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Risques et possibilités : secteurs socio-économiques

4.1 AGRICULTURE

« Extrêmement importante pour l'économie canadienne, l'agriculture est naturellement sensible aux conditions climatiques. » (Lemmen et Warren, 2004, p. xi)
« Les conditions météorologiques touchent la production agricole davantage que toute autre production. » (Stroh Consulting, 2005)

Répercussions biophysiques et adaptation

Dans les provinces des Prairies, l'agriculture pourrait bénéficier de plusieurs aspects du réchauffement climatique selon la vitesse et l'ordre de grandeur de ce dernier, et sa capacité à s'y adapter (voir le tableau 9). Des saisons de croissance plus chaudes et plus longues, et des hivers plus doux pourraient être avantageux. La hausse de la température aura un effet positif sur la croissance et le rendement des cultures jusqu'à ce que certains seuils soient atteints. Comme les producteurs agricoles jouissent d'une forte faculté d'adaptation, ils devraient pouvoir tirer profit de ces changements positifs. Par contre, des changements du r égime de précipitations, l'augmentation du risque de sécheresses et des ravageurs qui l'accompagnent, ainsi que des taux d'humidité excessifs peuvent entraîner des situations fâcheuses (voir le tableau 9). Il sera plus difficile de s'adapter aux menaces et aux possibilités nouvelles, notamment l'augmentation de la probabilité des sécheresses dans les régions où le gel ou l'excès d'humidité constituent actuellement de plus grands dangers, car les habitants de ces régions sont moins habitués à faire face aux sécheresses.

TABLEAU 9 : Changements possibles de l'agroclimat de la région agricole des provinces des Prairies, et exemples d'avantages et de désavantages éventuels pour l'agriculture.
Indice Changements (par rapport à la période 1961-1990, sauf indication contraire) Modèles climatiques et scénarios d'émission Période et tendances spatiales Référence Avantages possibles pour l'agriculture1 Désavantages possibles pour l'agriculture1
Indices thermiques :
Degrés-jours de croissance 25 à 40 p. 100 CSIROMk2b Bll, changements supérieurs avec les autres modèles Années 2050 Changements supérieurs dans le nord Thorpe et al. (2004) Plus de choix de cultures; plus de récoltes par année; récoltes de meilleure qualité; évolution vers une saison de croissance Vitesse de maturation accélérée et rendements inférieurs; activité accrue des insectes; changement dans l'efficacité des herbicides et pesticides
42 à 45 p. 100 MCCG1 GA1 Années 2050 Changements supérieurs dans le nord CCIS2 (2002)
Degrés-jours de chauffage -23 p. 100 MCCG1 GA1 Années 2050 pour Lethbridge et Yorkton CCIS2 (2002) Coûts de chauffage réduits
Degrés-jours de climatisation 146 to 218 p. 100 MCCG1 GA1 Années 2050 pour Lethbridge et Yorkton CCIS2 (2002) Ventilation accrue pour les étables; plus d'abris frais et de climatisation
Vagues de chaleur : Températures maximums à récurrence de 20 ans Hausse de 1 à 2 °C MCCG2 A2 2050 Kharin et Zwiers (2005) Stress thermique pour les plantes et les animaux; le taux de transpiration accru pourra faire baisser les rendements; besoin accru en eau de refroidissement et en eau potable
Vagues de froid : températures minimums à récurrence de 20 ans Hausse de 2 à >4 °C par rapport à 2000 MCCG2 A2 2050 Kharin et Zwiers (2005) Réduction du stress thermique touchant les animaux Augmentation des ravageurs et des maladies; augmentations potentielles de la destruction due à l'hiver
Indices d'humidité :
Capacité en eau du sol (fraction), annuelle >0 à <-0,2 assèchement surtout MCCG2 A2 moyenne d'ensemble Années 2050, diminutions les plus grandes dans le sud et le sud-est Barrow et al.(2004) Augmentation du stress dû à l'humidité pour les cultures; diminution de la disponibilité de l'eau
Indice Palmer de gravité de sécheresse Sécheresses graves deux fois plus fréquentes Goddard Institute for Space Studies CO2 doublé dans le sud de la Saskatchewan Williams et al. (1988) Augmentation des dommages et des pertes dus aux sécheresses; coûts d'adaptation accrus, etc.
Déficit en humidité : précipitations annuelles moins l'évapotranspiration potentielle (P/ÉP) -60 mm à -140 mm (c.-à-d. déficit accru de 0 à -75 mm MCCG1 et HadCM3 Années 2050 Gameda et al. (2005) Comme pour les sécheresses Comme pour les sécheresses
MCCG1 GA1 Années 2050 Nyirfa and Harron (2001) Comme ci-dessus Comme ci-dessus
Indice d'aridité (IA) : rapport de précipitations annuelles à l'évapotranspiration potentielle (P/ÉP) Augmentation de 50 p.100 de la superficie où l'IA<0,65 MCCG2 B2 Années 2050 Sauchyn et al. (2005) Comme ci-dessus Comme ci-dessus
Nombre de jours secs : période entre deux jours de pluie consécutifs (>1 mm) Changements modestes et négligeables MCCG2 A2 2080 à 2100 Kharin et Zwiers (2000)
Nombre de jours de pluie Changements modestes et négligeables MCCG2 A2 2080 à 2100 Kharin et Zwiers (2000)
Précipitations extrêmes : période de récurrence de 20 ans des précipitations annuelles extrêmes Augmentation de 5 à 10 mm et diminution de la période de récurrence par un facteur de 2 MCCG2 A2 Années 2050 Kharin and Zwiers (2005) Inondations plus nombreuses et érosion plus importante; planification des extrêmes plus difficile
Couverture de neige Réductions générales MCCG2 IS92a 50 à 100 prochaines années Brown (2006) Moins de déneigement; saison de pâturage accrue Quantité et qualité réduites des approvisionnements en eau
Autre indices :
Vitesse du vent, annuelle <5 to >10 p. 100 MCCG2 A2 moyenne d'ensemble Années 2050 Barrow et al. (2004) Dispersion accrue de la pollution atmosphérique Érosion accrue des sols exposés; dommages aux plantes et aux animaux
Érosion éolienne des sols 16 p. 100 Manabe and Stouffer CO2 doublé Williams and Wheaton (1998)
-15 p. 100 Goddard Institute for Space Studies CO2 doublé
Rayonnement solaire incident <–2 à <–6 W/m2 MCCG2 A2 moyenne d'ensemble Années 2050; diminutions supérieures dans le centre- nord Barrow et al. (2004) La diminution du rayonnement peut compenser partiellement le stress thermique Croissance réduite des plantes si des seuils sont dépassés
Indice de rigueur du climat3 –3 à –9 MCCG1 IS92a Années 2050; plus grandes améliorations en Alberta et au Manitoba Barrow et al. (2004) Climat moins rigoureux pour les travaux à l'extérieur; plus accep-table pour les animaux
Dioxyde de carbone Divers scénarios d'émission ont été utilisés, (p. ex., 1 p. 100 par année) IS92a Leggett et al. (1992) Productivité accrue des plantes en fonction d'autres facteurs Réduction possible de la qualité des récoltes

Notes:
1La plupart des avantages et des désavantages sont résumés d'après Wheaton (2004)
2 Projet Climate Change Impacts Scenarios (CCIS)
3L'indice de rigueur du climat (IRC) est une mesure annuelle de l'effet du climat sur le confort et le bien-être des humains et des risques que présente le climat pour la santé et la vie des humains; son échelle va de 0 à 100 (Barrow et al., 2004); un IRC plus élevé indique un climat plus rigoureux. Les facteurs de calcul de cet indice sont pondérés également entre les facteurs d'inconfort hivernal et estival et des facteurs d'ordre psychologique liés aux dangers ainsi qu'à la mobilité extérieure

Depuis de nombreuses années, on se sert des projections du changement climatique pour faire fonctionner des mod èles de rendement des cultures (p. ex., Williams et al., 1988). Cependant, ces évaluations produisent une vaste gamme de résultats selon les scénarios climatiques et les modèles d'impacts utilisés, l'échelle d'application et les hypothèses émises (p. ex., Wall et al., 2004), et dans quelle mesure on a réussi à leur intégrer le concept de l'adaptation. L'une des plus importantes répercussions du changement climatique concerne les changements de la disponibilité de l'eau aux fins d'agriculture. Tous les types d'agriculture dépendent de la disponibilité d'une quantité suffisante d'eau de qualité au moment opportun. Au Canada, c'est le secteur agricole qui, à 71 p. 100, est le plus grand consommateur net d'eau (voir l'étude de cas 2 Harker et al., 2004; Marsalek et al., 2004). L'utilisation de l'eau par le secteur agricole est en croissance constante depuis 1972, et cette tendance se maintiendra probablement (Coote et Gregorich, 2000). Dans les Prairies, tant la culture sous irrigation que l'élevage extensif sont limités par la disponibilité de l'eau (Miller et al., 2000), particulièrement au cours des années de sécheresse (Wheaton et al., 2005a). Par exemple, les animaux exigent plus d'eau lorsqu'ils subissent un stress thermique, et le stress d'origine hydrique pendant des stades critiques (p. ex., durant la floraison) est particulièrement néfaste pour les plantes. L'Alberta compte environ 60 p. 100 des terres agricoles irriguées du pays (Harker et al., 2004) et, en 2001, plus de 67 p. 100 des exploitations canadiennes de bovins d'élevage et laitiers, de porcs, de volailles et d'autre bétail se trouvaient dans les Prairies (Beaulieu et Bedard, 2003). Les populations de bovins et de porcs ont augmenté constamment au cours des dix dernières années (Statistique Canada, 2005c), et l'on s'attend à ce que la demande d'eau destinée à l'irrigation et au bétail augmente avec les températures à la hausse et l'expansion de ces secteurs.

L'irrigation constitue la principale mesure d'adaptation du secteur agricole aux déficits annuels en eau du sol (voir l'étude de cas 2), et l'adoption de techniques efficientes au cours des dernières décennies a accru spectaculairement l'efficacité de l'irrigation à la ferme. Toutefois, la perte constante d'eau due à l'évaporation, aux fuites et à d'autres facteurs dans les réservoirs d'irrigation et les systèmes d'irrigation à fossés ouverts confirme qu'il faudra apporter d'autres améliorations à la gestion de ressources en eau limitées. Des publications récentes (p. ex., Irrigation Water Management Study Committee, 2002) révèlent que les bassins des rivières Oldman et Bow pourraient soutenir une augmentation de l'irrigation de l'ordre de 10 p. 100 et de 20 p. 100, respectivement. Cependant, comme le changement climatique entra îne des réductions de débits (voir section 3.1) et des augmentations de la demande en eau pour les cultures (en raison de la hausse de l'évapotranspiration et de l'allongement des saisons de croissance), on s'attend à ce que ces bassins connaissent de graves pénuries d'eau, compte tenu du système d'irrigation en place. La mesure dans laquelle la hausse des concentrations de CO2 dans l'atmosphère améliorera l'efficacité d'utilisation de l'eau par les plantes est incertaine et dépend des cultures, des éléments nutritifs et de la disponibilité de l'eau (Van de Geijn et Goudriaan, 1996) ainsi que d'autres facteurs (voir la section 3.2). L'utilisation de types de cultures plus tolérants aux sécheresses est une mesure d'adaptation courante.

ÉTUDE DE CAS 2

Adaptation du secteur agricole à l'aide de l'irrigation

L'irrigation est la méthode d'adaptation privilégiée du secteur agricole dans les environnements arides. Elle réduit les effets des sécheresses et les autres risques pour les fermes, permet une plus grande diversité des cultures, accroît les marges bénéficiaires et améliore la durabilité à long terme des petites exploitations agricoles. La culture sous irrigation est de loin le plus grand utilisateur d'eau des Prairies, et les plus petites améliorations de son efficacité font économiser des quantités considérables d'eau. Les Prairies englobent près de 75 p. 100 des terres irriguées du Canada; la Saskatchewan en renferme 11 p. 100, et plus de 60 p. 100 se trouvent dans le sud de l'Alberta (Irrigation Water Management Study Committee, 2002). On a recours à l'irrigation sur 4 p. 100 des terres cultivées dans les districts d'irrigation du sud de l'Alberta, où la production représente 18,4 p. 100 du produit intérieur brut agroalimentaire de la province, ce qui dépasse de 250 p. 100 à 300 p. 100 la productivité de l'aridoculture. De grandes industries de transformation des aliments ont vu le jour dans le sud de l'Alberta, où la saison de croissance plus longue, le nombre de degrés-jours élevé et l'approvisionnement en eau relativement sûr provenant principalement de la fonte des neiges dans les Rocheuses permettent de produire des cultures sp écialisées (pommes de terre, haricots et betteraves à sucre).

Les progrès des buses d'irrigation à pivot central, y compris l'irrigation des coins de champs et les dispositifs à faible pression, ont beaucoup amélioré l'efficacité et l'efficience des systèmes d'irrigation. Grâce aux économies de main-d'œuvre et à la capacité d'irriguer les terrains vallonnés et les terres situées « au-dessus des fossés », la superficie irriguée en Alberta a plus que doublé depuis 1970. En 2006, l'infrastructure d'irrigation comprenait 7 796 km d'ouvrages de transport de l'eau (fossés et canalisations) et 49 réservoirs. Les réservoirs en dérivation comblent les variations saisonnières de l'approvisionnement et de la demande en eau, mais ils ne sont pas aussi efficaces que les r éservoirs installés sur le cours d'eau pour répondre aux besoins en débits minimums et de répartition. Les coûts des immobilisations de la distribution de l'eau sont considérables. Par exemple, le coût estimatif d'un plan de distribution de l'eau dans l'est de l'Alberta se chiffrait à 168 millions de dollars pour des canalisations, des fossés et des réservoirs destinés à dynamiser l'une des régions les plus arides de la province (Special Areas Board, 2005). Ce projet a eu pour avantage net de permettre le d éveloppement de 8 000 à 12 000 hectares (20 à 30 000 acres) de terres irriguées – un investissement de 15 000 $ à 20 000 $ par hectare.

