonctionnement est encore mal
connu. La composition et la structuration de la communauté déterminent l’efficacité
du traitement.
Deux types de procédés biologiques sont utilisés : les micro-organismes sont soit
directement en suspension dans des bassins contenant les eaux à traiter (boues dites
activées car contenant des micro-organismes vivants), soit immobilisés en cultures fixes
(lits bactériens, en présence de graviers, billes de pouzzolane, disques ou filtres), sur
lesquelles l’eau est percolée. Les conditions (aération, etc.) sont contrôlées en fonction de
l’activité microbienne souhaitée, et la durée d’incubation modulée pour permettre l’acti-
vité microbienne optimale. Les procédés de traitements par boues activées comprennent
plusieurs étapes, effectuées dans des bassins séparés reliés les uns aux autres.
– L’élimination du carbone organique se fait dans des bassins aérés (par injection
d’air ou par agitation), et implique la plupart des micro-organismes hétérotrophes
présents. Les molécules simples sont métabolisées directement par les micro-
organismes. Les polymères complexes peuvent être fractionnés par des enzymes
extracellulaires avant d’être assimilés. La diminution de la teneur en carbone des
eaux est corrélée à une multiplication microbienne, et à un dégagement de CO2
(respiration). Les micro-organismes produits sont séparés de l’eau par décantation,
formant une phase solide (boues activées).
– L’élimination des matières organiques azotées se fait suivant les étapes du cycle
de l’azote, par une succession de nitrifications et dénitrifications par modifica-
tion des conditions d’incubation, particulièrement de l’aération. La majorité de
l’azote, sous forme d’ions ammonium, va subir une nitrification en aérobiose par
des Bactéries nitrifiantes chimioautotrophes (genres Nitrosomonas, Nitrosospira,
62
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
médecine, humaine et vétérinaire, pour soigner des maladies infectieuses. Ces produits
agissent en bloquant, chacun spécifiquement, une étape d’un processus cellulaire vital
(division, réplication, synthèse protéique, etc. ; voir Chapitres 3, 4 et 6). Ces molécules
peuvent être introduites dans de nombreux environnements (eaux, sols, etc.) par des
activités humaines (industrie pharmaceutique, médicaments non utilisés, eaux usées
domestiques ou issues des hôpitaux). Ces produits sont aussi utilisés massivement pour
prévenir des infections (en cas de risque important de propagation) et pour améliorer
la croissance et les rendements d’animaux d’élevage. Selon les réglementations émises
par des directives de l’OMS, et depuis 2006 de l’UE, leur utilisation comme facteurs de
croissance est cependant interdite sur ce continent. Une grande partie de la quantité
63
Introduction à la microbiologie
d’antibiotiques qui circule dans le monde n’est en fait ni absorbée ni métabolisée. Selon
leurs compositions et leurs propriétés physico-chimiques, 30 à 90 % de ces molécules ou
des produits issus de leur métabolisme sont excrétés dans les urines et les fèces quelques
heures après leur ingestion. Ils sont alors considérés comme des polluants émergents,
dont l’élimination est un problème de santé publique.
De nombreux micro-organismes non pathogènes (Pseudomonas, Microbacterium,
Vibrio, etc.) sont naturellement peu sensibles à divers antibiotiques en raison de la
faible pénétration de ces molécules dans ces cellules. L’acquisition d’une résistance à
un antibiotique (ou à une famille d’antibiotiques) par une souche naturelle sensible
peut se faire par plusieurs voies. Il peut s’agir de mutations spontanées (en général
chromosomiques) modifiant la cible de l’antibiotique, ou augmentant les capacités
d’excrétion, de modification ou de destruction de l’antibiotique, les gènes responsables
de ces types de résistance étant souvent portés par des éléments génétiques mobiles
(voir Chapitre 4), ce qui facilite leur dissémination entre micro-organismes. Depuis
plusieurs années, de nombreux micro-organismes pathogènes sont ainsi devenus
(multi)-résistants : Entérocoques résistants à la vancomycine, MRSA (Methicillin
Resistant Staphylococcus aureus), Entérobactéries (Escherichia coli, Klebsiella) résis-
tantes aux β-lactamines, E. coli, Shigella flexineri, Klebsiella oxytoca résistants aux
sulfonamides et tétracyclines, etc. L’utilisation massive d’antibiotiques a favorisé la
sélection de tels variants.
Les stations d’épuration et d’assainissement sont donc un des points à risque pour
la dispersion et le maintien de ces gènes de résistance, et des bactéries résistantes
elles-mêmes. Les eaux issues des systèmes d’assainissement sont encore très riches en
micro-organismes (dont 0,5 % à 40 % de bactéries résistantes), qui proviennent des
inoculums ayant participé aux traitements des stations ou sont en transit (Entérobac-
téries des tubes digestifs d’animaux à sang chaud). Ces stations constituent ainsi un
incubateur favorable à des phénomènes d’adaptation pouvant entraîner une évolution
et une dispersion rapides des résistances dans l’environnement (voir Figure 2.6) :
– La présence d’antibiotiques dans les effluents, même en concentrations résiduelles
faibles (variant du ng/L au µg/L), mais supérieures aux teneurs naturelles de l’envi-
ronnement, installe une pression de sélection de micro-organismes naturellement
résistants, souvent non pathogènes, qui peuvent jouer un rôle de réservoir et trans-
férer ces caractères à d’autres espèces (pathogènes ou non). Des technologies de
séparation membranaires sont disponibles pour éliminer les antibiotiques, mais
elles restent coûteuses et ne sont pas toujours appliquées.
– Dans les cas où les eaux assainies sont reversées dans des zones d’activité humaine
(baignades, aquaculture), les traitements biologiques conventionnels ne sont pas
suffisants et il est nécessaire d’ajouter des traitements spécifiques (filtration sur
membranes, irradiation aux rayons UV) pour diminuer la charge microbienne,
dont les Bactéries pathogènes. Cependant le contenu génétique (dont les gènes de
résistance) des organismes tués par irradiation peut être libéré et transmis à d’autres
micro-organismes.
64
Chapitre 2 • Microbiologie environnementale
2 2
ARB
Effluents, Bio-solides
Irrigations, 3
déversement Amendements
Aquaculture,
eaux naturelles, sols,…
3
Contamination aliments,
eaux
AB : antibiotiques
ARB : bactéries résistantes à des antibiotiques
ARG : gènes de résistance à des antibiotiques
Ø : élimination
1 : sélection des bactéries résistantes
2 : transfert horizontal de gènes
3 : maintien et dispersion dans les environnements
65
L’essentiel
66
Entraînez-vous
2.1 Quels peuvent être les rôles des micro-organismes au sein d’une population ?
2.2 Définir la notion d’écosystème microbien.
2.3 Comment peuvent évoluer les conditions dans un écosystème ?
2.4 Quels types de relations régissent les différentes communautés microbiennes d’un
écosystème ?
2.5 Définir les types de relations trophiques entre micro-organismes.
2.6 Quels types de facteurs régissent la structure d’une communauté microbienne
dans un écosystème ?
2.7 Définir les termes symbiose, prédation, mutualisme.
2.8 Décrire l’importance de la diversité des micro-organismes lors de perturbations
dans un environnement.
2.9 Définir la notion de biofilm et ses conditions d’établissement.
2.10 Pour quelles raisons de nombreux micro-organismes sont-ils non cultivables en
laboratoire ?
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67
Chapitre 3 Physiologie
microbienne :
métabolisme,
croissance, division
Introduction
Objectifs Plan
Connaître les principes de la physiologie des 1 Les systèmes d’échanges
procaryotes : les modalités d’échanges avec cellule/milieu
l’environnement ; la nature des nutriments 2 Métabolisme énergétique
et des sources d’énergie ; les modalités 3 Croissance d’une population
de la croissance d’une population et des microbienne – Le modèle E. coli
facteurs pouvant l’influencer ; leur mode
4 La reproduction, ou division, ou
reproduction et variétés
cytokinèse
Identifier les différents types trophiques
Définir la nature des transporteurs cellulaires,
des phases de la croissance
Expliquer l’adaptation des procaryotes à
l’environnement
68
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
micro-organismes et le reste du monde vivant. Dans les milieux naturels, les concen-
trations des petites molécules substrats sont en général tellement faibles que leur
utilisation nécessite de les concentrer. Tout un arsenal de transporteurs à haute affinité
pour chacune de ces molécules a été mis en évidence, initialement chez les « bactéries
modèles » (Escherichia coli et autres), puis de façon ubiquiste. Cependant, certains
substrats macromoléculaires abondants, telles la cellulose ou la lignine, insolubles
et intransportables à travers les membranes cellulaires, doivent être préalablement
dégradés en sous-produits solubles, transportables et assimilables (voir Chapitre 2).
D’où le besoin d’excréter les enzymes responsables de ces processus. Ainsi Bacillus
subtilis, une Bactérie du sol qui trouve dans ce milieu des produits de décomposition
partielle de matériaux organiques (polysaccharides, polypeptides, peptides, aminoa-
cides), exporte environ deux cents enzymes dégradatives (protéases, peptidases, lipases,
DNases, RNases). Les systèmes d’échanges des organismes avec leur milieu sont donc
essentiels, et extrêmement variés.
Une cellule doit aussi excréter les déchets de son catabolisme, les toxines, les méta-
bolites secondaires (antibiotiques), ou les produits destinés à être injectés dans d’autres
cellules pour les pathogènes. Des systèmes de transport membranaires sont impliqués
dans cette importante activité.
69
Introduction à la microbiologie
A B1 B2 C1 C2 C3 C4
S S S S S + H+ H++ S S1 S2
Extérieur
Membrane
C
B
ATP A
Cytoplasme
S H
S ADP + Pi I S S+ H+ H++ S S1 S2
PEP
S
pyruvate
70
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
2 Métabolisme énergétique
L’anabolisme est consommateur d’énergie. Celle-ci est puisée dans l’environnement,
en particulier grâce à la dégradation de molécules, organiques ou non, par des réac-
tions de catabolisme. Chez les procaryotes, la grande diversité des habitats entraîne
une non moins grande diversité non seulement des sources de carbone, mais aussi des
sources d’énergie et des composés réducteurs. En outre, la variabilité potentielle de ces
milieux peut entraîner une variabilité qualitative et quantitative des ressources, ce qui
exige une adaptabilité des micro-organismes pour utiliser au mieux ces ressources (voir
Chapitre 2). À titre d’exemple, E. coli est capable d’utiliser comme sources de carbone et
d’énergie des sucres, des acides aminés ou des acides organiques tel l’acide succinique, et
Pseudomonas æruginosa, un pathogène opportuniste de l’Homme, une exceptionnelle
variété de molécules carbonées allant des sucres aux carbures aromatiques. De même,
E. coli peut se trouver dans des milieux dépourvus d’oxygène tels que l’intestin, son
habitat usuel, ou au contraire en milieu oxygéné. Ces conditions changeantes ont pour
corollaire une grande flexibilité métabolique, grâce à de nombreuses voies alternatives,
dont l’expression ne s’observe, dans la grande majorité des cas, qu’en présence du ou des
substrats concernés. Cette adaptabilité métabolique, ou régulation, existe chez la grande
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71
Introduction à la microbiologie
Types Chimio-
Chimio-organotrophie Phototrophie
énergétiques lithotrophie
Source Composé
Composé organique Lumière
d’énergie minéral
Donneur Organique ou
Organique (ex. glucose) Minéral
d’électrons minéral
Fermentation
Voie
généralement Respiration aérobie ou non Photosynthèse
énergétique
anaérobie
Types
Hétérotrophe Autotrophe Méthylotrophe Mixotrophe
trophiques
Seules sont indiquées ici les sources de carbone. Les voies biosynthétiques des
métabolites sont quasi-universelles (voir Traités de Biochimie).
72
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
2.1 La chimio-organotrophie
La chimio-organotrophie représente plusieurs associations de voies énergétiques et
trophiques. Les voies aérobies ont un rendement énergétique plus élevé que les voies
fermentaires. En conditions anaérobies, les macromolécules peuvent être dégradées
selon différentes voies, avec formation de pyruvate, substrat des fermentations. La
dégradation ultérieure du pyruvate se fait par le biais de la respiration, aérobie ou non.
Les trois voies dégradatives du glucose conduisent à la production de dérivés carbonés
en C3 exploitables par les processus fermentaires (voir Tableau 3.2).
La voie de la glycolyse peut fonctionner en sens contraire, avec consommation
d’énergie, dans le cas de la gluconéogénèse, réaction observée également chez les Euca-
ryotes. Le NADH comme le NADPH générés doivent être réoxydés pour pouvoir participer
à de nouvelles réactions d’oxydation. Ces réoxydations se font soit par réduction du pyru-
vate en donnant du lactate, soit par décarboxylation du pyruvate puis réduction, donnant
de l’acétaldéhyde puis de l’éthanol. Il existe nombre d’autres voies fermentaires, générant
une variété d’autres produits. Ces voies sont sources de métabolites intermédiaires essen-
tiels pour certaines biosynthèses. Le NADPH (voie Entner-Doudoroff) est impliqué dans
la biosynthèse du glutathion et des acides gras. La voie des pentoses phosphates génère
du ribose-5P, précurseur de la biosynthèse des acides nucléiques, du ribulose-5P, inter-
médiaire du cycle de Calvin, et de l’érythrose-4P, précurseur de la synthèse des acides
aromatiques. En aérobiose, le pyruvate est substrat du cycle des acides tricarboxyliques
(cycle de Krebs), avec l’oxygène comme accepteur final d’électrons. En son absence, les
accepteurs terminaux peuvent être très variés : Fe3+ Mn4+, Cr6+, U6+, As5+, fumarate,
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NO3 −, NO2−. Cette grande variété rend compte de la non moins grande variété des habi-
tats anoxiques que peuvent coloniser les organismes procaryotes et certains protistes.
Voie Réactions
3 glucose-6P + 6 NADP+ + 3 H2O → 2 fructose-6P
Pentoses Phosphates
→ 3 P-glycéraldéhyde + 3 CO2 + 6 NADPH
Entner-Doudoroff glucose → 2 pyruvate + 1 ATP + 1 NADH + 1 NADPH
73
Introduction à la microbiologie
2.2 La chimio-lithotrophie
Dans la chimio-lithotrophie, l’énergie provient de l’oxydation de composés minéraux
tels que H2, sulfites, H2S, S ou S2O3 −. Le système générateur d’énergie est membranaire,
par création d’un gradient de protons permettant la synthèse d’ATP et de NAD(P)H.
L’accepteur final d’électrons est ordinairement l’oxygène, parfois le nitrate. Il s’agit géné-
ralement d’organismes autotrophes réduisant le CO2 par l’intermédiaire du cycle de
Calvin. Le rendement énergétique de ces réactions est très faible ; il nécessite donc une
forte consommation de produits réducteurs, ce qui peut avoir un impact important dans
les écosystèmes naturels.
2.3 La phototrophie
La phototrophie concerne les organismes autotrophes, qui utilisent la lumière comme
source d’énergie et le CO2 atmosphérique comme source de carbone via le cycle de Calvin.
La source de H+ et d’électrons est un composé minéral. Les Bactéries photosynthé-
tiques vertes possèdent un photosystème proche du photosystème I des embryophytes ;
leur photosynthèse s’effectue sans production d’O2, avec synthèse de NADPH, capable
de réduire le CO2. La source de H+ et d’électrons est soit H2S, soit H2. Les Bactéries
photosynthétiques pourpres pratiquent aussi une photosynthèse anoxygénique, avec
production de NADH. Les Cyanobactéries possèdent deux photosystèmes, PSI et PSII,
analogues à ceux des Bactéries photosynthétiques vertes et pourpres, respectivement.
Ces deux systèmes fonctionnent en cascade, formant une chaîne de transfert dont l’eau
est le donneur d’électrons. C’est l’ancêtre des systèmes des Eucaryotes photosynthé-
tiques. L’ensemble de la chaîne est localisé dans des membranes internes, les thylakoïdes.
Le bilan du fonctionnement de la chaîne est la production d’oxygène moléculaire, la
synthèse d’ATP et la réduction du NADP. Les récepteurs de la lumière sont des bacté-
riochlorophylles chez les Bactéries photosynthétiques, et chez les Cyanobactéries de
la chlorophylle semblable à celle des plantes, assortie d’autres pigments permettant
l’utilisation d’un large spectre lumineux. Les Archées halophiles possèdent un pigment
membranaire, la bactériorhodopsine, une pompe à protons leur permettant de générer
un potentiel membranaire assurant la synthèse d’ATP.
74
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
75
Introduction à la microbiologie
log N2 2-exponentielle A
5-stationnaire
prolongée
log N1
1-latence
t1 t2 t
Mesure du temps de génération T en phase exponentielle : (1) N = N0 eln2 t/T = N0 10log2 t/T ;
(2) logN1 = logN0 + log2 t1/T ; (3) logN2 = logN0 + log2t2/T ; (4) logN2−logN1 =
logN2/N1 = (t2−t1) log2/T ; (5) T = (t2−t1) log2 /log N2/N1 ; si N2 = 2N1, logN2/N1 = log2
et T = t2−t1.
a. La phase de latence
La phase de latence (segment de courbe plus ou moins parallèle à l’axe des abscisses),
équivalente à une sortie de phase stationnaire, peut correspondre formellement à la
fin d’une carence alimentaire après transfert dans un milieu neuf ; elle prépare le retour
de la croissance selon une chronologie précise de remise en marche de la synthèse des
différentes macromolécules. D’autres facteurs, assez mal définis, peuvent influencer la
durée de cette latence, telle l’élimination de produits toxiques issus de la phase station-
naire. Le pH interne évolue au cours du cycle ; chez E. coli se produit une acidification en
milieu synthétique glucosé et une alcalinisation en milieu complexe, deux états ressentis
comme des stress qu’il faut combattre en opérant un réajustement.
76
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
b. La phase exponentielle
La phase exponentielle, phase de croissance proprement dite, représente l’état durant
lequel les cellules croissent et se divisent le plus rapidement possible, avec un rendement
optimal du métabolisme. Représentée en coordonnées semi-logarithmiques, la droite
correspondante a une pente caractéristique de l’espèce étudiée et des conditions (milieu,
température, etc.) utilisées. La linéarité de cette portion de la courbe indique qu’au cours
de cette phase l’accroissement de la population est proportionnel au temps, ce qui se
traduit par la formule classique :
N = N0 eln2 t/T
avec les définitions suivantes : N, concentration de cellules au moment t ; N0, concentra-
tion de cellules au temps 0, c’est-à-dire lors de l’ensemencement ; T, temps nécessaire au
doublement de la population, appelé communément temps de génération. Celui-ci varie
selon les conditions de croissance imposées. Mais pour chaque espèce ce paramètre,
pour des conditions définies, est remarquablement constant et reproductible. Pour une
souche d’E. coli cultivée à 37 °C, il varie de vingt minutes (en milieu complexe$) à près
de deux heures (en milieu synthétique avec du succinate pour seule source de carbone),
en passant par quarante à cinquante minutes dans le même milieu synthétique addi-
tionné de glucose au lieu de succinate. La croissance peut également être estimée par le
taux de croissance, µ, qui est le nombre de générations accomplies par unité de temps
(ici, l’heure).
Pour une grande partie des études de physiologie, la phase exponentielle, remarqua-
blement reproductible et fiable, a été et demeure la phase de référence. C’est lors de cette
phase que la population cellulaire est la plus homogène, l’ensemble des cellules étant en
division active, réparties uniformément de celles venant de se diviser à celles proches
de la division. Lors de cette phase, les différents composants macromoléculaires sont
eux-mêmes en phase exponentielle de synthèse avec le même rythme de production.
Toutefois, comparées aux conditions de vie des micro-organismes dans leurs milieux
naturels, celles générant une phase exponentielle sont assez artificielles. La nécessité
d’effectuer des analyses reproductibles impose la mise en jeu d’une seule espèce (pour
éliminer toute compétition avec d’autres espèces présentes dans un habitat naturel),
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c. La phase stationnaire
La phase stationnaire correspond à une quantité constante de cellules viables. Elle est
le résultat de plusieurs facteurs pas toujours bien définis : épuisement d’un ou plusieurs
éléments du milieu, accumulation de produits toxiques, etc. C’est un état dynamique,
durant lequel des cellules meurent et d’autres croissent, partiellement aux dépens des
produits issus de la lyse des cellules mortes. Les cellules sont notablement plus petites
77
Introduction à la microbiologie
d. La phase de mortalité
La phase de mortalité chez E. coli dure de trois à sept jours, avec une létalité pouvant
atteindre 90 % de la population, qui ne s’accompagne pas de la lyse des cellules non
viables. Cette phase correspond soit à une létalité aléatoire, comme l’est la décrois-
sance de la radioactivité d’un radioélément, soit à une mort programmée, comme lors
de processus de différenciation. Certaines Bactéries à Gram+, telles que Myxococcus
xanthus ou B. subtilis (non pathogène), Bacillus anthracis, Bacillus cereus (pathogènes),
ou de rares espèces à Gram−, possèdent une aptitude à sporuler (voir Chapitre 6).
78
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
79
Introduction à la microbiologie
A FtsZ B
A1
Filaments linéaires de FtsZ Spirales Z
Chromosome
chromosome
A2
Réplication du chromosome et Anneau Z
formation de l’anneau Z
A3
Formation du complexe de
division et du septum Divisome
A4
Ségrégation des chromosomes
et constriction cellulaire
80
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
a. L’assemblage
On distingue trois étapes d’assemblage. La première est la formation et la mise en place
de l’anneau Z, un polymère constitué d’unités de la protéine FtsZ, dont les monomères
sont dispersés dans le cytoplasme. Elle est initiée à un moment précis du cycle, sur la
surface interne de la membrane cytoplasmique, au niveau du site où se produira la divi-
sion. La polymérisation se développe bi-directionnellement, jusqu’à former un anneau
contractile, fixé sur tout le périmètre interne de la membrane plasmique. Cet anneau
constitue l’échafaudage pour le recrutement et l’assemblage des autres protéines du
divisome. Il est d’autre part supposé être le moteur nécessaire à la « constriction » néces-
saire pour invaginer la membrane externe le long du plan de division, ce qui, après des
hydrolyses spécifiques, aboutira à la séparation des cellules sœurs. À cette phase parti-
cipent des protéines membranaires d’ancrage et un certain nombre d’autres protéines
qui renforcent la stabilisation de l’anneau Z. La deuxième étape, la consolidation de
l’anneau Z, commence normalement (selon un mécanisme inconnu) après un délai
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de durée égale à un tiers du cycle cellulaire. La troisième étape, elle aussi séquentielle,
commence avec la synthèse du peptidoglycane septal et des membranes. La structure
tridimensionnelle du divisome est inconnue. Celui-ci se désagrège au terme de chaque
cycle de division.
La chronologie et la localisation de l’assemblage du divisome sont précisément défi-
nies. Arrivée aux derniers stades de la division, la cellule mère possède deux copies de
son génome (deux nucléoïdes), qui auront été préalablement séparées. Potentiellement
le septum pourrait se former au niveau de l’espace central disponible entre les deux
nucléoïdes, ou à l’une ou l’autre des extrémités de la cellule mère, dans la région comprise
entre chaque pôle et chacun des nucléoïdes. La division en deux cellules sœurs de tailles
identiques implique l’existence d’un mécanisme qui reconnaît pour base d’assemblage
81
Introduction à la microbiologie
du septum un site localisé à équidistance des deux pôles ; les déviations de tailles obser-
vées n’excèdent pas plus de 2 %. L’importance de ce processus est attestée par l’existence
de mutants qui ont perdu cette capacité de reconnaissance, et forment des cellules sœurs
non identiques, en raison de la localisation du septum à proximité d’un pôle. La réduc-
tion de taille de l’une des cellules sœurs peut aller jusqu’à l’impossibilité de contenir
un nucléoïde. Ces structures, dites mini-cellules (minicells), sont évidemment létales.
82
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
de la formation du septum, chaque cellule sœur hérite de sa mère une copie de son chro-
mosome non seulement complétée, mais qui a déjà initié le cycle suivant de réplication.
Dans cette cellule la réplication en cours sera ainsi complétée avant la mise en division,
et les chromosomes seront disponibles pour la génération suivante (voir Figure 3.5).
I=C+D
T = 60’
0 10 20 30 40 50 60
C D
40 min 20 min
I
60 min
I<C+D I>C+D
T = 40’ T = 80’
réplication initiée
20’ avant
0 10 20 30 40 I C D
I = 80 min
0 10 20
C C = 40 min
D D = 20 min
I
83
Introduction à la microbiologie
et à la formation d’une endospore. Celle-ci est une forme de vie quiescente, particulière-
ment résistante à de nombreux facteurs, qui permet à la cellule de survivre jusqu’au retour
de conditions favorables. Après blocage de la division symétrique, et à l’initiation de la
réplication, les deux origines de réplication migrent vers les pôles opposés. Une modifi-
cation de la conformation du nucléoïde aboutit à la formation d’un filament d’ADN dit
axial, qui part d’un pôle et s’étend sur toute la longueur de la cellule. Un septum, subpo-
laire, va s’organiser à une extrémité de la cellule, accompagné par la compaction de la
molécule d’ADN présente dans cette zone. Ce septum crée ainsi deux compartiments de
dimensions différentes, le plus grand étant celui de la cellule mère, le plus petit se diffé-
renciant en pré-spore. Un circuit complexe de régulation coordonne le positionnement
du septum à la zone subpolaire, la partition des chromosomes, et l’expression différen-
tielle des gènes dans la cellule mère et la pré-spore (voir Chapitre 6). Celle-ci peut ensuite
devenir mature (spore) et se détacher de l’autre cellule, devenue non viable.
