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Hém 18 3e

Published by vgu08417, 2020-05-24 03:24:39

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14CHAPITRE Connaissances Item 272 – UE 8 Splénomégalie 177 I. Rappel anatomofonctionnel II. Circonstances de découverte III. Diagnostic de la splénomégalie IV. Diagnostic étiologique V. Splénomégalie isolée sans signe d'orientation VI. Splénectomie à visée diagnostique VII. Prévention et prise en charge des complications infectieuses des splénectomisés Objectifs pédagogiques Argumenter les principales hypothèses diagnostiques devant une splénomégalie. Justifier les premiers examens complémentaires les plus pertinents. I. Rappel anatomofonctionnel La rate est un organe (de 150 à 250 g chez l'adulte), localisé dans l'hypochondre gauche, en position thoraco-abdominale, en regard de la dixième côte, et en dérivation entre la grande circulation et la circulation portale. La rate est un organe hématopoïétique entre les troisième et cinquième mois de la vie intra- utérine et peut le redevenir dans certaines situations pathologiques. Elle possède une fonction de régulation du flux sanguin, de stockage (elle contient environ 30 % de la masse plaquettaire de l'organisme) et de filtre, les macrophages assurant l'élimi- nation des hématies anormales, vieillies ou contenant des inclusions (corps de Howell-Jolly, parasites), et enfin une fonction immunitaire impliquant des cellules lymphoïdes et des macro- phages, avec production d'anticorps (surtout IgM et anticorps dirigés contre des bactéries encapsulées). Le diagnostic d'une splénomégalie est avant tout clinique et repose sur la palpation. Il faut considérer qu'une rate palpable est pathologique et nécessite une exploration étiologique. Pour en approcher le diagnostic étiologique, il faut tenir compte de l'interrogatoire, de l'exa- men clinique (notion de fièvre, présence d'une hépatomégalie, de signes d'hypertension portale, d'adénopathies périphériques), et savoir prescrire et interpréter quelques examens complémentaires simples (hémogramme, bilan inflammatoire, bilan hépatique). Hématologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Hématologie cellulaire – Oncohématologie II. Circonstances de découverte La splénomégalie est le plus souvent indolore. Elle peut être découverte dans diverses circonstances : • par l'examen clinique, de manière fortuite ou devant un tableau clinique évocateur condui- sant à la recherche d'emblée d'une grosse rate (fièvre, hépatomégalie, adénopathies péri- phériques, hypertension portale, ictère cutanéomuqueux) ; • par des troubles fonctionnels : pesanteur ou douleur de l'hypochondre gauche augmentée à l'inspiration profonde et irradiant « en bretelle » vers l'épaule gauche, gêne postpran- diale, douleur, constipation ; • à la suite de diverses modifications de l'hémogramme : thrombopénie, leucopénie, leuco- neutropénie, anémie, présence de cellules anormales dans le sang (cf. infra) ; • beaucoup plus rarement, par certaines complications qui peuvent être révélatrices : – l'infarctus splénique, se manifestant par des douleurs du flanc et/ou basithoraciques gauches (la fièvre est souvent présente ; l'échographie ou le scanner confirme le diagnostic), – la rupture de rate, se manifestant par un tableau de choc hémorragique, souvent pré- cédé par des douleurs qui doivent faire rechercher un hématome sous-capsulaire splé- nique par l'échographie ou le scanner (rupture en deux temps). III. Diagnostic de la splénomégalie A. Comment palper la rate 178 La palpation se fait chez un patient allongé en décubitus dorsal, la tête à l'horizontale. La rate est palpée avec la main posée à plat en oblique, le patient respirant profondément, les genoux fléchis. Le bord inférieur, recherché depuis la fosse iliaque gauche en remontant vers le rebord costal, vient toucher la pulpe des doigts. On retrouve ici une masse de l'hypochondre gauche, antérieure, superficielle, dont on palpe l'extrémité inférieure et parfois le bord antéro-interne crénelé. Elle est sans contact lombaire. Il faut mesurer la taille de la splénomégalie par rapport au rebord costal. Le débord sous les côtes doit être mesuré en centimètres : minime (débord de 1–2 cm), modéré, massif (plus de 10 cm de débord). Quand la splénomégalie est majeure, le pôle inférieur peut atteindre la fosse iliaque et dépas- ser l'ombilic, occuper tout le flanc gauche et poser une difficulté de palpation (piège classique de la palpation). B. Diagnostic différentiel à la palpation La découverte d'une masse de l'hypochondre gauche doit faire également évoquer : • une hypertrophie du lobe gauche hépatique ; • un gros rein gauche, mais la masse est plus postérieure, avec contact lombaire, immobile à l'inspiration profonde ; • un kyste ou une tumeur de la queue du pancréas ; • une tumeur digestive ou mésentérique ; une tumeur de l'angle colique gauche est par- fois antérieure mais immobile, avec un pôle inférieur mal limité et un bord antérieur non crénelé ; • une tumeur surrénale gauche ; • un cancer gastrique. L'échographie abdominale ou le scanner aident à lever les incertitudes.

Item 272 – UE 8 Splénomégalie 14 Connaissances C. Confirmation de la splénomégalie par l'imagerie 179 L'imagerie n'est pas indispensable pour confirmer la splénomégalie, mais elle permet en outre une  mesure tridimensionnelle et le calcul du volume splénique, et apporte en plus des renseignements sur la structure de la rate (homogène ou non) et des autres organes intra-­ abdominaux. Elle a une utilité diagnostique en cas de doute ou dans les cas difficiles (ascite, obésité, masse de l'hypochondre gauche d'origine indéterminée) : • l'abdomen sans préparation n'a plus d'intérêt ; • l'échographie abdominale confirme la nature splénique de la masse palpée, visualise la taille de la rate et renseigne sur la forme (globuleuse et non concave), l'homogénéité (kyste, hématome), et visualise d'éventuelles anomalies associées (hépatomégalie, adénopathies profondes, signes d'hypertension portale). La rate est augmentée de volume lorsque deux de ses dimensions sont anormales – valeurs normales : – 12 à 14 cm pour le grand axe (longueur), – 4 à 8 cm pour l'axe transversal (épaisseur), – 6 à 12 cm pour l'axe antéropostérieur (largeur) ; • la tomodensitométrie n'est pas utilisée en première intention pour évaluer le volume de la rate. Elle montre la perte de la concavité, la densité et l'homogénéité du parenchyme, et la présence éventuelle d'adénopathies ou autres masses associées ; • la tomodensitométrie à émission de positrons ou TEP scanner au 18F-FDG (18-fluoro­ desoxyglucose) n'est pas recommandée au stade diagnostique, mais a sa place dans le bilan d'extension des lymphomes • l'étude isotopique a un intérêt fonctionnel, uniquement pour la mise en évidence d'une métaplasie myéloïde (injection d'indium 111) ; • les explorations radiologiques vasculaires n'ont pas d'intérêt dans la démarche diagnostique. IV. Diagnostic étiologique L'augmentation du volume de la rate est le plus souvent en rapport avec l'une des fonctions de cet organe  : l'étiologie d'une splénomégalie peut s'envisager selon le mécanisme physio­ pathologique (tableau  14.1) ou selon les principales situations cliniques rencontrées (figure 14.1, tableau 14.2). La splénomégalie est parfois isolée et la démarche diagnostique va nécessiter, outre l'interro­ gatoire et l'examen clinique, la prescription de quelques examens de première intention. Quand la splénomégalie peut s'intégrer dans un tableau clinique dont elle n'est qu'un élé- ment, la démarche ira à l'essentiel. Tableau 14.1. Étiologie des splénomégalies selon le mécanisme physiopathologique. Fonction macrophagique (ou • Pathologies infectieuses bactériennes, virales, parasitaires de filtre macrophagique) • Pathologies inflammatoires • Hémolyses chroniques constitutionnelles ou acquises du globule rouge Fonction de filtre vasculaire • Maladies de surcharge Fonction hématopoïétique • Lésion ou obstacle pré-hépatique, intra-hépatique ou post-hépatique Divers • Syndromes myéloprolifératifs • Syndromes lymphoprolifératifs • Leucémies aiguës • Traumatismes, kystes, hémangiomes, métastases de tumeurs solides, etc.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Hypertension portale Fièvre Étiologie NFS Hémolyse Syndrome myéloprolifératif Syndrome lymphoprolifératif Surcharge Fig. 14.1. Exploration des principales causes d'une splénomégalie. Tableau 14.2. Découverte d'une splénomégalie : principales situations à envisager. État infectieux • Bactérien : septicémies, typhoïde, tuberculose, maladie d'Osler • Viral : mononucléose infectieuse (virus d'Epstein-Barr), VIH, hépatite virale • Parasitaire : paludisme, leishmaniose viscérale Lésion ou obstacle pré-hépatique • Thrombose porte, compression tumorale intra-hépatique, cirrhose quelle qu'en soit la cause, hémochromatose, sarcoïdose, bilharziose post-hépatique, thrombose des veines sus-hépatiques (syndrome de Budd-Chiari), insuffisance 180 cardiaque droite Maladie hématologique • Hémolyse chronique secondaire à une maladie du globule rouge : – constitutionnelle : maladie de la membrane (sphérocytose), de l'hémoglobine (thalassémie) ou d'une enzyme (pyruvate kinase) – ou acquise • Syndrome myéloprolifératif (leucémie myéloïde chronique, splénomégalie myéloïde chronique, maladie de Vaquez, thrombocytémie essentielle, leucémie myélomonocytaire chronique) • Syndrome lymphoprolifératif : lymphome (maladie de Hodgkin ou lymphome non hodgkinien), leucémie lymphoïde chronique, leucémie à tricholeucocytes, leucémie aiguë Pathologie inflammatoire • Polyarthrite inflammatoire, syndrome de Felty, lupus, sarcoïdose, maladie périodique Divers • Métastase de tumeur solide, traumatismes, kystes, hémangiomes, maladie de surcharge (maladie de Gaucher ou de Niemann-Pick) A. Démarche clinique initiale L'interrogatoire doit faire préciser : l'âge du patient, l'histoire familiale et les notions d'éthy- lisme, de séjours en pays d'endémie parasitaire (paludisme, leishmaniose), de facteurs de risque pour le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). On recherchera successivement : • un état infectieux (fièvre, frissons), qui est la première étape du diagnostic étiologique ; • des signes d'hypertension portale : hépatomégalie, ascite, circulation veineuse collatérale ; • la présence d'une ou plusieurs adénopathies périphériques, qui orientent vers une virose (mononucléose infectieuse), une sarcoïdose ou une hémopathie maligne (leucémie aiguë, leucémie lymphoïde chronique, lymphome de Hodgkin ou lymphome non hodgkinien) ;

Item 272 – UE 8 Splénomégalie 14 Connaissances • un ictère, qui oriente vers une hépatopathie ou une hémolyse ; toutes les formes d'hémo- 181 lyse, acquises ou congénitales, dont le siège de destruction érythrocytaire est extravascu- laire, s'accompagnent d'une splénomégalie ; • l'examen cutané et muqueux est parfois utile (purpura et/ou leucémides des hémopathies, angine pseudomembraneuse de la mononucléose infectieuse, vascularite lupique, papules des mastocytoses). Il faut cependant avoir à l'esprit que les hémopathies malignes peuvent être fébriles (leucémies aiguës, lymphomes), de même que certaines maladies systémiques (lupus, maladie de Still), et que le syndrome de Felty (arthrite rhumatoïde, splénomégalie, neutropénie sévère) est parfois révélé par des épisodes infectieux répétés. B. Prescription d'examens complémentaires Les examens biologiques de première intention sont : • un hémogramme avec numération des réticulocytes, étude morphologique des globules rouges, et un test de Coombs direct ; • une étude de la fonction hépatique : γ-GT, transaminases, phosphatases alcalines, taux de prothrombine, électrophorèse des protides (qui précisera aussi l'existence d'un éventuel composant monoclonal dans le cadre d'un syndrome lymphoprolifératif) ; • une recherche d'hémolyse : bilirubine totale et libre, haptoglobine ; • la recherche d'un syndrome inflammatoire : fibrinogène, CRP. Selon les circonstances, la réalisation d'hémocultures ou une recherche d'infestation palu- déenne sera effectuée d'emblée. C. Ce que l'hémogramme peut apporter 1. Anomalies de l'hémogramme liées à l'hypersplénisme L'hypersplénisme est une manifestation pathologique liée à l'augmentation de volume de la rate, indépendamment de la cause de la splénomégalie, qui associe : • une ou plusieurs cytopénies de séquestration, à des degrés variables ; • une hémodilution : inconstante bien que plus ou moins proportionnelle au volume splé- nique, elle dépend de l'étiologie de la splénomégalie mais n'est pas spécifique de la splé- nomégalie. Elle est en rapport avec l'augmentation du débit sanguin qui traverse la rate, l'hypertension portale avec augmentation de l'espace vasculaire portal, et la stimulation du système rénine-angiotensine. • Les anomalies de l'hémogramme liées à l'hypersplénisme sont reportées dans le tableau 14.3. 2. Autres anomalies de l'hémogramme pouvant conforter ou orienter le diagnostic étiologique • Une modification du nombre des leucocytes  : polynucléose neutrophile suggérant une infection bactérienne, leucopénie évoquant une infection virale, une fièvre typhoïde ou une brucellose (savoir prescrire les sérodiagnostics adaptés), hyperleucocytose avec lympho­ cytose et nombreux lymphocytes stimulés qui, dans un contexte d'angine avec adénopathie fébrile, fait soupçonner un syndrome mononucléosique chez un sujet jeune. • Une macrocytose isolée ou une anémie macrocytaire (non régénérative) orientera vers une hépatopathie, plus rarement vers une hémopathie (les anomalies des leucocytes et des plaquettes sont alors souvent patentes).

