Poètes — Notices du tome III

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François Porché       Pierre Quillard       Ernest Raynaud       Henri de Régnier       Adolphe Retté       Arthur Rimbaud       Georges Rodenbach       Paul-Napoléon Roinard       Jules Romains       Saint-Pol-Roux       André Salmon       Albert Samain       Cécile Sauvage       Fernand Séverin       Emmanuel Signoret       Paul Souchon       Henry Spiess       André Spire       Laurent Tailhade       Touny-Lérys       Paul Valéry       Charles van Lerberghe       Émile Verhaeren       Paul Verlaine       Francis Vielé-Griffin

Ce tome III des Poètes d’aujourd’hui reprend la numérotation des notes à 1. Les notes sont sous chaque poète. Afin d’éviter leur prolifération, les notes déjà données dans les tomes I & II ne seront pas reprises dans ce tome III.

François Porché1
1877

François Porché dans Les Nouvelles littéraires du onze novembre 1922, page quatre

M. François Porché (Pierre-Louis) est né à Cognac (Charente) le 21 novembre 1877, d’une famille charentaise dans les deux lignes. Son père, Louis Porché (1840-1920), cognaçais, était employé dans la Maison Hennessy et Cie. Sa mère, Léontine Dupond (1851-1917), était originaire de Ruffec. Son ascendance paternelle était cognaçaise depuis plusieurs siècles. Ses ancêtres étaient charpentiers et « laboureurs à charrue ». On lira dans notre choix le très beau poème, d’inspiration franche et fière, que M. François Porché a écrit sur le lointain ancêtre de qui probablement lui vient son nom2.

M. François Porché fit ses études au collège de Cognac, puis au lycée d’Angoulême, condisciple là, de M. Jean Tharaud3. Bachelier ès lettres, il vint à Paris en 1895, pour faire son droit. Si peu empressé qu’il fût à ces études juridiques, il passa avec succès sa licence de droit, s’inscrivit au barreau de Paris et fit là son stage d’avocat. La littérature l’occupait uniquement, pour dire plus juste : la poésie. Présenté au Mercure de France par Pierre Quillard*, il y publia ses premiers vers en 1902. Il poursuivait en même temps la recherche de ce « second métier », nécessaire à tout écrivain à ses débuts. Il fut ainsi pendant un an secrétaire chez des constructeurs, de béton armé, puis avec son ami M. Georges Le Cardonnel, lui aussi à ses débuts d’écrivain, agent d’une Compagnie américaine d’assurances sur la vie, sans avoir, dit-il lui-même, jamais réussi à faire un seul assuré.

En 1904, Charles Péguy, dont il avait fait la connaissance en 1899 chez M. Jean Tharaud, lui publia dans un Cahier de la quinzaine4 son premier recueil de vers : À chaque jour5, qui reparut au Mercure en 1907 augmenté de plusieurs poèmes. Cette même année 1907, M. François Porché, qui collaborait déjà à de nombreuses revues, partit pour la Russie, « cet immense pays souffrant », curieux d’observer les transformations sociales qui s’y annonçaient déjà. On trouve dans son recueil Au loin, peut-être…6 les poèmes qu’il a écrits sur ce départ, sur les étapes de son voyage, sur sa vie dans ce pays si nouveau pour un jeune Français, sur les spectacles qui s’offraient à sa rêverie comme à sa méditation, sur la rencontre qu’il fit de l’amour, également. Ils n’ont rien perdu de leur accent après tant d’années.

Donc, j’ai voulu quitter Paris, quitter la France
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Être loin, être très loin demain.
C’est un soir que le train faisait halte en Pologne…
O cosaques, comment avec un pareil nom
Avez-vous cet aspect jeune et si peu farouche ?…
Une chambre d’hôtel, la nuit, à Varsovie…
Varsovie, un feu sombre est caché sous tes pierres…
Je sais plus d’une table où mon couvert est mis…
Que m’importe, après tout, de savoir si je l’aime !…

Sa résidence habituelle en Russie était Moscou. Il donnait là des leçons de français et de littérature française. Il fit égaiement de fréquents séjours à Pétersbourg, voyagea par toute la Russie, visita la Finlande, la Suède, la Norvège et revint en France par l’Allemagne en 1911. Rentré à Paris, il occupa les fonctions de secrétaire chez M. Paul Fould7 et collabora à la Nouvelle Revue française sous la direction de M. Jacques Copeau8. Réformé en 1902, après une année de service à Angoulême, M. François Porché s’était fait réintégrer dans l’armée en 1913. En 1914, la guerre déclarée, il fut mobilisé comme simple soldat au 74e d’infanterie territoriale. Évacué du front de l’Yser9 pour pneumonie double, il fut alors réformé définitivement. Il se trouva avoir les soins, pendant ses deux années de convalescence qu’il passa étendu sur une chaise-longue, d’une amie de jeunesse, Madame Simone, l’artiste dramatique, avec laquelle il était lié depuis 1897 et qu’il devait épouser en 1923. C’est à son retour de la guerre que M. François Porché écrivit sa première œuvre dramatique : Les Butors et la Finette, représentée au Théâtre-Antoine le 29 novembre 1917, avec Madame Simone dans le rôle de la Finette10. La guerre, que venait de voir de près M. François Porché, est le sujet de cette pièce, sous un aspect allégorique, qui fait d’elle, par endroits, comme un conte de fée, une œuvre d’inspiration populaire au meilleur sens du mot. Les Butors sont les Allemands, et la Finette c’est la France, sans que le nom des premiers ni celui de la seconde y soient prononcés une seule fois. M. François Porché montrait dans cette pièce un grand talent de poète, et en même temps, et surtout, ce qui était rare dans le moment, une grande probité morale et la plus belle générosité humaine, montrant, d’un côté comme de l’autre, le même devoir accepté et rempli avec résignation, les mêmes souffrances et les mêmes deuils. Œuvre à lire à l’égal d’un grand poème. Nous donnons dans notre choix le monologue de la Finette, quand, dans un arrêt de la guerre, parcourant son domaine et comptant ses premiers morts, elle lit sur une tombe à l’écart le nom d’un étranger11. Depuis, M. François Porché a poursuivi son œuvre de poète dramatique avec d’autres pièces toutes représentées à Paris et dont on trouvera les titres à la rubrique des œuvres. Il a publié également des ouvrages de critique ou d’histoire littéraire, comme La Vie douloureuse de Charles Baudelaire12, ou d’études de mœurs, comme : L’Amour qui n’ose pas dire son nom13. Il a fait des conférences sur la littérature française aux États-Unis et au Canada en 1924, à l’Université de Berlin en 1927, en Belgique, en Hollande, en Suisse et en Angleterre en 1928.

La poésie de M. François Porché n’est pas un vain assemblage de jolis mots et de sonorités harmonieuses. Elle peut paraître un peu rude quelquefois dans sa sobriété et d’un ton un peu âpre. Mais sous cet aspect, une profonde sensibilité s’y trouve jointe à un esprit qui pense, et sa rêverie a toujours comme point de départ un sujet humain. Il semble qu’on puisse dire qu’il n’a pas écrit un vers qu’il ne l’ait vécu14.


1       François Porché est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la troisième édition de 1930 dans des conditions un peu particulières. Nous avons lu la page « Les Butors et la Finette » et la très chaleureuse chronique que Maurice Boissard avait rédigé dans le Mercure du seize janvier 1918 pour cette pièce créée le trente novembre 1917. Malheureusement pour François Porché deux autres pièces ont moins favorisé l’enthousiasme de Maurice Boissard qui a été moins aimable le seize avril 1919 pour La Jeune fille aux joues roses et pas aimable du tout le premier février 1923 pour Le Chevalier de Colomb. Le huit décembre 1926 nous pouvons lire une lettre de Paul Léautaud à François Porché qui dit en substance « J’ai dit du mal de vos pièces mais ne soyez pas fâché contre moi, je vous aime bien et bienvenue dans les Poètes d’Aujourd’hui. »

2       « J’ai songé bien des fois à ce lointain ancêtre / À celui qui reçut le nom qu’il m’a légué / Du sordide troupeau de porcs qu’il menait paître / Dans la forêt obscure et, de là, boire au gué. »

3       Les frères Tharaud, Jérôme (1874-1953) et Jean (1877-1952), auteurs féconds, l’un rédigeant, l’autre corrigeant, sont de cette droite coloniale, raciste et antisémite, courante à l’époque. Ils seront d’ailleurs tous deux élus à l’Académie française, l’un en 1938, l’autre en 1946. Ils ont reçu le prix Goncourt en 1906 pour Dingley l’illustre écrivain (Éditions d’Art Édouard Pelletan, 155 pages).

4       Les Cahiers de la Quinzaine, revue bimensuelle fondée et dirigée par Charles Péguy, d’inspiration dreyfusarde, ayant paru de janvier 1900 à juillet 1914.

5       François Porché, À chaque jour, Mercure 1907, 249 pages.

6       François Porché, Au loin, peut-être…, Mercure, été 1909, 216 pages.

7       Peut-être Paul Fould (1837-1917), juriste et homme de lettres.

8       Jacques Copeau (1879-1949), homme de théâtre parmi les plus importants de son temps, a aussi fait partie du groupe des créateurs de La Nouvelle revue française.

9       L’Yser est un petit fleuve qui prend sa source en France et se jette dans la mer du Nord à Nieuport, en Belgique. Le 74e régiment d’infanterie territoriale se trouvait aux abords de l’Yser en octobre/novembre 1914.

10     Le texte de la pièce est paru chez Émile-Paul en 1918.

11     « Tout est muet, la lune brille. / Je venais là, petite fille, / en avril cueillir la jonquille. »…

12     François Porché, La Vie douloureuse de Charles Baudelaire, Plon 1926, 304 pages.

On remarquera le désuet logo de Plon

13     François Porché, L’Amour qui n’ose pas dire son nom, Grasset 1927, 242 pages.

14     Journal de Paul Léautaud au vingt septembre 1927 : « Dimanche, travaillé toute la journée à me mettre en règle pour les Poètes. J’ai fini. L’imprimerie peut se mettre au travail. Elle a de quoi faire. Je n’ai plus comme travail sérieux que les notices Porché, Valéry et Vielé-Griffin. Je ne les laisserai pas traîner. » Ces trois notices ne seront pas encore achevées au huit août 1929.

Pierre Quillard15
1864-1912

Pierre Quillard est né à Paris le 14 juillet 1864. Il fit ses études au lycée Condorcet, condisciple, comme on l’a vu précédemment, d’Éphraïm Mikhaël*, de Stuart Merrill*, André Fontainas* et René Ghil*. Il suivit ensuite les cours de la Faculté des lettres, entra à l’École des Chartes et à l’École des Hautes-Études, et fut chargé par cette dernière, en 1889, d’une mission paléographique à Lisbonne. À cette époque, sa carrière littéraire était déjà commencée. Depuis 1884, il collaborait à La Basoche de Bruxelles, et en 1886 il avait fondé, avec Éphraïm Michaël et Paul Roux (plus tard Saint-Pol-Roux*) La Pléiade, la petite revue dont il a déjà été parlé, et où collaborèrent également Charles van Lerberghe*, Maurice Maeterlinck*, Grégoire Le Roy*, Rodolphe Darzens et Camille Bloch. C’est dans La Pléiade que Pierre Quillard publia tout d’abord, outre des poèmes, La Fille aux mains coupées16, mystère en deux tableaux et en vers, réimprimé en 1891 dans son volume : La Gloire du Verbe17, et représenté la même année18 au Théâtre d’Art de M. Paul Fort. Dès 1891, Pierre Quillard collabora assidûment au Mercure de France19, où il a donné des poèmes, des pages de prose, des études de littérature et de critique, non réunies en volume, sur Stéphane Mallarmé, Bernard Lazare, José-Maria de Heredia, Albert Samain*, Leconte de Lisle, Émile Zola, Madame Rachilde, Henri de Régnier*, Anatole France, Paul Adam, Remy de Gourmont*, Georges Clemenceau, Laurent Tailhade*, Teodor de Wyzewa, Gustave Geoffroy, Henri Barbusse*, André Fontainas*, etc. En 1893, Pierre Quillard partit pour Constantinople, où il vécut jusqu’en 1896, professeur au Collège arménien catholique Saint-Grégoire l’Illuminateur et à l’École centrale de Galata. C’est pendant ce séjour en Orient, qu’il devait renouveler en 1894, pour suivre, pour le compte de L’Illustration, les opérations de la guerre gréco-turque, qu’il écrivit L’Errante20, poème dialogué, représenté au Théâtre de L’Œuvre en 1896, et la plupart de ces poèmes si purs, si harmonieux, d’une inspiration à la fois orgueilleuse et désabusée, qu’on trouvera dans notre choix. Vaines images21, les intitulait-il, ce qui prend l’aspect d’une modestie un peu excessive, quand, après avoir lu ces poèmes, les vers, malgré soi, vous en reviennent tout seuls à la mémoire. Revenu à Paris vers la fin de 1896, il réunit toute son œuvre en un volume : La Lyre héroïque et dolente, qui est resté sa seule publication poétique. « M. Pierre Quillard, écrivit à ce propos M. Henri de Régnier22, est fortement nourri des belles-lettres antiques ; aussi a-t-il droit plus que tout autre d’intituler ainsi son livre… Il a pris à la fréquentation des Muses helléniques et latines une gravité harmonieuse et hautaine, un reflet lumineux et calme. Lisez ses belles Élégies héroïques : Le Dieu mort, Ruines, Les Vaines images, qui sont Psyché, Hymnis et Chrysarion, Le Jardin de Cassiopée, La Chambre d’amour, et goûtez-en la beauté amère et sereine, l’âcre et doux parfum, la cadence sonore. Elles disent l’Amour, la Mort et le Temps ; elles exhalent une mélancolie stoïque et païenne ; elles sentent la rose et le cyprès ; il y rôde une odeur de Bois sacré… M. Pierre Quillard écrit durable… »

On doit également à Pierre Quillard plusieurs ouvrages savants, traduction d’œuvres de Sophocle, de Porphyre, d’Hérondas, de Claudius Aeliénus Prénestin, une étude sur la langue de Théocrite dans Les Syracusaines23, ainsi que d’autres travaux se rattachant à ses préoccupations sociales et politiques. Pierre Quillard, en effet, s’est souvent mêlé aux événements de notre époque. Il a notamment pris le parti, en France, du peuple arménien opprimé par le gouvernement turc, et il a fondé dans ce but un petit journal de propagande : Pro Armenia. Il a également pris une part très active et très courageuse, aux côtés d’Émile Zola, dans une grande affaire qui passionna la France, il y a quelques années : l’affaire Dreyfus, pour être plus clair. On doit admirer en lui un vrai poète, à qui l’art ne faisait pas oublier ni négliger la vie.


15     Pierre Quillard est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition de 1900. Sa notice a été rédigée par Paul Léautaud. Le texte de la notice a été un peu augmenté dans l’édition de 1908 et est resté tel dans cette édition de 1930. Le texte des chroniques rédigées ou supposément rédigées par Paul Léautaud est ici justifié à droite à à gauche.

16     Pierre Quillard, « La Fille aux mains coupées », La Pléiade 1886, dédié à Maurice Peyrol, dont il semble exister un tiré à part en cent exemplaires. Ce mystère a été intégré dans le volume La Lyre héroïque et dolente paru au Mercure en novembre 1897 (220 pages) qui rassemble toute l’œuvre poétique de Pierre Quillard, comme L’Errante (note 20 page 7) ou Les vaines images (note 21 page 7).

17     Pierre Quillard, La Gloire du Verbe, librairie de l’Art indépendant, décembre 1890, 146 pages.

18     Le 19 mars.

19     Le premier texte de Pierre Quillard a été sur Stéphane Mallarmé en ouverture du Mercure de juillet 1891, prélude à 223 autres textes — essentiellement la rubrique des « Poèmes » — jusqu’au numéro du seize janvier 1912 avant de mourir le quatre février à l’âge de 48 ans.

20     L’Errante, poème dialogué, a été écrit à Constantinople en janvier-février 1896 puis représenté le 22 avril (et non le 22 mai comme il est écrit partout), avec Lugné Poe dans le rôle de « L’Homme », « Mademoiselle Melly » dans celui de l’Errante et Suzanne Auclaire dans celui de la récitante. Le texte de ce poème est paru dans le Mercure de juin 1896, dédié à Rachilde (pages 327-333). Léon Bernard-Derosne, dans le Gil Blas du 23 avril a écrit : « Quant à L’Errante, je ne puis m’hasarder à en dire un seul mot, par cette raison accablante pour moi que je n’en ai littéralement pas compris un mot. » Mais, magnanime Léon Bernard-Derosne ajoute « C’est certainement de ma faute, et de ma faute seule ». Le poème L’Errante était donné en soirée après La Dernière croisade, comédie en trois actes de Maxime Gray et avant La Fleur enlevée, un acte traduit du chinois.

« L’Errante » dans le Mercure de juin 1896, page 327

21     Pierre Quillard, Les vaines images, quatre poèmes (Psyché, Éliane, Hymnis et Chrysarion) dédiés à Henri de Régnier introduits dans La Lyre héroïque et dolente (note 16 page 6).

22     Dans le Mercure de décembre 1897, page 883.

23     Pierre Quillard et Marcel Collière, Étude phonétique et morphologique sur la langue de Théocrite dans « les Syracusaines », augmentée du texte des Idylles III et LX avec traduction littérale et d’un « Avertissement » d’Henri Goelzer, chez Croville-Morant et Foucart 1888, 51 pages.

Ernest Raynaud24
1864

M. Ernest-Gabriel-Nicolas Raynaud est né à Paris25 le 22 février 1864, languedocien par son père et ardennais par sa mère. Il fit ses études au lycée Charlemagne. Tourné de très bonne heure vers les lettres, il était encore lycéen qu’il écrivait déjà des vers. Il avait élu comme maître Paul Verlaine*, preuve d’un goût sûr autant que libre, si l’on songe qu’un jeune homme se tourne d’ordinaire plutôt vers les talents consacrés et célèbres. Un jour il lui adressa des vers, que l’auteur de Sagesse remit à Lutèce, où ils furent publiés et bientôt suivis d’autres. Ce furent les débuts de M. Ernest Raynaud et sa première collaboration aux revues littéraires. Dans Lutèce, M. Ernest Raynaud publia, en même temps que des vers, des études et des fantaisies, une petite série de poèmes en prose : Le Carnet d’un Décadent, où se montrait déjà très sûrement sa personnalité, faite d’émotion et d’ironie. Le Décadent26 fondé par M. Anatole Baju, M. Ernest Raynaud y collabora ensuite de façon assidue, le rédigeant presque entier à lui seul, sous les pseudonymes les plus divers, notamment celui du Général Boulanger, du nom duquel il signa des sonnets dont toute la presse de l’époque s’occupa, et celui d’Arthur Rimbaud, pour des pastiches qui trompèrent les meilleurs connaisseurs de l’auteur du Bateau ivre. M. Ernest Raynaud s’est fait ainsi une petite place parmi les mystificateurs littéraires, rôle où il faut autant de talent que d’ingéniosité. En 1887, M. Ernest Raynaud fit paraître son premier recueil : Le Signe27, où J.-K. Huysmans admirait « des pièces vraiment belles, celle de la pauvreté, surtout, où la tristesse des dimanches embêtés sans le sou, sans le désir de lire, se déployait avec une belle âcreté, et, dans un genre autre, Les Trianons, dont la grâce fardée était tout exquise28. » Le Signe fut suivi en 1889 de Chairs Profanes29, et en 1890 des Cornes du Faune30, dont toute la critique fut unanime à louer le profond sentiment poétique et la subtilité d’esprit. À la fin de 1889, M. Ernest Raynaud prit part, avec MM. Albert Aurier, Jean Court, Louis Denise, Édouard Dubus, Louis Dumur, Julien Leclercq, Jules Renard, Albert Samain* et Alfred Vallette, — auxquels devait venir se joindre bientôt M. Remy de Gourmont*, — aux réunions préparatoires à la fondation du Mercure de France, dont le premier numéro parut dans les derniers jours de décembre, portant la date de janvier 1890. Au cours de sa collaboration à cette revue, M. Ernest Raynaud y a publié de nombreux poèmes, qu’on retrouve pour la plupart dans ses livres, des pages de critique dramatique et littéraire, et des notices et des portraits littéraires31. L’École Romane fondée, cette même année 1890, par Jean Moréas, M. Ernest Raynaud fut également de ce groupe, avec Maurice du Plessys et MM. Raymond de La Tailhède* et Charles Maurras, comme on l’a déjà vu précédemment. Il publia pour sa contribution au mouvement roman Le Bocage32, paru en 1895, et qui contenait, au dire d’un critique, le meilleur de l’inspiration du groupe, faite d’archaïsme et de rhétorique plutôt que de vraie sensibilité33. Deux autres volumes parus depuis, La Tour d’ivoire34, en 1899, et La Couronne des Jours35, en 1905, d’une inspiration plus humaine et plus diverse, où des tableaux parisiens voisinent avec des impressions de voyages, et de pures notations de rêveries avec des exaltations philosophiques, complètent aujourd’hui l’œuvre poétique de M. Ernest Raynaud. Entre temps, M. Ernest Raynaud fonda, en 1900, chez l’éditeur Clerget36, une petite revue : Le Sagittaire37, qui dura un peu plus d’une année. Il y publia des articles de critique, des comptes rendus de Salons38, et notamment Les Joyeusetés d’Aimé Passereau39, une trentaine de pièces malicieuses et satiriques.

M. Ernest Raynaud est président honoraire de La Société des Poètes français et président de la société des Écrivains ardennais. Il a collaboré à Lutèce, au Décadent, au Mercure de France, à La Plume, au Sagittaire, au Penseur, à La Revue du Bien, à La Jeune Champagne, à L’Occident, à Vers et Prose.

M. Ernest Raynaud a mené de front la carrière administrative et la carrière des lettres. D’abord secrétaire du commissariat de La Chapelle, puis officier de paix, il fut nommé commissaire de police du quartier Saint-Lambert, d’où il passa, en 1899, à celui de Necker, et, en 1907, à celui de Plaisance.

Depuis quelques années, il a pris sa retraite, et ses travaux se sont multipliés : souvenirs de l’écrivain sur le mouvement poétique symboliste, souvenirs du fonctionnaire sur plusieurs affaires retentissantes, composant des livres dont on trouvera les titres dans la bibliographie qui suit40.


24     Ernest Reynaud est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec l’édition précédente, de 1908. Sa notice n’a pas évoluée depuis.

25     En 1899, Ernest Raynaud habitait 235 bis rue de Vaugirard, un bel immeuble qui existe encore, à l’angle de la rue Mathurin Régnier.

26     Le Décadent littéraire est une revue fondé le dix avril 1886 par Anatole Baju, qui a paru toutes les semaines jusqu’en 1887 puis deux fois par mois (le premier et le quinze) jusqu’en 1889. Anatole Baju (1861-1903, à 42 ans), journaliste.

Dans ce sommaire nous voyons aussi le nom de Louis Pilate de Brinn’Gaubast qui avait dirigé La Pléiade.

27     Ernest Raynaud, Le Signe, Léon Vanier 1887, 32 pages.

Dédicace à Alfred Vallette d’après l’exemplaire de la BNF (fragment)

28     Allusion au poème À Trianon dédié à Louis Lenormand et présent dans le recueil Le Signe : « Je trouve un charme étrange à tes longues allées / S’ouvrant comme une ogive à l’horizon vermeil, / À tes taillis déserts et fouettés de soleil / Où les oiseaux sans peur s’ébattent par volées. »

29     Ernest Raynaud, Chairs Profanes, Léon Vanier 1888, 39 pages.

30     Ernest Raynaud, Les Cornes du Faune, Bibliothèque artistique et littéraire 1890, 104 pages.

31     Ernest Raynaud a publié 120 textes dans la revue, du premier numéro jusqu’à celui du quinze juillet 1936 avant de mourir en octobre de la même année. Parmi ces 120 textes, 51 sont sa rubrique « Police et criminologie », du premier février 1920 au quinze juillet 1936.

32     Ernest Raynaud, Le Bocage, accompagné d’une préface de Jean Moréas, Bibliothèque artistique et littéraire 1895, 106 pages.

33     « Tout cela contribue à faire d’Ernest Raynaud un poète assez artificiel dont le talent se résume dans une alliance inégale d’archaïsme et de rhétorique, où la sensibilité voisine avec l’afféterie et dont l’originalité reste encore aujourd’hui contestable. » André Barre, Le Symbolisme, Jouve 1911, page 381.

34     Ernest Raynaud, La Tour d’ivoire, Bibliothèque artistique et littéraire 1899, 167 pages.

35     Ernest Raynaud, La Couronne des Jours, Mercure 1905 (achevé d’imprimer le cinq mars), 207 pages.

36     Fernand Clerget (1865-1931).

37     Le Sagittaire, revue mensuelle d’art et de littérature, 32 pages, est paru sur seize numéros, de juin 1900 à la fin de l’année 1901.

38     Il s’agit de la rubrique artistique « Promenade au Salon » (de peinture).

39     Aimé Passereau, Les Joyeusetés, quatrième numéro du Sagittaire, daté de septembre 1900. Dans ce même numéro nous trouvons un portrait de Léon Riotor par Léon Frapié. Il ne semble pas que ces poèmes satyriques ni plus généralement les œuvres d’Aimé Passereau aient débordé des pages de ce Sagittaire.

40     Ces notices, ainsi que cela a été dit, sont publiées seules. On peut noter trois ouvrages d’Ernest Raynaud, ou plutôt un ouvrage, Souvenirs de police, en trois volumes : Au Temps de Ravachol, Payot 1923, dédié à Louis Barthou et accompagné d’une lettre-préface de celui-ci, 319 pages ; Au temps de Félix Faure, Payot 1925, 251 pages ; et La Vie intime des commissariats, Payot 1926, 267 pages.

Henri de Régnier41
1864

Henri de Régnier par Emmanuel Luque (fragment) en couverture des Hommes d’aujourd’hui numéro 342 (fin 1888 ou début 1889)

Le premier et le plus célèbre des « poètes d’aujourd’hui », M. Henri-François de Régnier est né à Honfleur (Calvados), le 28 décembre 1864. Du côté paternel, sa famille est originaire de la Thiérache, petit pays dépendant autrefois de la Province de Picardie, et qui forme aujourd’hui une partie du département de l’Aisne. En 1585, un Crespin de Régnier était seigneur de Vigneux en Thiérache. Capitaine d’une Compagnie de cinquante hommes d’armes, il servit sous le duc de Bouillon et le maréchal de Balagny, durant les guerres de la Ligue, et épousa, en 1589, Yolaine de Fay d’Athies, fille de Charles de Fay d’Athies, l’un des Cent Gentilshommes de la Maison du Roi. Son petit-fils, Charles de Régnier, également seigneur de Vigneux (1623-1686), fut maintenu en sa noblesse en 1667 et en sa qualité d’écuyer. On trouve encore : François de Régnier (1693-1763), Lieutenant-colonel du Régiment de Touraine, Brigadier des armées du Roi, Chevalier de Saint-Louis. (Un roman de M. de Régnier, Le Bon Plaisir, qui se passe au temps où il vécut, lui est dédié, ainsi qu’à ses deux femmes, Anne de Hézecques et Marie de Pastoureau.) Gabriel-François de Régnier (1708-1761), Brigadier des Chevau-légers de la Garde ordinaire du Roi, Chevalier de Saint-Louis. Il fut le père de François de Régnier (1745-1825), Capitaine au Régiment de Royal-Dragons, Chevalier de Saint-Louis, qui émigra et servit à l’armée des Princes. Son fils, Henri-Charles-François de Régnier (1789-1875) — le grand-père de M. de Régnier — rentra en France en 1802 et fut fait, en 1826, Chevalier de la Légion d’honneur. Enfin, Henri-Charles de Régnier (1820-1893), le père du poète.

Le blason des Régnier, tel que le décrit l’Armorial général de d’Hozier de 1697, Province de Picardie, généralité de Soissons, est d’or au sautoir de gueules cantonné de quatre merlettes de sable.

Reconstitution du blason de la famille de Régnier selon la description ci-dessus

Du côté maternel, la famille de M. de Régnier est originaire de la Bourgogne, et remonte à Yves du Bard, qui vécut à la fin du XVIe siècle. Il fut le père de Philippe du Bard, qui eut pour fils François du Bard. Le fils de ce dernier, Antoine du Bard, épousa, en 1662, Marie de Sauaise de Chasans, arrière-petite-nièce du célèbre érudit Claude de Saumaise42 et de Charlotte de Saumaise, comtesse de Brégy, dame d’honneur de la Reine Anne d’Autriche, qui a laissé des Lettres et des Poésies et fut une « précieuse » de marque. Ce mariage apporta à Antoine du Bard les terres de Chasans, Ternant et Curley, dont ses descendants portèrent les noms. Il en naquit Marc-Antoine du Bard de Chasans, dont le fils, Bénigne du Bard de Chasans, conseiller au Parlement de Dijon, fut le père d’Alexandre-Anne du Bard de Curley (1765-1849). On arrive alors à Alexandre du Bard de Curley (1805-1874), grand-père maternel de M. de Régnier, et qui épousa, en 1832, Mademoiselle de Guillermin.

M. Henri de Régnier passa à Honfleur une partie de son enfance. Dans un petit volume qui a pour titre Le Trèfle blanc43, au chapitre intitulé : La Côte Verte, il a noté quelques-unes des impressions qui lui sont restées de ses premières années. En 1871, sa famille vint à Paris, et en 1874 il entra au Collège Stanislas. Bachelier en 1883, il fit ensuite son droit, pour satisfaire aux désirs de sa famille, qui voulait qu’il eût un métier, puis passa l’examen des Affaires étrangères. Au collège, il avait déjà commencé à écrire des vers, sans aucun dessein, comme une chose naturelle. Les premiers qu’il eut d’imprimés le furent dans Lutèce, où il débuta en 1885(44), et il y a des vers de collège dans son premier recueil, Les Lendemains45, publié la même année à la librairie Vanier. En 1886, il publia à la même librairie un deuxième recueil : Apaisement46.

M. de Régnier vivait alors très retiré. Le seul écrivain qu’il connût était Sully Prudhomme. Il avait lu et lisait beaucoup Hugo. Il lisait aussi Baudelaire, Vigny, Mallarmé, et les sonnets de José-Maria de Heredia, épars dans les revues et que les lettrés collectionnaient. Son ardeur poétique ne l’occupait pas tout entier. Un autre côté de son esprit le portait vers les livres d’analyse, les romans, les mémoires, tout ce qui peint la vie et les hommes. « J’étais double, en quelque sorte, explique-t-il à ce sujet ; symboliste et réaliste, aimant à la fois les symboles et les anecdotes, un vers de Mallarmé et une pensée de Chamfort, » Seulement, le besoin poétique fut longtemps le plus fort en lui. Il comprenait aussi qu’on n’écrit guère de romans valables à vingt ans, qu’il est nécessaire d’avoir un peu vécu, et il attendait. Son œuvre poétique avancée, il songea davantage au roman. Il écrivit alors ses contes : Contes à soi-même47, La Canne de Jaspe48, qui lui furent une transition, un apprentissage. On peut d’ailleurs se rendre compte du travail de son esprit comme romancier. Dans La Double Maîtresse49, le poète des Poèmes anciens et romanesques50 se sent encore à chaque page. On le retrouve moins dans Le Bon plaisir51. On ne le retrouve presque plus dans Le Mariage de Minuit52. Dans Les Vacances d’un jeune homme sage53, il n’y a déjà plus que le romancier.

La réputation de M. Henri de Régnier s’établit de bonne heure chez les lettrés. Un des promoteurs les plus en vue du mouvement littéraire appelé symboliste, il n’est pour ainsi dire pas une des revues, tant françaises que belges, suscitées par ce mouvement, où il n’ait écrit54. Bientôt connu des maîtres, il fréquenta chez Leconte de Lisle, et fut aussi, selon les justes expressions de M. Francis Vielé-Griffin*, qu’il faut également compter parmi eux, de « ces jeunes hommes qui, guidés par leur seule foi dans l’Art, s’en furent chercher Verlaine au fond de la Cour Saint-François, blottie sous le chemin de fer de Vincennes55, pour l’escorter de leurs acclamations vers la gloire haute que donne l’élite ; qui montèrent, chaque semaine, la rue de Rome, porter l’hommage de leur respect et de leur dévouement à Stéphane Mallarmé, hautainement isolé dans son rêve ; qui entourèrent Léon Dierx d’une déférence sans défaillance et firent à Villiers de l’Isle-Adam, courbé par la vie, une couronne de leurs enthousiasmes ».

Après Les Lendemains et Apaisement, M. de Régnier publia Sites56, en 1887, et Épisodes57, en 1888, deux recueils où sa personnalité commençait à apparaître. C’est toutefois dans les Poèmes anciens et romanesques58, publiés en 1890, qu’elle se manifesta vraiment pour la première fois, et ce n’est pas trop dire que lui seul pouvait écrire les vers de ce recueil, comme presque tous les poèmes qu’il a écrits depuis. C’est dans les Poèmes anciens et romanesques que M. de Régnier commença à se servir du vers libre, soit pour le mêler à des alexandrins, soit pour écrire des pièces entières. On en a dit, de ce vers libre employé par lui, qu’il n’est qu’un alexandrin morcelé, et il l’est souvent, en effet. M. de Régnier n’en a pas moins écrit, avec ce vers libre, des poèmes remarquables au plus haut point par leur harmonie mystérieuse, pleine de nuances, de langueur et de fluidité.

Tel qu’en songe59 suivit les Poèmes anciens et romanesques, en 1892. C’est dans ce recueil que se trouve le poème La Gardienne, représenté au Théâtre de l’Œuvre en 1894. Il est écrit en vers libres et en alexandrins. C’est un drame à personnages emblématiques, plein de morceaux sonores, d’une longue coulée, et dans lequel M. de Régnier a fait revivre la grande période à rimes plates, délaissée depuis Hugo et Leconte de Lisle.

En 1893, parut la première œuvre en prose de M. de Régnier, Contes à soi-même. Le style de ces contes est fort loin du style aisé et rapide que M. de Régnier montre aujourd’hui dans ses romans. C’est au contraire une prose savante, solennelle, guindée même, et même aussi un peu difficile, et dans laquelle on retrouve tout le poète, avec ses mots préférés. Un nouveau recueil de contes : Le Trèfle noir60 suivit, en 1895 C’est dans ce livre que commence, tant par le style que par le choix des sujets, le changement dont nous avons parlé plus haut, surtout dans le conte intitulé Hermocrate ou le récit qu’on m’a fait de ses funérailles61. Le style est plus net, Il y a moins de recherche dans les mots, et plus de vie dans le sujet. Quelques années plus tard, en 1897, M. de Régnier joindra les contes du Trèfle noir à huit contes nouveaux et les publiera ensemble sous le titre : La Canne de Jaspe. Il sera alors tout préparé pour écrire ses romans : « M. d’Amercoeur », « Le Voyage à l’Île de Cordic », « Le Signe de la Clef et de la Croix », « La Maison magnifique » (ce sont quelques-uns des huit nouveaux contes joints à ceux du Trèfle noir) pourraient, à peu de chose près, par le style et par le sujet, être des chapitres de La Double Maîtresse.

En 1895, M. de Régnier publia une nouvelle série de poèmes, Aréthuse62, d’une aussi grande importance dans son œuvre que les Poèmes anciens et romanesques, publiés avant, et que Les Jeux rustiques et divins63, publiés ensuite. Aréthuse est divisée en trois parties : Flûtes d’Avril et de Septembre, L’Homme et La Sirène, Flûtes d’Avril et de Septembre, la première et la troisième écrites en alexandrins, la deuxième en vers libres. On ne saurait vraiment choisir dans ce volume. Toutes les pièces en sont également belles par la pensée, par la rêverie, par les paysages tendres, tristes et profonds qu’elles suggèrent. Les mots, les constructions poétiques qu’affectionne M. de Régnier, les mélancoliques contrastes entre l’été et l’automne, la nymphe et le faune, la tristesse et la joie, le regret et le désir, s’y trouvent assemblés dans une harmonie sans cesse plus pénétrante, et des vers qu’on ne peut oublier.

On retrouve Aréthuse dans Les Jeux rustiques et divins, publiés en 1897, et qui contenaient quatre séries de nouveaux poèmes. C’est dans Les Jeux rustiques et divins que se trouve Le Vase64, qui est peut-être le chef-d’œuvre de M. Henri de Régnier, et sûrement l’un des plus beaux poèmes de la poésie actuelle. Il s’y trouve aussi une série de petits poèmes, sous le titre d’Odelettes65, — nous avons donné deux exemples dans notre choix, — d’une souplesse de rythme et d’une douceur incomparables.

C’est après Les Jeux rustiques et divins que se place le premier roman de M. de Régnier, La Double Maitresse, parut en 1900. Il fut suivi la même année d’un nouveau livre de poèmes, Les Médailles d’Argile66. Les Médailles d’Argile sont dédiées à la mémoire d’André Chénier, qui fut un grand maître pour M. de Régnier. On trouve dans ce volume une série de sonnets, Les Passants du Passé, un peu dans le goût des sonnets de José-Maria de Heredia, et où il semble que M. de Régnier ait voulu se délasser, s’amuser67. On en prit même prétexte pour avancer qu’il commençait à revenir aux formes poétiques traditionnelles, les uns entendant lui faire ainsi un compliment, les autres un reproche. C’était tenir peu compte de certains autres poèmes des Médailles d’Argile, où se retrouve bien, avec toute sa personnalité le poète d’Aréthuse et du Vase.

La Cité des Eaux68, publiée en 1902, tire son titre d’une série de sonnets sur Versailles,

O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois !

que M. de Régnier écrivit pour servir de commentaires à des dessins de M. Helleu69. Ils sont suivis d’autres poèmes70 où M. de Régnier a montré un nouvel aspect de son talent. Par exemple, la pièce intitulée La Lune Jaune71, qu’on trouvera dans notre choix, d’une couleur et d’une émotion tout à fait singulières. Les sonnets de La Cité des Eaux sont dédiés à José-Maria de Heredia, et un des poèmes qui suivent, Marsyas, écrit en vers libres, à la mémoire de Stéphane Mallarmé. José-Maria de Heredia et Stéphane Mallarmé sont certainement les deux poètes qui ont eu le plus d’influence sur M. de Régnier, le premier avec Les Trophées72, le second avec L’Après-midi d’un Faune. On trouve aussi dans ce volume certains poèmes qu’on ne peut lire sans s’y arrêter, à cause de la pensée dont ils sont pleins. Le poète a accompli une grande partie de son œuvre. Il s’arrête un moment, et se retourne vers sa jeunesse, presque dans un geste d’adieu. Il y a là une songerie, une émotion auxquelles ou ne peut résister.

Dans La Sandale ailée73, publiée en 1907, le changement marqué dans les poèmes dont nous venons de parler, — l’abandon du décor pour l’expression directe des sentiments, est encore plus sensible. Les pièces que nous en avons extraites renseigneront d’ailleurs mieux qu’aucune appréciation. Ce n’est pas trop dire que La Voix, Le Reproche et L’Accueil74, parmi plusieurs poèmes d’égale valeur, peuvent être mis au rang des plus beaux de leur auteur.

