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Doppelgänger



Doppelgänger

par Gil


Parfois, la nuit, quand je m’accoude à la fenêtre,
Je te vois t’éloigner, toi, mon double étranger,
Vers cet ailleurs où tout peut encore changer,
Impatient de voir, de croire et de renaître.

Souviens-toi que ce monde où ton ombre pénètre
N’est qu’un autre mirage, un rêve mensonger
Dont j’ai depuis toujours voulu te protéger
Au risque de ne plus pouvoir te reconnaître…

Mais je sais que bientôt, par un matin léger,
Tu seras de retour, heureux de partager
Ma prison consentie et son amer bien-être ;

Je te verrai pousser la porte du verger,
Traverser le jardin et, las de voyager,
T’asseoir sur le vieux banc au pied de ma fenêtre.

L’île de notre amour

A pas de loup ma muse est entrée dans ma chambre.

Elle avait dans les yeux des éclats fauves d’ambre.

Mystérieuse et pâle, elle gagna mon lit,

Porteuse d’un bouquin qui sous les draps se lit.

Nous regardions tous deux les dessins du plafond

Dont les motifs, serrés, se font et se défont.

Une araignée, parfois, descendait sur son fil

Jusqu’à sonder, craintive, un bord courbé de cil.

Nous nous passions la pomme, à la vie à la mort,

Dévorés de désir, sans l’ombre d’un remords.

Elus depuis ce jour par un tranquille sort,

Nous eûmes dans nos mains les coffres d’un trésor

Qui s’ouvre avec les yeux aux lointaines contrées

Où la lune et l’amour se sont tôt rencontrées.

Partageant des moments entre tous préservés,

Il nous sortait du coeur de soupirants avés.

Quand l’oreiller redit la source osée d’un rêve,

L’échouage assumé d’un esquif sur la grève,

Nous voguons derechef, sans sursoir à l’ardeur

Qui nous prend au lever d’une sûre raideur.

Elle et moi nous avions tout l’intime en partage.

Nous fuyions, envivrés, l’impudique battage.

La ferveur est contraire à la lubricité

Quand un silence seul a le droit de cité.

L’intellect et la chair produisent des ébats

Qui subliment le corps avec quelque superbe

Au nom du bel accord de la verve et du verbe

Dont l’ivresse vaut mieux qu’un acharné débat.

En toute chose ici, l’évanescence prime.

Ainsi que l’aile d’or d’une aérienne rime,

Nous nous fondions au ciel dont notre âme procède.

Se peut-il que, pour nous, Dieu Lui-même intercède

Et nous mette à l’abri de ce mal né du monde

Qui pousse les cerveaux à contempler l’immonde ?

Nous vivions, esseulés sur notre île d’extase,

Une harmonie sacrée telle une iconostase.

Nous avions pour motus le plaisir flamboyant

Contre la retenue du vieil ordre aboyant.

Nous ne faisions, pourtant, point fi de la morale

Qui restait dans le ton de notre pastorale.

Nos excès n’étaient pas signe d’une débauche.

Nos bras ne tendaient pas vers l’équilibre gauche

D’une mise à l’étal de sentiments exquis.

Le territoire heureux que nous avions conquis

Etait fait, je le sais, d’une saine abondance.

Notre complicité tenait de l’évidence.

L’air que nous respirions portait notre nature

A jouir de l’instant comme un couple mature.

Eve était mon aurore et j’étais son soleil.

La nuit ouvrait pour nous les portes d’un sommeil

Aussi clair que le jour qui nous cueille au réveil.

Depuis le crépuscule aux lueurs transcendantes,

Jusqu’à l’azur pourpré des profondeurs ardentes,

Tout peignait l’ineffable espace d’un éveil.

Un or incandescent habitait son regard,

Où l’iris en ses feux couchait un horizon.

Nous nous savions baignés d’un songe à tous égards

Brillant au firmament lorsque fuit la raison.

Nous goûtions une paix inconnue de la terre,

Une attente comblée enceinte de mystère.

Nous ignorions qu’aimer ne s’improvise pas,

Que l’étoile s’étreint au risque d’aveugler.