Une étude des besoins et des possibilités d'irrigation a été mise en œuvre en 1996 par l'Alberta Irrigation Projects Association (AIPA), qui représente les 13 districts d'irrigation de la province, par la direction chargée de l'irrigation du ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et du Développement rural de l'Alberta (Alberta Agricultural, Food and Rural Development), et par l'Administration du rétablissement agricole des Prairies (ARAP), d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Le rapport sur le projet, intitulé Irrigation in the 21st Century, comporte les principales conclusions suivantes :

  • L'évolution vers un accroissement de la production de fourrage pour l'industrie de l'élevage et l'augmentation de la superficie consacrée aux cultures spécialisées destinées à la transformatà forte valeur ajoutée entraîneront une légère hausse des besoins en eau, comparativement aux besoins propres au mélange de cultures actuel.
  • L'efficacité de l'application à la ferme, c'est-à -dire le rapport entre la quantité d'eau d'irrigation appliquée et retenue dans la rhizosphère et la quantité totale d'eau d'irrigation livrée au réseau de la ferme, a augmenté, passant d'environ 60 p. 100 en 1990 à près de 71 p. 100 en 1999. Grâce aux nouvelles technologies, cette efficacité pourrait approcher 78 p. 100, bien que, pour l'avenir prévisible, une efficacité d'application à la ferme de 75 p. 100 soit considérée comme un objectif raisonnable aux fins de la planification.
  • Des systèmes d'irrigation de surface bien de niveau et bien conçus peuvent atteindre une efficacité de 75 p. 100, tandis que les systèmes de conception médiocre et mal gérés peuvent se situer à moins de 60 p. 100. Les gicleà faible pression dirigés vers le bas permettent à l'efficacité d'atteindre entre 75 p. 100 et 90 p. 100.
  • On estime que les pertes d'eau par évaporation dans les fossés et les réservoirs représentent environ 4 p. 100 des volumes attribués sous licence. Les pertes par évaporation ont été réduites grâce à l'installation de canalisations. Alors que les nouveaux réservoirs de stockage permettent une amélioration considérable des opérations dans les districts d'irrigation et une réduction des écoulements de retour, ces réservoirs sont eux-mêmes des utilisateurs d'eau, et l'on devrait tenir compte de cette utilisation lors de la prise de décisions concernant la conception de nouveaux systèmes de stockage. La préférence devrait être accordée aux stockages efficaces qui portent au maximum la capacité de stockage par unité de surface.
  • Le niveau d'utilisation avec prélèvement est, en moyenne, de 84 p. 100 du niveau requis pour obtenir des rendements optimums des cultures. On s'attend à ce que le degré de gestion de l'eau destinée aux cultures augmente dans l'avenir, étant donné :
    • la transition continue des méthodes d'irrigation de surface à des méthodes faisant appel à des gicleurs;
    • l'évolution des types de cultures irriguées, des céréales aux cultures spécialisées de plus grande valeur;
    • l'accroissement progressif de la formation et de l'éducation des agriculteurs qui ont recours à l'irrigation quant aux techniques de gestion plus poussées de l'eau destinée aux cultures et à leurs avantages;
    • la poursuite des améliorations en matière de techniques aptes à permettre l'établissement d'un calendrier d'irrigation et l'adoption générale de leur utilisation;
    • la poursuite de l'amélioration de la conception des systèmes d'irrigation à la ferme.

L'étude de l'AIPA était basée sur la simulation des effets des variables de la demande de gestion de l'eau à l'échelle des fermes et des districts sur la demande brute d'irrigation globale ainsi que sur la capacité des réseaux hydrographiques d'y répondre. On a procédé à des modélisations concernant le débit et les conditions climatiques dans le réseau du bassin de la Saskatchewan-Sud pour la période allant de 1928 à 1995. Même si l'on a connu des déficits de l'apport en eau de plus en plus importants, de plus en plus fréquents et de plus en plus longs en raison de l'augmentation de la demande en irrigation, il serait possible de maintenir la durabilit é économique des entreprises agricoles en améliorant l'efficacité d'utilisation de l'eau et en augmentant les applications d'eau à la ferme. Cet aspect s'avère particulièrement important dans le cas des exploitations qui peuvent transférer l'eau de cultures de moindre valeur à des cultures de plus grande valeur durant les années de déficit en eau.

Des gains importants de l'efficacité de l'application à la ferme ont été réalisés grâce à l'évolution des méthodes d'irrigation et aux progrès accomplis dans le domaine de la technologie des systèmes. L'amélioration de la gestion des méthodes d'irrigation à la ferme permetà l'avenir des applications d'eau susceptibles d'atteindre jusqu'à 90 p. 100 du niveau optimal d'utilisation de l'eau destinée aux cultures, tel que requis par les types de cultures et les pratiques culturales du sud de l'Alberta. La perte d'eau dans les réservoirs et les systèmes à fossés ouverts est encore importante à cause de l'évaporation et des fuites, par exemple, et elle nécessitera une gestion encore meilleure des ressources en eau limitées.

Même si les institutions, dans les districts d'irrigation et les organismes gouvernementaux, ne tiennent pas compte explicitement du changement climatique et de l'adaptation, tout semble indiquer que des irrigateurs individuels envisagent d'appliquer des mesures d'adaptation et d'accroître l'efficacité de l'irrigation(voir la section 5). En effet, certains d'entre eux ont proposé « des solutions de rechange aux barrages coûteux et délicats, du point de vue de l'environnement, en encourageant le recours à un examen de la possibilité de stocker l'eau à la ferme, en particulier dans les coins des terres irriguées à l'aide de systèmes à pivot » (Kent Bullock, gestionnaire de district, district d'irrigation de Taber, communication personnelle, 14 novembre 2006). Ce stockage additionnel pourrait fournir un appoint d'eau au début et à la fin de la saison de culture, le cas échéant.

Évaluation économique

Les résultats d'études des répercussions économiques du changement climatique sur l'agriculture des Prairies sont très variables d'une région et d'une étude à l'autre. Certaines études semblent indiquer que les conséquences économiques globales seront négatives mais faibles (Arthur, 1988), et d'autres, qu'elles seront positives et importantes (Weber et Hauer, 2003). Il a été projeté que le Manitoba, la province qui connaît le plus faible déficit en eau, bénéficiera du réchauffement, car les producteurs adopteront des cultures de plus grande valeur, tendance susceptible d'entraîner une hausse de plus de 50 p. 100 de la marge bénéficiaire brute (Mooney et Arthur, 1990). Alors que des répercussions principalement fâcheuses ont été au départ prévues pour la Saskatchewan (Williams et al., 1988; Van Kooten, 1992), cette conclusion a été mise en doute à la suite d'études réalisées aux États-Unis sur des régions limitrophes des Prairies qui, elles, prévoient des avantages pour l'agriculture découlant de l'allongement des saisons de croissance et de la hausse des températures (Bloomfield et Tubiello, 2000). De même, dans des études faisant appel à une approche fondée sur la valeur des terres (Weber et Hauer, 2003), on estime qu'il y aura des répercussions favorables sur l'agriculture des Prairies, avec des gains moyens de la valeur des terres se chiffrant à 1 551 $ par hectare, soit une hausse d'environ 200 p. 100 par rapport aux valeurs de 1995. Ces valeurs sont régies par l'allongement de la saison de croissance et la production de cultures de plus grande valeur.

FIGURE 13 : Interactions entre le changement climatique et les repercussions socio-économiques liées à l'agriculture.

FIGURE 13 : Interactions entre le changement climatique et les repercussions socio-économiques liées à l'agriculture.
image agrandie

Les trois grandes limites des indications dont on dispose quant aux répercussions économiques du changement climatique sur l'agriculture sont les suivantes :

  • La plupart des études des impacts économiques ne tiennent pas compte des effets des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, qui peuvent être dévastateurs pour l'économie régionale (voir l'étude de cas 3; Wheaton et al., 2005a, b).
  • Dans de nombreuses études, on n'utilise pas d'approches intégrées, telles que les modèles bioéconomiques, pour estimer les impacts économiques du changement climatique sur l'agriculture des Prairies. Il faudra procéder à des évaluations socio-économico-biophysiques plus intégrées des répercussions du changement climatique. On trouvera à la figure 13 une méthodologie conceptuelle pour ce genre d'analyse.
  • Très peu d'études se penchent sur la production animale. Le changement climatique entraînera à la fois des pertes et des gains économiques pour le secteur de l'élevage. Les pertes découleront du stress dû à la chaleur que subira le bétail et de l'incidence de maladies et de ravageurs nouveaux, alors que les gains attendus proviendront de l'amélioration de l'efficience alimentaire dans un climat plus doux.

Les répercussions économiques nettes sur le secteur agricole dans la région des Prairies subiraient également l'effet des liens commerciaux à l'intérieur du Canada et avec l'étranger (voir le chapitre 9 Smit, 1989); notamment, la production canadienne de blé pourrait s'accroître de 4,5 p. 100 à 20 p. 100 (Reilly, 2002).

Conclusions

Il se peut que l'allongement de la saison de croissance, l'augmentation du nombre de degrés-jours et les hivers plus doux et plus courts créent des possibilités pour l'agriculture. Pour ce qui est des répercussions négatives du changement climatique, elles comptent entre autres l'accroissement de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes, tels que les sécheresses et les orages intenses, et des taux de changement rapides qui peuvent d épasser certains seuils. Les répercussions nettes sur l'agriculture ne sont pas claires et dépendent fortement des hypothèses posées, notamment de l'efficacité des mesures d'adaptation. Plusieurs aspects des mesures d'adaptation sont encore mal compris, comme le processus de mise en œuvre et l'efficacité potentielle des différentes approches.

ÉTUDE DE CAS 3

Sécheresses de 2001 et 2002 dans les Prairies

Les sécheresses ont des répercussions importantes sur l'économie, l'environnement, la santé et la société. Celles de 2001 et 2002, qui ont apporté dans certaines régions du Canada des conditions qui n'avaient pas été constatées depuis au moins un siècle, n'ont pas fait exception. En règle générale, au Canada, les sécheresses ne touchent qu'une ou deux régions, durent relativement peu de temps (une ou deux saisons) et n'influent que sur un petit nombre de secteurs économiques. En revanche, celles des années 2001 et 2002 ont touché de vastes superficies, ont duré longtemps et ont eu des répercussions substantielles sur de nombreux secteurs économiques. Elles ont été parmi les premières sécheresses pancanadiennes jamais enregistrées et ont frappé des régions qui sont moins habituées à faire fà la rareté de l'eau. Bien que d'envergure nationale, ces sécheresses étaient cependant concentrées dans l'Ouest, la Saskatchewan et l'Alberta étant les provinces les plus touchées (Wheaton et al., 2005a, b).

Les répercussions des sécheresses ont été étendues, notamment :

  • La production agricole a baissé d'une valeur estimative de 3,6 milliards de dollars au cours des années de sécheresse 2001 et 2002, la chute la plus imposante étant celle de 2002, qui a atteint plus de 2 milliards de dollars.
  • Le produit intérieur brut a été réduit de 5,8 milliards de dollars au cours de 2001 et 2002, avec, encore une fois, une perte supérieure en 2002, c'est-à -dire de 3,6 milliards de dollars.
  • Les pertes d'emplois ont dépassé 41 000, dont près de 24 000 en 2002.
  • Les chutes de production ont été dévastatrices à l'échelle du pays pour un grand nombre de cultures. En Alberta, la perte de production s'est chiffrée à 413 millions de dollars en 2001,à 1,33 milliard de dollars en 2002. La valeur estimative de la diminution des récoltes en Saskatchewan a été de 925 millions de dollars en 2001, et de 1,49 milliard de dollars en 2002.
  • En 2002, le revenu agricole net a été négatif en Saskatchewan et nul en Alberta.
  • Des épisodes d'érosion éolienne grave ont été enregistrés, malgré les améliorations apportées par le travail de conservation du sol.
  • Les productions animales ont connu des périodes particulièrement difficiles en raison de la rareté générale des aliments pour animaux et de l'eau.
  • Des approvisionnements en eau qui étaient auparavant fiables n'ont pas réussi à répondre aux besoins dans certaines régions et ont nécessité de nombreux projets d'adaptation, de la réparation de barrages, d'étangs-réservoirs et de puits existants à la construction de nouveaux étangs-réservoirs et puits. Le bétail a été abattu ou transporté vers des zones où le fourrage et l'eau étaient plus accessibles. Les collectivités ont eu besoin d'un complément d'eau provenant de diverses sources. Ces adaptations ont entraîné des coûts supplémentaires pour les collectivités ainsi que des pertes de récoltes et de bétail.
  • On a constaté une réduction notable de la croissance des forêts de peupliers et un dépérissement général des peupliers et d'autres espèces d'arbres dans les régions les plus touchées par la sécheresse dans l'ouest du Canada. Les bouleaux, frênes et autres espèces d'arbres plantés dans les zones urbaines, comme Edmonton, ont également été sérieusement touchés (Hogg et al., 2006). Les peupliers ont subi un effondrement majeur de leur productivité au cours de cette sécheresse (Hogg et al., 2005).
  • Des effets multisectoriels ont été enregistrés, et des répercussions sur la production agricole et le secteur de la transformation, sur les approvisionnements en eau, les loisirs, le tourisme, la sant é, la production d'énergie hydroélectrique et les transports ont été documentées.
  • Parmi les répercussions à long terme, il y a eu des dommages causés aux sols et d'autres dommages dus à l'érosion éolienne et à la détérioration des prairies.

Plusieurs programmes gouvernementaux d'intervention et de protection du revenu, ainsi que d'autres mesures d'adaptation, dont certaines coûteuses et perturbatrices, ont compensé partiellement les répercussions socioé-conomiques néfastes des années de sécheresse 2001 et 2002. Un bon nombre de mesures d'adaptation se sont révélées insuffisantes face à une sécheresse aussi intense et persistante, et touchant une aussi grande superficie. Étant donné que l'on prévoit que des sécheresses plus intenses et plus prolongées frapperont les Prairies dans l'avenir, ces récentes répercussions mettent en évidence la vulnérabilité de l'Ouest canadien et la nécessité d'améliorer la capacité d'adaptation dans toutes les régions.