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Tableau 14.3. Anomalies de l'hémogramme liées à l'hypersplénisme. Cytopénies de séquestration • Thrombopénie : fréquente, habituellement sans manifestation hémorragique, pouvant descendre jusqu'à 50 giga/l lorsque le volume splénique est élevé, mais sans proportionnalité absolue • Leucopénie globale (2–4 giga/l) ou neutropénie (moins fréquentes) • Parfois une anémie, habituellement modérée avec une petite composante hémolytique de stase (réticulocytes : 100–180 giga/l) ; une volumineuse splénomégalie peut séquestrer 25 % de la masse sanguine totale Remarque : Une splénomégalie importante peut diminuer l'efficacité des transfusions sanguines, surtout des plaquettes. Hémodilution • Fausse anémie : masse globulaire totale inchangée alors que le volume plasmatique total est augmenté • Majoration d'une anémie préexistante, justifiant dans les cas extrêmes une mesure isotopique de la masse globulaire et plasmatique Remarque : On observe aussi une hémodilution de manière physiologique lors de la grossesse, dans certaines insuffisances cardiaques et quand il existe une forte quantité d'immunoglobuline monoclonale sérique. • Une anémie régénérative (réticulocytes > 150 giga/l) oriente vers une hémolyse constitu- tionnelle (quelle est la morphologie érythrocytaire sur frottis ?) ou acquise (le résultat du test de Coombs direct est indispensable). • Une thrombopénie est souvent liée à l'hypersplénisme, mais parfois à d'autres circon­ stances (infection, lupus) ou à une hémopathie. • Une hémoglobine augmentée, ou une franche hyperleucocytose avec polynucléose neu- trophile et myélémie, ou une hyperplaquettose chronique, ou une érythromyélémie avec 182 hématies en larme (dacryocytes), vont orienter vers l'un des syndromes myéloprolifératifs. • Une hyperlymphocytose chronique (> 4  giga/l) chez un adulte au-delà de 40 ou 50 ans orientera vers un syndrome lymphoprolifératif (l'immunophénotype des lymphocytes du sang permettra de préciser le diagnostic du syndrome lymphoprolifératif en cause). • La présence de cytopénies et celle de cellules anormales (blastes, tricholeucocytes) condui- ront à proposer un examen de la moelle osseuse : ponction médullaire et myélogramme pour rechercher une leucémie aiguë ou un syndrome myélodysplasique, biopsie ostéo­ médullaire pour la leucémie à tricholeucocytes. Remarque : Dans la tuberculose des organes hématopoïétiques, on peut observer une pancyto­ pénie (sans cellules anormales circulantes). D. Autres examens à prescrire dans un second temps, et séquentiellement Une radiographie pulmonaire, voire une endoscopie œsogastrique (recherche de varices œso- phagiennes), sera prescrite selon les situations. V. Splénomégalie isolée sans signe d'orientation A. Examen de la moelle osseuse Dans cette situation, la ponction (cytologie) et/ou la biopsie ostéomédullaire (histologie) doivent être envisagées. Cet examen peut montrer une infiltration médullaire lymphomateuse, une maladie de surcharge (très rares, essentiellement la maladie de Gaucher ou de Niemann- Pick dans leurs formes chroniques), éventuellement une splénomégalie myéloïde chronique

Item 272 – UE 8 Splénomégalie 14 Connaissances (myélofibrose) ou une leucémie à tricholeucocytes insoupçonnées après examen de l'hémo- 183 gramme. Dans un contexte de déficit immunitaire primitif ou acquis, un syndrome d'activation macrophagique pourra être évoqué (fièvre, hépatosplénomégalie, pancytopénie, hyperferriti- némie, hypertriglycéridémie, cytolyse hépatique, coagulopathie de consommation). B. Si toutes les investigations sont négatives On peut alors envisager une ponction-biopsie hépatique, en pensant à une granulomatose hépatique, une amylose, une maladie de surcharge non diagnostiquée préalablement. N.B. Les biopsies spléniques ou de nodules spléniques ne peuvent s'envisager que dans des équipes expertes après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaires VI. Splénectomie à visée diagnostique Cette décision doit tenir compte du contexte clinique. Après prophylaxie (cf. infra), l'inter- vention sera confiée à un chirurgien entraîné et doit comporter une exploration complète de l'abdomen, une biopsie hépatique et de toute adénopathie intra-abdominale. Une étude anatomopathologique attentive de la pièce opératoire recherchera un éventuel lymphome splénique primitif, une maladie de surcharge constitutionnelle, voire une tumeur primitive. Un fragment sera adressé en microbiologie pour cultures avec recherche de mycobactéries. Remarque  : Après splénectomie, on observe d'abord une hyperleucocytose et une hyper­ plaquettose qui s'amendent en quelques semaines ; ensuite, tout au long de la vie du patient, l'hémogramme va montrer des particularités constantes (présence d'hématies contenant un corps de Howell-Jolly, affirmant la splénectomie ou l'asplénie totale) ou non (discrète throm- bocytose, autres anomalies morphologiques des hématies). VII. Prévention et prise en charge des complications infectieuses des splénectomisés La splénectomie expose à des infections sévères et parfois foudroyantes (septicémies, ménin- gites), liées en particulier à des germes encapsulés (pneumocoque, méningocoque) et à Haemophilus influenzae. A. Prophylaxie Elle consiste en une vaccination antipneumococcique (ne couvre pas tous les sérotypes) avant la splénectomie si possible, associée à une vaccination anti-Haemophilus influenzae chez l'enfant ou le patient immunodéprimé. Elle est associée à une antibioprophylaxie par pénicilline orale – on la conseille en général jusqu'à l'adolescence chez l'enfant et pendant un ou deux ans chez l'adulte. Une éducation du patient, en cas de fièvre, est nécessaire (information sur une carte). B. Traitement de la fièvre du patient splénectomisé On emploie une céphalosporine de troisième génération à dose adaptée (risque de pneumo- coque à sensibilité diminuée à la pénicilline). L'antibiotique doit être adapté dès que le germe est identifié. L'asplénie fonctionnelle (par exemple lors des drépanocytoses après infarctus splénique) pose les mêmes problèmes infectieux.

Points Hématologie cellulaire – Oncohématologie clés • Une rate palpable est pathologique et nécessite une exploration étiologique. • Apprécier la taille de la splénomégalie sous le rebord costal et prendre un calque servira de référence pour l'évolution. • L'imagerie n'est pas indispensable pour confirmer la splénomégalie et s'envisage en fonction de l'étiologie. • La recherche de signes d'infection ou d'hypertension portale, d'adénopathies et d'un ictère constitue la base de la démarche étiologique. • Seule une réunion de concertation pluridisciplinaire peut décider de ponctionner ou biopsier une splénomégalie. • Il est pertinent de prescrire quelques examens biologiques : hémogramme, bilan hépatique, bilan d'hémo­ lyse et bilan inflammatoire. • L'hypersplénisme (cytopénie(s) de séquestration + hémodilution) est indépendant de la cause de la splénomégalie. • La décision de splénectomie à visée diagnostique ne s'envisage qu'en dernière intention. 184

15CHAPITRE Connaissances Item 214 – UE 7 Éosinophilie 185 I. Diagnostic d'une hyperéosinophilie II. Démarche étiologique Objectifs pédagogiques Argumenter les principales hypothèses diagnostiques devant une hyperéosinophilie. Demander les premiers examens complémentaires les plus pertinents. Une hyperéosinophilie (HE) peut être la conséquence : • d'un dérèglement d'origine centrale ou médullaire induisant un excès de production de polynucléaires éosinophiles (PNE) ; • et/ou d'un dérèglement périphérique induisant le recrutement accru des PNE de la moelle vers les tissus, particulièrement les sites de surface en contact avec l'environnement (muqueuses digestive, respiratoire, urogénitale). Au cours de l'hématopoïèse, l'engagement de cellules souches hématopoïétiques (CSH) pluripotentes de la moelle osseuse en progéniteurs granuleux, qui deviendront des PNE, est conditionné par l'environnement stromal, l'expression de facteurs de transcription et de divers facteurs de croissance et de cytokines (surtout l'IL-5). Toute altération de chacune de ces étapes, liée par exemple à un événement oncogène, aura un retentissement sur la lignée éosinophile (cf. infra, HE « primitives »). L'action conjuguée de facteurs chimioattractants — éotaxines, cytokines (IL-5), médiateurs lipidiques (leucotriènes, PAF, etc.), anaphylatoxines (C5a), histamine — et l'expression coor- donnée de molécules d'adhérence (sur les cellules sanguines et endothéliales) vont condition- ner la domiciliation tissulaire des PNE : ceci va expliquer la constitution préférentielle d'infiltrats de PNE dans certains sites agressés. Toute production ou expression dérégulée de ces facteurs sera également à l'origine d'une HE (cf. infra, Démarche étiologique en présence d'une HE « réactionnelle »). La découverte d'une HE sanguine et/ou tissulaire nécessite une approche méthodique et rigou- reuse en raison de l'extrême variété des circonstances de survenue. Aucune HE ne sera négligée. Elle peut être le signe d'appel d'une maladie grave (cancer, maladie systémique) ou favoriser le dévelop- pement de lésions viscérales (cardiopathies) liées à la toxicité des médiateurs libérés par le PNE activé (protéines cationiques, métabolites toxiques de l'oxygène). Hématologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Hématologie cellulaire – Oncohématologie I. Diagnostic d'une hyperéosinophilie A. Circonstances de découverte La découverte d'une HE peut être fortuite (hémogramme systématique lors d'un bilan de santé, en médecine du travail). Cette HE isolée sera un signe d'appel précieux qui nécessitera la recherche impérative d'une pathologie sous-jacente. Le plus fréquemment, l'HE s'inscrit dans un contexte évocateur, chez l'enfant ou chez l'adulte (allergie, parasitose), avec une symptomatologie à valeur souvent indicative (urticaire, rhinite, asthme, prurit, etc.). L'HE peut aussi s'intégrer dans un tableau de maladie de système (vascularites, notamment) ou d'une pathologie spécifique d'organe (poumon éosinophile, gastroentérite à éosinophiles, derma- toses éosinophiliques, etc.). Enfin, l'HE peut être associée à un cancer : soit une tumeur solide soit une hémopathie maligne (leucémie). B. Diagnostic positif Il est biologique, avec la mise en évidence d'un nombre excessif de PNE sanguins (nombre absolu supérieur à 0,5  giga/l) confirmé par des hémogrammes répétés. Cette HE sanguine peut être associée à une HE tissulaire. D'emblée, on s'attachera à préciser les caractéristiques de cette HE : • degré d'ancienneté (HE récente ou négligée de longue date : examens des hémogrammes antérieurs) ; • interprétation des hémogrammes et frottis sanguins : appréciation du niveau de l'HE, qui 186 peut être modérée (< 1  giga/l) ou massive (> 1,5  giga/l), avec ou sans hyperleucocytose associée, avec ou sans anomalie morphologique des PNE (cytoplasme hygogranuleux, noyau plurisegmenté), avec ou sans anomalie des autres lignées (anémie de type inflam- matoire ou ferriprive, myélémie, anomalies morphologiques des neutrophiles, présence de blastes, de cellules de Sézary, etc.) ; • évaluation de la courbe évolutive  : HE fluctuante ou persistante ; éventuelle notion de corticosensibilité ou de corticorésistance de l'HE ; • recherche de signes cliniques associés, mêmes fugaces (altération ou non de l'état général, présence ou non d'un syndrome inflammatoire associé, de signes cutanés, de manifesta- tions viscérales, etc.). Ces éléments seront précieux pour l'enquête étiologique. II. Démarche étiologique A. Éléments de cette démarche Devant toute HE, un interrogatoire méthodique et minutieux s'attachera à préciser : • les antécédents personnels et familiaux (atopie, cancers…) ; • le contact avec des animaux ; • le contexte ethnogéographique et la notion de séjour en zone d'endémie parasitaire (même ancienne) ; • la notion de prises médicamenteuses et leur antériorité par rapport à l'apparition de l'HE. L'anamnèse, puis l'examen clinique permettront ainsi de guider la prescription d'examens complémentaires. Trois situations peuvent être rencontrées : • soit l'origine de l'HE est fortement suspectée et nous disposons de moyens d'analyse pour objectiver le mécanisme en cause ; c'est le cas pour :

Item 214 – UE 7 Éosinophilie 15 Connaissances – l'allergie (réalisation de tests cutanés suivis, si nécessaire, de la recherche d'IgE sériques 187 spécifiques d'allergènes ; le dosage de l'IgE sérique « totale » est souvent d'un intérêt limité en raison de l'existence de fréquents faux positifs ou faux négatifs) – les parasitoses, où les tests seront à adapter en fonction du parasite qui paraît être impliqué (tableau 15.1) ; – pour les cancers : il peut s'agir d'une hémopathie maligne (principalement la maladie de Hodgkin, les lymphomes T, notamment cutanés, ou les syndromes myéloprolifératifs) ou d'une tumeur solide (cancers digestifs ou pulmonaires principalement) ; • soit l'origine de l'HE est fortement suspectée mais nous ne disposons pas de moyens d'ana- lyse pour objectiver le mécanisme en cause : – c'est le problème que pose, par exemple, l'imputabilité d'un médicament dans le développe- ment d'une HE. La preuve d'une relation de cause à effet n'est parfois apportée que par la disparition progressive et parfois lente de l'HE après éviction du produit ou du milieu incriminé ; – c'est le problème que pose aussi l'HE associée à des maladies systémiques (granulo- matose éosinophilique avec polyangéite ou syndrome de Churg-Strauss, fasciite de Schulman, etc.) ou à des maladies spécifiques d'organe (pneumonie chronique à PNE ou maladie de Carrington, gastro-entérite à PNE, etc.) ; • soit l'origine de l'HE reste indéterminée et les enquêtes diagnostiques demeurent infruc- tueuses : ces HE persistantes inexpliquées sont rassemblées sous le vocable de syndrome hyperéosinophilique (SHE). Il est alors indispensable de renouveler les investigations, au moins tous les six mois, pour dépister une cause sous-jacente jusqu'alors non identifiée. Des données nouvelles permettent aujourd'hui de mieux classer ce cadre hétérogène des SHE. Tableau 15.1. Principales parasitoses associées à une HE et modalités d'investigation. Contexte ethnogéographique Méthodes d'analyse Parasitoses en France métropolitaine : Scotch-test (oxyurose) Distomatose⁎ Sérologies parasitaires (toxocarose, distomatose, hydatidose, hypodermose, Toxocarose⁎ trichinellose, bilharzioses, filarioses, etc.) Trichinellose⁎ Examen des selles (tæniasis, ascaridiose, trichocéphalose, ankylostomose, Oxyurose⁎⁎ bilharzioses, etc.) avec méthodes de concentration spécifique, Baerman Hydatidose⁎⁎ (anguillulose) Tæniasis⁎⁎ Examen des urines (bilharziose urinaire) Hypodermose⁎⁎ Imagerie (toxocarose, distomatose, hydatidose) Anisakiase⁎⁎ Fibroscopie (anisakiase) Biopsie musculaire (trichinellose), biopsie rectale (bilharzioses), biopsie cutanée exsangue (Onchocerca volvulus) Recherche de microfilaires sanguicoles à midi (loase), à minuit (filariose lymphatique) Présence de larves au niveau cutané (hypodermose : myiase rampante ou furonculeuse) Parasitoses tropicales : Bilharzioses digestives ou urinaires⁎ Filarioses (loase, filariose lymphatique, onchocercose)⁎ Ankylostomose⁎ Ascaridiose⁎⁎ Anguillulose⁎⁎⁎ ⁎ HE élevée ou chronique : la toxocarose ou larva migrans viscérale peut être asymptomatique, alors que la distomatose et la trichinellose s'accompagnent souvent de symptômes évocateurs. ⁎⁎ HE modérée ou transitoire : dans l'hypodermose ou lors de la rupture d'un kyste hydatique, l'HE peut être élevée (> 1,5 giga/l) avec dans ce dernier cas le risque de choc anaphylactique. ⁎⁎⁎ HE oscillante cyclique.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie À côté de la démarche étiologique, il est capital de rappeler qu'une hyperéosinophilie, quelle qu'en soit la cause, est susceptible d'entraîner des lésions viscérales propres aux PNE. Ainsi, les PNE peuvent potentiellement infiltrer tous les organes, avec un tropisme électif pour les tissus myocardiques, pulmonaires, cutanés, neurologiques et digestifs. La complication emblématique et la plus grave est la fibrose endomyocardique, qui se traduit par un tableau de cardiomyopathie restrictive le plus souvent irréversible et fatale. Cette fibrose endomyo­ cardique a été décrite dans des HE médicamenteuses, dans le lymphome de Hodgkin, dans des parasitoses chroniques, ou des infections HTLV1 par exemple. B. Démarche étiologique en présence d'une HE « réactionnelle» Le caractère réactionnel se définit comme l'identification d'une cause sous-jacente à l'HE (tableau 15.2). Le traitement de l'événement causal de l'HE entraîne le plus souvent sa disparition plus ou moins rapide. Dans certains cas, le mécanisme d'induction de l'HE est bien argumenté : il est lié à la production de facteurs, notamment l'IL-5, qui agiront sur la production, l'activation, le recrutement tissulaire des PNE. C'est ce qu'on observe dans l'allergie (hypersensibilité dépendant d'IgE), dans les parasitoses (réaction inflammatoire qui accompagne la phase de migration lar- vaire), dans les cancers (production d'IL-5 par la cellule transformée par un événement oncogène). 1. Situations dont le mécanisme réactionnel est établi HE et atopie L'HE sanguine est ici souvent modérée (< 1 giga/l), parfois associée à une élévation du taux 188 sérique des IgE totales. Différents tableaux cliniques peuvent être rencontrés : asthme, rhinite spasmodique, dermatite atopique. Tableau 15.2. Principales causes non parasitaires d'HE > 1 giga/l en fonction de la symptomatologie Clinique. Causes iatrogènes : Dermatoses : Bêtalactamines, isoniazide, amphotéricine B Pemphigoïde bulleuse Imipramine Mastocytose systémique Alphaméthyl-dopa Maladie de Kimura DRESS : antiépileptiques, disulone, allopurinol Hyperplasie angiolymphoïde Cellulite de Wells Mycosis fungoïde, Sézary Poumon éosinophile : Affections systémiques : Médicaments Polyarthrite rhumatoïde Parasitoses Syndrome de Shulman Aspergillose bronchopulmonaire allergique Syndrome de Churg et Strauss Angéite de Churg et Strauss Granulomatose de Wegener Pneumonie de Carrington Périartérite noueuse Embolies de cholestérol Hémopathies, cancers et déficits immunitaires : Affections digestives : Hodgkin Maladie de Crohn Lymphomes B Maladie de Whipple Lymphomes T Pathologies virales : Cancers solides VHC Syndrome de Wiskott-Aldrich VIH Syndrome de Job-Buckley Leucémies chroniques à éosinophiles et syndromes myéloprolifératifs Syndrome hyperéosinophilique Syndromes myélodysplasiques