Le temps se dérobait sous l’empreinte des pas

Que nous posions ensemble en un ballet réglé

Comme du papier à musique, pour toi,

Qui nous tenait unis. S’emballant quelquefois,

Le rythme nous grisait, comme d’une nacelle

Que nous croyions tenir au bout d’une ficelle.

L’espoir, ce garnement, nous mène par la main

Vers de magiques bois, puis nous laisse en chemin.

Le bonheur ne tient-il au boire et au manger ?

A la sieste que rien ne viendrait déranger ?

Aux honneurs, à la gloire, aux serments des amis,

Aux chers événements où nous nous trouvons mis ?

Cela ne suffit-il à combler d’absolu

Les chapitres dorés d’un livre vite lu ?

Le bonheur, en effet, n’est qu’un topinambour

Qui s’en va par les rues battre d’un vieux tambour !

La faim sans appétit, la soif sans idéal,

Dont on suit malgré soi le tremblotant fanal,

La carrière embrassée qu’un avenir efface,

Tourments, doutes, dépit, tel qu’un vent pris de face,

Voilà qui définit une existence étroite

Qui, quoique zigzaguant, demeure toujours droite.

Ce qu’il faut, à mon sens, pour détourner la vie

Du bal discontinu des regrets, de l’envie

Qui nous pousse à semer une vaine récolte,

C’est l’audacieux chant d’une folle révolte,

Nous saisissant au point de culbuter le doute,

La fraîcheur inspirée d’une aube irréfragable

Qui tourne en sa faveur l’alarme irrémédiable,

Faisant fi de nos peurs en travers de la route.

Ce qu’il faut de vernis à cet étrange songe

Pour aiguiser l’attrait de son vieux mensonge,

Naît de ce que je crois cerner avec la coupe

D’ambroisie de l’Amour qui se rit de la soupe

Qu’on nous sert à sa place avec l’air ébahi

De quelque amphitryon qui te voudrait sa dupe.

Mais une dévotion à l’instant m’envahit

Pour ne point appeler figue une simple drupe.

Je voudrais vous conter, en dix chants de cent vers,

L’épopée contrastée de mes gains et revers.

La pomme d’or mythique, orgueil des Hespérides,

Depuis les premiers temps ne souffre aucune ride.

Ma muse Eve y croqua avec fougue et jeunesse,

S’étant acquis depuis un certain droit d’aînesse

Pour brandir le flambeau et paver le périple

Dont je suis, quant à moi, le fidèle disciple.

Ne s’agit-il toujours de guider les nations

Vers des ailleurs meilleurs enchantant nos actions ?

Tel un soldat jeté dans une casemate,

De cette humanité, je porte les stigmates.

Les travaux de l’esprit appellent des combats

Qui se livrent debout contre l’obscurité

Percée du demi-jour qui me sert de clarté.

Mon honneur malmené, sur le terrain se bat.

Je dois élucider le problème éternel

Que l’on fit rejaillir sur la Femme fautive.

Il me faudra mener jusqu’en haut de l’estive

Le troupeau des idées que je destine au ciel.

Cette féminité dont on lui fait procès

Ne va pas sans un charme instillant le danger.

La sensualité auquel il donne accès,

Dans sa forme et son art, se savait déranger.

L’Eglise se fâcha de ces égarements

Lui opposant bientôt de sombres châtiments.

Alors Eve devint de plus en plus rebelle.

Ses torts ne venaient-il du fait qu’elle était belle ?

Sa nudité parfaite engendrait une offense

Dans l’esprit de ceux qui voulaient la condamner.

Il importait ici-bas de prendre sa défense.

La Terre est un exil. Haut, les chants du damné !

Nous, les enfants de Dieu, sommes des galériens.

Nous nous entretuons pour de dantesques riens.

Depuis la création sordide du péché

Qui maintient dans l’étau commode de son joug

L’Homme, ce prisonnier, par des fers empêché,

Dont la critique fin se joue et se rejoue,

M’a transmis dans sa chute, un vide spirituel

Que rien ne vient combler, sauf le vice habituel.

Si mon propos, touffu, s’étirait en longueur,

Eve, consciencieuse, écoutait mes histoires

En plaçant ça et là un mot sur mes déboires

Qui conférait du sens aux cruelles langueurs.