4.2 INDUSTRIE FORESTIÈRE

Exploitation et aménagement forestiers

Les phénomènes climatiques de courte durée peuvent influer sur les activités forestières et sur l'accès à des approvisionnements en bois exploitables. On compte au nombre de leurs répercussions des inondations entraînant des pertes de routes, de ponts et de ponceaux, des températures hivernales plus élevées qui ont une incidence sur la durée de gel des terrains utilisés pour les activités hivernales, notamment sur la capacité de construire et d'entretenir des chemins de glace (voir la section 4.3); et des sols gorgés d'eau dans les parcelles de coupe, qui empêchent d'utiliser du matériel lourd (Archibald et al., 1997). Dans les zones humides ou durant les périodes de fortes précipitations, le matériel d'exploitation peut creuser de profondes ornières, phénomène qui touche la productivité à long terme et la capacité de régénération des sites et le potentiel d'érosion (Archibald et al., 1997; Grigal, 2000). Sur les parcelles très pentues, ces conditions peuvent être aggravées et entraîner des glissements de terrain (Grigal, 2000). D'autres répercussions résultent du mauvais entretien des chemins et des ouvrages de régularisation de l'eau, la première négligence étant responsable de l'érosion accrue des pentes et la seconde, de l'engorgement des sols et des inondations. Les activités d'exploitation forestière ont souvent lieu en hiver, parce que le sol gelé est relativement à l'abri des impacts du matériel lourd (Grigal, 2000). Les inondations ou l'érosion grave causées par les épisodes de précipitations extrêmes peuvent réduire, voire empêcher, les possibilités de remise en état des chemins forestiers temporaries (Van Rees et Jackson, 2002). Les chemins qui traversent des cours d'eau ont un effet sur la qualité de l'eau et les habitats des poissons puisqu'ils y introduisent des sédiments, mais ces effets sont généralement peu importants, sauf lors de phénomènes extrêmes (Steedman, 2000). Parmi les réactions d'adaptation actuelles à ces conditions figurent l'utilisation de pneus à portance élevée sur le matériel forestier lorsque les sols sont mouillés (Mellgren et Heidersdorf, 1984), la réaffectation des activités de récolte forestière vers des sites plus secs et la réalisation de ces activités en été plutôt qu'en hiver. Cependant, les modifications du matériel peuvent être coûteuses et difficiles d'entretien.

À long terme, le climat a un effet sur la croissance et la durabilité de la productivité des peuplements forestiers. La température, l'humidité et la disponibilité des éléments nutritifs ainsi que les concentrations atmosphériques de CO2 agissent toutes directement sur la croissance des arbres (Kimmins, 1997). Dans les for êts aménagées, les jeunes plants mis en terre sont sensibles au climat, et même les plants issus de la régénération naturelle qui suit une perturbation sont sensibles au climat dans les premiers stades de leur établissement (Parker et al., 2000; Spittlehouse et Stewart, 2003). Les facteurs climatiques, par l'intermédiaire des sols et de la topographie, influent également sur la composition en espèces des peuplements et des paysages forestiers (Rowe, 1996).

La productivité des forêts et la composition en espèces dans le paysage subissent aussi les effets des perturbations de grande envergure, lesquelles sont fortement r égies par le climat. Pour les forêts canadiennes, les agents de perturbation les plus importants sont les feux de forêt (Weber et Flannigan, 1997) et les infestations d'insectes (Volney et Fleming, 2000). Par exemple, dans les provinces des Prairies, les insectes nuisibles ont touch é en moyenne 3,1 millions d'hectares par année entre 1975 et 2005, atteignant des superficies extrêmes de 10 à 12 millions d'hectares au milieu des années 1970 (Programme national de données forestières, 2005). Les feux de forêt ont dévasté dans les Prairies une moyenne d'un peu moins d'un million d'hectares par année entre 1975 et 2003, mais ils ont porté atteinte àà 4 millions d'hectares durant certaines des années 1980 (Programme national de données forestières, 2005).

Pour évaluer les effets du climat sur les écosystèmes dans les forêts commerciales, il faut disposer de modèles d'écosystèmes complets qui incluent à la fois les processus agissant sur les écosystèmes à l'échelle locale (p. ex., la productivité) et les processus à l'échelle des paysages (p. ex., la dissémination des graines, les perturbations). Ces modèles dynamiques planétaires de la végétation peuvent être utilisés comme simulateurs individuels ou être couplés à des modèles de circulation générale. Il s'agit, par exemple, de l'Integrated Biosphere Simulator (IBI; Foley et al., 1996), le modèle de Lund-Potsdam-Jena (Gerber et al., 2004) et le MC1 (Bachelet et al., 2001). Il faudra procéder à d'autres applications de ces modèles à l'échelle régionale, avec paramétrisation détaillée et validation des résultats, approche d'ailleurs adoptée en Europe dans le cadre de plusieurs évaluations forestières (Kellomäki et Leinonen, 2005; Schröter et al., 2005; Koca et al., 2006).

Vulnérabilités futures

Les scénarios climatiques établis pour les provinces des Prairies semblent indiquer que l'avenir apportera des hivers plus doux accompagnés de précipitations accrues, des printemps et des étés précoces pendant lesquels les taux d'humidité du sol seront réduits (voir la section 2.5). Dans ces conditions, les possibilités de transport au printemps sur les chemins forestiers pourraient être réduites. Dans les endroits vulnérables (p. ex., aux traversées routières), l'érosion est susceptible d'augmenter à cause de précipitations plus abondantes et plus intenses (Spittlehouse et Stewart, 2003). Les inondations demeureraient pr éoccupantes et exigeraient de prêter une attention particulière au choix de la taille des ponceaux et autres ouvrages de régularisation des eaux (Spittlehouse et Stewart, 2003). Dans les secteurs où les activités hivernales sont importantes, le raccourcissement de la période de gel du sol limiterait l'exploitation forestière et aurait une incidence sur l'affectation du matériel de récolte aux secteurs de coupe. Le tableau 10 présente des mesures d'adaptation possibles à ces types de changementsà d'autres répercussions du changement climatique.

La hausse des températures fait augmenter à la fois l'absorption du carbone (photosynthèse) et les pertes de carbone (par respiration); son effet dépendra donc de l'équilibre net entre ces deux processus (Amthor et Baldocchi, 2001). Il a été démontré que la photosynthèse et la respiration s'adaptent au changement des conditions environnementales (acclimatation); par cons équent, toute augmentation pourrait être de courte durée. On a montré aussi que les changements de la photosynthèse dépendent fortement de la disponibilité des éléments nutritifs (en particulier de l'azote) et de l'eau (Baldocchi et Amthor, 2001). Globalement, on s'attend à ce que la productivité primaire nette s'accroisse avec l'élévation des températures et l'allongement des saisons de croissance, du moment que l'eau et les éléments nutritifs ne se révèlent pas des facteurs limitatifs (Norby et al., 2005).

Les températures du sol monteront probablement aussi. Bien qu'aucune étude sur le réchauffement du sol n'ait été réalisée dans les Prairies, un réchauffement expérimental du sol effectué dans le nord de la Suède (au 64 ºNord) a entraîné une augmentation de la croissance sur la surface expérimentale et a démontré que l'ajout d'engrais et d'eau faisait augmenter de façon spectaculaire la croissance en volume par rapport au seul réchauffement (Stromgren et Linder, 2002). Dans le cadre d'un vaste examen d'autres expériences de réchauffement du sol, on a trouvé des taux accrus de disponibilité de l'azote pour presque tous les sites et types de végétation (Rustad et al., 2001). Toutefois, cette réaction est liée à la disponibilité de l'eau et subit également l'effet du dépôt d'azote provenant de sources industrielles (Kochy et Wilson, 2001).

Dans les provinces des Prairies, une bonne partie de la limite sud de la forêt boréale est actuellement vulnérable aux effets des sécheresses, et l'on s'attend à ce que cette vulnérabilité augmente dans l'avenir (Hogg et Bernier, 2005). La capacité de rétention d'eau (CRE) du sol est un facteur critique de la détermination de la quantité d'eau disponible pour répondre aux besoins d'absorption du système radiculaire des arbres. Dans le cadre de simulations de sécheresses à venir, on a obtenu une réduction d'environ 20 p. 100 de la productivité de l'épinette blanche dans des endroits de la Saskatchewan où la CRE est faible (Johnston et Williamson, 2005).

Une augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 améliore l'efficacité d'utilisation de l'eau (EUE), c'est-à -dire que, pour une unité donnée d'absorption du CO2, la perte d'eau est réduite (Long et al., 2004). L'accroissement de l'EUE pourrait se révéler un facteur particulièrement important dans les endroits où l'eau est limitée, de sorte que la croissance des arbres pourrait se poursuivre là où elle se trouverait normalement gravement limitée étant donné les taux de concentration de CO2 actuels. Johnston et Williamson (2005) ont trouvé que, même dans des conditions de sécheresse graves, l'accroissement de l'EUE dans un scénario de teneur élevée en CO2 se traduirait par une hausse de la productivité par rapport aux conditions actuelles. Dans les expériences sur l'enrichissement en CO2 atmosphérique libre (free-air CO2 enrichment ou FACE), on expose les arbres à des concentrations de CO2 environ deux fois supérieures à celles de la période préindustrielle. Dans l'une de ces expériences, une hausse initiale de la production primaire nette (PPN) a été observée chez le pin taeda, mais elle n'a duré que relativement peu de temps, soit trois à quatre ans, et ne s'est produite qu'en présence de taux d'éléments nutritifs et d'eau du sol relativement élevés (DeLucia et al., 1999; Oren et al., 2001). On a observé que les arbres réagissaient plus que les autres types de végétation à l'augmentation des taux de concentration de CO2, leur production de biomasse s'accroissant alors en moyenne d'environ 20 p. 100 à 25 p. 100 (Long et al., 2004; Norby et al., 2005).

L'effet du changement climatique sur les régimes de perturbation pourrait être considérable. Dans la région des Prairies, on s'attend à ce que les incendies de forêt soient plus fréquents (Bergeron et al., 2004) et plus intenses (Parisien et al., 2004) et à ce qu'ils touchent de plus vastes superficies (Flannigan et al., 2005), quoique l'ordre de grandeur de ces changements soit difficile à prévoir. On s'attend, en outre, à ce que les proliférations d'insectes soient plus fréquentes et graves (Volney et Fleming, 2000). Le dendroctone du pin ponderosa suscite une inqui étude particulière à l'intérieur de la Colombie-Britannique (voir le chapitre 8) parce que cette région en subit actuellement une infestation majeure. Le dendroctone du pin ponderosa a commenc é sa progression vers l'est et, au printemps 2007, infestait déjà quelque 2,8 millions d'arbres en Alberta (Alberta Sustainable Resource Development, 2007). La présence de températures de -40 ºC en hiver impose une limite à la prolifération de cet insecte; avec le réchauffement du climat, ces températures contraignantes devraient se manifester plus au nord et à l'est, ce qui permettra au dendroctone de s'étendre au pin gris dans les provinces des Prairies. L'aire de répartition du pin gris étant presque continue de l'Alberta au Nouveau-Brunswick, la propagation éventuelle du dendroctone à l'ensemble de la forêt boréale canadienne est un scénario possible (Logan et al., 2003; Carroll et al., 2004; Moore et al., 2005; Taylor et al., 2006). L'effet à long terme des proliférations d'insectes sur l'aménagement forestier est difficile à prévoir, bien que l'on projette une mortalité accrue des arbres à la limite sud de la forêt boréale, en raison de l'interaction des insectes, des sécheresses et des incendies (Hogg et Bernier, 2005; Volney et Hirsch, 2005).

La fréquence accrue des perturbations dues aux incendies influera différemment sur les diverses espèces d'arbres, selon leur degré d'inflammabilité et leur capacité de régénération (Johnston, 1996). Certaines espèces de conifères sont de façon inhérente plus inflammables que les espèces de feuillus (Parisien et al., 2004); le nombre accru d'incendies de forêt favorisera donc probablement les espèces de feuillus (p. ex., le peuplier) au détriment de certains conifères (p. ex., l'épinette blanche). Par conséquent, l'approvisionnement en bois des usines de panneaux à copeaux orientés du Canada, qui utilisent généralement comme matière première entre 90 p. 100 et 100 p. 100 de bois de feuillus (surtout du peuplier), ne serait pas aussi gravement touch é par une augmentation des incendies de forêts que celui des scieries, qui dépendent des essences de conifères sujets aux incendies pour la production de bois d'œuvre.

Répercussions économiques et sociales

Les impacts du changement climatique à l'extérieur de la région auront des conséquences pour l'industrie forestière des Prairies. Étant donné l'importance des produits forestiers pour le secteur de la construction, l'augmentation des perturbations naturelles pourrait probablement stimuler le secteur des produits forestiers. Par exemple, le prix des panneaux de copeaux orient és a monté de plus de 50 p. 100 dans les semaines qui ont suivi l'ouragan Katrina, à l'automne 2005 (National Association of Home Builders, 2005). Aux endroits présentant les concentrations voulues d'eau et d'éléments nutritifs, l'augmentation de la croissance des arbres pourrait se traduire par une hausse de l'approvisionnement en bois, qui pourrait certes faire chuter les prix du marché, mais aussi offrir un avantage aux consommateurs (Sohngen et Sedjo, 2005). Par contre, les perturbations à grande échelle et le dépérissement des arbres pourraient réduire l'approvisionnement en bois, faisant ainsi monter les prix et entraînant des pénuries locales ou régionales de bois (Sohngen et Sedjo, 2005). Il pourrait s'ensuivre des fermetures d'usines, avec leur cortège d'effets économiques sur les petites collectivités tributaires de la forêt (Williamson et al., 2005). Les changements dans la composition en espèces dus aux perturbations et aux conditions de croissance de l'avenir pourront amener les usines à modifier leur capacité de transformation et à introduire de nouveaux produits. Les coupes de récupération exécutées après les perturbations à grande échelle pourront fournir une quantité supplémentaire de biomasse ligneuse utilisable dans la production de bioénergie, solution de choix envisagée en ce moment dans le cas des forêts infestées par le dendroctone du pin ponderosa en Colombie-Britannique (voir le chapitre 8 ; Kumar, 2005). Cependant, les effets des coupes de récupération intensives sur la fonction et la biodiversité des écosystèmes pourraient se révéler défavorables (Lindenmayer et al., 2004).