M. de Régnier a également publié de nombreux romans et des recueils de contes. Les titres en sont trop connus pour que nous les inscrivions, depuis La Double Maîtresse, un livre étonnant par la multiplicité des personnages et l’originalité du sujet, jusqu’à La Pécheresse75, très beau roman encore, qui montre chez son auteur la persistance d’une liberté d’esprit qu’on est plus habitué à voir diminuer chez les écrivains arrivés à l’apogée de leur carrière. La première impression qu’on retire de ces livres est celle d’un écrivain pour qui écrire doit être un véritable plaisir. Tout y est clair, facile et orné, avec un grand pittoresque, un ton indulgent et amusé, même dans les traits satiriques, qui y abondent. Les personnages, divers au possible, sont des gens aimables, curieux d’aspect, de mœurs et de manières, qui intéressent tout de suite, et qu’on aime à revoir. Ce sont les romans d’un observateur, pleins de traits pris à des gens d’aujourd’hui, et il n’est pas jusqu’au libertinage souvent très vif que l’auteur y répand qui n’ajoute à leur agrément.

On a également de M. de Réguler deux volumes d’études littéraires et d’articles : Figures et Caractères76 et Sujets et Paysages77, et une comédie en prose Les Scrupules de Sganarelle78, où l’on retrouve dans leur caractère traditionnel quelques-uns des personnages de notre vieux théâtre.

M. de Régnier a épousé en 1896 Mademoiselle Marie de Heredia79, deuxième fille de l’auteur des Trophées. Il est Officier de la Légion d’honneur et membre de l’Académie française (élu en 1911, récept. 18 janvier 1912)80. Il a fait en 1900 des conférences en Amérique sur le mouvement poétique français.


41     Henri de Régnier est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition en 1900. Le texte de sa notice, rédigée par Paul léautaud, est passé de trois à six pages lors de l’édition de 1908 et n’a été que peu modifiée dans l’édition de 1930.

42     Peut-être Claude Saumaise (1588-1653).

43     Henri de Régnier, Le Trèfle blanc, Mercure de France février 1899, 217 pages. Ce volume contient Jours heureux, Les Petits messieurs de Nèvres et La Côte verte (page 185).

44     Sous le pseudonyme d’Hugues Vignix à partir de juin 1885, puis sous son nom à partir de novembre pour Les Lendemains. Voir https://prelia.hypotheses.org/57

45     Henri de Régnier, « Les Lendemains », 19 poèmes, Lutèce novembre 1895, 125 exemplaires puis Léon Vanier « Éditeur des modernes », 1986.

46     Henri de Régnier, Apaisement, Vanier 1896, 108 pages.

47     Henri de Régnier, Contes à soi-même, Librairie de l’art indépendant 1894, 194 pages.

48     Henri de Régnier, La Canne de Jaspe, Mercure de France 1897. Ce recueil contient Monsieur d’Amercoeur, dédié à Gabriel Hanoteaux, Le Trèfle noir, dédié à Madame de Bonnières et les huit Contes à soi-même.

49     Henri de Régnier, La Double Maîtresse, Mercure 1900, 432 pages.

50     Henri de Régnier, Poèmes anciens et romanesques, dédiés à Louis Metman, Librairie de l’art indépendant, printemps 1890, 151 pages.

51     Henri de Régnier, Le Bon plaisir, roman, Mercure 1902, 317 pages.

52     Henri de Régnier, Le Mariage de Minuit, dédié à Paul Adam, Mercure 1902, 317 pages.

53     Henri de Régnier, Les Vacances d’un jeune homme sage, Mercure 1903, 276 pages.

54     Et Paul Léautaud pense évidemment aux 56 textes du Mercure de France du numéro de juin 1895 à celui de mai 1931, dont treize chroniques des poèmes de 1896-1897.

55     Cette cour Saint-François n’existe plus. Elle était accessible en franchissant un porche sous l’hôtel du Midi, 5, rue Moreau où logea Verlaine. Tout le côté impair de cette petite rue, prenant dans l’avenue Daumesnil et accessible en passant sous l’ancienne voie de chemin de fer, a été entièrement détruit pour faire place à un jardin et des immeubles ressemblant à des entrepôts. L’endroit est maintenant privé, au profit, semble-t-il des « apparthôtel Adagio » (nous sommes près de la gare de Lyon).

56     Henri de Régnier, Sites, Léon Vanier 1887, 29 pages.

57     Henri de Régnier, Épisodes (poèmes, 1886-1888), Léon Vanier 1888.

58     Henri de Régnier, Poèmes anciens et romanesques (1887-1889), huit poèmes dédiés à Louis Metman, Librairie de l’art indépendant, printemps 1890, 151 pages.

59     Henri de Régnier, Tel qu’en songe, sept poèmes dédiés à Jacques-Émile Blanche et parus à Librairie de l’art indépendant au printemps 1892, 125 pages. Ces sept poèmes sont : L’Arrivée, L’Alérion, Quelqu’un songe de soir et d’espoir, La Gardienne (page 57), Quelqu’un songe d’heures et d’années, La Demeure et un Exergue.

60     Henri de Régnier, Le Trèfle noir, Mercure de France 1895, 127 pages.

Envoi d’Henri de Régnier à son ami le docteur Charles André

61     Le recueil Le Trèfle noir ressemble trois contes : « Hertulie ou les messages », « Histoire d’Hermagore » et « Hermocrate ».

62     Henri de Régnier, Aréthuse, Librairie de l’art indépendant, printemps 1895, 107 pages. Ce recueil comprend trois parties : « Flûtes d’Avril et de Septembre » (dédié à José-Maria de Heredia), « L’Homme et La Sirène » (dédié à Francis Viélé Griffin*), « Flûtes d’Avril et de Septembre » (une nouvelle fois — dédié à Stéphane Mallarmé*).

Envoi à Henry de Montherlant (fragment)

63     Henri de Régnier, Jeux rustiques et divins, Mercure, printemps 1897, 297 pages. Ce recueil comprend les trois ensembles constituant Aréthuse puis « Les roseaux de la flute », « Inscriptions pour les treize portes de la ville », « La Corbeille des heures », « Poèmes divers » (au nombre de sept).

64     En ouverture des « Roseaux et la flûte » op. cit., page 115 : « Le vase naissait dans la pierre façonnée. / Svelte et pur il avait grandi / Informe encor en sa sveltesse, / Et j’attendis. / Les mains oisives et inquiètes. / Pendant des jours, tournant la tête »…

65     Dans « La Corbeille des heures », Odelette I et II, op. cit. pages 217 et 219 : « Un petit roseau m’a suffi / Pour faire frémir l’herbe haute / Et tout le pré / Et les doux saules / Et le ruisseau qui chante aussi ; / Un petit roseau m’a suffi / À faire chanter la forêt. » et « Je n’ai rien / Que trois feuilles d’or et qu’un bâton / De hêtre, je n’ai rien / Qu’un peu de terre à mes talons, / Que l’odeur du soir en mes cheveux, / Que le reflet de la mer en mes yeux, »

66     Henri de Régnier, Les Médailles d’Argile, Mercure 1900, 252 pages. Ce recueil comprend les Médailles « votives », « amoureuses », « héroïques » et « marines », « Le bûcher d’Hercule », « Hélène de Sparte », « La nuit des dieux » (un poème), » L’Arbre de la route », « À travers l’an » et « Les passants du passé ».

67     On peut penser au Huguenot, page 224 : « La corde, le bûcher, le fagot, la potence, / La flamme cauteleuse et le chanvre retors / Ont guetté, tour à tour, les os de son vieux corps / Que balafra la dague et coutura la lance ; // Et le voici, debout dans sa longue espérance ; / Avec l’âge qui vient il sent venir le port / Car sa gorge a chanté au péril de la mort / Les Psaumes de David dans la langue de France. »

68     Henri de Régnier, La Cité des Eaux, dédié à José-Maria de Heredia, Mercure 1902, 201 pages.

69     Paul-César Helleu (1859-1927), peintre et graveur, portraitiste de grande notoriété en son temps. Les titres des 29 poèmes : « La Façade », « L’Escalier », « Perspective »… donnent une idée de ce que devait être ce projet, qui n’aboutit pas. Restent quelques gravures de bustes de personnalités de l’Ancien Régime… et les poèmes d’Henri de Régnier, œuvre de commande. Du travail bien fait, dont il n’y a rien à dire.

70     Après les poèmes de circonstance, le recueil est largement enrichi, à partir de la page 51, du « Sang de Marsyas » (trois poèmes, de « Quatre poèmes d’Italie », « Odes et poésies », « Inscriptions lues au soir tombant » et de plusieurs poèmes isolés.

71     Dans les « Odes et poésies » (page 93) « Ce long jour a fini par une lune jaune / Qui monte mollement entre les peupliers, / Tandis que se répand parmi l’air qu’elle embaume / L’odeur de l’eau qui dort entre les joncs mouillés. // Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride / Foulions la terre rouge et le chaume blessant, / Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides / Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang, »… Dans sa lettre de remerciement pour ce recueil (quinze novembre 1902), Paul Léautaud écrira à Henri de Régnier dans les mêmes termes.

72     José-Maria de Heredia, Les Trophées, dédié à Leconte de Lisle, Lemerre 1893, 248 pages. José-Maria de Heredia aura évidemment un chapitre réservé dans les Portraits et souvenirs d’Henri de Régnier (Mercure 1913 page 75). Stéphane Mallarmé aussi, page 85. Pour L’Après-midi d’un Faune, de Stéphane Mallarmé, note 308 de la IIe partie.

73     Henri de Régnier, La Sandale ailée, 1903-1905, dédié à José-Maria de Heredia mort en octobre 1905, qui n’est pas nommé : « Pour la première fois, ce soir, depuis que l’ombre / À fermé pour toujours, ô Poète, vos yeux, / J’ai rouvert tristement et d’un doigt plus pieux / Votre Livre éclatant que clot la page sombre. // […] // Mais, Vous, êtes de ceux à qui, sur l’autre bord, / Parmi le Bois Sacré, d’un grand geste, la Gloire / À travers les cyprès montre son laurier d’or. » Ce recueil de poésies comporte neuf parties numérotées de I à IX.

On imagine la fureur d’Henri de Régnier constatant l’absence d’accent à « clôt ».
Mercure de France, printemps 1906, 213 pages

74     « La Voix », partie II, page 29, « Le Reproche », partie IV, page 67. « L’accueil » représente la partie VIII à lui seul, pages 163-167 : « Tous deux étaient beaux de corps et de visages, / L’air francs et sages / Avec un clair sourire dans les yeux, / Et, devant eux, / Debout en leur jeunesse svelte et prompte, / Je me sentais courbé et j’avais presque honte / D’être si vieux. »

75     Henri de Régnier, La Pécheresse, « histoire d’amour » dédié à Gilbert de Voisins « en témoignage d’une fraternelle amitié », Mercure 1920, 350 pages. Auguste Gilbert de Voisins (1877-1939), gendre de José-Maria de Heredia. « Gilbert de Voisins » est son nom de famille.

76     Henri de Régnier, Figures et Caractères, Mercure de France, printemps 1901, 353 pages.

77     Henri de Régnier, Sujets et Paysages, Mercure, automne 1906, 329 pages. Ci-dessous la justification du tirage :

Une des « marques » d’Henri de Régnier dont on ne sait pas s’il s’agit d’une statue sur son socle, d’un porte-manteaux ou d’une sculpture de Jean-Michel Othoniel.
Un jour sera donnée ici une page sur les justifications du tirage du Mercure

78     Henri de Régnier, Les Scrupules de Sganarelle, Mercure 1908, 222 pages. La pièce a été représentée au théâtre de L’Œuvre le seize février 1921 dans une mise en scène de Lugné Poe avec la comédienne Lucile Nycot dans le rôle de Don Juan. Antonin Artaud y tint un petit rôle.

79     Voir Gérard d’Houville.

80     Notice de l’Académie française : « C’est le comte Albert de Mun qui le reçut, le 18 janvier 1912. Le discours par lequel il s’acquitta de cette tâche, et qu’il prononça contre tous les usages, debout, prit les apparences d’un éreintement. Parlant des romans de Régnier, il déclara : “Je les ai lus, ces romans, je les ai tous lus et jusqu’au bout, car j’ai été capitaine de cuirassiers. Mais pour parler davantage, entre les graves images qui gardent notre Coupole, des aventures de vos Amants singuliers, des Rencontres de M. de Bréot et des Tentations de M. Nicolas de Galandot, convenez monsieur que je ne suis plus assez cuirassier…” »

Adolphe Retté81
1863

Portrait-charge d’Adolphe Retté par Fernand Fau en couverture des Hommes d’aujourd’hui numéro 417 de 1893

M. Adolphe Retté est né à Paris le 25 juillet 1863. Son père était précepteur des enfants du grand-duc Constantin de Russie. Sa mère, — de famille ardennaise, — musicienne consommée et lauréate du Conservatoire, était la fille de l’historien Adolphe Borgnet, cité par Michelet82. Cet aïeul maternel de M. Adolphe Retté, d’abord précepteur du prince héritier de Belgique, devenu le roi Léopold II, fut congédié pour son libéralisme et mourut en 1873, recteur de l’Université de Liège. Ses obsèques, qu’il avait voulues civiles, firent scandale.

L’enfance de M. Adolphe Retté se passa pour une grande partie en province, et il fit ses études dans un lycée franc-comtois. Il vint ensuite habiter Paris, puis, à dix-huit ans, s’engagea dans un régiment de cuirassiers. Revenu à Paris en 1886, il débuta l’année suivante par un article où, à propos d’un nouveau livre de Léon Cladel83, il attaquait violemment le naturalisme. Deux ans plus tard, il fondait, avec M. Gustave Kahn, la deuxième Vogue, et, en 1892, joignant ses efforts à ceux de M. Henri Mazel, se consacrait à la direction d’une autre revue L’Ermitage.

M. Adolphe Retté, que le goût d’une vie nomade a mené un peu partout, en Belgique, en Hollande et en Angleterre, n’en a pas moins pris une part très active au mouvement poétique de son époque. Très combatif, semblant aimer d’instinct la polémique et mettant à soutenir ses idées quelquefois plus d’enthousiasme que de goût, il s’est fait à plusieurs reprises, dans de nombreuses revues, le défenseur et le propagandiste des écrivains de sa génération, en même temps qu’il se plaisait à étudier pour la railler, sans s’épargner lui-même, la vie littéraire contemporaine. On peut retrouver quelque chose de ce passé dans deux volumes de souvenirs et d’anecdotes qu’il a publiés, Le Symbolisme84 et La Basse-Cour d’Apollon85.

On pourrait diviser l’œuvre de M. Adolphe Retté en deux parties bien distinctes ; celle de l’art pur, de l’art pour l’art en quelque sorte, celle qui va de Une belle dame passa86 jusqu’à Archipel en Fleurs87, — et celle d’une inspiration plus large, où il s’est montré le chantre de la Nature. Cette évolution, qui a fait anathématiser à M. Adolphe Retté des maîtres qu’il avait encensés, fut produite chez lui par un séjour de plusieurs années qu’il fit à Guermantes (Seine-et-Marne), en pleine forêt de Fontainebleau. Ce fut là, loin de Paris, dans ses promenades à travers la forêt, dont il connut bientôt tous les arbres, qu’il puisa les motifs de ses nouvelles œuvres Dans la Forêt88, Campagne Première89, Lumières tranquilles90, Poèmes de la Forêt91 et Contes de la Forêt de Fontainebleau92.

Après avoir été, dans sa jeunesse, d’un anarchisme aigu et un peu bruyant, M. Adolphe Retté, dans son âge mûr, s’est converti au catholicisme. Cela nous a valu des ouvrages d’un nouveau genre : Du Diable à Dieu93, Le Règne de la Bête, Lettre à un indifférent, Une miraculée à Lourdes, La Porte du Sacré-Cœur, etc., qu’on voit en bonne place aux vitrines des librairies de la rue Saint-Sulpice, à côté de manuels de piété.

M. Adolphe Retté a collaboré à La Cravache, à La Wallonie, à La Plume, au Mercure de France, à L’Ermitage, et à presque toutes les revues de ce temps. Il a tenu au Mercure la rubrique des « Questions religieuses », partie hagiographie et mystique, sous le pseudonyme de Robert Abry94.


81     Adolphe Retté est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dans la première édition en 1900. Ses trois notices ont été tenues par Adolphe van Bever. Suite à son entrée en religion en 1907, qui s’est sue très vite, la notice de l’édition de 1908 a été augmentée de cette particularité et est restée inchangée depuis.

82     Note d’Adolphe van Bever : « Histoire de la Révolution française. » Adolphe Borgnet (1804-1875), docteur en droit en 1826, juge d’instruction à Namur puis professeur d’histoire et enfin recteur de l’université de Liège de 1848 à 1853.

83     Léon Cladel (1835-1892) est auteur de romans naturalistes de province, ce qui ne l’a pas empêché de vivre intensément, à Paris, les deux mois de la Commune. Il est très vite reconnu par ses pairs et acquiert la notoriété. Son fils Marius, sculpteur, a connu le succès dans les monuments aux morts à la fin de la première guerre mondiale. Sa fille, Judith, est femme de lettres. Le livre évoqué par Adolphe van Bever semble être le recueil de nouvelles Gueux de marque paru chez Alphonse Piaget en 1887 (312 pages). Voir, dans le quotidien Paris du 28 juin 1887 la rubrique « Pages d’artistes » dans laquelle Octave Lebesgue (sous la signature de Georges Montorgueil) écrit à propos de Gueux de marque : « C’est qu’il n’est pas un mièvre non plus, celui-là [l’autre étant J.-K. Huysmans]. C’est un artiste d’une originalité nettement tranchée. Il n’est pas d’une lecture très courante ; on lui préfère en général les successeurs de Ponson du Terrail. »

84     Adolphe Retté, Le Symbolisme — Anecdotes et souvenirs, Léon Vanier 1903, 277 pages. Cet ouvrage est dédié à Letrillard Saint-Elme, garde principal de la Garde indigène du Congo français. On pourra lire dans ce livre le chapitre « Les Mardis de Mallarmé » (pages 83-95) rare texte à mettre en cause le dieu : « C’est justement parce que je suis allé chez Mallarmé et parce que j’ai étudié sa poétique pour la louer d’abord mais avec des restrictions que, plus expérimenté, détourné d’un art aussi artificiel par mon amour croissant de la nature, je crois utile à moi-même et à d’autres d’expliquer en quoi les propos et les écrits de ce rhéteur me semblent néfastes ».

85     Adolphe Retté, La Basse-Cour d’Apollon — Mœurs littéraires, dédié à René Martineau, Albert Meissen (successeur de Léon Vanier) 1924, 254 pages. René Martineau (1866-1948), est le père d’Henri Martineau, le fondateur du Divan.

86     Adolphe Retté, Une belle dame passa, recueil de poésies dédié à Stuart Merrill, Léon Vanier 1893, 78 pages. « Il est un tombeau sous les lierres / Où repose un amour ancien / Est-ce le mien, est-ce le sien ? / Ne soulevez pas la pierre. »

87     Adolphe Retté, L’Archipel en fleurs, Bibliothèque artistique et littéraire, 1895, 128 pages. Cet ouvrage débute par une préface sur le vers libre. Il est suivi de « Armoiries d’église », « Jeux sentimentaux », « Aquarelles et tambourins », « Pour le tombeau de Léon Cladel », « Petit jour », « La Petite Lia » et « Cris de guerre ». C’est de ces pages qu’est extrait le portrait d’Adolphe Retté ci-contre par Léo Gausson daté d’août 1894 que l’on voit un peu partout (à moins que l’image ait paru pour la première fois dans le numéro du premier février du bimensuel La Plume, de Léon Deschamps, réservé à Adolphe Retté).

88     Adolphe Retté, Dans la Forêt, impressions de Fontainebleau, Albert Meissen 1903.

89     Adolphe Retté, Campagne Première, Bibliothèque artistique et littéraire 1897, 106 pages. Ce titre est évidemment inspiré du nom d’une rue de Paris, familière des gens de lettres.

90     Adolphe Retté, Lumières tranquilles, Éditions de La Plume 1901, 126 pages.

91     Deux de ces Poèmes de la Forêt : « La Danse du vent », « La Forêt amoureuse », sont parus dans La Revue blanche d’octobre 1902 pages 175-178. On les trouve dans l’édition Messein de 1906 des Poésies, 1897-1906 rassemblant : « Campagne première », « Lumières tranquilles » et « Poèmes de la forêt » (248 pages).

92     Adolphe Retté, Contes de la Forêt de Fontainebleau, Albert Meissen 1905, comprend : « Virgile puni par l’amour » (en couverture), suivi de « Le Chasseur noir », « Les Déboires de Georges Lerouvre », L’Aventure de Pierre Olry », « Chanfroi », « La Dryade » et « Impressions de forêt ».

93     Adolphe Retté, Du Diable à Dieu — histoire d’une conversion, préface de François Coppée, Léon Vanier 1907, 208 pages. Journal de Paul Léautaud au 14 mai 1908 : « Malgré sa conversion, Retté est resté le bon ivrogne d’autrefois, le bohème crapuleux. Messein nous racontait ce matin au Mercure que le livre de Retté : Du diable à Dieu, s’est vendu jusqu’à 13 000. Ce qui n’a pas empêché Retté d’être toujours sans le sou. À ce point que, devant à Messein, avant ce livre, 1 500 francs, il lui en doit maintenant, malgré tous ses droits d’auteur touchés, 3 000. Messein, pour lui faciliter une vie plus régulière, lui avait offert de lui donner 400 francs par mois. Cela n’a pu durer. Messein versant les 400 francs, le dix du mois, trois jours après, Retté venait lui demander cent sous. Les 400 francs dépensés en saouleries et au bordel. Il est même arrivé une fois qu’on est venu présenter à Messein une note de bordel, un papier écrit de la main de Retté : Bon pour 180 francs à toucher chez mon éditeur Messein, quai Saint-Michel. Messein a pu savoir la chose en faisant parler le porteur du papier. Il a refusé de payer, en invitant le bonhomme à ne pas insister s’il ne voulait pas avoir d’ennuis. »

94     Adolphe Retté a écrit sous son nom 24 textes au Mercure de 1891 à 1923 et sous le nom de Robert Abry, 17 textes de 1920 à 1928.

Arthur Rimbaud95
1854-1891

Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud, l’un des poètes les plus significatifs du mouvement symboliste, son nom a sa place égale à côté de ceux de Paul Verlaine* et Stéphane Mallarmé*, — naquit le 20 octobre 1854 à Charleville (Ardennes), dans la maison de son grand-père maternel Nicolas Cuif96, chez lequel il passa ses quinze premières années. Son père était capitaine au 87e régiment de ligne, et sa jeunesse s’écoula dans l’intimité de la famille, un frère, trois sœurs97, dont l’une mourut jeune, et surtout « une mère bourgeoise et paysanne, de devoir autoritaire, religieuse, économe, rigoureuse dans ses principes d’honnêteté propriétaire et impitoyable sur le chapitre de la discipline98 ».

Le caractère extravagant d’Arthur Rimbaud et son goût jamais lassé des aventures — en dépit et peut-être même à cause de ce milieu rigoureux dans lequel il avait grandi — se révélèrent de bonne heure. Il sortait à peine du collège, qu’un soir, en septembre 1870, il désertait soudainement la maison familiale pour venir à Paris. Ramené de force, il s’enfuit une seconde fois, et, par la vallée de la Meuse, gagna Charleroi, partant de là pour vagabonder dans les environs, puis revenant se fixer à Charleville, d’octobre 1870 à février 1871. Cependant, Paris continuait à l’attirer, et ne pouvant plus résister, il s’y rendit de nouveau, se présentant à l’improviste chez le dessinateur André Gill99 qui, devinant l’escapade et peu désireux de s’y associer, s’empressa de le congédier. « Il dut alors, — a raconté Paterne Berrichon, dans sa Vie d’Arthur Rimbaud, ouvrage indispensable pour connaître le poète, — par cette fin d’hiver et huit jours durant à travers les rues, errer, sans pain, ni feu, ni lieu, jusqu’à ce que, mourant littéralement de misère, il se risquât à sacrifier sa liberté en faveur de sa vie, et à reprendre à pied le chemin de Charleville. » Ce n’était toutefois là qu’un sacrifice provisoire, et désertant de nouveau sa famille, Arthur Rimbaud ne tarda pas à revenir à Paris, qu’il trouva en pleine Commune et où il s’enrôla dans les Tirailleurs de la Révolution100, obligé bientôt, quand survint la défaite, de regagner une troisième fois Charleville, au milieu de toutes les difficultés causées par l’invasion.

À cette époque, Arthur Rimbaud avait dix-sept ans et déjà son talent était complet, ce talent qui semble avoir été fait de beaucoup d’inconscience, uniquement appliqué aux notations hâtives, sur le moment même, et qui a toutes les qualités de cette manière spontanée : la force et la couleur. Il avait écrit notamment Le Buffet, Le Dormeur du Val, Ma Bohême, Les Effarés, Les Poètes de sept ans, Les Pauvres à l’Église, Les Premières Communions, Accroupissements, tous poèmes qu’on devait lire plus tard dans ses œuvres, et surtout l’extraordinaire et unique Bateau ivre, la pièce type de son talent, d’un lyrisme et d’une couleur qui n’appartiennent qu’à lui. De tels poèmes, chez un écrivain si jeune et dont la période de production fut si courte, il y a vraiment là un cas unique et doublement curieux, au point de vue littéraire et au point de vue psychologique.

Arthur Rimbaud rentré pour la troisième fois à Charleville, c’est alors que commencèrent ses relations avec Paul Verlaine, à qui il écrivit et envoya des vers. Intéressé par cet envoi101, Paul Verlaine lui répondit, et, après quelques lettres échangées, l’invita à venir à Paris. Arthur Rimbaud y arriva en octobre 1871, pour y séjourner jusqu’en juillet 1872, logé d’abord dans le ménage de Paul Verlaine, puis chez Théodore de Banville, puis à l’hôtel, rue Racine, et enfin, grâce aux libéralités de Paul Verlaine, dans ses meubles, rue Campagne-Première102. Les deux poètes voyagèrent ensuite de compagnie en Angleterre, en Belgique, jusqu’en 1873, époque à laquelle se produisit leur rupture. Tous les deux se trouvaient alors à Bruxelles. Arthur Rimbaud, désireux de reprendre sa liberté, annonça son prochain départ à Paul Verlaine, qui, dans un accès de désespoir, l’idée de perdre son compagnon, tira sur lui deux coups de revolver. Cet incident, qui conduisit Paul Verlaine en prison pour deux années, mena tout d’abord Arthur Rimbaud à l’hôpital Saint-Jean, à Bruxelles, pour y être soigné de ses blessures. Expulsé ensuite de Belgique, il fit une nouvelle apparition à Charleville, où il publia, pour la détruire aussitôt, une édition de Une Saison en Enfer103, sorte d’autobiographie psychologique. Après quoi, revenu un moment à Paris, il partit pour Londres, comme professeur d’anglais, avec le projet d’un long voyage en Orient. En attendant, il voyagea en Allemagne, en 1875, puis en Italie. Racolé alors comme volontaire pour l’armée espagnole carliste104 et alléché par la prime, il s’engagea, n’ayant d’autre soin, la somme touchée, que de s’esquiver, pour revenir encore une fois à Paris. Ce fut alors une suite d’aventures sans nombre, l’existence la plus diverse et les métiers les plus différents. « Rester toujours dans le même lieu, a-t-il écrit lui-même, me semblerait un sort très malheureux. Je voudrais parcourir le monde entier, qui, en somme, n’est pas si grand105. » Engagé dans les troupes néerlandaises, Arthur Rimbaud partit pour l’archipel de la Sonde106, où, dès l’arrivée, il déserta, errant dans les îles de Java, déjouant les recherches des autorités, pour finir par s’embarquer en qualité d’interprète sur un bateau anglais chargeant pour Liverpool. De retour en Europe, il s’affilia comme contrôleur à la troupe du cirque Loisset107, et parcourut avec elle l’Angleterre, la Belgique, la Hollande et la Suède. Puis, des subsides de sa famille lui permirent enfin de réaliser son rêve. Il partit pour Alexandrie, passa le canal de Suez, pénétra en Abyssinie, jusqu’au golfe d’Aden. Semblant avoir oublié jusqu’au souvenir de son œuvre littéraire, ce fut là désormais qu’Arthur Rimbaud fixa sa vie, tout ensemble explorateur et trafiquant, tentant les premières relations avec les peuplades sauvages de l’Afrique, adressant des mémoires à la Société de géographie, formant des caravanes pour les négoces les plus divers, et se faisant le fournisseur du Négus pour les armes qui devaient servir aux Abyssins à combattre contre l’Italie. Ce fut là aussi que vint le surprendre le mal qui devait l’emporter, juste au moment où il projetait de venir en France revoir sa famille, avec laquelle il n’avait pas cessé de correspondre. En mars 1891, une tumeur dans le genou droit l’obligea à abandonner Harrar108, centre de ses opérations. On le transporta à Aden, puis à Marseille, où il entra à l’Hôpital de la Conception. C’est là qu’après des souffrances stoïquement supportées, il mourut le 10 novembre 1891, des suites de l’amputation de la jambe. Sa sœur, Isabelle Rimbaud109, dans quelques lignes qu’on lira avec intérêt110, a raconté ses derniers moments, alors que, trop fatigué de souffrir, il avait demandé qu’on lui procurât un peu de répit. « Il voulut absolument recouvrer le sommeil111 L’effet des potions ordonnées étant presque nul, un simple remède de bonne femme fut essayé qui ne réussit, relativement, que trop bien : il but des tisanes de pavot et vécut plusieurs jours dans un rêve réel très étrange. La sensibilité cérébrale ou nerveuse étant surexcitée en l’état de veille, les effets opiacés du pavot se continuèrent, procurant au malade des sensations atténuées presque agréables, extralucidant sa mémoire, provoquant chez lui l’impérieux besoin de confidence. Portes et volets hermétiquement clos, toutes lumières, lampes et cierges allumés, au son doux et entretenu d’un très petit orgue de Barbarie, il repassait sa vie, évoquait ses souvenirs d’enfance, développait ses pensées intimes, exposait plans d’avenir et projets. Ainsi l’on sut que là-bas, au Harar il avait appris la possibilité de réussir en France dans la littérature, mais qu’il se félicitait de n’avoir pas continué l’œuvre de jeunesse, parce que « c’était mal ».

Sa sœur, Isabelle Rimbaud, devenue Mme Paterne Berrichon, morte ces dernières années, comme Paterne Berrichon lui-même, a consacré à Arthur Rimbaud (Rimbaud mourant, — Mon frère Arthur, — Le dernier voyage de Rimbaud, — Rimbaud catholique) la plus grande partie d’un ouvrage qu’elle a publié sous le titre Reliques. Il faut bien dire qu’Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon ont peut-être un peu forcé la note en voulant nous présenter Rimbaud, au moins en esprit, comme un petit saint. C’est toujours l’histoire de Racine raconté par son fils112.


95     Arthur Rimbaud est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de la première édition en 1900. Les trois notices sont de la main d’Adolphe van Bever, Paul Léautaud ayant dû à peine aménager celle de l’édition de 1930 après la mort d’AvB.

96     Jean-Nicolas Cuif (1798-1858).

97     Frédéric Rimbaud (1814-1878) a épousé le huit février 1853 Vitalie Cuif (1825-1907) qui lui a donné cinq enfants : Frédéric (1853-1911), Arthur (1954-1891), Victoire (1857-1857, morte à un mois), Jeanne Rosalie (1858-1875) et Isabelle (1860-1917).

98     Ce texte entre guillemets mérite d’être sourcé. Il provient de la page trente de La Vie de Jean-Arthur Rimbaud, de Paterne Berrichon, paru au Mercure en novembre ou décembre 1897, daté de 1898 (259 pages). Cet ouvrage sera tout de même cité plus bas dans le texte.

99     André Gill (Louis-Alexandre Gosset de Guines, 1840-1885). Plusieurs caricatures d’André Gill (prononcer « Geille ») sont demeurées célèbres. Elles ont paru en une des Hommes du jour, de L’Éclipse, de La Lune, ou de Figures contemporaines.

100   Note d’Adolphe van Bever : « Cette équipée de Rimbaud pendant la Commune est toutefois mise en doute ou même niée par plusieurs auteurs, notamment par M. G. Izambard (Mercure du 16-XII-1910 et 16-VII-1922) et par M. Marcel Coulon (La Vie de Rimbaud et de son Œuvre, p. 115, éd. du Mercure de France, 1929). » L’article du Mercure du seize décembre 1910 a pour titre : « Arthur Rimbaud théoricien — Réponse à M. Paterne Berrichon », par Georges Izambard (pages 644-651). On ne retrouve aucun article du même Georges Izambard dans le Mercure du quinze juillet 1922 ; AvB pense peut-être à l’article de la rubrique « Notes et documents littéraires » du premier juillet 1925 (pages 251-257) titré « Les deux préfaces du Reliquaire ». Georges Izambard n’a écrit que quatre textes dans le Mercure de France.

101   Né en 1844, Paul Verlaine avait dix ans de plus qu’Arthur Rimbaud.

102   La rue Campagne-Première, entre la Closerie des lilas et la Rotonde, a son importance dans la vie littéraire (l’hôtel Istria) comme chez les cinéphiles (À bout de souffle). De nombreuses personnalités ont habité cette rue, surtout des peintres. Au numéro 17 se trouvait le siège de l’éditeur Eugène Figuière, souvent indiqué dans ces pages.

103   Une Saison en Enfer est la première publication en volume d’un ouvrage d’Arthur Rimbaud, à compte d’auteur chez l’Alliance typographique (M. J. Poot), 1873. L’histoire de ces volumes mérite d’être contée : À l’automne 1873, Arthur Rimbaud commande l’impression de cinq-cents exemplaires d’Une saison en enfer. L’imprimeur imprime, et envoie, comme c’est l’usage, une dizaine d’exemplaires à son client, accompagnée d’une facture. Rimbaud ne paie pas et distribue ses exemplaires, dont un à Verlaine. L’imprimeur conserve les 490 autres en espérant un règlement. À la mort de Verlaine en 1896, Frédéric-Auguste Cazals (1865-1941), écrivain et illustrateur, proche de Verlaine, hérite de l’unique exemplaire connu à l’époque. Mais Louis Barthou, avocat, député, futur ministre, futur académicien et collectionneur, parvient à extorquer le précieux exemplaire pour cent francs-or et… une perception offerte par la République… Peu de temps après, en 1901, un autre bibliophile a retrouvé chez l’imprimeur, dans « un ballot sali, maculé, couvert de poussières » les 490 exemplaires restants. Le bibliophile a acheté le stock et brûlé, dans le poêle de l’imprimerie, une cinquantaine d’exemplaires trop abîmés. Chacun de ces exemplaires se négocie de nos jours au-delà des 10 000 €uros… On peut en voir un chez Gallica, assez mal scanné. Quant à l’exemplaire Barthou, il a été vendu 440 000 €uros à Drouot en juin 2006.

Couverture de la première édition d’Une saison en enfer reconstituée depuis le triste scan de la BNF

104   En 1789 le roi d’Espagne Charles IV a aboli la loi salique, permettant (même si ce n’était pas le but original), 41 ans plus tard à Isabelle II de monter sur le trône d’Espagne à l’âge d’à peine trois ans, ce qui a causé des remous.

105   Ces deux phrases sont reprises d’auteur en auteur et semblent difficiles à sourcer.

106   Grand arc d’îles au sud de l’Indonésie.

107   Le cirque de la famille de François Lasset, qui parcourut l’Europe dans le seconde moitié du XIXe siècle.

108   Harrar se trouve à l’est de l’Éthiopie, à 450 kilomètres au sud de Djibouti.

109   Isabelle Rimbaud (1860-1917, à 57 ans), a épousé en 1897 Paterne Berrichon.

110   Isabelle Rimbaud, Reliques, contenant « Rimbaud mourant », « Mon frère Arthur », « Le Dernier voyage de Rimbaud », « Rimbaud catholique » et les passages censurés de « Dans les remous de la bataille » qui était paru à Reims en 1917, Mercure de France début 1922 (achevé d’imprimer le 19 décembre 1921), 221 pages.

Isabelle Rimbaud par Paterne Berrichon en 1908

111   Le Dernier voyage de Rimbaud, op. cit. page 107.

112   Louis Racine, Mémoires contenant quelques particularités sur la vie et les ouvrages de Jean Racine, constamment réédité, souvent dans les Œuvres complètes de Jean Racine.

Georges Rodenbach113
1855-1898

Envoi d’Ubu roi à Georges Rodenbach

Georges Rodenbach naquit à Tournai (Belgique), le 16 Juillet 1855, Tournaisien seulement sur les registres de l’état civil. Toute sa famille était, en effet, d’origine flamande. Son grand-père, Constantin Rodenbach, fut successivement membre du Conseil national, représentant, consul en Suisse, et ambassadeur de Belgique à Athènes. Il était, en 1828, professeur de médecine à Bruges, où il publia, chez Félix de Pachtere114, une remarquable consultation médico-légale, mentionnée par M. Edmond Picard115 dans sa Bibliographie du droit belge. Les Rodenbach sont d’ailleurs une famille d’écrivains. Un oncle de Georges Rodenbach, Alexandre Rodenbach116, nommé « l’aveugle de Roulers », qui avait été l’élève, à Paris, de Valentin Haüy117, et qui fut pendant plus de trente ans représentant de sa ville, est l’auteur d’un ouvrage fort connu : Les aveugles et les sourds-muets118, publié à Tournai en 1855. Le père de Georges Rodenbach119 écrivait également, et a publié des travaux historiques sur les poids et mesures, et un excellent guide : Dinant pittoresque120. Mais deux Rodenbach sont surtout à retenir comme écrivains : Albert Rodenbach, poète flamand, né à Roulers en 1856, et mort en 1880, auteur d’un ouvrage : Güdrun121, qui est classé par la critique flamande parmi les chefs-d’œuvre, — et Georges Rodenbach. « Ses parents étant venus se fixer à Gand, trois mois après sa naissance, il y vécut toute sa jeunesse. Son enfance s’écoula ainsi, non loin des canaux étroits, parmi le paysage dont il devait plus tard exprimer si bien la sommeillante et vaporeuse mélancolie. À sept ans, on l’envoya au collège Sainte-Barbe, de sa ville, pour faire ses études. » Sorti de Sainte-Barbe en 1875, il entra à l’Université de Gand, obtint ses diplômes, et, devenu docteur en droit, revint à Paris, vers 1876, pour écouter les professeurs et les avocats célèbres. C’est alors qu’il fit partie du cercle des Hydropathes, fondé par Émile Goudeau, et qu’il publia ses premiers livres, Les Foyers et les Champs122, puis Les Tristesses123, où son talent particulier se montrait déjà et qui commencèrent à établir sa réputation. Vers 1885, il s’établit à Bruxelles où il se fit inscrire au barreau. Les journaux lui prédisaient une clientèle certaine, et il plaida avec succès plusieurs causes, dont une ou deux ont laissé quelque souvenir124. Il abandonna ensuite le barreau pour se consacrer exclusivement à la littérature. Il contribua à fonder La Jeune Belgique et se fit remarquer notamment par ses polémiques avec un collaborateur de la Chronique125, qu’il provoqua même, inutilement, en duel. En 1887, il quitta définitivement la Belgique, et vint se fixer à Paris, où il mourut le 25 décembre 1898, laissant une veuve et un jeune fils. Son talent, qui n’empruntait rien à personne, qui apportait au contraire une nuance nouvelle autant que pénétrante dans la poésie, et sa vie d’écrivain lui avaient conquis une belle place dans notre littérature et mérité l’estime de tous. « S’il fallait assigner une place à Georges Rodenbach dans la littérature belge, a écrit M. Émile Verhaeren*126, elle serait facile à déterminer. Il prendrait rang parmi ceux dont la tristesse, la douceur, le sentiment subtil et le talent nourri de souvenirs, de tendresse et de silence, tressent une couronne de violettes pâles au front de la Flandre : Maeterlinck*, Van Lerberghe*, Grégoire Le Roy*, Elskamp*. Mais il parait plus juste de ne point l’isoler dans un groupe, de ne point le détacher de la grande littérature française. Les groupements par pays ou par provinces rétrécissent les jugements esthétiques. L’art n’est point d’une région ; il est du monde. Il n’est point ceinturé de frontières. Il prend pour tremplin la personnalité pour bondir vers l’universel. Peu importe de quelle patrie il vient. S’il s’élève à une certaine hauteur, il ne faut point s’inquiéter de quel sol il a jailli. Or, dans l’universelle littérature française, Georges Rodenbach se classe parmi les poètes du rêve, parmi les raffinés de la phrase, parmi les évocateurs, spécieux parfois, rares toujours, dans le voisinage de ces deux amis et maîtres, qui l’aimèrent autant qu’il les aima : Edmond de Goncourt et Stéphane Mallarmé. Il est de ceux qui suggèrent, à l’encontre de ceux qui constatent ; il est de ceux qui se renferment, à l’encontre de ceux qui se déploient. Il a mis des sourdines à ses vers et à ses pensées ; il déteste les tapages de l’orchestre : c’est un recueilli. Il apporta dans l’art contemporain un encens pris aux cérémonies d’un mysticisme nouveau, que ne connurent ni Baudelaire ni Verlaine. Il le recueillit non point en des chapelles espagnoles, ni en des cathédrales françaises, mais en des béguinages flamands. Mysticisme précis, propret, dominical, mysticisme de confessionnal, de triduums127 et de neuvaines : mysticisme de banc de communion qui, les mains jointes, s’en va vers l’hostie, non pas nu-pieds, en marchant sur des jonchées de ronces et d’épines, mais en foulant des dalles bien nettes, avec des sandales blanches et pieusement feutrées. »

On a également de Georges Rodenbach, outre ses recueils de poèmes, parmi ses ouvrages en prose, un volume d’études littéraires L’Élite128, portrait d’écrivains, d’orateurs et d’artistes, d’un grand charme de lecture et d’une intelligence très vive. On a publié depuis sa mort Le Rouet des Brumes129, recueil de contes, et Le Mirage130, drame en 4 actes, qu’il avait tiré de son roman Bruges la Morte131. Un monument, qui est l’œuvre du sculpteur Georges Minne132, lui a été élevé à Gand.


