A pas de loup ma muse est entrée dans ma chambre.
Elle avait dans les yeux des éclats fauves d’ambre.
Mystérieuse et pâle, elle gagna mon lit,
Porteuse d’un bouquin qui sous les draps se lit.
Nous regardions tous deux les dessins du plafond
Dont les motifs, serrés, se font et se défont.
Une araignée, parfois, descendait sur son fil
Jusqu’à sonder, craintive, un bord courbé de cil.
Nous nous passions la pomme, à la vie à la mort,
Dévorés de désir, sans l’ombre d’un remords.
Elus depuis ce jour par un tranquille sort,
Nous eûmes dans nos mains les coffres d’un trésor
Qui s’ouvre avec les yeux aux lointaines contrées
Où la lune et l’amour se sont tôt rencontrées.
Partageant des moments entre tous préservés,
Il nous sortait du coeur de soupirants avés.
Quand l’oreiller redit la source osée d’un rêve,
L’échouage assumé d’un esquif sur la grève,
Nous voguons derechef, sans sursoir à l’ardeur
Qui nous prend au lever d’une sûre raideur.
Elle et moi nous avions tout l’intime en partage.
Nous fuyions, envivrés, l’impudique battage.
La ferveur est contraire à la lubricité
Quand un silence seul a le droit de cité.
L’intellect et la chair produisent des ébats
Qui subliment le corps avec quelque superbe
Au nom du bel accord de la verve et du verbe
Dont l’ivresse vaut mieux qu’un acharné débat.
En toute chose ici, l’évanescence prime.
Ainsi que l’aile d’or d’une aérienne rime,
Nous nous fondions au ciel dont notre âme procède.
Se peut-il que, pour nous, Dieu Lui-même intercède
Et nous mette à l’abri de ce mal né du monde
Qui pousse les cerveaux à contempler l’immonde ?
Nous vivions, esseulés sur notre île d’extase,
Une harmonie sacrée telle une iconostase.
Nous avions pour motus le plaisir flamboyant
Contre la retenue du vieil ordre aboyant.
Nous ne faisions, pourtant, point fi de la morale
Qui restait dans le ton de notre pastorale.
Nos excès n’étaient pas signe d’une débauche.
Nos bras ne tendaient pas vers l’équilibre gauche
D’une mise à l’étal de sentiments exquis.
Le territoire heureux que nous avions conquis
Etait fait, je le sais, d’une saine abondance.
Notre complicité tenait de l’évidence.
L’air que nous respirions portait notre nature
A jouir de l’instant comme un couple mature.
Eve était mon aurore et j’étais son soleil.
La nuit ouvrait pour nous les portes d’un sommeil
Aussi clair que le jour qui nous cueille au réveil.
Depuis le crépuscule aux lueurs transcendantes,
Jusqu’à l’azur pourpré des profondeurs ardentes,
Tout peignait l’ineffable espace d’un éveil.
Un or incandescent habitait son regard,
Où l’iris en ses feux couchait un horizon.
Nous nous savions baignés d’un songe à tous égards
Brillant au firmament lorsque fuit la raison.
Nous goûtions une paix inconnue de la terre,
Une attente comblée enceinte de mystère.
Nous ignorions qu’aimer ne s’improvise pas,
Que l’étoile s’étreint au risque d’aveugler.
Le temps se dérobait sous l’empreinte des pas
Que nous posions ensemble en un ballet réglé
Comme du papier à musique, pour toi,
Qui nous tenait unis. S’emballant quelquefois,
Le rythme nous grisait, comme d’une nacelle
Que nous croyions tenir au bout d’une ficelle.
L’espoir, ce garnement, nous mène par la main
Vers de magiques bois, puis nous laisse en chemin.
Le bonheur ne tient-il au boire et au manger ?
A la sieste que rien ne viendrait déranger ?
Aux honneurs, à la gloire, aux serments des amis,
Aux chers événements où nous nous trouvons mis ?
Cela ne suffit-il à combler d’absolu
Les chapitres dorés d’un livre vite lu ?
Le bonheur, en effet, n’est qu’un topinambour
Qui s’en va par les rues battre d’un vieux tambour !
La faim sans appétit, la soif sans idéal,
Dont on suit malgré soi le tremblotant fanal,
La carrière embrassée qu’un avenir efface,
Tourments, doutes, dépit, tel qu’un vent pris de face,
Voilà qui définit une existence étroite
Qui, quoique zigzaguant, demeure toujours droite.