4.3 TRANSPORTATION

FIGURE 14 : Chemins de fer dans les environs de Red Deer River valley, près de Drumheller, en Alberta.

FIGURE 14 : Chemins de fer dans les environs de Red Deer River valley, près de Drumheller, en Alberta.
image agrandie

Dans les provinces des Prairies, le réseau de transports est étendu et varié. Le réseau routier public comprend plus de 540 000 km de routes équivalant à deux voies, soit 52 p. 100 du total national (Transports Canada, 2005). Environ 20 p. 100 de ce réseau est asphalté. Plusieurs milliers de kilomètres de chemins d'hiver (de glace) publics sont construits chaque année dans la région, la plupart au Manitoba, où quelque 2 300 km de chemins d'hiver donnent accès aux collectivités non desservies par des routes permanentes (Transports et Services gouvernementaux Manitoba, 2006). Le r éseau ferroviaire (voir la figure 14) est aussi important pour la région et comprend une ligne qui se rend jusqu'au seul port de mer de la région, situé à Churchill, au Manitoba. En 2004, il y avait 51 aéroports en activité dans la région (Statistique Canada, 2004).

Le transport est un élément crucial de presque toutes les activités économiques et sociales, et les systèmes de transport sont très sensibles aux phénomènes météorologiques extrêmes (Andrey et Mills, 2003a). Étant donné que le changement climatique se traduira par des températures hivernales plus douces, il est probable que, durant la saison froide, une plus grande quantit é de précipitations tomberont sous forme de pluie ou de pluie verglaçante. Une augmentation de la fréquence des épisodes de précipitations extrêmes (Kharin et Zwiers, 2000) et de la variabilité interannuelle du climat fera probablement croître les dommages causés aux routes, chemins de fer et autres ouvrages par les inondations, l'érosion et les glissements de terrain.

Certains changements climatiques pourront se traduire par des économies, notamment à la suite de la réduction du besoin de déneiger les routes, tandis que d'autres pourront conduire à d'importants investissements de capitaux, notamment en raison des améliorations apportées à la gestion des eaux pluviales (IBI Group, 1990; Marbeck Resource Consultants, 2003). Étant donné que les conditions météorologiques constituent un élément clé d'un grand nombre de questions ayant trait à la sécurité liée au transport, dont les accidents d'automobile et d'aéronef, le changement climatique influera sur les risques associés au transport des gens et des marchandises et, peut-être, sur les coûts d'assurance connexes. La demande de transport pourra également être touchée, car de nombreux secteurs de la région qui dépendent du transport, comme l'agriculture, l'énergie et le tourisme, subiront eux aussi les effets du changement climatique.

Impacts sur les infrastructures

Chaque élément de l'infrastructure étendue et diversifiée du réseau de transports des provinces des Prairies doit être conçu, construit et entretenu avec soin afin d'assurer un niveau de sécurité et de fiabilité aussi convenable que possible pendant sa durée de vie théorique. Des coûts importants sont associés à l'infrastructure du transport, dont la plupart sont assumés par les administrations locales, municipales, provinciales et fédérales. Des entreprises et des sociétés privées font également des investissements majeurs dans cette infrastructure, notamment dans l'industrie des chemins de fer.

Sans aucun doute, le plus important effet néfaste du changement climatique sur l'infrastructure du transport dans les provinces des Prairies concerne les chemins d'hiver (voir l'étude de cas 4), ces voies d'accès qui représentent pour les collectivités éloignées un lien de sécurité vital sur les plans social, culturel et économique (Kuryk, 2003; Centre for Indigenous Environmental Resources, 2006). Le co ût de l'expédition de marchandises en vrac par voie aérienne est prohibitif. C'est pourquoi les menaces que représente un climat en évolution au regard du fonctionnement des chemins d'hiver sont source de préoccupation pour chacun des gouvernements provinciaux ayant pour mandat de fournir une infrastructure de transport de surface, ainsi que pour les collectivit és desservies actuellement par ces chemins. Au cours de l'hiver 1997-1998, marqué par un épisode El Niño chaud, on a dépensé de 15 à 18 millions de dollars pour le transport aérien de fournitures à des collectivités éloignées du Manitoba et du nord de l'Ontario, parce que les chemins d'hiver ne pouvaient pas être construits ou entretenus pendant des périodes suffisantes (Paul et Saunders, 2002; Kuryk, 2003).

Par contraste, les hivers plus doux pourront entraîner des réductions substantielles des coûts associés aux infrastructures autres que les chemins de glace. Le temps froid et les cycles de geldégel fréquents sont une cause majeure de la détérioration des surfaces asphaltées et non asphaltées (Haas et al., 1999). Dans le sud des provinces des Prairies, où l'on trouve la vaste majorité des surfaces routières permanentes, la réduction de la durée et de la rigueur de la saison de gel pourrait mener à des économies à long terme en termes de réparation et d'entretien. Cependant, les épisodes hivernaux de temps doux ou l'accroissement de la variabilité quotidienne des températures pourraient entraîner un accroissement de la fréquence des cycles de gel-dégel, du moins pendant quelques décennies, au fur et à mesure que les hivers se réchaufferont. En outre, dans certaines régions du nord, c'est le substrat gelé qui stabilise les routes asphaltées durant l'hiver, avantage que des hivers plus doux pourraient compromettre.

On s'attend à ce que les hausses de la température moyenne et l'augmentation de la fréquence des journées chaudes en été fassent monter le coût des infrastructures routières. Les surfaces couvertes d'asphalte, surtout celles sur lesquelles circulent beaucoup de camions lourds, sont en effet particuli èrement susceptibles d'être endommagées durant les vagues de chaleur. Parmi les problèmes possibles figurent la formation d'ornières dans les surfaces ramollies ainsi que le ressuage de l'asphalte liquide à la surface des chaussées mal construites (Lemmen et Warren, 2004). La formation d'ornières s'avère le problème le plus grave et le plus coûteux à régler. Chacun de ces problèmes peut largement être évité grâce à une conceptionà des méthodes de construction appropriées. On ne sait toujours pas de façon certaine quelle conséquence aura le plus d'importance dans la région : les économies attribuables à la réduction des dommages causés aux routes par le gel ou les coûts engendrés par les dommages plus fréquents causés aux routes en raison des températures estivales plus élevées.

Les coûts d'entretien de l'infrastructure des chemins de fer seront probablement réduits en raison des hivers plus doux. Les températures extrêmement basses font casser les traverses de chemins de fer, entraînent le mauvais fonctionnement des aiguillages et imposent un stress physique aux wagons. Une r éduction des épisodes de temps extrêmement froid pourrait donc se traduire par une diminution des coûts associés à ces problèmes. En été, toutefois, les dommages causés aux rails par la dilatation thermique (Grenci, 1995; Smoyer-Tomic et al., 2003) augmenteront probablement à mesure que les vagues de chaleur se feront plus fréquentes. De façon peut-être plus importante, il est probable que les lignes de chemin de fer septentrionales traversant des zones de perg élisol, comme celle qui dessert le port de Churchill dans le nord du Manitoba, nécessiteront des réparations importantes et fréquentes, ou même devront être déplacées, à cause de la dégradation du pergélisol (Nelson et al., 2002).

ÉTUDE DE CAS 4

Chemins d'hiver dans le nord du Manitoba

Le plus grave impact négatif du changement climatique sur l'infrastructure du transport dans le nord des provinces des Prairies concerne les chemins d'hiver. Au Manitoba, où l'on construit la majorité des chemins d'hiver de la région, plus de 25 000 personnes de 28 collectivités ne sont desservies que par ces derniers (Centre for Indigenous Environmental Resources, 2006), et on s'attend à ce que la population de ces collectivités double dans les 20 prochaines années. Quelque 2 300 kilomètres de chemins d'hiver sont construits chaque année afin d'assurer l'accès aux collectivités non desservies par des routes permanentes (Transports et Services gouvernementaux Manitoba, 2006).

Les chemins d'hiver constituent des voies de communication vitales entre les collectivités autochtones nordiques et d'autres parties du Canada. Ils représentent des liens de sécurité sociaux, culturels et économiques pour les collectivités éloignées puisqu'ils permettent la livraison des marchandises essentielles, notamment les aliments, les combustibles, les fournitures m édicales et les matériaux de construction (Kuryk, 2003; Centre for Indigenous Environmental Resources 2006). Leur absence soulèverait également des problèmes de sécurité, car de nombreux habitants du Nord utilisent les chemins et pistes d'hiver pour la chasse, la pêche et les activités culturelles et récréatives (voir la section 4.4).

Dans son étude portant sur cinq Premières nations du Manitoba (celles de Barrens Land, de Bunibonibee, de Poplar River, de St. Theresa Point et de York Factory), le Centre for Indigenous Environmental Resources (2006) a signalé les principaux problèmes suivant :

Fiabilité des chemins d'hiver

Les membres des collectivités nordiques sont d'avis que les deux causes les plus communes du mauvais état des chemins d'hiver sont : 1) le temps plus doux (attribué à la fois aux cycles naturels et au changement climatique d'origine anthropique) et 2) des niveaux d'eau élevés qui fluctuent rapidement et sont accompagnés de forts courants (attribués aux ouvrages de régularisation des débits et au ruissellement naturellement abondant). Parmi les mauvaises conditions constat ées figurent :

  • une réduction de l'épaisseur et de la solidité de la glace;
  • le retard des saisons permettant la construction de chemins d'hiver et leur plus courte durée;
  • des quantités excessives de gadoue, de plaques de terre, de nids-de-poules, de glace suspendue et de poches de glace sur les chemins;
  • le fait que les chemins tracés suivent un parcours moins direct que ceux qui traversent les plans d'eau.

On s'attend à ce que, en raison du changement climatique, la durée de la saison permettant les chemins d'hiver au Manitoba diminuera de huit jours dans les années 2020, de 15 jours dans les années 2050, et de 21 jours dans les années 2080 (Prentice et Thomson, 2003).

Défaillance des chemins d'hiver et gestion des cas d'urgence

Transports et Services gouvernementaux Manitoba (TSGM) a signalé une diminution de l'épaisseur de la glace, une texture et une densité médiocres de la glace, un retard de la saison permettant la construction des chemins d'hiver, des zones de muskeg problématiques et une réduction des limites de charge. Il y a eu des cas de matériel endommagé de façon irréparable par un seul trajet sur un chemin d'hiver. Les interventions d'urgence en cas de défaillance des chemins d'hiver, y compris le transport aérien des approvisionnements, sont coûteuses, comme on l'a déjà décrit pour l'hiver doux de 1997-1998

Sécurité personnelle sur les chemins et pistes d'hiver et sur les plans d'eau gelés

Lorsque les saisons de chemins d'hiver sont courtes, certains membres des collectivités prennent des risques supplémentaires sur les chemins et pistes d'hiver et sur les plans d'eau gelés. Par exemple, un travailleur en construction de routes de la Première nation de Wasagamack s'est noyé en 2002 lorsque la niveleuse qu'il conduisait s'est enfoncée sous la glace.

Préoccupations pour la santé des personnes

L'accès aux centres de santé et autres formes d'aide médicale devient problématique lorsque les chemins et les sentiers d'hiver ne sont pas disponibles. De plus, les taux élevés de diabète dans les collectivités autochtones ont été liés à la difficulté de se procurer des aliments sains et abordables, qu'ils proviennent de magasins ou de la nature. Le stress représente une autre cause de préoccupation en matière de santé découlant du raccourcissement des saisons de chemins d'hiver, puisque ce raccourcissement entraîne des pressions financières et l'isolement social.

Hausse du coût de la vie

Le transport par les chemins d'hiver réduit au minimum les coûts du carburant, des marchandises et des services. Le transport des marchandises par voie a érienne est de deux à trois fois plus coûteux que le transport de surface par les chemins d'hiver. On peut également bénéficier des prix plus bas offerts dans les grands centres accessibles par les routes toutes-saisons. Le coût des aliments est une question d'importance, puisque le taux de chômage dans les collectivités nordiques peut atteindre 80 p. 100 à 90 p. 100. La consommation de viandes et de poissons sauvages permet aux gens de contrebalancer le co ût élevé des aliments achetés au magasin local, mais les hivers plus doux limitent leurs possibilités de récolter des aliments traditionnels (voir la section 4.4).

Diminution de la participation aux activités sociales et récréatives

Les chemins d'hiver, les sentiers d'accès et les plans d'eau gelés jouent un rôle social et culturel important au sein des collectivités nordiques. Ils permettent l'accès aux collectivités avoisinantes et aux grands centres pour le magasinage, la visite d'amis et de membres de la famille, les rencontres sociales (p. ex., pour les mariages, les naissances et les fun érailles), la participation à des activités récréatives (p. ex., bingos, festivals et tournois de pêche) et les visites à des personnes âgées dans les hôpitaux ou les installations de soins.

En outre, les membres des collectivités utilisent les sentiers pour des randonnées récréatives. Ces dernières années, on a dû annuler certains tournois de pêche et carnavals d'hiver. Dans l'ensemble, les individus se sentent plus isolés de leurs amis et parents qui habitent des collectivités voisines lorsque les saisons de chemins d'hiver sont plus courtes et moins fiables. Des déplacements en hélicoptères sont possibles, mais la plupart des gens ne peuvent se permettre les tarifs élévés.