113   Georges Rodenbach était mort lui aussi quand il est entré dans la première édition des Poètes d’aujourd’hui avec la première édition, en 1900. Sa notice a été rédigée par Paul Léautaud et a peu évolué entre les éditions.

114   Félix-Georges de Pachtère (1881-1916), ancien membre de l’École française de Rome (1907-1910), professeur d’histoire et de géographie.

115   Edmond Picard (1836-1924), né et mort en Belgique, avocat à la cour d’appel de Bruxelles et à la Cour de cassation, puis bâtonnier et professeur de droit. Edmond Picard était aussi écrivain et dramaturge. Il a été sénateur (gauche).

116   Alexandre Rodenbach (1786-1869), brasseur et homme politique belge catholique. Les bières Rodenbach sont encore commercialisées de nos jours et l’on peut en boire à L’Académie de la bière du boulevard Port-royal.

117   Valentin Haüy (1745-1822), fut l’un des premiers à s’intéresser au sort des aveugles. Il a été l’initiateur de ce qui est encore de nos jours l’Institut national des aveugles du boulevard des Invalides.

118   Alexandre Rodenbach, Les aveugles et les sourds-muets — Histoire, instruction, éducation, biographie, « Ouvrage orné d’un alphabet manuel des sourds-muets et de deux fac-simile de l’écriture de Massieu et de l’auteur » Slingeneyer aîné, imprimeur-éditeur, 1853, 262 pages.

119   Constantin Rodenbach (1824-1890) a épousé Rosalie Gall (1824-1889), qui lui a donné deux filles, un garçon, Georges, et une dernière fille.

120   Constantin Rodenbach, Dinant-pittoresque — Guide de l’excursionniste, publié à Dinant chez Delplace-Lemoine en 1879, 202 pages.

121   Albrecht (Albert ou Albertus) Rodenbach (octobre 1856-juin 1880, mort avant ses 24 ans), Gudrun, (sans ü sur la couverture), drame romantique en cinq actes, en vers, publié à Gand en 1882. Une rue de Bruxelles porte le nom d’Albrecht Rodenbach.

122   Georges Rodenbach, Le Foyer et les Champs (en non Les Foyers), poésies, Société générale de librairie catholique, Victor Palmé (à Paris) et Guillaume Lebrocquy (à Bruxelles), 1877, 87 pages.

123   Georges Rodenbach, Les Tristesses, poésies, Alphonse Lemerre, 1879, 122 pages.

124   Ce texte est récupéré de l’ouvrage de Gérard Walch Anthologie des poètes français contemporains, tome II, paru chez Charles Delagrave (à Paris) et À.-W. Sjthoff à Leyde en 1906 ou 1907.

125   Gérard Walch indique qu’il s’agit de Gustave Fréderix (1834-1894), critique à L’Indépendance belge.

126   Dans la Revue encyclopédique de Georges Moreau du 28 janvier 1899, page 60.

L’article d’Émile Verhaeren dans la Revue Encyclopédique du 28 janvier 1899

127   Un triduum est l’« Espace de trois jours où l’on célèbre une seule fête » (TLFi) Le Triduum pascal.

128   Georges Rodenbach, L’Élite, « Écrivains — Orateurs sacrés — Peintres — Sculpteurs », Charpentier-Fasquelle 1899, 294 pages. Le s à sculpteurs est abusif, un seul sculpteur étant abordé : Auguste Rodin.

129   Georges Rodenbach, Le Rouet des Brumes — Contes, couverture de Géo-Dupuis. Société d’éditions littéraires et artistiques (Ollendorff), daté de 1901 mais paru en octobre 1900.

130   Georges Rodenbach, Le Mirage, drame en quatre actes, Ollendorff 1901, 168 pages. Voir l’article de Christian Angelet dans Textyles numéro 17-18, 2000, page 211, qui écrit « Rodenbach n’était pas seulement poète et romancier, il a aussi laissé deux pièces de théâtre : Le Voile, qui fut donné à la Comédie-Française en 1894, et Le Mirage, paru posthumément en 1900. […]. Les deux pièces exploitent le filon brugeois qui avait fait la notoriété de l’auteur. On y retrouve d’ailleurs tous les requisits de son imaginaire : la ville, la femme, la chevelure, le miroir… Le Voile est écrit en vers et réunit trois personnages : un vieux garçon, sa servante et une béguine ; cette dernière veille une tante qui se meurt dans la chambre voisine. L’homme désire savoir la couleur des cheveux que cache la coiffe de la béguine ; lorsqu’il les verra, son désir retombera d’un coup. C’est la vulgate symboliste : toute possession est dégradation du rêve. Le Mirage est en prose et combine Bruges-la-Morte et Le Carillonneur ; le protagoniste de ce dernier roman, Joris Borlut, est mêlé aux intrigues qui devraient faire tomber le veuf dans les griffes de l’aventurière que l’on sait. La pièce de théâtre est très différente du roman. Rodenbach y a accusé la veine réaliste au détriment de la poétique de l’analogie qui faisait de Bruges-la-Morte un roman symboliste. »

131   Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, couverture ornée d’une gravure de Fernand Khnopff, et de plusieurs photographies. Flammarion juin 1892, 224 pages, suite à une publication en feuilleton dans Le Figaro à partir du quatre février 1892. Il semble que Bruges-la-Morte soit le premier roman agrémenté de 35 photographies. En note de l’Avertissement, ces images sont dites : « Similigravures par Ch.-G. Petit et Cie, d’après les clichés des maisons Lévy et Neurdein », sans nom d’auteur. Voir Véronique Henninger, « Le dispositif photo-littéraire. Texte et photographies dans Bruges-la-Morte », Romantisme « Revue du XIXe siècle », automne 2015 (numéro 169).

Bruges en 1892 dans le roman de Georges Rodenbach, et de nos jours

132   George Minne (1866-1941), dessinateur et sculpteur Belge. La statue, pierre et bronze se trouve près du béguinage.

Paul-Napoléon Roinard133
1856

M. Paul-Napoléon Roinard est né à Neufchâtel-en-Bray (Seine Inférieure), le 4 février 1856. Il est l’un des derniers types de l’écrivain bohème, irrégulier, affranchi des contingences, sauvage et dédaigneux. Après avoir passé son enfance jusqu’à douze ans à Neufchâtel-en-Bray134, il fit ses études au lycée de Rouen, mauvais élève au possible, il s’en fait un peu gloire. À vingt ans, après une lutte opiniâtre avec sa famille, il vint à Paris, où il arriva au milieu d’un orage épouvantable, après un tamponnement sous le tunnel des Batignolles, circonstances où il voit encore un présage à tous ses malheurs. Élève à la fois à l’École des Beaux-Arts et à l’École de médecine, il se mit en même temps à écrire des milliers de vers qu’il a détruits depuis, au nombre desquels un drame : Savonarole, et un proverbe : En tout il faut considérer la fin, qu’il offrit alors inutilement au Théâtre-Français. Brouillé avec sa famille, après un an de service militaire au 11e régiment de ligne, il mena alors pendant sept années une vie de misère, manquant de tout, même de gîte. Grâce à sa santé robuste, il s’en sortit, et finit par vivre tant bien que mal en utilisant ses talents de peintre dans de la peinture pour l’exportation135, ses talents de poète à rimer des devises pour papillotes de confiseurs, et toute sa bonne volonté dans diverses besognes, comme un emploi à la Société générale, d’où le firent congédier dès le premier mois de formidables erreurs dans ses comptes. La peinture pour l’exportation allait si bien qu’il put bientôt se remettre à la poésie, — la vraie, — et publier, en 1886, son premier recueil de vers : Nos Plaies136, livre de révolte intellectuelle et sociale, satire amène et dure. Ce livre l’introduisit dans les milieux littéraires. Il fréquenta le Chat Noir, fonda avec quelques amis la Société La Butte, d’où devait sortir le mouvement libertaire et qui donna son concours à la première représentation du Théâtre Libre ; il dirigea La Revue Septentrionale137, collabora à divers quotidiens et revues, notamment à L’Écho de France138. Ce fut quelque chose comme sa belle époque. On vint même un jour le solliciter d’écrire un ouvrage en vers, — il ne nous a pas dit à quelle occasion ni sur quel sujet, — pour lequel on s’engageait à le faire décorer. Mais la croix, le moindre ruban c’était pour lui l’enrégimentement dans le bataillon commun. Il refusa noblement, et l’on dut chercher ailleurs un poète plus serviable, sinon aussi bien doué. Retiré à l’écart de 1889 à 1891, M. Roinard s’appliqua à retirer de la circulation tous les exemplaires de Nos Plaies qu’il put rencontrer, et conçut l’idée de son livre La Mort du Rêve, dont les premiers fragments parurent dans la seconde Pléiade139. Il reparut dans le monde littéraire en mai 1891, pour fonder avec M. Zo d’Axa le journal anarchiste L’En Dehors140. Il donne au Théâtre d’Art une adaptation du Cantique des Cantiques141, dont il avait lui-même composé la décoration. Cette tentative n’eut pas un résultat absolument heureux. M. Roinard avait voulu faire intervenir les parfums comme moyens d’évocation scénique. Cela parut si nouveau qu’ou le traita de fou. M. Roinard prit ensuite la Direction des Essais d’Art libre142, où il organisa, en 1894, L’Exposition des Portraits du prochain siècle, qui eut lieu chez le Barc de Bouteville143. Les Portraits du prochain siècle, c’étaient les portraits des jeunes écrivains et artistes qui devaient être un jour de grands artistes et de grands écrivains. M. Roinard compléta même le sens de cette exposition en publiant un volume de biographies de tous ces futurs grands hommes, au nombre desquels lui-même figurait144. Cette nouvelle tentative ne fut pas moins bien accueillie que l’introduction des parfums sur la scène. On se moqua145, on ridiculisa, et M. Roinard dut garder en carton deux autres volumes consacrés aux musiciens et aux savants de l’avenir146. Un moment, il pensa revenir définitivement à la peinture pour l’exportation. Il persévéra néanmoins quelque temps, fréquenta Le Club d’Art Social147, puis enfin se retira de nouveau à l’écart, pour écrire un grand drame de synthèse révolutionnaire : La Légende rouge, dont l’idée le hantait148. Au moment où il allait le commencer, les catastrophes recommencèrent. Saisi, expulsé, il se vit jeter à la rue, déposséder de tout, et obligé de chercher un autre asile. Il est vrai qu’il eut dans ces ennuis une belle consolation comme poète. Un brocanteur acheta en bloc à la vente tous les exemplaires de Nos Plaies que M. Roinard avait si patiemment soustraits à la curiosité du public et en garnit toutes les boites des quais, au point qu’il n’était pas un bouquiniste qui n’en eût sa part. Puis vint le Procès des Trente149, intenté par le gouvernement aux anarchistes. M. Roinard se sentit compromis par sa participation à la Société La Butte, sa fréquentation au Club d’Art Social, sa collaboration à L’En Dehors et son zèle à répandre les listes de protestations contre l’expulsion de M. Alexandre Cohen150 et l’arrestation de M. Jean Grave151. Il pensa que le premier devoir d’un homme passionné pour la liberté était de la conserver, et la nuit même du verdict, sans céder à la curiosité de le connaître, il partit pour Bruxelles, exilé volontaire, comme autrefois Victor Hugo. Il n’y avait d’ailleurs à ce départ aucune raison sérieuse. M. Roinard n’était nullement compromis. Jamais on n’avait pensé à lui. Son nom n’avait même pas été prononcé. Son imagination de poète avait seule tout fait. Arrivé à Bruxelles avec cent sous en poche, M. Roinard vécut là au moyen de dessins au Petit Bleu152, d’articles dans des revues, faisant de l’aérostation, de la littérature et de la peinture, jusqu’à des affiches qu’on lui commandait et qu’on lui laissait pour compte, manquant une fois d’être expulsé comme anarchiste, une autre fois jouant Joad dans une représentation d’Athalie153 avec le comédien Raymond, trouvant encore le temps, au milieu de cette vie active, de flâner, de rêver, de bavarder avec des artistes et des écrivains, et même de travailler à sa grande œuvre Les Miroirs154, pièce en cinq actes et en vers. Au bout de deux ans, jour pour jour, il revint à Paris. L’exil ne l’avait changé en rien. Sa fortune s’était seulement un peu augmentée. Parti avec cinq francs, il revenait avec cinq francs dix. Aussitôt rentré à Paris, M. Roinard songea à faire représenter Les Miroirs. Il ouvrit dans ce but une souscription. Mais là encore le poète avait compté sans sa chance. Tout était prêt et on allait jouer, quand, sous l’effet de l’affaire Dreyfus, les souscripteurs s’éclipsèrent, laissant le rideau baissé sur l’œuvre et ses interprètes155. Cette réussite dramatique à tous égards, — huit cents francs y avaient été dépensés en pure perte, — fit presque regretter à M. Roinard sa bonne vie pittoresque sur la terre de Belgique. Il se décida à revenir exclusivement à ses poèmes et se remit à travailler à son livre : La Mort du Rêve, qu’il publia en 1902, et à l’occasion duquel un banquet lui fut offert, le 28 juin de la même année, par des artistes et des écrivains, sous la présidence de M. Rodin. Naturellement, comme en fit la remarque M. Roinard, la presse fit le plus unanime silence sur cet important événement156. Depuis cette époque, M. Roinard a continué à travailler à son œuvre, publiant de-ci de-là tantôt un fragment, tantôt un ensemble. On a eu de lui dernièrement deux grandes fresques poétiques et dramatiques, qui se complètent l’une l’autre : Le Donneur d’illusions157 et Les chercheurs d’impossible158, qu’il n’y a guère d’espoir de voir jamais représenter sur un théâtre.

Dédicace à Francisco Contreras (1877-1933), poète espagnol, essayiste, nouvelliste et critique littéraire.


133   Paul-Napoléon Roinard est entré dans les Poètes d’aujourd’hui lors de la deuxième édition (1908) sans que l’on sache qui est l’auteur de sa notice. À lire cette notice on comprend que Paul-Napoléon Roinard a raté quasiment tout ce qu’il a entrepris. Il y a des gens comme ça. Il est mort en octobre 1930, quelques mois après la parution de cette troisième édition des Poètes d’aujourd’hui.

134   Entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet (2e émission) « PL : J’ai vécu pendant huit ans avec une sorte de fromage qu’on appelle le Bondon, je ne sais pas si vous connaissez ça. / RM : Oui, c’est le fromage de Neufchâtel-en-Bray. »

135   Un lecteur plus instruit pourra-t-il dire ce qu’est cette « peinture pour l’exportation » ?

136   Paul Roinard (Le « Napoléon » est pour cette fois absent), Nos Plaies, vers, édité par l’association ouvrière Coopération typographique, 1886, 275 pages. « À mes parents, je dédie ce livre pour la justice, selon ma conscience. » Lisons la « Préface sèche », qui est une profession de foi : « — Pourquoi n’avez-vous pas publié ce livre chez un éditeur ? / — Parce que, ne cherchant pas d’éditeurs et les éditeurs ne me cherchant pas, nous ne nous sommes pas rencontrés. / — Pourquoi êtes-vous pessimiste ? / — parce que j’ai vécu. / — Pourquoi ne vous suicidez-vous pas ? / — Parce que je mourrai ! — Pourquoi, dans un volume de vers, avez-vous inséré des récits qui forment « tâches prosaïques » ? / — Parce que si j’avais construit la salle de l’Opéra, je n’aurais pas mis de l’or partout. / — Pourquoi n’avoir pas écrit un long poème puisque vous aviez la prétention de composer une œuvre suivie ? — Parce que, confectionné de pièces et de morceaux, le costume d’Arlequin n’en est pas moins un complet. / — Pourquoi ce livre est-il révolutionnaire ? / — Parce que je ne veux pas de bourse à la place du cœur ! / — Pourquoi le bourgeois reparaît-il en vous sous le socialiste ? / — Demandez à Jacques Vingtras ! / — Pourquoi êtes-vous parfois grossier ? / — Demandez à Cambronne ! »

137   Il ne semble pas que Paul-Napoléon Roinard ait dirigé La Revue septentrionale « Littérature et arts » et même y ait collaboré autrement que par hasard. La revue était dirigée par Léon Masseron et Camille Soubise. Julien Renard et Léon Delmotte étant secrétaires-rédacteurs. La revue a paru de juillet 1887 à juillet 1988. En janvier elle a été absorbée par La Muse française en conservant néanmoins son titre jusqu’en juillet.

138   L’Écho de France « revue littéraire hebdomadaire illustrée » dont le premier numéro est paru le vingt décembre 1896 (huit pages). Charles Dupont en est le directeur et aussi l’imprimeur, 41, rue Laffitte.

139   La Mort du Rêve, recueil de poésies, paraîtra en volume au Mercure de France en juin 1902. Cet épais volume de 338 pages est réparti en sept chants : « I. La Légende du Rêve, II. Hulter, III. Thurrbal, IV. Fnégor, V. Scingult, VI. La Montagne en délire, VII. La Porte de l’enfer », qui donnent immédiatement envie de le lire.

140   Pas davantage que pour La Revue septentrionale il ne semble pas que Paul-Napoléon Roinard ait participé en quoi que ce soit à la création de L’Endehors, (pour l’orthographe, voir l’image du titre ci-dessous) revue hebdomadaire de l’anarchiste Zo d’Axa. Le premier numéro est sorti en mai 1891 et le dernier 91 numéros plus tard, donc vraisemblablement en janvier 1893. Le titre sera repris par une autre équipe en 1922, à parution bimensuelle jusqu’à la guerre.

On peut aussi noter que Zo d’Axa a publié un ouvrage sous ce titre en un seul mot chez Chamuel en 1896 (248 pages), qui est un recueil de quarante textes de l’hebdomadaire

141   Le Cantique des cantiques est un des livres de la Bible, ce qui s’accorde mal avec l’esprit de Zo d’Axa. Ce texte a inspiré de nombreux artistes. La « prose rythmée » de P.-N. Roinard a été représentée au Théâtre d’Art le onze décembre 1891. Au cours de l’année 1892 le Cantique des cantiques est annoncé pour paraître dans la collection des Essais d’art libre (note suivante) mais ne sera plus mentionné en 1893 et n’est peut-être jamais paru. Dans le Mercure de janvier 1892, Julien Leclercq écrit, page 84 : « Les adaptations musicales de Mme Flamen de Labrély pour le Cantique des Cantiques sont d’une heureuse simplicité, et Paul Roinard, dont la tentative profane nous inquiétait, a en belle prose rythmée donné une impression juste du poème éternel de Salomon et fait preuve d’une grande habileté de metteur en scène. La décoration, du meilleur effet, était de sa composition et de sa main propre. Déplorons que le silence ait été troublé par les éternuements d’un public que nous ne croyions pas si raffiné et si difficile sur la qualité des parfums. Peut-être avait-on oublié d’accorder les vaporisateurs. »

142   Les Essais d’art libre est une revue mensuelle de 48 pages parue de février 1892 à juillet 1893. Paul Roinard (en février 1892) puis Paul-Napoléon Roinard (à partir de mars 1892) y tient une place de rédacteur, le directeur est Edmond Coutances et c’est le gérant, éditeur et imprimeur E. Girard qui inscrit son nom à la dernière page de la revue. À la fin de l’année 1892, Remy de Gourmont et P.-N. Roinard apparaîtront comme directeurs littéraires, Charles-Henry Hirsch étant secrétaire de rédaction. En 1893 Remy de Gourmont disparaîtra de l’ours, laissant P.-N. Roinard seul au titre de rédacteur en chef. Si l’on tient vraiment à ce que P. N. Roinard ait dirigé quelque chose, lire, page 42 du numéro d’août 1892 de ces Essais d’art libre : « Le Livre d’Art ; nos 2 et 3, rédigés et illustrés sous la direction de P.-N. Roinard et d’Émile Bernard. Les images réunies là forment comme un schéma de l’Art nouveau, — et le texte aussi, signé des rédacteurs habituels du Mercure de France, de L’Ermitage, des Essais d’Art libre. Il faut noter à part la belle prose de Charles Morice, Les Yeux de l’Insomnie et l’étrange gravure sur bois d’Émile Bernard. » Ce Livre d’art était à l’origine distribué aux spectateurs du Théâtre d’art de Paul Fort avant de devenir une revue à partir de 1892. On ne confondra pas ces numéros du Livre d’art avec son homonyme de la bienheureuse famille Leullier, plus tardif (à partir de janvier 1902), livre davantage liturgique qu’artistique.

143   Le Barc de Boutteville (Louis Léon Lebarc, 1837-1897). Vers la cinquantaine, cet armateur normand s’intéressa à la peinture et ouvrit une galerie au 47 rue Le Peletier où il exposait de jeunes artistes. Dans le Mercure de novembre 1893, page 236, sous la signature de Dom Junipérien, Laurent Tailhade* a écrit un article ayant un titre un peu long :

…suivi de ce texte : « Rue Le Peletier, no 47, chez M. le Barc de Boutteville, amphitryon habituel des luministes, pointillistes et autres artificiers. De nombreux services d’omnibus, restaurants, brandeviniers et manezingues circumvallent cet endroit, dont la porte s’ouvre moyennant une rétribution.de cinquante centimes, plus modeste, à coup sûr, que le chevalier Maurice du Plessys, vicomte de Flandre. Les carreaux de la boutique, embrumés de blanc d’Espagne, manifestent, dès le trottoir, qu’il s’effectue là-dedans quelque chose d’insolite. On dirait le nuage moniteur d’apothéoses qui, dans tout ballet confortable, prélimine au divertissement. Toutefois nous explorons un lieu moral et ce ne sont point des cuisses paradisiaques dont les regards sont enchantés, mais bien quelques proboscides littéraires avec un lot copieux de margoulettes artistiques. L’excellent poète Roinard, promoteur de la réjouissance, imagina de grouper autour de son icône les têtes de ses féaux, peintres et rimeurs. D’où l’exposition, rue Le Peletier. »

144   Ces Portraits du prochain siècle sont en trois catégories : Les précurseurs, les militants et les morts. Dans les précurseurs, le premier est Stéphane Mallarmé, suivi d’Alfred de Vigny et de Charles Baudelaire. Il y a même Balzac, ce qui, pour le prochain siècle semble tardif. La partie sur les militants — les trois quarts de l’ouvrage — commence par Paul Adam dont le portrait est signé par Bernard Lazare et ensuite le portrait de Bernard Lazare signé par Paul Adam. La liste recèle plusieurs de ces renvois d’ascenseur. Nous avons le portrait d’Alfred Vallette « Le pot de fer » par Jules Renard (magnifique !) et celui de Laurent Tailhade par Henri de Régner, celui d’Albert Samain par Alfred Vallette, nous sommes entre amis. Davantage, même, lorsqu’on lit le portrait de Berthe de Courrière par Remy de Gourmont (treize lignes).

145   P.-N. Roinard crut même judicieux d’écrire dans les Essais d’art libre de mars 1894 (page 129) « Les Portraits du prochain siècle dans la critique » : « “Comme de juste !” l’apparition de notre premier volume des “Portraits du Prochain Siècle” est saluée, telle qu’en lapidation, par les fossiles railleries d’une Presse qui date ses clichés de l’avant-dernier siècle pour être sûre d’en copieusement vivre au présent, et par les pubescentes perfidies de plumivores qui, la tête à l’ombre de nos Revues, chauffent déjà leurs pieds raccrocheurs au métallique soleil du publicisme quotidien. N’est-il pas avéré qu’une Expression d’Art ne se comprend qu’une centaine d’années après son avènement ?… » Ces Portraits du prochain siècle ont été abordés un peu plus longuement dans la page « Jules Renard évoque Alfred Vallette et Rachilde ».

146   À la fin de ce même numéro de mars 1894 et contre toute évidence : « Le succès de notre premier volume ayant dépassé nos espérances, nous devons songer, dès maintenant, à une seconde édition ». Puis, plus bas dans la même page 139 est annoncé un « deuxième volume » : « “Peintres, sculpteurs, graveurs et musiciens”, que nous allons mettre sous presse dans le plus bref délai. / MM. les portraitistes sont donc priés de se hâter s’ils veulent que leur copie nous arrive en temps utile […] tout article perdrait sa chance d’être inséré, qui nous parviendrait après le 31 décembre ». Cette date du 31 décembre fait douter qu’il s’agisse du numéro de mars, les numéros, réunis en volume, n’étant pas datés.

147   Le Club de l’art social a été fondé en novembre 1889 par des personnalités de la gauche de l’époque au nombre desquelles Lucien Descaves, Léon Cladel, Jean Ajalbert, Camille Pissarro, Auguste Rodin… L’esprit de « club » est à rapprocher des « Universités populaires » dont Paul Léautaud eut à s’occuper pour Monsieur Lemarquis vers 1904.

148   En même temps que Le Cantique des cantiques, cette Légende rouge a été annoncée à plusieurs reprises dans les Essais d’art libre en 1892. Dans la dernière page du numéro d’août nous apprenons que le comédien Émile Raymond (dont on sait peu de chose), après avoir joué l’Époux du Cantique des cantiques est prévu pour jouer le personnage principal de La Légende rouge.

149   Ce procès s’est tenu du six au douze août 1894 grâce aux « lois scélérates » votées en décembre précédent et un mois avant, en juillet. Sur les trente accusés, 26 étaient présents, et 22 furent acquittés. Parmi ces accusés, les deux tiers étaient des anarchistes et un tiers des voleurs, l’idée étant que la population fasse l’amalgame. Ça a été le dernier procès pour opinions politiques. Stéphane Mallarmé vint témoigner en faveur de Félix Fénéon, qui fut acquitté.

150   Alexandre Cohen (1864-1961), journaliste et militant anarchiste hollandais réfugié en France en 1888. Alexandre Cohen a travaillé pour L’Endehors de Jo d’Axa. Il traduisit Émile Zola en néerlandais. Inculpé au procès des Trente il ne s’y rendit pas, ayant été expulsé en décembre précédent et s’étant réfugié à Londres. Il a été condamné par contumace à vingt ans de travaux forcés. Sa condamnation amnistiée, Alexandre Cohen revint à Paris. Embourgeoisé, il collabora au service étranger du Figaro et à La Revue blanche de Félix Fénéon. Il tint aussi, au début du siècle la chronique des « Lettres néerlandaises » du Mercure. Alexandre Cohen, naturalisé Français en 1907, vira à droite, puis à l’extrême droite. Voir Guillaume Davranche et Marianne Enckel, Dictionnaire des anarchistes.

151   Jean Grave (1854-1939), journaliste et militant anarchiste. Inculpé puis acquitté au procès des Trente, Jean Grave fut néanmoins condamné à deux ans de prison dans un autre procès. Il a été le créateur fondateur de la revue Les Temps nouveaux, parue de 1895 à 1921.

152   Le quotidien colonialiste Bruxellois Le Petit Bleu du matin, a été créé en 1893 par Gérard Harry (1856-1931). On ne le confondra pas avec le quotidien Le Petit bleu de Paris, édité de 1898 à 1940.

153   Jean Racine, Athalie (1691). Joad est le « grand prêtre », troisième rôle de la tragédie.

154   P.-N. Roinard, Les Miroirs « moralité lyrique en cinq phases, huit stades, sept gloses et en vers », éditions de La Phalange, Paris, décembre 1908, 400 exemplaires.

Si nous lisons bien cette dédicace nous comprenons qu’en 1908 le peintre Eugène Carrière est mort (en mars 1906) et aussi le comédien Émile Raymond. Eugène Carrière est resté parmi nous pour son portrait de Verlaine de 1906 visible au musée d’Orsay

155   Un peu de chronologie. D’après la date du procès des Trente (note 149) et les indications de cette notice nous pouvons conclure que P.-N. Roinard s’est réfugié en Belgique vers le dix août 1894. « Deux ans, jour pour jour » cela fait dix août 1896. Le temps d’ouvrir cette souscription nous voilà fin 1896. L’affaire Dreyfus a véritablement explosé un an plus tard, fin 1897/début 1898 avec en point d’orgue l’article d’Émile Zola du treize janvier 1898.

156   On en parla néanmoins dans Le Petit bleu de Paris du 23 juin 1902, page trois, en ces termes : « Un banquet à Paul Roinard / À l’occasion de la publication de son volume La Mort du Rêve, quelques amis offrent un banquet à M. P.-N. Roinard, ce soir à l’Hippo-Palace. / Ce banquet sera présidé par Rodin. Parmi les organisateurs, le peintre Anquetin, Émile Michelet, le ferronnier d’art Alexandre Brosset, etc. » Le même Petit bleu du 29 juin, page deux indiqua qu’une centaine de personnes étaient présentes dont Auguste Rodin, Eugène Carrière et Madame, Jean Dolent, André Fontainas, Alfred Vallette, André-Ferdinand Herold, Louis Dumur, Gustave Kahn… et l’indispensable Émile Raymond. L’Hippo-Palace en question était le restaurant de l’Hippodrome de Montmartre qui sera transformé en cinéma en 1901 et prendra le nom de Gaumont Palace en 1911 avant d’être démoli en 1973.

157   P.-N. Roinard, Le Donneur d’illusions « Synthèse de l’Amour et de toutes les Amours », tragédie féérique en trois parties, cinq actes, vingt tableaux, deux cœurs récités en vers et prose rythmée, édition de la maison des Écrivains à Neuchatel-en-Bray, 1920, 199 pages.

158   P.-N. Roinard, Les Chercheurs d’impossible « Synthèse de l’intime souffrance des hommes qui pensent et Contre-partie du Donneur d’illusions », féérie tragique, cinq actes, onze tableaux, en vers, chez Eugène Figuière 1929, 221 pages.

Jules Romains159
1885

Jules Romains par André Rouveyre dans le Mercure du premier septembre 1910, page 19

M. Jules Romains — de son vrai nom Louis Farigoule — est né dans un hameau de la commune de Saint-Julien-Chapteull (Haute-Loire), le 26 août 1885, au cœur de cet âpre et montagneux pays du Velay battu par les vents, dont le poète s’est souvenu dans sa pièce Cromedeyre-le-Vieil160. Ses premières années s’écoulèrent à Montmartre. Il fit ses études secondaires au Lycée Condorcet, puis entra à l’École Normale supérieure en 1906. Il quitta la rue d’Ulm en 1909, avec le diplôme d’agrégé de philosophie, et poursuivit la carrière universitaire pendant une dizaine d’années. Sa première œuvre poétique, L’Âme des Hommes161, fut couronnée, en 1904, par la Société des Poètes Français qui en assura l’édition. Dans ce mince ouvrage, on pouvait déjà trouver en germe les tendances d’où devait sortir l’unanimisme162.

« C’est en octobre 1903, a écrit M. André Cuisenier163, en remontant un soir la grouillante rue d’Amsterdam, que Romains eut pour la première fois l’intuition d’un être vaste et élémentaire, dont la rue, les voitures et les passants formaient le corps, et dont le rythme emportait ou recouvrait les rythmes des consciences individuelles. Il écrivit alors les poèmes : La Ville Consciente, la Conscience de la Ville, À la Ville, et établit le plan de La Vie unanime164. Il avait lu Zola et Verhaeren*, mais déjà il s’en distinguait par une vision, bien à lui, de la vie moderne. Il ignorait Whitman, qui n’était pas traduit, et, encore élève au lycée Condorcet, il ne connaissait que de nom Bergson et Durkheim165. S’il devait plus tard les reconnaître, ainsi que Whitman, pour ses ascendants, ils n’eurent aucune part à sa découverte poétique… » Il n’y a pas lieu davantage de donner le créateur de l’unanimisme comme élève du docteur Gustave Le Bon166 ou de Gabriel de Tarde167, comme certains ont cru pouvoir le faire. Mentionnons toutefois en passant que, dès l’École Normale supérieure, la curiosité de M. Jules Romains s’étendait à tous les domaines, et par exemple à la botanique, à la physiologie, à l’histologie, toujours en fonction, il est vrai, de sa chère théorie, à savoir le rattachement de l’individu à un ensemble organisé. C’est ainsi qu’on signale de lui à cette époque un mémoire sur les Variations de l’Individualité chez les Thallophytes168. La Vie Unanime, clef de l’œuvre poétique, et même de toute œuvre de M. Jules Romains, fut publiée en 1908 par les soins de L’Abbaye, groupe fraternel d’artistes installé à Créteil en une sorte de phalanstère. (Ce phalanstère comprenait une imprimerie.) On lit, dans la pièce liminaire du recueil, ce vers que l’auteur jette comme un cri à la Ville, et où parait condensé tout l’unanimisme :

Je te donne mon âme, est-ce que tu en veux ?

MM. René Arcos169, Charles Vildrac170, le peintre Gleizes171, Alexandre Mercereau172, d’autres encore, dont, à intervalles irréguliers, MM. Georges Duhamel et Berthold Mahn173, vécurent côte à côte à l’Abbaye, de 1906 à 1909. M. Jules Romains, sans vivre avec eux, était relié aux membres de l’Abbaye moins par une esthétique rigoureusement commune que par une solide amitié, et, si l’on peut dire, par le besoin qu’il ressentait d’une certaine atmosphère morale.

Les seuls disciples authentiques de M. Jules Romains se trouvaient être, dès cette époque, Georges Chennevière174 et M. P.-J. Jouve175. Cependant, comme l’a fort bien dit M. André Cuisenier, « on ne peut nier qu’une certaine vision unanimiste s’est précisée à partir de La Vie Unanime, qu’un certain matériel d’images, et certaines conceptions techniques de la versification, du roman et du conte se sont peu à peu imposés aux amis de Romains, par exemple à Duhamel. C’est ce qui permet de comprendre qu’une étiquette, qui convient mal pour les sujets traités, se soit appliquée, pour la technique, à cette dizaine d’écrivains que le public continue à appeler unanimistes… » Les principales œuvres poétiques de M. Jules Romains, outre La Vie Unanime, sont jusqu’à présent le Premier Livre de prières (1909)176, Un Être en marche (1910)177, Odes et Prières (1913)178, Europe (1916)179, Les Quatre Saisons (1917)180, Le Voyage des Amants (1921)181, Amour couleur de Paris (1921)182 Ode génoise (1925)183. — M. Jules Romains use d’une technique poétique particulière, qu’il a créée à son usage, et qu’il a essayé de codifier dans son Petit traité de Versification184 (en collaboration avec Georges Chennevière) publié en 1923. Voici comment Georges Chennevière a résumé ailleurs l’apport de M. Jules Romains « L’existence du vers étant liée d’une part à un support métrique indispensable, à savoir la syllabe, et d’autre part à des rapports de sonorités, les deux propositions suivantes sont ajoutées par le poète unanimiste : “1o La nature même du rythme oblige le poète à une répétition de l’effet rythmique. En principe, il n’est point de vers isolé. Tout vers doit avoir son « pendant » ; 2o La nature même de la sonorité lui permet d’envisager d’autres rapports sonores que la rime, et d’autres positions de sonorités que la fin du vers. Il suffit d’un peu de logique pour comprendre ce qu’une telle technique ajoute à l’ancienne. Elle admet de nouveaux mètres, peu employés notamment les vers de 9, 11, 13, 14, 15 et 16 pieds ; et des accords ayant pour base non seulement l’homophonie des voyelles ou diphtongues (rimes), mais aussi l’hétérophonie des voyelles ou diphtongues avec homophonie de l’une ou des consonnes adjacentes185 ; (accords proprement dits). Elle admet enfin pour tous les accords, c’est-à-dire pour tous les rapports de sonorités, des changements de position, qui offrent au poète une liberté nouvelle, tempérée par de nouvelles obligations.” » La plus parfaite expression du talent poétique de M. Jules Romains doit sans doute être cherchée dans Cromedeyre-le-Vieil, pièce en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois le 26 mai 1920, au théâtre du Vieux-Colombier, et l’une des plus belles œuvres dramatiques de ce début du siècle. Rarement poésie plus pénétrante, plus élevée, dans une forme plus personnelle, s’est trouvée jointe à un sujet plus original et pittoresque. M. Jules Romains a moins réussi, à notre avis, malgré le succès qu’elles ont eu, avec ses comédies comiques : M. Le Trouhadec saisi par la débauche, Knock ou Le Triomphe de la médecine186, sorte de Malade Imaginaire de nos jours, Le Mariage de Le Trouhadec187, La Scintillante188, Amédée et les Messieurs en rang189. Ses dernières productions dramatiques : Jean le Maufranc190, minutieuse étude de caractère où la satire prend l’accent le plus âpre, et Le Dictateur191, pièce sociale, paraissent indiquer une nouvelle orientation de son esprit vers des sujets graves. L’unanimisme de M. Jules Romains s’est aussi exercé dans la prose. Le Bourg régénéré (1906)192, Mort de quelqu’un (1911)193, Les Copains (1913)194, et Lucienne (1922)195 marquent les étapes les plus intéressantes de cette formule appliquée au roman. Entre temps, M. Jules Romains poursuivait de curieuses recherches scientifiques, qui aboutissaient, en 1920, à la publication d’un ouvrage très discuté : La Vision extra-rétinienne et le sens paroptique196, recherches de psycho-physiologie expérimentale et de physiologie histologique. L’auteur tendait à démontrer, par une série d’expériences troublantes, que des images visuelles pouvaient être créées sans l’intermédiaire de la rétine, autrement dit que l’ensemble du corps se trouvait, directement par la peau, en mesure de créer lesdites images. Si des savants boudèrent, l’argumentation se montrait pourtant très habile. Signalons encore le concours apporté par M. Jules Romains à l’art cinématographique197. Donogoo-Tonka ou les Miracles de la Science198, conte cinématographique, paru en 1920. C’était à proprement parler un scénario littéraire, avec lequel l’auteur apportait un certain nombre d’idées neuves qui, depuis, ont fait leur chemin dans le monde du cinéma. Notons enfin, directement écrit pour le cinéma, et non paru en librairie, le scénario d’un remarquable film, L’Image199, qui a été projeté un peu partout, en Europe et en Amérique. M. Jules Romains, poète, romancier, dramaturge, philosophe, refuse de se laisser enfermer dans une spécialité, comme dans aucune école politique, ainsi qu’on a voulu le faire en le rapprochant du communisme. Il est avant tout « unanimiste » et subordonne à cette doctrine toutes les entreprises d’une activité multiforme. Il prétend dégager, dans chacune de ses manifestations d’écrivain, les courants internes qui mènent les collectivités, et il veut relier à ces courants toutes les réactions des sensibilités individuelles.