Je me désespérais d’une enfance éblouie

Par toute la promesse auréolée du monde.

Si je l’avais connue plus tôt, moins épanouie,

N’aurais-je pas mieux su les secrets de sa fronde ?

Ne l’aurais-je pas vue grandir à la mesure

Du soin qu’elle mettait à être originale

En tout ? Quant à sa voix, elle aussi peu banale,

Elle aurait eu pour moi cet accent qui rassure

Ainsi qu’une berceuse aux notes fredonnées.

Avec toi des valeurs m’auraient été données,

Comme la confiance et la sérénité,

Autant que l’insouciance et la témérité.

Car je reste aujourd’hui ce vieux clown angoissé,

J’aurais peut-être pu noyer dans un mirage

Les pliures de sang du papier défroissé

Qui m’avait vu peiner sous le faix d’un ouvrage.

Très jeune commencé, je le refis cent fois

En perdant peu à peu, dans l’élan toute foi.

C’était un long poème, à mes rêves dédié

Qui portait un humour caustique et familier

Que je ne croyais pas devoir se mésallier

Avec un apparent sérieux dans le propos

Lorsque je le faisais cacqueter sur le pot.

Propulsés par le rire aux rouages divers,

L’absurde et l’ironie ne font-ils bon ménage ?

J’apprécie la verdeur, encore qu’à mon âge

Je veuille tempérer de ces vers par trop verts

Heureux de s’affaler dans une paillardise

Qui leur paraît, en bouche, une vraie gourmandise.

Ne peut-redonner ses lettres de noblesse

Cependant à l’humour burlesque, qui, je crois,

Pourrait nous soulager des quelques lourdes croix

Que nous endossons tous par habitude ou choix ?

Une oeuvre, dites-vous, dans cette fange choit

Dès que le ton, léger, vire soudainement

Pour s’amuser d’un vent qui se lève et retombe

Pareil au cavalier tout fiérot sous sa bombe

Que Pégase, distrait, de moment en moment,

Par la force d’un nom, fait sauter en cadence,

Comme s’il s’agissait d’une atypique danse.

L’alacrité fleurie n’est pas grossièreté

Qui s’amuse de tout pourvu que le sujet

Trivial et sans façons contienne quelque objet

Ou fasse état d’un sens inné de l’aparté.

Mais j’ai failli, je pense, à prouver qu’un mouton

Puisse recoudre seul, d’un manteau le bouton.

Ma rencontre avec toi s’avère un privilège

A nul autre pareil dont la marque m’allège.

Et ta voix monte en moi, qui m’inspire et m’élève

Et me fait ressentir comme un poids qui s’enlève.

Mais revenons plutôt à mon conte, veux-tu ?

Je ne veux pas te perdre en ces détours tortus

Que ma plume veut prendre, en cela buissonnière.

Les loups doivent savoir rentrer dans leur tanière.

Aussi, fi des écarts ! Me revoilà chez nous

A rire de nos jeux, les mains sur mes genoux.

Nous nous donnions pour lampe un phare océanique

A même d’éclairer notre asile édénique.

Nous allions par des mers, au large de tes côtes

Qui semblaient s’apprêter à des appareillages

Quand, à la barre, nous partions pour des mouillages

Dont, obélisque à part, nous demeurions les hôtes

Durant les jours comptés de notre éternité.

Notre quête accomplie, le puits de vérité

Nous montrait une image embellie des narcisses

Que nous savions y voir dans nos preux exercices.

J’étais, il va sans dire, un chevalier servant

Terrassant maints dragons, la tête dans le vent.

J’aurais été pour elle un trappeur délicat,

Un orpailleur de mots, un barde en Alaska,

Un trouvère perdu dans l’ocre de ses yeux

Qui l’aurait adorée, ne sachant faire mieux,

Un gangster au grand coeur, un nabab épatant,

Jusqu’à même incarner un glorieux charlatan,

Pourvu que son sourire épouse le rivage

De ma lèvre enflammée, puis que le coquillage

Formé par nos baisers fige un instant la mer

Sous l’arche enamourée d’une fusion des coeurs.

Je ne dis pas cela sans un soupir amer

Depuis qu’un souvenir s’assortit de rancoeurs.

Le plus grand bien ne vient pas sans grande douleur.