Item 214 – UE 7 Éosinophilie 15 Connaissances Il est capital de rappeler que toute HE > 1 giga/l doit faire remettre en question une origine atopique. 189 Par exemple, un prurit avec HE imposera d'éliminer un lymphome de Hodgkin chez un sujet jeune, une pemphigoïde bulleuse chez le sujet âgé. De même, l'asthme donne une HE qui dépasse rarement 1  giga/l, on évoquera plus volontiers au-delà de ce taux la granuloma- tose éosinophilique avec polyangéite (Churg-Strauss) ou l'aspergillose bronchopulmonaire allergique. HE et parasitose Il s'agit le plus souvent d'helminthiases qui nécessitent des examens complémentaires adaptés (tableau 15.1). Si le sujet n'a pas quitté la France métropolitaine, devant une HE > 1 giga/l, on évoque une toxocarose, surtout chez l'enfant en contact avec des animaux domestiques (syndrome de larva migrans viscérale), une ascaridiose, devenue exceptionnelle en France métropolitaine (syndrome de Löffler et signes intestinaux), une distomatose hépatique (tableaux d'hépatite à la phase d'invasion, manifestations allergiques et angiocholite à la phase d'état), une trichinose (œdèmes, myalgies) ou une myiase due à des larves de mouches ou varrons en pays d'éle- vages bovins (tuméfaction sous-cutanée, pseudofuronculose, extériorisation à la peau d'une larve). Parmi ces étiologies, seule la toxocarose semble pouvoir être totalement asympto- matique, et doit donc être recherchée par un diagnostic sérologique devant toute HE chronique asympto­matique d'un sujet n'ayant jamais quitté la France métropolitaine. On rappellera enfin que la sérologie toxocarose peut rester positive même en cas d'infection guérie (cicatrice séro­ logique). L'oxyure et le tænia, helminthiases autochtones et potentiellement asymptomatiques, ne doivent être envisagés que devant des HE modérées < 1 giga/l. Si l'enquête parasitologique demeure infructueuse, un traitement antihelminthique d'épreuve (albendazol ou flubendazol) avec suivi de l'HE peut être proposé. En revanche, toute corticothérapie aveugle est à proscrire formellement (risque de syndrome d'hyperinfestation parasitaire). HE et virus Une infection par le VIH ou par HTLV1 peut être à l'origine d'une HE chronique. HE et cancer Ce contexte est rapidement évoqué devant une altération de l'état général, un syndrome inflammatoire et des signes d'appel (douleurs, troubles fonctionnels, adénopathies, etc.). Ces signes ne sont pas toujours présents et, devant une HE isolée persistante, il faudra rechercher un cancer sous-jacent. L'HE réactionnelle est souvent liée à la production de facteurs de crois- sance ou de cytokines, notamment l'IL-5. Le traitement chirurgical avec ablation de la tumeur entraîne souvent mais pas toujours la disparition de l'HE. Un événement oncogène peut aussi entraîner une surproduction d'IL-5 et explique l'HE observée au cours d'exceptionnelles leucé- mies aiguës lymphoblastiques. Au cours de certains lymphomes, comme celui de Hodgkin ou certains lymphomes T, une sécrétion inappropriée d'IL-5 est responsable de l'HE. HE et radiothérapie profonde L'hyperéosinophilie peut durer plusieurs semaines, jusqu'à six mois. 2. Autres circonstances Dans d'autres circonstances d'HE réactionnelles, le mécanisme d'induction de l'HE est mal défini ou très hypothétique. C'est le cas dans les situations suivantes.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie HE liée à un syndrome d'hypersensibilité médicamenteuse Une cause médicamenteuse doit être recherchée, de principe, devant toute HE sanguine. Le plus souvent, l'enquête est délicate et l'implication d'un médicament difficile à établir. L'ancienneté de l'HE comme le lien temporel entre son apparition et l'introduction d'un médicament sont des éléments essentiels du diagnostic. Une grande variété des produits peut être incriminée et la liste ne cesse d'être réactualisée (site internet Theriaque  : http://www.­theriaque.org/). Les  médicaments le plus fréquemment impliqués sont les antiépileptiques, les sulfamides, l'allopurinol, la minocycline, les antirétroviraux et, plus récemment, le ranélate de strontium. Enfin, il faut mentionner, chez les patients hospitalisés, la possibilité, rare, d'éosinophilie liée aux produits de contraste iodés ou à l'héparine. Les HE médicamenteuses, parfois massives jusqu'à 200 × 109/l (200 000/mm3), peuvent être de découverte fortuite et asymptomatique. Dans d'autres situations, elles s'accompagnent de manifestations cliniques parfois sévères, comme dans le syndrome DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms), défini par l'association d'une éruption cutanée, d'une HE > 1,5 · 109/l et d'une atteinte viscérale. Le pronostic vital peut alors être engagé par hépatite fulminante ou insuffisance rénale aiguë liée à une néphropathie interstitielle immunoallergique. Le délai d'apparition après introduction du médicament en cause est classiquement de deux à huit semaines. Dans de rares cas, les manifestions cliniques et hématologiques peuvent durer plusieurs mois (parfois au-delà de six mois) après l'arrêt du médicament incriminé. Les mécanismes en cause sont variés et ne relèvent pas tous d'un processus allergique. Les études récentes mettent l'accent sur le rôle de la reconnaissance spécifique du médicament par des lymphocytes T, stimulés de façon polyclonale, ainsi que la réactivation de virus du groupe herpès, notamment EBV et HHV-6. 190 Toute HE médicamenteuse nécessite la surveillance biologique (au moins hebdomadaire) d'une dysfonction rénale (créatininémie) et hépatique (transaminases et TP) jusqu'à disparition de l'HE, même si la présentation clinique est parfois faussement rassurante (simple éruption cutanée). HE et maladies du système immunitaire Toute dérégulation de l'homéostasie lymphocytaire induite par des traitements ou liée à un processus pathogène peut avoir un retentissement sur la lignée éosinophile : • l'HE peut être associée à des signes cliniques ou biologiques d'autoréactivité : dans la pem- phigoïde bulleuse, dans la granulomatose éosinophilique avec polyangéite (Churg-Strauss), dans la périartérite noueuse ; • l'HE peut être associée à des signes d'alloréactivité : dans le cadre des réactions du greffon versus hôte (GVH chronique)  ; • dans le cadre d'un déficit immunitaire, on décrit la survenue possible d'une HE (syndrome de Wiskott-Aldrich, syndrome hyper-IgE de Job-Buckley, par exemple). HE et maladies spécifiques d'organe L'HE sanguine est ici associée à des pathologies ciblées sur certains tissus ou organes, qui peuvent concerner : • la sphère ORL ou bronchopulmonaire : asthme allergique, rhinite allergique ou non aller- gique : NARES (Non Allergic Rhinitis With Eosinophilia), syndrome de Fernand Widal asso- ciant une polypose naso-sinusienne avec un asthme et en relation avec la prise d'aspirine ou d'AINS, syndrome de Löffler avec des signes cliniques et radiologiques modestes et fugaces liés à une parasitose, à la prise d'un médicament ou idiopathique, pneumonie chronique à éosinophiles ou maladie de Carrington ;

Item 214 – UE 7 Éosinophilie 15 Connaissances • la sphère cutanée : maladie de Kimura ou granulome éosinophile des tissus mous, hyper- 191 plasie angiolymphoïde avec HE, autres ; • la sphère digestive : de nombreuses affections du tube digestif, outre les parasitoses, s'ac- compagnent d'une HE sanguine  : rectocolite hémorragique, maladie de Crohn, maladie cœliaque ; d'autres affections (hémopathies à localisation digestive, vasculaires) doivent être recherchées ; en revanche, aucune cause évidente (atopie ?) n'est retrouvée dans la gastro-entérite à éosinophiles ou dans l'œsophagite à éosinophiles ; souvent, le diagnostic sera confirmé par biopsie. C. Démarche étiologique en présence d'une HE « primitive» Il s'agit en fait d'authentiques leucémies chroniques à éosinophiles, dont le diagnostic a été longtemps rendu difficile par l'absence d'anomalie morphologique des PNE leucémiques. Les progrès de la biologie moléculaires ont permis d'identifier des anomalies moléculaires récur- rentes dans certains cas d'HE chroniques inexpliquées autrefois considérées comme des SHE : il s'agit principalement du gène de fusion FIP1L1-PDGFRA, d'anomalies du gène PDGFRB ou du gène FGFR1 (ces dernières détectables sur un caryotype médullaire standard). Leur identifica- tion est d'autant plus importante que leur pronostic est redoutable en l'absence de traitement et que l'imatinib induit dans un grand nombre de cas des rémissions complètes et durables (surtout dans les leucémies à PNE liés à FIP1L1-PFGRA ou PDGFRB). Plus rarement, l'HE est associée à une mastocytose systémique avec mutation de c-KIT ou à une leucémie myéloïde chronique BCR-ABL+. En pratique • Il faut distinguer l'exploration d'une HE modérée de celle d'une HE majeure. Dans le premier cas, la recherche de manifestations atopiques, un examen parasitologique des selles (avec Scotch-test) et l'enquête médicamenteuse seront le plus souvent suffisantes. En revanche, en l'absence de cause iden- tifiable et devant la persistance de l'HE (après un traitement d'épreuve antiparasitaire), une prise en charge spécialisée devient nécessaire. • Il est difficile de retenir un schéma unique d'exploration d'une HE majeure en raison de la grande variété des atteintes organiques et des étiologies sous-jacentes. Le bilan comporte deux volets (qui doivent être réalisés dans le même temps) : – recherche d'une étiologie ; – retentissement de l'HE. • Une proposition d'examens complémentaires de première intention et deuxième intention figure dans le tableau 15.3. • Concernant l'attitude thérapeutique, tous les médicaments imputables seront arrêtés avant même le résultat des examens complémentaires. Dans un second temps (ou d'emblée en l'absence de modification thérapeutique récente) un traite­ ment d'épreuve antiparasitaire est souvent proposé de façon systématique. Outre son action sur une éventuelle toxocarose asymptomatique, le traitement antiparasitaire d'épreuve aura pour intérêt l'éradication de l'anguillule chez les patients ayant séjourné en zone endé- mique et chez lesquels une corticothérapie pourrait être proposée (albendazole, flubendazol, et/ou ivermectine en cas d'exposition à l'anguillule). En l'absence d'étiologie identifiée et de réponse au traitement antiparasitaire, la poursuite des explorations sera alors conduite dans un centre spécialisé.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Tableau 15.3. Examens complémentaires nécessaires dans l'exploration d'une HE chronique. En première intention Après traitement antiparasitaire À réaliser en centre spécialisé d'épreuve NFS avec frottis sanguin Myélogramme avec caryotype Ionogramme sanguin, fonction rénale, Sérologie HTLV1 Immunophénotypage lymphocytaire CRP Anticorps antinucléaires Recherche d'une clonalité T circulante Bilan hépatique ANCA Recherche du transcrit de fusion Électrophorèse des protides sériques Dosage pondéral des FIP1L1-PDGFRA Sérologie VIH, VHB, VHC immunoglobulines sériques Biopsie d'organe selon la Examen parasitologique des selles Dosage des IgE totales sériques symptomatologie (digestive, cutanée) 3 jours de suite Dosage de la vitamine B12 sérique Sérologie toxocarose Tryptase sérique Sérologies parasitaires orientées par Scanner thoraco-abdomino-pelvien la clinique Biopsie d'organe selon la Radiographie de thorax symptomatologie (digestive, cutanée) Échographie abdominale Échographie cardiaque Pointsclés • Ne jamais négliger une HE (même modérée, surtout si elle est persistante). • Toute HE nécessite une enquête méthodique et rigoureuse. • Les causes d'HE à évoquer en priorité sont : parasites, médicaments, cancer ; atopie pour les HE < 1 giga/l. • Savoir adapter l'enquête parasitaire et éviter les sérologies inutiles. 192 • Toute HE chronique inexpliquée nécessite des investigations complémentaires réalisées en milieu spécialisé.