159   Jules Romains est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec cette dernière édition de 1930. Journal de Paul Léautaud au 27 janvier 1930 : « J’ai fait faire par Yves Gandon les quatre ou cinq notices qui m’embêtaient à écrire : Duhamel, Romains »…

160   Maurice Boissard a chroniqué Cromedeyre-le-Vieil dans les Mercure des premier et quinze décembre 1920. Deux numéros de décembre pour une pièce créée le 26 mai et évidemment plus à l’affiche, ça a forcément agacé Alfred Vallette, d’autant que ces deux numéros comptent respectivement 294 et 308 pages. Ça a été la fin des chroniques dramatiques de Maurice Boissard au Mercure de France (après le numéro suivant parce qu’il avait encore une chronique à paraître). Après cela les chroniques ont été publiées à La NRF jusqu’au numéro d’avril 1923. Et c’est encore une pièce de Jules Romains, Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche, qui causera le départ de Paul Léautaud de La NRF (pour Les Nouvelles littéraires).

161   Jules Romains, L’Âme des hommes, bibliothèque de la Société des poètes français 1904, 32 pages.

162   Cette théorie poétique a fait peu d’autres adeptes que lui-même et Georges Duhamel accompagné de ses amis Luc Durtain et Charles Vildrac (note 170 page 42), et de rares autres qui seront évoqués ci-après. Cette idée a été concrétisée par un long poème, La Vie unanime, composé de 1903 à 1907 et paru en 1908 dans le cadre du groupe de l’Abbaye. Il a été repris en 1913 par le Mercure (248 pages) et republié en 1983 par le regretté Michel Décaudin chez Gallimard. Voir aussi, publié par les Classiques Garnier, Poèmes unanimistes (1904-1910) de Jules Romains par Alessandra Marangoni (mai 1921, 214 pages).

163   André Cuisenier (1886-1974) était spécialiste de Georges Chennevière (note 174 page 43), qui a ouvert le numéro du premier décembre 1920 du Mercure, évoqué note 160 page 40 ci-dessus. Il était aussi spécialiste de Jules Romains et il est regrettable qu’Yves Gandon ne cite pas sa source. On trouve ce texte dans Jules Romains et l’unanimisme, paru chez Flammarion en 1935 (329 pages) donc très postérieurement à cette notice mais il n’est pas impossible que l’anecdote ait été donnée ailleurs. D’autres sources indiquent qu’à cette époque Jules Romains étant élève au lycée Condorcet et que c’est en compagnie de Georges Chennevière qu’il remontait cette rue d’Amsterdam.

164   Jules Romains, La Vie unanime, poème, Mercure de France, octobre ou novembre 1913, 240 pages. Ce long poème est organisé en deux parties : « Les Unanimes » et « L’Individu », chacune de ces deux parties comprenant trois séries.

165   Émile Durkheim (1858-1917) est considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne.

166   Gustave Le Bon (1841-1931), médecin, anthropologue et sociologue, spécialiste du comportement et de la psychologie des foules.

167   Gabriel Tarde (ou de Tarde, 1843-1904), sociologue et psychologue social.

168   Ce mémoire a disparu où se trouve peut-être dans un carton d’archive. Le T majuscule n’est pas nécessaire, les thallophytes étant des plantes primaires, sans feuille, ni tige, ni racine, comme certains lichens ou mousses.

169   René Arcos (1881-1959), poète et journaliste, fondateur, en février 1923, au côté de Romain Rolland, de la revue Europe, qui fêtera son centième anniversaire en 2023. Europe est de nos jours une revue mensuelle de la gauche prestigieuse, paraissant en sept livraisons par an (numéro triple juin-juillet-août et numéro double septembre-octobre). Un peu comme l’a déjà fait deux fois Le Monde diplomatique, un DVD particulièrement précieux (mais ici particulièrement cher) rassemble tous les numéros depuis la création de la revue jusqu’en 2000.

170   Charles Vildrac (Charles Messager, 1882 1971), poète et auteur dramatique libertaire, fondateur, avec Georges Duhamel du Groupe de l’Abbaye (1906-1908). En 1905 Charles Vildrac a épousé Rose (1878-1966, divorcée), sœur de Georges Duhamel. Il sera le Justin Weill de la Chronique des Pasquier. Journal littéraire au 14 avril 1925 : « Tantôt, visite de Duhamel et de son ami, le correcteur du Mercure pour les volumes, pour m’entreprendre pour mettre Vildrac dans Les Poètes d’aujourd’hui. Selon eux, Vildrac est un des trois poètes qui comptent aujourd’hui. Duhamel va me passer les vers de Vildrac, pour que je les lise et que j’en parle avec van Bever. » Charles Vildrac n’a pas fait partie des Poètes d’aujourd’hui, comme on peut le constater dans ce tome. Maurice Boissard a chroniqué deux pièces de Charles Vildrac : Le Paquebot Tenacity, dans le Mercure du premier mai 1920 page 762 et Michel Auclair dans La NRF du premier mars 1923 page 540. Lire aussi un rapide portrait de Charles Vildrac dans le Journal littéraire au 18 décembre 1948 à l’occasion de l’inhumation de Charles-Henry Hirsch. La société des Gens de lettres délivre tous les ans un prix Charles Vildrac.

171   Peintre et dessinateur, Albert Gleizes (1881-1953) fut l’un des fondateurs du cubisme, qu’il théorisa en 1912. Selon Paul Léautaud (Journal au 25 juillet 1935), Albert Gleizes aurait été un temps, élève de Firmin Léautaud.

Jules Romains, dédicace à Albert Gleizes

172   Alexandre Mercereau (1884-1945). Lire, dans La Terrasse du Luxembourg, page 175, un portrait du jeune Alexandre Mercereau. Journal littéraire au 25 octobre 1922 : « Une revue belge, Créer, publie un très intéressant article d’Alexandre Mercereau sur le groupe de L’Abbaye, dont faisait partie Georges Duhamel. Il y a une grande flamme d’idéalisme dans cet article et un grand accent de sincérité. Duhamel est un peu montré là comme un homme adroit à utiliser les autres pour sa propre réussite et à cacher ses calculs sous des airs de générosité et de désintéressement. »…

173   Berthold Mahn (1881-1975), peintre et illustrateur, a rencontré Albert Gleizes qui l’a conduit vers l’abbaye de Créteil. Voir au 22 juillet 1930, une nouvelle visite de Georges Duhamel accompagné de Berthold Mahn. Berthold Mahn nourrit une longue amitié avec Paul Hartmann (1907-1988), qui sera directeur du Mercure de France à la fin de 1944.

174   Georges Chennevière (Léon Debille, 1884-1927, à 43 ans), poète et auteur dramatique, a été élève au lycée Condorcet où il était condisciple de Jules Romains et fait partie des poètes unanimistes. De 1919 à 1923 il intègre le journal L’Humanité sans pour autant être inscrit au parti Communiste.

175   Pierre Jean Jouve (1887-1976), poète et romancier particulièrement fécond et bien délaissé de nos jours, à part son Paulina 1880 paru à la NRF en 1925.

176   Jules Romains, Premier Livre de prières, Vers et Prose, Bruges 1909, 71 pages, 85 exemplaires, dont deux sur Japon.

177   Jules Romains, Un Être en marche, Mercure 1910, 210 pages.

178   Jules Romains, Odes et Prières, Mercure décembre 1912 daté 1913, 177 pages. Ce livre a été réédité à la NRF en mars 1923

179   Jules Romains, Europe, NRF blanche, janvier 1917, 87 pages.

180   Jules Romains, Les Quatre Saisons, cinq aquarelles en couleurs du peintre et graveur Charles Picart Le Doux (1881-1959) qui, infirmier pendant la guerre, y a peut-être rencontré Georges Duhamel. Ce bel ouvrage in folio non paginé de 28 x 39 cm, en feuilles sous étui, a été tiré à cent-trois exemplaires.

Aquarelle de Charles Picart Le Doux dans Les Quatre saisons

181   Jules Romains, Le Voyage des Amants, NRF février 1921, 82 pages.

182   Jules Romains, Amour couleur de Paris, suivi de plusieurs autres poèmes, illustré d’un portrait de l’auteur gravé par André Dunoyer de Segonzac, NRF 1921, 48 pages (tirage à 525 exemplaires).

Jules Romains par André Dunoyer de Segonzac en 1921

183   Jules Romains, Ode génoise, Camille Bloch 1925, 59 pages, 315 exemplaires.

184   Jules Romains & Georges Chennevière, Petit traité de versification, NRF 1923, collection Les documents bleus, 143 pages.

Dédicace de Jules Romains à Jacques Copeau sur son Petit traité de versification, accompagnée de la signature de Georges Chennevière

185   Note de Georges Chennevière : « C’est en somme la contre-assonance préconisée par M. Tristan Derème. »

186   Knock ou Le Triomphe de la médecine, comédie en trois actes, a été créée le quinze décembre 1923 à la Comédie des Champs-Élysées dans une mise en scène de Louis Jouvet, qui interprétait aussi le rôle-titre. Le texte de la pièce est paru à la NRF quelques semaines plus tard en 1924 (169 pages). Après une adaptation au cinéma en 1925 par l’aussi prolifique qu’oublié René Hervil (1881-1960), Knock a été deux fois porté à l’écran avec Louis Jouvet dans ce rôle, en 1933 et en 1951.

187   Jules Romains, Le Mariage de Le Trouhadec, comédie en quatre actes créé à la Comédie des Champs-Élysées le 31 janvier 1925, mise en scène de Louis Jouvet qui tient aussi le rôle-titre.

Louis Jouvet et Raymone dans Le Mariage de Monsieur Le Trouhadec en une du Comœdia du premier février 1925. Raymone (Raymone Duchâteau, 1896-1986) faisait partie de la troupe de Louis Jouvet. Elle était la compagne de Blaise Cendrars »

188   La Scintillante, comédie en un acte de Jules Romains créée à la comédie des Champs-Élysées le sept octobre 1924 dans une mise en scène de Louis Jouvet avec lui-même et Valentine Tessier.

189   Amédée et les Messieurs en rang, mystère en un acte créé à la comédie des Champs-Élysées en décembre 1923 (en complément de Knock), dans une mise en scène de Louis Jouvet. Le texte de la pièce est paru en 1930 à la NRF dans un volume rassemblant les premières pièces en un acte de Jules Romains : La Scintillante, Amédée…, Démétrios, Le déjeuner marocain. Voir aussi l’article de Dussane dans le Mercure de décembre 1956 page 704.

190   Jean le Maufranc, mystère en cinq actes et neuf tableaux a été créé au théâtre des Arts (directeur : Rodolphe Darzens) le premier décembre 1926 dans une mise en scène et avec Georges et Ludmilla Pitoëff. Le texte de la pièce a d’abord été publié par la revue La Petite illustration dans son numéro du douze février 1927 (34 pages).

191   Le Dictateur, pièce en quatre actes a été créée le cinq octobre 1926, à la Comédie des Champs-Élysées. Le texte de la pièce est paru dans le numéro de La Petite illustration du 23 octobre 1926 et en volume couplé avec Démétrios à la NRF la même année (200 pages). On ne confondra pas avec le roman d’Alphonse Séché paru chez Bossard en 1924.

192   Jules Romains, Le Bourg régénéré, conte de la vie unanime, Léon Vanier 1906, 98 pages.

193   Jules Romains, Mort de quelqu’un, Eugène Figuière 1911, 240 pages.

194   Jules Romains, Les Copains, Eugène Figuière 1913, 251 pages. Parmi ces copains, quelques observateurs ont reconnu Georges Duhamel dans Huchon, Charles Vildrac en Lesueur et Jules Romains lui-même dans Bénin.

195   Lucienne est le premier roman de Jules Romains à être paru directement à la NRF (qui a par la suite racheté toutes ses autres œuvres). 278 pages.

196   Jules Romains, La Vision extra-rétinienne et le sens paroptique, recherches de psycho-physiologie expérimentale et de physiologie histologique, NRF juin 1919, 181 pages. Voir l’article de Jules Romains dans la Revue des deux mondes du premier avril 1964 (pages 330-334) à propos d’une réédition de ce singulier ouvrage, que Jules Romains date de 1920. Par « Extra-rétinienne » jules Romains semble penser « sans œil ». À la page 331 de cet article, Jules Romains écrit : « Ma carrière littéraire a fait oublier que j’ai été quelques années professeur agrégé de philosophie ; et qu’avant de le devenir j’avais passé, sur mes trois ans de séjour à Normale Supérieure, près de deux ans à Normale Sciences, fréquentant assidument les laboratoires de biologie de la rue d’Ulm, ceux de physiologie et d’histologie de la Sorbonne, et acquis les diplômes correspondants. »

197   Jules Romains a participé à l’écriture de plusieurs scénarios de films tirés de ses récits comme L’Image du Belge Jacques Feyder (1885-1948) ou évidemment de ses pièces de théâtre comme Knock (déjà cité). Cette liste peut être enrichie de Donogoo, d’Henri Chaumette en 1936, de Volpone, de Jacques Tourneur en 1941 et de Knock encore, de Guy Lefranc en 1951.

198   Jules Romains, Donogoo-Tonka ou Les Miracles de la science, conte cinématographique, NRF 1920, 170 pages.

Deux couvertures, 1920 et 2015

199   L’Image (Das Bildnis) est un film franco-autrichien de 1923 sorti à Paris en octobre 1925. Un séminariste (Jean Margueritte), un ingénieur (Malcolm Tod), un ouvrier (Victor Vina) et un artiste-peintre (Fred-Louis Lerch) deviennent amoureux d’une même femme (Arlette Marchal) dont ils ont vu le portrait à la devanture d’un photographe (Armand Dufour). Ils partent à sa recherche et finissent évidemment par se rencontrer. Chacun se confie aux autres mais ils ne savent pas qu’ils évoquent la même personne…

Arlette Marchal (1902–1984), l’Image de Jacques Feyder

Saint-Pol-Roux200
1861

M. Paul Roux, qui signe en littérature Saint-Pol-Roux, est né à Saint-Henri, dans la banlieue de Marseille, le 15 janvier 1861. Il fit partie, comme on l’a vu dans des notices précédentes201, du cercle d’écrivains de La Pléiade, où il débuta en 1886. Ce fut cette même année qu’il publia sa première plaquette : Lazare202, poème, suivie en 1889 d’une autre plaquette : Le Bouc émissaire203, poème. Il collabora ensuite à toutes les revues de l’époque, au premier rang des poètes du mouvement symboliste. C’était le temps où on l’appelait Saint-Pol-Roux-le-Magnifique. « Et il paraît qu’il méritait bien ce surnom, tant à cause de la splendeur de ses costumes que par la beauté truculente de ses discours204. » En 1895, M. Saint-Pol-Roux alla passer deux ans dans la forêt des Ardennes, en Luxembourg, où il écrivit un drame, La Dame à la Faulx205, tragédie, qu’il fit paraître en 1899, et qu’il fut un moment question de représenter à la Comédie-Française206. Il se retira ensuite en Bretagne, à Roscanvel, dans une chaumière207. Il vécut là sept années. Deux nouveaux drames, encore inédits aujourd’hui, naquirent de cette retraite : La Dame en or et Les Pêcheurs de Sardines208. Depuis, M. Saint-Pol-Roux s’est fixé sur les dunes de Camaret (Finistère), où il s’est fait construire un manoir et où il vit avec sa femme et ses enfants, « au milieu d’une nature qu’il adore, parmi des paysans et des pêcheurs dont il aime et comprend l’âme juste et simple209 ». La brièveté de ces renseignements est un témoignage de la modestie de M. Saint-Pol-Roux et de l’effacement dans lequel il se complait. À l’entendre, ce serait même déjà trop « autour de son zéro », sur sa « petite personne ». Cet écrivain a cependant su se créer un domaine littéraire bien à lui et dans lequel il se montre souvent surprenant de trouvaille et d’invention. Peut-être même trop surprenant, quelquefois. Il devient alors obscur ou puéril, et si on l’admire pour l’adresse du tour, c’est avec moins de plaisir. « M. Saint-Pol-Roux est l’un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d’images et de métaphores, a écrit M. Remy de Gourmont*210(211). On en dresserait un catalogue ou un dictionnaire :

Sage-femme de la lumière…veut
dire :
le coq.
Lendemain de chenille en tenue de balpapillon.
Péché-qui-têteenfant naturel.
Quenouille vivantemouton.
La nageoire des charruesle soc.
Guêpe au dard de fouetla diligence.
Mamelle de cristalune carafe.
Le crabe des mainsmain ouverte.
Lettre de faire partune pie.
Cimetière qui a des ailesun vol de corbeaux.
Romance pour narinele parfum des fleurs.
Le ver à soie des cheminées?
Apprivoiser la mâchoire cariée de bémols d’une tarasque modernejouer du piano.
Hargneuse breloque du portailchien de garde.
Limousine blasphémanteroulier.
Psalmodier l’alexandrin de bronzesonner minuit.
Cognac du père Adamle grand air pur.
L’imagerie qui ne se voit que les yeux closles rêves.
L’omégaen grec πυγη212.
Feuilles de salade vivanteles grenouilles.
Les bavardes vertesles grenouilles.
Coquelicot sonorechant du coq213.

 Si toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à la file vers Les Reposoirs de la Procession214 où les mène le poète, la lecture d’une telle œuvre serait difficile et le sourire viendrait trop souvent tempérer l’émotion esthétique ; mais semées çà et là, elles ne font que des taches et ne brisent pas toujours l’harmonie de poèmes richement colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte-Anne215, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s’y déroulent multiples, mais logiques et liées entre elles ; c’est le type et la merveille du poème en prose rythmée et assonancée. (Le Livre des Masques.)

[…]

Voir également dans « Les Nouvelles Littéraires » du 9 mai 1925 un Hommage à Saint-Pol-Roux.


200   Saint-Pol-Roux est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la deuxième édition de 1908. Aucun travail sur Saint-Pol-Roux ne peut être accompli sans faire référence au site des « Amis de Saint-Pol-Roux » : https://saspr.hypotheses.org/

201   Dans la notice de Pierre Quillard ci-dessus.

202   Chronologie du site des Amis de Saint-Pol-Roux pour juin 1886 : « Parution du quatrième numéro [de La Pléiade], composé uniquement de vers de Charles Van Lerberghe, Camille Bloch, Éphraïm Mikhaël, Jean Ajalbert, Pierre Quillard, d’une nouvelle d’Émile Michelet, et des chroniques de Saint-Meleux et Darzens. Paul Roux réapparaît au sommaire avec “Lazare”, dédié à Villiers de l’Isle-Adam. Le poème fera l’objet d’un tirage à part sur les presses d’Alcan-Lévy. » Ce « Lazare » sera réuni à d’autres poèmes afin de constituer un volume paru au Mercure en novembre 1903 et offert à Léon Dierx (83 pages). Ce recueil, Anciennetés, comprendra « Seul et la flamme », « La Première femme », « Le Palais d’Ithaque », « Le Bouc émissaire », « La Magdeleine aux parfums », « Lazare », « Golgotha ».

203   Saint-Pol-Roux, Le Bouc émissaire, imprimerie de la Vie moderne, juin 1889, 26 pages, 105 exemplaires. On remarquera l’originalité de la couverture et la graphie du nom de l’auteur. Ce poème offert à Jean Richepin a été réuni avec d’autres pour former le recueil Anciennetés.

204   Note de l’auteur (inconnu) de cette notice : « Francis de Miomandre : Saint-Pol-Roux. L’Art moderne, 8 septembre 1907. » Premier paragraphe de l’article qui ouvre la revue, pages 281-283. La suite de ce même paragraphe est moins glorieuse.

205   Saint-Pol-Roux, La Dame à la Faulx, tragédie en cinq actes et dix tableaux parue en volume au Mercure de France en 1899 et chroniquée par Louis Dumur dans la rubrique des « Théâtres » du numéro de mai 1900 (page 483). Dans ce même numéro, Saint-Pol-Roux publie La Rose et les épines du chemin.

206   La pièce a été refusée par le comité de lecture.

207   Cette commune de Roscanvel se trouve dans la presqu’île de Crozon, au sud du goulet de Brest, à huit kilomètres au nord de Camaret.

208   Ces deux textes sont ignorés des Amis de Saint-Pol-Roux. Il doit y avoir une raison. Pendant la guerre la maison de Roscanvel a été visitée a deux reprises par des soudards allemands, en juin et en octobre 1940 alors qu’il se trouvait à l’hôpital. Des manuscrits ont été détruits à cette seconde occasion. Ces deux textes jamais publiés ont peut-être été détruits alors. Saint-Pol-Roux, choqué et déjà malade est mort le 18 octobre.

209   Francis de Miomandre, op. cit. note 204.

210   Dans Le Livre des masques.

211   Note de l’auteur de la notice : « Il a été aussi un créateur de mots souvent heureux par l’exactitude de leur sens. Notamment celui d’Idéoréalisme, par lequel on pourrait assez bien définir son art, et qui a fait fortune. »

212   Sic.

213   Note de l’auteur de la notice : « On peut, ajouter celle-ci, une des plus jolies : Vivant petit clocher de plumes… — le coq.

214   Saint-Pol-Roux, Les Reposoirs de la Procession, trois recueils parus au Mercure de France : I. La Rose et les épines du chemin (1885-1900), II. De la colombe au corbeau par le paon (1885-1904), III. Les fééries intérieures (1885-1906),

215   Saint-Pol-Roux « Le pèlerinage de Sainte-Anne » daté de novembre 1889, Mercure de mars 1891 pages 136-138. « Les cinq Gars de faïence, à la peau de falaise, aux yeux couleur d’océan qui s’apaise, vont, bras dessus, vers la chapelle peinte où, vieillement jolie, sourit la bonne Sainte. » Saint-Pol-Roux a écrit dans 46 numéros du Mercure de France, de janvier 1891 à décembre1937.

André Salmon216
1881

André Salmon, lithographie par Marie Laurencin

M. André Salmon est né à Paris, de parents champenois, le 4 octobre 1881. Son père, Émile-Frédéric Salmon, était statuaire et aquafortiste217, son grand-père, Théophile Salmon, peintre animalier. Il eut pour précepteur bénévole le poète parnassien Gaston de Raismes218 qui, lorsqu’il était content de son élève, l’emmenait le jeudi aux réceptions de François Coppée. Tout jeune encore, M. André Salmon partit pour la Russie avec son père. À Saint-Pétersbourg, il fut employé comme stagiaire à la chancellerie de l’ambassade de France. De retour à Paris, il commença à écrire des vers qu’il eut quelque peine à placer. M. Octave Uzanne219 lui conseilla même de renoncer à la poésie. Mais le jeune poète tint bon, et en 1903 il débutait dans les lettres par une collaboration à La Plume. La même année, il faisait la connaissance du peintre Picasso, et fondait, avec Guillaume Apollinaire et Max Jacob Le Festin d’Esope, revue mensuelle qui dura neuf numéros220. En 1905, sous l’égide de M. Paul Fort, il contribuait à la fondation d’une nouvelle revue, Vers et Prose dont l’existence devait être plus longue221. Il se sentait désormais plus sûr de soi, et son premier livre, publié sous le simple titre de Poèmes222, fut suivi, en 1907, des Féeries223. Dans son nouveau recueil, le poète se dégageait résolument du symbolisme dont ses premiers vers avaient subi l’influence. On trouvait, en effet, dans Les Féeries, certain accent baudelairien, rajeuni par un sens nouveau de l’exotisme, qui devait atteindre son expression la plus achevée avec Le Calumet (1910)224. Le premier volume de prose de M. André Salmon, Tendres Canailles (1913)225, qui célébrait la faune équivoque du carrefour Buci226, fut accueilli avec la plus grande faveur227. En même temps, lié d’amitié avec bon nombre de peintres, l’auteur du Calumet entreprenait, avec Guillaume Apollinaire*, une fougueuse campagne pour la défense et l’illustration de la jeune peinture, et surtout du cubisme. Il n’a jamais cessé, depuis lors, de mettre sa plume au service des idées et des personnalités artistiques qui lui sont chères, et il compte aujourd’hui au premier rang des critiques d’art européens. Cependant, M. André Salmon n’abandonnait pas son labeur de poète, — interrompu seulement par la guerre, qu’il fit dans les chasseurs à pied, — et en 1919 parut Prikaz228, sorte de synthèse lyrique de la révolution russe. À la fin du livre, l’auteur écrivait : « Ce poème est le premier de la seconde époque des ouvrages poétiques d’André Salmon, la première étant close avec Le Calumet — 1910 — et divers poèmes publiés dans les revues de 1910 à 1914. Prikaz est un premier essai de poésie substituant aux saisons du vieux lyrisme le climat instable de l’inquiétude universelle. Il relève d’un art esquissé en des essais anciens déjà (Les Féeries — 1907 — et d’autres) restituant l’émotion à l’impersonnel ; un art tendant encore à créer chaque chose par sa description verbale229. » M. Jean Royère écrivait dès 1911 d’une moins exacte tentative : « Cette poésie est proprement nominaliste. » La nouvelle formule dont se réclamait ainsi M. André Salmon a présidé depuis à la conception de ses autres ouvrages : Le Livre et la Bouteille230, Peindre231, — curieux volume, où tous les amis peintres de l’auteur font matière à poèmes, — et L’Age de L’Humanité232.

Il n’est pas inutile de signaler que, dans les romans de M. André Salmon, le poète se retrouve tout entier, en un mélange savoureux de naturalisme, d’imagination burlesque et de délicate sensibilité. La Négresse du Sacré-Cœur233 et L’Entrepreneur d’Illuminations234 sont, dans cet esprit, des livres absolument neufs et qui séduisent, en dépit d’un goût, parfois excessif et presque morbide, du clinquant et de l’oripeau. Peut-être cependant M. André Salmon a-t-il donné sa meilleure note avec Le Manuscrit trouvé dans un chapeau235 et Archives du Club des Onze236, dans lesquels, sans intrigue à proprement parler et la fantaisie de l’auteur régnant seule en maîtresse, ses défauts mêmes paraissent devenus des qualités.

Ces dernières années, M. André Salmon s’est essayé au théâtre. Il y a donné notamment, en collaboration avec M. René Saunier, Natchalo237, scènes de la révolution russe, pièce en trois actes et un prologue, qui fut représentée au théâtre des Arts, et obtint un vif succès.

En dehors de ses travaux d’écrivain, M. André Salmon exerce les fonctions de chroniqueur judiciaire au Matin.


216   André Salmon est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec cette dernière édition de 1930. Sa notice a été rédigée par Yves Gandon.

217   Un aquafortiste est un graveur à l’« eau forte ». L’eau forte est une solution d’acide nitrique diluée (donc faible pour de l’acide mais forte pour de l’eau). Une plaque de cuivre est recouverte de vernis résistant à l’acide. L’aquafortiste gratte le vernis avec une pointe sèche. Le cuivre mis à nu sera attaqué par l’acide. L’encre se répandra dans les creux ainsi formés. L’encre en surface est retirée au chiffon. Une feuille de papier fortement pressée contre la plaque recevra l’encre restée dans les creux.

218   Dans son Histoire de la poésie française (Albin Michel 1982), Robert Sabatier, dans sa notice sur André Salmon, indique que Gaston De Raismes est l’auteur de La Revanche du rêve. Il reste que l’on ne sait rien de cet auteur.

219   Octave Uzanne (1851-1931), bibliophile, éditeur de revues et romancier, proche de Remy de Gourmont.

220   Lire Jacqueline Gojard, « Guillaume Apollinaire et André Salmon sur le pont des Reviens-t’en » dans la Revue d’Histoire littéraire de la France de janvier-mars 2021 pages 106-114. L’auteur indique : « Notre titre fait allusion à quelques vers de “La chanson du Mal-Aimé : “Mais en vérité de l’attends / Avec mon cœur avec mon âme / Et sur le pont des Reviens-t’en / Si jamais revient cette femme / Le lui dirai Je suis content” » Jacqueline Gojard a préfacé l’édition Gallimard 2009 de La Négresse du Sacré-Cœur, objet de la note 233. Pour Le Festin d’Ésope, note 14 de la notice de Guillaume Apollinaire (première partie).

221   Lire en ligne Claude-Pierre Pérez « André Salmon dans Vers et Prose, 1905-1914 » https://babel.univ-tln.fr/?p=2974

222   André Salmon, Poèmes, édité par les soins de Vers et Proses, 1905, 250 exemplaires.

223   André Salmon, Les Féeries, édité par les soins de Vers et Proses, 1907, 112 pages. Dans la page « du même auteur », le recueil Poèmes est annoncé comme épuisé.

224   André Salmon, Le Calumet, orné d’un dessin de Vladislav Granzow, Henri Falque 1910, 130 pages. Lisons, page 14, le poème intégralement retranscrit ici « À Jean Moréas en lui adressant Les Fééries » : « Ceux d’entre nous de qui le souvenir est lourd / Disent : “Hugo jadis me taquina l’oreille / Comme Napoléon pour flatter un tambour / Imberbe et valeureux.” Et d’autres s’émerveillent, / Plus jeunes, d’avoir eu l’adorable faveur, / Un soir de temps affreux, d’offrir leur main virile / À Verlaine malade et traînant par la ville / Son génie infini et sa vaste douleur. / Plus tard je connaîtrai le sort des vieux poètes / Que l’espoir de la palme, hélas ! ne soutient plus. / Je serai las, brisé, doigts gourds, bouche muette / Et pourtant glorieux de vous avoir connu. »

Dessin de Vladislav Granzow pour Le Calumet

225   André Salmon, Tendres Canailles, Ollendorff 1913, 248 pages.

226   La rue de Buci est agrémentée de quelques carrefours mais il s’agit ici vraisemblablement de celui où elle prend naissance, suite à la rue Saint-André-des-arts. On trouve aussi à ce carrefour, qu’aucune rue ne traverse, la rue de l’Ancienne comédie venant du boulevard Saint-Germain et, vers le nord, la rue Mazarine, qui rejoint, on s’en doute, l’Institut, et la rue Dauphine, qui rejoint la Seine au Pont-Neuf.

227   Le Temps du 30 janvier 1913 page quatre, Le Figaro du lendemain page quatre, Gil Blas du trois février page trois…

L’Excelsior du 17 février 1913 au bas de la page quatre

228   André Salmon, Prikaz, La Sirène, 1919, 61 pages.

229   Guillemets fermants oubliés dans l’édition papier.

230   André Salmon, Le Livre et la bouteille, Camille Bloch 1920, 54 pages.

231   André Salmon, Peindre, dédié « à mon ami André Derain, Peintre français » avec un portrait inédit de l’auteur par Pablo Picasso, La Sirène 1921, 56 pages.

André Salmon par Pablo Picasso

232   André Salmon, L’Âge de l’Humanité, avec un portrait de l’auteur en lithographie par Marie Laurencin, La NRF septembre 1921, 85 pages.

233   André Salmon, La Négresse du Sacré-Cœur, NRF été 1920, 237 pages. Dans la préface à son édition de 2009, Jacqueline Gojard écrit : « La Négresse du Sacré-Cœur est un roman à clé. Salmon lui-même n’a pas caché qu’il jouait à la fois le rôle du narrateur dans un récit à la première personne […] et celui du jeune poète Florimond Daubelle, ami de Sorgue (Picasso), de Septime Febur (Max Jacob) et d’O’Brien (Pierre Mac Orlan). Il s’en est expliqué […] dans ses Souvenirs sans fin »… Un exemplaire du tirage de tête de l’édition originale offert à François Mitterrand par l’étonnant photographe François-Marie Banier en 1992 a été vendu par Piaza 1 040 €uros, accompagné d’une lettre manuscrite stupéfiante, encore en ligne chez Piaza au moment de la publication de cette page (mars 2023).

La Négresse du Sacré-Cœur, couvertures de 1920 et 2009

234   André Salmon, L’Entrepreneur d’illuminations, NRF août 1921, 283 pages.

235   André Salmon, Le Manuscrit trouvé dans un chapeau, orné de 38 dessins à la plume de Pablo Picasso, dont un frontispice, six en pleine page et un en double page, Société littéraire de France, 1919, 126 pages.

236   André Salmon, Archives du club des Onze, dédié à Max Jacob, Mornay 1923, 250 pages. Une édition courante a été reprise par les éditions de La Nouvelle revue critique en 1928.

INSÉRER ici l’image : « Salmon Club des 11 web.gif »

237   Natchalo (Le commencement), pièce en trois actes et un prologue, d’André Salmon et René Saunier, a été créé au théâtre des Arts de Rodolphe Darzens le sept avril 1922 avec Harry Baur et Êve Francis. Le texte de la pièce est paru dans La Petite Illustration du trois juin 1922. Maurice Boissard a chroniqué cette pièce dans La NRF d’octobre suivant, ce qui est tard, et la pièce est la seule de toute la chronique, qui s’étend sur huit pages, encore que seule la première page traite de la pièce… Il ne semble pas que Natchalo ait été rééditée depuis.

Albert Samain238
1858-1900

Albert-Victor Samain naquit à Lille, le 3 avril 1858. On a avec lui un bel exemple de travail et de sincérité. Né dans une famille modeste, de petits bourgeois moyens, et mis de bonne heure dans l’apprentissage de l’existence, il eut ce mérite de se faire tout seul et de ne devoir qu’à lui aussi bien sa situation matérielle, — modeste, d’ailleurs, — que sa réputation littéraire. Les parents d’Albert Samain tenaient à Lille un commerce de « Vins et Spiritueux » et il était encore au collège qu’il perdit son père. L’aîné de quatre enfants, il lui fallut seconder sa mère dans les charges de la famille et il entra dans les bureaux d’un agent de change. Il a parlé dans une lettre de toute cette période de sa vie. « J’ai quitté le lycée, écrivait-il, pour entrer comme saute-ruisseau dans une maison de banque, à l’âge de quatorze ans et demi, purement et simplement. De la banque, j’ai été versé dans le courtage des sucres, où j’ai vécu très malheureux pendant plusieurs années, travaillant de huit heures et demie du matin à huit heures du soir, et le dimanche jusqu’à deux heures. C’est ainsi que, cherchant de toutes les façons à me délivrer de cet esclavage, j’ai été amené à songer à l’administration239. Il resta aussi à Lille pendant plusieurs années. En 1880, il fut envoyé en service auxiliaire à Paris, dont il rêvait depuis longtemps, attiré là par sa vocation littéraire. Mais si sa situation matérielle, pour son âge, n’était pas mauvaise, la liberté continuait à lui faire grandement défaut pour satisfaire son double désir d’étudier et d’écrire. Un de ses collègues de Lille, plus âgé que lui, en qui il avait trouvé un ami et auquel il faisait ses confidences, lui conseilla le journalisme, avec les meilleurs efforts pour vaincre sa timidité et ses hésitations. Albert Samain fit ainsi quelques démarches au Figaro, au Gil Blas, ce qui était peut-être un peu osé, pour un débutant ? — mais avec si peu d’insistance et d’entrain, d’autre part qu’il n’en retira rien. Tout son succès dans ce sens fut de collaborer à un petit hebdomadaire illustré de Lille, Le Bonhomme flamand240, dans lequel il publia, sous le pseudonyme de Gry-Pearl, en octobre et novembre 1881, deux courtes histoires : Le Bout de l’Oreille et La Jarretière, qui n’ont guère d’autre intérêt que d’être ses premières œuvres241. Cela le convainquit du moins de l’inutilité des tentatives de ce genre, et il résolut de travailler désormais pour lui seul, avec patience, comptant d’ailleurs, comme il l’écrivait à cette époque, « plutôt sur les coups de vent que sur autre chose ». En 1881, sa mère, quittant Lille à son tour, vint vivre avec lui à Paris. Il eut peu après la chance de passer avec succès l’examen de l’Hôtel de Ville, où il entra comme expéditionnaire. C’est à cette époque qu’il fit ses premières relations littéraires, commencées avec quelques-uns de ses collègues, écrivains comme lui. Il fréquenta le groupe de Nous Autres, ainsi qu’on l’a déjà vu dans la notice de M. Le Cardonnel, passa de là avec ses camarades au Chat Noir, où il lui arriva quelquefois de réciter des vers, collabora au Chat Noir, puis au Scapin. Comme l’a très justement fait remarquer M. Léon Bocquet, la biographie d’Albert Samain ne présente vraiment d’intérêt littéraire qu’à partir de 1890. Entre toutes ses connaissances littéraires, Albert Samain s’était senti attiré de préférence vers ceux des nouveaux écrivains qui cherchaient à organiser et à réunir leurs efforts, et avec eux, nous avons donné leurs noms précédemment, il prit part à la fondation du Mercure de France, dont le premier numéro parut, comme nous l’avons dit, dans les derniers jours de décembre 1889, avec la date de janvier 1890. C’est au Mercure de France qu’il collabora alors principalement242, sauf un très petit nombre de vers parus dans d’autres jeunes revues de l’époque, et c’est la vérité que dans sa modestie il ne voyait pas plus loin que ces insertions de ses poèmes dans des revues, « ne s’inquiétant pas de faire autrement profession d’écrivain ». Il fallut les encouragements de ses camarades et de ses premiers admirateurs, l’insistance, notamment, de son ami M. Raymond Bonheur243, pour qu’il consentît à faire et à laisser paraître un choix de ses poèmes. Ce fut Au Jardin de l’infante244, publié en octobre 1893, dans une édition de luxe à tirage restreint. Quelques mois après, en mars 1894, un article de François Coppée dans Le Journal245 révélait au public le nouveau poète. « M. Albert Samain, écrivait l’auteur du Passant, est un poète d’automne et de crépuscule, un poète de douce et morbide langueur, de noble tristesse. On respire tout le long de son livre l’odeur faible et mélancolique, le parfum d’adieux des chrysanthèmes à la Saint-Martin. » Ce fut pour Albert Samain, du jour au lendemain, presque la célébrité, aventure d’autant plus heureuse et charmante que le débutant n’était point connu du maitre et que celui-ci, — on a vu avec M. Pierre Louÿs qu’il était coutumier du fait, — avait écrit son éloge tout spontanément. À la suite de cet article, l’édition de luxe de Au Jardin de l’Infante se trouva bientôt épuisée. En 1897, une nouvelle édition parut246, augmentée d’une partie inédite, et à laquelle l’Académie française devait décerner, l’année suivante, le prix Archon-Despérouses, Tout ce succès n’avait cependant changé en rien Albert Samain, qui demeurait au contraire comblé d’étonnement qu’on pût, à ce point, s’intéresser à son œuvre, tant il était, au plus profond de son être, modeste et désintéressé. Personne non plus dans son entourage ne pouvait songer à le jalouser, tant on savait son succès mérité et tant il savait se faire aimer. « Il possédait à un haut degré, a écrit M. Louis Denise (Mercure de France, octobre 1900)247, ces vertus de société prisées naguère à leur valeur et qui savent encore aujourd’hui charmer un commerce aimable, un cœur droit et bienveillant, qui savait esquiver sans inutiles blessures les lâches compromissions, une conversation primesautière et cet enjouement de l’esprit qui s’ébat parmi des idées… Il avait cette suprême politesse d’abaisser ou d’élever le ton de sa parole, dont l’ironie même ne semblait être qu’une charité, au niveau de ses interlocuteurs. » On lira également cette appréciation de Robert de Montesquiou dans une lettre à M. Léon Bocquet : « J’avais eu l’occasion de rencontrer le poète d’Au Jardin de l’Infante chez un de nos amis communs, Antonio de La Gandara248. La simplicité de son attitude et de ses manières, la dignité de sa vie ne faisaient qu’ajouter de l’estime à la prédilection qu’inspiraient ses œuvres. Mais sa vie était fermée comme son âme, attachée aussi. On n’en pouvait, on n’en voulait distraire que de brefs instants. Le reste se résolvait en ces chants purs, tendres et pénétrants dont sont faits ses livres… J’eus le plaisir de retrouver plusieurs fois Albert Samain et de le réunir à des amis en des compagnies agréables. Toujours il se montrait réservé sans affectation, du fait de sa nature distinguée et discrète. » « À l’exemple de tant d’autres, écrit M. Léon Bocquet à ce moment de sa biographie, Albert Samain aurait pu profiter de ses relations pour aiguiller vers des succès immédiats ; mais loin d’intriguer, il négligeait jusqu’aux occasions bienveillantes qui s’offraient, par un sentiment où il entrait à la fois de la pudeur, de l’amour-propre, et davantage encore de défiance, de soi-même… C’est le moment où, par l’entremise de José-Maria de Heredia, Ferdinand Brunetière249 lui ouvre la Revue des Deux Mondes, qui, à deux reprises, publie ses vers250 ; c’est le temps où sa collaboration pourrait être accueillie dans les périodiques ou les journaux ; c’est le temps où on l’espère et l’ambitionne dans les salons. Albert Samain laisse passer, inutile, l’engouement et le crédit. » Dans ce manque d’ambition, la mauvaise santé avait aussi une grande part. À cette époque, Albert Samain était déjà malade, il le savait et le sentait, sa correspondance à ses amis en témoigne. « Ça ne marche pas, écrivait-il alors à l’un d’eux, M. Paul Morisse, la santé n’est pas bonne, toujours de la faiblesse du côté de l’estomac et, par suite, peu de goût à faire quelque chose. » Il se remit pourtant au travail, commença les poèmes d’Aux flancs du Vase251, longtemps gardé et parfait et qui parut en 1898. Peu après, il perdit sa mère. Ce fut pour lui un profond déchirement dont sa santé sortit encore diminuée, le spectacle des derniers moments de sa mère ne cessant de le hanter. Pour tenter de le rétablir et de le distraire de ses pensées, son ami M. Raymond Bonheur l’emmena passer quelques mois dans le Midi, puis il se rendit pour quelque temps chez un autre ami, M. Antony Mars252, jusqu’au printemps de 1899. Il rentra alors à Paris. Un peu mieux portant en apparence, il reprit son emploi à l’Hôtel de Ville253 et se remit à travailler, écrivit son petit drame en vers Polyphème254, mais l’hiver l’abattit de nouveau moralement et physiquement, et, en avril 1900, à la faveur d’un congé, il se rendit à Lille pour se reposer auprès de sa sœur. Il ne s’y rétablit guère et sa rentrée à Paris, en juin 1900, fut lamentable. Le désir de vivre lui demeurait, pourtant, une grande volonté de guérir255, et confiant dans le grand air de la campagne, il se laissa emmener à Magny-les-Hameaux, chez M. Raymond Bonheur. Il vécut là quelques mois, « dans un décor de paix familière entouré des soins de l’amitié la plus pieuse, croyant chaque jour faire un pas vers la guérison, mais en réalité déclinant peu à peu, jusqu’au soir du 18 août 1900, où il mourut, calme, sans effort ni agonie, — une mort effacée et silencieuse comme avait été sa vie, une mort aussi comme celle qu’il avait entrevue :

Oh ! s’en aller sans violence,
S’évanouir sans qu’on y pense
D’une suprême défaillance…
Silence… Silence… Silence…

Deux jours après, son corps était transporté à Lille, où il repose aux côtés de son père et de sa mère.