Chez certains genres bactériens à Gram+ la formation de spores a subi une évolu-
tion qui conduit à ce que des cellules filles quiescentes (dites parfois incorrectement
endospores) se forment à l’intérieur de la cellule mère. Citons les Bactéries du genre
Epulopiscium (voir Chapitre 1) (voir Figure 3.6A), l’espèce Metabacterium polyspora,
et le groupe des Bactéries dites « non cultivables ». Les Epulopiscium sont des symbiotes
obligatoires de l’intestin de certaines espèces de poissons de la famille des Acanthurides.
Leur progéniture est produite à l’intérieur d’une des extrémités de la cellule mère ; le
processus de division continue jusqu’à son remplissage complet, soit entre deux et huit
cellules filles selon les souches. Celles-ci sont libérées par lyse de la cellule mère. Les
mécanismes moléculaires de cette reproduction sont inconnus à ce jour.
Caulobacter crescentus est une α-Proteobacteria aquatique caractérisée par un
dimorphisme cellulaire très marqué des deux cellules sœurs issues de la division : une
cellule nageuse (SW, SWarmer) incapable de division, et une cellule pédonculée (ST,
STalked), immobile (voir Figure 3.6B). La cellule SW, qui possède un flagelle polaire à la
base duquel se trouvent des pili et un appareil chimiotactique, est la forme de dispersion
de l’organisme. Le pédoncule (ou prosthèque) de la cellule ST consiste en une extension
pourvue à son extrémité de crampons capables de fixer la cellule sur un substrat. À sa
naissance, une cellule SW voit sa réplication bloquée ; mais après une quinzaine de
minutes, durant lesquelles elle continue à croître, elle perd son flagelle, ses pili et son
appareil chimiotactique, et se différencie en une cellule ST. Un pédoncule est synthétisé
au pôle où se trouvait auparavant le flagelle de la cellule SW, qui est alors capable de se
diviser. Sa division passe par une étape prédivisionnelle (cellule PD) au cours de laquelle
un appareil de chimiotaxie et un flagelle se forment au pôle opposé à celui occupé par
le pédoncule, pôle qui, après la division, deviendra le pôle flagellé de la nouvelle cellule
SW. La ségrégation des chromosomes, qui a lieu pendant une courte période du cycle,
est suivie de la scission de la cellule, générant ainsi une descendante SW en maintenant
l’autre sous forme ST, prête pour une autre division. La protéine FtsZ est sujette à une
dégradation rapide, ce qui exige une nouvelle synthèse dès l’achèvement de la division,
avant le cycle suivant. Cette synthèse a lieu durant la transition SW-ST. L’anneau se
84
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
forme dans la cellule ST, sans initiation préalable de la réplication, mais celle-ci est
nécessaire à son insertion correcte au futur site de division, selon un mécanisme encore
inconnu. Aucune protéine homologue à celles des systèmes Min n’a été identifiée. La
division n’a jamais lieu dans la zone médiane, mais toujours à environ les deux tiers de
la longueur à partir du pôle ST.
Chez les genres bactériens Hyphomonas, Hyphomicrobium et les Planctomycètes
(voir Figure 3.6D), la reproduction est caractérisée par un processus de bourgeonne-
ment, ou gemmation, suivant un mécanisme peu connu. La cellule, non réplicative ni
reproductrice mais portant un flagelle qui assure sa nage, se différencie en éliminant ce
flagelle et en synthétisant à sa place une prosthèque, ou pédoncule. Sous cette forme, la
cellule peut alors répliquer son génome, et se divise en libérant des petites cellules filles
par gemmation. Ces bourgeons deviennent des cellules nageuses.
Cellule
nageuse
FtsZ Flagelle
Epulopiscium
Cellule pédonculée
Phase G2
descendance
Développement
cyclique
Cellule
C prédivisiollelle
Hôte
Phase S
Bdellovibrio
Cellule en prédivision
Pédoncule
Grappin
D
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bourgeons baeocyte
Stanieria
85
Introduction à la microbiologie
86
Chapitre 3 • Physiologie microbienne : métabolisme, croissance, division
de l’hyphe. Une spore mûre peut éventuellement se détacher et, si les conditions sont
propices, germer et se développer en un nouveau mycélium.
La machine de division se distingue de celle des Bactéries unicellulaires par quelques
différences remarquables. L’activité du divisome différencie deux pôles pour FtsZ, diffé-
rents pour la croissance et pour la sporulation. Le processus de division synchrone
dans l’hyphe sporogène exige l’induction contrôlée de ftsZ. L’analyse du génome de
Streptomyces coelicolor a révélé, outre le gène ftsZ, l’existence d’homologues d’une partie
seulement des gènes des autres composants du divisome des Bactéries. Tous les génomes
de Streptomycètes et de Mycobactéries pathogènes séquencés possèdent à la place du
gène minC d’E. coli, son homologue de B. subtilis. Le contrôle de la division est de type
positif et semblerait exiger la participation, directe ou indirecte, d’une seule protéine
(SsgA). Ces données suggèrent que d’autres constituants, encore à découvrir, pourraient
participer au contrôle de l’assemblage de l’anneau Z chez ces Bactéries.
87
Introduction à la microbiologie
88
L’essentiel
89
Entraînez-vous
3.1 Citer les différents types de transport et leurs rôles dans la physiologie cellulaire.
3.2 Quels mécanismes permettent le transfert des protéines à l’extérieur de la cellule ?
3.3 Qu’est-ce qu’un chimio-organotrophe ? Quelle est la différence principale entre les
voies aérobies et anaérobies chez ces organismes ?
3.4 Les Cyanobactéries comme les Bactéries photosynthétiques et certaines Archées
utilisent la lumière comme source d’énergie. Quelle différence y a-t-il dans les
mécanismes d’utilisation de la lumière chez ces trois types d’organismes ?
3.5 Quelles sont les conditions nécessaires à l’étude de la courbe de croissance d’un
micro-organisme ? En quoi ces conditions sont-elles artificielles ?
3.6 Comment mesure-t-on le temps de génération d’un micro-organisme ?
3.7 Quels facteurs indiquent qu’en phase stationnaire les bactéries sont encore méta-
boliquement actives ?
3.8 Dans le processus de division, quels sont le rôle et la localisation de la protéine
FtsZ ?
3.9 Chez E. coli, comme chez beaucoup de bactéries, la division est symétrique et
conduit à deux cellules identiques. Dans quels cas rencontre-t-on une division asy-
métrique ?
90
Chapitre 4 Génomes : structure
et réplication chez les
procaryotes
Introduction
Dans tout organisme vivant, la vie est le résultat de l’exécution d’un programme génétique
que les cellules héritent de leurs parents. Le génome, qui en est la structure dépositaire au
sein de molécules d’ADN, est organisé principalement en chromosomes, des complexes
nucléoprotéiques structurés en gènes codant pour la plupart pour des protéines, mais
inclut aussi des molécules d’ADN annexes.
Objectifs Plan
Connaître la structure physique, 1 Le nucléoïde : structure
l’organisation génétique et la malléabilité physique et topologie
spatio-temporelle du génome procaryote 2 L’ADN accessoire : son rôle
Identifier les éléments structuraux du adaptatif
nucléoïde ; les séquences codantes 3 Réplication
Définir ADN essentiel, ADN accessoire,
plasmides, éléments génétiques mobiles,
origine de réplication et terminaison,
fourche de réplication
Expliquer les rapports entre la structure du
génome et sa réplication
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91
Introduction à la microbiologie
Structure au niveau de 1 kb
A
ARN-P
NAPs
FIS
C
CbpA
IHF H-NS Dps
92
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
puisque la molécule passe d’un état sans tension à un état sous tension. Les changements
d’états topologiques sont assurés par des ADN topoisomérases, présentes chez tous les
organismes. Les procaryotes en possèdent quatre classes principales : la gyrase introduit
un surenroulement négatif favorisant l’ouverture de la double hélice ; la toposisomé-
rase I relâche l’ADN ; la topoisomérase IV participe à la résolution des intermédiaires
de la réplication et de la recombinaison (voir Chapitre 5), et la gyrase inverse introduit
un surenroulement positif. Ces enzymes effectuent une coupure simple brin (classe I) ou
double brin (classe II) de la molécule d’ADN préalable au changement d’enroulement,
qu’elles ressoudent ensuite. Une cassure simple brin dans une petite molécule d’ADN
circulaire surenroulée (un plasmide par exemple) suffit pour lui faire retrouver son
état relâché. Pour relâcher un chromosome bactérien, cependant, il faudrait appliquer
plusieurs centaines de coupures (environ quatre cents pour celui d’E. coli), réparties sur
l’ensemble de la molécule, en raison d’une organisation en domaines (voir Figure 4.2)
(§ 1.2) ; une coupure dans un domaine est sans effet sur les domaines adjacents.
Les capacités de changement d’états topologiques confèrent à la molécule d’ADN
d’importantes propriétés. Lors de leur formulation du modèle de la double hélice (1953),
J. Watson et F. Crick ont souligné les implications de l’entrelacement des deux brins
de l’ADN. Ainsi, une séparation localisée des deux filaments génère une perturbation
locale du pas de l’hélice, avec en avant de ce site des surenroulements positifs qui doivent
être compensés par des surenroulements négatifs en arrière. De telles modifications
structurales locales sont produites régulièrement à tout site de la molécule d’ADN lors
des processus de réplication, transcription, recombinaison, ou réparation. Elles doivent
être prises en charge pour assurer la progression correcte de la machinerie en cours de
fonctionnement.
A B
Zone ori
ori non structurée gauche droite
ter
Droite
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droite gauche
ori ter ter ori
gauche droite
Zone
non structurée
93
Introduction à la microbiologie
94
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
chez l’Homme). La taille des génomes des procaryotes est donc toujours réduite, et
plus directement liée au nombre de gènes, avec une fraction faible et assez constante
d’ADN non codant. La densité de gènes des Archées (environ 1,2 par kb, contre 0,8
pour les Bactéries) fait de ces génomes les plus compacts. Parmi les Bactéries, des
génomes plus grands sont rencontrés chez les espèces au style de vie complexe et occu-
pant des environnements à forte variabilité. À l’opposé les Bactéries à petits génomes
sont symbiotes et endosymbiotes obligatoires, en particulier d’Eucaryotes, leur envi-
ronnement protégé et constant ayant favorisé la perte de gènes, illustrant l’efficacité
de la sélection. L’origine des grands génomes pourrait résulter de l’invasion d’ADN
non fonctionnel et non d’une nécessité physiologique. Cet ADN, désigné souvent par
95
Introduction à la microbiologie
96
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
– Métabolisme central
– Synthèse des précurseurs – Métabolisme secondaire
des constituants cellulaires – Dégradation de composés
– Assemblage organiques
Chromosome des constituants – Enzymes de modification et/
macromoléculaires ou de protection de l’ADN
– Division – Prophages et gènes viraux
– Régulation de l’ensemble – Résistance aux antibiotiques
des fonctions cellulaires – Pathogénèse
– Autres fonctions pouvant
– Autonomie de réplication conférer des avantages
Plasmide(s) – Contrôle du nombre de adaptatifs
copies et de leur ségrégation
A B
Régulon mal
dnaK D
U
B
A
-
(dégradation
"
thr
+
argI
A
leu
Y
F
du maltose)
&
Z
uv xA
arg
'
I
le al
rA
(dégradation MG 1655
lac
m
du lactose)
ar
Origine de 100/0 gU
g
Régulon mal gP
A
ar
(dégradation 50
fe
ar A
o
y
gA
th
S $
his
(biosynthèse
ar
hiss
gyrA
'
argw
argT
de l’histidine)
#
"
(
!
&
)
%
97
Introduction à la microbiologie
98
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
A IS3
B Cytokinine
Auxine Opine
Tn1000
Région ADN-T
F IS3 Ti
Région des Métabolisme
gènes tra IS2 ’
de l’opine
Région de
virulence
La famille des plasmides R, largement répandus parmi les Bactéries, doit sa dési-
gnation au fait que ces ADN sont porteurs de gènes conférant la résistance à un ou
plusieurs antibiotiques ou autres inhibiteurs. Ils ne sont généralement pas intégrés dans
le chromosome, et nombre d’entre eux sont conjugatifs. L’un d’eux, le plasmide R100,
approximativement de même dimension que F, confère une résistance à cinq antibio-
tiques (sulfonamides, streptomycine, spectinomycine, chloramphénicol, tétracycline) et
aux effets toxiques du mercure. Ces plasmides, et en particulier ceux pouvant être trans-
férés par conjugaison, jouent un rôle important dans la diffusion de multirésistances aux
antibiotiques, notamment chez les Bactéries pathogènes.
Les plasmides de « virulence » confèrent une capacité de pathogénicité aux hôtes
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porteurs (seules des Bactéries sont connues). Ils leur permettent d’échapper aux défenses
de l’hôte ou de produire des toxines. Les plus étudiés sont le plasmide conjugatif Ti
d’Agrobacterium tumefaciens (voir Figure 4.4B), qui induit des tumeurs (galles) chez les
Angiospermes (mais en même temps leur fournit de nouvelles sources de carbone), et les
plasmides enterotoxigènes de souches d’E. coli responsables de pathologies intestinales
graves avec perte de liquides et de sels. Les plasmides Col produisent des protéines
(bactériocines) létales pour d’autres Bactéries. La bactériocine agit en augmentant la
perméabilité de la membrane cytoplasmique, ou en dégradant le PG, l’ADN ou l’ARN.
Ce sont des plasmides de petites dimensions présents dans l’hôte en grand nombre de
copies. Les plasmides métaboliques, appelés aussi dégradatifs, confèrent la capacité de
99
Introduction à la microbiologie
dégrader des substances organiques très toxiques comme le toluène ou d’autres subs-
tances aromatiques, des pesticides, mais aussi des substances non toxiques (lactose).
100
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
IR IR
A Séquence IS
Fonctions de
transposition Transposons
IR Marqueurs IR
Fonctions de
transposition
Transposons composés
Séquence IS Séquence IS
B C 59-be
ARNt RDF ARNt
Chromo- Intégrase Fonctions Chromo-
some biologiques some Gène
RD RD ORF 1 cassette
attL attR
Intégration/
Intégrase
excision
attl 59-be 59-be
intl
Chromosome Chromosome ORF 1 ORF 2
ARNt intégron
effets toxiques de certains ions) (voir Figure 4.5A). Comme pour de nombreux gènes de
résistance associés aux éléments mobiles, il s’agit d’une résistance par inactivation de
l’antibiotique. On distingue deux classes :
– les transposons dits simples, ou non composites, ont une structure rappelant
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celle des IS (séquences IR flanquées de séquences DR). La région entre les deux
IR contient, outre les fonctions liées à la transposition, le ou les gènes annexes. Le
transposon simple Tn3, long d’environ 5 kb, est présent chez de nombreuses Bacté-
ries à Gram–, dont plusieurs pathogènes ; il porte deux gènes de transposition (une
transposase et une résolvase, ou régulateur de la transposition), et une β-lactamase,
qui confère la résistance aux antibiotiques β-lactames ;
– les transposons composites, en général plus grands (de 5 à 20 kb), sont un assemblage
de deux copies de la même IS (en orientations directes ou inversées) positionnées
chacune à une extrémité de l’élément, flanquant une région interne portant le ou les
gènes adaptatifs.
101
Introduction à la microbiologie
c. Les intégrons
Les intégrons, capteurs de gènes d’origine mystérieuse d’abord découverts chez V.
choleræ, forment une classe d’éléments génétiques présents sur chromosomes, plas-
mides et transposons, particulièrement importante car elle est associée à la diffusion
102
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
d. Les shufflons
Les shufflons constituent une classe importante d’éléments génétiques de certains
protistes (T. brucei, la levure Candida albicans) et de nombreuses Bactéries, chez lesquels
ils sont responsables d’un brassage génétique programmé. Chez ces dernières ils sont
présents sur le chromosome ou sur le génome de certains bactériophages. Ces éléments
portent un ou des gènes dont l’expression (ou la non-expression) dépend du sens d’inser-
tion de l’élément sur l’ADN hôte. Le shufflon code pour la recombinase qui catalyse de
façon spécifique cette inversion au site d’intégration. Ce processus est responsable des
variations des antigènes impliqués dans la virulence chez de nombreuses Bactéries patho-
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3 Réplication
La réplication est le processus cellulaire de synthèse d’un acide nucléique à fonction géno-
mique grâce auquel un brin est complété, pour former une copie dite complémentaire
(réplication semi-conservative). Dans le cas d’une molécule bicaténaire, les deux molécules
103
Introduction à la microbiologie
ADN polymérase
Brin rapide fixée sur le brin rapide
Anneau coulissant
(synthèse continue)
Topoisomérase
ADN hélicase
Primosome
ADN primase
Brin matrice de la
synthèse continue
Brin matrice de
la synthèse discontinue
ADN parental
Point de départ
du prochain fragment
d’Okazaki
104
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
ori
A 5 3 B
5’
Ssb
3 5
Topoisomérase
Réplichore I Réplichore II
licase
Brin Watson
Brin Crick 3’
ter
Ssb
C 3’
5’
Brin retardé
AD parental
3’
5’
3’ 5’
Brin rapide
ADN
Polymérases
origine unique dans le cas des Bactéries (ori) (voir Figure 4.7A) et de nombreuses Archées
(telle Pyrococcus abyssii), ou origines multiples (ORBs, Origin Recognition Boxes) chez
d’autres Archées (deux chez Halobacterium, trois chez Sulfolobus solfataricus et Sulfo-
lobus acidocaldarius), comme chez les Eucaryotes, dont les chromosomes sont linéaires.
La réplication est la plupart du temps bidirectionnelle, deux complexes de réplication
(dits réplisomes) se déplaçant en sens inverse l’un de l’autre (voir Figure 4.7A).
Les enzymes de synthèse d’ADN, les ADN-Pol, forment plusieurs familles, qui inter-
viennent dans les différents processus impliquant le métabolisme de l’ADN. Les enzymes
responsables de la synthèse réplicative (ADN-PolIII) sont aussi dites réplicatives, ou
réplicases. Toutes ces enzymes ont deux particularités conditionnant le processus de
105
Introduction à la microbiologie
synthèse : l’obligation de synthèse dans la direction 5′ à 3′, et le besoin d’un 3’OH libre
où fixer les nucléotides, donc d’une amorce au démarrage du processus.
b. Le réplisome
Le réplisome est un complexe multi-protéique, dont les constituants sont analogues
dans les trois domaines du vivant, avec toutefois de nombreuses variantes. Il contient
deux molécules d’ADN-PolIII, une pour chaque brin d’ADN, responsables de l’élonga-
tion, la phase de progression de la synthèse le long du chromosome. Afin de coordonner
les synthèses sur les deux brins, des deux polymérases sont liées par une protéine
de pontage. L’initiation de la réplication passe par la reconnaissance de ori par une
protéine spécifique, DnaA. L’origine (oriC chez E. coli, longue de 245 pb) contient
plusieurs répétitions d’un motif de 9 pb auxquelles se lient les molécules de DnaA
(dites DNA-boxes), et des séries de répétitions de 13 pb riches en AT (voir Figure 4.8).
Du fait que seulement deux liaisons H sont contractées dans un couple AT (contre trois
pour un couple GC), cette région est donc potentiellement malléable, ce qui favorise la
séparation des deux brins. Le complexe ADN-DnaA étire l’ADN, provoquant la forma-
tion de deux fourches de réplication (voir Figure 4.7B). Cette structure est stabilisée par
l’hélicase (DnaB chez E. coli), qui détruit les liaisons H au fur et à mesure de l’avance
sur la molécule d’ADN (par un mécanisme inconnu), permettant la progression des
fourches de réplication. La région ori contient également une proportion importante
de motifs GATC, reconnus par une enzyme qui méthyle les adénines de ces séquences
(voir Chapitre 5), créant un signal participant au contrôle de la fréquence d’initiation
de cycles de réplication.
Série de 3 DNA-Boxes
séquences en tandem
(riches en AT)
Protéine HU
DnaA IHF
ATP
106
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
Noyau de l’ADN
Brin d’ADN polymérase III
nouvellement
synthétisé
α (pol) α (pol) 5
3 5 3
3 5 exo
exo
107
Introduction à la microbiologie
fragments (appelés fragments d’Okazaki), le tout dans le sens 5′ à 3′. Ces frag-
ments sont d’environ mille à deux mille nucléotides chez les Bactéries, et plus courts
(150-250 pb) chez les Archées comme chez les Eucaryotes. Le brin néosynthétisé est donc
une succession de fragments ARN-ADN, dont il faudra ensuite éliminer les parties ARN
et combler les lacunes ainsi formées par de l’ADN, opérations réalisées par une polymé-
rase particulière (la polymérase PolI chez E. coli). Cette enzyme possède en effet trois
activités, de polymérase 5′ à 3′, et d’exonucléase 5′ à 3′ et 3′ à 5′ (cette activité n’inter-
vient que dans la correction d’erreurs de réplication ou de brèches consécutives à certains
types de lésions). Enfin une ADN ligase crée les liaisons phosphodiester manquantes
entre les nucléotides terminaux en 5′ et en 3′OH des fragments d’Okazaki adjacents.
La progression des fourches pendant la réplication crée des contraintes topologiques
sur l’ADN (supertours de l’hélicité en avant de la fourche) qui doivent être compensées
à l’arrière. En outre, la structure du réplisome crée un problème pour l’avancement du
processus de synthèse ; en effet non seulement les synthèses des deux brins procèdent en
sens divergents, mais leurs vitesses sont différentes. Ce dilemme a été résolu grâce à un
modèle qui propose la formation d’une anse qui orienterait localement le brin lent dans la
même direction que le brin rapide au niveau de la fourche de réplication (voir Figure 7.4).
d. Terminaison de la réplication
La réplication d’un chromosome circulaire se termine lorsque les deux fourches de répli-
cation se rencontrent. Chez les Bactéries, cela se produit généralement au niveau d’un
site dit de terminaison (voir Figure 4.7A). Sur le chromosome circulaire d’E. coli, ce site,
ter, est diamétralement opposé à oriC. C’est une région d’environ 300 kb, contenant des
séquences particulières sur lesquelles se fixent des protéines spécifiques. Le complexe
ainsi formé bloque transitoirement la progression des fourches. Chez les Archées la
terminaison semble se produire de manière aléatoire dans les zones du chromosome
où les fourches de réplication convergentes se rencontrent. En revanche, des sites spéci-
fiques, formant des barrières à la progression de la fourche de réplication, ont été décrits
chez les Eucaryotes. La réplication une fois terminée, la cellule possède deux copies de
son chromosome, sous forme de deux cercles enchaînés. La résolution, ou décaténation,
de cette structure est réalisée par une topoisomérase spécifique. Les deux chromosomes
peuvent alors être répartis entre les deux cellules sœurs au moment de la division. L’arrêt
des fourches dans ces régions entraîne une désagrégation du réplisome, mettant fin à la
réplication. Chez E. coli, l’élongation se fait à raison de 350-500 nt.s–1 à 37 °C, le chro-
mosome étant répliqué en quarante minutes.
108
Chapitre 4 • Génomes : structure et réplication chez les procaryotes
Les Eucaryotes ont résolu ce problème grâce à la présence de séquences répétées (télo-
mères) aux extrémités des chromosomes, auxquelles se lie une enzyme, la télomérase,
qui permet d’allonger la synthèse de l’ADN à l’extrémité 5’. Chez les procaryotes, plas-
mides et bactériophages à chromosomes linéaires, deux solutions ont été adoptées : la
présence de répétitions inversées reconnues par une protéine qui sert d’amorce, ou la
formation d’une liaison covalente entre les extrémités des deux brins de l’ADN, formant
une structure équivalente à un chromosome circulaire, une enzyme spécifique rompant
la soudure covalente à la fin de la réplication.
Trois schémas principaux sont utilisés dans le cas des génomes circulaires. La
réplication de type Thêta est celle décrite pour un chromosome circulaire. La bulle de
réplication formée au niveau de ori se déplace au cours du processus de réplication, ce
qui confère à l’ADN une structure semblable à celle de la lettre grecque théta (θ), d’où
son nom. De nombreux plasmides et bactériophages ont recours à ce type de réplication.
Dans le cas du facteur F sous forme libre végétative, l’appareil de réplication est essen-
tiellement celui de l’hôte, avec plus de vingt protéines du système de l’hôte, contre une
seule protéine codée par F, la protéine RepE. La synthèse est amorcée sur le brin continu
à un site prédéterminé avec intervention de RepE, puis utilise le réplisome de l’hôte.
D’autres plasmides, plusieurs bactériophages et certains virus d’Eucaryotes à génomes
circulaires utilisent le système dit sigma, ou du cercle roulant (voir Figure 4.10).