Ce qu’il faut, à mon sens, pour détourner la vie
Du bal discontinu des regrets, de l’envie
Qui nous pousse à semer une vaine récolte,
C’est l’audacieux chant d’une folle révolte,
Nous saisissant au point de culbuter le doute,
La fraîcheur inspirée d’une aube irréfragable
Qui tourne en sa faveur l’alarme irrémédiable,
Faisant fi de nos peurs en travers de la route.
Ce qu’il faut de vernis à cet étrange songe
Pour aiguiser l’attrait de son vieux mensonge,
Naît de ce que je crois cerner avec la coupe
D’ambroisie de l’Amour qui se rit de la soupe
Qu’on nous sert à sa place avec l’air ébahi
De quelque amphitryon qui te voudrait sa dupe.
Mais une dévotion à l’instant m’envahit
Pour ne point appeler figue une simple drupe.
Je voudrais vous conter, en dix chants de cent vers,
L’épopée contrastée de mes gains et revers.
La pomme d’or mythique, orgueil des Hespérides,
Depuis les premiers temps ne souffre aucune ride.
Ma muse Eve y croqua avec fougue et jeunesse,
S’étant acquis depuis un certain droit d’aînesse
Pour brandir le flambeau et paver le périple
Dont je suis, quant à moi, le fidèle disciple.
Ne s’agit-il toujours de guider les nations
Vers des ailleurs meilleurs enchantant nos actions ?
Tel un soldat jeté dans une casemate,
De cette humanité, je porte les stigmates.
Les travaux de l’esprit appellent des combats
Qui se livrent debout contre l’obscurité
Percée du demi-jour qui me sert de clarté.
Mon honneur malmené, sur le terrain se bat.
Je dois élucider le problème éternel
Que l’on fit rejaillir sur la Femme fautive.
Il me faudra mener jusqu’en haut de l’estive
Le troupeau des idées que je destine au ciel.
Cette féminité dont on lui fait procès
Ne va pas sans un charme instillant le danger.
La sensualité auquel il donne accès,
Dans sa forme et son art, se savait déranger.
L’Eglise se fâcha de ces égarements
Lui opposant bientôt de sombres châtiments.
Alors Eve devint de plus en plus rebelle.
Ses torts ne venaient-il du fait qu’elle était belle ?
Sa nudité parfaite engendrait une offense
Dans l’esprit de ceux qui voulaient la condamner.
Il importait ici-bas de prendre sa défense.
La Terre est un exil. Haut, les chants du damné !
Nous, les enfants de Dieu, sommes des galériens.
Nous nous entretuons pour de dantesques riens.
Depuis la création sordide du péché
Qui maintient dans l’étau commode de son joug
L’Homme, ce prisonnier, par des fers empêché,
Dont la critique fin se joue et se rejoue,
M’a transmis dans sa chute, un vide spirituel
Que rien ne vient combler, sauf le vice habituel.
Si mon propos, touffu, s’étirait en longueur,
Eve, consciencieuse, écoutait mes histoires
En plaçant ça et là un mot sur mes déboires
Qui conférait du sens aux cruelles langueurs.
Je me désespérais d’une enfance éblouie
Par toute la promesse auréolée du monde.
Si je l’avais connue plus tôt, moins épanouie,
N’aurais-je pas mieux su les secrets de sa fronde ?
Ne l’aurais-je pas vue grandir à la mesure
Du soin qu’elle mettait à être originale
En tout ? Quant à sa voix, elle aussi peu banale,
Elle aurait eu pour moi cet accent qui rassure
Ainsi qu’une berceuse aux notes fredonnées.
Avec toi des valeurs m’auraient été données,
Comme la confiance et la sérénité,
Autant que l’insouciance et la témérité.
Car je reste aujourd’hui ce vieux clown angoissé,
J’aurais peut-être pu noyer dans un mirage
Les pliures de sang du papier défroissé
Qui m’avait vu peiner sous le faix d’un ouvrage.
Très jeune commencé, je le refis cent fois
En perdant peu à peu, dans l’élan toute foi.
C’était un long poème, à mes rêves dédié
Qui portait un humour caustique et familier
Que je ne croyais pas devoir se mésallier
Avec un apparent sérieux dans le propos
Lorsque je le faisais cacqueter sur le pot.