Depuis, la réputation d’Albert Samain n’a fait que grandir. Un recueil de vers : Le Chariot d’or256, et un volume de contes : Contes257, publiés posthumement, ont trouvé dans le public le même accueil qu’Au Jardin de l’Infante et Aux Flancs du Vase. De nombreuses éditions de luxe ont été faites de ses livres, comme de nombreuses conférences sur sa vie et sur son œuvre, et Polyphème, joué pour la première fois au Théâtre de l’Œuvre, en 1904, a trouvé un grand succès à la Comédie-Française qui l’a mis à son répertoire258. C’est la juste consécration d’un talent que M. Léon Bocquet a très bien défini en ces termes : « Albert Samain n’a pas été un précurseur. Il n’a point poussé la poésie vers l’orient des terres promises et des conquêtes nouvelles. Il n’a rien inventé, rien découvert, ni dans la forme ni dans le fond, ni même dans le rythme. Son originalité réside dans son éclectisme et dans sa sagesse. Il ne s’est point aventuré ; il n’a été absolument d’aucune école, se réservant, selon l’heure et selon l’urgence, de suivre telle règle et telle discipline qui lui paraissait la meilleure, revendiquant ici et là, tour à tour, sa part de l’hoirie littéraire259. Au milieu du conflit des prosodies, il a eu ce mérite, ce tact et cette mesure de ne se point enraciner dans l’acquis, de ne pas foncer dans l’arbitraire, mais de prendre son bien partout où il jugeait quelque avantage utilisable. L’aboutissement des variations de la poésie au XIXe siècle, avec ses tendances disparates, ses nouveautés hardies et son élargissement final, s’est condensé dans ce poète. Il clôt son âge et le résume. Et c’est pourquoi il se trouve être comme un centre où les innombrables avenues du domaine poétique se rejoignent. Et il s’est créé ainsi une sorte d’indépendance et de personnalité définie. Dans le chœur nombreux des poètes de son époque, instrumentant à l’unisson de l’orchestre, mais sans qu’elle pût s’y confondre ou s’y perdre, Samain, a chanté d’une voix pure, grave et confidentielle, où persiste un lointain sanglot. Triste et solennelle, comme si elle montait, le soir, du fond d’une clairière, elle a, cette voix, son timbre bien distinct et telles sonorités expressives à ne point se méprendre. Elle se reconnait à un tremblement de volupté languide et plus souvent à un frisson séraphique, immatériel, éperdu et mourant. Samain est un poète de pénétrante extase, l’ami des âmes dolentes, valétudinaires et blessées que secoue la douleur ou que trouble une indicible angoisse. Tout ce qui se devine, se suggère, mais s’exprime à peine : les ardeurs vagues, les défaillances, les horizons brumeux de nos rêves, les divins crépuscules du cœur, l’obscure émotion de la solitude, l’inquiétude des heures méditatives, tout ce que nous sentons, à certaines minutes supérieures, affluer des âmes vers notre humanité, Samain a su le rendre perceptible et insinuer en nous de l’inconnu et du mystère qui y dormaient… “Il y a des âmes femmes”, a observé un jour Albert Samain. Il portait en lui une de ces âmes-là, frêle, délicate et faible, câline, mystique et impressionnable… Et c’est elle qui unit à la grâce de ses qualités les aimables défauts du caractère féminin ; la peur et comme le recul en face de l’action, l’irrésolution devant la vie, un parti pris de fatalisme, de passivité et d’abandon qui se marque en ses vers.

Un monument a été élevé à Albert Samain, et une plaque apposée sur la maison qui fut sa dernière demeure, au petit village de Magny-les-Hameaux, en juin 1925(260).


238   Albert Samain a bien connu le couple Rachilde/Alfred Vallette et l’on dit que c’est lui qui, en mars 1885 au bal Bullier, les a présentés l’un à l’autre. Albert Samain est entré dans les Poètes d’aujourd’hui lors la première édition de 1900, année de sa mort. La notice de 1900, d’une page, rédigée avant la mort d’Albert Samain, été enrichie jusqu’à atteindre cinq pages en 1908 et est restée identique en 1930 où nous la lisons ici.

239   Note d’Adolphe van Bever : « Léon Bocquet : Albert Samain, sa vie, son œuvre, Paris, Mercure de France, 1905. Les éléments de notre notice sont tirés de cet ouvrage, le document le plus complet sur le poète. »

240   Le Bonhomme flamand « journal illustré des Flandres et de l’Artois, littéraire, commercial, financier, de modes, d’hygiène et de renseignements généraux ». Cet hebdomadaire est paru à Lille à partir du cinq décembre 1880 sur 47 numéros, ce qui date sa fin au 23 décembre 1881 mais certaines sources le conduisent jusqu’en 1882, peut-être à cause d’interruptions. Le directeur de publication était le comédien Fradelle (Victor Couailhac né en 1814), qui est aussi auteur de quelques romans parus sous son nom.

241   Ces deux textes ont été repris dans les Œuvres en prose d’Albert Samain publiés par Marc Béghin, Christophe Carrère et Bertrand Vibert pour les Classiques Garnier en 2020 (hors de prix). Ils nous apprennent que Le Bout de l’oreille, sous-titré Mémoires d’un homme heureux est paru dans Le Bonhomme flamand du deux octobre 1881 et La Jarretière le six novembre de la même année.

242   Albert Samain n’a toutefois publié que 36 textes dans le Mercure de France entre le premier numéro (janvier 1990) et mai 1901 (posthume). La page du numéro de janvier 1890 est reproduite ci-dessous :

243   Le musicien Raymond Bonheur (1861-1939) a mis en musique huit poésies de Francis Jammes* en 1903. Il a composé une musique de scène pour Polyphème, (note 254) drame lyrique d’Albert Samain, créé le dix mai 1904 au théâtre de l’Œuvre. Raymond Bonheur musicien très oublié aujourd’hui, a aussi composé sur des textes de Paul Fort. On ne confondra pas Raymond Bonheur avec son père, le peintre Auguste Bonheur ni avec sa nièce Rosa Bonheur.

244   « Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement, / Deux lévriers d’Écosse aux yeux mélancoliques / Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques / Dans la forêt du Rêve et de l’Enchantement. // Son page favori, qui s’appelle Naguère, / Lui lit d’ensorcelants poèmes à mi-voix, / Cependant qu’immobile, une tulipe aux doigts, / Elle écoute mourir en elle leur mystère… » Au Jardin de l’infante « augmenté de plusieurs poèmes » a été le premier recueil d’Albert Samain, publié au Mercure à l’automne 1893 (253 pages) et agrémenté d’un agréable frontispice de l’illustrateur Auguste Henri Thomas. Ce recueil a été chroniqué par Henri de Régnier dans le Mercure d’octobre 1897, page 226. Ce jardin existe, ignoré, entre Louvre et Seine, au-dessus duquel Albert Samain avait son bureau. Pour plus de détails à ce propos voir la note 75 de la page « Poètes d’aujourd’hui, par Henri de Régnier ».

245   En une du quotidien Le Journal, du quinze mars 1894.

246   L’édition de 1893 portait l’avertissement : « Les œuvres complètes d’Albert Samain paraîtront dans cette édition de luxe, qui ne sera pas réimprimée. » L’édition de l’été1897 (243 pages) était donc une édition courante.

Dédicace d’Albert Samain à José-Maria de Heredia sur un exemplaire de l’édition de 1897

247   Albert Samain étant mort le huit août, ce numéro d’octobre lui rend évidemment hommage avec, en ouverture, ce texte de Louis Denise (pages 5-12), suivie de Sonnets d’Albert Samain : « L’air est trois fois léger sous le ciel trois fois pur / Le vieux bourg qui s’effrite en ses noires murailles / Ce clair matin d’hiver sourit sous ses pierrailles / À ses monts familiers qui rêvent dans l’azur // […] César passait ici pour gagner ses batailles / Un oiseau de printemps chante sur le vieux mur… » Suit un poème de Francis Jammes « À Albert Samain », daté du 21 août.

248   Le peintre Antonio de La Gandara (1861-1917) a été admis en 1878 — à dix-sept ans — à l’École des Beaux-Arts de Paris avant d’exposer au salon de 1882. En 1885 Antonio de La Gandara a la chance de réaliser un portrait pour Robert de Montesquiou. Ce portrait (de nos jours exposé au musée des Beaux-arts de Tours) plait au mécène qui présente le peintre à ses amis, entraînant la gloire et la fortune.

249   Ferdinand Brunetière (1849-1906) est entré à la prestigieuse (à l’époque) Revue des deux mondes dont il est devenu le directeur en 1893. Cette même année il a été élu à l’Académie française. Aussi conservateur qu’un historien de la littérature peut l’être, il s’opposait à la jeune littérature de son temps. On lui doit plusieurs « Histoire de la littérature » et particulièrement des Études critiques sur l’histoire de la littérature française (1849-1906) en huit volumes parus de 1880-1907.

250   Dans les numéros des premier décembre 1897 et juillet 1898.

251   Aux flancs du Vase, est le deuxième recueil de poésies d’Albert Samain, paru au Mercure en novembre ou décembre 1898, 112 pages. Ce recueil comprend : « Le Repas préparé, Le Boucher, Axilis au ruisseau, La Bulle, Le Sommeil de Canope, Le Cortège d’Amphitrite, Mnasyle, La Grenouille, Amphise et Mèlitta, Le Marché, Xanthis, Le Petit Palémon, Hermione et les bergers, Rhodante, Le Laboureur et Les Vierges au crépuscule ». Nous pouvons, faute de choisir, lire les quatre premiers vers du premier poème : « Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine / Le maître va rentrer ; sur la table de chêne / Avec la nappe neuve aux plis étincelants / Mets la faïence claire et les verres brillants. » qui rappellent bien François Coppée.

252   Antony Mars (1860-1915), auteur dramatique des Boulevards, fécond malgré une mort précoce, surtout connu pour son opérette La Chaste Suzanne (1913, en collaboration avec Maurice Desvallières) sur une musique de Jean Gilbert. Rien que pour cette année 1899, Antony Mars a créé trois pièces : La Poule blanche (en collaboration avec Maurice Hennequin) créé au théâtre de Cluny le treize janvier, La Mouche, comédie en quatre actes créée au Palais-Royal en septembre, et La Meunière du Moulin-joli, comédie en deux actes avec chœurs sur une musique d’Alcide Béjot. Il n’y a aucun lien de parenté avec son contemporain le comédien Séverin-Mars (1873-1921), et encore moins avec Mademoiselle Mars (1779-1847) qui sont tous deux des pseudonymes.

253   Nous savons qu’Albert Samain avait son bureau au Louvre, dont les fenêtres donnaient sur le jardin de l’Infante (note 244 page 57) mais peut-être a-t-il été affecté dans un autre lieu au retour de son séjour de 1898 dans le Midi.

254   Albert Samain, Polyphème, drame antique en deux actes et en vers accompagné d’une musique de Raymond Bonheur (note 243). Le texte est paru pour la première fois dans La Revue de Paris du premier août 1901 précédé d’un article sur Albert Samain par André Rivoire puis en volume au Mercure de France (67 pages). La musique de Raymond Bonheur a rapidement (1921) été remplacée par une musique de Jean Gras davantage inconnu encore que Raymond Bonheur.

« Polyphème » dans La Revue de Paris (bimensuelle) du premier août 1901, page 571.

255   Ce début de phrase résonne étrangement lorsqu’on connait la triste et douloureuse fin d’Adolphe van Bever, auteur de cette notice.

256   Albert Samain, Le Chariot d’or, Mercure de France 1901 (annoncé dans le numéro de juin), 236 pages.

257   Albert Samain, Contes : « Xanthis » « Divine Bontemps » « Hyalis » « Rovère et Angisèle », Mercure 1902, 186 pages.

258   Le 18 mai 1908. Voir la une de Comœdia de cette date et deux colonnes et demie de la page trois du numéro du surlendemain 20 mai, signées de Jean Richepin et G. Davin de Champclos.

259   L’hoirie représente l’ensemble des biens d’une succession. De nos jours les juristes utilisent plutôt la formule « part successorale » et les gens de lettres « héritage culturel ».

260   Auprès de Raymond Bonheur.

Cécile Sauvage261
(1883-1927)

Cécile Sauvage (Anne-Marie-Antoinette), était née le 20 juillet 1883 à La Roche-sur-Yon (Vendée). Son père, qui descendait d’une famille paysanne de Caderousse, près Orange, était proviseur au lycée de cette ville. Son grand-père maternel était originaire de Calais, et sa grand’mère maternelle de Huy, près Liège.

À l’âge de un an, Cécile Sauvage fut emmenée à Châteauroux, puis, à cinq ans, à Digne, où son père allait professer l’histoire au lycée. C’est à Digne qu’elle fit ses études, excellentes, au cours secondaire des jeunes filles. À seize ans, elle savait par cœur beaucoup de Mistral et d’Aubanel, de Ronsard, de Racine et de Chénier, presque toutes les Fables de La Fontaine. Cette culture littéraire, jointe à son enfance et à sa jeunesse en pleine nature, explique bien sa poésie. Son père, félibre à ses heures perdues, lui faisait lire aussi des traductions de Virgile, de Dante et de Shakespeare. C’est à Digne également qu’elle écrivit, en 1903, à vingt ans, Les Trois Muses262. Son père envoya ce poème à Mistral qui le lut à Paul Mariéton263. Tous deux le trouvèrent fort beau et plein de promesses. Ils engagèrent Cécile Sauvage à travailler, à publier et lui indiquèrent plusieurs revues de province.

En novembre 1905, étant allée voir à Saint-Etienne le directeur de la Revue Forézienne qui venait de publier Les Trois Muses, elle fit connaissance de M. Pierre Messiaen, qu’elle devait épouser deux ans plus tard. En ce temps de son mariage, elle tenait d’une Arlésienne, par toute sa personne gracieuse et fine.

En 1909, M. Pierre Messiaen étant nommé professeur au collège d’Ambert, Cécile Sauvage alla avec son mari habiter cette ville. Elle avait alors un premier enfant. La naissance d’un second, en 1912, ébranla profondément sa santé. « Elle apparaît alors comme une mère douloureuse, sacrifiée à la maternité » Rien n’est plus émouvant, d’autre part, et d’une fraîcheur plus exquise, que les poèmes qu’elle a écrits sur ce sujet. Si on s’en tient au sens exact du mot : poésie, c’est-â-dire au don de concevoir, sentir et exprimer les choses de façon particulière, en dehors de tout vain talent de rhétorique, Cécile Sauvage est vraiment la première femme poète de notre temps. On s’en est aperçu un peu tard, tant elle-même vivait discrète et effacée. Comme l’a écrit M. Eugène Marsan « Nous l’avons laissée mourir sans la louer comme elle le méritait ». Il convient de dire cependant que les suffrages ne manquèrent pas à Cécile Sauvage : Maurice Barrès, Francis Jammes*, Remy de Gourmont*, qui l’a fait accueillir au Mercure, Madame Lucie Delarue-Mardrus*.

Cécile Sauvage est morte à Paris, presque subitement, le 26 août 1927, après une courte maladie.

« Poétesse unique, a écrit M. Léon Daudet264, diamant de chair, elle saisit et concentre les concordances : la femme et l’arbre, la compréhension et la maternité, la douleur et l’âme, l’amour et le bref, l’horizon et la mort, la couleur et l’inquiétude, la lumière et l’apaisement, l’impossible et le rêve. »


261   C’est dans cette dernière édition que Cécile Sauvage est entrée dans les Poètes d’aujourd’hui. Selon Marie Dormoy dans le texte sur Cécile Sauvage dans Souvenirs et portraits d’amis (Mercure 1963), l’auteur de la notice est Paul léautaud. Cécile Sauvage n’est qu’à peine évoquée dans le Journal de Paul Léautaud (six fois), et souvent par le biais de son mari Pierre Messiaen (1883-1957), père du poète Alain Messiaen et de l’organiste et compositeur Olivier Messiaen (1908-1992).

Cécile Sauvage et ses deux fils : Olivier et Alain (bébé)

262   Poème, écrit en 1903 et paru dans la Revue de Lyon et du Sud-Est illustrée (ex Revue forézienne) en octobre 1905.

263   Paul Mariéton (1862-1911), écrivain provençal, directeur fondateur de la Revue félibréenne (promotion et défense de la langue d’Oc) qui a paru de 1885 à 1909.

264   Dans L’Action française du huit novembre 1928, après réception des Œuvres de Cécile Sauvage par Jean Tenant qui venaient de paraître au Mercure (345 pages).

Fernand Severin265
1867

M. Fernand Severin266 est né à Grand’Manil (province de Namur267) le 4 février 1867. Son père et tous ses ascendants paternels et maternels étaient Wallons et grands fermiers dans les pays de Namur et de Fleurus. M. Fernand Severin vécut d’abord à Grand’Manil jusqu’à l’âge de sept ans. Puis il alla faire ses premières études à la Domschule268 d’Aix-la-Chapelle, au Collège Notre-Dame de la Paix à Namur et à l’Athénée de Bruxelles. Il fit ensuite ses études universitaires à l’Université libre de Bruxelles, où il obtint, en 1891, le diplôme de docteur en philosophie et lettres. Il entra alors dans la carrière de l’enseignement, professeur de français, de latin et de grec, d’abord au collège communal de Virton, puis à l’Athénée royal de Louvain, enfin à l’Athénée royal de Bruxelles. Il est actuellement titulaire du cours de français, à l’Université de Gand. M. Fernand Severin débuta comme écrivain en 1886, avec des vers qui parurent dans les revues littéraires belges, notamment La Jeune Belgique, dont il fut un des plus actifs collaborateurs. Il donna successivement quelques petites plaquettes : Le Lys269, Le Don d’Enfance270, Un Chant dans l’Ombre271, réunis en un seul volume : Poèmes ingénus272, qui contenait ainsi tous les vers qu’il avait écrits de dix-neuf à trente-deux ans. En 1904, il publia un nouveau recueil : La Solitude heureuse273. Il rassembla ensuite son œuvre poétique dans un volume : Poèmes274, paru en 1908. Il a publié, il y a quelques années, un nouvel ouvrage poétique : La Source au fond des bois275.


265   Fernand Severin est entré dans les Poètes d’aujourd’hui à l’occasion de l’édition de 1908, dont nous savons que les notices n’étaient pas signées. La présente notice de 1930, qui ne dépasse pas le bas de la première page, une longueur très proche de la précédente. Le six janvier 1909, Paul Léautaud a noté dans son Journal : « …une lettre de Fernand Severin, à propos des Poètes d’aujourd’hui, où il se plaint que la place qui lui a été faite ne soit pas proportionnée à l’importance de son œuvre. Ce sont ses propres termes. Voilà un sot, c’est sûr. Je disais à Vallette : “Je serais un écrivain connu, j’aurais produit beaucoup. Je n’oserais certainement pas parler ainsi de l’importance de mon œuvre. — Ni moi non plus”, m’a répondu Vallette. À noter que Severin a comme œuvre un volume et qu’il a dans les Poètes d’aujourd’hui six poèmes qui tiennent cinq pages. » Le fait que ce soit Paul Léautaud qui ait reçu cette lettre n’implique pas nécessairement que ce soit lui qui ait rédigé la notice, Adolphe van Bever ne travaillant plus au Mercure à cette date.

266   Le premier e de« Severin » est parfois accentué, parfois pas. Il ne l’est pas ici ni par l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, qui est une référence évidente mais l’est par l’Encyclopédie Universalis et le Dictionnaire mondial des littératures de Larousse, qui en sont deux autres. L’accent n’est pas indiqué dans le Parnasse de la jeune Belgique (Vanier 1887) ni dans les Lettres à Fernand Severin, de Charles Van Lerberghe* (La Renaissance du livre, Bruxelles 1924). Pourtant la plupart des couvertures des livres de Fernand Severin parus de son vivant portent cet accent, qu’il a nécessairement validé, comme ses Poèmes parus au Mercure en 1908. Les signatures des articles publiés dans le Mercure sont aussi accentuées… On peut imaginer que son acte de naissance ne porte pas cet accent mais que lui le validait. Par respect pour la graphie des Poètes d’aujourd’hui l’accent n’a pas été marqué ici.

267   Grand’Manil se trouve à soixante kilomètres au sud de Bruxelles, à trente kilomètres au nord de Namur et à 130 kilomètres à l’ouest de la ville frontalière allemande d’Aix-la-Chapelle.

268   Domschule : « École de la cathédrale ».

269   Fernand Severin, Le Lys, frontispice à l’eau-forte de Henry De Groux, Paul Lacomblez à Bruxelles et Alphonse Lemerre à Paris, 1888, 42 pages, 350 exemplaires.

270   Fernand Severin, Le Don d’enfance, Paul Lacomblez 1891, 96 pages, 350 exemplaires.

271   Fernand Severin, Un Chant dans l’Ombre, Paul Lacomblez 1895, 320 exemplaires.

272   Fernand Séverin, Poèmes ingénus, précédés d’un Discours sur les Frances littéraires de l’étranger par Georges Barral, librairie Fischbacher, 33, rue de Seine, 1899, 240 pages. Ce recueil est en trois parties : « L’Humble trésor », « Un Chant dans l’Ombre » et « Les Matins angéliques ».

273   Fernand Séverin, La Solitude heureuse, Association des écrivains belges 1904, 104 pages.

274   Fernand Séverin, Poèmes, Mercure de France 1908, 273 pages.

275   Fernand Séverin, La Source au fond des bois, La renaissance du livre à Bruxelles, 1924, 164 pages.


Emmanuel Signoret276
1872-1900

Emmanuel Signoret par le peintre symboliste Alexandre Séon

Emmanuel Signoret naquit à Lançon (Bouches-du-Rhône), le 14 mars 1872, de parents âgés. Son enfance passée au village natal, il fit ses études à Aix-en-Provence277, dans un établissement dirigé par des prêtres, puis voyagea quelques années en Italie. Il vint ensuite à Paris, où il se mêla à tous les groupements littéraires et collabora aux nombreuses revues du moment. Il en fonda même une, en janvier 1890, à son usage personnel. Ce fut Le Saint-Graal, qu’il continua à rédiger seul jusqu’à sa mort. Il publia successivement Le Livre de l’Amitié278, Ode à Paul Verlaine279, Daphné280, Vers Dorés281, puis La Souffrance des Eaux282, qui fut couronnée en 1899 par l’Académie française. Retiré en 1898 à Puget-Théniers283, puis à Cannes, Emmanuel Signoret est mort dans cette dernière ville le 20 décembre 1900.

La poésie d’Emmanuel Signoret est l’image même de l’homme qu’il était, emphatique, mégalomane et enfantin. C’est la poésie d’un homme du Midi, avec tous les défauts de la race, plus nombreux, dans le domaine littéraire, que les qualités. Emmanuel Signoret croyait à son génie, il en parlait volontiers, et n’hésitait même pas à imprimer à la fin de ses ouvrages les lettres d’éloges que de complaisants amis lui adressaient. Ce propos malicieux semblait avoir été créé pour lui, qu’un poète qui récite ses vers est au comble du bonheur. Attablé dans un café, sans qu’on eût à l’en prier, il récitait les siens d’abondance, comme un inspiré, pendant de longues heures ininterrompues, accordant ses gestes avec sa redondance, et il n’était guère, à cette époque, pour rivaliser avec lui de grandiloquence et de puérilité, que M. Jean Carrère284, qui a quitté depuis la poésie pour le journalisme. Il s’est pourtant trouvé des écrivains pour comprendre cette poésie, tout au moins pour l’admirer, notamment, — et c’est un vrai contraste, — M. André Gide, artiste rare autant qu’ingénieux idéologue, qui a pris le soin de rassembler en une édition complète tous les vers d’Emmanuel Signoret, Nous détacherons pour cette notice ces passages de sa préface285 : « Comme ivre de soleil, il (Emmanuel Signoret) avançait dans les ténèbres de sa misère, chancelant et se cognant à tout, projetant, où posait son regard, un nimbe dont s’illuminait chaque objet… Il n’admettait non seulement pas la critique, mais même aucune restriction dans la louange : “Un doute ici, écrit-il en parlant de son œuvre, ne témoigne que de l’incertitude du regard” ; et encore : “Ne jugeons point la lumière : acclamons-la.”… À peine admettait-il que la lumière qu’il se sentait projeter à l’entour de lui ne fût pas sensible à tous les regards. Dans le rêve qu’il faisait d’une sorte de fraternité glorieuse de tous les hommes de génie, il était plus dispos encore à décerner l’éloge qu’âpre le réclamer pour lui. À peine lui demeurait-il pénible que tous ne reconnussent pas son génie, car la gloire lui était chose en possession de quoi il se sentait286. Pas un quatrain de lui qui n’en témoigne. Il garde, au cours de ses vers, l’attitude d’un Diadumène287, ou mieux, encore celle du Jeune-Homme de Gustave Moreau288, dont la fausse mort n’interrompt pas le geste de ceindre de laurier sa tête. »


276   Emmanuel Signoret est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition de 1900. Sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever. D’une page en 1900, cette notice est passée à une page et demie en 1908, sans changement en 1930.

277   Aix-en-Provence se trouve à 35 kilomètres à l’est de Lançon.

278   Emmanuel Signoret, Le Livre de l’Amitié, poèmes de la « prime-aube » en vers et en prose dédié à Paul Verlaine, Léon Vanier 1891, 127 pages.

279   Emmanuel Signoret, Ode à Paul Verlaine, Léon Vanier 1892, quatre pages.

280   Emmanuel Signoret, Daphné, poèmes, Bibliothèque artistique et littéraire 1894, 86 pages, 552 exemplaires.

281   Emmanuel Signoret, Vers dorés, Bibliothèque artistique et littéraire 1896, 91 pages.

282   Emmanuel Signoret, La Souffrance des Eaux (première partie, suivie du Premier livre des sonnets, de trois élégies et de cinq poèmes), Bibliothèque artistique et littéraire, décembre 1898, 103 pages, 606 exemplaires. Il ne semble pas qu’une deuxième partie ait existé. L’édition des Poésies complètes d’Emmanuel Signoret par André Gide parue au Mercure en 1908 n’indique aucune autre partie et présente les six mêmes poèmes (Chant d’un Matelot, Chant héroïque, Les Alcyons, Chant de l’Homme de vigie, Chant d’amour et Le Vaisseau).

Portrait d’Emmanuel Signoret extrait de La Souffrance des eaux de 1898

283   Puget-Théniers se trouve à 65 kilomètres au nord-est de Nice.

284   Jean Carrère (1865-1932), poète, écrivain et journaliste, traducteur de l’italien et rédacteur au Temps.

285   Pages huit et neuf et dix de la préface d’André Gide à l’édition des Poésies complètes d’Emmanuel Signoret évoquée note 282.

286   Note d’André Gide : « Ambition ? — Non, pas précisément. Non tant désir qu’amour immodéré de la gloire ; et comment eût-il désiré ce qu’il croyait qu’il possédait déjà ? Son hallucination résolue fut ici à la fois désespérée et parfaite. Il acceptait l’hommage comme l’acquittement, ou mieux la reconnaissance d’une dette que l’on eût contractée envers lui. Le moindre mot y suffisait parfois, et, tant il restait convaincu de la réalité de cette dette, il saisissait chacun au mot. En vérité, fort peu gâté par la fortune (j’entends : le succès), et se voyant d’autant plus chichement mesurée la louange qu’il s’y refusait et se la refusait moins, Signoret put prêter à sourire lorsque, dans sa revue Le Saint-Graal collectionnant les rares « accusé-réception » après l’envoi d’un de ses volumes, il reproduisait de simples mots sur une carte, comme celui-ci : “Henry Roujon, directeur des Beaux-Arts. — Avec mes remerciements empressés et mes bien sincères félicitations.” On en peut sourire, ou pleurer, — mais y voir quelque habileté, comme j’ai honte d’avoir fait naguère, j’avoue que j’en suis incapable aujourd’hui. Ce maladroit et naïf enfant ne put passer pour “arriviste” qu’aux yeux de ceux que la française peur d’être pris pour dupe entraîne — et dupe. »

287   Le Diadumène est une sculpture grecque du IVe siècle avant notre ère, représentant un jeune athlète ceignant sa tête du bandeau de la victoire, d’où son nom qui signifie « celui qui se ceint du bandeau ».

288   Le Jeune homme et la mort, de Gustave Moreau, vers 1881, est conservé au département des arts graphiques du Louvre.

Gustave Moreau, Le jeune homme et la mort et Le Diadumène

Paul Souchon289
1874

M. Paul Souchon est né de parents paysans, le 15 janvier 1874, à Laudun (Gard), sur la rive du Rhône qui fait face à Orange. À l’âge de cinq ou six ans, il vint habiter avec sa famille à Aix-en-Provence, où il fut élève au Lycée Mignet, avec Emmanuel Signoret* et Joachim Gasquet290, puis à la Faculté des Lettres. Il vint ensuite se fixer à Paris, en 1894. M. Paul Souchon a publié plusieurs volumes de vers, et est également connu comme l’auteur de deux tragédies : Phyllis291 et Le Dieu Nouveau292, représentées avec succès, la première aux Bouffes-Parisiens, en 1905, et la seconde au Théâtre antique de la Nature, à Champigny-la-Bataille293, en 1906. « Sa caractéristique, a dit un critique, est la netteté, une netteté qui n’exclut pas la fluidité ; les strophes sont lumineuses ; elles rappellent ces collines dont la ligne onduleuse et précise se détache harmonieusement du ciel bleu. Une musicalité très pure y chante. Et cette fluidité, dans les premiers poèmes, n’allait pas sans quelque mollesse, mais les contours ont pris peu à peu plus de caractère, et la main qui dessine leurs lignes ne tremble plus. La Beauté de Paris294 est un beau recueil, rempli du souvenir et du regret de la Terre provençale295. »


289   Paul Souchon est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la deuxième édition de 1908. Nous ne connaissons pas l’auteur de sa notice. Paul Léautaud a bien connu Paul Souchon et l’on recueille davantage de témoignages de leurs relation dans la Correspondance que dans le Journal où Paul Souchon n’apparaît — plutôt favorablement — qu’à trois reprises mais jamais à propos des Poètes d’aujourd’hui.

290   Joachim Gasquet (1873-1921), poète provençal très actif.

291   Phyllis, tragédie en cinq actes de Paul Souchon créée le seize avril 1905 aux Bouffes-Parisiens et publiée par le Mercure de France la même année. Voir « Le Théâtre poétique » par Charles Méré dans le Mercure du premier mai 1905, pages 71-79, notamment à partir de la page 74.

292   Le Dieu Nouveau, tragédie en trois actes rédigée d’octobre 1904 à mars 1905 et créée sur la scène du théâtre antique de la Nature à Champigny-La-Bataille le trois juin 1906, offert « À mon ami Georges Bidache », Mercure de France 1906, 70 pages. Dans le quotidien La Presse du 23 mars 1904 Georges Bidache avait encensé Paul Souchon et La Beauté de Paris sur une colonne entière de la page trois.

293   Maurice Boissard dans sa chronique dramatique parue dans le Mercure du seize août 1908 : « On sait combien se sont multipliés, ces dernières années, les “Théâtres de la Nature”. Je ne connaissais encore que celui de Champigny, qui n’est pas, à proprement parler, un “Théâtre de la Nature” puisqu’on y joue sur une scène et dans un décor. » Ce « Champigny-la-Bataille » est en fait Champigny-sur-Marne, commune limitrophe de Paris où s’est déroulé pendant la guerre de 1870 une bataille sanglante à l’occasion du franchissement de la Marne.

294   Paul Souchon, La Beauté de Paris, Mercure 1904.

295   Cette notice a été, à l’évidence, « expédiée », ne mentionnant pas la moitié des recueils de poésie de Paul Souchon et juste la moitié de son théâtre, ni son rôle en tant que conservateur de la maison de Victor Hugo, place des Vosges. Malgré deux demandes, les services de la maison de Victor Hugo — sûrement débordés — n’ont pas su donner les dates ou même la durée pendant laquelle Paul Souchon a exercé cette responsabilité (dans les années 1930). On peut aussi ajouter que Paul Souchon a rédigé 56 articles dans le Mercure entre 1896 et mai 1939, dont 32 « Chronique du Midi » de mars 1905 à novembre 1920.

Henry Spiess 296
1876

Henry Spiess par Henry van Muyden (1860-1936), fragment.
Source : Dictionnaire historique de la Suisse

M. Henry-Charles Spiess est né, de nationalité suisse, à Genève, le 12 juin 1876. Ses études terminées au collège, il fit son droit à l’Université de Genève. Devenu ensuite avocat stagiaire, il demeura inscrit au barreau de la ville pendant deux ou trois années. C’est à ce moment qu’il composa les petits poèmes de sa première plaquette : Rimes d’Audience297, dont le titre dit à lui seul toute l’inspiration Ce sont de petits croquis d’audience, en effet, où l’on voit passer des silhouettes de magistrats, de « chers maîtres » amis, de clercs, d’huissiers et de plaideurs, tout le monde de la basoche et de la procédure, au milieu duquel l’auteur s’est mis lui-même en scène. On trouve là comme un ressouvenir de Villon, un Villon qui aurait lu Laforgue* et M. Francis Jammes*. S’il faut le dire, M. Henry Spiess ne voit plus dans ce petit volume qu’un amusement de jeunesse, et nous l’aurions écouté que rien n’en figurerait dans notre choix. Mais l’humour est si rare chez les poètes ! Les fantaisies de M. Henry Spiess distrairont un peu des grands morceaux élégiaques, des tirades sonores et emphatiques. Après Rimes d’Audience, M. Henry Spiess, qui a abandonné le barreau pour se consacrer tout entier aux lettres, publia Le Silence des Heures298, poèmes d’une tout autre inspiration. Voici sur ce recueil quelques lignes d’appréciation d’un critique, M. Gaspard Vallette299, dans La Semaine littéraire de Genève : « Il y a du rêve dans ces vers, de la tristesse, des velléités d’action et des recherches dans le doute inactif et la mélancolie craintive. La volonté du poète semble incertaine et flottante entre le doute et la foi, le désespoir et la sérénité, l’inaction résignée et la joie conquérante, la volupté délicate du nirvana poétique et l’austère cilice du devoir humain accepté et de la lutte affrontée. Les dernières pièces du livre, qui me paraissent, même au point de vue purement artistique, les plus belles de toutes, semblent conclure à la volonté, à l’action, à la lutte. Elles ont un accent tout particulièrement personnel de sincérité et d’intimité, de virilité et de résolution. Mais cette note-là retentit rarement dans cette poésie dont le fond constant reste mélancolique, un peu sombre, dans des grisailles souvent tendues de deuil, dans de la tristesse estompée de rêve. Serait-ce là la note personnelle et la marque distinctive de notre poète ? Nous inclinerions le croire, quoique cette personnalité soit trop souvent encore par trop voilée de littérature, par des réminiscences livresques qui, en s’interposant entre le poète et le poème, diminuent à la fois la force impressionnante des vers et le plaisir du lecteur. »


296   L’entrée d’Henry Spiess dans les Poètes d’aujourd’hui est identique à celle de Paul Souchon, dans la deuxième édition de 1908, ce qui fait que le nom de l’auteur de la notice n’a jamais été indiqué.