109
Introduction à la microbiologie
3’–OH
Coupures par 5’–P
endonucléase
B
Nucléotide ajouté en 3’–OH,
déplaçant l’autre brin
5’–P
Direction du
déroulement
5’–P
Deuxième brin copié de façon discontinue
Certains réplicons ont une réplication mixte. Le bactériophage λ, sous forme lytique,
utilise le processus thêta dépendant de protéines codées par le virus et par l’hôte pour
conduire à la formation d’une dizaine de copies circulaires de son chromosome, et dans
un second temps chacune de ces copies sert de matrice pour une réplication par cercle
roulant, conduisant à la formation de multiples copies du génome (voir Chapitre 8). Les
plasmides conjugatifs utilisent la réplication à cercle roulant lors du transfert de leur
ADN vers un hôte bactérien (voir Chapitre 5).
110
L’essentiel
111
Entraînez-vous
4.1 Quels facteurs interviennent dans la compaction et l’organisation structurale de
l’ADN chez les procaryotes ?
4.2 Que définit-on comme ADN essentiel et ADN accessoire ?
4.3 Définir plasmide et épisome. Définir le mode de reproduction d’un plasmide
autotransmissible.
4.4 Qu’est-ce qui distingue tous les gènes plasmidiques de certains gènes chromoso-
miques ?
4.5 Quelles différences et similitudes y a-t-il entre séquences IS et transposons ?
4.6 Quelles sont les différentes classes de transposons ? Qu’est-ce qui les différencie ?
4.7 En quoi la réplication d’un ADN double brin circulaire, tel que le chromosome
d’E. coli, permet-elle de s’affranchir d’un problème : la réplication de l’extrémité
3’OH d’un ADN linéaire ?
4.8 Quel problème se pose lors de la terminaison de la réplication chez E. coli ?
4.9 Lors de la réplication du chromosome bactérien, comment se réalise la synthèse
des deux brins néosynthétisés ? Quel problème pose cette réplication et comment
a-t-il été résolu ?
4.10 Quelles différences y a-t-il entre intégron et superintégron ?
112
Chapitre 5 Variabilité génétique :
potentialités et limites
Introduction
Le maintien de l’intégrité d’une espèce ou d’un organisme est le reflet de son adéquation
optimale à son environnement, ce qui requiert une pérennité de son information génétique.
Toutefois ces conditions de vie peuvent être changeantes, ce qui a contrario nécessite une
capacité d’adaptation. Celle-ci peut être transitoire, ou fixer dans les génomes des modi-
fications introduites de diverses manières. Il se crée donc un équilibre entre ces forces
antagonistes.
Objectifs Plan
Connaître la nature des mutations, leurs 1 Mutations et mutants
causes endogènes et externes ; les 2 TGH chez les procaryotes
moyens d’identification ; le rôle des 3 Réparation de l’ADN
systèmes de réparation dans l’équilibre
4 Variabilté/anti-variabilité
variabilité-antivariabilité
Identifier les mécanismes moléculaires à la
base des mutations
Définir mutation spontanée et induite,
variabilité génétique
Expliquer comment l’équilibre variabilité
et anti-variabilité assure permanence et
évolution de l’espèce
1 Mutations et mutants
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113
Introduction à la microbiologie
114
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
recouvre ces régions sur une longueur pouvant dépasser 1 000 pb ; le complexe ainsi
formé s’associe avec un ADN double brin homologue, permettant l’échange de brins.
En outre, le lien intime entre déficience pour la recombinaison homologue et sensibilité
aux radiations, agents à effets mutagènes (§ 1.2), confirme le rôle déterminant de ce
processus dans les voies de réparation de l’ADN.
La recombinaison homologue elle-même, à de rares cas près, ne modifie guère la
structure des génomes, les réassortiments se faisant ordinairement par substitution
d’un allèle d’un gène par un autre. Il n’en va pas de même d’autres types de recombi-
naison, dite non homologue ou site spécifique, liés à la présence d’éléments mobiles,
qui peuvent conduire à des modifications d’organisation des génomes, contribuant à
leur plasticité. Ces modifications se font par le biais de recombinases site-spécifique
(Sérine- et Tyrosine-recombinases, d’après l’acide aminé de leur séquence intervenant
dans le processus). Ce type de recombinaison est impliqué dans diverses propriétés
telles que la variation de phase chez Salmonella enterica (l’expression alternative de
deux antigènes de surface) (voir Figure 5.1A), ou l’aptitude de Mu (voir Figure 5.1B) et
P1, deux phages d’E. coli, à exprimer deux protéines différentes intervenant dans leur
spécificité d’hôte, ce qui leur permet de varier leur répertoire infectieux. La recom-
binaison non homologue intervient aussi dans l’intégration et l’excision de l’ADN
du phage λ en un site spécifique du chromosome de son hôte (voir Chapitre 8) (voir
Figure 5.2). De même, la mobilité des cassettes des intégrons (voir Chapitre 4) fait inter-
venir des recombinases particulières (intégrases, excisases) dont l’originalité réside
dans le fait que leur substrat est un ADN simple brin généré à partir de la cassette à
déplacer.
La transposition met en jeu un système de recombinaison non homologue, mutateur
et éventuellement générateur de remaniements chromosomiques, faisant intervenir
plusieurs types d’éléments génétiques mobiles (voir Chapitre 4). La question, largement
débattue, de savoir si ces éléments confèrent un avantage sélectif à l’organisme qui les
héberge, n’a abouti qu’à des réponses assez contradictoires. D’une façon générale, ils
jouent probablement un rôle majeur dans la diffusion de caractères nouveaux, par une
forme de transfert horizontal (non générationnel) (§ 2). Les séquences acquises peuvent
être de toute nature. Les plus préoccupantes concernent les gènes de résistance à des
antibiotiques, dont certains éléments peuvent en porter une panoplie (voir Chapitre 4),
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d’autant que ces éléments sont souvent intégrés dans des plasmides aptes à réaliser des
transferts interspécifiques (§ 2.3). Compte tenu des effets sur la structure de l’ADN
hôte et du potentiel mutagène de ces éléments, leur mobilité est cependant strictement
régulée, par les éléments eux-mêmes.
Le bactériophage-transposon Mu est un phage tempéré, dont l’insertion de l’ADN
se fait quasi aléatoirement dans le génome de son hôte. La découverte de ce phage résulte
de l’observation que 1-2 % des cellules lysogènes pour Mu présentent une mutation
pouvant affecter un large éventail de gènes, la mutation étant toujours génétiquement
associée au site d’intégration du prophage. En effet le cycle infectieux du phage implique
l’insertion de son génome dans l’ADN de l’hôte, la production des nouveaux génomes
115
Introduction à la microbiologie
IR(L) IR(R) P
A1 hin h2 rH1 h1
R
Phase 1 H P Flagelline R
H2 Répresseur
Invertase
RH1
H H
A2
IR(L) IR(R)
hin h2 rH1 P h1
Phase 2
P H Flagelline
Invertase H1
B. Inversion G-loop de Mu
B1
Sc Sv U gin
B2
p
Phase G+ IR IR
U Sv
S U Gin
Sc S v U gin
p
B3 IR IR
U Sv
Phase G–
S U Gin
116
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
P P’
A J int cI R
A. cos cos
attP
B.
A R
J int
Int P P’ Int,Xis
B B’
gal bio
C. attB
B P’ P B’
gal bio
int R A J
l’hôte, dont la gyrase (voir Chapitre 4). Un complexe de transposition est mis en place
associant un dimère MuA2 à chacune des extrémités de l’ADN phagique. S’ensuit une
coupure simultanée de l’ADN aux deux extrémités du prophage, celle de chaque extré-
mité se faisant par l’intermédiaire du dimère MuA2 associé à l’autre extrémité. Cette
contrainte a pour conséquence d’éviter toute coupure prématurée de l’ADN, préjudi-
ciable au développement du cycle. Le contrôle de la transposition nécessite l’expression
d’un seul répresseur, codé par Mu, assurant le choix entre lysogénisation (forme stable)
et transposition. Il s’établit un équilibre entre ces deux événements. Les insertions se
faisant au hasard par rapport aux gènes de l’hôte, cette forte fréquence de transposition
explique la capacité mutagène de ce phage.
117
Introduction à la microbiologie
B
L1 L2 L3 E R3 R2 R1
E
ADN cible
L R
E
MuA Mu B
HU ATP
Mg2+
R
Tn5 est un transposon composite de 5,7 kb. Il porte deux séquences (IS50R et IS50L)
semblables à des séquences d’insertion (voir Chapitre 4), ne se distinguant que par deux
mutations ponctuelles inactivant le gène de la transposase dans IS50L. Le mécanisme
de transposition est du type non réplicatif, coupé-collé (voir Figure 5.4). La région
interne de Tn5 code la résistance à trois antibiotiques (streptomycine, bléomycine et
kanamycine), caractères qui peuvent être avantageux pour l’hôte, suggérant qu’un équi-
libre pourrait s’établir entre efficacité de transposition et survie de l’hôte. En effet, des
études in vitro ont montré que des variantes des séquences cibles ou de la transposase
118
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
Tnp
B
OE OE
Fixation de Tnp
Tnp Tnp
Synapse
Capture de
Coupure la cible
Insertion
Duplication de 9 pb
Ces mutations, analogues dans leurs structures aux mutations spontanées, résultent
de l’action d’agents mutagènes de nature variée. Le premier agent mutagène exogène
connu a été les rayons X, utilisés par H.J. Mueller (1925) pour obtenir des mutants chez la
Drosophile. Parmi les agents physiques, les radiations ionisantes (rayons X et γ) forment
des radicaux libres tels que HO. endommageant l’ensemble des molécules biologiques,
dont l’ADN (oxydation des bases ou ruptures double ou simple brin), et les ultraviolets
(UV), produisant des pontages entre pyrimidines, surtout T-T, dont la réparation peut
s’avérer mutagène.
Un nombre considérable de produits chimiques « artificiels » sont mutagènes. Il peut
s’agir d’analogues de bases (5-bromouracile analogue de la thymine, 2-aminopurine
119
Introduction à la microbiologie
120
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
cas, les mêmes conditions expérimentales (même nombre de virus et de cellules) appli-
quées à de nombreuses cultures indépendantes devraient conduire, statistiquement, à
un nombre de cellules résistantes semblable (rapport moyenne/variance proche de 1).
L’hypothèse de mutations de résistance au virus préexistantes à la mise en contact des
cellules avec le virus prédit au contraire que, dans des cultures indépendantes comme
ci-dessus, l’apparition de nouvelles mutations est aléatoire dans le temps. Une culture
dans laquelle une mutation serait apparue précocement, et aurait donc pu être repro-
duite de nombreuses fois, donnerait une descendance notablement plus élevée qu’une
autre culture dans laquelle la mutation serait apparue tardivement. Il devrait dans ce cas
y avoir une grande variabilité de la quantité de cellules résistantes d’une culture à l’autre
(rapport moyenne/variance très différent de 1). D’autres tests plus qualitatifs ont été
développés ultérieurement par H.B. Newcombe puis par E. et J. Lederberg (portant sur
l’analyse de la fréquence de mutants d’E. coli résistants au phage T1, et sur la résistance
à la pénicilline, respectivement). Tous aboutissent à la même conclusion : les mutations
préexistent au crible sélectif, qui ne fait que révéler leur présence. Le test de Lederberg,
outre son intérêt scientifique, a fait appel à une technique dite des répliques, mise au
point pour ce test, abondamment utilisée depuis en génétique microbienne$.
121
Introduction à la microbiologie
excrétées par des procaryotes, qui en utilisent les produits comme nutriment. Certains
facteurs (acides humiques du sol, argile associé à des matières organiques) préviennent
cette dégradation. Cet ADN, dit transformant, peut être substrat pour la transformation,
inséré dans le génome de cellules réceptrices par recombinaison génétique. Ce processus
a été décrit dans plus de quatre-vingts espèces de Bactéries à Gram − et à Gram+ (dont
une dizaine au moins de Bactéries pathogènes) et d’Archées, appartenant à tous les types
nutritionnels. Il pourrait intéresser 1 % de toutes les Bactéries connues.
Les cellules candidates réceptrices doivent être dans un état dit de compétence, peu
mentionné dans les environnements naturels. En laboratoire les conditions conduisant
au développement de cet état sont très variables selon les espèces, et souvent encore
incomprises (fin de croissance rapide, suite à un stress nutritionnel, forte densité de
la population, etc.). La proportion de cellules compétentes, propre à chaque espèce,
s’étend d’une fraction à 100 % d’une population. Chez Streptococcus pneumoniæ elle
s’observe lorsque la population atteint une certaine densité, avec un pH intracellulaire
de l’ordre de 8,3. Une stratégie originale, dite fratricide, chez le genre Streptococcus,
consiste pour les cellules compétentes à tuer les non compétentes pour en libérer l’ADN.
L’état de compétence consiste en la synthèse, en réponse aux signaux environnemen-
taux, de vingt-cinq à cinquante protéines, homologues à celles qui interviennent dans
certains types de pili et certains systèmes de sécrétion, selon les genres bactériens (voir
Chapitre 7). Ces protéines, organisées en structures externes, favorisent l’adhésion d’un
A Transformation B Transduction
C Conjugaison
122
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
fragment d’ADN double brin sur la surface de la cellule. L’ADN est alors fragmenté par
des nucléases, un seul filament transporté à travers l’enveloppe cellulaire, l’autre étant
dégradé (dans les systèmes les plus connus). Une fois l’ADN internalisé, les activités de
recombinaison, si elles reconnaissent une homologie entre cet ADN et l’ADN endogène,
l’intègrent dans le génome. Chez deux espèces bactériennes étroitement apparentées,
Haemophilus influenzæ et Haemophilus parainfluenzæ, la compétence correspond au
développent en surface de vésicules membranaires dans lesquelles l’ADN transformant
est internalisé, et ainsi protégé d’éventuelles DNases externes. L’ADN internalisé est soit
progressivement dégradé (H. influenzæ), soit peu dégradé (H. parainfluenza) ; une de
ses extrémités quitte la vésicule en s’appariant à la région homologue du chromosome
receveur, entraînant le restant du fragment dans le cytoplasme, où il peut alors être
intégré dans l’ADN receveur par recombinaison homologue.
2.2 La transduction
La transduction est le fait de phages tempérés à prophage intégré dans le chromosome
de l’hôte (type λ) comme de phages tempérés non intégratifs (P1) (voir Chapitre 8)
(voir Figure 5.5B). Les premiers réalisent une transduction restreinte (ou spécialisée), ne
concernant que les gènes bactériens adjacents à l’une ou l’autre extrémité du prophage
intégré, entraînés avec l’ADN phagique suite à une excision imprécise. Les phages
tempérés non intégratifs peuvent encapsider par erreur, au cours du cycle lytique, tout
fragment de génome bactérien de taille convenable (1 à 2 %) contenant une séquence
reconnue par le processus d’encapsidation du phage (transduction généralisée). L’ADN
ainsi libéré, mixte ou pas, empaqueté dans une capside virale, constitue un vecteur,
dit particule transductrice. Celle-ci peut, au cours d’une nouvelle infection, transférer
cet ADN à une nouvelle cellule hôte. Certains phages de type intégratif comme P22
possèdent un double mécanisme de transduction spécialisé et généralisé.
La transduction a longtemps été sous-estimée dans les environnements naturels.
Des analyses métagénomiques récentes de viriomes (ensembles des génomes viraux
présents dans un environnement donné) suggèrent que 50 à 60 % des bactériophages
sont porteurs de gènes d’hôtes fonctionnels et que ces particules peuvent servir de
réserves de gènes au sein d’environnements très diversifiés. Ces données revêtent une
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importance significative, par exemple pour les gènes de résistance à des antibiotiques,
présents en abondance chez les bactériophages collectés dans la nature. La transduction
joue certainement un rôle important dans la diffusion de ces gènes chez les Bactéries
pathogènes.
2.3 La conjugaison
La découverte par J. Lederberg et E.L. Tatum (1946) du transfert d’ADN par conju-
gaison chez E. coli a constitué un moment décisif dans l’histoire de la microbiologie car
les concepts qui en dérivèrent furent à la base de la naissance de la génétique des proca-
ryotes. À partir de ce moment E. coli devint un modèle pour les études de génétique
123
Introduction à la microbiologie
classique, au même titre que l’étaient les organismes eucaryotes modèles de cette époque,
le Maïs et la Drosophile. De nombreuses Bactéries à Gram − comme à Gram+ peuvent
transférer de l’ADN par conjugaison.
Un couple de cellules pouvant conjuguer est constitué de deux types « sexuels » (voir
Figure 5.5C). La cellule donatrice est caractérisée par la présence d’une machinerie de
conjugaison, dont les protéines sont codées par un élément génétique de type auto-
transférable, tel le plasmide, ou facteur ou épisome, F chez E. coli (voir Chapitre 4) qui
assure le transfert de l’ADN. La souche porteuse de F est dite F+, la souche réceptrice F−.
L’appareil de conjugaison comprend deux complexes protéiques. Le premier est un pilus
sexuel, le transférosome, positionné sur la surface de la cellule. Son rôle est l’identifica-
tion d’une cellule réceptrice appropriée (non porteuse du même plasmide conjugatif),
le rapprochement des deux cellules jusqu’à les amener côte à côte (probablement par un
processus de rétraction par dépolymérisation du pilus), et enfin la transmission d’un
signal nécessaire à la manipulation de l’ADN pour son transfert. La voie de passage de
l’ADN entre les deux cellules est objet de discussion, l’idée dominante étant celle d’un
canal interne du pilus F. Le deuxième complexe, le relaxosome, se lie à l’origine de
réplication oriT du facteur F (voir Chapitre 4), coupe un des deux brins de l’ADN sur
cette séquence, et forme un lien covalent avec l’extrémité 5’ libérée, ce qui détermine le
filament qui sera transféré (dit T), en direction 5 à 3′. La structure relaxosome-ADN
est guidée vers le canal de jonction intercellulaire. En réponse à un signal dépendant
du contact entre les deux cellules, il transfère le filament T à la cellule réceptrice via ce
canal. Simultanément, une réplication asymétrique dans la cellule réceptrice reconstitue
un filament double brin de l’ADN transféré, qui est alors re-circularisé. Une réplication
similaire reconstitue la structure double brin du plasmide dans la cellule donatrice
(voir Figure 5.6). Le facteur F peut s’intégrer dans le chromosome de l’hôte, qui est dite
alors Hfr (Haute fréquence de recombinaison). Cette Bactérie peut transférer des gènes
chromosomiques à une Bactérie F−. Ceux-ci peuvent être échangés avec ceux du chro-
mosome de la cellule réceptrice par recombinaison homologue.
5 Receveur
5
3
3
Receveur
Receveur
124
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
3 Réparation de l’ADN
L’ADN pouvant subir de nombreuses lésions dues à des facteurs divers (§ 1), l’ensemble
du monde vivant a développé une panoplie de systèmes de réparation permettant de
125
Introduction à la microbiologie
126
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
Lésion
A
ATP UvrA
ADP+Pi
UvrB
B
UvrC
ATP
ADP+Pi
C
ATP
ADP+Pi
5 incision 3 incision
UvrD Hélicase
E
Pol-I
Ligase
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La réparation de mésappariements, quelle que soit leur origine, peut être effec-
tuée par un système spécialisé, MMR (Methyl-directed Mismatch Repair). Chez les
127
Introduction à la microbiologie
128
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
4 Variabilité/anti-variabilité
Le compromis étroit que doit trouver toute espèce entre les forces tendant à préserver
son identité génétique d’une part et la modifier de l’autre est particulièrement critique
pour les procaryotes, leur état haploïde leur faisant subir directement les effets de
flux génétiques résultant de mutations et des divers modes de TGH. Des systèmes de
« protection » ont ainsi été développés.
L’observation que les Bactéries peuvent contrecarrer une infection virale a permis
de découvrir deux systèmes qui reconnaissent un ADN exogène : la restriction-modi-
fication, qui détruit tout ADN (phagique, plasmidique ou autre) étranger, et le système
CRISPR, une sorte de mémoire innée contre les infections virales.
129
Introduction à la microbiologie
130
Chapitre 5 • Variabilité génétique : potentialités et limites
131
L’essentiel
132
Entraînez-vous
5.1 Quels sont les différents rôles de la recombinaison homologue ?
5.2 Quels rôles biologiques jouent les recombinases site-spécifique ?
5.3 Pourquoi le bactériophage Mu a-t-il été déterminant dans l’étude du mécanisme
de transposition ?
5.4 Quel problème pose le mécanisme de transposition de type « coupé-collé » de
Tn5 ? En quoi, et comment, l’association de la transposition à la réplication
permet-elle d’éliminer ce problème ?
5.5 Qu’entend-on par FRO et par quels processus métaboliques sont-ils générés ?
5.6 Les UV comme les rayons X sont des radiations endommageant l’ADN. Par quels
mécanismes sont-ils mutagènes ?
5.7 Par quels mécanismes se réalisent les transferts génétiques chez les procaryotes ?
5.8 Par quel mécanisme le système NER permet-il la réparation de lésions provoquées
entre autres par les UV ? Quel rôle joue l’ARN polymérase dans ce mécanisme ?
5.9 Par quel mécanisme peut-on régénérer une fourche de réplication qui conduirait
à la mort cellulaire ?
5.10 Par quels mécanismes un procaryote peut-il préserver son génome de l’invasion
par un ADN « étranger » ?
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133
Chapitre 6 Expression génique
et adaptation
Introduction
Chaque cellule exprime son information génétique par le biais de protéines, dont la syn-
thèse nécessite la transcription des gènes (passage de l’ADN à une forme en ARN), puis
la traduction (passage du code ARN à la séquence en acides aminés équivalente). Les
principes généraux en sont les mêmes dans les trois domaines du vivant, les constituants
responsables de ces fonctions caractérisant chaque domaine et/ou organisme. À tout
moment seule une fraction du patrimoine génétique est exprimée ; celle-ci change suivant
les modifications des conditions de vie. Des signaux externes informent la cellule de ces
variations, déclenchant son adaptation. Les processus impliqués chez les procaryotes, pré-
sentés ici, diffèrent de ceux de protistes, de type eucaryote classique.
Objectifs Plan
Connaître les mécansimes de l’expression 1 Expression génique chez les
génique (transcription et traduction) et de procaryotes
sa régulation 2 Régulation de l’expression
Identifier les structures, effecteurs et génique
enzymes permettant l’expression génique 3 Régulation via des
(opérateur, promoteur, région codante, transmetteurs de signal
opéron, ARN messager) 4 Communications intercellulaires
Définir les modes et les effecteurs de
régulation de l’expression génique
Expliquer le fonctionnement de l’ARN
polymérase, des mécanismes de
transcription et traduction, et de régulation
134
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
(et bien sûr du désoxyribose par le ribose). L’ARN polymérase (ARN-Pol), responsable
de la synthèse des ARNm, fonctionne uniquement en direction 5′ → 3′. L’enzyme des
procaryotes est polyvalente : elle réalise la synthèse de toutes les classes d’ARN (ARNm,
ARNt, ARNr), contrairement à celles des Eucaryotes, spécialisées pour la synthèse de
chacun des types d’ARN. Le brin codant d’un gène peut se trouver sur l’un ou l’autre
des deux filaments de l’ADN, si bien que l’orientation du brin transcrit, et donc celle de
la progression de l’ARN-Pol, varient d’un gène à l’autre par rapport à celle de la répli-
cation de l’ADN.
3’ 5’
5’ 3’ 3’
5’ ppp Mouvement de
l’ARN polymérase
Les ARNm sont en général très instables, caractéristique fondamentale pour les
processus de régulation de l’expression génique. Chez les procaryotes l’organisation de
nombreux gènes en opérons (voir Chapitre 4), structures ayant un promoteur unique,
produit donc une seule molécule d’ARNm polygénique, dite polycistronique. Chez les
Bactéries comme chez un certain nombre d’Archées, des gènes et/ou des opérons distants
sur le chromosome, produisant chacun leur propre ARNm, peuvent être co-régulés ; ces
structures, analogues à celles présentes dans les génomes d’Eucaryotes, sont désignées
par le terme de régulon.
Deux éléments sont critiques pour la transcription, l’ARN-Pol et le promoteur.
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a. La région promoteur
Ce dernier (voir Figure 6.2) est une région du gène non transcrite, en amont de la région
transcrite, qui fournit à la sous-unité σ (dite aussi facteur sigma) de l’ARN-Pol l’indi-
cation d’où initier la transcription, et sur laquelle s’exerce l’activité de régulation de
l’expression (§ 2). Chez la majorité des Bactéries le promoteur est constitué de deux
séquences consensus, de chacune six nucléotides, localisées l’une en position −10
(dix nucléotides en amont du premier nucléotide transcrit, par convention +1 ; il n’y a
pas de 0), et l’autre en position −35. La première (dite « TATA box » ou boîte de Pribnow)
a pour séquence consensus TATAAT, l’autre TTGACA.