16CHAPITRE Connaissances Item 210 – UE 7 Thrombopénie 193 I. Circonstances de découverte de la thrombopénie II. Diagnostic positif III. Diagnostic différentiel IV. Diagnostic de gravité V. Diagnostic étiologique VI. Quelques situations particulières Objectifs pédagogiques Argumenter les principales hypothèses diagnostiques. Justifier les examens complémentaires pertinents. La thrombopénie se définit comme la baisse du taux sanguin des plaquettes en dessous des valeurs de référence. En pratique, ceci correspond le plus souvent à un taux < 150 giga/L. I. Circonstances de découverte de la thrombopénie A. Lors d'un syndrome hémorragique • Les thrombopénies sévères provoquent un purpura  : il est pétéchial (souvent en petites taches, en tête d'épingle), non infiltré, isolé ou ecchymotique, parfois associé à de larges hématomes. La découverte d'un purpura impose la prescription d'un hémogramme. Le taux de plaquettes est habituellement inférieur à 20 giga/L. Il est à noter que l'impor- tance des signes cliniques n'est pas strictement corrélée aux chiffres des plaquettes • D'autres manifestations hémorragiques sont possibles : épistaxis, hématuries, gingivorra- gies, ménorragies, hémorragies digestives ou cérébro-méningées. Toutes doivent conduire à réaliser un hémogramme rapidement. B. En l'absence de syndrome hémorragique • Découverte fortuite. • Parfois la thrombopénie est recherchée du fait de sa fréquence dans un contexte patho­ logique particulier : hépatopathie, maladie auto-immune, grossesse, sepsis grave, traite- ment héparinique. • Dans le cadre d'une enquête familiale de thrombopénie constitutionnelle. • Plus rarement, enfin, la thrombopénie est découverte lors de manifestations thrombo- tiques : syndrome des antiphospholipides, purpura thrombotique thrombopénique. Hématologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Hématologie cellulaire – Oncohématologie II. Diagnostic positif Le diagnostic repose sur l'hémogramme : le taux de plaquettes est inférieur à 150 giga/L, quel que soit l'âge. Il est important que le laboratoire signale les alarmes rendues par les automates et en donne l'interprétation. De même, il devra vérifier l'absence d'agrégats plaquettaires sur lame ou de satellitisme plaquettaire (artefact entraînant une adhérence des plaquettes aux polynucléaires). III. Diagnostic différentiel Les fausses thrombopénies ne doivent pas être méconnues. Il peut s'agir de consommation pla- quettaire in vitro par activation de l'hémostase entraînant des agrégats plaquettaires voire un caillot. Les causes principales sont : • le prélèvement fait sur tube inapproprié ; • l'activation induite par des difficultés de prélèvement ; • surtout, l'agrégation à l'EDTA, anticoagulant chélateur du calcium présent dans les tubes à hémogramme : la présence de certains anticorps induit une agrégation plaquettaire en présence d'EDTA, génératrice de fausse thrombopénie. D'où la règle, en cas de thrombopénie, surtout lorsqu'elle est de découverte fortuite, de confir- mer par une seconde détermination à partir d'un prélèvement effectué sur un autre anticoagu- 194 lant – le plus fréquemment, sera utilisé le tube pour hémostase, contenant du citrate ; la valeur finale devra alors tenir compte d'un facteur de dilution de 10 % conduisant à sous-estimer légèrement les chiffres rendus par l'automate. IV. Diagnostic de gravité L'estimation de la gravité conditionne la conduite à tenir : gestion d'urgence et hospitalisation ou démarche diagnostique étiologique en consultation. Cette appréciation repose sur des critères cliniques et biologiques. Critères de gravité Critères cliniques Les plus importants sont : • la présence d'un purpura cutanéomuqueux extensif, a fortiori s'il est nécrotique ; • la découverte de bulles hémorragiques endobuccales ; • l'apparition de signes neurologiques ou d'une céphalée intense et persistante ; • la présence d'hémorragies au fond d'œil. Critères biologiques • Le seuil de gravité peut être situé à 20 giga/L. La découverte d'une thrombopénie < 20 giga/L impose donc l'hospitalisation ou un avis spécialisé urgent. • Entre 20 et 50 giga/L, les signes hémorragiques sont rares, sauf facteur surajouté : prise de médicaments antiplaquettaires, anomalie fonctionnelle plaquettaire associée, en particulier hémopathie (myélodys- plasie, maladie de Waldenström), anomalie de la coagulation associée, traumatisme même minime. • Les taux de 50 à 150 giga/L sont habituellement asymptomatiques (sauf thrombopathie associée).

Item 210 – UE 7 Thrombopénie 16 V. Diagnostic étiologique 195Connaissances La démarche diagnostique doit tenir compte de la physiopathologie, qui classe les thrombo­ pénies en deux catégories (tableau 16.1) : • thrombopénies périphériques : la production médullaire est normale, mais les plaquettes sont détruites, consommées ou séquestrées ; • thrombopénies centrales, liées à une diminution ou une insuffisance de production médullaire. En théorie, le myélogramme permet de séparer ces deux entités. Dans la réalité, un myélo- gramme normal n'exclut pas une diminution de production médullaire et ne permet donc pas d'affirmer une origine périphérique. Cet examen ne doit pas être systématique et sera réalisé lorsqu'on suspecte une hémopathie, voire en cas de doute avant de mettre en place un traite- ment susceptible de la masquer (corticoïdes). C'est donc l'étude attentive du contexte par l'interrogatoire, l'examen clinique et le bilan bio- logique initial (hémogramme bilan de coagulation) qui doit orienter les investigations. Une question est essentielle : la thrombopénie est-elle isolée ? Cette notion est à rechercher : • par l'interrogatoire  : prise de médicaments, récente ou ancienne ; certains médicaments sont connus pour être possiblement responsables de thrombopénie : héparines, quinine, quinidine, sulfamides, abciximab ; • par l'examen clinique : contexte infectieux, grossesse, recherche d'adénopathie, de spléno- mégalie, d'hépatomégalie ou de signes évoquant une atteinte des autres lignées (syndrome anémique, signes cutanés ou muqueux d'agranulocytose, infiltrats leucémiques divers) ; • par l'hémogramme : en dehors d'une possible anémie ferriprive associée, il permet d'orien- ter le diagnostic ou, au moins, les examens ; • par un bilan de coagulation (TP, TCA, fibrinogène) afin d'éliminer une CIVD (coagulation intravasculaire disséminée) A. Thrombopénies périphériques 1. Purpura thrombopénique immunologique, ou auto-immun Appelé parfois encore, à tort, purpura thrombopénique idiopathique (PTI), c'est le premier diag­nostic à évoquer devant une thrombopénie isolée, le caractère isolé étant défini sur les trois critères précédents : interrogatoire, examen clinique, hémogramme. Il n'existe, à ce jour Tableau 16.1. Principales thrombopénies classées en fonction du mécanisme d'apparition. Thrombopénies d'origine • Par hyperdestruction : périphérique – purpura thrombopénique immunologique – thrombopénies des maladies auto-immunes Thrombopénies centrales – allo-immunisation materno-fœtale – thrombopénies médicamenteuses – thrombopénies infectieuses ou post-infectieuses • Par consommation excessive : – CIVD, indépendamment de l'origine (hémorragies et thromboses) – micro-angiopathies thrombotiques (thromboses) • Par séquestration : hypersplénisme, quelle qu'en soit l'origine : hypertension portale, parasitose, hémopathie, infection – Aplasie médullaire – Hémopathies malignes : leucémies, myélodysplasie, envahissement lymphomateux – Envahissement métastatique néoplasique – Carences vitaminiques : B12, folates – Mégalobastose non carentielle : médicamenteuse ou toxique

Hématologie cellulaire – Oncohématologie aucun critère diagnostique positif pour poser le diagnostic qui reste donc un diagnostic d'ex- clusion. Il est de règle d'éliminer aussi une infection par VIH, VHB et VHC +++. La recherche d'anticorps anti-plaquettes n'est pas réalisée en première intention. Le myélogramme est peu contributif et son indication est discutée, sauf lorsqu'on veut éliminer une hémopathie maligne, en particulier avant de mettre en place un traitement par corticoïdes. La forme la plus fréquente est le PTI aigu de l'enfant, d'apparition brutale et d'évolution habi- tuellement favorable, spontanément ou sous traitement. Les hémorragies y sont rares. Le pas- sage à la chronicité est néanmoins possible, mais cette évolution est plutôt le fait du PTI de l'adulte. 2. Autres thrombopénies par hyperdestruction Thrombopénies immunologiques lors de maladies auto-immunes Lupus érythémateux disséminé, syndrome d'Evans qui associe à la thrombopénie immuno­ logique une anémie hémolytique auto-immune. Thrombopénies par allo-anticorps Post-transfusionnelle ou, dans un contexte néonatal, allo-immunisation fœto-maternelle ou transmission passive d'anticorps anti-plaquettes par une mère elle-même porteuse d'un PTI, même si celui-ci est en rémission. 3. Thrombopénies médicamenteuses Nous avons évoqué les thrombopénies induites par l'héparine qui sont traitées au chapitre des 196 traitements antithrombotiques (cf. Item 326, au chapitre 22) et se diagnostiquent par l'anam- nèse associée à des tests biologiques spécifiques. Il faut citer les principaux médicaments autres que les héparines : antiarythmiques, antiépilep- tiques, antibiotiques, chimiothérapies anticancéreuses. 4. Thrombopénies infectieuses ou post-infectieuses Elles doivent être recherchées systématiquement par sérologie VIH, VHC, VHB. Chez l'enfant, des thrombopénies transitoires post-infectieuses sont fréquentes, après CMV, EBV, parvovirus. 5. Thrombopénies par consommation Dans ces syndromes ou maladies, les plaquettes sont impliquées dans un processus d'hémo­ stase du fait d'une activation excessive de l'hémostase et sont donc consommées. Dans ce cadre se distinguent les micro-angiopathies thrombotiques et la CIVD. Micro-angiopathies thrombotiques Le purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT), appelé encore syndrome de Moschowitz, associe une fièvre, des troubles de la conscience et des douleurs abdominales. Le bilan bio- logique révèle une anémie hémolytique par fragmentation, indiquée par la présence de schi- zocytes, ou hématies en lames, associée à une insuffisance rénale. Le diagnostic repose sur la diminution de l'enzyme ADAMTS13. Des éléments concordants plaident pour la nature auto-immune de cette affection. Le syndrome hémolytique et urémique est retrouvé chez l'enfant avec diarrhée, oligo-anurie, thrombopénie et hémolyse. Il est en général d'origine infectieuse (Escherichia coli ou Shigella). On peut en rapprocher le HELLP syndrome des femmes enceintes.

Item 210 – UE 7 Thrombopénie 16 Connaissances Coagulation intravasculaire disséminée 197 Elle survient dans des circonstances cliniques particulières  : sepsis surtout à Gram négatif, pathologies obstétricales, leucémies, cancers, hémolyse aiguë, accidents transfusionnels. La thrombopénie en est un signe essentiel, associé à la baisse du fibrinogène. 6. Thrombopénies par séquestration Ce sont en général des thrombopénies modérées, souvent associées à une neutropénie, elle aussi modérée, voire à une anémie. Elles peuvent se voir dans toutes les maladies où existe une splénomégalie : hépatopathies avec hypertension portale, parasitoses, hémopathies (myélo­ fibrose en particulier). En fonction des étiologies, la thrombopénie peut relever de mécanismes associés : consommation lors de CIVD, origine centrale lors d'hémopathies malignes. B. Thrombopénies centrales Elles sont dues à une insuffisance de production médullaire dans un contexte d'hémopathies, malignes ou non. Ces thrombopénies ne sont qu'exceptionnellement isolées – le diagnostic peut alors être très difficile. Le diagnostic se fait habituellement par le myélogramme, éventuellement la biopsie médullaire. Les principales maladies en cause sont : • les aplasies médullaires ; • les hémopathies malignes : leucémies aiguës, myélodysplasies, syndromes myéloproliféra- tifs acutisés, envahissement lymphomateux ; • cancers solides métastasés à la moelle ; • atteintes médullaires d'origine médicamenteuse ou toxique ; • mégaloblastoses : carences en folates ou vitamine B12, origine toxique ou médicamenteuse. C. Thrombopénies constitutionnelles Elles sont rares et doivent être distinguées des thrombopénies néonatales par sepsis ou allo- immunisation materno-fœtale. Les thrombopénies constitutionnelles sont habituellement modérées et peuvent être diagnostiquées à tout âge. Plusieurs éléments peuvent orienter vers ce diagnostic : • la notion de thrombopénie familiale ; • l'association à une altération des fonctions plaquettaires ; • l'association à un contexte polymalformatif ou dysimmunitaire. Les principales sont les amégacaryocytoses congénitales, le syndrome de Wiskott-Aldrich, la maladie de May-Hegglin et les autres dites du groupe de thrombopénies MYH9. Le diagnostic relève de centres spécialisés. VI. Quelques situations particulières A. Thrombopénies chez la femme enceinte Diverses causes de thrombopénie sont observables au cours de la grossesse  : PTI (surtout au premier trimestre), maladies auto-immunes (lupus), infections virales (VIH, CMV, EBV), médicaments.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Certaines situations sont spécifiques à la grossesse : thrombopénie gestationnelle, hyperten- sion et prééclampsie/éclampsie, HELLP syndrome (Hemolysis, Elevated Liver enzymes, Low Platelets) et, plus rarement, stéatose hépatique aiguë gravidique. • La thrombopénie gestationnelle est observée au cours de 5 à 7 % des grossesses normales et représente la vaste majorité des thrombopénies de la grossesse. Il s'agit d'une diminu- tion progressive de la numération plaquettaire au cours du deuxième et du troisième tri- mestre (hémodilution), habituellement autour de 90–140 giga/L (si < 70 giga/L : envisager une autre étiologie). La surveillance est restreinte : recherche d'une hypertension artérielle, d'une protéinurie, éventuellement d'anticorps antinucléaires et antiphospholipides (qui seront négatifs). • La prééclampsie est associée à une thrombopénie dans un tiers des cas  : elle survient habituellement après cinq mois de grossesse, chez les primipares de moins de 20 ans ou plus de 30 ans. On observe une hypertension artérielle plus ou moins forte, des douleurs abdominales, une protéinurie. • Le HELLP syndrome est rare, grave, survenant au dernier trimestre de la grossesse : il se rapproche du PTT. Anémie hémolytique avec schizocytes, thrombopénie plus ou moins sévère, augmentation des transaminases et des LDH sont recherchées. B. Thrombopénies chez le nouveau-né De gravité et d'intensité variables, elles sont observées dans de nombreuses circonstances. • Une symptomatologie hémorragique avec thrombopénie sévère (< 20 giga/L) est observable dans les thrombopénies allo-immunes. La mère développe des anticorps (le plus souvent 198 anti-HPA1a) qui traversent la barrière placentaire et provoquent la thrombopénie, durant deux à quatre semaines. La recherche d'anticorps anti-plaquettes chez la mère (dirigés contre un antigène paternel) permet le diagnostic. • Les infections congénitales (CMV, toxoplasmose, VIH), périnatales (E. coli, streptocoque B, Haemophilus) ou néonatales tardives (sepsis tardif, entérocolite nécrosante, staphy- locoques à coagulase négative, bacilles à Gram négatif) s'accompagnent fréquemment d'une thrombop­ énie, parfois très sévère. Le diagnostic repose sur les prélèvements bacté- riovirologiques adéquats. • Une thrombopénie (modérée, inconstante, rarement au premier plan) est décrite dans diverses situations : asphyxie, hypothermie (qui se complique parfois de CIVD), insuffisance placentaire (prééclampsie, diabète, retard de croissance intra-utérin), mère présentant une maladie auto-immune (lupus, PTI) ou ayant pris des médicaments. C. Thrombopénies dans un contexte de transfusions sanguines • La thrombopénie de dilution ne s'observe que lors de transfusions massives (au-delà de dix concentrés érythrocytaires). • L'accident transfusionnel immédiat peut revêtir plusieurs aspects, de la simple ineffica- cité transfusionnelle des concentrés érythrocytaires jusqu'aux formes graves, qui s'accom- pagnent d'un état de choc avec collapsus et se compliquent parfois de CIVD (cf. Item 325, au chapitre 25). • Le purpura transfusionnel est un accident grave et retardé de la transfusion. Aujourd'hui peu fréquent, il survient cinq à sept jours après transfusion d'un produit sanguin contenant des plaquettes. Le purpura est très thrombopénique et dure sept à dix jours. Il est lié à la présence d'anticorps anti-plaquettes (anti-HPA1a) apparus lors d'une transfusion ancienne ou d'une grossesse (ils doivent être recherchés pour confirmer le diagnostic).