Propulsés par le rire aux rouages divers,
L’absurde et l’ironie ne font-ils bon ménage ?
J’apprécie la verdeur, encore qu’à mon âge
Je veuille tempérer de ces vers par trop verts
Heureux de s’affaler dans une paillardise
Qui leur paraît, en bouche, une vraie gourmandise.
Ne peut-redonner ses lettres de noblesse
Cependant à l’humour burlesque, qui, je crois,
Pourrait nous soulager des quelques lourdes croix
Que nous endossons tous par habitude ou choix ?
Une oeuvre, dites-vous, dans cette fange choit
Dès que le ton, léger, vire soudainement
Pour s’amuser d’un vent qui se lève et retombe
Pareil au cavalier tout fiérot sous sa bombe
Que Pégase, distrait, de moment en moment,
Par la force d’un nom, fait sauter en cadence,
Comme s’il s’agissait d’une atypique danse.
L’alacrité fleurie n’est pas grossièreté
Qui s’amuse de tout pourvu que le sujet
Trivial et sans façons contienne quelque objet
Ou fasse état d’un sens inné de l’aparté.
Mais j’ai failli, je pense, à prouver qu’un mouton
Puisse recoudre seul, d’un manteau le bouton.
Ma rencontre avec toi s’avère un privilège
A nul autre pareil dont la marque m’allège.
Et ta voix monte en moi, qui m’inspire et m’élève
Et me fait ressentir comme un poids qui s’enlève.
Mais revenons plutôt à mon conte, veux-tu ?
Je ne veux pas te perdre en ces détours tortus
Que ma plume veut prendre, en cela buissonnière.
Les loups doivent savoir rentrer dans leur tanière.
Aussi, fi des écarts ! Me revoilà chez nous
A rire de nos jeux, les mains sur mes genoux.
Nous nous donnions pour lampe un phare océanique
A même d’éclairer notre asile édénique.
Nous allions par des mers, au large de tes côtes
Qui semblaient s’apprêter à des appareillages
Quand, à la barre, nous partions pour des mouillages
Dont, obélisque à part, nous demeurions les hôtes
Durant les jours comptés de notre éternité.
Notre quête accomplie, le puits de vérité
Nous montrait une image embellie des narcisses
Que nous savions y voir dans nos preux exercices.
J’étais, il va sans dire, un chevalier servant
Terrassant maints dragons, la tête dans le vent.
J’aurais été pour elle un trappeur délicat,
Un orpailleur de mots, un barde en Alaska,
Un trouvère perdu dans l’ocre de ses yeux
Qui l’aurait adorée, ne sachant faire mieux,
Un gangster au grand coeur, un nabab épatant,
Jusqu’à même incarner un glorieux charlatan,
Pourvu que son sourire épouse le rivage
De ma lèvre enflammée, puis que le coquillage
Formé par nos baisers fige un instant la mer
Sous l’arche enamourée d’une fusion des coeurs.
Je ne dis pas cela sans un soupir amer
Depuis qu’un souvenir s’assortit de rancoeurs.
Le plus grand bien ne vient pas sans grande douleur.
La faucheuse, voilée, singea notre pâleur
Quand on la vit, tout près, tenir son embuscade.
N’étions-nous dépourvus de poivre ou de muscade
Pour épicer la fête à présent finissante ?
Mon Eve m’observait, haleine frémissante,
Comme si j’allais dire une phrase imparable
Qui sauverait la mise. Impuissant, je me tus.
Et depuis je subis les silences têtus
Qui s’épuisent à faire un cercle secourable
Autour du désespoir qui rôde dans ma tête
Avec l’angoisse sourde en des flonflons de fête.
Après avoir courru le plus fabuleux lièvre,
Avoir connu les pics d’une amoureuse fièvre,
Je ne savais comment continuer le Livre
Que ses bras dessinaient, comme au creux d’une attente
Mystique et magnifiée qu’un plus haut dessein tente.
Après l’avoir écrit non sans une fronde ivre,
Me faudrait-il jamais l’achever et mourir ?
Le destin de ma Pomme était-il de pourir ?
Tandis que je cherchais à poursuivre un chapitre,
Une araignée velue sortit de mon pupitre.
Eve s’en effraya par un bond de côté.
Cependant que j’étais par la peur garroté,
La bête, prestement, vint à noircir ma page,
Accompagnée bientôt d’un bizarre équipage.