135
Introduction à la microbiologie
Région de contrôle
A de la transcription Gènes de structure abc
O p a b c
5’ 3’
ADN
Site d’initiation
de la transcription
B « Amont » « Aval »
Direction de la transcription
Région Up – 35 17 - 19 pb – 10 +1
6 pb 6 pb
En fait ces séquences varient d’une espèce à l’autre, et au sein d’un même orga-
nisme d’un promoteur à l’autre ; l’examen d’un grand nombre de promoteurs a défini
la fréquence moyenne de chaque base à chaque position, soit T80A95t45A60a 50T96 et
T82T84G78A65C94a45, les chiffres en indices indiquant des pourcentages et les lettres
minuscules des fréquences inférieures à 50 %. Chez la majorité des Bactéries, ces deux
séquences sont nécessaires et suffisantes pour assurer une bonne reconnaissance par
le facteur σ ; toutefois chez certains promoteurs, riches en A/T, une séquence, Up, en
amont de −35, active la transcription soit en augmentant l’affinité de l’ARN-Pol pour
l’ADN, soit en servant de site de reconnaissance à d’autres facteurs transcriptionnels.
Ces variabilités de séquences conditionnent, outre la régulation de la transcription, la
« force du promoteur ». En outre, pour chaque classe de promoteurs, des mutations
ponctuelles de l’une des séquences, et/ou des changements du nombre de nucléotides
les séparant, modifient (diminuent, bloquent, ou rarement augmentent) l’efficacité de
la transcription. La diversité des familles de promoteurs a pour corollaire une diversité
de familles de facteurs σ, chacune reconnaissant une famille de ces séquences. Ainsi
E. coli dispose de sept facteurs σ différents. L’un d’eux, σ70 (dit « de ménage »), permet la
reconnaissance de la majorité des promoteurs de cette Bactérie. Un autre, RpoS (ou σ38),
présent uniquement en état de stress (telle la phase stationnaire), reconnaît des promo-
teurs qui lui sont propres, outre ceux reconnus par σ70 (installant une compétition entre
les deux facteurs). Les facteurs σH et σN, impliqués respectivement dans la réponse
au stress thermique et dans le métabolisme de l’azote, ont leur classe de promoteurs
spécifiques. Le nombre et le rôle de facteurs σ varient notablement d’une espèce à une
136
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
b. L’ARN-polymérase (ARN-Pol)
L’ARN-Pol intervient dans le contrôle de son positionnement sur le gène au démarrage
de la transcription, l’allongement de la chaîne d’ARNm, et enfin la terminaison du
processus. L’enzyme interagit aussi avec de multiples activateurs et répresseurs de la
transcription (§ 2). L’holoenzyme (enzyme active) est constituée de six sous-unités
(2 α, 1 β, 1 β′, 1 σ, 1 ω), dont chacune assure l’une de ces activités (voir Figure 6.3). La
sous-unité ω est une protéine chaperon (protéine chargée d’assister la maturation ou
le repliement correct d’une autre protéine) responsable de l’assemblage du noyau de
l’enzyme. Le complexe 2α-β-β′ de l’ARN-Pol, noyau de l’enzyme, a une faible affinité
pour l’ADN double brin ; c’est son association avec la sous-unité σ − qui reconnaît
le promoteur, formant alors l’holoenzyme – qui active l’initiation de la transcrip-
tion. L’affinité de l’holoenzyme pour les séquences promoteurs est environ 107 fois
supérieure à celle pour des séquences d’ADN sans promoteur. L’holoenzyme se lie
à l’ADN autour du promoteur, formant un complexe dit fermé. L’enzyme déroule
l’ADN de la région −10 à +2, formant un complexe dit ouvert, permettant la sépa-
ration des deux brins, et le démarrage de la synthèse de l’ARNm. L’ARN-Pol soude
les sept ou huit premiers ribonucléotides ; le facteur σ, devenu inutile, se détache du
complexe. La synthèse de l’ARN continue (élongation), en déroulant l’ADN en avant
du point de synthèse, séparant les deux brins de l’hétéro-duplex, et le réenroulant
après déplacement du complexe de synthèse. Ceci jusqu’à la phase de terminaison, qui
se produit normalement lorsque l’ARN-Pol atteint, à la fin de la région codante, une
région contenant un terminateur transcriptionnel. Les Bactéries possèdent deux types
de terminateurs. Les terminateurs Rho-indépendants sont constitués d’une séquence
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137
Introduction à la microbiologie
α
ntd
β
ctd
β
α
ntd
ctd
σ Direction de
la transcription
Élément Up – 35 – 10 +1
6 pb 17 - 19 pb
6 pb
138
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
Grande
A B sous-unité
ribosomale
Fmet Fmet
E P A
Petite sous-unité ARNt d’initiation
ribosomale
UAC UAC
3’ GGAGG AUG UUC CGA 5’ GGAGG AUG UUC CGA
Codon
d’initiation Complexe d’initiation
Séquence
Shine-Dalgarno
Chaîne
Fmet polypeptidique
C D
Fmet phe phe arg
E P A E P A
UAC
AAG UAC UAC GCU
GGAGG AUG UUC CGA GGAGG AUG UUC CGA
tidyl-transférase forme une liaison peptidique entre Fmet et phe. Le cycle continue
pour les codons suivants, jusqu’à atteindre un codon non-sens du messager.
Les ARNt sont désignés par un exposant indiquant l’aminoacide reconnu (ARNtala,
reconnaissant l’alanine), sigle suivi du nom de l’aminoacide quand cet ARN est chargé
par cet acide aminé (ARNtala-ala). L’acide aminé Fmet possède son ARNt particulier
(ARNtFmet). Le décalage entre les nombres d’ARNt, de codons disponibles et d’acides
aminés (respectivement 47, 64 et 20 chez E. coli) s’explique par l’existence des codons stop
et le fait que certains codons sont redondants (six pour leu, deux pour phe, etc.). Rappelons
139
Introduction à la microbiologie
que le code est universel, à l’exception de certains organites d’Eucaryotes (voir Chapitre 1).
Les ARNt, constitués de soixante-dix à quatre-vingt-dix nucléotides, présentent des struc-
tures secondaire et tertiaire très conservées au cours de l’évolution. La présence de trois
principales boucles leur confère une forme en feuille de trèfle typique dont la tige (en
double brin) porte le site accepteur sur lequel se fixe l’aminoacide. L’anticodon, qui recon-
naît le codon sur l’ARNm, est situé sur la boucle centrale, opposée à la tige.
Dans les trois domaines du vivant les ribosomes sont constitués de deux sous-unités
qui diffèrent en composition, structure et fonction (voir Chapitre 1). Chez les Bactéries,
la sous-unité 30S est impliquée dans la lecture (ou décodage) de l’ARNm et la fidélité de la
traduction. La sous-unité 50S porte la formation des liaisons peptidiques entre les acides
aminés au fur et à mesure de leur incorporation (activité peptidyl-transférase), et est
donc responsable de l’élongation de la chaîne peptidique. Les sous-unités équivalentes
chez les protistes (40S et 60S) sont analogues à celles de tous les Eucaryotes. Le ribosome
fonctionnel, résultant de l’assemblage des deux sous-unités, présente à l’interface de
celles-ci trois sites de liaison, A pour l’ARNt chargé qui entre dans le ribosome, P pour le
complexe peptide-ARNt (la chaîne polypeptidique en cours de synthèse encore associée
au dernier ARNt en cours de transfert), et E pour l’ARNt désacylé (l’ARNt précédent, qui
ne porte plus son acide aminé, celui-ci ayant été incorporé dans la chaîne peptidique) et
prêt à être dissocié du complexe. L’initiation est une étape cruciale, puisque le complexe
de traduction doit reconnaître la phase de lecture de l’ARNm, autrement dit identifier
à partir de quelle base lire la séquence, et donc la succession des codons. La fin de la
traduction se produit lorsque l’appareil de traduction rencontre un codon non-sens,
reconnu grâce à des facteurs de terminaison qui forment des structures 3D proches de
celle d’un ARNt. L’acide aminé de l’ARNt encore sur le site P se détache de son ARNt,
ce qui libère le polypeptide. Les sous-unités ribosomales, dissociées de l’ARNm et l’une
de l’autre, sont recrutées presque immédiatement pour une autre traduction. La Fmet
initiale est soit clivée enzymatiquement, soit débarrassée du résidu formyl.
140
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
ou des protéines, l’existence de mécanismes épigénétiques, ces derniers encore peu docu-
mentés chez les procaryotes, ou des voies plus complexes de transmission de signaux (§ 3).
141
Introduction à la microbiologie
en ses deux sous-unités, le glucose et le galactose. Il s’agit d’un système inductible : ces
enzymes ne sont synthétisées qu’en présence de molécules inductrices, le lactose bien
sûr, mais aussi des dérivés de ce sucre. Parmi ces derniers, des inducteurs dits gratuits
parce que non métabolisables (tels l’IPTG, isopropyl-β-thiogalactopyranoside) ont été
un outil d’étude particulièrement précieux du fait que leur concentration, à l’inverse
d’un inducteur métabolisable, reste constante et contrôlable, et qu’ils pénètrent dans la
cellule sans le secours de la perméase. En présence de glycérol comme source de carbone,
l’adjonction d’IPTG entraîne immédiatement la synthèse de novo de ces deux enzymes.
Au taux maximal d’induction, la β-galactosidase peut représenter 7 % des protéines
cellulaires. L’élimination de l’inducteur conduit à un arrêt quasi instantané de la synthèse
des deux enzymes. Les deux gènes lacZ et lacY sont contigus et organisés en opéron
(voir Figure 6.5) comprenant un troisième gène (lacA) non impliqué dans ce processus.
Adjacent à cet opéron se trouve un gène, lacI, codant la protéine régulatrice du système.
lac01
A. lacI lac03 lacP lac02 lacZ lacY lacA
LacI
lac01
lac01
C. lac03 lacP
lacZ
lac02
142
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
avec le répresseur qui conduit à l’inhibition de la transcription. Ces mutants ont perdu
l’aptitude à fixer le répresseur : les gènes de l’opéron qui lui sont adjacents s’exprimeront
de façon constitutive (effet cis dominant), alors que ceux présents sur l’autre structure
génétique conserveront leur phénotype d’inductibilité (cas 3 et 4). En fait le répresseur,
une forme tétramérique, reconnaît simultanément deux sites de l’opérateur, induisant
la formation d’une boucle d’ADN qui empêche la reconnaissance du promoteur par
l’ARN-Pol (voir Figure 6.5C). L’ajout d’inducteur entraîne une modification structu-
rale (une transition allostérique) du répresseur, qui ne reconnaît plus l’opérateur, ce qui
permet la transcription de l’opéron. En réalité, l’inducteur naturel de l’opéron lactose
n’est pas le lactose mais un dérivé, l’allolactose, synthétisé par… la β-galactosidase !
Dans les cellules, il existe toujours un niveau basal d’expression de l’opéron qui assure
143
Introduction à la microbiologie
144
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
codant les protéines ribosomales, l’une des protéines exerce un contrôle négatif sur
la traduction du messager de son propre gène/opéron, par interaction avec le site RBS
de l’ARNm. Ces protéines ont une plus forte affinité pour les ARNr que pour leur site
RBS, et vont donc préférentiellement s’associer à ces ARN, contribuant à la formation
des sous-unités ribosomales. Si aucun ARNr n’est « libre », une protéine en excès inte-
ragira alors avec son RBS, conduisant à une extinction de la traduction du messager
correspondant. Ce système contribue donc à une expression équilibrée des différents
constituants du ribosome.
Un système de régulation universel, qui présente beaucoup de similarité avec l’at-
ténuation, fait intervenir des ARN régulateurs, dits commutateurs ribonucléiques
145
Introduction à la microbiologie
A
trpP trpO trpL trpE trpD trpC trpB trpA
TT
C
2 2 3
3 4
1
1 4
146
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
Tous les organismes possèdent des ARN régulateurs, ou sARN, des petites molé-
cules (cinquante à trois cents nucléotides) non codantes, pouvant former une structure
secondaire en type tige-boucle (E. coli en dispose d’une centaine). À la différence de
ceux des Eucaryotes, qui sont issus d’un ARN précurseur de grande taille, ceux des
procaryotes sont codés par des gènes de structure classique, de taille analogue à l’ARN.
Ces ARN ont pour cibles des ARNm, avec lesquels ils s’hybrident plus ou moins parfai-
tement, grâce à une protéine dite chaperon à ARN, Hfq, qui, d’une part protège le sARN
des nucléases, et d’autre part aide à la recherche de sa ou ses cible(s) ARNm. L’interaction
avec l’ARNm peut conduire à une inhibition de sa traduction par masquage du RBS, ou
au contraire à une activation par modification de sa structure secondaire démasquant
le RBS (par exemple le sARN qui interagit avec l’ARNm de RpoS [§ 1.1], activant son
expression), ou encore à une déstabilisation de l’ARNm, qui est dégradé. C’est le cas
d’un sARN, ryhB, intervenant dans l’homéostasie du fer chez E. coli. Bien qu’abon-
dant, le fer est peu disponible dans les conditions naturelles en raison de sa très faible
solubilité sous forme Fe3+ en atmosphère aérobie. D’autre part, la concentration en fer
intracellulaire doit respecter des limites étroites, suffisante pour assurer sa fonction au
niveau de nombreuses enzymes, mais assez basse pour éviter la génération de FRO, très
nocifs (voir Chapitre 5). La régulation de l’utilisation du fer est sous le contrôle d’une
protéine, Fur, qui, associée à Fe2+, réprime de nombreux opérons, dont ceux impliqués
dans le transport du fer, par action au niveau d’une séquence de ces promoteurs appelée
boîte fur. Le sARN ryhB, synthétisé en absence de fer, inhibe l’expression de dix-huit
opérons (plus de cinquante gènes), dont les gènes codant des protéines non essentielles
ayant le fer comme cofacteur. Le gène ryhB possédant une boîte fur, son expression est
inhibée par Fur-Fe2+. De telles conditions permettent de réserver l’utilisation du fer aux
protéines essentielles, telles que les cytochromes.
Une modulation de l’activité de certaines protéines peut être produite par des
modifications post-traductionnelles, consistant ordinairement en méthylations ou
phosphorylations. Ce mode de régulation, fréquent chez les Eucaryotes, existe égale-
ment chez les procaryotes. C’est le cas de la cohorte de kinases et phosphatases modulant
l’expression de protéines impliquées dans la sporulation chez B. subtilis (§ 3.3) ou du
régulateur du cycle de reproduction de Caulobacter crescentus (voir Chapitre 3).
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147
Introduction à la microbiologie
148
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
avec d’autres protéines. La structure de ces protéines est caractérisée par la présence
d’un domaine kinase cytoplasmique et d’un ou plusieurs domaines transmembranaires
dont le fonctionnement reste peu compris, malgré de nombreuses observations souli-
gnant leur importance. Des études génomiques récentes ont étendu l’existence de ces
systèmes aux Archées et à de nombreuses Bactéries, chez lesquelles ils interviennent
dans la régulation d’importantes activités cellulaires : métabolismes central (glucides,
protéines, lipides) et spécialisé (synthèse d’antibiotiques ou d’autres molécules), divi-
sion et différenciation (morphogenèse chez Streptococcus pneumoniæ, germination de
l’endospore chez B. subtilis [§ 3.3], développement des corps fructifères chez Myxococcus
xanthus), ou encore virulence (chez des pathogènes tels Yersinia pseudotuberculosis ou
Mycobacterium tuberculosis, avec ses onze types de STPK).
149
Introduction à la microbiologie
Relâché Compacté
Domaine
périplasmique
Domaine trans-
membranaire
Domaine
HAMP
+ Attractant
Domaine
kinase + Méthylation
151
Introduction à la microbiologie
A
+CH3
CH3 R
Ligands –CH3OH
Alternateur
MCP Pi
Moteur
W A Pi B
Récepteur
MCP W A
Pi Y
CH3
ATP ADP Z
Pi
Culbute Course
B
Rotation anti-horaire
des flagelles
Rotation horaire
des flagelles
et surtout irréversible. Il se manifeste par une division asymétrique avec pour résultat
deux cellules restant associées, la cellule mère, de grande taille, et la pré-spore, plus
petite (voir Chapitre 3). Il est déclenché par l’activation, par phosphorylation, d’un régu-
lateur transcriptionnel, Spo0A, qui contrôle directement l’expression de cent vingt et un
152
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
gènes, dont l’ensemble de ceux impliqués dans la sporulation. Cette phosphorylation est
très précisément régulée par le biais d’un phospho-relais faisant intervenir différentes
kinases qui réagissent en réponse à des signaux métaboliques. Le groupe phosphoryl
est transféré, via ces protéines, au récepteur final Spo0A. Les protéines du phospho-
relais sont également contrôlées par des phosphatases qui elles aussi réagissent à des
signaux métaboliques, ce qui fait du système un ensemble très finement régulé. Spo0A
activé déclenche la programmation de la sporulation par la synthèse séquentielle de
plusieurs facteurs sigma : σH, commun aux deux cellules, puis, chronologiquement :
σF (pré-spore), σE (cellule mère), σG (pré-spore), σK (cellule mère), chacun contrôlant
l’expression de gènes différents dans leur compartiment propre. La sporulation est
donc le résultat d’un dialogue entre deux cellules, la cellule mère destinée à mourir
par autolyse, et la future spore destinée à assurer la survie de la population soumise à
carence. Si les processus sont similaires, cependant chaque espèce bactérienne sporu-
lante possède ses spécificités propres vis-à-vis des facteurs déclenchant la germination.
Chez B. subtilis la germination de la spore est déclenchée par certains métabolites tels
que des aminoacides.
4 Communications intercellulaires
4.1 Quorum sensing
Jusqu’au début des années 1970, il était implicitement admis qu’une population de
micro-organismes était homogène, chaque individu agissant pour son propre compte,
sans intercommunication. Il a été depuis établi que, dans leur ensemble, non seulement
ils s’adaptent à leur environnement physico-chimique, mais qu’ils ne sont pas sourds à la
présence d’autres organismes avec lesquels ils cohabitent. Cette perception passe par des
systèmes connus sous le nom de quorum sensing (QS), à l’œuvre dans nombre d’inte-
ractions pouvant impliquer des organismes des trois domaines du vivant, suivant des
modes opératoires variés. La première mise en évidence de QS a concerné le phénomène
de bioluminescence, une propriété propre à un organisme ou réalisée par une Bactérie
hôte, comme chez certains poissons ou calamars, dans le but d’attirer des proies ou de
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153
Introduction à la microbiologie
en AI-1 atteint un niveau suffisant pour s’associer à LuxR, qui active alors la transcrip-
tion de l’opéron lux, conduisant à une expression massive de la luminescence. Chez
tous les organismes présentant le même type de régulation, une homosérine-lactone
particulière est impliquée, avec une forte spécificité pour « son » régulateur, ce qui est
en faveur d’une action essentiellement intra-spécifique.
AHL
AHL
luminescence
154
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
est déterminé par deux peptides, ComX et CSF, dont le jeu est régi par un système QS.
ComX provoque l’autophosphorylation d’une protéine régulatrice, déclenchant ainsi
une chaîne de réactions qui induit la synthèse de l’ensemble des gènes de compétence
(régulon com). Le comportement de CSF, un peu plus complexe, passe par sa sécrétion
dans le milieu, puis sa ré-internalisation. À basse concentration, CSF favorise indirec-
tement, par un jeu de répresseurs, la compétence, alors qu’à haute concentration, par un
autre jeu de régulateurs à effets négatifs, il inhibe la voie vers la compétence et favorise
la sporulation. Seule des Bactéries à Gram+, Streptomyces utilise une γ-butyro-lactone
comme inducteur, laquelle, liée à un régulateur, est responsable de la synthèse de méta-
bolites dits spécialisés, dont les antibiotiques, produits pas ces souches.
155
Introduction à la microbiologie
d. Processus de QS inter-espèces
Des processus de QS peuvent faire intervenir des communications inter-espèces via
l’auto-inducteur. La production d’un inhibiteur d’homosérine-lactone d’autres espèces
(dont E. carotovora) par B. subtilis, dont le système QS n’utilise pas ces molécules, pour-
rait être un mode de défense. Une autre acyl-homosérine-lactone, AI-2, produite dans
les conditions naturelles par des organismes variés, pourrait constituer un senseur de
l’environnement à large spectre. Ce produit, à l’inverse d’autres homosérine-lactones,
n’est internalisé que grâce à un système de transport membranaire, pour lequel des
récepteurs ont été identifiés chez plusieurs espèces, ouvrant la voie à des relations inters-
pécifiques (on parle d’« eavesdropping », une forme d’écoute de voisinage). Des Bactéries
telles que P. æruginosa, Rhodobacter capsulatus et Rhodobacter spheroides, ne synthé-
tisent pas ce produit mais possèdent un senseur de sa présence. De même, on pourrait
envisager un rôle d’E. coli dans la pathogénèse de V. harveyi, deux hôtes de l’intestin.
AI-2 produit par E. coli peut être perçu par V. harveyi, déclenchant sa pathogénicité. La
production d’AI-2 par V. harveyi peut déclencher un système QS. Des cas d’interaction
Eucaryote/procaryotes sont aussi documentés. L’algue marine Delisea pulcra produit
des furanones, analogues de AI-1, capables d’inhiber des systèmes QS. De même la
légumineuse Medicago tronculata (voir Chapitre 7), en réponse à certaines homosérine-
lactones bactériennes de type AI-1, synthétise des facteurs stimulant cette synthèse et
inhibant celles d’homosérine-lactones de type AI-2, favorisant ainsi les espèces bacté-
riennes possédant un système QS AI-1-dépendant.
e. Le quorum quenching
Ces interactions interspécifiques suggèrent la possibilité de stratégies de lutte antimi-
crobienne grâce à la production d’AI, ce que désigne l’expression quorum quenching
(extinction du quorum), avec l’avantage majeur que ce processus n’élimine pas la
Bactérie sensible et devrait diminuer notablement l’apparition de mutants résistants.
Quelques exemples d’applications potentielles : B. subtilis inhibant la pathogénicité
d’E. carotovora quand ces deux espèces se développent sur du tabac ou de la pomme de
terre ; l’administration efficace, dans un système modèle de souris, d’antagonistes de
AI-1 de S. aureus, ou de furanones de D. pulcra (bien que leur haute toxicité ne permette
pas leur utilisation thérapeutique) ; l’ajoène, une substance produite par l’ail, se révélant
156
Chapitre 6 • Expression génique et adaptation
peuvent se détacher des cellules pouvant à leur tour coloniser d’autres surfaces.
Chez les Bactéries, l’étude génétique de certains systèmes a démontré l’intervention
de plusieurs facteurs dans l’établissement et/ou le maintien des biofilms. Dans les deux
cas les mieux étudiés, la mise en place du biofilm met en jeu des structures de la paroi
bactérienne (flagelles et pili pour P. æruginosa, curli et acide colanique pour E. coli). Un
processus de QS est déterminant dans le maintien du biofilm. Intervient également le
di-GMP cyclique, qui agit comme signal intracellulaire, chez ces deux espèces comme
chez d’autres (Yersinia pestis, S. enterica, Vibrio). Bien que les études de biofilms chez
les Archées soient peu développées, en raison de la difficulté technique de leur étude
et du faible intérêt du fait qu’il n’y a pas de pathogènes connus, il a été montré que ces
157
Introduction à la microbiologie
organismes peuvent aussi donner naissance à des biofilms, dans lesquels jusqu’à présent
aucune intervention d’un QS n’a été établie. Chez la Crenarchée Sulfolobus acidocalda-
rius, l’intervention de structures de type pili ou flagelles révèle un point commun avec
les biofilms bactériens. Chez les protistes les mécanismes intervenant dans la mise en
place de biofilms monospécifiques, partiellement compris, font appel notamment à une
adhésine, mais ceux présidant à la mise en place de biofilms mixtes restent obscurs. La
mise en place sur la plaque dentaire du biofilm mixte Candida albicans – Streptococcus
gordonii ainsi que de biofilms faisant intervenir plusieurs espèces bactériennes, fait
intervenir AI-2 produit par Streptococcus.
158
L’essentiel
159
Entraînez-vous
6.1 Quels facteurs de l’ARN polymérase interviennent dans la mise en place de l’en-
zyme pleinement fonctionnelle ?
6.2 Chez les Bactéries, quels facteurs interviennent dans la mise en place de la traduc-
tion de l’ARNm en protéines ?
6.3 Quelles sont les différences entre les ARN polymérases des Bactéries et des
Archées ?
6.4 Quel est le mode d’action de la protéine régulatrice d’un système de régulation
négatif ?
6.5 Quel est le mode d’action de la protéine régulatrice d’un système de régulation
positif ?
6.6 Expliquer pourquoi, en présence simultanée de glucose et lactose, l’opéron lactose
n’est pas exprimé.
6.7 Quels sont la structure et le mode d’action des petits ARN régulateurs des pro-
caryotes ?
6.8 Décrire un mécanisme épigénétique important observé chez les procaryotes.
6.9 Chez Bacillus subtilis, quels sont les facteurs déclenchant la sporulation ? Com-
ment est régulée l’activité de la protéine Spo0A, régulateur de l’expression des
gènes de sporulation ?
6.10 Comment le quorum sensing intervient-il dans la pathogénèse d’Erwinia caroto-
vora ?