Item 210 – UE 7 Thrombopénie 16 clés 199 • Un purpura disséminé, pétéchial et ecchymotique, cutané et muqueux doit faire évoquer une thrombopénie. • Le risque hémorragique d'une thrombopénie est important lorsque les plaquettes sanguines sont en dessous de 20 giga/L. Il est, en règle générale, absent lorsque les plaquettes sont supérieures à 50 giga/L (en dehors d'une thrombopathie associée). • Une thrombopénie qui ne s'accompagne pas de signes hémorragiques (surtout si elle est importante) doit faire rechercher une « pseudo-thrombopénie » par agglutination in vitro liée à l'EDTA. • L'interrogatoire, l'examen clinique et l'hémogramme (avec le frottis) permettent souvent une orienta- tion pour le diagnostic étiologique. • Le myélogramme permet de séparer les thrombopénies centrales et les thrombopénies périphériques, mais n'est pas indispensable en première intention, notamment chez l'enfant si la thrombopénie est isolée et se corrige rapidement. • Les transfusions plaquettaires sont surtout efficaces dans les thrombopénies centrales. • Une thrombopénie contre-indique de pratiquer sans mesures thérapeutiques les injections intramuscu- laires, les biopsies percutanées, les ponctions profondes (lombaire, pleurale, péricardique) et les inter- ventions chirurgicales. Pour en savoir plus Purpura thrombopénique immunologique de l'enfant et de l'adulte. Protocole national de diagnostic et de soins. HAS, octobre 2009. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-12/ald_2_pnds_pti_imune_enft_ adulte_web.pdf Points Connaissances

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17CHAPITRE Connaissances Item 211 – UE 7 Purpuras 201 I. Diagnostic II. Purpuras plaquettaires III. Purpuras vasculaires Objectifs pédagogiques Argumenter les principales hypothèses diagnostiques. Justifier les examens complémentaires pertinents. I. Diagnostic Il s'agit d'un syndrome clinique fait de macules érythémateuses dues à l'extravasation sponta- née (ou suite à un traumatisme minime) de globules rouges dans le derme, qui ne s'effacent pas à la vitropression. Les éléments purpuriques peuvent être d'âges différents. Ils disparaissent sans séquelle en quelques jours, en passant par toutes les couleurs de la biligénie locale (rouge, puis violet, bleu et jaune). Cependant, la répétition de lésions sur le même site est susceptible de laisser place à une dyschromie brunâtre voire à des cicatrices blanchâtres. Le purpura peut s'accompagner d'un saignement des muqueuses. Le purpura signe soit une anomalie des plaquettes, (anomalie quantitative ou qualit­ative des plaquettes) soit une pathologie vasculaire intrinsèque. Il est classique de décrire plusieurs présentations cliniques de purpuras : • pétéchial : éléments punctiformes de la taille d'une tête d'épingle ; • ecchymotique : placards plus ou moins larges aux contours mal limités ; • vibices (plus rares) : ecchymoses particulières qui prennent l'aspect de traînées linéaires le long des plis de flexion ; • nécrotique : pétéchies ou ecchymoses qui sont surélevées par une zone de nécrose. Devant un purpura, deux diagnostics d'urgence doivent être évoqués : • le purpura thrombopénique sévère (plaquettes < 20  g/l) avec un risque d'hémorragies spontanées graves ; • le purpura fulminans, d'origine infectieuse. Tout purpura fébrile doit faire évoquer un Purpura Fulminans et est une urgence médicale absolue. A. Diagnostic de gravité Les signes de gravité seront recherchés parallèlement au diagnostic étiologique, afin de savoir rapidement s'il s'agit d'un purpura plaquettaire ou vasculaire. Hématologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Le diagnostic de gravité repose : • sur la présence d'hémorragies spontanées  : bulles hémorragiques intrabuccales, saigne- ments digestifs, hémorragie au fond d'œil ; • en cas de purpura fébrile : caractère rapidement extensif ou nécrotique, aspect en carte de géographie (purpura fulminans) ; • sur une localisation susceptible d'avoir un retentissement fonctionnel (pharyngé, par exemple) ; • sur l'existence d'un traitement antiplaquettaire ou anticoagulant associé. B. Diagnostic différentiel Le diagnostic différentiel permet d'éliminer : • les angiomes (tumeurs vasculaires), qui s'effacent à la vitropression ; • les télangiectasies (dilatations pulsatiles permanentes de petits vaisseaux de la peau et des muqueuses – dont la maladie de Rendu-Osler constitue un exemple), qui s'effacent à la vitropression ; • la maladie de Kaposi, avec des lésions violacées ou brunâtres en règle nodulaires, souvent associées sur les membres inférieurs à un œdème ; • mais aussi les piqûres de puces, centrées par un point noir. C. Nuances sémiologiques Un purpura thrombopénique associe en règle ecchymoses et pétéchies, et n'a aucun volume. 202 Un purpura thrombopathique est uniquement ecchymotique, pratiquement jamais pétéchial. A contrario, les purpuras d'origine vasculaire sont pour l'essentiel purement pétéchiaux, volontiers infiltrés ce qui les rend palpables. Leur origine est le plus souvent infectieuse ou inflammatoire/immunologique. Leur diagnostic général nécessite une description très précise du purpura, de ses conditions d'apparition et du tableau clinique global. Ainsi – et c'est toute la difficulté de la situation clinique –, le raisonnement ne saurait se résu- mer à l'arbre diagnostique des thrombopénies. Ce dernier est traité à part même s'il fait partie intégrante de la question. On distingue donc purpuras plaquettaires et purpuras vasculaires. II. Purpuras plaquettaires A. Purpuras par thrombopénie Ils sont traités au chapitre 16 (Item 210). Qu'il soit permis d'insister ici sur le fait qu'une thrombopénie modérée sans purpura est a priori liée à une agrégation à l'EDTA et mérite d'être vérifiée sur citrate ou au bout du doigt, et que le tableau classique des PTI ne comporte pas de splénomégalie. B. Purpuras par thrombopathies constitutionnelles ou acquises Les plaquettes sont quantitativement normales. Le Temps de Saignement ne doit plus être réalisé. Il s'agit d'un examen peu reproductible, d'interprétation variable selon l'opérateur. Cet examen n'est plus inscrit à la nomenclature des actes de biologie.

Item 211 – UE 7 Purpuras 17 Connaissances 1. Thrombopathies acquises 203 Les thrombopathies acquises sont très fréquentes, prioritairement médicamenteuses, dépis- tées par l'interrogatoire et la lecture des ordonnances du patient. Les médicaments antipla- quettaires en sont de très loin les premiers responsables, bien plus que les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les dérivés de la pénicilline, largement cités dans les manuels d'officines de préparation aux concours sans substrat bien tangible… Les thrombopathies acquises s'observent également dans certaines maladies systémiques : surtout la maladie de Waldenström par adsorption non spécifique de l'IgM sur les pla- quettes, mais aussi syndromes myéloprolifératifs, myélodysplasies, insuffisances rénales et myélomes. 2. Thrombopathies constitutionnelles Les thrombopathies constitutionnelles sont rares et potentiellement graves. Leur diagnostic repose sur : • l'étude des fonctions plaquettaires : adhérence, agrégation sous l'effet d'inducteurs divers ; • la morphologie plaquettaire, notamment la taille des plaquettes (dans des cas exception- nels, la microscopie électronique peut également être contributive) ; On distingue ainsi, schématiquement : • les anomalies de l'adhérence plaquettaire au sous-endothélium, de type maladie de Jean Bernard-Soulier par anomalie ou déficit de la GPIb-IX ; • les anomalies de l'agrégation plaquettaire, de type maladie de Glanzmann avec défaut de la GPIIb/IIIa ; • les anomalies des pools plaquettaires. Le facteur Willebrand participant normalement à la liaison entre le GPIb-IX et le sous- endothélium, la maladie de Willebrand s'accompagne également de la perturbation de la fonction d'adhérence au sous-endothélium. Le purpura y est très rarement au premier plan  : dans cette affection, les hémorragies amygdaliennes sont les plus évocatrices, les hémorragies utérines les plus fréquentes. III. Purpuras vasculaires La question est dominée par les purpuras infectieux et les purpuras immunologiques. Cependant, certains purpuras sont liés à une fragilité capillaire constitutionnelle ou acquise voire à une simple carence en vitamine C. Il est important de les connaître, pour s'orienter rapidement et sans surenchère dans les investigations. A. Purpura par anomalies constitutionnelles du vaisseau 1. Anomalies héréditaires du collagène • De type maladie d'Ehlers-Danlos, dans laquelle le purpura s'associe à une hyperlaxité liga- mentaire et cutanée avec cicatrisation anormale. • De type pseudo-xanthome élastique, avec des hémorragies artérielles et parfois des thromboses.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie 2. Fragilité capillaire constitutionnelle Fréquente, symptomatique chez la femme jeune, qui se traduit exclusivement par des ecchy- moses pour des chocs minimes sans aucun critère de gravité. B. Purpura par atrophie des tissus de soutien des vaisseaux cutanés Caractéristique par sa localisation à la face dorsale de la main et de l'avant-bras, sa couleur violine, parfois la présence de stries vasculaires jaunâtres, il peut être lié à l'âge (purpura sénile de Bateman) ou à un traitement corticoïdes au long cours, dont il est rarement alors le seul stigmate (syndrome cushingoïde). C. Purpura du scorbut Caractéristique, avec des pétéchies périfolliculaires, des ecchymoses cutanées et/ou muqueuses, le déchaussement dentaire, il est en recrudescence et guérit avec l'apport de vitamine C. D. Purpura infectieux Il sera évoqué de principe devant tout purpura fébrile, surtout s'il s'accompagne de signes de 204 choc ou de CIVD. Il convient de penser à l'endocardite d'Osler et au purpura fulminans. 1. Maladies virales éruptives Les lésions peuvent prendre un aspect purpurique (exanthème purpurique), le plus souvent par l'association d'une thrombopénie à la fragilisation vasculaire. Le lien avec l'infection est immédiat, la situation bénigne. 2. Endocardite d'Osler L'endocardite d'Osler doit être évoquée de principe devant un purpura fébrile, de localisation conjonctivale et sus-claviculaire. Il y a souvent d'autres signes cutanés (nodules d'Osler à la face palmaire des doigts, flam- mèches sous-unguéales) mais cette suspicion, même si le souffle valvulaire cardiaque n'est pas perçu, est suffisante pour lancer sans attendre hémocultures et échographie cardiaque transthoracique voire transœsophagienne. Parfois, le germe peut être trouvé dans une pus- tule cutanée. 3. Purpura fulminans Le purpura fulminans constitue une urgence vitale absolue.

Item 211 – UE 7 Purpuras 17 Connaissances Plus fréquent chez l'enfant et le nourrisson et dans un contexte épidémique, il est caracté- 205 ristique par le contexte fébrile, volontiers associé à une mauvaise tolérance hémodynamique voire un choc avec marbrures des genoux, hypotension sévère, tachycardie et troubles de conscience. Le purpura est nécrotique, souvent extensif avec des ecchymoses en carte de géo- graphie. La CIVD y est fréquente, ainsi que la thrombopénie. L'hémogramme est celui d'une infection bactérienne sévère – le plus souvent à méningocoques, mais ce n'est pas exclusif. Il s'agit d'une urgence justifiant l'admission immédiate en réanimation ; les chances de survie sont proportionnelles à la rapidité de mise en œuvre de l'antibiothérapie à large spectre par céphalosporines de troisième génération (ceftriaxone 100 mg/kg/j). E. Purpuras par vascularite et par un mécanisme immunologique avec complexes immuns Le purpura est alors assez caractéristique car essentiellement pétéchial et infiltré (le « purpura » a un volume sous le doigt) et prédomine largement aux membres inférieurs, évoluant volon- tiers par poussées. Les vascularites sont évoquées devant l'association à : • d'autres lésions cutanées : cocardes érythémateuses et nodules dermiques complétant le trisyndrome de Gougerot ; urticaire ; livedo réticulaire des membres inférieurs ; • et surtout à une atteinte extra-cutanée  : arthralgies, myalgies, syndrome de Raynaud, neuro­pathie périphérique, glomérulopathie. Le diagnostic général des vascularites nécessite des tests d'inflammation ainsi que l'électropho- rèse des protéines sériques et l'étude de la fonction rénale, la recherche d'ANCA, d'anticorps antinucléaires, d'anticorps dirigés contre les antigènes nucléaires solubles, de cryoglobuline et la biopsie d'un organe atteint (rein, muscle, nerf, poumon, etc.). L'hémogramme et les tests d'hémostase courants sont nécessaires mais le plus souvent peu contributifs. La biopsie de peau montre le plus souvent une vascularite leucocytoclasique. En immunofluo- rescence, on peut observer un dépôt d'immunoglobulines, de fibrinogène et/ou de complé- ment dans ces lésions. 1. Angéite par hypersensibilité aux médicaments • Antibiotiques (pénicillines, cyclines, sulfamides, etc.). • AINS. • Diurétiques thiazidiques voire AVK. 2. Purpura rhumatoïde de Schönlein-Henoch par dépôts de complexes immuns à IgA Purpura vasculaire orthostatique, avec arthralgies et fièvre modérée, susceptible de manifes- tations voire de complications abdominales et d'atteinte rénale, c'est la vascularite la plus fréquente de l'enfant. Dans le détail : • après un épisode infectieux, apparition d'un purpura pétéchial des membres inférieurs, symétrique, infiltré, évoluant par poussées successives aggravées par l'orthostatisme ; • le purpura est prurigineux, parfois accompagné par des œdèmes et/ou une urticaire ; • associé de façon brutale à des arthralgies prédominant aux grosses articulations (des membres inférieurs) ; • parfois compliqué de douleurs abdominales, d'hématurie voire d'insuffisance rénale. L'évolution est le plus souvent favorable sans séquelle s'il n'y a pas de complications abdominales à court terme (invagination intestinale aiguë, occlusion, perforation) ou rénales à long terme.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie La biopsie rénale est indiquée s'il y a hypertension artérielle ou insuffisance rénale, si la pro- téinurie dépasse 1 g/24 heures ou dure plus de six mois. Elle met en évidence une glomérulo­ pathie segmentaire et focale avec dépôts mésangiaux d'IgA. 3. Purpura vasculaire dysglobulinémique Il en existe plusieurs formes. Purpura hyperglobulinémique polyclonal, fréquemment lié à l'existence de complexes immuns circulants Lupus, polyarthrite, syndrome de Sjögren, sarcoïdose, cirrhose. Il évolue par poussées prédo- minant aux membres inférieurs. Purpura cryoglobulinémique Ses manifestations sont favorisées par l'exposition au froid et peuvent s'accompagner d'une neuropathie périphérique et/ou d'une glomérulopathie. Les cryoglobulinémies doivent être cherchées systématiquement en présence d'une lymphoprolifération maligne ou d'une hépa- tite C. En miroir, leur découverte impose la recherche de ces affections. Il est classique d'en décrire trois types, les IgM étant très fréquemment au moins partiellement impliquées : • type I, qui est monoclonal ; • type II, qui associe un composant monoclonal à un autre, polyclonal ; • type III, qui est polyclonal. 206 Purpura de l'amylose AL Structure amorphe β-plissée par précipitation de chaînes légères monotypiques, le plus souvent lambda. L'aspect est reconnaissable sur la pièce d'anatomie pathologique par une coloration par le rouge Congo et un dichroïsme vert-jaune en lumière polarisée. Le purpura est évocateur par son siège au cou, aux paupières, aux plis. Le tableau clinique des formes les plus avancées est dominé par des anomalies cardiaques, rénales, neurologiques et un déficit en facteur X circulant (par « trappage » splénique). Purpura au cours des simples gammapathies monoclonales Il est alors de physiopathologie complexe et susceptible de s'accompagner d'épistaxis. Une maladie de Willebrand acquise doit être recherchée systématiquement devant une gamma­ pathie monoclonale associée à un purpura. 4. Angéites nécrosantes, collagénoses Enfin, un purpura vasculaire est parfois observé dans le tableau des angéites nécrosantes et des collagénoses : • des vascularites systémiques de l'adulte (périartérite noueuse, maladie de Wegener, mala- die de Churg et Strauss, polyangéite microscopique) ; • des connectivites auto-immunes : lupus, polyarthrite, syndrome de Gougerot-Sjögren, syn- drome de Sharp.