Entrave aux activités communautaires et au développement économique

Beaucoup d'activités économiques sont liées à l'accès que fournissent les terrains et les plans d'eau gelés. La glace trop mince et l'état médiocre des routes en hiver ont restreint certaines activités rémunératrices, notamment la pêche sur glace et l'exportation de ressources (p. ex., poissons et fourrures) destinées à être vendues dans les grands centres. Les chemins d'hiver permettent aux collectivités et entreprises d'acquérir plus efficacement les marchandises et approvisionnements requis pour leurs activit és régulières et les travaux d'entretien et de réparation. En outre, ils permettent aux Premières nations de tirer un revenu grâce aux contrats de construction et d'entretien des routes conclus avec TSGM. Ainsi, la durée et la période d'utilisation des chemins d'hiver peuvent avoir une incidence sur le développement économique, le logement, les immobilisations, les projets spéciaux et l'entretien du matériel.

Le Centre for Indigenous Environmental Resources (2006) a recommandé une gamme de mesures à prendre au niveau des collectivités et du gouvernement pour faire face aux problèmes causés par la détérioration des chemins d'hiver. Elles peuvent se résumer comme suit :

  • Accroître la sécurité des chemins d'hiver (deux niveaux).
  • Élaborer des plans d'action communautaire relatifs au changement climatique (collectivité) et fournir un appui à la mise en œuvre de ces plans (gouvernement).
  • Élaborer une stratégie de communication (collectivité) et accroître les communications avec les autres Premières nations (gouvernement).
  • Accroître les possibilités d'activités sociales, culturelles et récréatives (collectivité), et appuyer ces possibilités (gouvernement).
  • Accroître la consommation des aliments locaux (collectivité) et appuyer cette consommation (gouvernement).
  • Améliorer la sécurité des collectivités (deux niveaux).
  • Augmenter les possibilités de financement des opérations communautaires (deux niveaux).

On s'attend à ce que les hausses de la température moyenne et l'augmentation de la fréquence des journées chaudes en été fassent monter le coût des infrastructures routières. Les surfaces couvertes d'asphalte, surtout celles sur lesquelles circulent beaucoup de camions lourds, sont en effet particuli èrement susceptibles d'être endommagées durant les vagues de chaleur. Parmi les problèmes possibles figurent la formation d'ornières dans les surfaces ramollies ainsi que le ressuage de l'asphalte liquide à la surface des chaussées mal construites (Lemmen et Warren, 2004). La formation d'ornières s'avère le problème le plus grave et le plus coûteux à régler. Chacun de ces problèmes peut largement être évité grâce à une conceptionà des méthodes de construction appropriées. On ne sait toujours pas de façon certaine quelle conséquence aura le plus d'importance dans la région : les économies attribuables à la réduction des dommages causés aux routes par le gel ou les coûts engendrés par les dommages plus fréquents causés aux routes en raison des températures estivales plus élevées.

Les coûts d'entretien de l'infrastructure des chemins de fer seront probablement réduits en raison des hivers plus doux. Les températures extrêmement basses font casser les traverses de chemins de fer, entraînent le mauvais fonctionnement des aiguillages et imposent un stress physique aux wagons. Une r éduction des épisodes de temps extrêmement froid pourrait donc se traduire par une diminution des coûts associés à ces problèmes. En été, toutefois, les dommages causés aux rails par la dilatation thermique (Grenci, 1995; Smoyer-Tomic et al., 2003) augmenteront probablement à mesure que les vagues de chaleur se feront plus fréquentes. De façon peut-être plus importante, il est probable que les lignes de chemin de fer septentrionales traversant des zones de perg élisol, comme celle qui dessert le port de Churchill dans le nord du Manitoba, nécessiteront des réparations importantes et fréquentes, ou même devront être déplacées, à cause de la dégradation du pergélisol (Nelson et al., 2002).

La hausse du niveau de la mer aura des répercussions sur les rives de la baie d'Hudson (Overpeck et al., 2006), même si la terre monte elle aussi en raison du fort taux de relèvement glacio-isostatique. Le port de Churchill et ses installations subiront peut- être une érosion plus fréquente et plus grave par l'eau et la glace, phénomène susceptible d'avoir des conséquences sur l'infrastructure de navigation. En revanche, l'allongement significatif de la saison d'eau libre dans la baie d'Hudson et les chenaux du nord dû à la poursuite du réchauffement climatique (Arctic Climate Impact Assessment, 2005) augmentera la possibilit é que des navires océaniques puissent utiliser le port de Churchill comme point de départ et d'arrivée pour le transport du grain et d'autres marchandises en vrac (voir le chapitre 3).

Opérations et entretien

Le changement climatique risque d'avoir une incidence sur la disponibilité, les horaires, l'efficacité et la sécurité des services de transport (p. ex., Andrey et Mills, 2003b). Tous les modes de transport sont, au moins occasionnellement, non disponibles, ou leurs horaires sont perturb és, en raison de phénomènes d'ordre météorologique. La majorité des retards ou des annulations ainsi causés surviennent en hiver, habituellement en raison de fortes chutes de neige, de blizzards ou de pluie vergla çante, mais aussi de petites vagues de froid extrême. Comme les hivers plus doux seront associés à une diminution de ces vagues de froid, les retards associés à ce genre de phénomènes devraient être moins nombreux et durer moins longtemps. Certaines indications permettent de pr évoir qu'un climat plus doux entraînera une diminution du nombre et de l'intensité des blizzards (Lawson, 2003). Si tel est le cas, le secteur des transports pourrait réaliser des économies substantielles, en particulier les lignes aériennes et l'industrie du camionnage. Cette dernière doit souvent assumer des pénalités et des coûts importants associés aux retards dans l'expédition de divers produits, notamment les denrées périssables.

Un climat plus doux pourrait aussi se traduire par une baisse du nombre d'accidents, de blessures et de la mortalité liés aux intempéries (Mills et Andrey, 2002), particulièrement en hiver, si les chutes de neige deviennent moins intenses et moins fréquentes. Il existe une forte corrélation positive entre les accidents de la circulation et la fréquence des précipitations (Andrey et al., 2003). On a déjà signalé une réduction du nombre de blizzards dans les Prairies (Lawson, 2003). Les chutes de neige contribuent pour beaucoup à la diminution de l'efficacité et de la sécurité de la circulation routière au Canada (Andrey et al., 2003), et entraînent de grosses dépenses liées au déneigement des routes. Par exemple, durant l'hiver 2005-2006, le gouvernement du Manitoba a effectué des opérations de déneigement totalisant 1 455 193 kilomètres et de nivelage de la glace totalisant 220 945 kilomètres; près de 57 000 tonnes de sel de déglaçage ont été appliquées sur les autoroutes provinciales; et 42 p. 100 des dépenses annuelles de 80 millions de dollars consacrées à l'entretien ont été faites en hiver (Transports et Services gouvernementaux Manitoba, 2006). Par cons équent, des hivers plus doux accompagnés de moins de neige peuvent entraîner une réduction substantielle des coûts associés à l'enlèvement de la neige et de la glace des routes (p. ex., IBI Group, 1990; Jones, 2003), et l'application d'une quantité moindre de sel sur les routes glacées pourrait diminuer de beaucoup les dommages causés aux véhicules, aux ponts et à d'autres ouvrages en acier (Mills et Andrey, 2002). Toutefois, ces économies potentielles dépendent énormément de la température, et il se peut même que le nombre de jours durant lesquels il faudra appliquer du sel augmente s'il y a davantage de jours de pluie verglaçante.

Même si les quantités totales de précipitations ne changent pas considérablement, on reconnaît de façon générale que la fréquence des précipitations extrêmes augmentera (Groisman et al., 2005), qu'une plus grande partie des précipitations hivernales tombera sous forme de pluie (Akinremi et al., 1999) et que la répartition des précipitations au cours de l'année changera (Hofmann et al., 1998). L'augmentation de la fréquence des précipitations extrêmes en été entraînera probablement une augmentation du nombre d'accidents de la route. Les précipitations intenses et l'excès d'eau ralentissent également les activités de transport. Par exemple, des précipitations accrues et plus intenses dans les montagnes augmenteront probablement l'incidence des inondations éclairs et des coulées de débris (voir la section 3.3), ce qui perturbera les grands réseaux de voies de communication. Une augmentation de la fréquence des vents violents découlerait du nombre accru de tempêtes et causerait des retards et des risques pour les transports aériens.

4.4 COLLECTIVITÉS

La vulnérabilité des collectivités des Prairies au changement climatique varie selon leur capacité d'adaptation et leur exposition directe aux répercussions potentielles. Pour évaluer la capacité d'adaptation, il est nécessaire de prendre en considération les caractéristiques sociales, culturelles, économiques et institutionnelles (voir le chapitre 2; Davidson et al., 2003). Par le passé, les sociétés ont fait preuve d'une capacité remarquable à s'adapter aux conditions climatiques locales (Ford et Smit, 2003), mais des stress répétés ou continus, comme ceux que suscite le changement climatique, peuvent augmenter la vuln érabilité, en particulier lorsqu'ils surviennent en combinaison avec d'autres facteurs générateurs de stress et assez fréquemment pour empêcher le rétablissement.

Centres urbains

La majorité de la population des Prairies est concentrée dans quelques centres métropolitains dont la taille est cependant relativement petite, seule Calgary ayant une population approchant le million d'habitants. Dans l'ensemble, les grands centres urbains jouissent d'une capacité d'adaptation supérieure à celle des municipalités plus petites et des collectivités rurales. Les villes ont des infrastructures de communications et de transports bien d éveloppées; dans la plupart des cas, elles possèdent des réserves économiques et des capacités d'intervention en cas d'urgence bien développées, et elles ont tendance à avoir une plus grande influence politique (Crosson, 2001). Toutefois, dans une étude sur la capacité d'adaptation des villes dans les provinces des Prairies, on a constaté chez les décideurs un manque de connaissances et de sensibilisation quant aux répercussions possibles du changement climatique et à la nécessité de s'adapter (Wittrock et al., 2001).

Les principaux effets du climat les plus préoccupants pour les villes des Prairies sont les phénomènes météorologiques extrêmes, les sécheresses, les maladies, le stress dû à la chaleur et la transformation graduelle de l'écologie des espaces verts urbains.

Phénomènes météorologiques extrêmes : La lutte contre les inondations constitue peut-être pour les zones urbaines la plus importante préoccupation d'ordre climatique (Wittrock et al., 2001). Par le passé, les villes n'ont jamais été planifiées pour prévenir les inondations, de telle sorte que de nombreux quartiers sont situés dans des secteurs propices aux inondations et que les méthodes de gestion des risques en place s'avèrent souvent inadéquates. Les infrastructures actuelles de gestion de l'eau (système de stockage et de drainage) ne sont peut-être pas adaptées aux changements prévus dans les régions de précipitations et de fonte des neiges.

Sécheresses : En général, les villes sont plus protégées contre les effets des sécheresses que les collectivités rurales, car elles sont dotées d'infrastructures d'acquisition et de stockage d'eau plus perfectionnées. Néanmoins, les augmentations prévues de l'ampleur et de la fréquence des sécheresses influeront certainement sur les approvisionnements en eau et sur l'utilisation de cette dernière dans les villes des Prairies, et souligneront l'importance des initiatives de gestion efficace de l'eau.

Stress thermique : Dans les villes, le stress thermique associé à la hausse des températures planétaires est aggravé par les effets d'« îlot de chaleur » (p. ex., Arnfield, 2003). Bien que les températures les plus élevées du Canada l'on ait enregistré dans les Prairies, celles-ci sont rarement associées à un taux d'humidité élevé. C'est pourquoi on n'a adopté que relativement peu de politiques et de technologies de lutte contre le stress thermique, comme les syst èmes d'air climatisé résidentiels et les abris urbains. De plus, les villes des Prairies, ne connaissant pas les niveaux de pollution atmosph érique typiques des centres urbains de l'Ontario et du Québec, ne sont pas susceptibles de subir les effets cumulatifs du stress thermique et d'une forte pollution atmosphérique (voir les chapitres 5 et 6). Malgré tout, les journées de chaleur extrême sont des événements de grande portée dans les villes des Prairies, surtout pour les populations les plus vulnérables.

Espaces verts : Les espaces verts urbains sont vulnérables à la fois aux changemeà long terme des températures moyennes et des précipitations, ce qui rend les espèces existantes peu adaptées aux nouvelles tendances du climat, et à des phénomènes plus graves comme les sécheresses, lesquels peuvent soumettre la végétation et la faune sauvage à un stress intense. L'une des dépenses qu'ont dû assumer les villes des Prairies au cours du plus récent épisode de sécheresse (2000 à 2002) a été la perte d'arbres ornementaux. Par exemple, la ville d'Edmonton a estimé avoir perdu environ 23 000 arbres pour cause de sécheresse depuis 2002, mais ses ressources lui permettent de n'en remplacer que 8300.

Collectivités rurales

En Saskatchewan et au Manitoba, respectivement 36 p. 100 et 28 p. 100 de la population vivent dans des collectivités rurales. L'Alberta est plus urbanisée, avec seulement 19 p. 100 de sa population qui vit en régions rurales. Certaines collectivités rurales connaissent actuellement une croissance démographique et économique rapide, tandis que d'autres, en particulier de nombreuses collectivités agricoles du sud des Prairies, sont en déclin. Peu de collectivités rurales ont accès au même niveau de ressources que les villes en matière de gestion des catastrophes (p. ex., dans les cas de programmes d'intervention en cas d'urgence et de soins de santé). Pour les collectivités nordiques éloignées, le transport de matériaux et d'approvisionnements vers une collectivité ou le transport de leurs résidants vers l'extérieur en cas de danger sont des facteurs limitatifs à cause du petit nombre de voies de transport. De plus, dans une petite ville, même un phénomène dangereux de faible envergure peut s'avérer catastrophique à l'échelle locale, simplement parce qu'il risque probablement de toucher une plus grande proportion de la population (« l'effet de la proportionnalité »; Mossler, 1996).