160
Chapitre 7 Interactions
Bactéries/hôtes
Introduction
Parmi l’éventail des environnements colonisés par les procaryotes figurent des plantes et
des animaux, avec lesquels ils peuvent établir des interactions biotiques, ou symbioses,
selon trois types principaux : le mutualisme (association à bénéfices réciproques), le com-
mensalisme (un seul partenaire tire avantage de l’association sans nuire aux autres), et
le parasitisme (symbiose dont l’un des partenaires bénéficie au détriment du second).
Les micro-organismes partenaires d’une symbiose sont dits symbiotes (ectosymbiotes et
endosymbiotes suivant qu’ils vivent à la surface ou à l’intérieur de l’hôte), et leurs parte-
naires eucaryotes hôtes. Bien que majoritairement à deux partenaires, certaines symbioses
peuvent concerner plusieurs symbiotes, et même des symbiotes de symbiotes. L’entité
formée par un hôte et ses symbiotes forme un holobionte.
Objectifs Plan
Connaître les différents types d’interactions 1 Le mutualisme
hôtes/bactéries 2 Le commensalisme
Identifier les différentes étapes du cycle 3 Le parasitisme
infectieux
Définir les notions de symbiose, mutualisme,
commensalisme et parasitisme, de
microbiote, cycle infectieux, virulence et
pouvoir pathogène
Expliquer les bases du dialogue moléculaire
sous-tendant les interactions hôte/bactéries
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1 Le mutualisme
Le mutualisme peut concerner la nutrition ou d’autres aspects de la relation entre parte-
naires. Cette relation, obligatoire ou non, peut affecter de manière différente chacun des
partenaires.
161
Introduction à la microbiologie
162
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
A B
Embryon
Stade asymbiotique Branchies
Vaisseau Capillaire
sanguin
Larve trochophore
Trophosome
Infection Trophosome
Tube
Tube Capillaire
Stade H2S/O2Nutriments
symbiotique CO2
Larve Libération
Infection des endosymbiotes Bactéries
spécifique
par les symbiotes Adulte p l o de l’ e endosymbiotiques
ragine, qui seront transportés dans le xylème et diffuseront dans toute la plante. Chaque
nodule contient environ 109 cellules de rhizobium, dont environ 107 sont capables de
survivre dans le sol une fois libérées à la mort du nodule, jusqu’à un prochain cycle de
symbiose (transmission horizontale). Ce processus joue donc un rôle important dans
la dynamique des populations de rhizobiums dans le sol. Les associations Rhizobia-
légumineuses se font selon un spectre d’hôte strict, une composante très importante
des relations symbiotiques. Ainsi, Sinorhizobium meliloti « nodule » la luzerne Medicago
truncatula mais pas le haricot (Phaseolus vulgaris), et inversement pour Rhizobium etli.
S. meliloti et R. etli ont des spectres d’hôtes très étroits ; d’autres en ont de beaucoup
plus larges, tel Sinorhizobium fredii NGR234, qui nodule plus de cent douze genres de
légumineuses. Ces spécificités sont déterminées au cours des nombreuses étapes qui
conditionnent la mise en place des symbioses.
163
Introduction à la microbiologie
Poil absorbant
Flavonoïdes
Chémoattractants
Glucomannane
Lectine
Courbure
des poils
absorbants
Nodule
Cordon de Cordon
pré-infection d’in e ion
Symbiosome
Export
O2 NH3 NH4+ Gln Asn vers
le xylème
Acides ATP, e-
dicarbo-
xyliques
Cytoplasme végétal
moyen de l’insecte (voir Figure 7.3). Si de nombreuses Bactéries sont libres dans l’in-
testin postérieur, d’autres sont attachées aux protozoaires ou même hébergées dans leur
cytoplasme. Il s’agit donc d’ectosymbiotes et d’endosymbiotes d’endosymbiotes ! Le
protozoaire endosymbiotique Trichonympha agilis du termite inférieur Reticulitermes
speratus héberge ainsi de façon permanente deux espèces de Bactéries, Candidatus
Endomicrobium trichonymphae et Candidatus Desulfovibrio trichonymphae. L’ana-
lyse des génomes de ces deux Bactéries a montré qu’elles contribuent spécifiquement
l’une à la fermentation des monosaccharides pour produire de l’acétate, du CO2 et de
l’H2, l’autre à la biosynthèse de plusieurs acides aminés et cofacteurs, et à l’oxydation de
l’hydrogène. Cette consommation d’hydrogène permet de limiter la teneur en H2 à un
niveau non inhibiteur pour les autres fermentations.
165
Introduction à la microbiologie
Hôte
Endoglucanases Protozoaires
β-glucosidases flagellés
Exoglucanases
Endoglucanases
Glande β-glucosidases
salivaire .
........
. ......
Bactéries
Production NH3, H2 et CO2
Mandibules
Glucose Archées
Production CH4
Acides gras
Gésier à chaînes courtes
Fécès
Bois Bioma (riches en lignine)
sse
(lignocellulose) + +
Hôte biomasse
Trophallaxie proctodéale
Figure 7.3 – La digestion du bois par les termites « inférieurs » (D’après A. Brune, 2014)
La dégradation du bois repose sur les activités cellulolytiques de l’hôte et de ses
endosymbiotes localisés dans l’intestin postérieur. L’insecte découpe le bois grâce
à ses mandibules pour produire des particules qu’il ingurgite. Ces particules sont
dégradées dans l’intestin moyen par des enzymes produites par les glandes salivaires
et broyées au niveau du gésier. Le glucose produit dans l’intestin moyen est absorbé
au niveau de l’épithélium. Les particules partiellement digérées arrivent dans l’intes-
tin postérieur où elles sont phagocytées par les protozoaires flagellés qui les hydro-
lysent grâce à leur cocktail très actif de cellulases et d’hémicellulases produit dans
des vacuoles digestives. Les produits de fermentations ainsi obtenus, du CO2, de
l’H2, des acides gras à chaînes courtes (acétate) sont absorbés par l’hôte. Les résidus,
très riches en lignine, sont évacués sous forme de fèces. Une partie de la biomasse
microbienne très importante produite dans l’intestin postérieur est transmise par tro-
phallaxie aux autres termites présents dans le nid. Il s’agit d’un comportement social,
les termites sollicitant leurs congénères pour qu’ils produisent des gouttelettes de
fluide de l’intestin postérieur remplies d’endosymbiotes qu’ils « boivent ». La bio-
masse ainsi réabsorbée est digérée dans les intestins antérieurs et moyens, produi-
sant des vitamines et des acides aminés récupérés par l’hôte. Au cours de cette
dégradation de l’acide urique riche en azote est produit, et déversé dans l’intestin
postérieur où des bactéries le transforment en ammoniac qui va être assimilé par
la communauté microbienne. Parallèlement, d’autres bactéries présentes dans les
protozoaires fixent l’azote atmosphérique ; l’ammoniac produit sera assimilé par le
protozoaire, pour former des acides aminés, ce qui complète le cycle de l’azote chez
l’holobionte. Les Archées présentes dans l’intestin combinent l’hydrogène et le CO2
produits par les autres endosymbiotes pour synthétiser du méthane.
166
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
doit être assez intense pour que la contre-illumination soit effective. Un seul opéron de
A. fischeri, lux, code la luciférase, l’enzyme impliquée dans la production de lumière,
les enzymes produisant les substrats de la luciférase, et l’auto-inducteur qui contrôle
le QS, ce qui permet de coupler la production de lumière et le phénomène de QS (voir
Chapitre 6).
Un contrôle circadien, actif sur le calamar et les bactéries, permet de ne déclencher
la bioluminescence qu’en début de nuit, quand les calamars partent se nourrir. Juste
avant l’aube, le calamar expulse plus de 90 % des bactéries des cryptes, ce qui bloque le
processus de QS, et la luminescence par voie de conséquence. Parallèlement un remo-
delage du cytosquelette des cellules de la crypte leur fait perdre leurs microvillosités.
167
Introduction à la microbiologie
Les bactéries restantes reprennent leur croissance, dans un premier temps grâce à une
respiration anaérobie fondée sur l’utilisation des constituants membranaires de l’hôte.
Pendant ce temps, les cellules des cryptes retrouvent leurs microvillosités. Vers midi, les
bactéries changent de métabolisme pour fermenter la chitine. Cette alternance permet
de réguler la taille des populations du symbiote, donc le QS, et de synchroniser l’en-
semble avec l’alternance jour-nuit.
A B
1
2
168
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
plus de 40 % d’entre eux, et dans environ 60 % des espèces d’insectes). Ces Bactéries
peuvent être transmises de manière verticale ou horizontale. Elles sont surtout connues
pour leur rôle dans la manipulation de la reproduction chez les arthropodes, dont l’effet
varie selon les espèces d’insectes et les souches de Wolbachia. Au moins quatre modes de
manipulation sont connus. Les Wolbachia peuvent induire une parthénogenèse abou-
tissant à la féminisation de la population de l’hôte, entraîner la mort de la descendance
mâle des hôtes femelles infectées, ou la féminisation des mâles en inhibant la produc-
tion des hormones masculinisantes lors du développement. Enfin, certaines souches
de Wolbachia peuvent provoquer une incompatibilité cytoplasmique : une femelle non
infectée sera infertile si fécondée par un mâle infecté ; seules les femelles infectées pour-
ront donc se reproduire avec des mâles infectés. Dans tous les cas le sex-ratio de la
population penche en faveur des femelles, et particulièrement des femelles infectées.
L’ensemble de ces altérations favorise la propagation de Wolbachia dans les populations
d’arthropodes. L’infection par Wolbachia pourrait aussi augmenter la fécondité des
insectes infectés.
L’association particulière entre les insectes et Wolbachia se reflète dans l’existence
de nombreux échanges de gènes (TGH) entre les Wolbachia et leurs hôtes. Ce processus
semble atteindre son paroxysme chez la mouche des fruits Drosophila ananassæ, dont le
génome contient l’intégralité du génome de Wolbachia pipientis. S’agit-il de parasitisme
ou de mutualisme ? La question fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats. Toutefois,
il a récemment été établi que les infections par Wolbachia pouvaient conférer à certains
moustiques et certaines drosophiles une meilleure résistance à des virus à ARN, des
bactéries pathogènes ou encore Plasmodium, l’agent du paludisme. Il est même proposé
d’utiliser l’infection par Wolbachia pour lutter contre certaines maladies humaines
transmises par des moustiques de la famille des Aedes et provoquées par des virus à
ARN, telles que le Chikungunya ou la Dengue.
2 Le commensalisme
Les plantes et les animaux vivent en association avec une multitude de micro-organismes,
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169
Introduction à la microbiologie
170
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
171
Introduction à la microbiologie
A
Période prénatale Période postnatale
172
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
L’étude systématique à très grande échelle du microbiote humain n’en est vraiment
qu’à ses débuts. Des avancées fascinantes devraient voir le jour très prochainement.
L’utilisation d’animaux modèles (la souris ou le poisson zèbre) devrait également
permettre de mieux comprendre les implications du (des) microbiote(s) dans la santé,
en particulier humaine.
Phyllosphère
e
d
c a
Rhizosphère b
Biodiversité
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Sol
173
Introduction à la microbiologie
de terre, tomate, canne à sucre, soja, riz). Les Bactéries sont très abondantes dans les
communautés associées aux plantes, mais d’autres micro-organismes (algues, proto-
zoaires), des nématodes et même des virus sont présents. Seules quelques règles générales
peuvent être déduites de ces études, du fait qu’elles ont été réalisées dans des conditions
très différentes et suivant des protocoles très variés.
Quelques phylums semblent dominer la flore bactérienne associée aux plantes :
des Proteobacteria, Actinobacteria et Bacteroidetes, et dans une moindre mesure des
Firmicutes. La composition des microbiotes de la rhizosphère et de l’endosphère, chez
Arabidopsis et le riz, diffère de celle du sol environnant, avec une tendance à un appau-
vrissement du sol vers la rhizosphère puis l’endosphère, le site le plus pauvre en taxons.
La plante influencerait donc la composition de son microbiote. Chez Arabidopsis, de
manière intéressante, les microbiotes des feuilles et des racines montrent de fortes simi-
litudes. Il semble que la nature du sol et les conditions climatiques puissent également
influencer la composition des microbiotes végétaux. Le microbiote semble influer sur son
hôte en jouant un rôle dans sa résistance à différents stress abiotiques, tels que séche-
resse, inondations, fortes teneurs en sel, ou contaminations par des métaux lourds, son
développement en augmentant la part de nutriments accessibles dans le sol (phosphore,
fer), ou en modifiant son architecture racinaire. Comme c’est le cas chez l’Homme, il
peut protéger les plantes contre les attaques par des pathogènes, selon plusieurs méca-
nismes : une compétition pour la niche ou les nutriments, la production d’antibiotiques
ou d’enzymes dégradatives, l’inhibition de la virulence. Certains microbiotes, ou des
Bactéries contenues dans ceux-ci, peuvent activer des voies de défenses des plantes,
cette activité étant elle-même indispensable au développement normal du microbiote.
Le défi consiste maintenant à mieux comprendre ces relations plantes-microbiote(s),
pour améliorer la croissance et la production des plantes d’intérêt agricole, ainsi que
leur résistance aux maladies.
174
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
3 Le parasitisme
Le parasitisme est une symbiose dont l’un des partenaires tire parti au détriment du
second. Si des modifications physiologiques et/ou développementales de l’organisme
atteint sont provoquées par un micro-organisme parasite ou ses produits (toxines) on
parlera de maladie infectieuse. Notons que le terme infection s’applique non seulement
aux maladies provoquées par des micro-organismes parasites, dits pathogènes, mais
aussi à des associations avec des micro-organismes mutualistes tels que les rhizobiums
ou A. fischeri.
causal d’une maladie. Parallèlement il est important d’en analyser la pathogénie, les
processus conduisant au développement de la maladie. Les maladies infectieuses sont
naturellement heureusement assez exceptionnelles, reflétant d’une part un équilibre
entre le pouvoir pathogène d’un organisme et les mécanismes de défenses de l’hôte
(animaux et plantes) (immunité), et d’autre part le fait que seul un très petit nombre de
Bactéries (quelques centaines d’espèces), aucune Archée, et seuls quelques protistes, sont
pathogènes (voir Chapitre 1). Les personnes immunodéprimées sont plus sensibles aux
agents pathogènes et pourront même être infectées par des agents pathogènes oppor-
tunistes, normalement incapables d’infecter des hôtes sains.
175
Introduction à la microbiologie
Parallèlement, les différentes souches d’un agent pathogène peuvent montrer des
degrés variés de virulence. Ce sont L. Pasteur et R. Koch qui ont établi au xixe siècle les
bases de la microbiologie médicale moderne (Fiche Introduction). L. Pasteur a démontré
le rôle des « germes » dans les modifications de la matière organique. Les travaux de
R. Koch sur l’anthrax, une maladie du bétail qui peut atteindre l’Homme, ont montré
pour la première fois qu’une maladie infectieuse pouvait être provoquée par une Bactérie,
dans ce cas Bacillus anthracis. R. Koch a aussi identifié Mycobacterium tuberculosis
comme l’agent responsable de la tuberculose (1882). Cette maladie est aujourd’hui encore
la première cause mondiale de décès due à un agent infectieux unique (10,4 millions de
cas en 2016 avec plus d’un million de morts, dont respectivement 5 000 et environ 500
en France), devant le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). Ces travaux ont
amené R. Koch à développer un protocole expérimental, le postulat de Koch, qui fait
encore référence en étiologie, utilisé pour déterminer la nature microbienne de l’agent
causal d’une maladie :
– L’agent soupçonné doit être trouvé chez tous les individus atteints.
– Cet agent doit pouvoir être isolé et purifié à partir d’un organisme malade.
– Son injection à un organisme sain sensible (animal ou plante), doit déclencher la
même maladie.
– Il faut pouvoir réidentifier le micro-organisme injecté chez l’organisme malade ino-
culé expérimentalement. Ce postulat n’est pas applicable tel quel dans tous les cas,
par exemple si l’agent pathogène n’est pas cultivable in vitro (comme Mycobacte-
rium lepræ, l’agent de la lèpre). La disponibilité de méthodes moléculaires a depuis
permis de caractériser (et d’identifier) de tels pathogènes, et des virus.
Deux autres évolutions constituent des préoccupations majeures actuelles en santé
humaine. L’apparition de souches bactériennes multirésistantes aux antibiotiques. C’est
le cas de M. tuberculosis : bien que les traitements actuels permettent de soigner plus de
86 % des cas, l’OMS a déclaré en 2016 490 000 nouvelles infections dues à des souches
multirésistantes, qui se sont traduites par le décès d’environ 200 000 personnes. L’autre
problème concerne les infections nosocomiales, c’est-à-dire les infections contractées
à l’hôpital. En France leur prévalence s’élève à environ 5 % des patients hospitalisés,
entraînant environ 4 000 décès par an. Les plus fréquentes sont des infections urinaires,
des pneumonies, des infections du site opératoire et des infections généralisées (septi-
cémies, bactérémies). Les principaux agents responsables de ces infections sont des
pathogènes opportunistes comme E. coli, Staphylococcus aureus, Enterococcus faecalis
ou Pseudomonas aeruginosa. Ces infections peuvent s’expliquer par l’intégration de
plusieurs facteurs :
– l’état d’affaiblissement des patients hospitalisés ;
– la réunion de personnes malades ;
– la présence et l’évolution de micro-organismes dans le milieu hospitalier ;
– la présence de chaînes de transmission en milieu hospitalier (personnels, maté-
riels, etc.).
176
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
Transmission
Aérosols
Contact direct ou indirect
Vection passive ou active
Adhésion
Réservoir / Source
Invasion des cellules
Colonisation Hôte
Acquisition nutriments
Maladie / Mutualisme
certaines étapes clefs de la pathogénie, comme l’entrée dans les cellules de l’hôte pour les
pathogènes intracellulaires, ou l’induction de l’apoptose de certaines cellules de l’hôte.
L’utilisation de cette « biologie cellulaire ex vivo » animale permet de mener des études à
grande échelle sans sacrifice d’animaux de laboratoire. En phytopathologie, la biologie
cellulaire a joué un rôle moins important à cette période. Les travaux ont souvent débuté
par la construction de banques de mutants d’agents pathogènes destinées à isoler des
variants incapables de provoquer la maladie chez les plantes hôtes, ces dernières étant
cultivées en grand nombre en serre ou en chambres de culture. Les gènes mutés ont
ainsi pu être identifiés, et la fonction de nombre d’entre eux déterminée (années 1990),
permettant de dessiner une image très fine des interactions. Les progrès en microscopie,
177
Introduction à la microbiologie
178
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
a. Yersinia
Le genre Yersinia, une Bactérie à Gram– pathogène pour l’Homme, compte dix-
sept espèces, dont trois pathogènes. Y. pestis, l’agent de la peste pour l’Homme, a pour
réservoir principal les rongeurs, en particulier le rat noir Rattus rattus. La Bactérie
peut survivre dans les terriers de ces rongeurs et être transmise à l’Homme par la puce
Xenopsylla cheopis (vecteur) du rat (voir Figure 7.8). Après morsure d’un rongeur conta-
miné par une puce, les bactéries récupérées par l’insecte forment un biofilm au niveau
de la valve entre son œsophage et son intestin moyen. Ce biofilm bloque le flux de sang
prélevé par celle-ci lors de son alimentation, ce qui l’affame et la rend plus agressive et
capable de s’en prendre aux humains. Lorsqu’elle mord un humain, la puce infectée
régurgite le sang et une grande quantité de bactéries au niveau du derme (inoculation
sous-cutanée). Les Bactéries, qui ne sont pas tuées par les macrophages humains, vont
Yersinia enterocolitica
Poumons
Porc Absorption orale Gouttelettes
Yersinia pseudotuberculosis Peste pulmonaire
Sang
Légumes Ganglions
lymphatiques
Cellule M / intestin grêle
Yersinia Peste bubonique
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Ganglions lymphatiques
mésentériques
Puce
Infection localisée
Yersiniose
(foie/rate) Rongeur
179
Introduction à la microbiologie
b. Listeria monocytogenes
Listeria monocytogenes, l’agent étiologique de la listériose, une Bactérie à Gram
positif, se trouve communément dans le sol, l’eau et les détritus, mais peut également
être isolée de divers aliments (lait, fromages à pâte molle, sandwiches, plats cuisinés,
fruits et légumes frais). Elle est capable de croître à la température du réfrigérateur sur
les aliments en conservation. Elle infecte de nombreux animaux (oiseaux, ruminants,
rongeurs). C’est un pathogène opportuniste de l’Homme, qui se développe principale-
ment chez les personnes immunodéprimées, les personnes âgées, les femmes enceintes,
leur fœtus et les nouveau-nés. Bien que le nombre d’infections annuelles soit relati-
vement faible (~23 000), la mortalité est très élevée (20 à 30 %), ce qui en fait un des
pathogènes très préoccupants pour l’industrie agroalimentaire. Après ingestion, la
Bactérie gagne l’épithélium intestinal par phagocytose, traverse la barrière intestinale et
gagne ses organes cibles (foie et rate) via la lymphe ou le flux sanguin. L. monocytogenes
peut traverser la barrière hémato-encéphalique chez les personnes immunodéprimées,
provoquant des méningites, et la barrière fœto-placentaire chez les femmes enceintes,
provoquant des avortements, des accouchements prématurés et/ou des septicémies chez
les nouveau-nés (voir Figure 7.9).
c. Pseudomonas syringæ
Pseudomonas syringæ, Bactérie phytopathogène à Gram − , provoque des maladies
(nécroses, taches, chancres) sur les feuilles, les tiges, les gousses ou les fruits des végétaux.
180
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
Lamina
propia
Lymphe
Sang
Rate
Foie
Barrière fœto-placentaire
Barrière hémato-céphalique
Les souches sont classées en pathovar (pv.) sur la base des plantes hôtes sur lesquelles
elles ont été isolées et pour lesquelles elles sont pathogènes (P. syringæ pv. tomato infecte
la tomate, P. syringæ pv. phaseolicola le haricot commun, Phaseolus vulgaris L). Cette
Bactérie épiphyte est fréquente à la surface des feuilles de plantes sauvages (de 102 à 104
bactéries par cm2), mais également dans les rivières, les lacs et les eaux souterraines des
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zones tempérées (jusqu’à environ mille bactéries.L −1), les nuages, les précipitations et
les aérosols surmontant la canopée, dans le manteau neigeux des régions alpines et les
litières végétales immédiatement inférieures. Il a été proposé que son cycle de vie soit
intimement lié à celui de l’eau : grâce à une protéine présente à sa surface qui favorise la
formation de cristaux, elle possède une activité de nucléation de la glace à des tempéra-
tures de l’ordre de −2 à −8 °C, auxquelles la glace ne se forme pas seule. Cette capacité
pourrait intervenir dans le déclenchement de précipitations qui permettraient le retour
des bactéries à la surface des feuilles hôtes, dans lesquelles elles doivent pénétrer pour
accomplir leur cycle infectieux (Fig 7.10).
181
Introduction à la microbiologie
Manteau
neigeux
Ruisseau
Lac Canal
Eau souterraine d’irrigation b
stomate Pseudomonas syringae
Figure 7.10 – Infection d’une plante par Pseudomonas syringæ (D’après C.E.
Morris et al., 2013)
A. Cycle de transmission et cycle de l’eau (les flèches indiquent les mouvements
des bactéries). B. Feuille en coupe infectée par P. syringæ. (a) Les Bactéries peuvent
entrer dans les plantes à la faveur de blessures naturelles ou provoquées par leur
activité de nucléation de la glace ; (b) Certains pathovars peuvent induire l’ouver-
ture des stomates grâce à une toxine, la coronatine, qui, en mimant une hormone
végétale (le jasmonate) entraîne l’ouverture des stomates, des pores présents à la
surface des feuilles impliqués dans les échanges gazeux, par lesquels les bactéries
vont entrer. À l’intérieur des feuilles, les bactéries présentes dans l’apoplaste (espace
entre les cellules végétales) s’y multiplient, provoquant les symptômes de la maladie.
182
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
pathogène et le déploiement des systèmes de garde mis en place par les plantes, reflétant
une co-évolution continuelle entre les agents pathogènes et leurs hôtes.
Le LPS, PAMP des trois souches de Yersinia pathogènes pour l’Homme, est diffé-
rent et moins immunogène quand il est produit à 37 °C (hôte mammifère) qu’à 26 °C.
Cette capacité permet à la Bactérie d’être moins facilement détectée par l’immunité
innée de l’hôte. Par ailleurs, ces trois souches ne déclenchent pas la production de cyto-
kines lors d’infection de macrophages en culture, et inhibent la phagocytose. En outre,
elles partagent plusieurs caractéristiques liées à la présence d’un plasmide, pYV, dont
une incapacité de croissance à 37 °C en milieu pauvre en calcium et la production de
longs filaments composés de huit protéines Yop (Yersinia Out Proteins) sécrétées dans
le milieu.