La faucheuse, voilée, singea notre pâleur

Quand on la vit, tout près, tenir son embuscade.

N’étions-nous dépourvus de poivre ou de muscade

Pour épicer la fête à présent finissante ?

Mon Eve m’observait, haleine frémissante,

Comme si j’allais dire une phrase imparable

Qui sauverait la mise. Impuissant, je me tus.

Et depuis je subis les silences têtus

Qui s’épuisent à faire un cercle secourable

Autour du désespoir qui rôde dans ma tête

Avec l’angoisse sourde en des flonflons de fête.

Après avoir courru le plus fabuleux lièvre,

Avoir connu les pics d’une amoureuse fièvre,

Je ne savais comment continuer le Livre

Que ses bras dessinaient, comme au creux d’une attente

Mystique et magnifiée qu’un plus haut dessein tente.

Après l’avoir écrit non sans une fronde ivre,

Me faudrait-il jamais l’achever et mourir ?

Le destin de ma Pomme était-il de pourir ?

Tandis que je cherchais à poursuivre un chapitre,

Une araignée velue sortit de mon pupitre.

Eve s’en effraya par un bond de côté.

Cependant que j’étais par la peur garroté,

La bête, prestement, vint à noircir ma page,

Accompagnée bientôt d’un bizarre équipage.

Tout à coup fasciné par ce que je voyais,

Je suivis, dans son vol, un cygne qui ployait

Sous des bris de miroir aux bords démesurés.

L’animal qui poussait des cris désemparés

Etait en outre pris dans la nasse des vents.

Par-dessus ce tableau, une kyrielle d’anges

Descendait d’un nuage, escortés de mésanges.

Tout roses de plaisir, en des bruits fort savants,

Nos messagers zélés soufflaient l’air d’une trompe.

Avant que ce décor dans l’éther ne se rompe,

Un coursier monstrueux freina des quatre fers

Comme, sortis d’un trou, pavoisaient mille vers.

Pour couronner le tout, je vis Guillaume Tell

Loger à la Grand Ourse, un terrifiant hôtel.

Mes visions, tout à coup, vinrent de chavirer.

Quand fuyant les écarts qui me firent virer,

Je pus me ressaisir, noircie par l’araignée,

Ma page ne montrait que des pattes de mouche.

L’illusion s’amplifiait et tout devenait louche.

Ma muse se plaignait de se voir dépeignée.

Il me faut toutefois le reconnaître ici.

La noble inspiration, en moi s’était tarie.

Ma peine me faisait l’effet d’une otarie

Qui n’eusse feint des pleurs au lénifiant récit

Que pour partir d’un rire énorme et graveleux.

Et pourtant je n’avais aux bras pas que des bleus

Mais un fumant cratère où la terre vibrait.

Sauf à penser qu’écrire, en un mot, libérait

De nombre de tourments, le poète vaincu

Par ses démons secrets ; qu’en être convaincu,

Miraculeusement, apaisait l’affligé ;

Il n’était nul langage, en somme, qui fût fait

Pour consoler jamais, en ce monde imparfait,

Le solitaire enfant qu’un père a corrigé

Parce qu’il a perdu son nounours au marché.

Ne s’entend-il, d’ailleurs, dire qu’il l’a cherché ?

Quimporte, il me fallait me plonger dans le Livre

Que je rêvais de vivre, en vue de le poursuivre.

Eve allait et venait dans ma chambre fermée.

N’avais-je pas promis qu’elle y serait aimée ?

Je ne savais comment prolonger notre histoire

Par de ces grands élans sortis de l’écritoire.

Je devinais parfois un souffle épique en moi

Qui retombait d’un coup faute d’une aventure

Capable d’apporter, puissant, son lot d’émois.

Mes brouillons témoignaient de constantes ratures.

Eve méritait mieux qu’un médiocre talent.

Je me faisais l’effet d’être un orateur lent,

Laborieux et peu fait pour aimanter la foule.

Mon navire tanguait, balloté par la houle,

Mais il ne coulait point en dépit des efforts

Produits pour contenter les spectateurs du fort.

Te souviens-tu du jour de ton premier poème ?

Cet acte débuta notre vie de bohème.