En général, les collectivités rurales sont plus sensibles que les villes aux répercussions du changement climatique, en grande partie à cause de leur dépendance économique envers les secteurs des ressources naturelles et de leur manque de possibilit és de diversification économique. Plus de 25 p. 100 des emplois dans les collectivités rurales canadiennes se trouvent dans les industries primaires, et une proportion beaucoup plus grande de la main-d'œuvre dépend indirectement de ces industries. Dans la région des Prairies, 78 p. 100 des emplois liés aux ressources se trouvent dans le secteur agricole (Stedman et al., 2005). De nombreuses collectivités rurales des Prairies subissent déjà un stress dû à la fà des phénomènes climatiques, comme la sécheresse de 2001-2002, et à des facteurs non climatiques tels que le problème du commerce du bois d'œuvre résineux et les épizooties d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Ces collectivités se caractérisent donc simultanément par un éventail réduit de possibilités d'adaptation – à mesure que les réserves de capitaux financiers et de capital social des collectivités et des ménages sont épuisées – et par une probabilité réduite qu'elles s'engagent dans un processus de planification proactif, le changement climatique étant relégué à l'arrière-plan par d'autres facteurs de stress plus immédiats.

La majorité des collectivités rurales de la région sont situées dans l'écozone des Prairies. Les risques et les possibilités des collectivités agricoles sont fortement liés aux effets du changement climatique sur l'agriculture, tels que décrits à la section 4.1. Les répercussions les plus préoccupantes sont les phénomènes météorologiques extrêmes, les sécheresses et les changements survenant dans les écosystèmes. Les sécheresses sont particulièrement préoccupantes, car les collectivités rurales dépendent essentiellement de l'eau de puits et de petits réservoirs qui peuvent se tarir durant une sécheresse grave. L'on s'entend pour reconnaître que le secteur agricole jouit d'une capacité d'adaptation relativement élevée, tant à l'échelle de la ferme que globalement. En raison de la récente restructuration agricole et de la tendance à l'expansion des exploitations, de nombreuses collectivités ont connu un exode important des plus jeunes membres de leur population, de telle sorte que l'âge moyen des agriculteurs canadiens est maintenant de 55 ans (Voaklander et al., 2006). Il se peut qu'une population agricole vieillissante soit moins innovatrice en termes de volonté d'appliquer de nouvelles mesures d'adaptation; par contre, les exploitations d'envergure industrielle, qui ont accès à plus de capitaux, n'ont pas nécessairement le même niveau d'engagement envers la durabilité des collectivités rurales.

Les collectivités forestières, principalement dans l'écozone boréale, forment une petite proportion des collectivités rurales, le secteur forestier fournissant environ 2 p. 100 des emplois régionaux dans les provinces des Prairies (Stedman et al., 2005). L'industrie forestière est beaucoup plus importante en Alberta qu'au Manitoba ou en Saskatchewan. Étant donné les répercussions potentielles du changement climatique sur les écosystèmes forestiers (voir la section 3.2) et sur l'exploitation forestière commerciale (voir la section 4.2), les collectivités forestières feront face à un degré élevé d'incertitude (Mendis et al., 2003). En outre, une partie de leur vulnérabilité pourrait tenir au manque relatif de souplesse de l'industrie forestière moderne, en particulier dans les Prairies, où ce secteur en est à ses débuts. La région est caractérisée par de vastes superficies d'aménagement forestier gérées selon des horizons de planification décennaux et par des installations de transformation modernes de grande capacité qui ne conviennent peut-être qu'à une ou deux essences. À l'instar des autres collectivités rurales, les collectivités forestières se trouveront peut-être aussi gravement limitées dans leur capacité d'intervention en cas d'urgence. De nombreuses collectivités forestières sont en outre situées dans des régions éloignées où l'accès aux transports est limité, ce qui peut constituer un problème si des phénomènes météorologiques extrêmes ou des incendies de forêt rendent inutilisables leurs voies de transport principales.

Les collectivités fondées sur l'exploitation des ressources minières et énergétiques, sises principalement dans les écozones boréale et de la taïga, pourraient s'avérer vulnérables, étant donné les répercussions du changement climatique sur ces secteurs (voir la section 4.6). Des réductions prévues dans les approvisionnements en eau suscitent des préoccupations particulières, car de nombreux procédés utilisés dans ces secteurs dépendent fortement de la disponibilité de l'eau. Parmi les autres facteurs figurent les perturbations de l'alimentation en électricité et des réseaux de transport qui desservent les collectivités éloignées du Nord. La croissance démographique rapide de certaines collectivités fondées sur l'exploitation de l'énergie, notamment Fort McMurray, en Alberta, pourrait les rendre plus vulnérables au changement climatique, car la demande a déjà dépassé les capacités de tous genres d'infrastructures en place, y compris les logements répondant à des normes minimums. Il se peut que les ressources en services sociaux soient sursollicit ées, en particulier lorsque nombre des nouveaux arrivants proviennent de contextes culturels divers. Par cons équent, la capacité d'intervenir en cas de phénomènes météorologiques extrêmes, d'incendies de forêt et de problèmes sanitaires est un souci de taille. Cette croissance rapide a aussi des effets nuisibles sur l'intégration sociale et la satisfaction des collectivités, facteurs qui peuvent tous deux avoir une incidence sur la capacité de réagir à des crises imprévues. Les collectivités ayant une population stable ont en effet tendance à mieux surmonter de telles situations.

FIGURE 15 : Terres humides des Prairies.

FIGURE 15 : Terres humides des Prairies.
image agrandie

Dans plusieurs collectivités des Prairies, l'économie dépend beaucoup du tourisme et des activités récréatives basées sur la nature. Les répercussions économiques potentielles du changement climatique sur le tourisme seront les plus prononcées en Alberta dont l'industrie touristique a généré en 2005 plus de 4,96 milliards de dollars en recettes (Alberta Economic Development, 2006), principalement gr âce aux touristes canadiens et étrangers qui visitent les parcs nationaux des Rocheuses canadiennes. La ville de Banff, à elle seule, a reçu chaque année entre 3 et 5 millions de visiteurs durant la dernière décennie (Service Alberta, 2005). Le tourisme en milieu naturel et les collectivités qui dépendent de cette industrie doivent maintenant relever plusieurs défis vu les effets du changement climatique sur les écosystèmes (voir la section 3.2) et sur les activités récréatives qui se déroulent à l'extérieur (voir la section 4.7). Les parcs les plus gravement touchés par les répercussions économiques sont les îlots de forêt (voir l'étude de cas 1) et les petites zones récréatives du sud des Prairies, où l'eau et les arbres qui attirent les visiteurs sont particulièrement sensibles à un climat en évolution (voir la figure 15). Les collectivités autochtones enregistrent les taux de pauvreté et de chômage les plus élevés de toutes les provinces des Prairies. Environ la moitié de la population autochtone de cette région vit dans les villes. Le reste vit dans les territoires traditionnels ou à proximité; or, ces territoires sont directement exposés aux répercussions du changement climatique sur les écosystèmes, l'eau et les ressources forestières (voir l'étude de cas 5). En outre, nombre de collectivités autochtones ont comme moyens d'existence, du moins en partie, les activités de subsistance, car les approvisionnements en aliments traditionnels complètent leur régime dans une mesure beaucoup plus importante que chez les populations non autochtones. Les effets du changement climatique ayant des cons équences sur la flore et la faune, une baisse de la disponibilité des orignaux, des caribous, des cerfs, des poissons et du riz sauvage, ou l'incertitude quant à leur disponibilité au cours d'une année donnée, augmentera la dépendance envers les aliments importés, ce qui aura pour les résidents des répercussions économiques et sur le plan de la santé. Ces derniers se disent déjà préoccupés par une réduction de leurs activités de subsistance due aux difficultés qu'ils ont à accéder aux terres des réserves et aux territoires traditionnels en hiver. De mauvaises conditions de neige et de terrain peuvent nuire grandement aux déplacements effectués à pied ou en motoneige pour se rendre aux territoires de piégeage, de chasse et de pêche. Ces collectivités signalent que la baisse de niveau de ces activités traditionnelles est liée à des préoccupations concernant la sécurité des personnes.

ÉTUDE DE CAS 5

Moyens d'existence traditionnels des Premières nations et changement climatique : Forum des Aînés du Grand conseil de Prince Albert (GCPA), février 2004

Les Autochtones de la région des Prairies, les Aînés en particulier, font part de leurs connaissances sur le changement climatique, surtout dans les régions nordiques où les activités de subsistance demeurent liées au territoire. De récentes initiatives indiquent que la collaboration entre les chercheurs et les collectivit és autochtones est de plus en plus nécessaire pour comprendre les questions de changement climatique et y faire face. Lors du Forum des A înés du Grand conseil de Prince Albert (GCPA) sur le changement climatique, tenu en f évrier 2004 (Ermine et al., 2005), qui reposait sur le principe d'apprentissage respectueux et les protocoles traditionnels, les Aînés de la région du GCPA ont pu mettre en commun, entre eux et avec les membres du milieu de la recherche, des informations sur le changement climatique. De fa çon générale, les observations des Aînés du GCPA ont renforcé, confirmé ou amélioré les observations scientifiques. Les Aînés ont partagé les éléments de la sagesse collective accumulée par des générations de leurs ancêtres ayant vécu à des endroits précis; ces informations viennent étayer les points de vue des scientifiques sur les impacts du changement climatique et l'adaptation. Les Aînés considèrent le changement climatique comme un processus plus vaste qui englobe aussi les aspects socioculturels de leur vie. Ils ont parl é avec une voix empreinte d'émotion du territoire, rendant hommage à un moyen d'existence qui assure leur santé et leur bien-être, notamment grâce au piégeage, à la chasseà la pêche.

Observations des changements et des répercussions

Les Aînés sont conscients que la variabilité annuelle fait partie des tendances normales de la nature. Cependant, ils ont identifi é plusieurs tendances préoccupantes, notamment :

  • Des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les tornades et la grêle, se manifestent plus fréquemment ces dernières années.
  • Les changements observés dans les caractéristiques saisonnières sont plus préoccupants que les événements climatiques isolés et révèlent que le changement climatique est un problème grave. Par exemple, ils ont remarqué que les conditions saisonnières de l'été et de l'automne se prolongent jusqu'aux mois « d'hiver » habituels.
  • Récemment, ils ont remarqué que les étés sont anormalement secs et que les pluies n'ont pas d'effet appréciable sur les niveaux d'humidité.
  • La quantité et la qualité de l'eau se détériorent sur leurs territoires, en partie à cause de l'activité humaine.
  • Un déséquilibre général de la nature, visible à l'état de la flore et de la faune et déduit à partir de comportements anormaux de la faune sauvage, comporte des changements li és aux habitudes migratoires et aux aires de répartition des populations sur leurs territoires.
  • De nouvelles espèces commencent à habiter des régions où on ne les avait encore jamais vues; notamment, des oiseaux rarement observés se font plus fréquents, et des animaux (p. ex., les couguars et les cerfs de Virginie) s'aventurent dans des régions éloignées de leurs aires de répartition habituelles.
  • La chaleur plus forte de l'été affecte la santé des enfants et des personnes âgées.
  • L'imprévisibilité du temps influe sur leur état de préparation aux activités extérieures.
  • Les plantes, dont les arbres et les arbustes à petits fruits, souffrent de la chaleur et des sécheresses qui l'accompagnent, de telle façon que les produits utiles qu'ils en tirent ne sont plus aussi abondants.
  • La diminution de la qualité et de l'épaisseur du pelage d'hiver des animaux à fourrure a de sérieuses répercussions sur le moyen d'existence des gens du Nord qui pratiquent le piégeage.

Adaptation et capacité d'adaptation

Les Aînés reconnaissent que les tendances du climat font partie de l'existence. Ils ont toujours vécu au gré de la nature. Selon eux, les prophéties étaient un mécanisme traditionnel d'adaptation, car elles préparaient les gens pour l'avenir. À titre d'exemple, un Aîné a décrit les comportements des abeilles qui présagent du type d'hiver auquel il faut s'attendre. Le comportement des animaux est minutieusement observé et utilisé comme base des prédictions.

Le maintien des liens avec le territoire et l'environnement constitue un élément de base important qui contribue à la santé des individus et des collectivités. Lorsque les gens perdent le contact avec le territoire, les voies de communication entre le milieu naturel et le milieu social s'en trouvent coupées. Les Aînés ont fait part de leur conviction profonde qu'il est de leur responsabilité de conserver et de protéger la terre pour les générations à venir. Ils ont exprimé le souhait de prendre les mesures qui s'imposent, mais ils se sont posé des questions quant à leur capacité d'avoir une incidence sur les activités des sociétés industrielles. Le besoin de coopération entre les divers secteurs de la société a été fortement souligné. Le forum lui-même était considéré comme un élément de la solution, et les Aînés ont dit apprécier la participation des scientifiques occidentaux à la discussion sur le changement climatique.

Les Aînés se sont volontairement abstenus de formuler des résolutions et des recommandations officielles. Ils estiment que leur rôle est de renforcer leurs propres collectivités locales et leurs connexions culturelles avec le territoire, particulièrement en travaillant avec les jeunes. L'un des résultats du Forum des Aînés concerne la façon dont le changement climatique est perçu. Dans la perspective des Aînés, les changements mondiaux ont été isolés et étiquetés prématurément par les scientifiques occidentaux comme étant la principale dimension du « changement climatique », ce qui a eu pour effet de faire abstraction, dans une large mesure, de la dimension humaine de la question. La valeur de leur perspective est qu'elle rétablit l'élément humain parmi les priorités, tant au chapitre des répercussions qu'à celui de la responsabilité.