297   Henry Spiess, Rimes d’audience, Charles Eggimann, Genève 1903, 115 pages.

298   Henry Spiess, Le Silence des Heures, offert à Édouard Tavant, chez Charles Eggimann 1904, 226 pages.

299   Gaspard Vallette (1865-1911), homme de lettres, traducteur de l’allemand et journaliste Genevoix, président de la société de la Presse suisse a été docteur honoris causa de l’université de Genève en 1909. Une avenue de Genève porte son nom.

André Spire300
1886

M. André Spire est né à Nancy le 28 juillet 1866. Il a suivi les cours de l’École des sciences politiques et fait son droit à Paris. Sa thèse de doctorat avait pour titre : De la responsabilité des communes en cas d’attroupements, Rousseau éditeur, Paris, 1895(301). Il a été auditeur au Conseil d’État. M. André Spire, influencé par l’essai de régénération morale de M. Paul Desjardins302 et la lecture des dernières œuvres de Tolstoï, a été de bonne heure intéressé par les questions ouvrières. On retrouve du reste quelque chose de ces préoccupations dans toute son œuvre. M. André Spire est un poète philosophe, à tendances sociales. Après avoir pris part à la création des Universités populaires303, il fut l’un des collaborateurs de Charles Guyon304 dans la rédaction de la revue Pages libres, dans laquelle il publia des nouvelles et des articles et rédigea quelques-uns des numéros de la revue établis comme tracts de propagande. En même temps, il lisait les poètes et s’intéressait aux efforts de rénovation poétique des écrivains qui débutaient aux environs de 1880. Ses premiers vers parurent en 1903, sous le titre La Cité présente305, volume dans lequel, à côté de vers de forme traditionnelle, on trouve déjà des poèmes de facture libérée. Il devait désormais adopter cette dernière forme, qu’il définit lui-même en ces termes : « une forme entièrement libre et rarement rimée, un vers, non pas syllabique, mais accentué, un vers qui, écrit dans la langue de notre temps, pour des oreilles de notre temps, reçoit son rythme non plus de la forme, mais du sens, non plus du vêtement extérieur et monotone de mètres réguliers, mais du mouvement intérieur et toujours variable de la pensée poétique306 ». C’est dans cette technique, peut-être inspirée, pour parties, par les théories phonétiques de l’abbé Rousselot307, auxquelles s’intéressa également beaucoup M. André Spire, que sont écrits tous les poèmes qui composent les différents recueils dont on trouvera l’énumération à la suite de cette notice. Il se peut que cette forme et même le son des poèmes de M. André Spire, surprenne et même déconcerte quelque peu un lecteur trop habitué à la musique des alexandrins. Nous oserons dire que cette surprise est toute à l’avantage du poète. Peu de vers, à notre époque, ont un accent aussi particulier que les siens, et correspondant aussi bien à l’esprit et à la sensibilité de leur auteur. Nous venons d’ailleurs de le dire : le poète, chez M. André Spire, se double d’un philosophe, et non pas seulement spéculatif, mais agissant. Les Cahiers de la Quinzaine lui ayant révélé Israël Zangwill308, il se mit à étudier l’œuvre entière du grand écrivain juif anglais et publia sur lui une grande étude qui parut aux Cahiers de la Quinzaine en 1909. Il se joignit également à M. Julien Benda309 dans la défense de l’esprit critique et de la raison contre les théories de M. Bergson et écrivit à ce sujet une foule de poèmes ironiques qu’on retrouve dans son recueil : Vers les routes absurdes310. Bientôt il réunissait en un autre volume : Quelques Juifs311, ouvrage de tous points remarquable, ses essais sur Zangwill, sur le jeune métaphysicien juif autrichien Otto Weininger312 et sur l’écrivain juif français James Darmesteter313. M. André Spire s’est également occupé beaucoup de la question sioniste, à laquelle l’avaient initié ses travaux sur Zangwill. Il a pris une part active à tous les débats nés sur cette question avec la guerre et à la suite de la déclaration faite en 1917 par le ministre anglais, M. Balfour314, que, si l’Entente315 était victorieuse, la Palestine pourrait redevenir le foyer national des juifs. Après avoir publié un ouvrage : Les Juifs et la guerre316, il travailla alors par des conférences, des articles, des brochures et même des poèmes, et par la fondation d’une Ligue des amis du Sionisme317 et d’une revue ; La Palestine318, à éclairer l’opinion française sur la portée politique du Sionisme. Il fut l’un des délégués qui présentèrent, devant la Conférence de la Paix, les revendications nationales juives. Comme on le voit, M. André Spire est juif à visage découvert. Il l’est d’esprit et d’action. Sa poésie aussi est juive, en quelque sorte, tant elle reflète fidèlement l’homme. Cela encore ajoute à toute la personnalité qu’elle révèle.


300   Ce n’est que tardivement qu’André Spire est entré dans les Poètes d’aujourd’hui, avec l’édition de 1930. Nous ne connaissons pas l’auteur de cette notice mais l’on n’y reconnait pas Paul Léautaud. Tout lecteur s’intéressant à André Spire visitera le site http://judaisme.sdv.fr/perso/spire/index.htm

301   263 pages. Il s’agissait alors d’une thèse sur des articles récents d’une loi de 1884.

302   Paul Desjardins (1859-1940) est évidemment connu pour être l’initiateur et l’organisateur des Décades de Pontigny. Normalien et agrégé de littérature, Paul Desjardins a d’abord fait partie des fondateurs de l’« union pour l’Action morale » en 1893. Ce mouvement rassemblant des personnalités de toutes tendances s’est heurté au mur d’opinions de l’affaire Dreyfus et s’est divisé en un courant d’extrême droite et un autre plus modéré. Ce courant modéré s’est reformé dans l’« union pour la Vérité » qui s’est rassemblée autour de la figure de Paul Desjardins. En 1905 survient la séparation des Églises et de l’État et Paul Desjardins rachète opportunément la prestigieuse Abbaye de Pontigny où se tinrent, de 1910 à 1939 (avec une grosse interruption pendant la première guerre mondiale) les Décades de Pontigny. Ces journées annuelles ont rassemblé les plus grands penseurs et intellectuels de cet entre-deux guerres. Ces décades seront l’objet du roman d’André Malraux Les Noyers de l’Altenburg paru chez Gallimard en 1948 (169 pages).

303   Voir à ce propos la note 147, de la notice de Paul-Napoléon Roinard, ci-dessus.

304   Charles Guyon (1848-1935), professeur agrégé d’histoire et de géographie, inspecteur d’académie. Charles Guyon a écrit de nombreux ouvrages éducatifs pour la jeunesse, que l’on peut répartir en géographie — parfois très éloignée comme ce Voyage dans la planète Vénus de 1888 — et en histoire notamment pendant la guerre comme Les Instituteurs héroïques (Larousse 1915) qui se prolongera à raison de plusieurs titres par an jusqu’en 1919 avec Les petits écoliers alsaciens sous la domination allemande (Larousse).

Illustration pour Les petits écoliers alsaciens sous la domination allemande de Charles Guyon

305   André Spire, La Cité présente, poèmes, 1892-1902, société d’Éditions littéraires et artistiques (Ollendorff) 1903, 180 pages.

306   Préface de La Cité présente.

307   Jean Rousselot (1846-1924), est considéré comme le fondateur de la phonétique expérimentale.

308   Israel Zangwill (1864-1926), homme de lettres britannique majeur et militant sioniste de premier plan.

309   Julien Benda (1867-1956), critique et philosophe, a publié La Trahison des Clercs (Grasset 1927), son ouvrage le plus connu. Il sera dans les années 1930 une des figures intellectuelles les plus respectées de la gauche antifasciste. Julien Benda sera pressenti à quatre reprises entre 1952 et 1955 pour recevoir le prix Nobel de littérature. Paul Léautaud et Julien Benda se fréquenteront régulièrement tout au long de leurs vies.

310   André Spire, Vers les routes absurdes, suivi de La Grande Danse Macabre des hommes et des femmes, Mercure 1911, 187 pages.

311   André Spire, Quelques Juifs ; Israel Zangwill, Otto Weininger, James Darmesteter, Mercure, juin 1913, 364 pages. Le prénom Israel ne comporte pas de tréma dans le titre mais un dans la table des matières.

312   Otto Weininger (1880-1903, à 23 ans, par suicide), philosophe et écrivain autrichien.

313   James Darmesteter (1849-1894, à 45 ans), spécialiste du judaïsme, linguiste et traducteur du perse ancien, directeur d’études de l’École pratique des hautes études en 1892.

314   Arthur Balfour (1848-1930), Premier ministre britannique de 1902 à 1905 et ministre des Affaires étrangères de décembre 1916 à décembre 1919. En novembre 1917 Arthur Balfour a publié un document nommé depuis « Déclaration Balfour » indiquant que le Royaume-Uni était favorable à la création, en Palestine, d’un foyer national pour le peuple juif.

315   Cette « Entente », plus souvent nommée « Triple-Entente » était déjà ancienne, entre la France, la Russie et, plus tardivement, le Royaume-Uni.

316   André Spire, Les Juifs et la guerre, Payot 1917, 281 pages

317   Cette Ligue des amis du Sionisme a été éditrice, en janvier 1918 du « tract no 1 » : Le Sionisme, par André Spire, imprimerie de Charles Renaudie, 13, rue de Sèvres, seize pages.

318   Ou peut-être La Palestine nouvelle mais une confusion reste possible.

Laurent Tailhade319
1854-1919

Laurent Tailhade par Charles Léandre, en frontispice de À Travers les Grouins

Laurent Tailhade320 (Laurent-Bernard-Paul-Marie) est né à Tarbes (Hautes-Pyrénées), le 16 avril 1854, d’une vieille famille de magistrats et d’officiers ministériels. Bien que tourné de très bonne heure vers les lettres, Laurent Tailhade n’eut tout d’abord d’autre ambition que de faire de la littérature en amateur. Cependant, vers sa trentième année, réunissant tous ses vers, il se décida à publier un volume : Le Jardin des Rêves321, que Théodore de Banville présenta dans une préface enthousiaste322. Laurent Tailhade commença alors à collaborer aux journaux et aux innombrables revues littéraires, petites et grandes, de son époque, éparpillant dans les unes et les autres la plupart des poèmes qui composèrent plus tard deux autres petits livres : Dizains de Sonnets et Vitraux323. Ce furent surtout ses poèmes satiriques, un genre où il a excellé, qui commencèrent sa réputation, et son volume : Au Pays du Mufle324, dans lequel il a fouaillé, tantôt dans des sonnets, tantôt dans des ballades, les ridicules bourgeois, la sottise publique et les écrivains qu’il n’aimait pas, est resté célèbre par toutes les colères qu’il souleva. Les nombreux duels que sa verve attira à Laurent Tailhade ne sont pas moins connus, ni la manière dont, paisible dîneur, il fut blessé, le 4 avril 1894, au restaurant Foyot, par l’explosion d’une bombe anarchiste325. Laurent Tailhade s’est aussi mêlé très activement aux polémiques suscitées par l’affaire Dreyfus, et il en est resté un petit livre de poèmes : À travers les Grouins326, le dernier ouvrage que nous ayons eu de lui comme poète satirique. Depuis cette époque, Laurent Tailhade était rentré dans une sorte de retraite. Il avait mis à profit ce recueillement pour travailler à une édition corrigée et définitive de son œuvre poétique, rassemblée aujourd’hui en deux volumes : Poèmes Aristophanesques327 et Poèmes Élégiaques328.

Les premiers vers de Laurent Tailhade n’apportaient rien de bien nouveau. C’étaient des vers parnassiens dans toute l’acception du terme. Beaucoup de virtuosité dans le rythme et un sens artiste de la langue y remplaçaient ce qui constitue avant tout la poésie : le sentiment, la sensibilité. Il a fallu, pour révéler vraiment en Laurent Tailhade un poète lyrique, ses merveilleuses Ballades329, où il a ressuscité en maître une des formes poétiques les plus belles et les plus difficiles. On les admirera — sur nos exemples — non seulement pour leur beauté verbale, mais encore pour les sentiments qu’elles expriment. Laurent Taillade a également publié plusieurs livres de prose, dont on trouvera le détail à la bibliographie. Ce sont des ouvrages de beau style, d’éloquence contournée et maniérée, uniquement faits d’érudition. Laurent Tailhade s’y montre tel que dans ses premiers vers et, somme toute, ce qu’il était en définitive : un rhéteur merveilleux, mais un rhéteur.

Il semble qu’il ait été de ces écrivains chez qui l’amour des mots empêche l’expression vraie de la sensibilité. Cet homme, qui a écrit des vers merveilleux, jusqu’à son dernier jour ne s’en montrait pas satisfait.

Laurent Tailhade, malade depuis un certain temps et fort pauvre, est mort à Combs-la-Ville le 2 novembre 1919.


319   Laurent Tailhade est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition de 1900. Sa notice a été établie par Paul Léautaud, qui ne l’aimait guère. Curieusement cette notice était bien plus longue dans la première édition que dans les deux éditions suivantes.

320   Journal littéraire au neuf mai 1951 : « La revue Quo Vadis, toujours intéressante et curieuse à lire, fonde un Club Laurent Tailhade. Cela m’a fait relire dans Poètes d’aujourd’hui les vers de Tailhade que j’y ai mis. Ils ne valent pas cher, c’est plus de l’art que de la poésie. »

321   Laurent Tailhade, Le Jardin des Rêves, Alphonse Lemerre avril 1880, dédié « À mon maître et mon ami Armand Sylvestre », 273 pages.

322   Cinq pages de préface, commençant par « Voici, lecteur, un des plus beaux et des plus curieux livres de poèmes qui aient été écrits depuis longtemps, un livre qui impose à ton attention, car il est bien de ce temps, de cette heure même, et il contient au plus haut degré les qualités essentielles à la jeune génération artiste et poète »… et finissant par « Pour moi, je m’estime heureux d’avoir pu saluer le premier sa belle chanson lyrique, et d’avoir vu ses prunelles s’emplir d’espérance et de rêves et ses bras ployer sous une héroïque moisson de fleurs. »

323   Laurent Tailhade, Vitraux, Alphonse Lemerre, juin 1894, 51 pages. Dans l’édition de 1900, cette phrase entre parenthèses de Paul Léautaud : « Et de ce dernier nous aurions donné quelques pièces si son éditeur, M. Alphonse Lemerre, bien connu pourtant pour sa générosité à répandre les volumes de ses auteurs, ne nous avait refusé, en des termes dont nous espérons qu’ils lui sont particuliers, l’autorisation nécessaire. »

324   Laurent Tailhade, Au Pays du Mufle, Ballades et quatorzains, offert « À mon ami André Gogné » Léon Vanier, avril 1891, 99 pages.

325   L’Hôtel Foyot, au 33, rue de Tournon, avait été acheté en 1848 par Foyot, cuisinier de Louis-Philippe. Foyot a fait fortune en six ans et revendu son affaire. Situé à l’époque dans un rectangle formé par la rue de Tournon et la rue de Condé (parallèles), et la rue de Vaugirard au sud, l’hôtel Foyot exploitait aussi un luxueux restaurant au rez-de-chaussée. Ce restaurant, qui était un peu la « cantine » du Sénat, avait son entrée sur la rue de Tournon. Une autre entrée, 36 rue de Condé, desservait une salle plus modeste. C’est dans cette plus petite salle que, le quatre avril 1894, y ont été blessés Laurent Tailhade et sa compagne Julia Miahle à l’occasion d’un attentat anarchiste. Voir Le Figaro du lendemain cinq avril (bas de la cinquième colonne de une et page suivante). On peut aussi noter que Raymond Radiguet, habitant l’hôtel, y est mort de typhoïde en 1923. L’hôtel a été démoli en 1937. L’emplacement est resté vacant, laissant, face à l’entrée du Sénat, entre la rue de Tournon et la rue de Condé, une placette ombragée nommée depuis « square Francis-Poulenc » agrémentée d’un minuscule espace vert et d’un kiosque à journaux. Paul Léautaud évoquera ce terre-plein le deux février 1940.

À gauche, la très belle rue de Tournon qui descend en pente douce vers la Seine. Au centre la placette ou se trouvait l’hôtel Foyot et son restaurant, puis sur la droite la rue de Condé parallèle à la rue de Tournon. La rue de Vaugirard s’enfuit au loin vers le boulevard Saint-Michel. Le bâtiment sombre au bord droite de l’image est le Sénat »

326   Laurent Tailhade, À travers les Grouins, agrémenté d’un frontispice par Charles Léandre, Stock 1899, 190 pages.

327   Laurent Tailhade, Poèmes Aristophanesques, enrichi d’un frontispice par le photographe Miguel Almereyda de 1903, Mercure, juin 1904, 202 pages.

328   Laurent Tailhade, Poèmes Élégiaques, orné d’un frontispice dessiné par Alcide Guérin, Mercure, juillet 1907, 247 pages.

329   Il s’agit des ballades de Au pays du mufle.

Touny-Lérys330
1881

Touny-Léris par Luce Boyals

M. Touny-Lérys, de son vrai nom Marcel Marchandeau, est né à Gaillac, le 17 février 1881. Son père, d’origine alsacienne, a publié, sous le nom de Marc Dhano331, des poèmes de forme régulière et aux intentions excellentes. Encore étudiant à la Faculté de Droit de Toulouse, M. Touny-Lérys éditait, à partir de 1900, sous la firme de la revue Gallia332, puis de la revue Poésie333, dont il fut successivement le directeur-fondateur, quelques plaquettes de vers qui annonçaient un tempérament sensible et délicat. En 1909, il signait, avec MM. Marc Dhano et George Gaudion334, le manifeste du primitivisme, profession de foi d’une nouvelle école poétique, en réaction contre le futurisme, alors dans sa fleur. La même année paraissait La Pâque des Roses335, présentée par une malicieuse et cordiale préface de M. Francis Jammes. Ce livre suffit pour fonder son auteur en poésie. Plusieurs critiques le comparèrent à son préfacier Francis Jammes*, à Charles Guérin*, à Henry Bataille* (comme poète de La Chambre blanche) ; bref, il prenait place dans cette troupe touchante des intimistes dont on a fort bien dit qu’ils « prêtèrent à l’art de ce temps une souplesse, une sensibilité, un charme délicat et profond qu’on chercherait vainement chez les derniers romantiques et leurs plats continuateurs ». M. Touny-Lérys, malgré ce succès, fit attendre son nouveau recueil. Ce fut, en 1923 Le Printemps souriant et grave336. Entre temps, le poète avait été mobilisé. Dans son nouvel ouvrage, inspiré en partie par la guerre et la hantise d’un retour à ces humbles joies que l’éloignement enjolive, il montrait les mêmes qualités qui l’avaient fait apprécier précédemment, à savoir, écrivait M. Armand Praviel, « une grande harmonie, un peu facile, qui ne s’embarrasse pas des règles de la prosodie classique, une vive sensibilité, fertile en images gracieuses et séduisantes, une âme vibrante, chaleureuse, simplement ouverte, une main tendue, qui veut ignorer l’envie et la perfidie ; un style tout naïf, sans afféteries, très moderne, et qui, à l’exemple de celui de Verlaine et de Francis Jammes, s’amuse parfois à l’impropriété des termes. » M. Touny-Lérys devait bientôt couronner son cycle des Saisons, avec les Poèmes de l’été et de L’Automne en fleurs337. Ce titre charmant, dans ce qu’il peut avoir de mièvre, d’ingénu et de limitatif, synthétise à merveille le talent de l’auteur. Il ne faut point demander de grands élans lyriques à cet agreste joueur de flûte. Il joue de petits airs, avec une application un peu gauche, mais précieuse en vertu de sa franchise. Il se défend de l’enflure, et ne force pas son genre. Aussi le ton de ses poèmes est-il toujours juste, sans une note qui détonne.

Ajoutons que M. Touny-Lérys vit toute l’année dans sa campagne de Touny-les-Roses, sur les vertes rives de ce Tarn qu’il s’est plu à chanter dans son œuvre. C’est essentiellement un poète rustique et un élégiaque, qui vit dans une parfaite harmonie avec des paysages aimés.


330   Touny-Lérys, comme André Spire, est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec cette dernière édition de 1930. Sa notice a été rédigée par Yves Gandon à la demande de Marguerite van Bever. Journal de Paul Léautaud au six janvier 1927 : « Van Bever est en ce moment, depuis trois semaines, très malade [il va mourir le lendemain sept janvier]. […] Comme nous parlions des Poètes d’aujourd’hui, j’ai dit à Vallette une chose à laquelle je pense depuis quelques jours : si van Bever vient à mourir, faire sauter trois ou quatre des poètes qu’il a voulu mettre dans l’édition en 3 volumes. […] Ce serait excellent de les enlever et de mettre à leur place des tout nouveaux qui ont du talent pour de bon, et cela dans l’intérêt même de l’ouvrage. » […] Mais un Droin, un Derème ! on ne leur nuirait en rien. Et Touny-Léris ! Et Philéas Lebesgue ! Tous ces gens-là ont circonvenu, mendié van Bever pendant des années. Il avait des gentillesses à rendre. Il a promis. Il est vrai qu’il pensait peut-être qu’on ne ferait jamais un 3e volume et qu’alors il ne risquait pas grand-chose. »

331   De Marc Dhano subsiste essentiellement La Vieille et la nouvelle Alsace, à une époque où l’Alsace et la Lorraine étaient allemandes, édité en 1912 par la librairie du Messager d’Alsace-Lorraine, rue de Vaugirard. On peut aussi citer pour mémoire deux poèmes publiés en plaquettes : Le Centenaire, et Phaêlis. Puis deux volumes de vers : Les Fleurs qui saignent et Tisons fleuris, aux éditions de la revue Gallia. Et Esquisses et Portraits littéraires, aux Edition de la revue Poésie.

332   Gaillia « Revue de littérature et d’art » est parue de janvier 1900 à décembre 1902. On ne la confondra pas avec la revue créée en 1942 par le CNRS, spécialisée dans l’archéologie des Gaules et toujours active.

333   Poésie, revue parue de 1905 à la guerre.

334   Georges Gaudion (1885-1942), personnage aux goûts particulièrement éclectiques, a d’abord commencé des études de droit avant de s’orienter vers la chimie et de devenir docteur ès sciences. Musicien, il était aussi peintre et poète et c’est évidemment à ce titre qu’il nous intéresse ici. Comme avant eux Jean Moréas* et bien d’autres, Georges Gaudion, Marc Dhano et Touny-Lérys ont écrit ensemble un manifeste en 1909, Le primitivisme, (quatre pages) dont la presse a peu parlé. On peut ajouter que Georges Gaudion était l’époux de la peintre Luce Boyals (1892-1946) auteure du portrait de Touny-Léris en tête de cette notice, que l’on peut voir au musée des Beaux-Arts de Gaillac. Voir aussi le billet de l’Alamblog : « Du futurisme au primitivisme (Joseph Billiet, 1909) » https://is.gd/oAMBwk.

335   Touny-Lérys, La Pâque des Roses, 1900-1908. Ce volume contient : « La Pâque des roses, Touny-les-Roses, Les petits poèmes d’amour, Poésies et poèmes divers, Les élégies, Les épitaphes, Épilogue ». Mercure 1909, 220 pages. Ce recueil est accompagné d’une préface de Francis Jammes, que voici, entièrement retranscrite, que l’on peut ne trouver ni malicieuse ni cordiale : « Vous m’avez demandé, mon cher Touny-Lerys [F. J. ne marque pas le é], de lire la Pâque des Roses. / Comme le colibri, allée par allée, j’ai visité de mon vol chaque rose dont le cœur est souvent une perle qui pleure. / Si votre poésie est parfois inhabile, c’est qu’elle se laisse aller sans apprêt à son frais sentiment comme une enfant à son premier amour. / Vous avez voulu que le colibri laissât sur cette feuille, en signe de sympathie et en guise de préface, le reflet de son aile azurée. Voilà qui est fait, mon cher Touny-Lerys, et je m’envole, si petit vers le grand soleil du bon Dieu, que je ne suis plus que le point qui clôt ces lignes. »

336   Touny-Lérys, Le Printemps souriant et grave, Georges Crès, 1923, 69 pages. La date de 1923 est exacte mais la publication semble tardive dans la mesure où quelques poèmes regroupés sous le titre du recueil sont parus dans le numéro du Mercure du seize août 1911 page 723.

337   Touny-Lérys, Poèmes de l’été et de l’automne en fleurs, La Pensée Française 1926, 475 exemplaires numérotés et paraphés par l’auteur, 67 pages.

Paul Valéry338
1871

M. Paul-Ambroise Valéry est né à Cette339 (Hérault) — il est à la mode aujourd’hui d’écrire : Sète — le 30 octobre 1871, d’un père français340 et d’une mère italienne. Il commença ses études au collège de cette ville, après un voyage, avec ses parents, à l’âge de sept ans, à Paris et à Londres. En 1884, ses parents s’étant installés à Montpellier, il suivit les cours du collège de cette ville. Il passait ses vacances, avec sa famille, à Gènes, qui a laissé dans son esprit des souvenirs très marqués, un certain goût italien des choses. Sorti du lycée, M. Paul Valéry suivit les cours de la Faculté de droit. Il était fort incertain sur la route à prendre. Il lisait beaucoup et découvrait la littérature française de son temps : Baudelaire, d’abord, puis les Parnassiens, puis les Symbolistes, et, par le livre de Huysmans À rebours, qui venait de paraître341, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé et leurs suivants. Une année de service militaire (1889-1890) interrompit les rêveries qui l’occupaient. Il avait, quelque temps auparavant, fait la connaissance, à Montpellier même, de Pierre Louÿs, et un peu plus tard, de M. André Gide, deux rencontres qui furent décisives pour lui. Il avait déjà écrit des vers : Narcisse342. Il écrivit La Fileuse343. Également La Soirée avec M. Teste344. Il collabora à la Conque345, petite revue de l’époque. Il avait fait littéralement la conquête de Pierre Louÿs, de M. André Gide, qui le pressaient de travailler et de produire. En 1891, il vint passer un mois à Paris, et vit un soir, rue de Rome, Stéphane Mallarmé*, des mardis duquel il devait être bientôt un des fidèles et qui devait avoir sur son esprit, littérairement, une influence si profonde.

C’est en 1892, que M. Paul Valéry vint à Paris, sa vocation littéraire définitivement décidée, installé dans une pension de famille de la rue Gay-Lussac, occupant là une chambre, au premier, qui donnait sur l’impasse Royer-Collard, tout l’esprit occupé des vues et des méditations que lui procuraient la lecture de Rimbaud et de Mallarmé, « théorisant furieusement » comme il a dit lui-même, un épais cahier de papier écolier à demeure sur la table de sa chambre d’hôtel couvert chaque jour par lui de notes dans lesquelles il formulait pour lui seul l’extrême aboutissement de ces vues et de ces méditations346. Il collaborait au Centaure, dans lequel parut La Soirée avec M. Teste (ce qui en fait la véritable édition originale, puisque ces questions ont pris, en ce qui concerne les œuvres de M. Paul Valéry, une importance si sensationnelle347), à la Nouvelle Revue avec l’Introduction à la Méthode de Léonard de Vinci348, à l’Ermitage avec le Paradoxe sur l’Architecte349, aux Entretiens politiques et littéraires avec Purs drames350, enfin au Mercure de France, dans lequel il tint pendant un court temps une rubrique intitulée Méthodes351, et publia une étude sur Huysmans sous le titre de Durtal, nom sous lequel l’écrivain s’est mis en scène dans certains de ses livres. Il fréquentait chez Stéphane Mallarmé, chez Huysmans, chez Marcel Schwob, chez José-Maria de Heredia. Il était à la fois célèbre dans un petit monde littéraire, — et complètement ignoré.

En avril 1887, après un concours à cet effet, il entra au ministère de la Guerre, au bureau du matériel de l’artillerie, où il resta seulement trois années. Il le dit lui-même : « Quand je suis entré au Ministère, je me voyais toute ma vie là, dans un bureau, l’avancement régulier, les appointements suivant, la retraite au bout. Je trouvais cela affreux, sinistre. » Il quitta le Ministère pour devenir secrétaire particulier de M. Lebey, ancien directeur de l’Agence Havas352. En 1900, il se maria353. Il devait, à compter de ce moment, être assez longtemps sans écrire. Du moins au sens extérieur du mot, c’est-à-dire : publier. Sauf ses amis de jeunesse, Pierre Louÿs et André Gide, on ne le voyait plus et n’entendait plus parler de lui. Il semblait qu’il eût vraiment renoncé, isolé, renfermé, silencieux, tout entier enfoncé dans des spéculations extra-littéraires qu’il est assez malaisé de définir, ajoutant sans doute bien d’autres cahiers remplis de notes aux cahiers de la petite chambre de l’impasse Royer-Collard.

Or, — on peut employer cette tournure qu’on voit chez les conteurs, car la réussite littéraire de M. Paul Valéry tient du merveilleux — M. André Gide, d’accord avec M. Gaston Gallimard, directeur de la Nouvelle Revue française, lui ayant demandé de réunir ses vers pour en composer un volume, M. Paul Valéry, refusant d’abord, puis cédant à de nouvelles instances, reprit ses vers de jeunesse, les travailla, les compléta, les mit à neuf, pour ainsi dire, les augmenta de quelques vers nouveaux, travail qui dura quatre ans et demi, et en 1917 publia à la Nouvelle Revue française son premier recueil de poèmes : La Jeune Parque354. Le succès fut grand dans un public un peu restreint d’amateurs, — public qui fait néanmoins les réputations littéraires, M. Paul Valéry le premier en serait un exemple. Peu après, Mademoiselle Adrienne Monnier, qui venait d’ouvrir rue de l’Odéon une librairie : Aux Amis des Livres, organisait, devant un public choisi, des lectures de ses vers, lectures faites, pour partie, par M. André Gide lui-même. Il faut lire, dans la Revue Universelle, no du 1er mai 1920, l’article écrit par M. Daniel Halévy sur ces lectures, sur cette révélation littéraire355. C’est vraiment le point initial de la réputation du poète, au même titre que cette petite librairie de la rue de l’Odéon, vrai berceau du valérysine, comme on dit aujourd’hui. La célébrité, les éditions hors de prix, l’Académie, les raffinements de critique sur l’œuvre de l’écrivain, la Poésie pure et toutes les discussions qu’elle a provoquées, les admirations jusqu’au snobisme et les critiques jusqu’au dénigrement, tout est parti de cette charmante et simple boutique : Aux Amis des Livres. M. Paul Valéry, qui n’aime guère les libraires pour le commerce, un peu vif, il est vrai, qu’ils ont fait quelquefois des moindres écrits de lui, imprimés ou manuscrits, littéraires ou privés, a un peu tort dans son ressentiment : il doit tout à une libraire.

Le 19 novembre 1925, M. Paul Valéry était élu à l’Académie française, à première présentation et au troisième tour, succédant à Anatole France. Son discours de réception, dans lequel il parla de son prédécesseur sans le nommer une seule fois, fit couler beaucoup d’encre et même scandalisa. Il s’y montrait pourtant simplement fidèle aux opinions littéraires de toute sa vie.

Comme nous venons de le dire, M. Paul Valéry a été célébré et combattu avec une égale ardeur. Les articles parus, dans le second objectif, dans Le Crapouillot356, ont fait grand bruit en leur temps. Nous les avons mentionnés dans la rubrique À consulter comme des documents qui font partie de la critique du poète. Cette rubrique est loin d’être complète ici. Un volume entier de notre ouvrage y suffirait tout juste. L’œuvre de M. Paul Valéry est un atome, quand on considère la masse d’écrits de toutes sortes qu’elle a provoqués. Il le dit lui-même : « On a bien écrit sur moi au moins un millier de fois de plus que ce que j’ai écrit ». Aux lecteurs qu’un répertoire complet de ces études et articles favorables ou défavorables intéresserait, nous indiquerons M. Julien Monod357, qui a constitué un véritable musée de tout ce qui touche à M. Paul Valéry : éditions originales, manuscrits, correspondance, portraits, autographes, et même objets plus ou moins importants se rapportant à lui.

La poésie de M. Paul Valéry est une construction purement cérébrale. Il se peut qu’une émotion y soit enfermée. Ce qu’elle a surtout, c’est l’éclat du cristal richement taillé et froid. On sent chez lui une préoccupation scientifique associée à la création poétique. Il semble que la poésie réside surtout pour lui dans des combinaisons nouvelles de syllabes. L’art du vers l’intéresse uniquement, semble-t-il, et il met, au reste, plus haut le versificateur que le poète. Tout est chez lui volonté, préméditation, du moins il s’en flatte. Il le disait dans sa jeunesse, et il pourrait le répéter aujourd’hui : « J’ai mes charmes ». Entendez : « Je sais les notes dont il faut jouer et je ne fais rien qu’à dessein. »

Il est permis de préférer au poète, chez M. Paul Valéry, l’écrivain en prose, l’analyste des divers phénomènes de l’esprit, depuis le rêve jusqu’aux différents états de la création littéraire : La Soirée avec M. Teste, par exemple, quelques études littéraires, et ces suites de notes qu’il publie de temps en temps, tirées de ces cahiers de papier écolier dont nous avons parlé et qui ravissent l’esprit par leur intelligence et leur surprise.

La réussite littéraire de M. Paul Valéry est un fait à peu près unique dans les lettres françaises.

M. Paul Valéry est officier de la Légion d’honneur.


338   Paul Valéry est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition en 1900 grâce à l’insistance de Pierre Louÿs dont la place était davantage évidente. La partie biographique des notices des éditions de 1900 et 1908 ne prend que la première page contre trois pages et demi dans celle de 1930. Voir le Journal de Paul Léautaud au 17 février 1927 : « Bien que lié alors et très ami avec Valéry, je n’aurais pas pensé à le mettre dans les Poètes d’aujourd’hui. Tout notre choix de poètes était terminé et le volume en train qu’il n’en faisait pas partie. C’est Louÿs, en venant me voir chez moi rue Bonaparte, qui me dit que nous devions absolument mettre Valéry dans notre volume. Van Bever en sauta, quand je lui en parlai, il trouva cela énorme, il me dit qu’on allait se ficher de nous et c’est bien pour me faire plaisir, à moi, qu’il se résigna. Je donnai alors la nouvelle à Valéry en lui disant de faire vite pour la notice et les vers, car le volume était tout prêt d’être donné à tirer. » Dans Les Nouvelles littéraires du treize juin 1925 (page trois) à l’occasion de la mort de Pierre Louÿs survenue le quatre juin, Paul Léautaud a donné une version assez différente des circonstances de cette publication. Ce texte « Mes souvenirs de Pierre Louÿs » a été reproduit en annexe de la notice de Pierre Louÿs dans le tome II. Voir aussi la page établie par François Mardirossian. Voir encore le Journal littéraire au 22 septembre 1929 (journée entière) : « J’ai abattu aujourd’hui la notice de Valéry pour la nouvelle édition des Poètes en trois volumes. Il était grand temps. Le tirage du 3e volume va arriver à son “choix”. Je ne veux pas la relire. Je l’enverrai demain à l’imprimerie telle qu’elle est. J’ai encore à écrire celle de Vielé-Griffin. Ensuite, débarras complet. » Voir aussi l’opinion de Paul Léautaud sur la poésie de Valéry émise le 21 avril 1926 dans la librairie Champion « Nous parlons ensuite de Valéry. Mme de Harting est comme moi. Elle s’amuse beaucoup de cette réputation esbrouffante. Elle est de mon avis quand je lui dis, des vers de Valéry, que ce n’est pas cela la poésie. De mon avis encore, quand je dis qu’Apollinaire est un bien autre poète que Valéry. »

339   La graphie « Sète » ne date que de 1927.

340   Barthélémy Valéry (1825-1887), vérificateur puis contrôleur et enfin contrôleur principal des douanes a épousé en 1861 l’Italienne Marie Grassi (1831-1927) qui lui a donné deux enfants.

341 En 1884, chez Charpentier.

342   Paul Léautaud n’est pas plus précis alors que le thème de Narcisse est apparu plusieurs fois chez Paul Valéry et que trois textes portent ce nom : Narcisse parle, (1891, dont il est évidemment question ici), Fragments du Narcisse (1920, paru dans le recueil Charmes en 1922) et Cantate du Narcisse, poème de 1937 mis en musique par Germaine Tailleferre et créée en janvier 1942.

343   Cette Fileuse, comme Narcisse parle, est un poème de l’été 1891 alors que Paul Valéry, âgé d’à peine vingt ans était encore chez ses parents à Montpellier. Paul Valéry a composé ce poème après avoir vu, au musée de Montpellier La Fileuse endormie de Courbet de 1853, donc une peinture récente, toujours en place.

Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.
Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s’incline.

344   La Soirée avec Monsieur Teste est d’abord paru dans le second et dernier numéro du Centaure à la fin de l’été 1896, signé des deux seules initiales « P. V. » et dédié à son aîné Eugène Kolbassine.

345   La Conque, revue bimensuelle fondée par Pierre Louÿs parue le quinze mars 1891, sur une douzaine de numéros. Voir le début de la page Paul Valéry V.

346   Voir à ce propos Comœdia du premier novembre 1941 page trois.

Paul Léautaud dans Comœdia du premier novembre 1941

347   Paul Léautaud fait ici évidemment allusion au commerce que Paul Valéry faisait de ses originaux, allant même — alors qu’il utilisait toujours une machine à écrire — jusqu’à refabriquer des manuscrits (avec ratures !) à destinations d’amateurs naïfs mais fortunés.

348   Nouvelle Revue, quinze août 1895, pages 742-770, réédition Gallimard 1919.

349   En ouverture de L’Ermitage de mars 1891.

350   Entretiens politiques et littéraires de mars 1892, après un article de Francis Viélé Griffin* sur Émile Zola.

351   En fait trois articles dans les numéros d’octobre 1897, janvier 1898 et mai 1899. À ces trois textes signés du seul nom de Valéry on peut ajouter le Durtal, de cette même époque (mars 1898) cité ci-après. Il faudra après cela attendre — c’est triste à dire — la mort de Remy de Gourmont pour que soit publié, le mois de sa mort en septembre 1915 un article sur « La Conquête allemande (1897) », qui n’était donc pas si urgent que ça. Deux autres textes suivront en octobre 1917, décembre 1918. Puis un autre, de circonstance, en décembre 1935 à propos de la mort d’Alfred Vallette. Trois autres seront posthumes, en janvier 1950, juillet 1954 et janvier 1956.

352   Pour les détails de cette affaire, voir le Journal littéraire au seize août 1927.

353   En mai 1900, Paul Valéry a épousé Paule Gobillard (1867-1946), sœur aînée (de dix ans) de Jeannie, peintre, nièce de Berthe Morisot dont elle sera un des modèles. Les époux Valéry logeront chez Jeannie Gobillard, au 40 rue de Villejust, de nos jours rue Paul Valéry.