Tu te sentis voler des ailes dans un rêve

Au soleil fabuleux, se mourant sur la grève.

Tu ne pouvais douter, vu l’ardeur de tes larmes,

D’être enfin reconnu pour les maux de ton âme.

Des portes s’ouvriraient qui te laisseraient voir,

Par les matins d’été, l’eau vive d’un miroir.

Ce miroir intérieur saurait bien réfléchir

Ton présent, ton passé, dans l’objet d’une quête.

La douleur trouverait bientôt à s’infléchir

Quand tu réussirais à changer l’étiquette

Labellisant ton mal en partie nécessaire :

Voici que tu deviens quelque vaillant corsaire

Qui lutte contre un sort qui le vit malheureux.

Te voici devenu jovial et valeureux.

Ta transformation t’étonne le premier.

Tu crées un personnage et l’incarne bientôt.

Tu te découvres clown, châtelain de tréteau.

Tu te fais l’arpenteur d’un monde qu’un dernier

Soupir de tragédie menace de frapper.

Tu te rends au constat que le rire est une arme

Face au dépit fatal qui viendrait te happer.

Tu ne t’inquiètes plus d’une modeste alarme.

Tu vis l’adolescence ainsi qu’un âge heureux

Qui, malgré les défis, mènera quelque part.

Tu tournes la lorgnette et change ton regard.

Tu découvres ce que cet enfant si peureux

Que tu étais pourrait reprocher à l’adulte.

Comment le consoler du sentiment de perte

Qui vint, avec le deuil, après sa classe verte,

D’un grand père féru de Friends, la série culte ?

Vous regardiez toujours chaque saison ensemble.

Je sais, François, combien cette complicité

Lui manqua par la suite et combien te ressemble

L’inconsolable enfant qu’alors tu as été.

La vie est ainsi faite et le meilleur en naît

Comme le pire, en somme. Ainsi, je reconnais

Que j’aurais bien voulu entendre certains mots

Pour en poser l’onguent sur la plaie de tes maux.

Tu ne seras jamais cet invétéré fêtard

Que la nuit divertit, étourdit jusque tard,

Mais un homme secret que le parfum des roses

N’émerveille pas tant que ces hivers moroses

Qui semblent correspondre à son humeur profonde.

Je médite en mon cœur la marque qui le fonde

Et vois la nostalgie surgir à tout instant.

Je sais bien sûr que vous la ressentez aussi

Vous, mes alter ego séparés par le temps,

Qui m’avaient précédé, un à un, jusqu’ici.

Si j’avais un conseil précieux à donner,

Ce serait de ne pas vous perdre à raisonner

Sur les motifs cachés justifiant l’existence.

La danse du cosmos appelle une évidence,

Mais l’absolu ne peut, quoique nous attendons,

Nous fournir ses secrets, aussi mille pardons !

Le tout serait d’atteindre à la légèreté

De l’herbe ou de l’oiseau au plus beau de l’été.

Mais je sens qu’alourdie, ma plume va faillir

A dire du printemps ce qui ne peut vieillir.

Je n’ai pas de Bobin le regard amoureux

Qui touche, de la fleur, la corolle très pure.

Je suis en somme trop, pas assez malheureux

Pour puiser en mon encre un habit de verdure

Revêtant alentour l’ombre du coteau noir

Que chante, illuminé, mon sombre désespoir.

Je suis trop attaché, dans ma course idéale,

Aux reflets argentés d’une lune très morne.

Il me faut échapper au monstre qui m’avale

A moitié déjà, qu’un cabochon vert orne

Au front. Non, je n’ai pas le fragile incarnat

D’un champ éclaboussé par les coquelicots.

Mon oeil n’embrasse pas le lourd rideau grenat

D’un crépuscule empli d’inquiétants échos.

Je me dérobe mal aux ordres du cosmos

Quand, pour le définir, je tombe sur un os.

Mon âme, goutte à goutte, en sa stupeur appelle

Les contours azurés du vibrant archipel

Mais l’automne, expirant, s’effeuille dans la pelle

Que je passe en ma cour, que je passe tel quel.

Un je ne sais quoi manque à mon souffle trop tiède,

Comme un air des hauteurs descendu sur la plaine

Qui se réfléchirait dans une rosée pleine

D’extatique fraîcheur, sublimée par l’aède.