183
Introduction à la microbiologie
L’appareil de sécrétion, formé par les protéines Ysc et Lcr, codées par pYV, dit de type
III (SST3), diffère des systèmes de types I et II caractérisés jusqu’alors (voir Chapitre 3)
(voir Figure 7.11). L’analyse fonctionnelle de SST3 a permis d’établir la relation entre
sécrétion des protéines Yop et inhibition de la production des cytokines et de l’acti-
vité anti-phagocytaire. La découverte du rôle de SST3 dans l’injection (translocation)
de certaines protéines Yop à l’intérieur des cellules animales représente une avancée
conceptuelle majeure en pathologie, puisqu’elle montre que des agents pathogènes non
intracellulaires peuvent « agir » à l’intérieur des cellules hôtes grâce à ces systèmes
d’injection. Le SST3 de Yersinia est devenu le paradigme de ces systèmes. Il comprend
une aiguille creuse à l’intérieur de laquelle les effecteurs Yop transitent, dont la longueur
est finement régulée pour être compatible avec l’espace existant entre les Bactéries et les
cellules hôtes, espace déterminé par les systèmes d’attachement. L’aiguille se termine
par une structure, dite translocon, qui crée un pore dans la membrane plasmique des
cellules hôte (voir Figure 7.11). L’analyse des protéines Yop, encore en cours, a permis
de montrer leur fonction d’effecteurs (voir Chapitre 6) actifs sur plusieurs fonctions
de l’hôte : quatre protéines Yop altèrent l’activité du cytosquelette, inhibant ainsi
Cytoplasme Cytoplasme
cellule végétale cellule hôte
Translocon Membrane
HrpK1 Membrane
cellule hôte
Filament Coiffe
YopBD Translocon
Paroi
LcrV FliC
HrpA
YscF
FliD
Pilus Aiguille
Espace Espace FlgE Crochet
extracellulaire extracellulaire Espace extracellulaire
FlgH Membrane externe
HrcC YscC
FlgI
Cytoplasme
HrcN YscN FliI
HrpO YscO
Effecteur FliJ
HrpE Effecteur YscL
FliH
HrpD YscK
SST3 de SST3 des SST3 des
Pseudomonas syringae Yersinia flagelles
184
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
Yersinia
Récepteurs
YopB et YopD
Adhésines PAMPs
Forment le translocon
Fak TRL
YopE, YopO et YopT Rho
Inactivation des Rho GTPases YopB et YopD Perception des
Dépolymérisation des PAMPs par les TRL
filaments d actine
Inhibent la phagocytose J
E H
par les macrophages T YopJ
YopH l B
O
YopH NF B
Déphosphorylation des complexes YopE, YopO M ?
d adhérence locale et YopT
Inhibe la phagocytose
par les macrophages
Réponse pro-
YopJ inflammatoire
Cellule hôte Cytokines
Inhibe la libération de NF B
NF B
Inhibe la production
de cytokines
Pas de réponse
pro-inflammatoire Cytoplasme Noyau
Figure 7.12 – Fonctions des effecteurs Yop des Yersinia pathogènes pour
l’Homme
certainement du fait qu’elle doit traverser l’épaisse paroi des cellules végétales (voir
Figures 7.11 à 7.13), et le translocon. Le nombre d’effecteurs est beaucoup plus impor-
tant que chez les Yersinia (vingt-huit chez la souche P. syringæ pv. tomato DC3000, tous
injectés par le SST3), et diffère en répertoires, nombre et spécificité entre souches. Ces
effecteurs ont souvent des fonctions redondantes, ce qui rend leur étude difficile. La
souche Psto-DC3000 a servi de modèle car elle est pathogène sur tomate et sur la plante
modèle A. thaliana, qui a servi de modèle pour la plupart des résultats décrits ci-dessous.
Parallèlement à la coronatine qui intervient dans l’ouverture des stomates, quatre effec-
teurs de P. syringæ (AvrB, HopBB1, HopXA et HopZ1a) participent à ce processus, ce
qui démontre l’importance de cette étape pour l’entrée des Bactéries. D’autres effecteurs
185
Introduction à la microbiologie
1 Effecteurs 1 Effecteurs
AvrPto AvrPt2
AvrPtoB PRRs Rin4 PRRs
Rin4 RPS2
2 PTI :
PAMP-Triggered 2 X
HopF2 RPS2 3
Immunity Rin4
Voie MAPK Voie
HopAI1 ETI :
MAPK Effector-Triggered
3 HopR1
Cytoplasme Défenses Cytoplasme Immunity
HopM1 4 HR
4
5
Noyau Expression
gènes de défense Noyau Expression
gènes de défense
Paroi cellule Arabidopsis Paroi cellule Arabidopsis
Maladie 1 Résistance
186
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
pour des protéines cytoplasmiques de type NLR. Un système de garde donné n’est pas
présent chez toutes les variétés d’une plante, mais s’il est présent, il permet la détection
des modifications d’éléments clefs de la PTI, ce qui déclenche l’ETI. Les plantes résistent
alors à la maladie. Ainsi, la protéine de résistance RPS2 qui garde RIN4 n’est pas présente
dans toutes les lignées d’Arabidopsis, mais si elle est présente et qu’un agent pathogène,
par son activité, modifie RIN4, alors il y aura déclenchement de l’ETI et résistance à la
maladie. Dans notre exemple, c’est donc l’effecteur AvrRpt2 qui déclenche l’ETI. C’est
pour cela que l’on parle d’immunité induite par les effecteurs. Toutefois, les choses
peuvent encore se complexifier. En effet, un autre effecteur de Psto-DC3000, HopF2,
interagit avec RIN4 et empêche sa dégradation par AvrRpt2. Dans les souches possé-
dant à la fois AvrRpt2 et HopF2, l’ETI est inhibée, ce qui va permettre la progression
de la maladie. Il y aurait une véritable course en avant chez le pathogène pour contrer
le déploiement des systèmes de garde mis en place par les plantes, et une coévolution
continuelle entre agents pathogènes et hôtes.
Le pouvoir pathogène de L. monocytogenes, qui ne possède pas de SST3, passe
par son internalisation par les cellules phagocytaires ou non phagocytaires (voir
Figure 7.14). Dès le contact Bactérie-hôte et durant le processus d’internalisation,
ses PAMP déclenchent les voies de défenses contrôlées par les récepteurs de type Tol,
qui conduisent à l’induction des gènes de la réponse pro-inflammatoire. Il semble
que la plupart des bactéries soient tuées lors de la fusion des phagosomes et des lyso-
somes, ce qui génère la production d’antigènes et le déclenchement des réponses des
cellules T CD4+. Toutefois, dans certaines conditions, une fois dans ces vacuoles, les
bactéries produisent deux phospholipases (PlcA et PlcB), une listériolysine (LLO) et
une lipoprotéine (PplA) qui provoquent la rupture des vacuoles par production de
pores et dégradation des lipides membranaires (voir Figure 7.14Ba). Cela libère les
bactéries dans le cytoplasme des cellules hôtes. Certaines bactéries sont lysées, ce
qui déclenche l’inflammasome et d’autres voies de défense comme la voie STING
(Stimulator of INterferon Genes) spécifiquement induite par la présence d’ADN dans
le cytoplasme (voir Figure 7.14Bc). De manière paradoxale, l’induction de cette voie de
défense a un effet négatif sur l’immunité contre L. monocytogenes. Les Bactéries qui
survivent produisent des molécules qui vont également inhiber les voies de défense. Il
s’agit par exemple de l’internaline InlC qui inhibe la voie NFkB (voir Figure 7.14Bd),
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ou encore d’un dinucléotide, le di-AMP cyclique qui interfère avec la voie STING
et la protéine RECON (une enzyme du foie) (voir Figure 7.14B). Parallèlement, les
Bactéries présentes dans le cytoplasme produisent à leur surface une protéine, ActA,
qui, en interagissant avec le complexe Arp2/3, induit la polymérisation des filaments
d’actine (voir Figure 7.14Bb). Ceux-ci forment une queue en comète à la base des
cellules bactériennes, les propulsent à l’intérieur des cellules hôtes et permettent même
leur passage d’une cellule à une autre. Par ailleurs, lors de l’infection des cellules en
gobelet, les cellules de L. monocytogenes restent dans les vacuoles d’endocytose et
ressortent par transcytose, ce qui permet le passage rapide de la barrière intestinale
(voir Figure 7.14B).
187
Introduction à la microbiologie
A Listeria
monocytogenes
InlA InlB
Membrane
E-cadhérine Cellule hôte
MET
Entérocyte Cellule
Cellule en gobelet hépatique
B PAMP
Listeria monocytogenes
Cellule en TLR
gobelet
c-di-AMP
a d lnlC
c
PlcA
Transcytose PlcB ADN c-di-AMP
Actine
LlO
PlpA RECON l B
b STING NF B
ActA
X
Noyau Cytokines
Noyau LntA
Comme nous l’avons vu ici, le contournement des défenses de l’hôte est une étape
très importante, qui repose sur la production d’effecteurs ou de molécules qui vont
être capables d’agir à l’intérieur des cellules de l’hôte, que ce soit par l’intermédiaire
d’un système d’injection ou suite à l’entrée des Bactéries à l’intérieur des cellules de
188
Chapitre 7 • Interactions Bactéries/hôtes
l’hôte. Cette bataille se joue donc en grande partie dans le cytosol des cellules de l’hôte.
Toutefois, certains effecteurs peuvent même gagner le noyau des cellules hôtes pour en
modifier l’expression. C’est par exemple le cas de la nucléomoduline LntA de L. mono-
cytogenes. Cette protéine interagit avec la protéine BAHD1 de l’hôte, un répresseur
de la chromatine. Son interaction avec LtnA se traduit par la dérépression de gènes
d’interférons, ce qui paradoxalement bénéficie à la Bactérie. Chez Yersinia, la protéine
YopM pourrait également agir dans le noyau des cellules hôtes. Toutefois, ses cibles et
ses effets sont encore inconnus. Chez P. syringæ, aucun effecteur ne semble agir dans le
noyau. Cependant, chez d’autres Bactéries phytopathogènes comme Xanthomonas ou
Ralstonia solanacearum, des effecteurs, les TAL (Transcription Activator Like), injectés
par les SST3 de ces Bactéries, agissent directement dans le noyau des cellules hôtes où
ils activent l’expression de gènes spécifiques.
sont aussi capables. Ces systèmes contrôlent également la pathogénie des bactéries qui
en possèdent. Enfin le système de sécrétion ESX-1 de type VII, spécifique de M. tubercu-
losis, bien que n’étant pas vraiment un système d’injection, agit à l’intérieur des cellules
infectées en permettant la sécrétion d’effecteurs qui déclenchent la lyse des membranes
des phagosomes et la suppression de l’immunité.
En règle générale, les gènes codant ces différentes nano-machines forment des
clusters, ou îlots de pathogénicité (voir Chapitre 4), qui peuvent être portés par des
plasmides (chez les Yersinia pathogènes pour l’Homme) ou localisés sur le chromosome
(P. syringæ). Les analyses phylogénétiques ont montré qu’ils pourraient résulter de
transferts horizontaux. Les effecteurs de ces systèmes peuvent être codés par des gènes
189
Introduction à la microbiologie
appartenant à ces îlots, mais dans de nombreux cas sont éparpillés dans le génome. Si
les constituants de ces « machines » sont conservés entre différentes Bactéries, le nombre
et la nature des effecteurs sont variables et caractéristiques de chaque agent pathogène.
Les contraintes évolutives ayant permis leur émergence reposent vraisemblablement
sur la nécessité de pouvoir délivrer plusieurs effecteurs dans une seule et même cellule,
caractéristique très difficile à atteindre par les mécanismes plus simples utilisés par
les exotoxines. Ces systèmes complexes semblent dans la plupart des cas avoir dérivé
de systèmes impliqués dans des interactions inter-bactéries ou avec l’environnement
(SST3).
La découverte de ces systèmes de sécrétion et les études sur L. monocytogenes ont
permis de comprendre des processus fondamentaux non seulement en microbiologie
mais aussi en immunologie et en biologie cellulaire. Les connaissances acquises sur
ces systèmes et leurs effecteurs permettent d’envisager des applications thérapeutiques
complètement nouvelles, fondées sur leur inactivation par des inhibiteurs spécifiques
ou par l’intermédiaire d’anticorps dirigés contre des composants clefs. Parallèlement,
il est envisagé d’utiliser ces systèmes pour administrer des antigènes et développer de
nouveaux vaccins, ou pour délivrer des enzymes dans des cellules déficientes, faire de
l’édition de gènes ou encore cibler des cellules cancéreuses. Il est également proposé
d’utiliser certains effecteurs pour soigner des maladies. Ce n’est donc que le début d’une
nouvelle histoire initiée dans les années 1980.
190
L’essentiel
191
Entraînez-vous
7.1 Donner la définition des termes symbiose, mutualisme, commensalisme et para-
sitisme.
7.2 Décrire les grandes étapes du cycle d’une Bactérie infectieuse.
7.3 Comment définir le terme microbiote ?
7.4 Quels phyla bactériens dominent le microbiote intestinal humain ?
7.5 Quel(s) rôle(s) joue le microbiote intestinal chez l’Homme ?
7.6 Nommer et décrire les spécificités des molécules bactériennes qui déclenchent
l’immunité innée.
7.7 Quelle est la fonction principale des systèmes de sécrétion de type 3 des Bactéries
pathogènes ?
7.8 Décrire le postulat de Koch.
7.9 Expliciter les différences entre pouvoir pathogène et virulence.
7.10 Décrire les grandes classes de toxines produites par les Bactéries pathogènes
d’animaux.
192
Chapitre 8 Notions de virologie
Introduction
Les virus sont des entités biologiques parasites caractérisées par la présence d’un seul
type d’acide nucléique et l’absence de tout métabolisme propre. Leur reproduction se
fait uniquement à l’intérieur et au détriment d’hôtes. Ils existent ainsi sous deux états, une
forme extracellulaire libre, dite virion ou virus, métaboliquement inerte, et un état intracel-
lulaire reproductif, qui à son terme produit les virions libres.
Objectifs Plan
Connaître la structure des virus infectant 1 Présentation et classification
pro- et Eucaryotes 2 Structure
Identifier le rôle des constituants des 3 Phases du développement
particules virales dans le cycle reproductif 4 Quelques virus typiques
Définir les caractéristiques de leur cycle de
multiplication
Expliquer les relations entre nature et
structure (ADN/ARN, double ou simple
brin) du génome viral et les principales
caractéristiques des cycles reproductifs
1 Présentation et classification
Le terme virus est une dénomination générale, recouvrant plusieurs catégories définis-
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.
sables par les hôtes dans lesquels ils se reproduisent. Ces spectres d’hôte(s) sont stricts
quant au domaine auquel appartiennent les hôtes, ce qui a conduit à définir une nomen-
clature usuelle : bactériovirus (ou, plus utilisée, bactériophage ou phage), archéovirus, et
eucaryovirus (ou virus d’Eucaryote). Les virus sont de loin les entités biologiques les plus
abondantes sur la planète (1031 particules), dont majoritairement des phages (avec une
abondance dix fois supérieure à celle des procaryotes). Cependant ils ne représentent
qu’environ 5 % de la biomasse terrestre totale, en raison de leurs faibles dimensions.
Ils jouent un rôle important dans l’équilibre des populations des micro-organismes
des environnements naturels ; ainsi des phages détruisent environ 20 % de la masse
bactérienne des océans chaque jour. Tous les virus ont besoin pour leur reproduction
d’un hôte en état de métabolisme actif, en raison de leur nature parasitaire. Ils sont
193
Introduction à la microbiologie
194
Chapitre 8 • Notions de virologie
2 Structure
2.1 Les capsides
Un virus est constitué d’un acide nucléique, ADN ou ARN, enfermé dans un revête-
ment protéique (ou coque), la capside, dont certaines sont entourées d’une enveloppe
(ou péplos). La capside assure la protection du génome contre des dommages possibles
et permet, grâce à des structures appropriées, la fixation du virion à la cellule hôte,
prémisse de l’infection virale. Leurs morphologies varient beaucoup suivant les types
de virus, sans corrélation (connue) avec les organismes qu’ils infectent (voir Tableau 8.1)
(voir Figures 8.1 et 8.2). La majorité d’entre elles peut être définie par cinq prototypes,
correspondant à deux structures de base, chacune enveloppée ou nue (virus dits enve-
loppés ou nus, respectivement), et à une structure complexe, avec une « tête » et une
« queue » (virus dits caudés). Certaines ont des formes moins bien définies, variables (les
Poxvirus) – telles que fuseau allongé, goutte, amphore (les virus géants Pandavirus) –,
recouvertes de fibrilles (Mimivirus), dont la liste continue à s’enrichir avec la découverte,
en particulier, de virus d’Archées, riches en morphotypes.
La capside icosaédrique, très fréquente chez les virus des trois domaines du vivant,
est une structure à vingt faces en triangles équilatéraux identiques et douze sommets.
La capside hélicoïdale est constituée de protéines interagissant entre elles et avec
l’acide nucléique pour former une structure enroulée en ruban. Cette structure exige
peu de protéines différentes pour sa construction. Le virus de la mosaïque du tabac,
le premier étudié ayant cette structure, et le Filovirus Ebola, en présentent une forme
souple. C’est celle des bactériovirus filamenteux (famille des Inoviridæ, dont le virus
d’E. coli M13) et des archéovirus de la famille des Lipothrixviridæ. La capside de M13
est un cylindre flexible construit autour de son génome, formé d’une protéine majori-
taire, à raison de 2 700 à 3 000 copies par particule. La longueur du filament peut varier
avec la dimension du génome, certaines formes délétées artificiellement (avec un ADN
de 221 nucléotides) ne nécessitant des capsides que de 50 nm de long, contre 930 nm
pour le virus sauvage. Cette caractéristique est à la base de nombreuses applications
biotechnologiques.
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195
196
Tableau 8.1 Caractères principaux définissant les sept groupes de classification des virus
Groupe/
I II III IV V VI VII
Propriétés
Lieu N (Euc) ;
C (Proc) N (réplication) C C C/N (épissage) C C
Capsides Icosaédrique Icosaédrique, Icosaédrique Icosaédrique Sphérique Env Sphérique Env Bacille NEnv
Morphologies filamenteuse filamenteuse sphérique, filamenteuse Env pléomorphe sphérique Env
complexe géminéeb filamenteuse flexible/rigide/ NEnv pléomorphe
diverses projectile Env Env
(bâtonnet, bâtonnet NEnv
citron,
bouteille, tige)
Nucléocapsides
Enveloppe Nenv/Env NEnv Nenvc NEnv/Env NEnv
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Abréviations : db/sb, double/simple brin ; c/l, circulaire/linéaire ; mp/s, monopartite/segmenté (nombre de segments) ; P, polarité
positive (+)/négative (−) ; N/C, noyau/cytoplasme ; Euc/Proc, Eucaryotes/procaryotes ; Env/NEnv, enveloppés/non enveloppés ; RT,
rétro-transcriptase.
Notes : aUne exception : les Polydnaviridæ, qui ont un génome circulaire avec au moins dix segments. bDeux ou trois virions sont conte-
nus dans une même enveloppe. cSeuls de ce groupe, les Cystoviridæ sont Env.
Groupe I – Ce groupe extrêmement vaste renferme presque tous les types de capsides connus et la plus grande variété de capacités
de pouvoir codant des génomes viraux. Faisant exception à la réplication nucléaire des eucaryovirus de ce groupe, les Poxviridæ ont
une réplication cytoplasmique et codent pour toutes leurs enzymes de réplication et de transcription. Groupe II – L’ADN simple brin
est converti en ADN double brin, qui sera transcrit. Bien que de structures capsidaires distinctes, les cycles de développement des
phages de ce groupe se déroulent suivant le même schéma. Groupe III – Le brin négatif est utilisé comme matrice pour la production
des ARNm. La segmentation (trois segments) des génomes des Cystoviridæ est un cas unique chez les bactériophages. Groupe IV –
Chez les Togaviridæ et Coronaviridæ le génome viral permet la synthèse d’une protéine précoce, la polymérase, qui synthétise un brin
complémentaire du génome, ARN (−), matrice pour la traduction des autres gènes. Groupe V – Une copie complémentaire du génome,
ARN (+), sert pour la synthèse des ARNm et de nouveaux génomes. Chez certains virus à ARN dits ambisens (tels des arbovirus et
arénavirus) le génome est transcrit dans l’une ou l’autre orientation suivant les gènes, la majorité des ARNm étant complémentaire
de la séquence génomique. Groupe VI – Ces virus exigent la rétrotranscription de leur génome en ADN double brin, effectuée par la
rétrotranscriptase virale. La copie ADN migre dans le noyau, où elle est intégrée dans le génome de l’hôte, puis transcrite par l’ARN
PolII cellulaire. Les ARNm viraux ainsi transcrits, après un éventuel épissage, sont exportés dans le cytoplasme pour être traduits.
Groupe VII – La nucléocapside de ces virus, qui inclut la famille des Hepadnaviridæ, dont le virus de l’hépatite B, pénètre dans le
noyau ; le génome, complété et circularisé par liaison covalente (ADNccc), sert de matrice à la PollI cellulaire pour la production
d’ARNm viral et d’ARN subgénomique. Ces ARN sont transportés dans le cytoplasme, soit pour être traduits, soit pour servir de matrice
de réplication (en fait une rétrotranscription) réalisée par la rétrotranscriptase virale (TR). Les génomes synthétisés seront encapsidés
avec la rétrotranstriptase.
Les sites de l’ICTV (http://ictvonline.org/virusTaxInfo asp) et de ViralZone (https://viralzone.expasy.org), continuellement mis à jour,
fournissent une description de la structure, du cycle et de la classification de tous les virus connus.
Chapitre 8 • Notions de virologie
197
Introduction à la microbiologie
Cystoviridae
Tectiviridae Plasmaviridae
Podoviridae Corticoviridae
Turriviridae
Spherolipoviridae
Microviridae
Inoviridae
Myoviridae Leviviridae
Siphoviridae
Archéovirus
Clavaviridae
Guttaviridae Globuloviridae
APOV1 Pleolipoviridae
Fuselloviridae
salterprovirus
Lipothrixiviridae: Lipothrixiviridae: , , TPV1, PAV1
Spiraviridae
Rudiviridae
198
Chapitre 8 • Notions de virologie
56 nm
87 nm
A B 55 nm
D E
Génome 9×10–5 55 nm
ADN ds mm3 Tête à
génome ADN
Cou
210 nm
Gaine
C 7 nm 150 nm
700 ÷2 000 nm
Fibres
de queue
F G 25 nm
12 nm Plaque
80 à 120 µm 60 nm basale
2.2 Génomes
Les génomes viraux peuvent être à ADN ou à ARN, et dans chaque cas double (db)
ou simple (sb) brin, linéaires ou circulaires, avec des dimensions et pouvoirs codants
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très divers (voir Tableau 8.1). De nombreuses classes de virus à ARN double brin (de
procaryotes comme d’Eucaryotes) ou simple brin (d’Eucaryotes) sont segmentés, l’in-
formation génétique étant répartie sur plusieurs molécules. Les génomes à ADN sb ou
à ARN sb sont tous de polarité positive (+) (l’ARN génomique est aussi l’ARNm) chez
les virus de procaryotes, mais à polarité (+) ou (−) chez les eucaryovirus. Les génomes
viraux sont haploïdes, à la seule exception connue des Retroviridæ, qui sont diploïdes.
199
Introduction à la microbiologie
200
Chapitre 8 • Notions de virologie
monomères sont mal connues ; il est admis que la nucléocapside aurait une plus forte
affinité pour la forme dimère. Une hypothèse pour expliquer cette diploïdie veut que la
forme dimère confère le double avantage de distinguer l’ARN génomique de l’ARNm,
et de pallier leur faible fidélité de réplication en éliminant facilement des recombinants
délétères (ces virus ont une forte fréquence de recombinaison).
3 Phases du développement
Les mécanismes de multiplication des virus s’avèrent très variés et très complexes. La
reproduction, toujours intracellulaire, comprend adsorption (ou attachement), pénétra-
tion, synthèse des constituants viraux (phase dite d’éclipse comprenant deux périodes,
précoce [synthèse du génome] et tardive [synthèse des composants capsidaires]), assem-
blage et libération des particules. L’efficacité (nombre de virions produits par cellule
infectée) de la reproduction est élevée (de la centaine au millier).
3.1 Adsorption
Première étape de l’infection, l’adsorption débute par la reconnaissance spécifique
d’une cellule hôte par le virus. Cette spécificité est déterminée par l’identification par
le virus de constituants particuliers, utilisés comme récepteurs, présents sur la surface
de la cellule. L’ensemble des souches reconnues par un virus définit son spectre d’hôtes.