Tout à coup fasciné par ce que je voyais,
Je suivis, dans son vol, un cygne qui ployait
Sous des bris de miroir aux bords démesurés.
L’animal qui poussait des cris désemparés
Etait en outre pris dans la nasse des vents.
Par-dessus ce tableau, une kyrielle d’anges
Descendait d’un nuage, escortés de mésanges.
Tout roses de plaisir, en des bruits fort savants,
Nos messagers zélés soufflaient l’air d’une trompe.
Avant que ce décor dans l’éther ne se rompe,
Un coursier monstrueux freina des quatre fers
Comme, sortis d’un trou, pavoisaient mille vers.
Pour couronner le tout, je vis Guillaume Tell
Loger à la Grand Ourse, un terrifiant hôtel.
Mes visions, tout à coup, vinrent de chavirer.
Quand fuyant les écarts qui me firent virer,
Je pus me ressaisir, noircie par l’araignée,
Ma page ne montrait que des pattes de mouche.
L’illusion s’amplifiait et tout devenait louche.
Ma muse se plaignait de se voir dépeignée.
Il me faut toutefois le reconnaître ici.
La noble inspiration, en moi s’était tarie.
Ma peine me faisait l’effet d’une otarie
Qui n’eusse feint des pleurs au lénifiant récit
Que pour partir d’un rire énorme et graveleux.
Et pourtant je n’avais aux bras pas que des bleus
Mais un fumant cratère où la terre vibrait.
Sauf à penser qu’écrire, en un mot, libérait
De nombre de tourments, le poète vaincu
Par ses démons secrets ; qu’en être convaincu,
Miraculeusement, apaisait l’affligé ;
Il n’était nul langage, en somme, qui fût fait
Pour consoler jamais, en ce monde imparfait,
Le solitaire enfant qu’un père a corrigé
Parce qu’il a perdu son nounours au marché.
Ne s’entend-il, d’ailleurs, dire qu’il l’a cherché ?
Quimporte, il me fallait me plonger dans le Livre
Que je rêvais de vivre, en vue de le poursuivre.
Eve allait et venait dans ma chambre fermée.
N’avais-je pas promis qu’elle y serait aimée ?
Je ne savais comment prolonger notre histoire
Par de ces grands élans sortis de l’écritoire.
Je devinais parfois un souffle épique en moi
Qui retombait d’un coup faute d’une aventure
Capable d’apporter, puissant, son lot d’émois.
Mes brouillons témoignaient de constantes ratures.
Eve méritait mieux qu’un médiocre talent.
Je me faisais l’effet d’être un orateur lent,
Laborieux et peu fait pour aimanter la foule.
Mon navire tanguait, balloté par la houle,
Mais il ne coulait point en dépit des efforts
Produits pour contenter les spectateurs du fort.
Te souviens-tu du jour de ton premier poème ?
Cet acte débuta notre vie de bohème.
Tu te sentis voler des ailes dans un rêve
Au soleil fabuleux, se mourant sur la grève.
Tu ne pouvais douter, vu l’ardeur de tes larmes,
D’être enfin reconnu pour les maux de ton âme.
Des portes s’ouvriraient qui te laisseraient voir,
Par les matins d’été, l’eau vive d’un miroir.
Ce miroir intérieur saurait bien réfléchir
Ton présent, ton passé, dans l’objet d’une quête.
La douleur trouverait bientôt à s’infléchir
Quand tu réussirais à changer l’étiquette
Labellisant ton mal en partie nécessaire :
Voici que tu deviens quelque vaillant corsaire
Qui lutte contre un sort qui le vit malheureux.
Te voici devenu jovial et valeureux.
Ta transformation t’étonne le premier.
Tu crées un personnage et l’incarne bientôt.
Tu te découvres clown, châtelain de tréteau.
Tu te fais l’arpenteur d’un monde qu’un dernier
Soupir de tragédie menace de frapper.
Tu te rends au constat que le rire est une arme
Face au dépit fatal qui viendrait te happer.
Tu ne t’inquiètes plus d’une modeste alarme.
Tu vis l’adolescence ainsi qu’un âge heureux
Qui, malgré les défis, mènera quelque part.
Tu tournes la lorgnette et change ton regard.
Tu découvres ce que cet enfant si peureux
Que tu étais pourrait reprocher à l’adulte.
Comment le consoler du sentiment de perte
Qui vint, avec le deuil, après sa classe verte,
D’un grand père féru de Friends , la série culte ?
