La Grande Sophie compose "La vie moderne"

La Grande Sophie, 2023. © Jules Faure

Elle a la pudeur de feindre la légèreté. La cinquantaine flamboyante, La Grande Sophie, chanteuse, musicienne, autrice et photographe, signe un retour rock et folk avec La vie moderne. Une ode à la vie, ondoyante, sensuelle et mélancolique. Si ses mélodies entêtantes sont toujours aussi sophistiquées, la voix de la Grande Sophie n’a jamais été aussi feutrée et proche de ses auditeurs.

RFI Musique : Vous aviez composé et mis en ligne Ensemble le premier jour du confinement. Trois ans plus tard, pourquoi ouvrir La vie moderne avec ce titre ?
La Grande Sophie :
Parce que je tenais à cette chanson avec laquelle je voulais redonner du courage aux gens. Elle m’a aidée à trouver la couleur de ce disque pour lequel je voulais aussi revenir à la guitare acoustique. Je suis plutôt celle qui console et qui donne du "courage" (référence au titre d’une de ses chansons les plus célèbres, ndlr) que celle qui se confie dans la vie. J’avais envie que tout mon disque ait la couleur de cette belle chanson qui rassemble. 

Dans quel contexte avez-vous enregistré cet album ?
Je me suis imaginée autour d’un feu de camp, qu’on restitue d’ailleurs sur scène, en concert, avec des néons modernes, pour chaque chanson. J’ai aussi un peu fouillé dans les photos du passé, c’est ainsi qu’est née des Montagnes de souvenirs. Jan Ghazy, le directeur artistique de mes trois précédents disques, m’a appelée un soir. Il voulait produire un disque que je ferais seule. Son appel m’a donné envie d’écrire, je savais qu’il a très bon goût et qu’il me guiderait. J’ai fait tous les arrangements, d’abord chez moi puis en studio. Ensuite, j’ai eu besoin d’un vrai batteur et d’un vrai bassiste. On a enregistré ensemble dans des petits studios, c’était assez familial.

Votre voix n’a jamais été aussi proche des auditeurs justement… 
Comme j’étais aux commandes et que j’ai fait plus de choses que d’habitude sur ce disque, c’est peut-être plus naturellement que la voix est mise en avant. J’adore cet instrument singulier, le grain de voix, la respiration.

Sur Sauvage votre voix est d’ailleurs particulièrement aigüe…
J’y chante avec ma voix de tête. J’ai la chance d’avoir une voix de tête et une voix de poitrine. Ma voix de tête est arrivée dans le disque La place du fantôme avec Suzanne. J’ai eu du mal à l’assumer dans un premier temps, je la mettais plutôt dans les chœurs. Aujourd’hui, je trouve bien les chansons qui lui correspondent. Pouvoir basculer élargit le spectre.

Dans Le pouvoir de la fiction, vous vous imaginez "sirène, acrobate ou cupidon faisant des régates dans les constellations". Qu’est-ce que l’imagination vous apporte ?
C’est une forme de liberté capitale. C’est la liberté absolue de pouvoir se projeter quelque part. Dans Sauvage, je raconte un moment où je fixe un point au loin et où je me perds. C’est nécessaire dans une société qui va trop vite, de prendre le temps de s’échapper. Ce sont des issues de secours.

En parlant d’issue, les métaphores de l’escalier et de l’ascenseur sont présentes dans L’Escalier
J’aime bien voir comment est comprise une chanson par le public. De mon point de vue, celle-ci aborde la société qui met de côté les gens qui prennent de l’âge. Ce disque en parle beaucoup. J’ai besoin de la parole des anciens et des jeunes, je n’ai pas envie qu’on sépare les gens. C’est pourquoi j’y chante "tu seras balayée". Et je sens bien qu’on veut me pousser à cause de mon âge.

Vraiment ?
Bien sûr, par exemple par des évènements où on ne m’invite plus forcément parce que j’ai passé la cinquantaine. Le milieu de la musique est très jeune, c’est un métier assez cruel pour ça. J’ai une admiration profonde pour les carrières. Le grand écart de deux époques est aussi présent dans le disque parce que je suis au milieu et que je veux apporter ce que j’ai à apporter à mon âge. Mais on me donne peu d’espoir ! Si on regarde les artistes femmes passées cinquante ans, il y a peu de chanteuses…

Un roman et La vie moderne évoquent justement le temps qui passe. Ce neuvième album, avec 25 ans de carrière, est-il une sorte de bilan ?
Je n’aime pas le mot bilan. J’écris sur ce que je suis au moment où je le vis. Je me retourne sans faire de bilan, ce n’est pas non plus le disque de la "maturité".  C’est plutôt aborder le présent avec la force de ce qui s’est passé. Un roman aborde aussi l’impatience. Comme je suis quelqu’un de très impatient et que j’aime la vie, je suis souvent en avance aux rendez-vous parce que je suis heureuse d’être là. Mais les gens sont souvent en retard !

La vie moderne est un réquisitoire contre la frénésie numérique.  "On s’affiche comme des héros, on ne s’approche plus, on est tous des numéros", chantez-vous. Paradoxalement, vous êtes active sur les réseaux sociaux. C’est un choix ou une contrainte ?
Ce sont de nouveaux outils, gratuits. Ne pas les utiliser, c’est perdre une indépendance. Je peux tenir moi-même les gens au courant de mon travail grâce à ça ! Mais c’est comme un troisième métier. J’aime bien Instagram, j’y mets de l’humour, mais pas ma vie. Le danger, c’est le temps qu’on y passe, de ne penser que par ça et pour ça. Mais je ne veux pas encore vivre hors de mon temps (Rires). J’ai envie de connaître ces outils. D’où ma pochette avec un selfie mêlé à l’une des premières techniques de photographie. Les mêler, c’est dire que j’appartiens à ces deux mondes, comme une carte d’identité.  
Il est beaucoup question des passants dans cet album. La vie urbaine est importante pour vous ?
Je sors rarement avec un casque sur les oreilles. En général, j’aime entendre la rue, les discussions des autres, les oiseaux. C’est une manière de ne pas rester dans ma bulle.

Comment allez-vous jouer ce disque sur scène ?
Ce sera la même équipe qu’avant le covid, mais avec un nouveau spectacle. J’y chanterai le nouvel album, tout en habillant des titres plus anciens comme Du courage dont l’arrangement a beaucoup vieilli. Il y a des clins d’œil, des histoires que je raconte. Avant, j’étais une vraie fusée. Maintenant, j’aime prendre le temps d’emmener les gens dans des émotions très différentes.

La Grande Sophie La vie moderne (Barclay) 2022
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En concert à la Cigale à Paris le 12 avril 23