Certains virus ont un large spectre d’hôtes, infectant de nombreuses espèces, voire
souches dans le cas des Bactéries. D’autres, en revanche, ont un spectre d’hôte restreint
à une espèce ou même une souche. La première interaction entre un bactériovirus non
enveloppé et sa cellule hôte est une collision dont la fréquence dépend principalement de
la concentration des deux partenaires, de la présence de certains ions dans le milieu, de
la température. Se produit alors un attachement initial, réversible, entre composants de
la capside virale et certaines structures de l’hôte, par formation de liaisons faibles. Si la
structure cellulaire impliquée est sa surface, le virus « voyage » sur cette surface jusqu’à
la rencontre éventuelle d’un récepteur approprié, sur lequel une interaction secondaire le
stabilise. D’autres, fixés sur des pili (tel le pilus sexuel F) ou des flagelles, atteignent leur
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récepteur secondaire soit par glissement, soit suite à une rétraction (dépolymérisation
des sous-unités protéiques) du pilus ou du flagelle. Les récepteurs sont une protéine
de surface, un lipopolysaccharide ou une lipoprotéine de la Bactérie. Les archéovirus
utilisent des flagelles, mais la nature du récepteur est inconnue.
L’interaction entre les deux structures, virale et cellulaire, a pour conséquence
possible que des mutations affectant les récepteurs peuvent rendre ces hôtes spécifique-
ment résistants à l’infection, et que de même une souche hôte ainsi devenue résistante
peut redevenir sensible par mutation compensatoire chez le virus.
Les eucaryovirus ayant pour hôtes des animaux ou des protistes n’infectent géné-
ralement qu’un nombre restreint d’espèces, et pour les premiers chaque virus peut
201
Introduction à la microbiologie
202
Chapitre 8 • Notions de virologie
par trois ARN polymérases : la première, une enzyme virale, vARN-Pol1, empaquetée
dans la capside et injectée en même temps que l’ADN, permet l’expression d’une
deuxième enzyme, vARN-Pol2, elle-même responsable de la transcription des enzymes
de réplication et de synthèse des protéines capsidaires, alors que les gènes impliqués
dans l’assemblage de la capside et l’empaquetage de l’ADN et de la vARN-Pol1 sont
transcrits par l’ARN-Pol de l’hôte. Les schémas de développement des eucaryovirus
sont plus complexes, en particulier en raison de la compartimentation cellulaire. D’une
façon générale transcription et réplication des virus à ADN db ont lieu dans le noyau
grâce aux enzymes cellulaires, et celle des virus à ARN dans le cytoplasme. Les cellules
hôtes ne produisant pas d’ARN polymérase ARN-dépendante capable de rétrotranscrire
(convertir un génome à ARN en un ADN complémentaire, dit cDNA), les virus à ARN
codent donc pour leur propre polymérase, qui fonctionne comme enzyme de réplication
et de transcription. Les génomes à ARN sb (+) forment, à partir d’une copie à ARN (−),
des ARNm sub-génomiques qui portent en général les signaux nécessaires pour leur
traduction. Pour la réplication, la polymérase synthétise un ARN db, matrice pour la
production de nouveau génomes ARN sb (+).
b. Assemblage et encapsidation
Les étapes suivantes du développement viral sont l’assemblage de la capside et l’encap-
sidation du génome viral. Chez la plupart des virus à ADN, les protéines constituant la
capside s’auto-assemblent, dans le cytoplasme ou dans le noyau, soit directement autour
du génome viral soit préalablement à l’empaquetage. La capside des virus à ARN sb (−)
(groupe V) s’assemble au fur et à mesure de la synthèse du génome. Les capsides de
nombreux virus (Herpesvirus et virus à capsides complexes) exigent la participation de
protéines d’échafaudage, qui forment une charpente sur laquelle se fixent les protéines
capsidaires, réalisant une procapside. Les protéines d’échafaudage sont ensuite élimi-
nées, et le génome intégré. Des mutants affectés dans diverses étapes de ce processus
chez le phage T4 (§ 4.1b) ont permis d’en reconstruire la chronologie.
elle assure la diffusion des virus dans l’environnement et l’infection de nouveaux hôtes.
De nombreux systèmes ont été développés pour assurer cette fonction. Le processus
est bien connu pour les bactériovirus qui, à la seule exception des phages filamenteux,
utilisent principalement deux groupes de protéines : une holine, qui forme des pores
membranaires, expose alors le peptidoglycane à des endolysines (enzymes lytiques)
qui dégradent cette paroi cellulaire, induisant la cytolyse. Les phages filamenteux sont
libérés par un système d’extrusion sans lyse cellulaire. Les eucaryovirus disposent de
plusieurs mécanismes : destruction de la membrane plasmique, insertion des virus dans
des bourgeons membranaires qui éclatent, libérant les particules, ou dans des nanotubes
formant des connections intercellulaires qui permettent le passage du virus d’une cellule
à une autre.
203
Introduction à la microbiologie
1. Adsorption
et endocytose
2. Décapsidation
libération de l’ARN viral
endosome
4. Morphogenèse
baisse Bourgeonnement
du pH
Synthèse et glycosylation
des protéines d’enveloppe
HANAM2
vARN– vARN–
vARN+
vARNm
Synthèse des
3. Multiplication protéines virales
Réplication du génome
et expression
204
Chapitre 8 • Notions de virologie
L’infection peut conduire à deux voies exclusives, caractéristiques d’un phage tempéré,
la lyse ou la lysogénie (voir Figure 8.5).
Alternativement au cycle lytique, l’infection peut conduire à l’intégration de l’ADN
phagique, dit alors prophage, en un site précis du génome bactérien. Ce processus,
dit lysogénie, respecte la survie de l’hôte. La Bactérie, dite alors lysogène, perpétue le
prophage, dormant, de façon très stable. La présence de l’ADN viral confère à l’hôte
une immunité contre une surinfection par ce même phage, due à la présence d’une
protéine, CI, codée par le seul gène phagique exprimé dans la cellule lysogène, un
répresseur de l’expression de l’ensemble des autres gènes du phage. Une induction,
spontanée (fréquence de 10 −5 par cellule) ou provoquée (par perturbation de la synthèse
de l’ADN, notamment par irradiation), induit le cycle lytique dont l’une des étapes
précoces est l’excision du prophage de son site d’insertion. La décision lyse/lysogénie
dépend de deux protéines régulatrices à effets antagonistes : la protéine CI et une
protéine, Cro, inhibitrice de l’expression du gène cI, qui sont en compétition pour les
mêmes séquences opératrices (voir Chapitre 6). Lors de l’infection, les deux protéines
sont synthétisées, et c’est leur concentration relative qui va déterminer la voie suivie.
L’acteur essentiel de la décision est une autre protéine phagique, CII, un régulateur
transcriptionnel, qui permet un jeu de reconnaissance par l’ARN-Pol bactérienne
entre séquences promotrices des gènes cI et cro (et de celui de l’intégrase), affectant
leurs niveaux d’expression. Le choix entre voie lytique et voie lysogénique dépend
aussi d’autres facteurs tels la présence d’une protéase bactérienne dégradant CII ou
d’une protéine phagique la protégeant, l’état physiologique de l’hôte (une croissance
rapide conduira plus fréquemment à la voie lytique), la multiplicité d’infection (nombre
moyen de phages infectant une cellule) – une multiplicité supérieure à 3 conduisant
toujours à la lysogénie.
Nu1AWB C Nu3 D E FI FIIZU V G T H M L K I J lom sib int xis exo bet N cI cro cII OP Q S R Rz
attP
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Transposition
B Activateur de
Immunité
c ner A B kil gam sot arm gemAB C lys D E H F G I T J K L M Y N P QVW R S UU’ S’ gin com mom
attL attR
205
Introduction à la microbiologie
A B
206
Chapitre 8 • Notions de virologie
b. Le phage virulent T4
Historiquement, le bactériophage T4 et ses « frères » T2 et T6 (la série des phages T
pairs), ont été au cœur d’études de problèmes fondamentaux de biologie : origine spon-
tanée des mutations, nature du code génétique, mise en évidence de l’ARN messager. Le
phage T4 a été la première entité biologique dans laquelle ont été identifiés des introns.
Ces trois phages ont aussi été les premiers isolés de cette famille. Ils présentent une
forte ressemblance morphologique et peuvent donner lieu à des échanges génétiques.
Comme les autres membres de cette sous-famille, le virion a une structure complexe,
avec tête icosaédrique et queue contractile (voir Figure 8.2E). Plus de 40 % de leur infor-
mation génétique est consacrée à la synthèse et l’assemblage de ces structures. L’ADN,
db linéaire, a une taille de 169 kb, avec des redondances terminales de 2,3 à 4,3 kb,
différentes d’une particule à l’autre d’un même phage.
L’adsorption irréversible du phage sur son hôte, par le biais des fibres terminales de
sa queue, entraîne la contraction de celle-ci, provoquant l’injection de l’ADN dans la
Bactérie (voir Figure 8.6). Le cycle suit une chronologie stricte (voir Figure 8.7). L’ADN
est protégé des réactions de défense de l’hôte par hydroxyméthylation des cytosines, lors
de sa réplication. En outre, des protéines virales injectées lors de l’infection bloquent
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207
Introduction à la microbiologie
ainsi la mise en place d’une fourche de réplication. Cela permet de générer de longs
concatémères, substrats pour l’encapsidation de l’ADN. Le processus d’encapsidation,
mécaniquement semblable à celui de λ, se rapproche toutefois de celui de la tête pleine du
phage Mu. En effet, la dimension de la tête du phage lui permet de contenir un peu plus
d’un génome, générant les répétitions terminales que l’on observe dans les particules
matures. L’encapsidation de l’ADN est suivie de l’adjonction d’une queue à la tête pleine.
La lyse de la Bactérie libère cent à deux cents virions.
0 5 10 15 20 25
Minutes
208
Chapitre 8 • Notions de virologie
c. Deux archéovirus
L’étude des archéovirus s’avère difficile, tant dans la nature qu’en laboratoire, du fait
des conditions extrêmes dans lesquelles vivent leurs hôtes. Des études approfondies
ne peuvent être menées que pour des souches assez aisément cultivables, ce qui biaise
la connaissance que l’on peut avoir de la diversité de ces virus. Cette diversité a cepen-
dant été mise en évidence grâce aux approches de métagénomique. Les archéovirus
« modèles » sont donc peu nombreux. Deux d’entre eux, STIV1 (17,3 kb) et SIRV2
(35 kb), respectivement icosaédrique et filamenteux, ont pour hôte le genre Sulfolobus.
Le processus d’adsorption de STIV1 n’a guère été abordé. Les études transcriptomique
et protéomique de l’infection montrent que l’expression des gènes est non séquentielle. En
outre l’infection entraîne une modification du niveau d’expression d’un certain nombre
de gènes de l’hôte, dont celui d’un constituant du complexe ESCRT (voir Chapitre 3), qui
participe à la maturation de la capside virale et à la sortie du virus. Le processus de sortie,
très complexe et unique, implique la formation de structures pyramidales sur la paroi
cellulaire, lesquelles s’ouvrent en fin de cycle, laissant s’échapper les virus. Ce mécanisme
laisse intacte l’enveloppe de la cellule, bien que celle-ci ne soit plus viable.
L’adsorption de SIRV2 se fait par des filaments terminaux situés en queue du virus
reconnaissant l’extrémité de pili de l’hôte, abondants sur sa surface. Le virus glisserait
ensuite le long du pilus, se rapprochant de la surface membranaire. L’analyse transcrip-
tomique indique aussi une expression non séquentielle des gènes au cours du processus
infectieux. Une protéine de l’hôte serait impliquée dans la réplication de l’ADN viral. La
libération des virions suit le même mécanisme que pour STIV1, une similitude remar-
quable étant donné les différences de morphologie de ces virus.
209
Introduction à la microbiologie
l’ADN viral et des ARNm. La particule entre dans la cellule par phagocytose, où elle
libère la nucléocapside à travers un unique sommet de la capside. La transcription peut
être initiée dès ce stade. Le génome est libéré et répliqué dans le cytoplasme. Il pourrait
être enrobé dans une couche membranaire du réticulum endoplasmique, formant « un
centre réplicatif », et plusieurs de ceux-ci pourraient fusionner pour constituer une
« usine virale » contenant des zones impliquées, successivement, dans la réplication,
la biogenèse membranaire, l’assemblage de la capside, l’encapsidation de l’ADN puis
l’acquisition des fibres. L’analyse protéomique de particules de Pithovirus a montré la
présence de 159 protéines impliquées dans la structure de la particule, la transcription,
la réparation de l’ADN, les modifications de l’ARN ou de protéines ou de lipides, ou
de fonction inconnue. Le génome code 979 gènes, beaucoup plus que les autres virus
connus, dont, fait particulier, des ARNt et des enzymes impliquées dans la synthèse
des nucléotides et le métabolisme d’acides aminés et de polysaccharides. La découverte
des Mimiviridæ s’est accompagnée de celle d’un ensemble d’autres virus, les virophages
(tel Sputnik), des virus à petit génome à ADN db (seize à trente-quatre gènes) ne se
répliquant que dans des amibes infectées par un Mimiviridæ, en exploitant la machine
réplicative de ces derniers, dont ils peuvent aussi intégrer le génome.
210
Chapitre 8 • Notions de virologie
sF
n pilu
àu
on
ati
Fix Particule phagique mature
Assemblage et sortie
F+ d’une particule mature
Membrane externe
? ?
Membrane interne
Infection
Signal de
Brin + infectieux P2, morphogenèse
P10 Complexe PV/ADN ss
Forme réplicative
P2, P10 Phase tardive (forte [P5])
Production
Cercle roulant de brins +
Phase précoce ([P5] faible)
211
Introduction à la microbiologie
constituée au moment de la libération des particules par assemblage avec des phospho-
lipides de la membrane de l’hôte. Les virions sont alors libérés (quarante-cinq minutes
après l’infection) suite à une lyse partielle du peptidoglycane par une protéine phagique.
ARN Réplicase
Traduction des protéines phagiques
de synthèse du brin
212
Chapitre 8 • Notions de virologie
quatre-vingts espèces d’aphides) ; elle intéresse tous les organes de la plante, les virions
passant d’une cellule à une autre, dans tous les tissus, provoquant une infection systé-
mique.
Les principales morphologies des capsides sont des sphères ou des bâtonnets (plus
ou moins rigides), généralement icosaédriques. Les génomes sont généralement petits
(quatre à douze gènes), et présentent toutes les combinaisons possibles, ADN ou ARN,
double ou simple brin, linéaires ou circulaires, les génomes à ARN sb, (+) ou (−), étant
cependant très majoritaires (environ 90 %), et ceux à ARN db linéaires et ADN db
circulaires représentant chacun environ 4 %. Les génomes à ARN sb (+) présentent une
étonnante diversité. Ils sont souvent segmentés (deux à cinq parties), chaque fragment
213
Introduction à la microbiologie
enfermé dans une capside propre. L’infection, pour être efficace, nécessite donc la
présence de toutes les particules permettant de reconstituer un génome entier. Les virus
à ARN sb (−) ou ambisens sont en revanche morphologiquement et génétiquement peu
différents des Bunyaviridæ qui infectent les animaux. La réplication de la majorité des
génomes de phytovirus (donc à ARN sb) passe par une phase à ARN db.
Le virus de la mosaïque du tabac forme un bâtonnet long de 300 nm avec un
diamètre de 18 nm, constitué de 2 300 copies d’une même protéine, qui s’enroulent
autour d’un génome à ARN sb linéaire (+) de 6,3-6,5 kb. Cet ARN porte à l’extrémité 3’
une structure 3D de type ARNt et en 5’ une coiffe constituée d’un nucléotide modifié
analogue à la coiffe des ARNm eucaryotes. Cette coiffe assure la protection de l’ARNm
pendant la traduction. Le génome du VMT code trois protéines : une ARN-Pol ARN-
dépendante (ou réplicase) impliquée dans la transcription et la réplication, une protéine
impliquée dans le déplacement du virus (MP) et la protéine de capside. La particule
entre dans le cytoplasme, où commence la désagrégation de la capside. La traduction de
l’ARN pourrait faciliter ce désassemblage par association d’un ribosome à l’extrémité 5’
de l’ARN viral. Une fois le génome libre, la réplicase initie le cycle par la synthèse d’un
ARN db. Puis elle transcrit cette forme bicaténaire en vue de la production des protéines
virales, et réplique des molécules génomiques, ARN sb linéaires (+). La réplication a
probablement lieu dans un complexe associé à la membrane, contenant l’ensemble des
protéines de réplication, la protéine MP, l’ARN viral et des protéines de l’hôte. L’assem-
blage des virions est intra-cytoplasmique. Au terme du cycle le complexe virion-protéine
MP passe vers d’autres cellules via les plasmodesmes (des pores de communication
intercellulaires), provoquant une infection systémique.
214
L’essentiel
215
Entraînez-vous
8.1 Quels sont actuellement les critères retenus pour la classification des virus ? Pour-
quoi cette classification ne retient-elle pas les niveaux supérieurs (classe, phylum,
domaine) utilisés pour l’arbre universel du vivant ?
8.2 Définir les étapes du développement d’un virus.
8.3 Quelles structures de l’hôte procaryote interviennent dans sa reconnaissance par
un virus ?
8.4 Définir le terme de phage tempéré, et préciser la différence principale entre les
phages Mu et lambda d’E. coli.
8.5 L’intégration du génome du phage lambda dans l’ADN bactérien conduit à une
permutation circulaire alors que celle du phage Mu maintient la carte génétique
(voir Chapitre 5). À quoi doit-on attribuer cette différence ?
8.6 En quoi l’infection par le phage T4 est-elle irréversible pour son hôte ?
8.7 En quoi la découverte des Mimivirus remet-elle en question certains concepts de
virologie ?
8.8 Quels sont les processus utilisés par les bactériovirus pour sortir de la cellule
infectée ?
8.9 Le phage ΦX174 donne des plages de lyse sur un tapis de son hôte, alors qu’il n’en
va pas de même pour M13, qui ne donne que des « taches claires ». En quoi leur
processus de sortie de la Bactérie explique-t-il cette différence ?
216
Chapitre 9 Biotechnologies
microbiennes
Introduction
Objectifs Plan
Connaître les principaux métabolites produits 1 Des procédés classiques à
par des Bactéries grâce à l’ingénierie l’ingénierie
métabolique 2 Santé humaine et ingénierie
Identifier les enzymes clefs permettant la métabolique
biosynthèse de ces métabolites ou exerçant 3 Des approches innovantes
une action défavorable
Définir les différentes stratégies utilisant
alternativement la surexpression ou la
répression de voies métaboliques pour
optimiser le rendement
Expliquer comment un micro-organisme
peut être modifié génétiquement afin de
produire une nouvelle molécule
217
Introduction à la microbiologie
218
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
Glucose
CO2
Pyruvate Acétyl-CoA
CO2
Pyruvate carboxylase CO2
CO2 CO2
Oxaloacétate
Citrate
Acétyl-CoA
Malate
Malate
synthétase
cis-Aconitate
Glyoxylate
Fumarate
membrane
cellulaire
Isocitrate lyase Isocitrate
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Succinate
Succinyl-CoA Oxalosuccinate
Glutamate NH4+
CO2
déshydrogénase
Glutamate
219
Introduction à la microbiologie
220
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
L-aspartate
Aspartokinase K
Rétro-inhibition Rétro-inhibition
β-aspartyl-phosphate
L-aspartate-β-semialdéhyde
Homosérine déshydrogénase
homosérine thréonine
lysine
Transporteur LysE
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lysine
221
Introduction à la microbiologie
222
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
La souche résultante s’est bien révélée capable de croître sur xylose comme seule
source de carbone, mais très lentement. Les chercheurs ont pu identifier deux goulets
d’étranglement, à savoir les deux premières réactions enzymatiques (isomérisation et
phosphorylation) du métabolisme du xylose. Le gène xks1 codant pour la xylulokinase
(XK) endogène a donc été surexprimé pour renforcer le flux vers le xylulose-5P. En
revanche, la xylose isomérase était déjà surexprimée ; pour augmenter son activité,
les auteurs lui ont donc fait subir une évolution dirigée (§ 3) : le gène a été muté de
façon aléatoire, les gènes mutants ont été introduits à la place de l’allèle sauvage dans
la souche précédente, et les mutants possédant les meilleures activités ont été sélec-
tionnés. Des tests de fermentation (production d’éthanol) ont été réalisés. La croissance
est effectivement beaucoup plus rapide, et la production d’éthanol plus élevée : au bout
d’une semaine de fermentation, le xylose a été presque entièrement consommé et le
rendement en éthanol atteint 0,4 g/g de xylose (voir Figure 9.3.B). Cela pourrait être
A Xylose Saccharose
Transporteur
invertase
Voie des pentoses
Xylose phosphate Glucose + Fructose
oxydative
Xylose
XI isomérase 6-PG Glucose-6-P
XylA NADPH NADP+
GA-3-P GA-3-P
NAD+ NADH NADH NAD+
25 10
B
Concentration en éthanol (g/L)
Concentration en xylose (g/L)
20 8
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15 6
Xks1++
Pyruvate
10 4
PDC CO2
5 2 ADH
Xks1 Acétaldéhyde Éthanol
0 0 NADH NAD+
0 30 60 90 120
Temps (h)
223
Introduction à la microbiologie
encore amélioré par l’introduction d’une perméase à xylose car ce sucre transite par les
perméases à hexoses, peu efficaces pour ce pentose. D’autre part, la voie des pentoses
phosphates, cruciale pour ce catabolisme, pourrait être encore stimulée. Néanmoins cet
exemple montre ce que peut apporter l’ingénierie métabolique à un procédé de produc-
tion microbien. Des améliorations du même type ont été apportées pour permettre le
catabolisme de l’arabinose. Il est donc clair que des souches industrielles capables de
transformer des hydrolysats de végétaux en alcool seront bientôt disponibles.
L’alternative Zymomonas mobilis a fait l’objet de nombreux travaux pour adapter
cette Bactérie à l’utilisation d’hydrolysats de lignocellulose comme substrat. Plusieurs
gènes ont été insérés dans le chromosome de la souche d’origine (nommée Z ici) :
– les cinq gènes de la voie des pentoses phosphates de E. coli : yfdZ, metB, xylA, xylB,
tktA, talB ;
– les deux gènes d’E. coli complémentant ses auxotrophies pour la lysine et la méthio-
nine, yfdZ et metB ;
– le gène d’une protéine de choc thermique, Pfu-sHSP, provenant d’une Archée
hyperthermophile (Pyroccocus furiosus), devant jouer le rôle de chaperonine pour
éviter l’agrégation et la dénaturation de protéines soumises à un stress de chaleur.
La souche résultante (Z*) devient capable de croître sur xylose comme seule source
de carbone dans un milieu sans méthionine ni lysine. Après trois jours de fermentation à
32 °C, l’éthanol est produit avec un rendement très analogue (0,4 g d’éthanol/g de xylose)
à celui obtenu à partir de glucose (voir Figure 9.4). Dans un milieu contenant un mélange
glucose-xylose (170 et 60 g/L, respectivement) qui mime l’hydrolysat végétal, le rendement
est légèrement inférieur mais permet tout de même d’atteindre 90 g d’éthanol/L. Enfin, des
tests réalisés à 42 °C pour vérifier le rôle de la chaperonine Pfu-sHSP ont montré que celle-ci
protège clairement les enzymes impliquées dans le processus, puisque la souche qui n’en
possède pas produit deux fois moins d’éthanol. La souche Z*, bien que moins performante
à 42 °C qu’à 32 °C, parvient tout de même à une production de 60 g/L.
120
100
80
Éthanol (g/L)
60
40
20
Souche Z
0 Souche Z*
Glc 32 °C Xyl 32 °C Glc + Xyl 32 °C Glc + Xyl 42 °C
224
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
GDHT
glycérol déshydratase
3-Hydroxypropioaldéhyde Glycérol
NADH2 H 2O NAD+
1,3-propanediol
1,3-PDDH GDH glycérol déshydrogénase
déhydrogenase
NAD+ NADH2
ADP
Dihydroxyacétone-P (DHAP)
Glycéraldéhyde-3-phosphate
ADP
glycéraldéhyde-3-phosphate NAD+
déshydrogénase NADH2
ATP
Butyrate Pyruvate Acétate
225
Introduction à la microbiologie
Le glycérol sert donc à la fois de source d’énergie pour la croissance et de substrat pour
la synthèse du produit. Il est également fermenté en butyrate de façon minoritaire. Contrai-
rement à d’autres GDHT, celle de C. butyricum n’a pas besoin de vitamine B12 comme
co-facteur, d’où une économie substantielle pour le processus car cette vitamine est très
chère. En revanche, C. butyricum étant anaérobie stricte, la culture doit être faite en anaé-
robiose, ce qui implique une croissance lente. De plus la production simultanée d’acétate
et de butyrate tend à inhiber la croissance à partir d’une certaine concentration, en raison
d’une neutralisation du potentiel transmembranaire (la culture en continu est un des
moyens pour surmonter cette limitation). Néanmoins, après une semaine de fermentation
en culture discontinue, le rendement avoisine tout de même 60 g/L, ce qui est compétitif.
De plus, le butyrate co-produit peut être valorisé en nutrition animale. Le procédé est
actuellement considéré comme suffisamment rentable au niveau industriel pour envisager
sa mise en application, avec une production annuelle en France de 24 000 tonnes.