354   Paul Valéry, La Jeune Parque, offert à André Gide avec ces mots « Depuis bien des années, j’avais laissé l’art des vers ; essayant de m’y astreindre encore, j’ai fait cet exercice, que je te dédie. », NRF mai 1917, 41 pages non paginées, 400 exemplaires. On pourra lire, page 493 du Mercure du premier août 1917 (et ici-même) la première des deux chroniques des poèmes de Paul Léautaud (signées « Intérim ») qui ouvre sur La Jeune Parque : « Voici d’abord M. Paul Valéry, dont on n’a pas souvent l’occasion de parler dans un compte rendu d’ouvrages littéraires. M. Paul Valéry offre un cas curieux dans la poésie d’aujourd’hui. Ce serait exagéré de dire qu’il est très connu du public, et pourtant il a une place au nombre de nos poètes, pour de rares et beaux poèmes qu’il a publiés çà et là dans des revues. »

355   Début de cet article titré « De Mallarmé à Valéry » : « — Venez-vous ce soir aux Amis des Livres ? me dit un ami en avril dernier. On y lira du Valéry. / Valéry, c’est ce rare esprit, ce disciple de Mallarmé, ce camarade d’André Gide, qui, d’abord engagé dans la littérature, depuis plus de vingt ans s’en est laissé distraire par les séductions orgueilleuses de la recherche solitaire, par la magie des hautes mathématiques. »…

356   C’est en août 1915, dans les tranchées, que Jean Galtier-Boissière (1891-1966), journaliste et romancier, imprime les premiers numéros du Crapouillot, humoristique comme tous ses concurrents mais où la réalité de la guerre n’est pas absente, au point parfois d’activer la censure. Le nom du journal est aussi celui d’un petit canon. À la fin de la guerre Jean Galtier-Boissière a poursuivi la publication du titre, qui est devenu une revue littéraire et artistique bimensuelle accueillant des écrivains souvent atypiques, de gauche ou anarchistes. Le journal sera suspendu en 1939 et reprendra en 1947. Voir le Journal littéraire au 27 mai 1947.

357   Julien-Pierre Monod (1879-1963), banquier. Dans une note de son ouvrage Valéry, Tenter de vivre (Flammarion 2014) au chapitre « L’âme désolée et l’esprit en ruines », Benoît Peeters écrit : « Homme d’affaires et collectionneur, grand-père de Jean-Luc Godard, Julien Monod soutient Valéry de multiples manières depuis la fin des années vingt : il trie les sollicitations, organise les tournées de conférence et aide l’écrivain à gérer ses finances. » Voir également Les Nouvelles littéraires du 6 août 1927, en une : « Le musée Valéry ».

Charles Van Lerberghe358
1861-1907

Charles Van Lerberghe naquit à Gand (Belgique) le 21 octobre 1861. « Son père était un Flamand de vieille roche, homme d’études et d’archives, grand amateur d’estampes359. » Il le perdit, il avait sept ans, et il alla vivre alors avec sa mère et une sœur plus jeune que lui dans un quartier retiré de Gand, tout près des bords de l’Escaut. Vers treize ans, il fut gravement malade pendant toute une année. Peu après, sa mère mourut, et par les soins de son tuteur, oncle de M. Maurice Maeterlinck*, il fut placé en pension à la campagne. Il entra ensuite au collège Sainte-Barbe de Gand, dirigé par les Jésuites, où il eut comme condisciples MM. Maurice Maeterlinck et Grégoire Le Roy*, — groupe de trois amis qui devait donner un jour trois poètes à la Flandre. Les premiers vers de Charles Van Lerberghe parurent dans La Pléiade, en 1886. Il collabora ensuite à La Wallonie, à La Jeune Belgique. « Sa conception de la poésie lui appartenait déjà, a noté M. Albert Mockel. Symboliste au sens véritable de ce mot, il voyait des lignes, des couleurs se former à ses yeux en une suite de petits tableaux qu’il peignait avec une libre grâce ; une image l’avait séduit, il la transcrivait dans une sorte de lumineuse buée, et abandonnait aux choses le soin de dire elles-mêmes le sentiment ou la pensée qu’elles pouvaient évoquer360. » C’est dans La Jeune Belgique qu’il publia en 1889 Les Flaireurs361, petit drame en prose pour le théâtre des fantoches, représenté au Théâtre d’art en 1892, puis au Théâtre de l’Œuvre en 1896, et dans lequel on a voulu, bien à tort, voir une imitation d’un drame analogue de M. Maurice Maeterlinck : L’Intruse362. En effet, L’Intruse parut pour la première fois dans La Wallonie juste un an après Les Flaireurs, et il ne serait pas moins inexact de voir dans la pièce de M. Maurice Maeterlinck une imitation de celle de Charles Van Lerberghe. Camarades depuis le collège, travaillant souvent ensemble, la même idée leur était tout simplement venue, que chacun avait réalisée à sa façon, avec sa manière propre : M. Maurice Maeterlinck en philosophe, Charles Van Lerberghe en poète et en artiste. Après avoir passé quelques années de solitude dans sa maison de Gand, Charles Van Lerberghe vint se fixer à Bruxelles, en vue de conquérir ses grades de docteur en philosophie. En même temps, il écrivait les vers d’Entrevisions363, petit recueil qu’il publia à Bruxelles en 1898. Ses études terminées, il se mit alors à voyager. Un séjour à Londres, en 1899, un autre, plus long, en Allemagne, en 1900, puis il alla passer quelque temps en Italie, à Rome et dans les environs de Florence, où il composa les premiers poèmes de La Chanson d’Ève364, et traça l’esquisse d’une comédie satirique, Pan365, qui fut représentée au Théâtre de L’Œuvre en 1906. Rentré ensuite en Belgique, Charles Van Lerberghe se retira à Bouillon366, travaillant à terminer et à parachever La Chanson d’Ève. Deux années se passèrent ainsi et c’est peu de temps après que se manifesta la maladie qui devait l’emporter. En septembre 1906, se trouvant chez son ami M. Grégoire Le Roy, Charles Van Lerberghe fut frappé de congestion, moment d’affreuse lucidité, suivi de nombreux jours d’inconscience. Sa famille, qui avait rompu avec lui pour des motifs religieux, le fit transporter dans une clinique, puis à l’hôpital Saint-Jean et Elisabeth, à Bruxelles, le même où fut soigné autrefois Charles Baudelaire. C’est là qu’il mourut le 26 octobre 1907, sans souffrance, dans un évanouissement, après une sorte de demi-convalescence qui n’avait pu tromper personne, tant il était profondément atteint. Nous extrayons de très intéressantes Notes sur Van Lerberghe, publiées par M. Fernand Severin*367, les passages suivants : « Partout dans l’œuvre lyrique de Van Lerberghe, se retrouve un idéal de beauté, de pure beauté, souvent caché sous un voile de brume et de lumière qui le laisse seulement entrevoir. On n’a peut-être pas assez remarqué combien cet idéal est exclusivement esthétique. “Une âme d’ange ne me ferait pas détourner la tête, dit-il d’une façon saisissante dans une de ses lettres, si elle n’était pas enveloppée de beauté. Un ange, pour moi, ce n’est qu’une pure forme, une jolie fille dont je revêts mes pensées. Je suis très Flamand sous ce rapport” (5 septembre 1894.) Toute délicate, toute raffinée, tout éthérée que soit cette conception de la beauté, elle est éminemment plastique et voluptueuse. Elle est d’un peintre, ou, du moins, d’un dessinateur, plutôt que d’un poète. “Le dessinateur au crayon d’or” dont a parlé Albert Giraud368. Van Lerberghe “voit en images” ; de plus, “ses images sont des symboles”. “Il ne parle jamais des choses qu’indirectement, par allégorie vague, par suggestion…” En outre, la beauté, pour lui, est toujours plus ou moins voilée ; parmi les règles d’art qu’il a le plus fidèlement observées, il y a celle d’Edgar Poe : “Qu’il n’est pas de beauté sans une certaine étrangeté, sans un certain air de mystère…” Il en résulte que Van Lerberghe n’est pas toujours clair. Du moins, il ne l’est pas à la façon classique, française, c’est-à-dire de manière à satisfaire le prosaïque entendement. Ses poésies ont toujours quelque chose de flottant, d’indéterminé, d’inexpliqué… Les choses, chez lui, baignent dans un brouillard de lumière, comme par les beaux matins d’été… Des formes merveilleuses apparaissent à demi… On ne s’explique pas toujours ni qui elles sont, ni d’où elles viennent, ni ce qu’elles font… Et le symbole non plus n’est pas toujours entièrement clair. Y a-t-il même toujours un symbole ? On peut en douter et, dans bien des cas, croire qu’on n’a vraiment affaire qu’à une image, exquise ou rare, mais dépourvue de toute signification. »


358   Charles Van Lerberghe est entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la deuxième édition de 1908. Sa notice est restée la même en 1930. Concernant la pertinence de sa présence dans l’ouvrage voir, au début de la notice de Touny-Lérys, la note 330.

359   Note d’Adolphe van Bever : « Albert Mockel : Charles Van Lerberghe, avec un portrait. Mercure de France, 1904. »

360   Note d’Adolphe van Bever : « Albert Mockel, ibid. »

361   Cette pièce en trois actes dédiée à Maurice Maeterlinck est parue en volume en 1894 chez l’indispensable Paul Lacomblez.

362   L’Intruse a été publiée dans La Wallonie de janvier 1890 sous le titre L’Approche. Voir les notes 268 de la première partie (Paul Fort) et 598 de la deuxième partie (Maurice Maeterlinck).

363   Charles Van Lerberghe, Entrevisions, Paul Lacomblez, 1898, 149 pages, 400 exemplaires. Ce recueil comprend : « Jeux et songes », « Le Jardin clos » et « Sous le portique ».

364   Charles Van Lerberghe, La Chanson d’Ève, offert à Émile Verhaeren Mercure, début 1904, 216 pages. Ce recueil contient : « Prélude », « Premières paroles », « La Tentation », « La Faute » et « Crépuscule ».

365   Charles Van Lerberghe, Pan, drame satirique et comique anticlérical en trois actes accompagné d’une musique de Robert Haas, spectacle du théâtre de L’Œuvre représenté au théâtre Marigny le 28 novembre 1906 avec Colette dans le rôle de Paniska et Lugné-Poe dans celui du sacristain converti. Le texte de la pièce, offert à Camille Lemonnier, est paru au Mercure de France en avril 1906.

366   Bouillon est une ville belge frontalière à vingt kilomètres au nord de Sedan.

367   En ouverture du Mercure du premier août 1908, pages 369-385.

368   Albert Giraud (Albert Kayenbergh, 1860-1929), a commencé son droit à l’Université catholique de Louvain où il a connu Émile Verhaeren et Max Waller (objet de la note 372 ci-après) avant de devenir journaliste et d’intégrer l’équipe de La Jeune Belgique. Albert Giraud est un poète symboliste belge d’expression française surtout connu comme l’auteur du recueil de cinquante poèmes Pierrot lunaire, Rondels et Bergamasques offerts à Iwan Gilkin et paru chez Alphonse Lemerre en 1884 (105 pages) : « Je rêve un théâtre de chambre, / Dont Breughel peindrait les volets, / Shekspear, les féériques palais, / Et Watteau les fonds couleur d’ambre // Par les frileux soirs de décembre, / En chauffant mes doigts violets, / Je rêve un théâtre de chambre, / Dont Breughel peindrait les volets. » Ce recueil est devenu mondialement célèbre en 1912 par la mise en musique de 21 de ses poèmes (hélas traduits en allemand par Otto Erich Hartleben) par Arnold Schönberg et constituant son opus 21. La musique autour de ces poèmes a constitué chez les musiciens et mélomanes une des œuvres majeures du demi-siècle suivant, relancée en 1963 par l’interprétation de la soprano allemande Helga Pilarczyk sous la direction de Pierre Boulez.

Émile Verhaeren369
1855-1916

Dessin de Théo van Rysselberghe paru en couverture des Hommes d’aujourd’hui numéro 431, de 1893

Émile Verhaeren est né à Saint-Amand, près Anvers, le 21 mai 1855. Nous extrayons d’une biographie écrite par M. Léon Bazalgette370 les fragments suivants :

« Verhaeren est un enfant de l’Escaut et les approches de la mer du Nord l’ont sacré… La maisonnée se composait, hormis le père du poète et sa mère, née Adèle Debock, du frère de celle-ci, dont l’usine crachait ses fumées non loin du logis — et de sa sœur Amélie Debock, une tante pour laquelle l’enfant éprouva une tendresse très vive. Ces Debock, qui étalent du pays et qui en étaient fiers — (leur mère venait d’Herenthals et avait nom Lepaige, nom sans doute révélateur d’une origine française), traitaient amicalement « d’étranger » Gustave Verhaeren, le père d’Émile, qui était de Bruxelles, où son père avait conquis une honnête aisance en vendant du drap dans une boutique de la rue de l’Écuyer. Il vivait à Saint-Amand en rentier de village. Les Verhaeren néanmoins venaient probablement de Hollande. Dans la famille, — exception curieuse — on ne parlait que le français et les bonnes étaient liégeoises : le flamand qu’il ne sut jamais, le poète ne s’y essaya qu’à sept ans, avec le maître d’école du village, M. Ch. Mertens… Le jeune Verhaeren fréquenta l’école communale de Saint-Amand jusqu’à sa première communion, qui eut lieu le 18 mars 1866, — date gravée sur le fermoir de son livre de communiant, qu’il conservait comme une relique de son enfance. Il allait avoir onze ans et il était temps de songer à des études plus sérieuses. Alors c’est le départ pour Bruxelles et l’exil à l’Institut Saint-Louis, où il passa deux ans. Vers treize ou quatorze ans, il entre au collège Sainte-Barbe, à Gand, sur les bancs duquel viendront s’asseoir, quelques années après lui, Maeterlinck* et Van Lerberghe*…

« Le désir s’était implanté chez les Verhaeren et les Debock de Saint-Amand de voir le petit Émile succéder un jour à son oncle, dans son huilerie. Le malheur était que l’adolescent, nullement alléché par la perspective d’une existence d’usinier en un bourg perdu, n’entrait pas dans ces vues. Il allait avoir vingt ans et il avait achevé ses humanités : un seul grand désir le poignait, comme tous les jeunes gens d’esprit généreux et de cœur ardent, celui de voir le monde, de vivre une existence plus large, de quitter les milieux où l’on se ratatinait, pour la grande ville. Néanmoins il fallut provisoirement céder et, pendant un an, venir s’asseoir dans le bureau de l’oncle, pour s’initier aux arcanes de la comptabilité. À force de lutter, il obtint un jour gain de cause. Mais pour s’échapper, il fallait trouver une raison plausible. Ce fut celle-ci : l’usinier manqué irait faire son droit pour devenir avocat… Verhaeren partit donc pour l’Université de Louvain, qu’il ne quitta qu’en 1881, ayant acquis les preuves de sa véritable vocation. Ces cinq années fécondes furent celles de son initiation à la vie Intellectuelle et de son apprentissage poétique. Dans le milieu d’étudiants où il fréquenta, un petit groupe très uni se forma. Chaque semaine on se communiquait les uns aux autres ses vers et, gravement, on s’intitulait entre soi les “plus grands poètes de l’époque”… Un fait que nous devons retenir fut la fondation par Verhaeren et ses camarades, apprentis-poètes comme lui, d’un petit journal d’étudiants, La Semaine. Fondée en octobre 1879, la follicule371 vécut jusqu’en janvier 1881, — supprimée par une décision académique. C’est dans ses colonnes que notre poète, sous le pseudonyme de Rodolphe, publia ses premières chroniques… En 1881, son dernier examen passé, l’étudiant en droit quitte Louvain et vient se faire inscrire au barreau de Bruxelles. C’est vraiment de ce temps-là que date pour Verhaeren une nouvelle existence. Verhaeren tout de suite noue des amitiés, se mêle à des groupes. Il est du nombre des premiers rédacteurs de La Jeune Belgique, que fonde Max Waller372, l’ex-directeur du Thyrse373. Bientôt sa signature paraîtra dans L’Art Moderne374 et La Société Nouvelle375, — pour de là se multiplier et conquérir toutes les revues de son temps. On imagine bien que, participant à une telle effervescence, le souci d’une profession qu’il n’avait fait mine d’embrasser que pour complaire aux siens ne dominait pas l’existence du jeune homme. En 1881, il faisait partie du Jeune Barreau et était entré comme stagiaire chez Me Picard376… Mais il passait plus de temps à la Bibliothèque royale qu’à compulser des dossiers. Pourtant il dut plaider à l’occasion. Mais il n’avait pas grand cœur au métier. Edmond Picard, constatant ses médiocres dispositions, lui conseillait franchement de ne pas persévérer… Et Les Flamandes377 paraissaient en 1883, chez l’éditeur bruxellois Hochstein. L’œuvre était violente, d’une impudeur massive et d’une liberté d’exécution qui devaient provoquer le scandale ; aussi reçut-elle l’accueil qu’en un pareil milieu il était aisé de conjecturer. Des éreintements furieux rappelèrent à la décence l’audacieux débutant. D’autre part, dans les colonnes de L’Europe378, où pour la première fois il avait publié Un Mâle379, Lemonnier plaidait magnifiquement la cause de l’artiste conspué. Albert Giraud et Edmond Picard, tout en indiquant leurs réserves, saluaient également un tempérament…

« Les Moines380 avait paru chez Lemerre, l’éditeur du Parnasse, en 1886. Ce recueil avait des origines lointaines et se rattachait à d’intimes impressions d’enfance. Il y avait à une lieue environ de Saint-Amand, à Bornhem, un cloître de Bernardins, où Gustave Verhaeren, très lié avec l’un des Supérieurs, avait coutume de se rendre chaque mois en pieux pèlerinage. Son fils l’accompagnait, quand il était à la maison, et l’on partait à quatre heures et demie du matin pour se confesser et communier. Ces matinales expéditions et les hautaines figures, si nobles dans les plis du froc, qu’il apercevait dans les couloirs du cloître, avaient énormément frappé l’imagination de l’enfant, et, pour longtemps, les solitaires de Bornhem lui demeurèrent une hantise. Ce sont eux qui ont posé pour Les Moines. Et au temps où Verhaeren portait en lui les vers qu’il leur dédia, il s’en fut, pour essayer de revivre ses souvenirs, au monastère de Forges, près de Chimay, accomplir une retraite de vingt et un jours…

« Alors c’est la trilogie fameuse des Soirs (1887)381, des Débâcles (1888)382, et des Flambeaux Noirs (1890)383, la partie la plus souvent commentée de l’œuvre du poète. Ce sont là des pages “pleines de pleurs, pleines d’affres, pleines de mort”, comme les “Mers Novembrales384” qu’il a chantées et où il rôde souvent aux confins de la démence, celle d’un Van Gogh ou d’un Nietzsche.

« À l’époque où il burinait ces strophes exaspérées, Verhaeren faisait à Londres des séjours fréquents et prolongés. Il y travaillait beaucoup et c’est de là que presque toute la trilogie est sortie. Les aspects sombres de fer et de bitume, les brouillards de poix, l’atmosphère fuligineuse de la ville où passe le trafic du monde lui procuraient une volupté forte et amère. Entre son moi d’alors, tourmenté et malade, et le décor désolé des cités d’industrie et de charbon, des correspondances surgissaient, le grisant d’âpres délices. En ce Londres brutal et noir et si âprement vivant et si captivant dans sa laideur, Verhaeren venait se saturer de la tristesse ardente que suent les villes du Nord et leurs usines et leurs chantiers et leurs wharfs, exacerber son intime souffrance, exalter ses nostalgies et s’affadir le cœur. Il y venait aussi — sans peut-être s’en rendre compte — pour y découvrir une nouvelle beauté, cachée au fond de ce que l’humanité courante nomme la laideur385

« Après ces pages de douleur et d’orgueil exaspérés386, un apaisement est survenu, que traduisent Les Apparus dans mes Chemins (1891)387 et Les Campagnes Hallucinées (1893)388. Le recueil qui vient ensuite annonce clairement des préoccupations nouvelles. Il fait époque dans l’œuvre. Les Villages Illusoires (1894)389 renferme en effet les strophes les plus augurales que le poète ait jusque-là publiées, de même qu’il offre une signification d’art très à part des volumes antérieurs. L’intention que réalisa Les Villages était celle-ci : choisir comme héros les gens des petits métiers, les pauvres artisans des bourgades qu’il avait connus à Saint-Amand, et les « immensifler », par les vertus de l’art, jusqu’à en faire des types symboliques d’humanité. Par là, Verhaeren se rattachait à la tradition de Millet et de Rembrandt, opposée à celle de Wagner et des Italiens, suivie par tel autre poète contemporain, Henri de Régnier*, par exemple. Il faisait sienne cette tendance si moderne et si féconde, inoubliablement illustrée par Emerson, suivant laquelle l’héroïque, le sublime et le divin sont à chercher dans la vie quotidienne, et non dans les exploits des paladins, dressés sur leur palefroi avec des gestes traditionnels. Il magnifiait l’homme moyen, allait tirer de leur chaumière les gens du commun, pour les introniser. C’était adopter là un art idoine à la démocratie, l’art type de l’âge moderne. Dans Les Villages Illusoires, ces petites gens des métiers ont passé à l’état synthétique et abstrait par une volonté de les exprimer sous leur aspect d’éternité… Je ne crois pas que jusque-là Verhaeren ait composé d’aussi magnifiques pages que celles du Meunier, du Sonneur ou du Forgeron390. Ce forgeron splendide forgeant l’avenir sur son enclume en psalmodiant son rêve, — du même geste que Siegfried, dans la caverne du Nibelung391, battant l’épée de victoire, — c’est de loin l’annonciateur du sens nouveau d’humanité qui va ruisseler bientôt des strophes du poète. Mais, à ce point de vue, aucun poème du recueil n’est aussi gonflé de significations que celui des Cordiers, qui, malgré l’œuvre postérieure, demeurera l’une des plus pures merveilles qu’ait réalisées le visionnaire des campagnes flamandes392

« Les Villes Tentaculaires (1895)393, c’est toute l’agonie d’un monde et la naissance de celui qui aspire à le remplacer. L’étrange suggestion de ces vers ne communique-t-elle pas le sentiment du volume entier ?

Et les vitraux, grands de siècles agenouillés
Devant le Christ, avec leurs papes immobiles
Et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler
Au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville
394.

« Au flanc des glèbes dont Les Campagnes hallucinées interprétait la désolation, la bêche inutile est restée plantée : réciproquement Les Villes débute par l’évocation des plaines d’où les humanités, à flots pressés, s’acheminent vers les industries reines. C’est un diptyque où les champs abandonnés s’opposent aux cités bruissantes. À présent c’est en leurs rues noires et vertigineuses que rêve le poète, capté par les aspects tragiques du phénomène nouveau frémissant, aux écoutes, tour à tour hagard, apitoyé, bondissant de joie ou frissonnant de tristesse, mais sachant l’inéluctable et ignorant les malédictions. Et c’est l’énorme et rougeoyante vision de music-hall dans Les Spectacles, le mystère de l’or et de l’agio dans La Bourse395, — oui, un poète sans dédain pour cet immense phénomène du monde moderne, le troc des valeurs, et s’attardant près de la “corbeille”, parmi les hurlements des vendeurs et des acheteurs, — la fièvre autour des comptoirs assiégés par la foule des grands magasins dans Le Bazar, l’évocation de telle rue chaude de Marseille ou d’Anvers, L’Étal, — où l’art du formidable évocateur dresse une de ses plus rouges flambées, — des ruées de Communes et de foules en folie dans La Révolte, le savant exalté dans son ardeur d’investigation et le labeur magnifié dans La Recherche — le poème de la science par un artiste assez authentique pour ne pas redouter l’apparente banalité du thème, — et ce cantique inoubliable à la force, à la beauté, aux “lois”, dans Les Idées… Plus spécialement, ici Verhaeren confesse sa foi, atteint ces sommets où la méditation à la suprême poésie s’allie…

« En présence d’une œuvre comme Les Villes Tentaculaires, qui si génialement attestait, en les exaltant, les puissances poétiques, si longtemps endormies, d’un peuple, la Belgique artistique s’émut et résolut d’offrir publiquement à Émile Verhaeren son hommage — où l’affection et l’admiration demeuraient inséparables. Une vaillante petite revue, L’Art Jeune396, prit l’initiative d’un banquet qui eut lieu à Bruxelles, le 24 février 1896. Une foule était venue. L’heure fut émouvante, fraternelle et mémorable. On fêtait l’homme admirable de bonté, de droiture et d’indépendance autant que le poète.

« Les Visages de la Vie (1899)397 et un peu plus tard Les Forces Tumultueuses (1902)398, dans cette neuve voie moderne et universelle que suit désormais Émile Verhaeren, représentent une autre étape. Moins âpres et tourmentés que Les Villes, ces deux recueils offrent les indices d’une sérénité d’autant plus émouvante et large que le poète dut longtemps errer et peiner avant de la conquérir…

« Verhaeren est essentiellement un Barbare que le destin voua à peindre ses visions à l’aide d’une langue plutôt faite pour traduire les sensations délicates et raffinées de l’extrême civilisation. Il faut comprendre cela avant de le juger. Il est hors de doute d’ailleurs qu’à l’égard de la “mesure”, de la “tradition” et du “goût”, ce triple idéal périodiquement invoqué par ceux-là qui estiment qu’un écrivain comme Musset, par exemple, représente tout le génie, toute la beauté et tout le sublime, l’attitude poétique de Verhaeren est celle d’un iconoclaste. On a essayé de montrer en lui un artiste ataviquement dominé par les fièvres d’or et de torture du catholicisme espagnol. Je trouve qu’il est, de toutes ses forces de poète, un homme du Nord, tout autant qu’un Carlyle ou qu’un William Blake399. Sa tragique vision de la nature et de l’humanité, sa richesse d’âme, ses inquiétudes spirituelles, son farouche individualisme révèlent absolument un septentrional… C’est un tourmenté, dont l’art suggère des impressions volcaniques ou cycloniques. Les grondements le secouent qui paraissent sortir des profondeurs de la terre orageusement. Une strophe de lui est une décharge d’électricité humaine. Son art est le plus subjectif qui se puisse concevoir. Il est empli d’infini et se distingue par un sentiment exalté et surhumain. Comme celui de Rembrandt, il est fait de matière et de féerie broyées ensemble. Il représente l’engloutissement de “l’universelle humanité dans l’abîme d’un cœur”, la fusion du mystère et de la vie, tordus “en un même éclair400”. Verhaeren a le don d’évocation et de puissance à un degré inconnu chez nous depuis le chantre de La Légende des Siècles. Verhaeren ne procède de personne. Il n’est pas sorti, comme les chefs de sa génération poétique, de Laforgue*, de Villiers, de Mallarmé* ou de Verlaine*. Il n’a subi que les influences générales de son temps. Il n’en est point d’autres aujourd’hui pour faire entendre ce large accent religieux qui appartient aux seuls grands bardes.

« La fréquence à travers toute son œuvre de telle interjection : « Dites » lui communique je ne sais quoi de communial et de fervent. Sa rêverie a l’intensité et l’ardeur d’une oraison : en présence des nouveaux dieux, le poète a conservé la piété brûlante du fidèle401402 »

Cet admirable artiste de la vie contemporaine, le plus grand de tous ceux qui s’employèrent à exalter les forces humaines, ce chantre incomparable des cités et du machinisme modernes, devait, hélas ! finir tragiquement, victime de ces forces créatrices qu’il avait si bien magnifiées. Il allait quitter Rouen où son « rythme souverain » l’avait, au cours de la grande guerre, conduit à prononcer de fortes paroles, et il montait dans un train en marche, lorsqu’il glissa sur la voie et fut horriblement broyé. Ainsi finissait, le 27 novembre 1916, l’un des plus nobles esprits de ce temps, celui qu’on a considéré, à juste titre, comme le meilleur poète lyrique de l’infortunée Belgique. Il laissait, pareil à un ouvrage posthume, ce recueil virulent, inoubliable : Les Ailes rouges de la Guerre403, publié la veille même de sa mort, véritable acte de foi et de révolte devant les crimes du germanisme, un livre d’une telle puissance verbale qu’on peut le comparer aux Châtiments de Victor Hugo.


369   Émile Verhaeren est évidemment entré dans les Poètes d’aujourd’hui avec la première édition de 1900. Sa notice a été rédigée par Adolphe van Bever. Elle a été considérablement augmentée avec la deuxième édition, en 1908, passant de trois petites pages à six grâce à la parution de l’ouvrage de Léon Bazalgette cité note suivante.

370   Note d’Adolphe van Bever : « Les Célébrités d’aujourd’hui. Émile Verhaeren. Paris Sansot et Cie, 1907. » 72 pages.

371   Léon Bazalgette — et Adolphe van Bever qui reprend le mot — se trompent quant à son sens et à son genre. Même si un folliculaire est un « journaliste sans talent et sans scrupules » (TLFi), un follicule est un « corps ou organe en forme de petit sac ou de capsule. » (TLFi encore). Le cocon du vers à soie est un follicule.

372   Max Waller (Maurice Warlomont, 1860-1889, à 29 ans), poète belge de langue française et fondateur de La Jeune Belgique en 1881. Pour cette revue voir la note 594 de la deuxième partie (Maurice Maeterlinck). Voir Paul André, Max Waller et La Jeune Belgique, Le Thyrse 1905, 155 pages.

373   Le Thyrse, revue mensuelle d’art et de littérature parue au début de 1897, est la continuatrice de La Jeune Belgique. Certaines publications sérieuses indiquent fautivement 1899. On trouve des numéros sous ce nom jusqu’à l’été 1969.

374   L’Art moderne « revue critique des arts et de la littérature paraissant le dimanche » a été fondée en mars 1881 par les avocats et écrivains Edmond Picard, objet de la note 376 et Octave Maus (1856-1919). Cette revue est parue à Bruxelles jusqu’en 1914.

375   La Société nouvelle, revue belge à vocation internationale, très à gauche, créée en 1884 par Fernand Brouez (1861-1900, à 39 ans). Le premier nom de cette revue a été L’humanité nouvelle, jusqu’en 1903. Il semble que la première guerre mondiale ait mis fin à la parution.

376   Edmond Picard (1838-1924), homme de lettres Belge et célèbre avocat.

377   Émile Verhaeren, Les Flamandes, dédié « À maître Jean Richepin », Lucien Hochsteyn début 1883, 122 pages (à compte d’auteur).

378   Le quotidien L’Europe est paru à Bruxelles de 1879 à 1883. Une abondante chronique des Flamandes (de deux colonnes) est paru en page quatre du numéro du 18 février 1883, signé « Un liseur ». Émile Verhaeren écrivait parfois des articles plus généraux sur l’actualité dans ce journal, comme dans les numéros des onze février ou du 25 mars 1883.

379   Camille Lemonnier, Un mâle, scènes de la vie des braconniers, est paru en feuilleton dans L’Europe à partir du deux octobre 1880 avant le volume chez Kistemœcker à Bruxelles l’année suivante. Voir Léon Bazalgette, Camille Lemonnier, « biographie précédée d’un portrait-frontispice, illustrée de plusieurs portraits, de dessins et d’un autographe, suivie d’opinions, de documents et d’une bibliographie. Ornements typographiques d’Orazi », Sansot début 1904, 72 pages. Voir aussi Gustave Vanwelkenhuyzen, Histoire d’un livre : “Un mâle” de Camille Lemonnier, Palais des Académies, Bruxelles 1961, 162 pages.

380   Émile Verhaeren, Les Moines, poésies offertes « au poète Georges Khnopff », Alphonse Lemerre 1886, cent pages (à compte d’auteur).

381   Plusieurs poèmes qui figurent dans le recueil Les Soirs sont préalablement parus dans La Jeune Belgique en décembre 1885 puis en volume chez Edmond Deman en 1888 (et non 1887 comme annoncé par Adolphe van Bever). Il semble que cette parution légèrement tardive soit due à la recherche d’une édition de qualité. Le choix de son camarade d’université Edmond Deman comme éditeur lui a permis de traiter plus facilement d’égal à égal et cette édition a pu être enrichie en frontispice d’une lithographie d’Odilon Redon (1840-1916) qui n’était pas un inconnu en 1888, même si cette lithographie est ici particulièrement sinistre, comme souvent chez cet artiste.

382   Émile Verhaeren, Les Débâcles, illustrées de quatre ornementations de Fernand Khnopff, Edmond Deman 1888, 68 pages, cent exemplaires.

383   Émile Verhaeren, Les Flambeaux Noirs, illustré de portraits hors-texte d’Émile Verhaeren par Constant Dratz et d’un frontispice d’Odilon Redon sur les cinquante premiers exemplaires (sur cent). Edmond Deman 1891. Ces trois recueils — Les Moines, Les Débâcles et Les Flambeaux noirs — forment la trilogie luxueuse éditée par Edmond Daman à cent exemplaires chacun. Un exemplaire est au Moma, un autre au British Museum…

384   « Infiniment », extrait des Soirs : « Voici très longuement, très lentement, les râles / D’hiver et les grands soirs dressés en bûchers d’or / Rouge sur des fleuves et les mers novembrales / Pleines de pleurs, pleines d’affres, pleines de mort. // Les chiens du désespoir, les chiens du vent d’automne / Mordent de leurs abois les échos noirs des soirs, / Et l’ombre, immensément, dans le vide, tâtonne / Vers la lune, mirée au clair des abreuvoirs. »

385   Après ce paragraphe, Léon Bazalgette — car c’est toujours lui qui est cité ici — a donné ce vers : « Ô mon âme du soir, ce Londres noir qui traîne en toi ! », extrait du poème « Londres » lui aussi extrait des Soirs.

386   Sans s final chez Adolphe van Bever.

387   Émile Verhaeren, Les apparus dans mes Chemins, offert à Edmond Deman, Paul Lacomblez, fin 1890 ou début 1891, 101 pages, 400 exemplaires.

388   Émile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées, dédiées à Victor Desmeth, Edmond Deman mai 1893, 88 pages.

389   Émile Verhaeren, Les Villages illusoires, offert à Camille Lemonnier et orné de quatre images par Georges Minne, Edmond Deman, janvier ou février 1995, 76 pages, 373 exemplaires.

Illustration de Georges Minne pour le poème « Le Vent »

390   Trois poèmes des Villages illusoires.

391   Corrigé de Niebelung. Nibelung est le roi légendaire d’un peuple de nains, les très riches Nibelungen, propriétaires de mines sous la montagne. Cette légende germanique est connue dans le monde entier grâce au cycle de Richard Wagner L’Anneau du Nibelung, composé d’un prologue et de trois journées : L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux. Cette œuvre monumentale a été présentée pour la première fois dans son intégralité (une quinzaine d’heures) à Bayreuth en 1876.

392   Après ce paragraphe, Léon Bazalgette donne les quatre derniers vers de Celle des voyages (du recueil Les Vignes de ma muraille) : « Je suis celle des surprises fécondes / Qui vous conseille avec amour, d’aller / Vous-même enfin vous retrouver, / Là-bas, dans votre fuite au bout du monde. »

393   Émile Verhaeren, Les Villes Tentaculaires, offert « au Poète Henri de Régnier », Edmond Deman imprimé en 600 exemplaires le six décembre 1895 accompagné de l’avertissement suivant en page deux : « Les Villes Tentaculaires sont le deuxième cahier d’une série commencée par Les Campagnes Hallucinées et qui sera terminée par Les Aubes (drame) ».

Ornement de Théo Van Rysselberghe pour le titre

394   Extrait des Cathédrales, poème des Villes tentaculaires.

395   Les Spectacles et La Bourse sont deux poèmes des Villes tentaculaires, comme plus bas, Le Bazar ou L’Étal, et plus généralement tous les titres cités dans ce paragraphe.

396   Le premier numéro du mensuel L’Art jeune, fondée par le poète Henri Vandeputte (1877-1952) est paru le quinze janvier 1895 jusqu’au quinze août 1896.

397   Émile Verhaeren, Les Visages de la vie, offert « Au poète Francis Vielé-Griffin* », Edmond Deman, 1899, 83 pages.

398   Émile Verhaeren, Les Forces Tumultueuses, dédié « Au très grand et cher Auguste Rodin », Mercure de France, janvier ou février 1902, 189 pages. Il semble s’agir de la première parution d’Émile Verhaeren en volume au Mercure. On peut par ailleurs le créditer de 31 textes dans la revue, entre juillet 1895 et juillet 1916. Ce dernier poème « Les Ailes rouges de la guerre » fera l’objet de la note 403 page 99.

399   C’est évidemment au poète William Blake, et non au peintre, que Léon Bazalgette pense ici. William Blake (1757-1827), peintre et graveur britannique religieux est surtout connu comme poète, bien que sa peinture, à la fois naïve et fantastique, bénéficie d’un regain d’intérêt ces dernières années. Pour Thomas Carlyle, voir la note 619 dans la notice de Maurice Maeterlinck.

400   Citations extraites (pages 7 et 120) du Rembrandt d’Émile Verhaeren, biographie critique paru chez Henri Laurens en 1904 (127 pages).

401   Après ce paragraphe, Léon Bazalgette a inséré ce fragment de vers : « Et je songe, comme on prie » extrait du poème L’action, provenant du recueil Les Visages de la vie : « Et je songe, comme ou prie, à tous ceux / Qui se lèvent, héros ou Dieux, / À l’horizon de la famille humaine ; / Comme des arcs-en-ciel prodigieux / Ils se posent, sur les domaines / De la misère et de la haine ; »… Bien d’autres vers d’Émile Verhaeren illustreraient plus pertinemment le propos de Léon Bazalgette.

402   Guillemets fermants absents de l’édition papier mais il semble bien que l’emprunt à Léon Bazalgette se termine ici.

403   Émile Verhaeren, Les Ailes rouges de la Guerre, offert « À Maurice Maeterlinck, fraternellement », Mercure de France 1916, 252 pages.