4.5 SANTÉ

La santé et le bien-être humains sont étroitement liés aux conditions climatiques et météorologiques. Avec le changement climatique, les populations des Prairies pourront subir une charge suppl émentaire d'effets néfastes sur la santé dus à la pollution atmosphérique, aux intoxications alimentaires, aux maladies liées à la chaleà une mauvaise santé mentale, aux particules, aux agents pathogènes d'origine hydrique et aux maladies à transmission vectorielle (Seguin , sous presse). Les sous-populations dont la santé est le plus à risque sont les enfants, les personnes âgées, les Autochtones, les personnes de faible statut socio-économique, les sans-abri et les personnes souffrant déjà de problèmes de santé. Parmi les aspects du climat en évolution qui agissent directement ou indirectement sur la santé et le bien-être des habitants des Prairies figurent les sécheresses, les inondations, l'évolution des écosystèmes et la hausse des températures.

Sécheresses

Les sécheresses réduisent le volume des eaux de surface et provoquent ainsi une augmentation des concentrations d'agents pathogènes et de toxines dans les approvisionnements en eau à usage domestique (Charron et al., 2003; Organisation mondiale de la santé, 2003). Elles augmentent la production de poussières provenant de sources à ciel ouvert (p. ex., les routes non asphaltées, les champs et les incendies de forêt), responsables de 94 p. 100 des émissions de particules au Canada (Smoyer-Tomic et al, 2004). Le principal effet sur la santé de l'inhalation de poussières est l'inflammation des voies respiratoires dont les manifestations incluent l'asthme, les rhinites allergiques, les bronchites, la pneumopathie d'hypersensibilité et le syndrome toxique des poussières organiques (do Pico, 1986; Rylander, 1986; do Pico, 1992; Lang, 1996; Simpson et al., 1998).

Les sécheresses empirent les feux de forêt (Smoyer-Tomic et al., 2004), qui sont associés à l'augmentation du nombre d'affections respiratoires, de visites à l'hôpital et de la mortalité (Bowman et Johnston, 2005), et aux frais qui en découlent (voir Rittmaster et al., 2006). Les incendies de forêt peuvent également imposer un stress sur la santé mentale, à cause des évacuations et des déplacements faits à la hâte (Soskolne et al., 2004). Au cours d'un incendie de forêt survenu en mai 1995, le seul accès routier à Fort McMurray a été bloqué, ce qui a rendu difficile le transport des cas d'urgence médicale et de certaines fournitures (Soskolne et al., 2004).

Les sécheresses sont également des sources de détresse pour le monde agricole, surtout en raison des problèmes financiers qu'elles entraînent (Olson et Schellenberg, 1986; Walker et al., 1986, May 1990; Ehlers et al., 1993; Deary et McGregor, 1997). Le stress subi dans les emplois agricoles ne touche pas seulement les agriculteurs; il se r épercute aussi sur leur vie familiale (Plunkett et al., 1999).

Inondations

Les inondations peuvent créer des conditions favorables à l'explosion des populations de vecteurs porteurs de maladies, notamment les moustiques et les rongeurs. Des prolif érations de maladies d'origine hydrique ont été liées à des précipitations intenses, à des inondations et au ruissellement provenant de zones d'élevage de bétail (Millson et al., 1991; Bridgeman et al., 1995; Charron et al., 2003; 2004; Schuster et al., 2005). Dans une étude de cas de référence réalisée dans le sud de l'Alberta, Charron et al. (2005) ont trouvé que chaque journée de pluie supplémentaire survenant au cours des 42 jours qui la précèdent augmentait le risque d'hospitalisation pour troubles gastro-intestinaux. Cependant, si le nombre de journ ées de pluie dépassait 95 p. 100 durant cette même période, les probabilités d'hospitalisation diminuaient, possiblement en raison de la dilution ou de la disparition des agents pathog ènes. Ces résultats sont contraires à ceux obtenus dans une étude de cas réalisée en Ontario (Charron et al., 2005), ce qui semble indiquer que les différences régionales jouent un rôle important lorsqu'il s'agit d'établir l'effet possible du changement climatique sur les maladies d'origine hydrique.

Il est peu probable que les débordements lents des cours d'eau entraînent la mortalité, mais ils ont néanmoins des effets majeurs sur la santé sous forme de problèmes d'ordre psychologique à long terme (Phifer et al., 1988; Phifer, 1990; Durkin et al., 1993; Ginexi et al., 2000; Tyler et Hoyt, 2000) ou de problèmes d'ordre physique dus à la présence de moisissures et de mildiou et du risque d'affections respiratoires associées à des taux d'humidité extrêmement élevés (Square, 1997; Greenough et al., 2001). Le fait de perdre une maison, d'être témoin de sa destruction, d'être évacué sans préavis ou d'être déplacé pendant une longue période est une grande source d'anxiété (Soskolne et al., 2004). Les inondations entraînent des pertes économiques qui, à leur tour, créent du stress et des souffrances pour ceux qui les subissent. Ne pas savoir avec certitude qui va assumer les pertes est également une cause de stress (Soskolne et al., 2004).

Écosystèmes en évolution et maladies à transmission vectorielle

Les hantavirus, transmis à l'homme par l'inhalation d'aérosols qui en contiennent, proviennent des excréments et de la salive des rongeurs (Stephen et al., 1994; Gubler et al., 2001), et causent chez l'homme le syndrome pulmonaire à hantavirus (SPH). La souris sylvestre est le rongeur le plus souvent associé au SPH (Stephens et al., 1994; Glass et al., 2000). Entre 1989 et 2004, 44 cas de SPH ont été diagnostiqués, tous dans l'ouest du Canada et la majorité (27) en Alberta (Agence de santé publique du Canada, 2006). Le taux de mortalité se situe entre 40 p. 100 et 50 p. 100 (Agence de santé publique du Canada, 2001). Les cas de SPH chez l'homme semblent correspondre aux fluctuations annuelles et saisonnières des densités de populations de rongeurs (Mills et al., 1999). Les explosions de populations de rongeurs ont été liées à des hivers humides et doux ainsi qu'à des pluies supérieures à la moyenne suivies de sécheresses et de températures au-dessus de la moyenne (Engelthaler et al., 1999; Gubler et al., 2001), soit des conditions climatiques qui devraient, selon les projections, se manifester de plus en plus fr équemment dans les provinces des Prairies (voir la section 2.5).

Le virus du Nil occidental (VNO) est transmis à partir de ses réservoirs aviaires naturels par les moustiques (principalement du genre Culex). Les conditions climatologiques qui favorisent le VNO sont les hivers doux combin és à de longues vagues de sécheresse et de chaleur (Epstein, 2001; Huhn et al., 2003). Le moustique Culex peut hiverner dans l'eau stagnante des réseaux d'égout urbains, et la chaleur a tendance à accélérer le développement du virus dans le moustique (Epstein, 2001). Les provinces des Prairies ont enregistr é un nombre disproportionné de cas de VNO, soit 91,2 p. 100 des 1 478 cas documentés au Canada en 2003 (Agence de santé publique du Canada, 2004a). En 2004 et 2005, le pourcentage de cas cliniques enregistr és dans ces provinces était respectivement de 36 p. 100 des 25 cas diagnostiqués au Canada, et de 58,6 p. 100 des 210 cas enregistrés au Canada (Agence de santé publique du Canada, 2004b, c). Heureusement, la majorité (80 p. 100) des personnes infectées par le VNO sont asymptomatiques, les symptômes graves (p. ex., coma, tremblements, convulsions, perte de vision) ne se manifestant que chez environ une personne infect ée sur 150 (Centers for Disease Control and Prevention, 2005).

Même si l'on s'attend à ce que la maladie de Lyme constitue un important problème de santé publique dans l'est du Canada, les provinces des Prairies demeureront probablement trop sèches pour que la situation y soit comparable. Parmi les autres maladies concernées par le changement climatique ou par le changement des écosystèmes qui l'accompagne et susceptible de présenter un danger pour la santé dans les Prairies, on peut citer l'encéphalite équine de l'Ouest, la rage, la grippe, la brucellose, la tuberculose et la peste (Charron et al., 2003). Ces maladies ont soit un réservoir animal et ont causé des cas connus chez les humains, soit elles ont sévi par le passé dans les provinces des Prairies et sont sensibles aux changements du climat (Charron et al., 2003).

Températures au-dessus de la moyenne

La hausse des températures pourrait faire augmenter le nombre d'intoxications alimentaires, car les étés plus chauds et plus longs entraînent une accélération de la croissance des bactéries, ainsi que la survie de ces espèces et de leurs vecteurs (p. ex., les mouches; Bentham et Langford, 2001; Rose et al., 2001; Hall et al., 2002; D'Souza et al., 2004; Kovats et al., 2004; Fleury et al., 2006). Fleury et al. (2006) ont confirmé les cas d'intoxications alimentaires survenus en Alberta et ont trouvé une association positive entre la température ambiante et ces intoxications pour tous les décalages (0 à 6 semaines) et pour chaque degré de dépassement de la température hebdomadaire au-dessus du seuil (0 à 10 ºC). Selon le type d'agent pathogène, le risque d'infection relatif est passé de 1,2 p. 100 à 6,0 p. 100.

Des températures plus élevées accroissent la production de polluants secondaires, y compris l'ozone troposphérique (Last et al., 1998; Bernard et al., 2001). Bien que les villes des Prairies présentent des concentrations de polluants atmosphériques relativement faibles (Burnett et al., 1998; Duncan et al., 1998), les niveaux de pollution actuels ont bel et bien une incidence sur les taux de morbidit é et de mortalité (Burnett et al., 1997, 1998). Les personnes âgées, celles qui sont déjà atteintes de troubles médicaux et les enfants sont les individus qui courront probablement le plus de risques en raison du changement climatique, de la croissance d émographique et de l'augmentation des concentrations de polluants dans les grandes agglomérations (Last et al., 1998). Des températures hivernales plus élevées feront diminuer le nombre de décès liés au froid. En règle générale, il y a plus de gens qui meurent en hiver qu'en été, principalement à cause de maladies infectieuses (p. ex., la grippe) ou de crises cardiaques (McGeehin et Mirabelli, 2001).

Vulnérabilité économique

La vulnérabilité économique au changement climatique touche indirectement la santé et le bien-être. Elle précède souvent les conséquences des phénomènes météorologiques extrêmes sur la santé. Les pertes économiques, en particulier celles qui dépassent les moyens financiers des personnes qui les subissent, représentent une source majeure de stress. La vulnérabilité économique est étroitement liée à la capacité des individus à acheter des assurancà leur statut socio-économique ainsi qu'à la richesse et aux ressources des collectivités et des gouvernements.

La perte d'une propriété au cours d'un phénomène extrême est coûteuse, car ce ne sont pas toutes les pertes qui sont protégées par une assurance ou des programmes d'aide gouvernementaux (Soskolne et al., 2004). Les stress financiers associés aux catastrophes touchent le plus les familles ayant un faible statut socio-économique et les personnes âgées à revenu fixe, qui sont le moins capables de se permettre des assurances ou d'assumer le coût des dommages et qui sont le plus susceptibles de vivre dans des secteurs vulnérables. Dans l'avenir, ces groupes pourraient être encore moins en mesure d'acheter des assurances et d'assumer le coût de s'adapter aux phénomènes météorologiques extrêmes. Les programmes d'aide aux sinistrés victimes de sécheresses tentent de couvrir les pertes de récoltes non assurées, mais ils ne couvrent que rarement les investissements faits au début de la saison, ce qui augmente la dette personnelle. L'incapacité à rembourser une dette a tendaà susciter des pressions financières accrues, qui causent à leur tour de la dépression, du stress et même des suicides (Soskolne et al., 2004).

La vulnérabilité de la santé de certains segments de la société à ces menaces varie en fonction de leur démographie, de l'emplacement et des infrastructures de la collectivité, de leur état de santé et de circonstances régionales, socio-économiques ou culturelles (Smit et al., 2001). Ces populations vulnérables assumeront probablement une part disproportionnée du fardeau des coûts économiques futurs et des conséquences néfastes au chapitre de la santé tableau 11 présente un résumé de ces diverses populations et explique le danger que les effets sur la santé sensibles au climat représentent pour elles.

TABLEAU 11 : Populations des Prairies ayant une plus grande vulnérabilité au changement climatique.
Populations vulnérables Caractéristiques de l'augmentation de la vulnérabilité Températures
plus élevées
et vagues
de chaleur
Sécheresses Phénomènes
hydrologiques
extrêmes
Changements
dans les
écosystèmes
Personnes âgées
  • Plus susceptibles de souffrir déjà de troubles médicaux (voir ci-dessous)
  • Isolement social et réseaux sociaux moins nombreux
  • Plus sujettes aux intoxications alimentaires
  • Revenus fixes
  • Les gens âgés de plus de 50 ans courent plus de risques de développer des cas graves de virus du Nil occidental
X X X X
Enfants
  • Les systèmes corporels immatures et la croissance rapide peuvent accroître la toxicité et la pénétration des polluants, diminuer la capacité de thermorégulation et accroître la vulnérabilité aux intoxications alimentaires et aux maladies d'origine hydrique
  • L'exposition par unité de poids corporel est supérieure à celle des adultes
  • Dépendent des fournisseurs de soins adultes
  • Capacité d'adaptation plus faible
X X X
Personnes souffrant déjà de troubles médicaux
  • Ce SSE est associé à un état de santé général plus faible
  • Ces gens ont moins de contrôle sur les circonstances de la vie, en particulier les événements stressants, et sont moins capables d'améliorer leur revenu
  • Ils sont susceptibles d'habiter dans des régions présentant des risques plus élevés
X X X
Personnes de statut socio-économique (SSE) inférieur
  • Ce SSE est associé à un état de santé général plus faible
  • Ces gens ont moins de contrôle sur les circonstances de la vie, en particulier les événements stressants, et sont moins capables d'améliorer leur revenu
  • Ils sont susceptibles d'habiter dans des régions présentant des risques plus élevés
  • Il y a une augmentation de la mortalité liée à la chaleur dans les quartiers plus pauvres
  • Moins susceptibles de pouvoir prendre des mesures de rétablissement ou d'adaptation
  • L'itinérance est souvent associée à des troubles de santé mentale sous-jacents (voir ci-dessus)
X X X
Membres des Premières nations
  • Plus susceptibles d'avoir un SSE inférieur (voir ci-dessus)
  • Moyens de subsistance traditionnels menacés
  • Infrastructures et capacité d'adaptation plus faibles
  • Accès limité aux services médicaux
X X X X

Il y aura probablement, pour le système public de soins de santé, des coûts supplémentaires qui seront attribuables aux coûts des traitements (p. ex., les médicaments ou les visites aux salles d'urgence) ou aux coûts nécessaires pour circonscrire diverses maladies, pour le dépistage, pour le contrôle et la surveillance des collectivités et pour les interventions.