L’isobutène est un précurseur pour de nombreuses synthèses chimiques, en parti-
culier celle de tert-butyl éther (ETBE), un additif de carburants, de polymères ou
d’antioxydants. Sa production annuelle est de quinze millions de tonnes par an. Il est
actuellement principalement obtenu par cracking de pétrole brut. De nombreux travaux
sont donc menés pour le produire par fermentation à partir de sources de carbone renou-
velables. Quelques micro-organismes sont capables de le synthétiser, mais à un niveau
extrêmement faible. Il a donc semblé préférable de le faire produire par E. coli en lui
implantant une nouvelle voie métabolique. Cette démarche est originale par l’associa-
tion d’enzymes de différentes provenances, par le type d’extraction, mais surtout par
l’utilisation d’une enzyme, la mévalonate diphosphate décarboxylase (MDD), dont
l’activité naturelle n’a jamais concerné la synthèse d’isobutène. Elle consiste à produire
tout d’abord de l’acétone, structuralement très proche de l’isobutène. Pour cela, trois
enzymes de Clostridium acetobutylicum ont été exprimées chez E. coli (voir Figure 9.6A).
Ensuite une enzyme de Bacillus subtilis (PksG) a été ajoutée pour condenser l’acétone en
3-hydroxy-isovalérate. Enfin, on connaissait depuis 1985 l’existence d’un cytochrome
P450 de levure capable de réaliser la dernière étape enzymatique, la transformation de ce
composé en isobutène, mais son activité était trop faible. Il fallait donc trouver une autre
enzyme, également plus à même d’être exprimée chez E. coli. Une observation attentive
a permis de montrer que le 3-hydroxyisovalérate constitue une partie de la molécule de
mévalonate diphosphate (un précurseur de l’ergostérol) (voir Figure 9.6B), transformé
en isopentényl diphosphate par la MDD. L’hypothèse que la MDD serait aussi capable de
transformer le 3-hydroxyisovalérate s’est avérée exacte : cette enzyme (de levure) présente
une promiscuité catalytique pour ce substrat, ce qui lui permet de synthétiser un peu
d’isobutène. Son activité étant faible, une recherche systématique d’enzymes ortholo-
gues a été réalisée chez une douzaine d’organismes et micro-organismes, la MDD de
l’Archée Picrophilus torridus s’étant montrée la plus active. Son potentiel fut encore
augmenté par évolution dirigée (§ 3). L’isobutène étant faiblement soluble dans l’eau
(267 mg/L) et toxique pour E. coli, il est récupéré sous forme de gaz au-dessus du bioréac-
teur, puis séparé des vapeurs d’eau et du CO2. Ce procédé permet un rendement d’une
226
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
mole d’isobutène à partir de 1,5 mole de glucose, jugé suffisant dès 2018 pour envisager
une valorisation industrielle à partir de saccharose de betterave ou de lignocellulose.
acétyl-CoA acétyl-CoA
A
H-S-CoA ThioIase
acétoacétyl-CoA
butyrate acétate
Enzymes de
CoA-transférase Clostridium
acetobutylicum
butyryl-CoA acétyl-CoA
acéto-acétate
Acéto-acétate
CO2 décarboxylase
acétone Enzyme de
PksG Bacillus
subtilis
3-hydroxyisovalérate Enzyme de
Picrophilus
MDD torridus
isobutène
B 3-hydroxyisovalérate Isobutène
OH O
MDD
+ CO2
O– ATP ADP + PI
227
Introduction à la microbiologie
avec des rendements suffisants. Dans le domaine de la santé, les avancées des technolo-
gies de biologie moléculaire et l’accumulation de données génétiques et biochimiques
ont été particulièrement profitables. Certains travaux sont aboutis et se traduisent par
une production industrielle, d’autres en sont encore au stade recherche/développe-
ment. Des applications inattendues, comme la conception de bactéries anti-tumorales,
montrent que les chercheurs ne manquent pas d’imagination pour exploiter le monde
très prometteur des micro-organismes.
228
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
de cette façon, ce qui a permis d’en isoler vingt-cinq potentiellement intéressants, dont
une nouvelle espèce de β-Protéobactéries, Eleftheria terræ, qui produit un nouvel anti-
biotique, la teixobactine. Les auteurs ont montré que la teixobactine est capable de
tuer des souches représentatives de Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniæ,
Bacillus anthracis, Clostridium difficile (Bactéries à Gram+), ainsi que Mycobacterium
tuberculosis (voir Chapitre 1). Une faible croissance de E. terræ a pu être obtenue in vitro
après onze jours de culture, ce qui a permis de purifier la teixobactine et de déterminer
sa structure :
Nmphe-ile-ser-gln-ile-ile-ser-thr-ala-end-ile,
qui inclut une liaison covalente entre thr et le résidu ile terminal. Il s’agit d’un peptide
inhabituel contenant un aminoacide très rare, l’enduracidine (end), de la méthylphény-
lalanine (Nmphe) et quatre acides aminés de la série D. Sa voie de biosynthèse, identifiée
par séquençage du génome, repose sur l’activité de deux peptide-synthétases non ribo-
somales. Sa synthèse chimique a pu être réalisée avec succès et de nouveaux variants
sont déjà en cours d’expérimentation. En outre, l’enduracidine n’est pas indispensable
pour l’activité de la molécule, ce qui permet de faciliter la synthèse d’une molécule
active proche de l’antibiotique naturel. La teixobactine a un mode d’action différent de
celui des antibiotiques actuellement utilisés pour traiter les infections bactériennes. Elle
inhibe la biosynthèse du peptidoglycane en se liant à des motifs hautement conservés
portés par le lipide II (un précurseur du peptidoglycane) et le lipide III (un précurseur
de l’acide téichoïque (voir Chapitre 1). Jusqu’à présent, aucun S. aureus ou M. tubercu-
losis résistant à la teixobactine n’a pu être isolé, principalement en raison de ce double
ciblage qui diminue drastiquement la probabilité de voir émerger de tels mutants. Une
société pharmaceutique mène actuellement des tests cliniques sur cette molécule pour
une prochaine mise sur le marché. L’analyse de micro-organismes non cultivables s’est
donc avérée fructueuse et devrait permettre l’identification d’antibiotiques actifs contre
des Bactéries en particulier à Gram− (E. coli ou Klebsiella).
Couche d’une
bactérie
pathogène
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Cuve remplie
d’échantillons Micro-organismes
de sol en croissance
dans un puits
Membranes
semi-perméables
Halo d’inhibition
de croissance :
sécrétion
d’un produit
antibactérien
229
Introduction à la microbiologie
L’approche métagénomique est une alternative pour accéder aux voies métaboliques
de micro-organismes difficilement cultivables : de grands fragments d’ADN peuvent
être extraits d’échantillons de sol, puis clonés dans un hôte microbien. Si les gènes
de ces organismes peuvent être correctement exprimés dans l’hôte de clonage, et si
les voies métaboliques concernées sont complètes, il sera possible de cribler ces clones
recombinants pour leur production d’antibiotiques. Cette stratégie, assez aléatoire, peut
néanmoins faciliter l’identification des clusters de gènes responsables, et l’obtention
d’un micro-organisme hôte producteur directement cultivable.
230
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
Galα-4Galβ-4Glc (Gb3)
LacY
Mel A–
Gal + Lac Galα-4Galβ-4Glc (Gb3)
UDP-GlcNAc UDP-GalNAc
Gne LgtD
UDP
GalNAcβ-3Galα-4Galβ-4Glc (Gb4)
UDP-Gal
LgtD
UDP
Galβ-3GalNAcβ-3Galα-4Galβ-4Glc (Gb5)
GDP-Fuc
FucT
GDP
Fucα-2Galβ-3GalNAcβ-3Galα-4Galβ-4Glc
(Globo H)
Deux gènes de GT ayant chacun les spécificités requises et directement impliquées dans
la synthèse de GlogoH ont été clonés chez E. coli : lgtD, codant la GalNac-transférase
(qui possède aussi une activité galactosyl-transférase) de Haemophilus influenzæ, et
fucT, codant la fucosyl-transférase, de Helicobacter pylori. L’introduction d’un sucre
« accepteur », ici le Gb3, permet d’amorcer la synthèse. Le Gb3 pénètre dans le cyto-
plasme grâce à la perméase LacY d’E. coli. Par contre, il ne doit pas être métabolisé,
ce qui requiert l’inactivation de l’α-galactosidase endogène MelA. Le substrat de LgtD,
l’UDP-GalNAc, n’étant pas produit par E. coli, le gène gne de Campylobacter jejuni co-
dant pour une UDP-GlcNAc-C4-épimérase capable de transformer l’UDP-GlcNAc en
UDP-GalNAc a été introduit. Les GTs agissent successivement pour ajouter les sucres,
la GT LgtD branchant le GalNAc avant le GlcNAc car son affinité est plus forte pour le
GalNAc.
231
Introduction à la microbiologie
232
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
ldi
A OPP OPP
DMAPP lPP
AtoB
O ERG13 OH O CrtE
tHMG1
CoA HO OH OPP
acétyl-CoA mévalonate GGPP
ERG12
CrtB
ERG8
MVD1
phytoène
ldi
OPP OPP Crtl
DMAPP lPP
lycopène
40 1400
B 30
35 1200
Production de lycopène (mg/L)
25
30
1000
25 20
800
20 Lycopène 15
600 Masse cellulaire
15
Glycérol résiduel 10
400
10
5
5 200
0
0 0
0 4 8 12 16 20 24 28 32 36
Temps après l’induction (h)
Le lycopène est un pigment naturel synthétisé par des plantes et des micro-organismes.
Sa fonction principale est d’absorber la lumière et de protéger les cellules de dommages
photo-oxydatifs. En santé humaine, il peut donc agir comme anti-oxydant en piégeant et
en désactivant les radicaux libres et les formes réactives de l’oxygène (voir Chapitre 5), ce
qui lui confère un intérêt pour la prévention de certains cancers. Il peut être extrait de la
tomate, synthétisé chimiquement, ou obtenu par fermentation par le champignon Blakeslea
trispora. Ce dernier en produit naturellement mais sa croissance est lente, ce qui handicape
par conséquent la productivité ; or la demande de lycopène est en nette augmentation.
Des tentatives de synthèse par ingénierie par différentes voies métaboliques ont été
amorcées chez E. coli, et c’est finalement la voie « mévalonate » qui s’est révélée la plus effi-
cace. Dans un premier temps, le mévalonate était fourni à la Bactérie ; puis, l’optimisation
233
Introduction à la microbiologie
234
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
étant la trop faible concentration de mévalonate endogène. Des enzymes plus efficaces
pour améliorer le flux vers ce métabolite ont été trouvées chez Staphylococcus aureus.
Ainsi, les gènes de levure erg13 et tHMG1 ont été remplacés par leurs orthologues bacté-
riens. De plus, les conditions de culture ont été optimisées : les concentrations d’azote
ammoniacal ont été maintenues à un faible niveau, et la production a été réalisée dans un
réacteur biphasique, ce qui permet d’éviter la perte d’amorphadiène par évaporation. Ce
dernier ajustement consiste à ajouter à la culture 20 % de volume d’un solvant organique,
le dodécane ; celui-ci, peu volatile et peu toxique pour E. coli, va retenir l’amorphadiène
en raison de son hydrophobicité. Ainsi, la production a pu atteindre 28 g/L.
L’amorphadiène est purifiée puis traitée chimiquement pour donner de l’artémisinine.
Il s’agit d’une suite de réductions et d’oxydations dont le rendement et la spécificité (régio-
et stéréospécificité) sont loin d’être optimaux. Chez la plante, ces réactions sont effectuées
par plusieurs cytochrome-oxydases, malheureusement inactives chez E. coli. On a donc
cherché à mimer l’activité d’une de ces enzymes par un cytochrome P450 bactérien, donc
mieux exprimé chez cet hôte, pour produire l’acide artémisinique-11S-époxide, dont
la modification chimique en amorphadiène ne pose pas de problème particulier (voir
Figure 9.10B). Il s’agit du P450 de Bacillus megaterium (P450amo), dont le gène a cependant
dû subir une mutagénèse dirigée au niveau de son site actif afin de pallier l’encombrement
CH2
H 3C
O O
H CH3 H
O O O H
DMAPP + IPP O P O P O –
2 O– O–
FPP synthase FPP Amorphadiène O
H
Farnésyl- synthase CH3 H
pyrophosphate
Amorphadiène Artémisinine
A Synthèse biologique chez E. coli Synthèse chimique
BM3 [oxydation]
H H H H H
H HO H
O O
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H H
O O
l ool
O
Époxyde -11S, 12 Aldéhyde
i ini e di do i ini e di do i ini e
H H H
H HO O
H
O O
op di ne ide
H H H di do i ini e Artémisinine
d ion
H H H
HO H HO
l ool i ini e O O
ld de i ini e ide i ini e
235
Introduction à la microbiologie
236
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
Glucose/éthanol
Ergostérol
∆7-réductase
Ncp1P
Cyp11A1
ADX + ADR
3β-HSD
Progestérone Désoxycorticostérone
Cyp17A1 Cyp21A1 Cyp11B1
Ncp1P Ncp1P ADX
Arh1p
17-OH-progestérone Corticostérone
Gcy1p
Cyp21A1
Ncp1P Ypr1p
11-déoxycortisol 17α-20α-dihydroxyprég-4-ène-3-one
Cyp11B1 Cyp11B1
ADX ADX
Arh1p Arh1
Hydrocortisone 11β-17α-20α-dihydroxyprég-4-ène-3-one
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237
Introduction à la microbiologie
238
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
MAO
Réaction
CNMT + 4’OMT spontanée
R-réticuline (R,S) -THP 3,4-DHPAA
E. coli 3 E. coli 2
R-réticuline
SalSNcut + ATR2
SalR
Salutaridine Salutaridinol
Réaction SalAT
spontanée
Thébaïne 7-O-acétylsalutaridinol
E. coli 4
239
Introduction à la microbiologie
MeO
O
NMe
H
MeO
2-Oxoglutarate
Thébaïne
CODM
Succinate 2-Oxoglutarate
T6ODM
Succinate
MeO MeO HO
Réaction
O spontanée O O
NMe NMe NMe
H
H H H
O O MeO
Néopinone Codéinone Oripavine
MeO MeO HO
O O O
NMe NMe NMe
H H
H H H
HO HO O
Néopine Codéine Morphinone
2-Oxoglutarate 2-Oxoglutarate
NADPH
CODM CODM
Succinate Succinate
HO HO
NADP+ COR
O O
NMe NMe
H
H H
HO HO
Néomorphine Morphine
240
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
(COR1.3) a été sélectionnée sur la base d’une affinité plus élevée pour la codéinone.
(b) Par ailleurs, le milieu de culture a été amélioré. Le 2-oxoglutarate, qui est un cosubstrat
clef de la T6ODM et de la CODM dans les voies (i), (ii) et (iii), s’est avéré limitant dans la
voie de la biosynthèse de la morphine. En effet, il a un rôle d’accepteur d’oxygène dans
la déméthylation oxydative par ces enzymes de la thébaïne et de la codéïne, respecti-
vement. L’addition de 2-oxoglutarate a permis d’augmenter le taux de morphine d’un
facteur 10 (soit 2,5 mg/L). (c) Certaines réactions catalysées par l’enzyme COR, dont la
conversion de la codéine vers la codéinone, sont réversibles. Le flux vers la codéine, et
par conséquent vers la morphine, pourrait être augmenté en optimisant les niveaux des
enzymes impliquées. Le ratio des enzymes T6ODM, COR et CODM a été modifié pour
obtenir une proportion 2/1/3, respectivement. La concentration de morphine produite a
ainsi été portée à 5,2 mg/L. (d) Enfin, un aménagement parut nécessaire pour diminuer
la voie vers la néomorphine. La cause principale de la ramification de la morphine vers
la néomorphine est la trop faible vitesse de transformation spontanée de la néopinone
(précurseur de la néomorphine) en codéinone (précurseur de la morphine). Une sépa-
ration spatiale de ces molécules a permis de laisser plus de temps à la néopinone pour se
réarranger spontanément en codéinone : l’enzyme COR a été fusionnée à une étiquette
de localisation vers le réticulum endoplasmique tandis que l’enzyme T6ODM est restée
cytoplasmique. Cette compartimentation a permis d’augmenter la conversion de néopi-
none en codéinone, ce qui a entraîné un flux deux fois plus important vers la morphine.
tration d’environ 5 g/L ! Cela traduit bien l’énorme travail d’investigation qui est nécessaire
pour parvenir à la synthèse d’un composé complexe par un seul micro-organisme.
241
Introduction à la microbiologie
d’obtenir ces protéines avec un bon rendement. Cependant, leur synthèse n’a pas été sans
poser quelques problèmes : mauvais repliements dans le cytoplasme du micro-organisme,
pont disulfure absent ou illégitime, glycosylation absente ou différente. Plusieurs stratégies
ont permis d’améliorer le repliement au cas par cas : expression contrôlée ou à tempéra-
ture modérée, co-expression de chaperonines (pour assister le repliement) ou de disulfide
isomérase (pour former des ponts disulfures corrects), utilisation de souches mutantes à
cytoplasme oxydant, expression sous forme de protéine de fusion, etc. Grâce à ces ajuste-
ments, beaucoup de protéines recombinantes ont pu être produites dans des conditions
satisfaisantes. À cet égard, les levures S. cerevisiæ ou Pichia pastoris constituent des hôtes
intéressants car en tant qu’Eucaryotes, ils sont plus adaptés à l’expression de protéines
eucaryotes. De plus, leur système de sécrétion leur permet d’exporter les protéines recom-
binantes, ce qui constitue un sérieux avantage pour leur purification. À titre d’exemple, le
vaccin recombinant contre l’hépatite B est produit chez la levure et est exploité commer-
cialement. Cependant, même les micro-organismes eucaryotes trouvent leurs limites pour
la synthèse de certaines protéines, comme les anticorps, et leur système de glycosylation
(absent ou différent) peut se révéler néfaste soit pour l’activité de la protéine, soit pour son
immunogénicité. Ainsi, la plupart des anticorps thérapeutiques conçus par génie géné-
tique sont produits par des cellules eucaryotes de mammifères (souvent des cellules de
Hamster CHO). Bien que leur expression soit assez faible et coûteuse, leur repliement est
correct et leur glycosylation est davantage conforme à celle d’origine.
242
Chapitre 9 • Biotechnologies microbiennes
protéines recombinantes : leur gène peut être fusionné à celui d’une protéine « marqueur »
(en l’occurrence la GFP$ ou ses dérivés, décelables grâce à leur fluorescence). Une protéine
recombinante se repliant mal dans le cytoplasme du micro-organisme producteur, donc
inutilisable, va influencer le repliement de GFP, provoquer son agrégation et par consé-
quent inhiber sa fluorescence. Les « bons » clones seront donc aisément identifiables. La
modification de quelques acides aminés sur la protéine recombinante, grâce à une muta-
génèse aléatoire sur le gène correspondant, peut suffire pour qu’elle ne se s’agrège pas.
L’évolution dirigée concerne aussi des protéines dépourvues d’activité enzymatique,
majoritairement destinées à interagir avec d’autres protéines ou d’autres molécules.
Les anticorps en sont les exemples les plus marquants, mais on peut également citer les
lectines (fixant les sucres), les « affibodies » (protéines affines artificielles), etc. L’évolu-
tion dirigée de ces protéines visera principalement l’amélioration de leur spécificité et
de leur affinité pour une cible. Plusieurs méthodes sont disponibles, celle de « Phage
display » $ étant la plus répandue. Les propriétés de nombreux anticorps ont pu ainsi être
améliorées. La mutagénèse intensive des boucles d’un anticorps peut aussi permettre
d’obtenir un anticorps d’une certaine spécificité sans avoir besoin d’immuniser un
animal avec l’antigène. Une autre solution, plus aléatoire et moins pratiquée, est l’expo-
sition des protéines d’intérêt à la surface du micro-organisme producteur par fusion
avec une de ses protéines membranaires (Cell-display).
243
Introduction à la microbiologie
244
L’essentiel
245
Entraînez-vous
9.1 La souche de Corynebacterium glutamicum sécrète-elle naturellement le gluta-
mate, la lysine ? Quelle solution a été appliquée pour améliorer cette sécrétion ?
9.2 Pourquoi est-il important de forcer les micro-organismes producteurs d’éthanol
à utiliser également les pentoses comme source de carbone ?
9.3 En quoi l’utilisation de la glycérol déshydratase de Clostridium butyricum est-elle
intéressante pour la production de 1,3-propane-diol ?
9.4 Pourquoi est-il plus prometteur de rechercher de nouveaux antibiotiques chez des
souches non cultivables ?
9.5 Décrire la production d’oligosaccharides in vivo chez E. coli par des glycosyltrans-
férases.
9.6 À quoi sert l’optimisation des codons d’un gène introduit chez un micro-orga-
nisme hétérologue ?
9.7 Décrire les étapes permettant de produire l’artémisinine, un antipaludique, par
un seul micro-organisme.
9.8 Quelle molécule sert de base pour la biosynthèse de l’hydrocortisone chez la
levure ?
9.9 Quelle méthodologie peut-on utiliser pour restaurer la solubilité d’une protéine
surexprimée dans le cytoplasme bactérien ?
9.10 Comment peut-on améliorer le tropisme de Bactéries pour les tumeurs ?
246
Bibliographie (ouvrages
didactiques et articles à
caractère non spécialisé*)
Benkimoun P., « Une technique révolutionnaire permettrait de produire de la morphine
à partir de sucre », Le Monde, 25/06/2015.
Bertrand J.C., Lebaron P., Normand P., Caumette P. et Matheron R., Écologie micro-
bienne : microbiologie des milieux naturels et anthropisés, Presses universitaires de Pau
et des Pays de l’Adour, 2011.
Bertrand J.C., Caumette P., Lebaron P., Matheron R., Normand P. et Sime-Ngando
T., Environmentalt microbiology: Fundamentals and applications: Microbial Ecology,
Springer 2016.
Claverie J.M. et Abergel C., « Les virus géants – État des connaissances, énigmes, contre-
verses et perspectives », Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 1087-1096. (**)
Cézard F. Biotechnologies, Dunod, 2013.
Daubin V. et Abby S. « Les transferts horizontaux de gènes et l’arbre de la vie », Med Sci
(Paris) 2012 ; 28 : 895-698. (**)
Duperron S., Les symbioses microbiennes : associations au cœur du vivant, Collection
Écologie, ISTE, 2017.
Paolozzi L. et Liébart JC., Microbiologie : Biologie des Procaryotes et de leurs virus,
Dunod, 2015.
Silar Ph., Protistes eucaryotes : Origine, évolution et biologie des microbes eucaryotes,
HAL Archives-ouvertes.fr. 2016. (**)
Pauthenier C. et Faulon J.C., « Techniques de l’ingénieur. Ingénierie métabolique et
© Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit.
(*) Une bibliographie spécialisée est disponible sur la page associée à l’ouvrage sur le
site dunod.com
(**) téléchargeable gratuitement
247
Index
249
Index
250
Index
251
Index
fermentation anaérobie 36 H
feuille de trèfle 140 habitat 42, 170
fixation d’azote 60, 162 halophile/halotolérant 47
flagelle 20, 27, 33, 84, 85, 151, 157, haploïde 37, 96, 129
189, 201 hélicase 106
flore microbienne 170 hélicité 108
Fmet 138, 139, 140 hémiméthylation 128
force du promoteur 136 hérédité cytoplasmique 29
forme réactive de l’oxygène (FRO) 114, 147, hérédité infectieuse intracellulaire 102
233 hérédité non mendélienne 37, 147
formyl-méthionine 138 hétérotrophie 42, 59, 62
fourche de réplication 106 Hfq 147
fragment d’Okazaki 108, 128 Hfr (haute fréquence de recombinaison)
fréquence de mutation 114 124
FRO 114, 147, 233 histidine kinase (HK) 150, 151
FtsZ 20, 84, 87 HMOs (Human Milk Oligosaccharides) 232
Fur 147, 148 HO• 119
holobionte 170
G holoenzyme 137
galerie d’identification 7 homéostasie 75, 96
GATC 106, 119, 128, 148 homosérine-lactone 156
GC 96, 102 horloge moléculaire 10
gemmation 85 hybridation ADN-ADN 6
gène de ménage 96 hyphe 86
génome mitochondrial 37 I
génome viral
île de pathogénicité 189
circulaire 200
île génomique 102
linéaire 199, 200
îlot métabolique 102
segmenté 199, 200, 213
immunité 29, 33, 56, 130, 171, 205
GFP 243
adaptative 183
GloboH 230
ETI 183
glucose 144 héréditaire 130
glutamate 218 innée 183
glycérol 225, 234 implant génétique 222
glycolyse 73 inclusion 22
glycosylase 126 incompatibilité 169
glycosyltransférase (GT) 230, 231 indice de Shannon, H’ 54
Gram– 154 indice de Simpson, Ds 54
Gram+ 155 inducteur 142, 143, 144
GRAS (Generally Recognised infection nosocomiale 176
As Safe) 234 infection systémique 213
GTA (Gene Transfer Agent) 125 ingénierie métabolique 234
guilde microbienne 41, 58 initiation 137, 140
gyrase 93, 117 intégron 102, 115
252
Index
253
Index
254
Index
255
Index
256
Index
257
Index
W Y
Watson (J.) 93 yersiniose 180
Woese (C.) 11
Yop 183
X
xérophile 49
Z
xylose 222 zoonose 178