Le sous-bois que traverse un sautillant ruisseau

Se conjugue à ses bords ouverts aux soubresauts.

La nature sauvage étend son large empire

Sur ma lyre pressée de l’égaler un peu,

Ce que, plus que par jeu, je ferai s’il se peut

Quand ma corde, pincée, pour Eve qui m’inspire,

Je chanterai l’ivresse en des vers chantournés.

Si parfois ces derniers paraissent bien tournés,

S’ils dansent en cadence au son du tambourin,

J’en fais, le plus souvent, d’extrêmement moyens.

Mon bourdon, sous la cloche, assène un ton d’airain

Qui va, bancalement, par des sentiers païens

Jeter la myrrhe au diable, écrasée sous ses reins

En un grotesque bruit, que le thyrse et le myrte

Font oublier, pourtant, au rivage des Syrtes

Que fixe, en son creuset, un terme souverain.

Je suis aux sentiments pour le moins réfractaire

S’ils sourdent sans éclat de la source du coeur.

La niaise mièvrerie, je le dis sans rancoeur,

A mes yeux tout au moins, n’eut rien de salutaire.

Ayant servi d’excuse au pessimisme austère,

Je la vainquis moi-même au galop du piqueur

Acculant aux fourrés le cerf fourbu. Vainqueur

Du mol épanchement qui traîne ventre à terre,

Frôlé par la beauté dont les scintillements

Sont souvent précédés de nombre d’errements,

Je préfère aujourd’hui combattre l’amertume

Sans pour autant céder aux plates effusions.

Au risque de chasser une erreur qui s’allume,

L’étoile que je suis se plaît aux confusions.

Rêve d’un lieu magique

Rêve d’un lieu magique

par Cochonfucius

Au portail du jardin t’accueillera Saint Pierre,
Le gardien de ce havre où tu viens t’abriter ;
C’est dans ce clair logis que tu veux habiter,
Dont tu vaudrais aussi goûter la bonne bière.

Si l’heure du trépas n’est pas l’heure dernière,
Elle est donc le début de notre éternité ;
Le doute à ce propos, je ne peux l’éviter,
Mon esprit sur ce point n’a que peu de lumières.

Jamais aucun témoin ne revint de ce lieu,
Tu ne peux pas t’y rendre en traversant les cieux ;
Il se peut que ce soit un monde imaginaire.

Soyons heureux chez nous, profitons du soleil,
Sachons nous contenter des plaisirs ordinaires ;
Car sans rêves sera notre dernier sommeil.

A propos du serpent

A propos du serpent

par Renaud Bosc

Sur la pierre sculptée ornant une fontaine
Ou un vieux chapiteau de cloître silencieux,
On trouve quelquefois comme croquemitaine
Un serpent incongru au dessein mystérieux.

Quelle était l’intention de l’artiste anonyme
Qui a représenté ce reptile angoissant,
Quel message subtil, peut-être illégitime
A-t-il voulu laisser en substance au passant ?

Dans ses apparitions, l’animal totémique
Invite pour sa quête en marge des autels
A un enseignement secret, initiatique
Qui n’est pas dispensé au commun des mortels.

Pour gober son dîner plus gros que lui, sa bouche
A le fameux pouvoir de beaucoup s’étirer;
A ce compte pourquoi faudrait-il trouver louche
D’acquérir un savoir semblant démesuré ?

Dans ses us bien rodés, il a pour habitude
D’abandonner parfois une trop vieille peau;
On peut s’en inspirer pour avoir l’aptitude
De chercher le chemin grisant du renouveau !

Au travers des maquis, discret, il se déplace
Avec l’oeil aux aguets du traqueur chevronné;
Comme lui, adoptons un moyen efficace
Dans la vie pour aller sans trop fanfaronner !

Il est souvent montré comme instrument du Diable,
L’ambassadeur sournois du Malin conspirant,
Mais c’est une invention de prophète comptable
Qui souhaite maintenir le fidèle ignorant.

Car le fruit défendu, ce n’est pas qu’une pomme,
Mais une chair suave au parfum savoureux
Et, de la connaissance, une attrayante somme
Que les prédicateurs veulent garder pour eux.