Paul Verlaine404
1844-1896

Maison Natale de Paul Verlaine à Metz

Paul-Marie Verlaine, le plus admirable poète que nous ayons eu depuis longtemps, est né à Metz le 30 mars 1841, d’une famille originaire des Ardennes. Sa maison natale, 26, rue Haute-Pierre, existe encore. Son père, Nicolas-Auguste Verlaine, né à Bertrix (Belgique405) en 1798, était capitaine adjudant major au 2e régiment de génie et chevalier de la Légion d’honneur. Il avait été soldat dans les armées de Napoléon et avait opté pour la nationalité française, quand son pays était devenu luxembourgeois à la suite des traités de 1815. La mère de Paul Verlaine était née à Fampoux (Pas-de-Calais)406. Les premières années de Paul Verlaine s’écoulèrent dans les garnisons de son père, d’abord à Metz, puis à Montpellier, puis à Nîmes, puis de nouveau à Metz. En 1851, le capitaine Verlaine donna sa démission et vint s’établir avec sa famille à Paris, rue Saint-Louis, aujourd’hui rue Nollet407. Paul Verlaine, qui avait alors sept ans, fut mis comme externe dans une petite institution de la rue Hélène. il entra ensuite dans une grande pension de la rue Chaptal, l’Institution Landry408, où l’on préparait aux cours du Lycée Bonaparte. Sa première communion faite, il entra au Lycée Bonaparte, depuis Lycée Condorcet, où il eut comme condisciple Edmond Lepelletier409, avec lequel devait le lier une amitié de trente-six années, sans une heure de brouille. Reçu bachelier ès lettres en 1862, et sauvé de la conscription par un « bon numéro410 », Paul Verlaine, après avoir pris bien inutilement une inscription d’étudiant en droit, entra comme employé à la Compagnie d’assurances l’Aigle et le Soleil réunis. Il obtint ensuite, en 1864 un poste d’expéditionnaire à la Mairie de la rue Drouot411, d’où il passa bientôt à l’Hôtel de Ville, bureau des Budgets et des Comptes. À la fin de 1865, son père mourut, à demi ruiné par une opération de bourse. Sa mère, dupée par des spéculateurs, perdit une partie de la fortune qui lui restait, et lui-même commença à négliger son emploi, plus préoccupé de littérature que d’administration, et déjà fantasque, irrégulier, bohème. Il s’était lié à l’Hôtel de Ville avec quelques-uns de ses collègues, écrivains comme lui : Georges Lafenestre412, Armand Renaud413, Léon Valade414 et Albert Mérat415, et passait son temps, loin de son bureau, à discuter littérature avec eux, dans un café de la rue de Rivoli où le groupe tenait ses réunions. Dans le salon de M. Louis Xavier de Ricard416, il se mêla aussi un moment au groupe des Parnassiens : Leconte de Lisle, José-Maria de Heredia, Sully Prudhomme, François Coppée, Léon Dierx et Catulle Mendès. En 1866, le même jour que François Coppée publiait Le Reliquaire417, il fit paraître son premier livre : Poèmes Saturniens418, qui passa complètement inaperçu. Trois ans plus tard, il publia Les Fêtes galantes419, que lui inspirèrent, au dire d’Edmond Lepelletier, les travaux des Goncourt sur les artistes du XVIIIe siècle et l’ouverture, au Louvre, d’une salle consacrée aux peintres de cette époque. En 1870, il publia La Bonne Chanson420, composée pendant ses fiançailles avec Mlle Mathilde Mauté421, sœur utérine du compositeur Charles de Sivry422. Leur mariage eut lieu au mois d’août de la même année. Bientôt après, la guerre franco-allemande éclata. Le désastre de Sedan, l’envahissement, le siège de Paris et la Commune survinrent. Plus ou moins compromis ou s’imaginant l’être par ses amitiés dans le camp insurrectionnel, Paul Verlaine, qui avait fait comme les autres le héros dans la garde nationale, crut prudent de quitter Paris, et s’en alla avec sa femme passer quelque temps dans le Nord, chez des parents et des amis. La mésintelligence était déjà entre les époux, causée par les coups de tête fréquents de Paul Verlaine et les habitudes d’intempérance qu’il avait contractées de bonne heure. Rentrés à Paris, la naissance de leur fils Georges423 ne les rapprocha en rien, et c’est alors que Paul Verlaine se lia avec Arthur Rimbaud, qui devait avoir tant d’influence sur sa vie. Comme on l’a vu dans la notice d’Arthur Rimbaud424, Paul Verlaine ne le connut d’abord que par une lettre et quelques poèmes dont la singularité l’intéressa. Il lui répondit, lui envoya même quelque argent, puis, d’accord avec sa femme et sa belle-mère, l’invita à venir à Paris, chez eux, où on le logerait. Arthur Rimbaud accourut, mais ses excentricités lut firent bientôt signifier son congé par Mme Verlaine et sa mère, et il dut aller loger chez des amis de Paul Verlaine, notamment chez Théodore de Banville, comme on l’a vu aussi précédemment. Cette séparation, contre le gré de Paul Verlaine, ne fit qu’accroître l’attraction qu’Arthur Rimbaud exerçait sur lui, et qu’augmenter encore son désaccord avec sa femme. De longues discussions d’art que les deux poètes eurent ensemble pendant leurs promenades à travers Montmartre, comme l’enthousiasme de Paul Verlaine à produire Arthur Rimbaud dans tous les milieux littéraires, jusque chez Victor Hugo, vinrent encore resserrer leur union, et un matin de juillet 1872, tous deux partirent ensemble. Ils se rendirent d’abord à Arras, ils se posèrent si bien, dans leur conversation, comme deux criminels, qu’on les arrêta et qu’on leur fit reprendre le train pour Paris, en compagnie de deux gendarmes. Arrivés à la gare du Nord et rendus à la liberté, ils remontèrent aussitôt en wagon, pour se rendre d’un trait en Belgique, d’où ils passèrent en Angleterre. Ils vécurent ensemble à Londres environ une année. Pendant ce temps, la femme de Paul Verlaine, arguant de son brusque abandon et encore plus de sa singulière intimité avec Arthur Rimbaud, engageait contre lui un procès en séparation de corps. Au printemps de 1873, Paul Verlaine, qu’Arthur Rimbaud avait délaissé à Londres pour retourner à Charleville, rentra à son tour en France et alla passer quelque temps chez une parente, à Jéhonville, entre Sedan et Bouillon. C’est pendant ces divers séjours en Belgique, en Angleterre et dans les Ardennes que furent composées Les Romances sans paroles425, publiées seulement en 1875. À Jéhonville, Paul Verlaine essaya de se réconcilier avec sa femme, sans rien obtenir. Il se retourna alors vers Arthur Rimbaud, qui vint le rejoindre à Bouillon. Liés de nouveau comme auparavant, ils vagabondèrent tous les deux pendant quelque temps dans les Ardennes, puis s’embarquèrent une nouvelle fois pour l’Angleterre. Là, fugue de Paul Verlaine, qui quitte brusquement Arthur Rimbaud pour se rendre seul à Bruxelles, où il s’empresse ensuite de le rappeler. Nous arrivons alors à l’incident qui devait les séparer, les deux coups de revolver tirés par Paul Verlaine sur Arthur Rimbaud, en juillet 1873, à la suite du désir manifesté par le second de reprendre sa liberté. Condamné à deux années de prison par le Tribunal correctionnel de Bruxelles, Paul Verlaine fut enfermé aux Petits Carmes de Bruxelles, puis transféré à Mons. Là, le calme se fit en lui, Il s’arma de courage et de patience et se mit au travail. Il avait envoyé depuis longtemps le manuscrit des Romances sans paroles à Edmond Lepelletier, qui dirigeait alors à Sens un journal républicain supprimé à Paris et qui imprima les vers de son ami avec les caractères mêmes de son imprimerie. Il en corrigea les épreuves dans sa prison, et le livre parut. « Le volume, raconte Edmond Lepelletier dans le livre qu’il a écrit sur Paul Verlaine et qui est le document le plus complet et le plus exact sur le poète426, fut tiré à peu d’exemplaires, cinq cents, je crois, et ne fut pas mis dans le commerce. Je remis, à diverses reprises, un certain nombre de volumes à Mme Verlaine mère, j’expédiai les envois que Paul Verlaine avait indiqués, je fis un service aux journaux très complet. Pas un ne cita même le titre du livre. J’avais conservé quelques exemplaires, devenus très rares et considérés comme des curiosités bibliographiques j’en ai fait, par la suite, la distribution à des amis de Verlaine, à des écrivains qui, comme M. Henry Bauër427, ignoraient le poète, méprisaient l’homme, et que la lecture de ce petit volume impressionna et changea en admirateurs sincères et en défenseurs ardents du grand et malheureux poète. C’est cette plaquette de Sens qui m’a permis de maintenir parmi les vivants le poète enfermé dans le tombeau cellulaire, muré dans un sépulcre d’animosité et d’oubli. » Ce fut aussi à Mons que Paul Verlaine éprouva les premiers sentiments de cette conversion religieuse qui devait aboutir à ce chef-d’œuvre Sagesse428. La cause principale paraît avoir été le déchirement qu’il ressentit à la nouvelle du jugement qui prononçait sa séparation d’avec sa femme, alors que transformé par le régime sobre, régulier et solitaire de la prison, il rêvait de réconciliation, d’apaisement et d’un foyer retrouvé. Il fit appeler l’aumônier, s’entretint plusieurs reprises avec lui, et trouvant dans la religion, comme l’a très bien noté Edmond Lepelletier, autant un réconfort moral qu’un renouvellement poétique, il se convertit et communia. Libéré le 16 janvier 1875 après avoir purgé sa condamnation complète, il rentra en France, alla se reposer dans sa famille, à Arras, à Fampoux, dans les Ardennes, puis se rendit en Angleterre, où il vécut environ une année, donnant des leçons de français et de latin et même de dessin. Il rentra en France en 1878 et accepta un poste de professeur au Collège de Rethel429, puis, cédant brusquement à un désir qui l’occupait depuis longtemps, se fit cultivateur à Coulommes, dans l’arrondissement de Vouziers430. Cette fantaisie, étant donné son manque d’application et son inexpérience, fut de courte durée, et, en 1881, après une douloureuse histoire dont on trouve le récit détaillé dans l’ouvrage d’Edmond Lepelletier431, il revint à Paris. Sagesse, commencée dans la prison de Mons, était achevée. Paul Verlaine ayant perdu tout contact avec les éditeurs, Edmond Lepelletier s’occupa d’en trouver un. Après bien des échecs, il trouva enfin accueil chez l’éditeur catholique Victor Palmé, et Sagesse parut, fruit de « six années d’austérité, de recueillement, de travail obscur ». Ce livre, qui devait un peu plus tard faire tant pour la réputation du poète, passa complètement inaperçu, les amateurs de poésie se méfiant d’un ouvrage sorti d’une librairie religieuse et les dévots lui trouvant quelque chose de profane. Les ressources de sa mère très diminuées, Paul Verlaine dut songer à vivre de sa plume, et il s’y essaya courageusement. C’est ainsi qu’il collabora pendant quelque temps au Réveil432, journal quotidien dont Edmond Lepelletier était rédacteur en chef, et où il publia plusieurs articles qu’on retrouve dans les Mémoires d’un Veuf433. En même temps, il fréquenta le Quartier latin, et le groupe des jeunes rédacteurs de la petite revue Lutèce, un des premiers organes du Symbolisme. Il publia dans Lutèce quelques poèmes, notamment son célèbre Art poétique434, qui fit tout de suite de lui un maitre pour les nouveaux poètes, puis des études sur Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, qui parurent ensuite en volume sous le titre Les Poètes maudits435. C’est alors qu’après avoir remis à l’éditeur Vanier les manuscrits des Mémoires d’un Veuf, de deux autres volumes de prose et d’un nouveau recueil de vers : Jadis et Naguère, le goût de la culture le reprit. Il quitta brusquement Paris, et retourna s’improviser cultivateur à Coulommes, où il s’installa avec sa mère, en octobre 1883. Là, nouvelle aventure, en février 1885, à la suite d’une scène qu’il eut avec sa mère, qu’un témoin intéressé assura avoir été frappée par lui. Dénoncé et arrêté, Paul Verlaine comparut devant le Tribunal correctionnel de Vouziers, et malgré les dénégations de sa mère, désireuse de l’innocenter, fut condamné à un mois de prison. À sa sortie, il dut vendre sa ferme, et revint à Paris, plus pauvre qu’il n’en était parti. Il voulut se remettre à vivre de sa plume, mais déjà la maladie l’envahissait, le paralysant peu à peu. De ce moment date l’existence lamentable, pleine de misère, d’hôpital en hôpital ou dans d’affreux taudis, qu’il devait mener jusqu’à sa fin. En 1886, sa mère mourut, nouvel événement funeste pour lui qui se trouva désormais sans frein ni appui dans la vie, toujours laborieux cependant, ne cessant de travailler, de produire, malgré ses déboires de « Pauvre Lelian436 » comme il s’était surnommé lui-même. Entre ses séjours à l’hôpital, on le voyait dans Paris. « Il traînait sa jambe malade437, s’appuyant sur sa canne, mais le torse redressé, la tête haute, légèrement fière, avec un sourire sarcastique, il allait, s’attablant dans les cafés du Quartier latin et là, rimant des vers, écrivant des ébauches de contes en prose, discutant, ah ! discutant trop longuement avec de jeunes poètes qu’attirait sa renommée grandissante. » En 1889, après un séjour à Broussais438, il alla faire une cure à Aix-les-Bains, puis entra de nouveau à Broussais. Il fréquenta ensuite les soirées de La Plume439(440), qui organisa plusieurs banquets en son honneur. En 1891, on représenta au Vaudeville441, à son bénéfice, par les soins du Théâtre d’Art de M. Paul Fort, une de ses saynètes : Les Uns et les Autres442, opération dont il ne retira pas un sou, toute la recette ayant été absorbée par les frais, les décors et les costumes d’un ouvrage de Catulle Mendès, représenté en même temps443. Il collabora à L’Écho de Paris, partit faire quelques conférences en Belgique, en Hollande, en Angleterre, puis revint à Paris. On représenta aux soirées du Café Procope444 son autre saynète Mme Aubin445. Leconte de Lisle étant venu à mourir et un reporter ingénieux ayant eu l’idée de proposer un vote pour le remplacer dans l’admiration des jeunes poètes, Paul Verlaine fut élu446 son successeur par 77 voix. On parla même un moment de sa candidature à l’Académie, fantaisie plutôt que projet vraiment réalisable447. Entre temps, de plus en plus malade, il avait dû entrer Saint-Louis448. À sa sortie, il alla habiter quelque temps l’Hôtel de Lisbonne, rue de Vaugirard449, où étaient venus le visiter en 1886 ses amis de la première heure : Gabriel Vicaire450, Ary Renan451, Villiers de l’Isle-Adam, Jules Tellier, Mme Rachilde, Jean Moréas*, Laurent Tailhade*, etc. Puis ce fut 1895, qui devait être sa dernière année. Sa maladie encore aggravée, il dut s’aliter, soigné par ses fidèles médecins, les docteurs Chauffard et Parisot. Il logeait alors rue Descartes 39(452), dans un petit logement où, « ne pouvant plus sortir, il passait ses journées, avec un pinceau et des flacons de vernis dit “or liquide”, à dorer tous ses objets usuels : la tasse où il mettait son tabac, ses chaises, sa lampe et les objets les plus imprévus ». C’est là qu’il mourut le 6 janvier 1896. Voici maintenant quelques opinions sur Paul Verlaine et son œuvre. « Il ne faut pas juger ce poète comme on juge un homme raisonnable. Il a des idées que nous n’avons pas, parce qu’il est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que nous. Il est inconscient, et c’est un poète comme il ne s’en rencontre pas un par siècle… Il est fou, dites-vous ; je le crois bien. Et si je doutais qu’il le fût, je déchirerais les pages que je viens d’écrire. Certes, il est fou. Mais prenez garde que ce pauvre insensé a créé un art nouveau et qu’il y a quelque chance qu’on dise un jour de lui ce qu’on dit aujourd’hui de François Villon, auquel il faut bien le comparer : c’était le meilleur poète de son temps. » (A. France, La Vie Littéraire, 3e série453.) — « … Il est un barbare, un sauvage, un enfant… Seulement cet enfant a une musique dans l’âme, et, à certains jours, il entend des voix que nul avant lui n’avait entendues… » J. Lemaitre, Les Contemporains454, 4e série.) « Verlaine, né dans une époque de décadence, survivant aux plus affreux désastres qui puissent frapper la tête et le cœur d’un peuple, a résisté à la double faillite de la foi et de la poésie… Que nous importe son histoire ? c’est la terre commune de l’humanité ; que nous importe son œuvre, calculée par le nombre de ses volumes la richesse, la variété et la nouveauté de sa prosodie ? c’est la base de tous les penseurs, c’est l’art dont se servent tous les poètes ; mais plus haut, ce qui est bien à lui, c’est sa foi retrouvée. Ce qu’il importe de savoir d’un homme, c’est jusqu’à quel point il s’est élevé ; or, Verlaine s’est élevé Jusqu’à Dieu par la prière. » (Ch. Fuinel, La Statue de Paul Verlaine, La Lyre universelle, décembre 1896.)

Ses œuvres ont été réunies par la librairie Vanier (Messein, successeur) en une édition complète dont on trouvera le détail dans la bibliographie ci-après.

Un monument avec son buste par le sculpteur James Vibert, a été élevé à Paul Verlaine, à Metz, sa ville natale, en juin 1925.

On sait qu’un autre buste de lui, par le sculpteur Niederhausern-Rodo455, se trouve à Paris, dans le jardin du Luxembourg.


404   Paul Verlaine est entré dans les Poètes d’aujourd’hui dès la première édition. Sa notice a été rédigée par Paul Léautaud et a peu évolué au cours des éditions, Paul Verlaine étant déjà mort lors de la parution de la première. Tout lecteur du Journal littéraire se souvient de la journée du 24 août 1894. Voici — un peu moins connu — le récit de l’anecdote dans la préface de Paul Léautaud au catalogue de l’exposition Paul Verlaine inaugurée le seize février 1946 : « Un jour […], je le vis attablé à la terrasse du Café Mahieu, côté boulevard Saint Michel, en compagnie de cette Eugénie Kranz qui ne le quittait pas, bien appareillée à lui par son aspect. J’achetai à la bouquetière installée près de la pâtisserie Pons un petit bouquet de violettes, que je lui fis porter par un commissionnaire voisin de la bouquetière, que j’employais de temps en temps pour mes déménagements. J’allai me poster sur le terre-plein du bassin. Je le vis recevoir le bouquet, le porter à son visage, en respirer sans doute le parfum, cherchant des yeux tout alentour d’où et de qui il pouvait bien lui venir. Je repris mon chemin en vitesse, enchanté, ravi, amusé, je n’ose écrire : ému, de mon geste. Un geste naïf, puéril, même ridicule, dira-t-on peut-être ? Moi, il me plaît encore beaucoup. »

405   Bertrix, au sud de la Belgique, se trouve à moins de quarante kilomètres de Sedan.

406   La commune de Fanpoux est à dix kilomètres à l’est d’Arras.

407   Cette rue Nollet, très longue, se trouve dans le XVIIe arrondissement, au nord-est de Paris.

408   Cette institution se trouvait, dit la légende, au 32 rue Chaptal. Or les deux derniers numéros pairs de la rue Chaptal sont les 30 et 34, le 32 n’existant pas. Charles Lefeuve, dans sa très importante Histoire de Paris rue par rue, maison par maison de 1875 en cinq forts volumes, écrit « Trois ou quatre pensions du lycée Bonaparte [actuel lycée Condorcet] se sont groupées aux abords de la rue Chaptal […] La pension Landry, qui fait le coin, arbore deux plaques indicatives de rues. » En clair cette pension Landry, qui était donc à l’angle de la rue Chaptal et de la rue Blanche, n’existe plus a été remplacée par deux beaux immeubles, le 30 et le 34, qui a son entrée 68 rue Blanche.

409   Edmond Lepelletier (Edmond Le Pelletier de Bouhélier, 1846-1913), journaliste et poète, que l’on ne confondra pas avec son fils, Stéphane-Georges Lepelletier de Bouhélier (1876-1947), dit Saint-Georges de Bouhélier. Notre Edmond Lepelletier, ami d’enfance de Verlaine a été député (Républicains nationalistes) de la Seine de 1902 à 1906. Il habitait au 17 rue de la Roquette en 1883.

410   C’est de cette histoire de conscription que nous vient l’expression « tirer un bon numéro » ou « un gros numéro ». Pendant tout le XIXe siècle l’affectation au service militaire ne concernait pas tous les Français et seuls ceux qui avaient tiré un petit numéro partaient faire leur service militaire, qui durait plusieurs années. On a vu le résultat en 1870. Donc à partir de 1872 le service militaire est devenu obligatoire pour tous et ce tirage au sort n’a plus déterminé que la durée de ce service, d’un ou de cinq ans. Ce n’est qu’à partir de 1905 qu’une durée de deux ans unique pour tous a rendu inutile ce tirage au sort. On a vu le résultat en 1918.

411   La mairie du six rue Drouot est celle du IXe arrondissement depuis 1859 où Paris est passée de douze à vingt arrondissements.

412   Georges Lafenestre (1837-1919), historien de l’art et poète, a été conservateur au musée du Louvre, membre de l’Académie des Beaux-Arts en 1892.

413   Armand Renaud (1836-1895), poète proche de Stéphane Mallarmé, inspecteur des Beaux-arts de la Ville de Paris.

414   Léon Valade (1841-1884, à 43 ans), poète et auteur dramatique discret.

415   Albert Mérat (1840-1909), poète.

416   Louis-Xavier de Ricard (1843-1911) a été le fondateur de la Revue du Progrès moral, littéraire, scientifique et artistique, qui a accueilli Monsieur Prudhomme, le premier poème de Paul Verlaine à l’été 1863. Louis-Xavier de Ricard est surtout connu pour être le responsable, avec Catulle Mendès, de la publication, chez Alphonse Lemerre du premier volume du Parnasse contemporain en 1866 qui rassemble 37 poètes sur 287 pages, dont huit poèmes de Paul Verlaine. Dans l’hebdomadaire Les Hommes d’aujourd’hui (non daté mais vraisemblablement de 1890), Paul Verlaine a dressé un portrait (écrit) de Louis-Xavier de Ricard pendant que Manuel Luque dressait son portrait-charge en une, ainsi qu’était l’usage de cette revue.

417   François Coppée, Le Reliquaire, Alphonse Lemerre, imprimé le vingt octobre 1866, 172 pages. « Comme les prêtres catholiques, / Sous les rideaux de pourpre, autour / De la châsse où sont les reliques, // Brûlent, dans leur mystique amour, / Les longs cierges aux flammes pures, /Fauves la nuit, pâles le jour, »…

418   Ces Poèmes saturniens sont parus à compte d’auteur chez Alphonse Lemerre en 1866 à 500 exemplaires. L’achevé d’imprimé étant le même jour, ce qu’a remarqué Paul Léautaud mais rien n’indique que les deux ouvrages soient sortis le même jour alors qu’ils se seraient fait ainsi concurrence.

419   Paul Verlaine, Les Fêtes galantes, Alphonse Lemerre (achevé d’imprimer le vingt févier 1869 à compte d’auteur, 360 exemplaires, 56 pages.

420   Paul Verlaine, La Bonne Chanson, (achevé d’imprimer le douze juin 1870). La guerre de 1870 devait débuter officiellement 37 jours plus tard. Bien que publié à compte d’auteur, Alphonse Lemerre préféra retarder la vente de l’ouvrage imprimé, qui n’a été disponible qu’en 1872… chez Léon Vanier. (Après la guerre, qui s’est achevée fin janvier, il y a eu la Commune jusqu’en mars 1871). Ainsi les exemplaires d’Alphonse Lemerre sont recouverts d’une étiquette « Léon Vanier » mais ne se sont que très peu vendus. 38 pages.

Étiquette de Léon Vanier sous le logo d’Alphonse Lemerre.
Assez exacte reconstitution d’après une très mauvaise photographie

421   Paul Verlaine a épousé le onze août 1870 (donc pendant la guerre) Mathilde Mauté (1853-1914).

422   La mère de Mathilde Mauté, Flore Chariat (1812-1883), avant d’épouser Théodore Mauté avait été premièrement mariée avec Pierre Louis Sivry qui lui avait donné un fils, Charles Erhard de Sivry (1848-1900), dont aucun éditeur de disque n’a de nos jours à son catalogue les quelques opérettes ou ballets qu’il a pu composer.

423   Georges Verlaine (1871-1926). L’alcoolisme violent de Paul Verlaine l’éloignera de son fils qui, malgré la protection des nombreux admirateurs de la poésie de son père, ne parviendra pas à faire carrière dans le journalisme. On le retrouvera poinçonneur de tickets de métro, puis chef de station. Lire en une du Comœdia du 28 avril 1924 l’article de Maurice Hamel « La modestie et la philosophie de Georges Verlaine » (deux colonnes entières avec photos).

424   Page 24.

425   Paul Verlaine, Romances sans paroles, Ariettes oubliées, Paysages belges, Birds in the night, Aquarelles. Sens, Typographie de Maurice L’Hermite, 1874, 49 pages, sans date d’impression.

426   Note de Paul Léautaud : « Paul Verlaine, Sa vie, Son Œuvre. Mercure de France, 1907. » « Avec un portrait reproduit en héliogravure et un autographe », 568 pages. Le passage cité par Paul Léautaud se trouve page 163 dans le chapitre « La Prison de Mons ».

427   Henry Bauër (1851-1915), fils naturel d’Alexandre Dumas, écrivain, critique et journaliste. Voir André Billy, Le Pont des Saints-Pères, chapitre XI, page 196. Son fils, Gérard sera, comme son père, rédacteur à L’Écho de Paris.

428   Paul Verlaine, Sagesse, Société générale de librairie catholique, novembre 1880, daté 1881, 106 pages.

429   La ville de Rethel se trouve à mi-distance, entre Reims et Charleville.

430   De nos jours Coulommes-et-Marqueny, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Rethel.

431   Peut-être page 209 : « Une escroquerie, de la part d’un abbé, lui enleva ses derniers picaillons. » Il s’agit de l’abbé Salard.

432   Le Réveil est paru du deux juillet 1868 au 23 janvier 1871 puis du quatre octobre 1877 jusqu’en mars 1922.

433   Paul Verlaine, Les Mémoires d’un veuf, offert à Edmond Lepelletier, Léon Vanier 1886, 224 pages.

434   L’Art poétique a d’abord été publié par Léon Vanier dans sa revue Paris moderne du dix novembre 1882 (pages 144-145) avant d’être intégré dans le volume Jadis et Naguère paru chez Léon Vanier en décembre 1884 (160 pages, 500 exemplaires). Dans cette revue Paris moderne nous trouvons aussi des poèmes de Léon Valade et Albert Mérat, cités en notes ci-dessus.

435   Les Poètes maudits, est paru une première fois en 1883 dans Lutèce, ce qui en fait, avant Les Mémoires d’un veuf, le premier texte imprimé en prose de Paul Verlaine. Ce Poètes maudits est ensuite paru en volume l’année suivante chez Léon Vanier et enfin dans une édition augmentée et « ornée de six portraits par Luque » chez le même éditeur en 1888 (103 pages). Les six portraits de Manuel Luque de cette dernière édition correspondent aux six poètes abordés dans le volume : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud*, Stéphane Mallarmé*, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l’Isle-Adam et le Pauvre Lélian lui-même en ouverture du volume, bien que ce texte soit le dernier. C’est un de ces portraits qui ouvre ici la notice de Tristan Corbière.

436   « Pauvre Lelian » est l’anagramme de Paul Verlaine. Le é fautif de l’édition papier a été rétabli ici en e.

437   Edmond Lepelletier op. cit. page 515.

438   Cet hôpital se trouve tout au sud de Paris, près de la porte de Vanves. Il s’agissait à l’époque d’un hôpital tout neuf, ouvert en 1883 suite à une épidémie de typhoïde l’année précédente et construit en moins de trois mois (83 jours). Malgré cette rapidité, l’épidémie était terminée à l’ouverture de l’hôpital au premier novembre 1883 et de nombreux lits se trouvèrent disponibles.

439   Pour ces soirées de la revue La Plume, voir l’article de Julien Schuh « Les dîners de La Plume » dans la revue Romantisme de 2007/3 (numéro 137), pages 79 à 101 (https://is.gd/wLKsMy). Dans sa préface au catalogue de l’exposition Paul Verlaine de 1946, Paul Léautaud a écrit : « J’allais aussi de temps en temps au Caveau du Soleil d’Or, Place Saint-Michel, où des chansonniers chantaient leurs chansons, où des poètes disaient leurs vers. Il était là, assis à une table, devant un breuvage, fumant sa pipe, ayant l’air d’écouter, je dis : l’air…, certainement l’esprit plutôt ailleurs, ou somnolent, sous l’effet d’un état d’ivresse qui paraissait lui être constant. » La série de photographies de Paul Verlaine attablé dans un café, par Dornac, a été prise au café François Ier du 69 boulevard Saint-Michel, près de la station de la ligne de Sceaux.

440   Journal de Jules Renard au neuf mars 1892 : « Hier, dîner de La Plume. […] L’effroyable Verlaine : un Socrate morne et un Diogène sali ; du chien et de l’hyène. Tout tremblant, se laisse tomber sur sa chaise qu’on a soin d’ajuster derrière lui. Oh ! ce rire du nez, un nez précis comme une trompe d’éléphant, des sourcils et du front ! / […] Puis on apporte un peu de charcuterie à Verlaine qui rumine. / Au café, on le tire avec des « maître », « cher maître » ; mais il est inquiet, et demande ce qu’on a fait de son chapeau. Il ressemble à un dieu ivrogne. Il ne reste de lui que notre culte. Sur une ruine d’habit, — cravate jaune, pardessus qui doit être en plus d’un endroit collé à la chair —, une tête en pierre de taille de démolition. » Pléiade 1965 page 165.

441   Le théâtre du Vaudeville se trouvait à l’époque au numéro 2 du boulevard des Capucines, à l’angle de la rue de la Chaussée d’Antin, où l’on trouve de nos jours un cinéma Gaumont en cours de réaménagement par l’architecte Renzo Piano et qui ouvrira en 2024.

442   Paul Verlaine, Les uns et les autres, comédie en un acte, en vers (dix scènes). Le texte de la pièce a été publié chez Léon Vanier en 1891 (36 pages), qui précise : « représentée pour la première fois au théâtre du Vaudeville par les soins du théâtre d’Art le 21 mai 1891 » Cette comédie est dédiée à Théodore de Banville.

443   Cette année 1891, Catulle Mendès a fait représenter au moins deux petites œuvres au théâtre, deux pantomimes : Le Collier de saphirs et Chand d’habits !

444   Le café Procope est le plus ancien café-restaurant de Paris, fondé en 1686. Il existe toujours, devenu bien touristique car présent dans tous les guides, au treize rue de l’Ancienne comédie.

445   Paul Verlaine, Madame Aubin, cinq scènes.

446   Les « princes des poètes » sont élus à vie. Leconte de Lisle a été le premier « Prince des poètes » de l’époque moderne (après Clément Marot et Ronsard), et ne l’a été qu’un an. Il a été suivi de Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé*, Léon Dierx, Paul Fort, Jules Supervielle, Jean Cocteau… Paul Léautaud précise perfidement, pour Paul Verlaine, « à 77 voix », ce qui est fort peu.

447   Edmond Lepelletier op. cit. page 531 : « Paul Verlaine eut un instant l’idée, sans doute suggérée par quelque plaisant compagnon de beuverie, de se présenter à l’Académie. »

448   L’hôpital Saint-Louis est un des plus anciens hôpitaux de Paris (mais à Paris presque tous les hôpitaux sont vieux), construit au tout début du XVIIe siècle pour — comme l’hôpital Broussais — répondre à une épidémie. Il se trouve près de la gare de l’Est. On peut lire à propos de cette hospitalisation (mais est-ce bien celle-ci ?) l’article d’Anatole France « Un poète à l’hôpital », paru en page deux du Temps du 23 février 1890.

449   Cet hôtel se trouvait alors au quatre rue de Vaugirard, dos au boulevard Saint-Michel. À cette adresse se trouve toujours un hôtel, sans doute bien plus confortable de nos jours (160 €uros la minuscule chambre seule de treize mètres carrés).

450   Gabriel Vicaire (1848-1900) ne reste plus connu aujourd’hui que par sa facétieuse collaboration avec Henri Beauclair (1860-1919) sous le pseudonyme commun d’Adoré Floupette, sous lequel ils ont publié les poèmes décadents Les Déliquescences chez « Lion Vanné » en 1895 (80 pages).

451   Ernest Renan (1823-1892), a épousé en 1856 Cornélie Henriette Scheffer (1830-1894) qui lui a donné trois enfants, Ary, Ernestine et Noémi. Ary Renan(1857-1900, mort à 44 ans), peintre.

452   La rue Descartes est à l’est du lycée Henri IV. Une plaque signale l’endroit.

453   Les textes de l’immense somme d’Anatole France parus en cinq volumes chez Calmann-Lévy reprennent les articles parus dans la presse. Celui sur Paul Verlaine est paru dans Le Temps du 23 février 1890, déjà évoqué ici en note 448.

454   Jules Lemaître, Les contemporains, études et portraits littéraires, (fin du chapitre III), Lecène et Oudin, 1886.

455   Rodo (Auguste de Niederhausern 1863-1913), sculpteur suisse. Ce monument à Paul Verlaine date de 1911. Cette statue se trouve à l’ouest du jardin du Luxembourg, proche de la statue de Gabriel Vicaire, sa voisine. Le musée d’Orsay possède une autre statue en plâtre du même Rodo, datant de 1902.

Francis Vielé-Griffin456
1864

Francis Vielé-Griffin, portrait-charge par Manuel Luque pour Les Hommes d’aujourd’hui numéro 326 du printemps 1888

M. Francis Vielé-Griffin est né à Norfolk (Virginie), États-Unis457, le 26 mai 1864. Il vint en France dès sa jeunesse. Il y a fixé, depuis, sa vie. Il la passe tour à tour à Paris et dans ses propriétés provinciales. Ce fut pendant longtemps en Touraine. Il avait pour cette province une dilection particulière, qu’il a exprimée dans nombre de ses poèmes, chantant le fleuve qui la traverse :

La lente Loire passe altière et d’île en île
Noue et dénoue au loin son bleu ruban moiré.

Il l’a quittée depuis quelque temps pour la Dordogne, dont les paysages plaisent mieux sans doute à son esprit.

Les premiers vers de M. Francis Vielé-Griffin parurent dans Lutèce en 1885. Ils furent ensuite réunis dans une plaquette, Cueille d’avril458. D’autres recueils suivirent : Les Cygnes459, Joies460, Diptyque461, La Chevauchée d’Yeldis462, avec lesquels il montra une originalité-poétique qui n’a pas cessé depuis de s’affirmer. De 1890 à 1892, il fit paraître avec Bernard Lazare et Paul Adam Les Entretiens politiques et littéraires, revue dans laquelle la plupart des écrivains symbolistes arrivés à la notoriété publièrent leurs premières œuvres. Il y exposa, pour sa part, dans de nombreux articles, ses théories d’une poétique nouvelle. M. Francis Vielé-Griffin a ce grand mérite d’avoir conformé son œuvre à ses théories. S’il y a un poète du vers libre, au sens exact de cette expression, c’est lui, uniquement lui. Le vers libre qu’il écrit n’a rien, comme on le voit ailleurs, d’une désarticulation plus ou moins habile de l’alexandrin régulier. De cet alexandrin, il a tout rejeté, « les gentilles difficultés vaincues, le bon vieux rythme numérique et carré, le jeu puéril des césures, l’or un peu fané des rimes masculines et féminines, la cheville artiste, etc. » ainsi qu’il a écrit quelque part463. Nous dirons, nous : toutes ces pratiques faciles, vite acquises, qui font le plus grand tort à la poésie en permettant de faire des vers à des gens qui ne sont pas le moins du monde poètes. Le vers libre qu’écrit M. Francis Vielé-Griffin n’a bien d’autre rythme que celui des paroles qui chantent dans son esprit. Dire cela, c’est définir la forme poétique par excellence, et la poésie même. Nous sommes loin, avec son œuvre, de la vieille routine de l’alexandrin. M. Francis Vielé-Griffin n’a imité personne, ni suivi le chemin d’aucun autre. On ne trouve rien dans ses poèmes de ces « motifs » cent fois repris, véritables lieux communs des poètes. Ce qu’il exprime est bien à lui et c’est vraiment la poésie qui chante dans ses poèmes. Comme l’a écrit Remy de Gourmont*, parlant de la force et de l’essence de son art, « il y a, par M. Francis Vielé-Griffin, quelque chose de nouveau dans la poésie française464 ». On en pourra juger par les pièces que nous donnons : une sorte de fraîcheur, de légèreté, d’allégresse, même dans la mélancolie et dans la gravité, quelque chose d’aérien et de chantant, ce qui monte vraiment du cœur aux lèvres du poète devant les mille choses de la vie qu’il contemple ou qu’il éprouve. Après vingt années qu’elles ont été écrites, le même enchantement prend à lire des pièces comme les poèmes de Plus loin465 ou de La Clarté de Vie466, tant s’y exprime vraiment un poète.

Après cela, il faut bien le dire, M. Francis Vielé-Griffin a un peu payé cette fierté et cette originalité de son œuvre. C’est un peu le lot des écrivains, qu’ils soient poètes ou prosateurs, pour qui écrire consiste d’abord à s’exprimer soi-même. Il n’a pas absolument dans les lettres d’aujourd’hui, au point de vue du public, s’entend, la place qu’il mérite et qui lui est due, — et qu’il n’a d’ailleurs rien fait pour conquérir, dédaigneux de se montrer comme de faire parler de lui. Elle lui sera donnée un jour et nous pensons bien que cette certitude lui suffit.


456   Francis Vielé-Griffin, dernier des Poètes d’aujourd’hui dans l’ordre alphabétique, y est entré dès la première édition en 1900. La notice des éditions de 1900 et de 1908 ont été rédigées par Adolphe van Bever. La notice que nous lisons ici a été réactualisée par Paul Léautaud. Journal littéraire au vingt septembre 1927 : « Dimanche, travaillé toute la journée à me mettre en règle pour les Poètes. J’ai fini. L’imprimerie peut se mettre au travail. Elle a de quoi faire. Je n’ai plus comme travail sérieux que les notices Porché, Valéry et Vielé-Griffin. Je ne les laisserai pas traîner. Ensuite, le travail de correction n’est rien. Je le ferai au Mercure. » Jeudi huit août 1929 (près de deux ans plus tard) : « Il va falloir que je me mette jusqu’au cou dans le travail des trois notices qui manquent pour les Poètes d’aujourd’hui, édition en trois volumes : Porché, Valéry et Vielé-Griffin. On n’attend plus que moi pour tirer le troisième volume. Quand cela sera fait, quel débarras pour moi. » Voir aussi au 19 novembre 1928.

457   Francis Vielé-Griffin est le fils d’Egbert Ludovicus Viele (1825-1902), topographe américain, ingénieur civil de l’État en 1854 après avoir été officier en 1847 dans l’armée de l’Union pendant la guerre civile américaine. Egbert Viele est l’auteur d’une carte sanitaire et topographique de la ville de New York et de Manhattan publiée pour la première fois en 1865, indiquant les ruisseaux, marais (y compris Central Park) et littoraux de la ville de New York. Cette carte est encore utilisée de nos jours pour les nouvelles constructions.

458   Francis Vielé-Griffin, Cueille d’avril, Léon Vanier 1886 (achevé d’imprimer à compte d’auteur le dix novembre 1885), 63 pages.

459   Francis Vielé-Griffin, Les Cygnes, nouveaux poèmes, 1890-1891, Léon Vanier Janvier 1892, 107 pages.

460   Francis Vielé-Griffin, Joies, Tresse et Stock 1889, 139 pages. Ce livre ouvre sur une dédicace formée de douze décasyllabes mais surtout une note « Pour le lecteur » qui est le fondement de ce que seront les Entretiens politiques et littéraires : « Le vers est libre ; — ce qui ne veut nullement dire que le “vieil” alexandrin à “césure” unique ou multiple, avec ou sans “rejet” ou “enjambement”, soit aboli ou instauré ; mais — plus largement — que nulle forme fixe n’est plus considérée comme le moule nécessaire à l’expression de toute pensée poétique ; que, désormais comme toujours, mais consciemment libre cette fois, le Poète obéira au rythme personnel auquel il doit d’être, sans que M. de Banville ou tout autre “législateur du Parnasse” aient à intervenir ; et que le talent devra resplendir ailleurs que dans les traditionnelles et illusoires “difficultés vaincues” de la poétique rhétoricienne : — L’Art ne s’apprend pas seulement, il se recrée sans cesse ; il ne vit pas que de tradition, mais d’évolution. / Juin 1889. » Ce texte sera parfois nommé « manifeste du vers libre ». Le lecteur des notes de ces notices sait qu’il n’a pas été le seul.

461   Francis Vielé-Griffin, Diptyque, Les Entretiens politiques et littéraires, mars 1891, 39 pages. Les poèmes de ce Diptyque mettent évidemment en pratique le manifeste de la note précédente.

Envoi de Dyptique à Stéphane Mallarmé

462   Francis Vielé-Griffin, La Chevauchée d’Yeldis, et autres poèmes (1892), Léon Vanier, février ou mars 1893, cent pages.

463   Adolphe van Bever cite l’excellent Le Symbolisme d’André Barre (Jouve 1911, page 363), qui lui-même ne cite pas sa source.

464   Phrase conclusive du chapitre Francis Vielé-Griffin du Livrre des masques.

465   Francis Vielé-Griffin, Plus loin (La Pertenza — In memoriam Stéphane Mallarmé — L’Amour sacré), Mercure avril 1906, 228 pages.

466   Francis Vielé-Griffin, La Clarté de vie (Chansons à l’ombre — Au gré de l’heure — In memoriam — En Arcadie), Mercure mai 1897, 233 pages. La critique d’Henri de Régnier pour ce recueil est parue dans le Mercure d’août 1897, page 334.


Notices du tome III à télécharger :