Vous regardiez toujours chaque saison ensemble.
Je sais, François, combien cette complicité
Lui manqua par la suite et combien te ressemble
L’inconsolable enfant qu’alors tu as été.
La vie est ainsi faite et le meilleur en naît
Comme le pire, en somme. Ainsi, je reconnais
Que j’aurais bien voulu entendre certains mots
Pour en poser l’onguent sur la plaie de tes maux.
Tu ne seras jamais cet invétéré fêtard
Que la nuit divertit, étourdit jusque tard,
Mais un homme secret que le parfum des roses
N’émerveille pas tant que ces hivers moroses
Qui semblent correspondre à son humeur profonde.
Je médite en mon cœur la marque qui le fonde
Et vois la nostalgie surgir à tout instant.
Je sais bien sûr que vous la ressentez aussi
Vous, mes alter ego séparés par le temps,
Qui m’avaient précédé, un à un, jusqu’ici.
Si j’avais un conseil précieux à donner,
Ce serait de ne pas vous perdre à raisonner
Sur les motifs cachés justifiant l’existence.
La danse du cosmos appelle une évidence,
Mais l’absolu ne peut, quoique nous attendons,
Nous fournir ses secrets, aussi mille pardons !
Le tout serait d’atteindre à la légèreté
De l’herbe ou de l’oiseau au plus beau de l’été.
Mais je sens qu’alourdie, ma plume va faillir
A dire du printemps ce qui ne peut vieillir.
Je n’ai pas de Bobin le regard amoureux
Qui touche, de la fleur, la corolle très pure.
Je suis en somme trop, pas assez malheureux
Pour puiser en mon encre un habit de verdure
Revêtant alentour l’ombre du coteau noir
Que chante, illuminé, mon sombre désespoir.
Je suis trop attaché, dans ma course idéale,
Aux reflets argentés d’une lune très morne.
Il me faut échapper au monstre qui m’avale
A moitié déjà, qu’un cabochon vert orne
Au front. Non, je n’ai pas le fragile incarnat
D’un champ éclaboussé par les coquelicots.
Mon oeil n’embrasse pas le lourd rideau grenat
D’un crépuscule empli d’inquiétants échos.
Je me dérobe mal aux ordres du cosmos
Quand, pour le définir, je tombe sur un os.
Mon âme, goutte à goutte, en sa stupeur appelle
Les contours azurés du vibrant archipel
Mais l’automne, expirant, s’effeuille dans la pelle
Que je passe en ma cour, que je passe tel quel.
Un je ne sais quoi manque à mon souffle trop tiède,
Comme un air des hauteurs descendu sur la plaine
Qui se réfléchirait dans une rosée pleine
D’extatique fraîcheur, sublimée par l’aède.
Le sous-bois que traverse un sautillant ruisseau
Se conjugue à ses bords ouverts aux soubresauts.
La nature sauvage étend son large empire
Sur ma lyre pressée de l’égaler un peu,
Ce que, plus que par jeu, je ferai s’il se peut
Quand ma corde, pincée, pour Eve qui m’inspire,
Je chanterai l’ivresse en des vers chantournés.
Si parfois ces derniers paraissent bien tournés,
S’ils dansent en cadence au son du tambourin,
J’en fais, le plus souvent, d’extrêmement moyens.
Mon bourdon, sous la cloche, assène un ton d’airain
Qui va, bancalement, par des sentiers païens
Jeter la myrrhe au diable, écrasée sous ses reins
En un grotesque bruit, que le thyrse et le myrte
Font oublier, pourtant, au rivage des Syrtes
Que fixe, en son creuset, un terme souverain.
Je suis aux sentiments pour le moins réfractaire
S’ils sourdent sans éclat de la source du coeur.
La niaise mièvrerie, je le dis sans rancoeur,
A mes yeux tout au moins, n’eut rien de salutaire.
Ayant servi d’excuse au pessimisme austère,
Je la vainquis moi-même au galop du piqueur
Acculant aux fourrés le cerf fourbu. Vainqueur
Du mol épanchement qui traîne ventre à terre,
Frôlé par la beauté dont les scintillements
Sont souvent précédés de nombre d’errements,
Je préfère aujourd’hui combattre l’amertume
Sans pour autant céder aux plates effusions.
Au risque de chasser une erreur qui s’allume,
L’étoile que je suis se plaît aux confusions.