Et puisque Eve a été la première à souscrire
Au jeu de l’ophidien, séducteur patenté,
Il nous faut la chérir, plutôt que la maudire
Pour nous avoir ouvert une voie de clarté.

Érections

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*

ÉRECTIONS

par Wasche

***

En la place plaisante, au charmant val des cygnes,

On érigea jadis, en pierres, une tour

Énorme, et la fierté de la gent alentour

Vit en ce fort totem ses qualités insignes.

*

Mais si on la voyait, on en l’entendait point,

Alors elle accueillit deux vigoureuses cloches

Puis prit encor du pied quand, en ennemis proches,

Il fallut surveiller de François l’embonpoint.

*

Las ! par ces lourds ajouts qui la mirent obèse,

Dieu ne put empêcher que le sol elle baise ;

La pauvre jusqu’en bas s’écroula ! Patatras !

*

Au lieu d’elle, aujourd’hui, se plante un pieu de fer

Qui, de mots réunis en un joyeux fatras,

Chante sa litanie au ciel… la pointe en l’air.

 

La montre

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*

LA MONTRE

par Marcel Michel

***

Dans un écrin de cuir vieillot et craquelé,

Abîmé par le poids des ans que tout emporte,

Une montre dormait, usée, elle était morte,

D’avoir bercé son cœur de métal martelé.

*

Au velours cramoisi du boîtier éraflé,

Loin des goussets profonds que la main réconforte,

Elle ne trottait plus, le temps qui tout apporte

Avait cessé de battre au pas articulé.

*

Elle disait : « Tic-tac ! Tic-tac ! Tic-tac ! » sans cesse,

De sa voix de rivets, de vis et de métal.

Elle disait « Tic-tac ! » jusqu’à l’instant fatal !

*

Toujours d’un pas précis, même dans sa vieillesse

Et, puis un dernier souffle a brisé son ressort,

C’est ainsi que tout meurt et c’est là notre sort !

 

Les fous

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LES FOUS

 par Dominique Kirchner

***  

Ils traînent leurs souliers dans ce couloir étroit,

Ou bien restent assis, prostrés sur une chaise,

Quand d’autres, agités, d’un geste maladroit,

Pourchassent des démons qui dansent sur la braise.

Ils ne disent un mot, ou rigolent tout seuls,

Tiennent de grands discours, de paix, de violence,

Et derrière ces murs blancs comme des linceuls,

On entend quelque cri déchirer le silence.

Certains sont criminels et pourtant innocents ;

Si leur main a tué sans verser une larme,

Ils n’ont fait qu’obéir aux êtres tout-puissants

Martelant leur cerveau d’un énorme vacarme.

Comme dans une glace, on voit dans leur regard

Les craintes qui parfois perturbent notre somme ;

Et si la peur érige un immense rempart,

Surtout n’oublions point qu’un fou demeure un homme.

*

Tiré de son recueil   « Le cri du corbeau »

Nevers

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NEVERS

par Tino Morazin

***

Notre château ce jour, le premier de la Loire,

Accueillit les Gonzague à des moments divers,

Famille de Mantoue aux grands titres de gloire :

Elle prit pour cité, la ville de Nevers.

 

C’est Jean de Clamecy d’abord qui voulut faire

Un « hostel » en l’honneur de son nouveau comté,

Les Clèves par la suite, ont bien su le parfaire

Le dotant de ce style en Europe conté.

L’époque s’appelait toujours la Renaissance

Une ère consacrée au courant transalpin,

Lorsque le duc Louis dans sa magnificence

Sculpta le Mont Olympe et l’angelot poupin.

Arrêtons-nous céans, pour voir les deux façades

Surtout celle du sud aux superbes décors,

Le logis semble alors subir des embrassades

Car flanqué de trois tours qui habillent son corps.

*

Un escalier à vis ainsi se cache en elles,

Il dessert chaque étage et ses appartements,

Puis leurs toits font penser à d’autres sentinelles

Sous l’œil d’un lanternon aux sourds commandements.

Le monument jadis, abrita la Justice.

Il y gagna son nom de vrai « palais » ducal,

Quel beau lieu pour signer la paix ou l’armistice,

Nous le saluerons donc, d’un regard amical !