Item 211 – UE 7 Purpuras 17 clés • Le diagnostic des purpuras est un exercice parfois compliqué, qui demande un examen clinique soi- gneux, même et surtout dans une atmosphère d'urgence, et ne saurait se résumer à l'exploration d'une éventuelle thrombopénie quand bien même celle-ci serait présente. • Le purpura peut être isolé ou associé à une organomégalie. • L'association purpura + fièvre constitue une urgence. • Un purpura thrombopénique est ecchymotique et pétéchial, sans volume. Il faut rechercher des signes de gravité : bulles hémorragiques intrabuccales et signes d'atteintes du système nerveux central. (Attention aux formes frustes !) • Un purpura vasculaire est pétéchial et infiltré, sa sémiologie générale est plus riche. • Il est important de ne pas se focaliser sur le seul hémogramme – même s'il est essentiel : le diagnostic est centré sur le chiffre de plaquettes – et de s'assurer d'un interrogatoire et d'un examen physique attentifs. Points Connaissances 207

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18CHAPITRE Connaissances Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies 209 ciblées I. Thérapies cellulaires II. Thérapies ciblées Objectifs pédagogiques Connaître les bases cellulaires et moléculaires des cellules souches embryonnaires et adultes, des cellules reprogrammées. Connaître les principes des thérapies cellulaires et géniques. Expliquer les principes d'évaluation des biothérapies. Connaître les bases cellulaires et tissulaires d'action des thérapies ciblées. Argumenter les principes de prescription et de surveillance. I. Thérapies cellulaires Les greffes représentent aujourd'hui une thérapeutique majeure dans la prise en charge des hémo- pathies malignes et, dans une moindre mesure, de certaines hémopathies bénignes. Il convient de différencier les autogreffes des allogreffes de par leur mécanisme d'action, leurs complications et leurs indications. L'autogreffe, repose sur l'effet antitumoral de la chimiothérapie prégreffe, appe- lée conditionnement. L'allogreffe, elle, repose à la fois sur l'effet antitumoral du conditionnement mais aussi sur une réaction immunologique allogénique appelée « effet greffon contre tumeur » (GVT) – parfois aussi appelée greffon contre leucémie (GVL). Dans les deux situations, les cellules souches hématopoïétiques (CSH) prélevées chez le patient (autogreffe) ou chez un donneur sain (allogreffe) sont capables de reconstituer une hématopoïèse efficace (tableau 18.1). A. Cellules souches hématopoïétiques 1. Définitions et propriétés Les CSH, présentes en très faible quantité dans l'organisme, sont des cellules multipotentes capables de s'autorenouveler et de se différencier en cellules sanguines spécialisées. Cette dernière propriété les différencie de l'œuf (ou zygote), seule cellule totipotente (capable de donner l'ensemble des cellules de l'organisme) et des cellules souches embryonnaires qui sont pluripotentes. Les CSH ont pour fonction d'assurer le renouvellement des cellules lymphoïdes et myéloïdes. En situation physiologique, les CSH sont majoritairement quiescentes. Cette quiescence les protège du risque d'accumulation de mutations génétiques lors de la réplication de l'ADN et en partie des agressions extérieures comme les chimiothérapies. En réponse à des Hématologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Tableau 18.1. Cellules souches hématopoïétiques : autogreffe versus allogreffe Effet antitumoral Autogreffe Allogreffe Cytotoxicité directe Cytotoxicité directe (chimiothérapie haute dose) Cytotoxicité indirecte : alloréactivité Sources de cellules souches Patient lui-même Fratrie Donneur phéno-identique Sang de cordon Conditionnement Myélo-ablatif Myélo-ablatif Atténué Effets secondaires Aplasie Aplasie Stérilité Néoplasies secondaires Néoplasies secondaires GVH aiguë et chronique Nombreuses complications à long terme (endocrinopathies, stérilité, cardiopathies, etc.) Immunosuppresseurs Non Oui Principales indications Myélome Leucémies aiguës Lymphomes non hodgkiniens Myélodysplasies de mauvais pronostic Myélofibroses primitives Aplasies médullaires (chez patients jeunes) Autres hémopathies de mauvais pronostic signaux de stress (hémorragie, chimiothérapie aplasiante), les cellules souches peuvent sor- tir de leur état de quiescence, se multiplier rapidement et se différencier pour reconstituer 210 l'hématopoïèse. Sur le plan phénotypique, les CSH sont caractérisées par l'expression du marqueur de surface CD34, l'absence de marqueur de lignées myéloïde ou lymphoïde et l'absence du marqueur CD38. L'expression du marqueur CD34 permet en pratique quotidienne leur isolement et leur purification grâce à l'utilisation d'anticorps monoclonaux. 2. Micro-environnement : notion de niche Les CSH sont localisées dans la moelle osseuse au sein d'une niche où elles établissent de multiples interactions avec leur micro-environnement (cellules endothéliales, ostéoblastes, cellules souches mésenchymateuses, etc.). Ces interactions se font par le biais de molécules d'adhérence comme les molécules de la famille des intégrines et des cadhérines et par des cytokines et chimiokines. La chimiokine CXCL12, dont le récepteur CXCR4 est exprimé à la surface des cellules souches hématopoïétiques, joue un rôle majeur dans leur maintien au sein de la niche. L'homéostasie des cellules souches et la balance entre quiescence, pro- lifération et différenciation est un phénomène complexe, conséquence de signaux intrin- sèques (expression de certains gènes) et extrinsèques (chimiokines, cytokines) provenant des cellules de la niche. 3. Circulation : « homing » et mobilisation Bien que majoritairement localisées dans la moelle osseuse, les CSH circulent de façon physiologique en faible nombre dans la circulation sanguine. Leur capacité à migrer dans la moelle osseuse est appelée le « homing ». Cette propriété fait appel à des chimiokines (notamment à un gradient de CXCL12) et à des molécules d'adhérence (sélectines, inté- grines) exprimées préférentiellement par les cellules endothéliales médullaires. La compré- hension des mécanismes impliqués dans la circulation des CSH a permis l'élaboration de stratégies de mobilisation.

Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 La mobilisation fait appel en pratique clinique à des facteurs de croissance granulocytaires 211 (G-CSF), parfois associés à un inhibiteur de CXCR4 ; cette mobilisation peut se faire à distance de toute chimiothérapie (« à l'état basal ») ou en sortie d'aplasie : • le G-CSF entraîne une expansion des progéniteurs myéloïdes et favorise la mobilisa- tion des cellules souches en activant des protéases clivant les molécules d'adhérence. L'administration de G-CSF est par ailleurs associée à une baisse de la concentration en CXCL12 ; • l'axe CXCL12-CXCR4 peut également être ciblé par le plerixafor, inhibiteur spécifique et réversible du récepteur CXCR4. En se fixant sur CXCR4, le plerixafor inhibe la fixation de la cytokine CXCL12 libérant ainsi les cellules souches hématopoïétiques. Le plerixafor est utilisé lors des échecs de recueil avec le G-CSF seul. B. Autogreffe de cellules souches hématopoïétiques 1. Principe L'autogreffe de CSH, c'est-à-dire l'injection au patient de ses propres cellules souches, a pour objectif de permettre la réalisation de chimiothérapies aplasiantes à fortes doses (figure 18.1). En l'absence de greffe, ces chimiothérapies auraient pour conséquence une aplasie très prolongée voire définitive. L'intensification thérapeutique avec autogreffe est un traitement de consolidation, généralement proposé aux patients en bonne réponse à l'issue d'un traitement d'induction, en première ligne de traitement ou en rechute. Son objectif est de limiter le risque de rechute. Compte tenu de la toxicité de cette procédure, l'autogreffe est généralement proposée aux patients de moins de 65 ans en bon état géné- ral. Les principales indications sont le myélome et les lymphomes, beaucoup plus rarement les hémopathies aiguës. conditionnement Chimiothérapies GREFFE initiales Connaissances Polynucléaires neutrophiles (PNN) PNN > 0,5 G/L Aplasie Maladie Seuil de détection de la maladie Temps Fig. 18.1. Principe de l'autogreffe. L'efficacité repose sur la cytotoxicité du conditionnement.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie 2. Recueil des CSH Les CSH sont obtenues par cytaphérèse après une phase de stimulation par des facteurs de croissance granulocytaires (G-CSF) parfois associés à une chimiothérapie ou au plerixafor. Afin de limiter le risque de contamination du greffon par les cellules tumorales, la cytaphérèse est réalisée après plusieurs cycles de chimiothérapie. La procédure peut être répétée une à deux fois pour obtenir un nombre suffisant de cellules souches, évalué par le marqueur CD34. Une fois prélevées, les cellules souches sont congelées en azote liquide jusqu'au jour de la greffe. 3. Déroulement de la procédure d'intensification thérapeutique avec autogreffe La procédure de greffe est uniquement pratiquée dans des services d'hématologie habilités. L'utilisation de chambre à flux laminaire est moins souvent nécessaire. La procédure débute par l'administration du conditionnement (chimiothérapie ± irradiation corporelle totale). Les CSH sont réinjectées vingt-quatre à quarante-huit heures après la fin du conditionne- ment. Cette greffe, pratiquée au lit du patient, se déroule de façon similaire à une transfusion sanguine. Les CSH injectées dans la circulation sanguine vont spontanément migrer dans la moelle osseuse pour reconstituer une hématopoïèse (propriété de « homing »). La prise de greffe, qui se traduit indirectement par l'ascension des leucocytes, des plaquettes et l'indépendance transfusionnelle en globules rouges, nécessite en moyenne dix à quinze jours. Dans les pathologies lymphoïdes, les facteurs de croissances granulocytaires sont utilisés pour diminuer la durée de l'aplasie. 212 4. Effets secondaires Complications précoces Toxicité hématologique L'aplasie chimio-induite expose les patients à différentes complications : • risque infectieux  : des mesures d'isolement et une surveillance rapprochée sont néces- saires. Une antibiothérapie probabiliste est débutée dès l'apparition de la fièvre, après réalisation des prélèvements microbiologiques, qui doit être à large spectre, active sur les bacilles à Gram négatif et cocci à Gram positif. Les bêtalactamines à large spectre sont généralement utilisées en première ligne, éventuellement associées aux aminosides et/ ou aux glycopeptides en cas de signe de gravité, de suspicion de résistance ou de point d'appel cutané ; • risque hémorragique : la prise en charge de la thrombopénie repose sur un support trans- fusionnel afin de limiter le risque d'hémorragie pouvant être grave (hémorragies cérébrales, rétiniennes, etc.). Les concentrés plaquettaires doivent être irradiés pour éviter le risque de maladie du greffon contre l'hôte post-transfusionnelle ; • risques liés à l'anémie  : un seuil transfusionnel de 80  g/l est généralement retenu ; ce seuil est plus élevé chez les patients avec coronaropathie. Comme pour les plaquettes, les concentrés globulaires doivent être irradiés. Effets secondaires non spécifiques La chimiothérapie intensive, par son activité cytotoxique sur les tissus à renouvellement rapide, engendre des effets secondaires non spécifiques des conditionnements de greffe. La toxicité digestive est souvent importante. Elle se traduit par des nausées/vomissements, une mucite (en particulier avec les agents alkylants et l'irradiation corporelle totale) s'exprimant notamment par des diarrhées chez 80  % des patients. L'alopécie est systématique mais réversible.

Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 Connaissances Complications tardives 213 • Contrairement à la correction rapide du taux des polynucléaires neutrophiles, la reconsti- tution immunitaire lymphocytaire T est retardée, pouvant nécessiter plusieurs mois. Une prévention des infections opportunistes (Pneumocystis, herpes virus) est recommandée jusqu'à obtention d'un nombre de lymphocytes T CD4+ supérieur à 500 par mm3. Cette prophylaxie fait appel au cotrimoxazole et au valaciclovir. • Les chimiothérapies utilisées lors du conditionnement de même que l'irradiation corporelle totale exercent un effet mutagène et exposent le patient à un risque de myélodysplasie, de leucémie aiguë et de néoplasie secondaire. • L'atteinte de la fertilité est quasi-constante, pouvant aller jusqu'à la stérilité ; des mesures de préservation des gamètes (CECOS) doivent être réalisées avant le conditionnement. • D'autres complications (cardiaques, pulmonaires, rénales) tardives plus rares peuvent surve- nir en fonction du spectre de toxicité des chimiothérapies de conditionnement utilisées. C. Allogreffe de cellules souches hématopoïétiques 1. Principe L'allogreffe consiste en l'injection au patient de cellules souches provenant d'un sujet sain. On distingue aujourd'hui les greffes apparentées (dans l'idéal géno-identiques) où le donneur appartient à la fratrie du patient, des greffes non apparentées (dans l'idéal phéno-identiques) où les cellules souches proviennent d'un donneur inscrit sur le fichier international ou du sang de cordon ombilical. L'effet antitumoral repose en partie sur la cytotoxicité du conditionnement mais surtout sur un mécanisme immunologique appelé « effet du greffon contre tumeur » (ou greffon contre leucémie). Cet effet allogénique, indépendant de l'activité antitumorale de la chimiothérapie, a permis de développement de conditionnements non myéloablatifs dits atténués pouvant être proposés à des patients plus âgés. 2. Sources de cellules souches hématopoïétiques La probabilité d'avoir un donneur intrafamilial HLA-compatible est théoriquement de 25 % pour chaque membre de la fratrie du patient, puisque le système est polyallélique, codominant et transmis en bloc (sauf recombinaison interne rare). Si le patient a n frères et sœurs, la for- mule de calcul de probabilité de trouver un donneur géno-identique intrafamilial s'écrit donc : P = 1 – [(¾)n]. En l'absence de donneur intrafamilial compatible, un donneur phéno-identique est recherché sur le fichier international des donneurs volontaires. Initialement prélevées par ponction médullaire, les cellules souches sont désormais obtenues dans la majorité des cas par cytaphérèse. Les greffons obtenus par cytaphérèse, plus riche en lymphocyte T que la moelle osseuse, sont associés à la fois à un risque plus élevé de GVH chronique et – en contrepartie – à un risque de rechute moindre. Le sang de cordon peut constituer dans certaines situations une alternative, notamment en l'absence de donneur HLA-compatible. Le sang de cordon est prélevé après la naissance du nouveau-né par ponction du cordon ombilical clampé à ses deux extrémités puis congelé. Ce type de don est aujourd'hui possible dans de nombreuses maternités habilitées. 3. Déroulement de la procédure de greffe La greffe allogénique est une procédure lourde, grevée d'une importante toxicité. Elle doit être pratiquée par des équipes hautement spécialisées. Le greffon est administré vingt-quatre à quarante-huit heures après la fin du conditionnement. L'aplasie dure entre deux et trois semaines. Les immunosuppresseurs sont initiés immédiatement après la greffe. Ils visent à