4.6 ÉNERGIE

Le changement climatique aura un effet sur l'industrie pétrolière dans les provinces des Prairies, car il aura une incidence sur les activités d'exploration et de production, sur la transformation et le raffinage, et sur le transport, l'entreposage et la livraison. Les principales variables climatiques préoccupantes sont la hausse des températures, le changement dans les régimes de précipitations et les phénomènes extrêmes (Huang et al., 2005). Le facteur le plus préoccupant est, et restera, la rareté de l'eau, car la production actuelle de pétrole, et même d'une certaine quantité de gaz naturel, exige des quantités importantes de cette ressource (Bruce, 2006).

Dans le nord de la région des Prairies, la plupart des programmes d'exploration et de forage sont réalisés en hiver, lorsqu'il est facile de traverser les zones où les sols et les terres humides sont gelés et que les chemins d'hiver fournissent des voies comparativement peu coûteuses permettant aux transports lourds de traverser le territoire boréal. Alors que des hivers plus doux et plus courts rendront peut-être le travail à l'extérieur moins dangereux du point de vue de la santé et de la sécurité, ce modeste avantage sera annulé par les augmentations des coûts découlant du raccourcissement des saisons de travail hivernal.

Le réchauffement cause déjà , dans de nombreux secteurs du Nord, une dégradation substantielle du pergélisol (voir le chapitre 3; Majorowicz et al., 2005; Pearce, 2005), qui entraînera une instabilité du terrain, un effondrement du sol et des glissements de pente. Ces effets, combin és à une fréquence accrue des phénomènes climatiques extrêmes, créeront des problèmes pour les infrastructures, comme les fondations des bâtiments, les réseaux routiers et de pipelines, susceptibles d'entraîner des ruptures de pipelines et des coûts supplémentaires pour réinstaller les pipelines actuels dans des endroits plus stables (Huang et al., 2005).

Étant donné que les étés seront plus longs et plus chauds, les possibilités de fuites par vaporisation augmenteront dans le secteur du raffinage. Il faudra donc disposer d'une capacité de refroidissement plus élevée au moment justement où les apports locaux et régionaux en eau – un liquide de refroidissement clé – se réchaufferont au-delà des pics de température recueillis jusqu'ici. Ces changements pourraient perturber les activités des raffineries pour des raisons de sécurité, d'environnement ou de santé, toutes susceptibles d'entraîner des pertes économiques (Huang et al., 2005).

Production d'électricité à partir de charbon et de gaz naturel

La production d'électricité dans des centrales alimentées au charbon crée de grandes quantités de chaleur perdue qui est dispersée au moyen d'eau de refroidissement provenant de sources avoisinantes. La détérioration de la qualité de l'eau de refroidissement (p. ex., à cause d'une augmentation des solides dissous) crée des problèmes d'ingénierie dans les systèmes de refroidissement des centrales alimentées au charbon, parce que soit l'eau doit être traitée avant utilisation, soit l'usine doit être munie d'un système empêchant l'accumulation de tartre (Demadis, 2004).

Dans la région des Prairies, la baisse de la quantité d'eau due au changement climatique réduira l'approvisionnement des centrales en eau de refroidissement durant les périodes de sécheresse ou au cours d'autres périodes de faible débit. Lorsque l'approvisionnement en eau de refroidissement est bas les centrales doivent réduire leurs activités, ce qui se traduit par des pertes financières quotidiennes, et l'eau utilisée pour le refroidissement sera peut-être retournée au bassin hydrographique d'origine, à des températures assez élevées pour endommager les écosystèmes aquatiques. Les répercussions environnementales de l'eau de refroidissement seront aggravées par les hausses de température résultant du changement climatique (Jensen, 1998).

Production d'hydroélectricité

Environ 95 p. 100 de l'électricité produite au Manitoba provient de l'énergie hydrique renouvelable (Manitoba Science, Technology, Energy and Mines, 2007). En Alberta et en Saskatchewan l'hydroélectricité compte pour une partie modeste, mais importante de la capacité de production d'électricité. Pour prévoir la capacité future de production d'hydroélectricité, il faut tenir compte des débits printaniers et estivaux moyens, lesquels décroissent dans la partie ouest des Prairies à cause de la diminution de l'eau de fonte des glaciers (Demuth et Pietroniro, 2003) et des accumulations globales de neige (Leung et Ghan, 1999; Lapp et al., 2005).

Exploitations de sables bitumineux

Les exploitations de sables bitumineux du nord de l'Alberta prennent de l'expansion à un rythme effarant. Elles produisent actuellement plus d'un million de barils de pétrole brut synthétique par jour, et l'on prévoit que la production sera de trois millions de barils par jour d'ici 2020 (Alberta Energy, 2005). Les investissements prévus dans la récupération des sables bitumineux sont de 125 milliards de dollars pour la période de 2006 à 2015 (Office national de l'énergie, 2006). Or, l'exploitation minière des sables bitumineux ainsi que l'extraction et le raffinage du pétrole sont des procédés qui exigent beaucoup d'eau et d'énergie. Selon les meilleures estimations courantes, les installations qui produisent du p étrole brut synthétique ou du bitume enrichi nécessitent de 2 à 4,5 barils d'eau pour le traitement d'un seul baril de pétrole (Griffiths et al., 2006). Si l'on suppose que ce rapport demeurera constant à l'avenir, la production de plus de 3 millions de barils par jour d'ici 2010 exigera l'utilisation d'entre 6 et 13,5 millions de barils d'eau par jour.

Des témoignages présentés au cours des audiences de l'Energy and Utilities Board de l'automne 2003 portaient sur les évaluations environnementales de deux usines de transformation des sables bitumineux. Au cours de ces pr ésentations, on a avancé 1) qu'aucune des usines ne pourrait soutenir ses activités durant les périodes de débits d'étiage de la rivière Athabasca sans endommager l'écologie aquatique et que 2) les effets du changement climatique sur les apports en eau r éduiraient davantage ces débits d'étiage et en prolongeraient la durée. Dans une récente analyse des tendances de la demande en eau due aux projets d'exploitation de sables bitumineux et de la disponibilité de l'eau dans un contexte dominé par le changement climatique, Bruce (2006, p. 13-14) a conclu que :

« … même lorsqu'on applique les scénarios de prélèvements minimums d'eau pour les projets d'exploitation de sables bitumineux, il y aurait eu au cours des 25 dernières années dix occasions où les débits d'étiage de la rivière Athabasca auraient été insuffisants pour éviter des répercussions à court terme sur les écosystèmes. En ce qui concerne les répercussions à long terme, les restrictions recommandées à l'égard des prélèvements destinés à ces projets indiquent que les débits d'étiage n'auraient pas satisfait tous les besoins des aménagements durant 34 des 35 dernières années.»

Les exploitations de sables bitumineux se trouvent dans des régions de la forêt boréale qui sont riches en eau. Il faut réaliser de grands ouvrages de génie civil pour assécher des régions et stocker l'eau emmagasinée auparavant dans les terres humides. Il est également habituel de construire de vastes parcs à résidus pour les mines à ciel ouvert. Les épisodes de précipitations extrêmes pourraient causer des débordements et des déversements de l'eau contaminée et de l'eau douce emmagasinée. Les parcs à résidus contiennent des acides naphténiques, un polluant toxique et corrosif (McMartin et al., 2004) produit en grandes quantités par les procédés d'extraction et d'enrichissement des sables bitumineux. Ces acides sont persistants dans l'eau, mais leur présence et leur sort n'ont été que peu étudiés (Headley et McMartin, 2004). Ce polluant pourrait toucher jusqu'à 25 000 km2 d'aménagements consacrés à l'exploitation des sables bitumineux et une superficie encore beaucoup plus grande, dans les cas de fuites ou de d ébordements des parcs à résidus dus à des phénomènes météorologiques extrêmes.

Sources d'énergie renouvelable et changement climatique

Peu de recherches ont été faites sur les répercussions possibles du changement climatique sur le secteur des énergies renouvelables, qui inclut l'énergie solaire et éolienne, l'échange de chaleur géothermique et la production d'hydroélectricité. Le changement climatique n'aura probablement pas d'effet substantiel sur la production d'énergie solaire, à moins que la couverture nuageuse ne subisse d'importants changements.

La production d'énergie éolienne présente un bon potentiel dans les provinces des Prairies, car les vents soutenus y sont fréquents. D'ailleurs, le sud de l'Alberta et le sud-ouest de la Saskatchewan possèdent déjà des aménagements considérables pour la production d'énergie éolienne et en planifient d'autres. Il est possible que la vitesse des vents soutenus change avec le réchauffement du climat, car les gradients de températures entre l'équateur et le pôle seront réduits. Une étude réalisée aux États-Unis (Breslow et Sailor, 2002) a prévu une petite baisse des vents dans la partie continentale des États-Unis.

4.7 TOURISME ET LOISIRS

Une étude des répercussions possibles du changement climatique sur les visites effectuées dans les parcs nationaux du sud de la forêt boréale (p. ex., le parc national de Prince-Albert, en Saskatchewan) semble indiquer qu'elles augmenteraient de 6 à 10 p. 100 dans les années 2020, de 10 à 36 p. 100 dans les années 2050, et de 14 à 60 p. 100 dans les années 2080, si l'on se base sur la relation qui existe entre la température et les journées-visiteurs (Jones et Scott, 2006). Le principal impact du changement climatique a été d'accroître la longueur des saisons de transition (c.-à -d. le printemps et l'automne). Dans les régions de prairies, la biodiversité subira probablement les effets des changements de l'habitat et de la présence d'espèces envahissantes. Le long de la limite sud de la forêt boréale, les conditions climatiques entraîneront une évolution de la végétation vers des espèces plus résistantes aux sécheresses, en particulier des graminées (Thorpe et al., 2001; Hogg et Bernier, 2005). À certains endroits, la perte de peuplements forestiers et d'autres changements de la végétation sont inévitables.

Les changements dans la végétation influeront sur les habitats de la faune et apporteront des modifications aux aires de r épartition des espèces (Gitay et al., 2002). Les espèces qui présentent un intérêt n'habiteront peut-être plus les zones protégées où elles étaient traditionnellement observées et chassées. Par contre, une augmentation des incendies de forêt dans de nouvelles conditions climatiques (Flannigan et al., 2005) pourrait accroître la superficie de l'habitat de certaines espèces, telles que le cerf et l'orignal, qui exploitent des forêts de début et milieu de succession. Les espèces sauvages les plus importantes aux fins d'activités comme l'observation et la chasse s'ajusteront rapidement aux changements des conditions environnementales. Parmi les effets majeurs touchant la chasse, la perte possible d'habitat pour la sauvagine à cause de l'assèchement des étangs des Prairies se traduirait par une réduction de 22 p. 100 de la productivité des canards (Scott, 2006). Les collectivités qui dépendent de ces activités pourraient donc voir chuter leurs recettes provenant du tourisme (Williamson et al., 2005).

La baisse du niveau des lacs et des rivières, surtout du milieu à la fin de l'été (voir la section 3.1), pourrait réduire les possibilités de loisirs aquatiques : natation, pêche, navigation de plaisance, excursions en canot et activités en eau vive. Une fonte précoce et rapide de la neige au printemps pourrait empêcher les activités aquatiques printanières si les niveaux sont élevés ou les conditions de l'eau dangereuses. Les changements des températures et des niveaux d'eau auront une incidence sur la répartition des espèces de poissons (Xenopoulos et al., 2005). Les printemps plus doux entraîneraient la fonte précoce de la glace sur les lacs, limiteraient la saison de la pêche sur la glace et augmenteraient la probabilité de conditions de glace dangereuses.

Dans les parcs des Rocheuses de l'Alberta, le changement climatique a déjà fait migrer vers de plus hautes altitudes la végétation et la faune sauvage qui s'en nourrit (Scott et al., 2007), et cet effet s'accélérera avec le réchauffement à venir. En utilisant un certain nombre de scénarios de changement climatique, Scott et Jones (2005) et Scott et al. (2007) ont étudié les répercussions possibles du changement climatique sur les tendances des visites dans les parcs nationaux de Banff et des Lacs-Waterton, respectivement. Ils ont trouv é que le changement climatique pourrait faire augmenter les visites à Banff de 3 p. 100 dans les années 2020, et de 4 à 12 p. 100 dans les années 2050, selon le scénario utilisé. Pour le parc des Lacs-Waterton, les hausses prévues sont de 6 à 10 p. 100 dans les années 2020 et de 10 à 36 p. 100 dans les années 2050. Dans les deux cas, les augmentations sont dues surtout aux hausses des temp ératures. Cependant, à Banff, l'industrie du ski pourrait subir des répercussions fâcheuses si les chutes de neige diminuent. Dans les zones d'altitude inférieure à 1 500 mètres, la saison de ski pourrait avoir raccourci de 50 à 57 p. 100 dans les années 2020, et de 66 à 94 p. 100 dans les années 2050, bien que la fabrication de neige artificielle puisse aider à atténuer ces répercussions (Scott et Jones, 2005). Les zones de ski situées à plus haute altitude seraient beaucoup moins touchées. La réduction de la quantité de neige et le raccourcissement de la saison influeront également sur la période et le nombre d'occasions où il serait possible de pratiquer le ski de fond, la raquette et la motoneige (Nicholls et Scott, sous presse).

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