« Quand j’ai eu 8 ans, ma mère m’a tout raconté. Elle m’a dit que quand j’étais née, ils avaient fait de moi un garçon, mais qu’ils auraient tout aussi bien pu faire de moi une fille. Que là, j’étais un garçon et qu’il fallait que je m’y fasse. »
Canadienne d’adoption, Audrey Chédor, native d’Allemagne, est aujourd’hui dans la cinquantaine.
À une certaine époque, on aurait dit d’elle qu’elle était née hermaphrodite. Aujourd’hui, on parle plutôt de bébés intersexués ou présentant une variation du développement sexuel.
Si elle parle, c’est pour donner une voix à tous ces enfants « qui grandissent dans la solitude et dans le secret ». Pour plaider, aussi, pour la mise en place de protocoles qui n’autorisent « les interventions chirurgicales hâtives que lorsque c’est médicalement requis, et non pas pour répondre à des standards sociaux ».
Si les médecins sont beaucoup plus prudents et mieux outillés qu’à son époque, dans son pays d’origine, elle se désole qu’ils cèdent trop facilement à la pression des parents en pleine détresse.
Combien sont-ils à naître « entre les deux » ? Dans la littérature scientifique, les taux varient. Certains chercheurs parlent de 1 bébé sur 5000, d’autres, de 1 bébé sur 10 000. À titre d’exemple, le docteur Shivo Ghosh, qui pratique au CUSM, à Montréal, indique que de 6 à 10 bébés intersexués naissent dans son établissement chaque année.
Dans tous les cas de figure, quand il y a ambiguïté sexuelle, « le choc pour les parents est immense ». Si immense, dit Mme Chédor, « que les miens ont divorcé et que je me suis longtemps sentie coupable. Mon père pensait qu’il fallait qu’on fasse de moi un garçon et ma mère, elle, sentait que j’étais une fille ».
À la naissance, sur le certificat de naissance, à la case demandant de préciser le genre de l’enfant, il a été inscrit : « À documenter ».
Les médecins ont donc documenté, si bien que ses premiers mois de vie se sont passés à l’hôpital. Puis, encore tout bébé, elle a subi une génitoplastie masculinisante, la première d’une longue série d’opérations, dont l’une, à 8 ans, l’a particulièrement traumatisée.
« Cette fois-là, plus que jamais, j’ai eu l’impression d’être violée. Je servais de cobaye, d’objet de la médecine. »
— Audrey Chédor
Or, dans son cas, les médecins et ses parents ne sont pas tombés sur la bonne réponse. Toute sa vie, malgré les opérations, malgré les prises d’hormones, jamais elle ne se sentira de sexe masculin.
Une fois majeure, elle subira toute une série d’autres interventions visant à lui redonner une apparence féminine. Physiquement, les opérations, la prise d’hormones, les volte-face ont laissé des séquelles physiques permanentes, particulièrement d’un point de vue urinaire.
Mais le plus triste, « ce sont les conséquences sur le plan sentimental. Tout le monde m’a voulue, mais personne n’a voulu me garder ». Pourquoi raconter tout cela ? Pour mettre en garde les parents et les médecins qui, aujourd’hui encore, « se retrouvent face à pareille situation ».
« Faites-en une fille ! »
Est-ce un petit garçon ? Une petite fille ? Pour les parents, ne pas pouvoir répondre à l’entourage à cette question incontournable, c’est extrêmement difficile, fait observer Mme Chédor. Déjà en pleine détresse, souvent incapables de dire de quoi il retourne à leur entourage, « les parents se retrouvent face à des médecins qui leur disent que cela “s’opère”. Alors ils veulent que cela se fasse, et vite ». C’est bien comme cela que l’a vécu une mère qui témoigne dans le documentaire Ni fille ni garçon, et dont le témoignage a l’effet d’une mise en garde pour ceux qui, aujourd’hui, se retrouveraient dans cette situation. Quatre jours après son accouchement, il y a une vingtaine d’années, on lui a dit que finalement, son bébé « n’était pas tout à fait un garçon », que des tests devraient être faits.
Pendant trois semaines, elle est restée dans l’inconnu jusqu’à cet appel de l’hôpital lui disant de se présenter le lundi matin avec un nouveau prénom. « Les médecins avaient décidé du sexe. Mon bébé Kevin deviendrait bébé Maude.
« Pour eux, ce n’était pas compliqué : à l’accouchement, on m’avait donné un papier bleu ; dans l’attente, j’avais un papier jaune, et là, un papier rose. » Mais elle-même préférait que l’on procède. « Je me disais : “Faites-en une fille !” Pour moi, ça pressait. » Son enfant a été opéré.
Médicalement, il est devenu une fille. Mais encore là, il y avait erreur sur la personne et à la puberté, ça n’a plus été possible et une nouvelle série d’opérations est revenue rendre à l’adolescent sa réelle identité. Il est devenu Justin. « Il y a 20 ans, si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, jamais ils n’auraient opéré mon enfant. » « Ce à quoi il faut absolument donner la priorité, c’est l’intérêt de l’enfant, plaide à son tour Mme Chédor. Si on agit vite, c’est pour les parents. Parce que médicalement, il n’y a souvent aucune bonne raison de se précipiter. »
Pour les parents, pour les médecins, l’extrême prudence est de mise, plaide-t-elle. « Pourquoi auraient-ils le droit de décider de l’identité et de la vie sexuelle future au nom du nouveau-né ? Pour ma part, j’ai fait la paix avec cela, en bonne partie, mais il restera toujours une certaine colère. »
Entre garçon et fille
Les bébés intersexués naissent avec des caractéristiques qui font qu’ils ne peuvent pas d’emblée être considérés comme des garçons ou comme des filles. L’intersexualité prend plusieurs formes. Dans certains cas, le bébé aura des organes génitaux d’apparence masculine et une anatomie interne féminine, comme dans l’hyperplasie congénitale des surrénales. Parfois, il y aura absence d’utérus chez un enfant qui, malgré des chromosomes XY, aura une allure féminine, en raison d’une résistance aux androgènes.