Hématologie cellulaire – Oncohématologie limiter d'une part le risque de rejet de greffe et, d'autre part, celui de maladie du greffon contre l'hôte. Contrairement aux transplantations d'organes solides, les immunosuppresseurs peuvent être, dans la majorité des cas, arrêtés progressivement à distance de la greffe grâce à l'installation d'un phénomène de tolérance immune. Un suivi des patients à vie est indispen- sable afin de dépister les complications tardives. 4. Complications Complications à court terme Toxicités liées à l'aplasie De façon analogue à l'autogreffe, l'aplasie est une période à risque du fait des cytopénies profondes. Ce risque est encore aggravé par les traitements immunosuppresseurs. Le risque infectieux, notamment fongique, est majeur, nécessitant une hospitalisation en chambre à flux laminaire et une prophylaxie médicamenteuse. Les réactivations virales, notamment de l'EBV et du CMV, sont fréquentes. Une décontamination digestive permet de limiter le risque d'infection bactérienne. Toxicité sur les muqueuses L'intensité des conditionnements myéloablatifs est souvent responsable de mucites impor- tantes et de diarrhées, conséquence des lésions intestinales, favorisant les translocations diges- tives. Certaines chimiothérapies (cyclophosphamide, busulfan) et l'irradiation corporelle totale sont particulièrement toxiques sur les muqueuses. Maladie veino-occlusive Elle est caractérisée par une obstruction non thrombotique des capillaires sinusoïdes hépa- 214 tiques et est principalement observée dans les allogreffes. L'intensité du conditionnement (notamment l'irradiation corporelle totale) représente le principal facteur de risque. La triade diagnostique associe un ictère, une hépatomégalie douloureuse et une prise de poids. Le tableau évolue progressivement vers une insuffisance hépatocellulaire, un syndrome hépato- rénal et une défaillance multiviscérale. La mortalité est proche de 50 %. La prévention peut reposer dans certains cas sur l'héparine à dose préventive. Le traitement curatif est principale- ment symptomatique avec l'arrêt de tous les médicaments hépatotoxiques et néphrotoxiques. Le défibrotide est souvent efficace, au prix d'un risque hémorragique réel. Cystite hémorragique Cette complication fait le plus souvent suite à l'utilisation du cyclophosphamide à forte dose, dont le métabolite, l'acroléine, est toxique pour l'épithélium vésical. Une infection à BK-virus est fréquemment associée. La prophylaxie repose sur l'hyperhydratation lors du conditionne- ment et l'utilisation d'un chélateur de l'acroléine, l'uromitexan. Le traitement curatif est prin- cipalement symptomatique : hyperhydratation, lavages vésicaux, correction d'une éventuelle thrombopénie. Maladie du greffon contre l'hôte aiguë La maladie du greffon contre l'hôte (Graft Versus Host, GVH) est la principale complication de l'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques dont elle est spécifique. Les critères néces- saires pour la survenue d'une GVH, au nombre de trois, ont été définis par Billingham en 1966 : • le greffon contient des cellules immunocompétentes ; • l'hôte doit exprimer des antigènes absents chez le donneur ; • l'hôte doit être immunodéprimé, incapable de rejeter le greffon. La GVH aiguë survient généralement dans un délai de cent jours après la greffe, parfois plus tardivement notamment dans les greffes à conditionnement atténué. Elle associe de façon inconstante une atteinte cutanée (érythème maculo-papuleux pouvant évoluer vers une des- quamation en lambeaux), hépatique (cholestase ictérique) et digestive (diarrhées et douleurs abdominales). Le traitement repose en première intention sur la corticothérapie.

Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 Connaissances Complications à long terme 215 Maladie du greffon contre l'hôte chronique Apparaissant habituellement après J100 post-greffe, la GVH chronique peut concerner l'ensemble des organes et est la principale cause de morbidité après allogreffe. Son inci- dence est d'environ 30  % dans les greffes géno-identiques et plus de 50  % dans les greffes phéno-identiques. La symptomatologie varie selon les organes atteints : atteinte cutanée sclérodermiforme, diarrhées chroniques, tableau de cirrhose biliaire primitive, bronchiolite oblitérante au niveau pulmonaire pouvant évoluer vers une insuffisance res- piratoire. Le traitement fait généralement appel à la corticothérapie souvent de façon prolongée. Risque infectieux Le risque d'infections, notamment virales et fongiques, est majeur dans les suites de greffe, en particulier chez les patients recevant une corticothérapie pour une GVH. Néoplasies secondaires Le risque de néoplasies secondaires au conditionnement et à l'immunosuppression est impor- tant et nécessite un suivi à vie des patients. Il existe notamment un risque important de cancers cutanés (carcinome basocellulaire, plus rarement carcinome épidermoïde cutané), de cancers du sein, de syndromes lymphoprolifératifs secondaires à l'EBV, de myélodysplasies et de leu- cémies aiguës. Facteurs de risque cardiovasculaire Les patients allogreffés sont à risque de complications cardiovasculaires (HTA, coronaropathies, dyslipidémie) et de syndrome métabolique. Cataracte Elle est observée chez 80 % des patients ayant reçu une irradiation corporelle totale. Séquelles psychologiques L'allogreffe est une thérapeutique extrêmement lourde. Un soutien psychologique est indis- pensable tout au long de la prise en charge et souvent de façon prolongée après la greffe. Autres De façon analogue à l'autogreffe, les conditionnements d'allogreffe sont le plus souvent res- ponsables d'une infertilité. II. Thérapies ciblées La chimiothérapie a constitué le socle des premiers traitements anticancéreux. Il s'agit d'un traitement agissant sur différentes structures cellulaires et utilisés de façon empirique. Grâce aux progrès réalisés dans la connaissance des mécanismes physiopathologiques des cancers et aux avancées technologiques, des traitements dits « ciblés » ou plus exactement « de précision » ont progressivement vu le jour. Nous verrons dans ce chapitre certains de ces traitements actuellement utilisés en hématologie. Ces traitements peuvent être dirigés contre différents types de cibles  : oncoprotéines (par exemple, acide tout trans- rétinoïque), antigènes exprimés par les cellules tumorales (par exemple, anticorps monoclo- naux), voies de signalisation (par exemple, inhibiteurs de tyrosine kinase et inhibiteurs de mTOR), « machineries intracellulaires » (par exemple, inhibiteurs du protéasome) ou encore enzymes régulant l'expression des gènes (par exemple, agents déméthylants et inhibiteurs de HDAC).

Hématologie cellulaire – Oncohématologie A. Agents différenciants (acide tout trans-rétinoïque, ATRA) 1. Mécanisme d'action La leucémie aiguë promyélocytaire (LAP), ou LAM 3 selon la classification FAB, correspond à l'accum­ ulation dans la moelle osseuse de précurseurs myéloïdes malins bloqués au stade pro- myélocytaire. La LAP est la conséquence d'une anomalie cytogénétique particulière : la trans- location t(15 ; 17) responsable de la fusion des gènes RARα (Retinoic Acid Receptor) et PML (Promyelocytic Leukemia) conduisant à la formation d'une oncoprotéine chimérique (PML- RARα). RARα est un récepteur nucléaire qui, en l'absence de son ligand (l'acide rétinoïque) réprime la transcription de gènes en recrutant des co-répresseurs et des histones déacétylases. Physiologiquement, l'acide rétinoïque permet de lever la répression de RARα et d'induire l'expres- sion de gènes impliqués dans la différentiation myéloïde. Dans la LAP, les taux physiologiques d'acide rétinoïque ne suffisent pas à lever la répression transcriptionnelle induite par PML-RARα : cette baisse de sensibilité entraîne donc un blocage de différenciation. Sur le plan thérapeutique, l'administration d'acide tout trans-rétinoïque (ATRA) à doses pharmacologiques permet de lever l'inhibition induite par PML-RARα et d'induire la différenciation cellulaire (figure 18.2). CoA Acide rétinoïque CoA en quantité physiologique 216 CoR CoR Pas d’activation de la transcription Leucémie aiguë promyélocytaire RaRa RaRa → La protéine PML-RARα réprime la transcription CoR CoR Répression PML de la transcription PML RaRa RaRa PML ATRA PML en quantité thérapeutique CoR CoR CoA CoA Activation de la transcription RaRa RaRa PML PML Fig. 18.2. Mécanisme d'action de l'ATRA dans la leucémie aiguë promyélocytaire (LAP), ou LAM3. En l'absence d'acide rétinoïque, la protéine PML-RARα réprime la transcription de gènes impliqués dans la diffé- renciation myéloïde. Les concentrations physiologiques d'acide rétinoïque sont insuffisantes pour lever l'inhibition induite par PML-RARα. Des concentrations pharmacologiques d'acide rétinoïque (ATRA) permettent de restaurer la transcription des gènes et d'induire la différenciation cellulaire du promyélocyte en polynucléaire neutrophile. CoR, co-répresseurs ; CoA, co-activateurs.

Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 2. Indication, administration 217Connaissances L'ATRA fait désormais partie intégrante du traitement de la LAP, dès la première ligne théra- peutique, en association avec la chimiothérapie ou l'arsenic ; il s'administre par voie orale. 3. Toxicité, surveillance Le principal effet indésirable est l'« ATRA syndrome » qui correspond à un syndrome d'acti- vation leucocytaire (secondaire à la différenciation des blastes) entraînant une augmentation de la perméabilité capillaire et un relargage de cytokines. Cliniquement, ce syndrome peut se traduire par une hyperleucocytose, de la fièvre, des infiltrats pulmonaires, une insuffisance rénale, une rétention hydrosodée et des épanchements des séreuses. B. Anticorps monoclonaux Le développement de technologies permettant de produire des anticorps monoclonaux, c'est-à- dire tous identiques et dirigés contre un même épitope, a permis de mettre au point des traitements dirigés spécifiquement contre certains antigènes exprimés par les cellules tumorales. Ces anticorps peuvent être utilisés libres (« nus ») ou associés à des molécules cytotoxiques (« conjugués »). 1. Anticorps nus Les mécanismes d'action des anticorps nus in vivo sont encore mal élucidés. Il s'agit le plus souvent d'IgG1 capables, par leur portion Fc, de recruter les effecteurs de l'immunité (C1q, cellules NK, macrophages, neutrophiles) et ainsi induire une cytotoxicité. Les données précli- niques suggèrent que ces anticorps, lorsqu'ils sont des IgG1, pourraient avoir au moins quatre mécanismes d'action (figure 18.3) : Rituximab C1q C3b CD20 Rituximab Complexe d'attaque membranaire Lymphocyte B 2- CDC. . CD20 Lymphocyte B 1- Cytotoxicité direc.te. Rituximab FcγRs Lymphocyte B CD20 Rituximab FcγRs Cellule NK CD20 Lymphocyte B Macrophage Granzyme Perforine 4- ADPC. . 3- ADCC. Fig. 18.3. Mécanisme d'action des anticorps monoclonaux libres (exemple du rituximab). 1. Effet antitumoral direct proapoptotique. 2. Lyse médiée par le complément via la formation d'un complexe d'attaque membranaire (CDC). 3. Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC) via l'engagement des cellules NK et/ou des macrophages par leurs récepteurs aux IgG (FcγR) ou 4. Phagocytose cellulaire dépendante des anticorps(ADPC) via l'engagement des macrophages ou des polynucléaires par leur récepteurs aux IgG (FcγR).

Hématologie cellulaire – Oncohématologie • un effet antitumoral direct, par exemple apoptotique ; • une lyse médiée par le complément via la formation d'un complexe d'attaque membranaire ; • une cytotoxicité cellulaire dépendant des anticorps (ADCC) via l'engagement des cellules NK et/ou des macrophages par leurs récepteurs aux IgG (FcγR) ; • une phagocytose dépendante des anticorps (ADPC) via l'engagement des cellules phago- cytaires (neutrophile, macrophage) par leurs récepteurs à la portion Fc des IgG (FcγR). 2. Anticorps anti-CD20 Mécanisme d'action Le premier des anticorps nus à avoir montré une efficacité antitumorale à large échelle est l'an- ticorps monoclonal anti-CD20, rituximab. Il s'agit d'un anticorps chimérique d'isotype IgG1 kappa (humain/murin) dirigé contre l'antigène CD20, molécule exprimée par les lymphocytes B matures (normaux et tumoraux). Indication, administration Le rituximab s'est montré efficace dans le traitement de la plupart des lymphomes B (indolents et agressifs) et la leucémie lymphoïde chronique, seul ou en association avec la chimiothérapie selon les AMM. Cet anticorps s'administre par voie intraveineuse. Toxicité, surveillance Son principal effet secondaire est une réaction immédiate, dénommée « effet de première per- fusion ». Il est vraisemblable que cet effet secondaire soit en rapport avec un « syndrome de relargage de cytokines », qui a essentiellement lieu lors de la première perfusion et dont les mani- 218 festations s'apparentent à une réaction de type allergique : fièvre, frissons, urticaire, hypotension, éruptions cutanées, dyspnée. La prévention de cette réaction nécessite une prémédication par antihistaminiques et éventuellement corticoïdes, ainsi qu'une administration lente de l'anticorps. La toxicité hématologique du rituximab est très modérée, voire inexistante en dehors de la lymphopénie B et d'une hypo-gammaglobulinémie inconstante. Il faut noter aussi, la survenue possible de neutropénies retardées (late onset neutropenia) survenant généralement à dis- tance de la fin du traitement. De plus, le traitement n'augmente pas de façon très significative la sensibilité aux infections, en dépit de la lymphopénie B qu'il induit. Cependant, il faut signaler la possibilité de réactivation virale, en particulier des virus des hépatites (avec des cas d'hépatites fulminantes mortelles) et la survenue de rares cas de LEMP (leucoencéphalopathie multifocale progressive) liés au virus JC. 3. Anticorps conjugués Les anticorps monoclonaux peuvent également être utilisés comme transporteurs pour délivrer de façon ciblée des molécules toxiques aux cellules tumorales, afin d'augmenter leur effica- cité et leur spécificité. Ces immunoconjugués (IC) peuvent transporter des radio-isotopes, des toxines ou des molécules cytotoxiques (figure 18.4) : • anticorps conjugués à un radio-isotope : – parmi les radio-immunoconjugués, le tositumomab marqué à l'iode-131 et l'ibritumo- mab tiuxétan marqué à l'yttrium-90, qui ciblent tous les deux la molécule CD20, ont montré une efficacité dans les lymphomes non hodgkiniens B, – en France, l'ibritumomab tiuxétan marqué à l'yttrium-90 est indiqué dans les lym- phomes folliculaires en consolidation après une première ligne thérapeutique ou en traitement de rattrapage ; • parmi les anticorps conjugués à un cytotoxique : le gemtuzumab ozogamicine et le bren- tuximab vedotin.

Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 2. ADC 1.RIT Émission de particules alpha ou bêta Cassures des microtubules Lésion Connaissances de ADN Inhibition de la synthèse protéique Fig. 18.4. Mécanismes d'action des immunoconjugués. 219 1. Les anticorps conjugués à un radio-isotope (radio-immunothérapie, RIT) amènent au contact de la cellule tumorale une source radioactive pour la détruire. 2. Les anticorps conjugués à une drogue (ADC, Antibody Drug Conjugates) se fixent à la cellule tumorale avant d'être internalisés. La drogue est ensuite libérée à l'intérieur de la cellule tumorale pour exercer son action cytotoxique. Gemtuzumab ozogamicine Mécanisme d'action Le gemtuzumab ozogamicine est une IgG4 humanisée reconnaissant le CD33, couplé à un antibiotique cytotoxique, la calichéamicine. Le choix de l'isotype IgG4 permet d'éviter le recru- tement des effecteurs immuns. Le CD33 est exprimé à la surface de la plupart des blastes myéloïdes mais pas sur les cellules hématopoïétiques normales. Lors de la liaison au CD33, le complexe est internalisé. La calichéamicine induit alors des cassures doubles brins de l'ADN. Le gemtuzumab ozogamicine s'administre par voie intraveineuse. Indication, administration Le gemtuzumab ozogamicine n'a pas encore d'AMM mais peut être utilisé dans le cadre d'une autorisation temporaire d'utilisation chez les patients présentant une LAM CD33+ en rechute. Toxicité, surveillance • Comme pour les autres anticorps, des réactions lors de la première perfusion peuvent survenir et nécessitent une prémédication. • Le gemtuzumab ozogamicine peut induire des cytopénies (neutropénie et thrombopénie surtout). • Il peut entraîner une toxicité hépatique et un risque de maladie veino-occlusive, dont l'inci- dence varie en fonction du schéma d'administration.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Brentuximab vedotin Mécanisme d'action Le brentuximab vedotin est un immunoconjugué dirigé contre la molécule CD30 couplé à un inhibiteur des microtubules, le monométhyl-auristatin E (MMAE). Indication, administration Le brentuximab vedotin est indiqué dans le traitement des lymphomes de Hodgkin et des lymphomes anaplasiques en rechute ou réfractaires après un traitement de chimiothérapie (ces lymphomes exprimant le CD30). Il s'administre par voie intraveineuse toutes les trois semaines. Toxicité, surveillance • La toxicité hématologique du brentuximab vedotin est modérée. • Une toxicité neurologique (neuropathies périphériques) est fréquente, semblable à celle observée avec les autres poisons du fuseau. C. Inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) 1. Inhibiteurs de BCR-ABL Mécanisme d'action La leucémie myéloïde chronique (LMC) est caractérisée par une anomalie cytogénétique cau- sale, la translocation t(9 ; 22) formant le chromosome Philadelphie (Ph). Cette translocation va donner naissance à un gène de fusion (BCR-ABL) qui code une protéine à activité tyrosine 220 kinase constitutive. L'activité de cette protéine est suffisante pour induire la leucémogenèse. Des inhibiteurs spécifiques de tyrosine kinase (ITK) ont été développés, au premier rang des- quels l'imatinib, rapidement suivi par des ITK de deuxième (dasatinib, nilotinib) puis troisième génération (bosutinib, ponatinib). Ces ITK bloquent l'activité de la protéine BCR-ABL en empê- chant la fixation de l'ATP sur l'enzyme, rendant ainsi impossible la phosphorylation de son substrat (figure 18.5). Indications, administration Les ITK dirigés contre BCR-ABL sont utilisés dès la première ligne thérapeutique dans la LMC en phase chronique. Ce traitement permet d'obtenir des taux élevés de réponses cytogénétiques complètes et de réponses moléculaires majeures. Sous traitement, le risque de transformation en leucémie aiguë est très faible et la survie globale excellente. Des mutations acquises au niveau du gène BCR-ABL peuvent conduire à un échappement thérapeutique. Le changement d'ITK peut alors parfois permettre de retrouver une efficacité thérapeutique. Ces traitements s'administrent par voie orale. Toxicité • Certains effets indésirables sont communs aux différents ITK comme la toxicité digestive, cutanée, ou hématologique. • D'autres effets indésirables sont plus spécifiques comme les œdèmes avec l'imatinib, les épanchements pleuraux et l'hypertension artérielle pulmonaire avec le dasatinib, les acci- dents vasculaires ischémiques et les atteintes pancréatiques avec le nilotinib. Précautions d'emploi, surveillance En plus de la recherche des effets indésirables, la surveillance s'attachera à vérifier deux choses importantes : • l'observance thérapeutique ;

BCR-ABL Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 ADP BCR-ABL 221 Imatinib P P P ATP P P P P ATP P P P Signalisation Connaissances Fig. 18.5. Mécanisme d'action de l'imatinib. L'imatinib bloque l'activité tyrosine kinase de la protéine BCR-ABL en empêchant la fixation de l'ATP sur l'enzyme. Il rend ainsi impossible la phosphorylation de son substrat et bloque la signalisation intracellulaire. • les interactions médicamenteuses. Celles-ci sont nombreuses en raison du métabolisme par le cytochrome P450 (isoenzyme CYP3A4). Les substances inhibant ou activant l'activité de l'isoenzyme peuvent donc modifier le métabolisme de l'imatinib et donc ses concentrations plasmatiques. Le patient devra en être averti et devra éviter toute automédication. 2. Inhibiteurs de JAK2 Mécanisme d'action JAK2 (Janus Kinase 2) est une kinase impliquée dans la transduction du signal des récepteurs de cytokines. La mutation de JAK2 V617F (substitution d'une valine en une phénylalanine au codon 617) est observée dans la quasi-totalité des maladies de Vaquez et à peu près la moitié des thrombocytémies essentielles et des myélofibroses primitives (MFP) (cf. Item 314, au cha- pitre 6). Elle induit une activation constitutive de cette voie de signalisation indépendamment de toute stimulation extrinsèque (cytokines hématopoïétiques). L'activation de JAK2 induit la phosphorylation et la dimérisation de STAT qui migre dans le noyau et active la transcription de gènes impliqués dans la prolifération (figure 18.6). Le ruxolitinib est un inhibiteur de JAK1 et JAK2 (dans sa forme normale et mutée). Indication, administration Le ruxolitinib est indiqué dans la myélofibrose pour le traitement de la splénomégalie et des symptômes liés à la maladie. En plus de soulager les symptômes, ce traitement a montré qu'il augmentait la survie globale. Le ruxolitinib s'administre par voie orale, en continu, deux fois par jour.

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Ruxolitinib Activation constitutive du récepteur, indépendamment de la présence ou non du ligand Récepteur P JAK2 JAK2 V617F V617F P P P Phosphorylation P P P STAT5 P P STAT5 STAT5P STAT5 P PSTAT5 STAT5 P Transcription 222 Fig. 18.6. Mécanisme d'action du ruxolitinib. La mutation de JAK2 induit la phosphorylation et la dimérisation de STAT qui migre dans le noyau et active la transcription de gènes impliqués dans la prolifération. En inhibant JAK2, le ruxolitimib bloque cette voie de signalisation. Toxicité, surveillance Les principaux effets indésirables sont hématologiques (anémie, thrombopénie). À noter égale­ ment, la possibilité d'un effet « rebond » à l'arrêt du traitement. 3. Perspectives D'autres ITK sont en développement pour le traitement des hémopathies malignes. Dans cer- taines hémopathies lymphoïdes B, la voie du BCR (récepteur B) joue un rôle important dans la survie des cellules tumorales. Des ITK ciblant des molécules de signalisation en aval du BCR ont été développés, en particulier des inhibiteurs de BTK et de PI3K. Ces inhibiteurs, au premier rang desquels l'ibrutinib (inhibiteur de BTK) et l'idelalisib (inhibiteur de PI3K), semblent avoir une efficacité très prometteuse dans la LLC et dans certains lymphomes B. D. Inhibiteurs de mTOR 1. Mécanisme d'action La voie de signalisation PI3K/AKT/mTOR peut être activée à la suite de la liaison de certains ligands à leurs récepteurs membranaires (figure 18.7). Cette voie de signalisation est impli-

Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées 18 Récepteurs à activité tyrosine kinase : EGF, PDGF, VEGF, etc. PI3K Voie Akt/mTOR Akt mTOR Évérolimus Connaissances Temsirolimus Activation de la transcription Inhibition 223 de la transcription avec l’inhibition de la voie Fig. 18.7. Les inhibiteurs de mTOR bloquent la signalisation en aval de la voie PI3K/AKT/mTOR. quée dans la prolifération, la croissance et la survie cellulaire. La voie de signalisation PI3K/ AKT/mTOR est activée en permanence dans de nombreux cancers. mTOR (mammalian Target Of Rapamycin) est une sérine-thréonine kinase située en aval de cette voie d'activation qui va notamment participer à la régulation du cycle cellulaire. Le premier inhibiteur de mTOR développé a été la rapamycine (ou sirolimus), un antibiotique ayant des propriétés immuno- suppressives, antifongiques et cytostatiques. D'autres inhibiteurs de mTOR ont ensuite été développés, notamment l'évérolimus et le temsirolimus. 2. Indication, administration Le temsirolimus, un analogue de la rapamycine, est indiqué dans le traitement du lymphome à cellules du manteau en rechute ou réfractaire. Il s'administre par voie intraveineuse, en per- fusions hebdomadaires. 3. Toxicité, surveillance Les principales toxicités observées avec le temsirolimus sont cutanéo-muqueuses (rash, mucite), digestives (nausée, vomissements), hématologiques (thrombopénies), lipidiques (hyperlipidé- mie) et hépatiques (cytolyse).

Hématologie cellulaire – Oncohématologie E. Inhibiteurs du protéasome 1. Mécanisme d'action Le protéasome est un complexe enzymatique multicatalytique présent dans toutes les cel- lules eucaryotes, dont le rôle principal est la dégradation des protéines fixant l'ubiquitine. Le système ubiquitine-protéasome joue un rôle primordial dans l'homéostasie intracellulaire et dans le renouvellement des protéines fonctionnelles. Plusieurs des protéines dégradées par le protéasome sont impliquées dans le contrôle de la progression du cycle cellulaire, l'apoptose, la transcription de facteurs de croissance et de leurs récepteurs, et la transduction du signal. La voie NFκB est également très dépendante du protéasome. À l'état basal, le facteur de trans- cription NFκB est lié à son inhibiteur IκB. Sous l'effet de stimuli (externes ou internes), l'inhi- biteur IκB est ubiquitinylé puis détruit par le protéasome, libérant ainsi NFκB. Une fois activé, NFκB pénètre dans le noyau et induit la transcription de facteurs de croissance et de survie. Le bortezomib est un puissant inhibiteur, spécifique et réversible, du protéasome. L'inhibition du protéasome par le bortezomib va entraîner un arrêt du cycle cellulaire, induire l'apoptose, et bloquer la voie NFκB (en empêchant la dégradation d'IκB) (figure 18.8). L'effet antitumoral est particulièrement efficace dans les tumeurs ayant une activité NFκB augmentée comme le myélome multiple. Le bortezomib va également agir sur les cellules du micro-environnement (en inhibant notamment les ostéoclastes responsables de la résorption osseuse). 2. Indications, administration Le bortezomib est indiqué dans le traitement du myélome multiple. Il s'administre par voie parentérale, intraveineuse ou (de préférence) sous-cutanée. 224 3. Toxicité, surveillance Les principales toxicités sont : • neurologiques  : le bortezomib peut entraîner des neuropathies périphériques dose- dépendantes et cumulatives pouvant nécessiter une adaptation de dose voire un arrêt du traitement ; l'administration du bortezomib par voie sous-cutanée réduit cette toxicité par rapport à l'administration intraveineuse, c'est pourquoi cette voie est actuellement privilégiée ; • hématologiques : le bortezomib entraîne surtout des thrombopénies. F. Immunomodulateurs de la famille des IMiD® (thalidomide, lenalidomide et pomalidomide) 1. Mécanisme d'action Le thalidomide, un dérivé synthétique de l'acide glutamique, a été développé et commercialisé en Allemagne au milieu des années cinquante pour ses vertus sédatives et antiémétiques, notamment chez les femmes enceintes. Au début des années soixante, il fut retiré du marché en raison de son caractère tératogène. À la fin des années quatre-vingt-dix, le thalidomide fit l'objet d'un regain d'intérêt en raison de ses propriétés antitumorales et antiangiogéniques. Il a notamment montré une efficacité chez les patients présentant un myélome en rechute ou réfractaire. Depuis, d'autres médicaments de la même classe (IMiD®) ont été développés (lena- lidomide, pomalidomide) afin d'obtenir une meilleure efficacité et/ou une moindre toxicité. Les mécanismes d'action des IMiD® sont multiples (figure 18.9) : action antitumorale directe, action antiangiogénique, action immunomodulatrice et action sur le micro-environnement tumoral. La cible intracellulaire des IMiD® est une protéine identifiée sous le nom de cereblon.

NFKB Activation : récepteurs de surface IKB IKB est phosphorylé Microenvironnement NFKB dans sa forme et ciblé pour dégradation tumoral inactive, séquestrée dans le cytoplasme par IKB dans le protéasome Enzymes et régulateurs Protéasome du cycle Cytokines Cellules du stroma médullaire Bortezomib NFKB libéré Molécules peut transloquer d’adhérence dans le noyau au stroma médullaire IKB dégradé Activation de la transcription Facteurs des gènes cibles antiapoptotiques 1. Pas de dégradation 2. Pas de translocation Ostéoclaste : Item 198 – UE 7 Biothérapies et thérapies ciblées de IKB nucléaire de NFKB résorption osseuse 3. Inhibition 4. Inhibition de la transcription des ostéoclastes des gènes cibles Fig. 18.8. Mécanisme d'action du bortezomib. L'inhibition du protéasome par le bortezomib va empêcher la dégradation d'IκB (1) et donc la translocation nucléaire de NFκB (2), inhiber la transcription des gènes cibles de ce dernier (3), entraîner un arrêt du cycle cellulaire et induire l'apoptose (en inhibant la dégradation de cer- taines protéines de régulation), agir sur les cellules du micro-environnement (ostéoclastes, en particulier) (4). 225 Connaissances 18

Hématologie cellulaire – Oncohématologie Cellules stromales Cellules de myélome Moelle osseuse Action IL-6 antitumorale TNFα VEGF Production bFGF Croissance cellulaire de cytokines Angiogenèse 4 2 3 1 Cellules NK IMiD® Activation lymphocytaire T IL-2 IFN gamma Fig. 18.9. Mécanisme d'action des IMiD®. Les IMiD® inhibent l'angiogenèse (1), bloquent les signaux de survie provenant du micro-environnement en limitant l'adhérence de la cellule myélomateuse au stroma médullaire et en bloquant la sécrétion de certaines 226 cytokines (2) : IL-6, TNFα (Tumor Necrosis Factor), VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) ; ils ont une activité immunomodulatrice en favorisant l'expansion des lymphocytes T et NK (3), et ont un effet antitumoral propre en inhibant la croissance tumorale (4). 2. Indications, administration Les IMiD® sont indiqués dans le traitement du myélome multiple et de certaines myélodyspla- sies (avec délétion 5q). Les IMiD® s'administrent par voie orale. 3. Toxicité, surveillance • Le risque tératogène des IMiD® nécessite une contraception stricte. • Des complications thromboemboliques sont fréquentes, nécessitant la prescription d'un traitement préventif par héparine de bas poids moléculaire ou antiagrégant plaquettaire. • Enfin, la toxicité hématologique nécessite une surveillance régulière de l'hémogramme. G. Agents ciblant la régulation épigénétique L'expression des gènes est régulée par des mécanismes épigénétiques tels que la méthylation de l'ADN et l'acétylation des histones. Ces mécanismes épigénétiques peuvent participer à l'oncogenèse en réprimant l'expression de gènes suppresseurs de tumeurs. Des molécules ciblant les enzymes impliquées dans le contrôle épigénétique des gènes (ADN méthyltransfé- rase et histone déacétylase) ont été développées.


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