Cette habitude culinaire de nos ancêtres est devenue un incontournable de nos assiettes

Moins gras qu'autrefois, végétal, ou encore agrémenté d’ingrédients du monde entier ou très concentré : quel est cet ingrédient que l'on déguste depuis la nuit des temps et qui est toujours autant adoré ? 

PAR LAURA SWYSEN. PHOTOS D.R. |

Une bonne sauce transcende n’importe quel plat. Même un ingrédient lambda devient un mets d’exception au contact d’une sauce réussie. C’est elle qui transforme une simple juxtaposition d’ingrédients, en un plat cohérent, percutant et harmonieux.
Un héritage culinaire de plus de 2000 ans transmis par des gourmets parfois fort aventureux. De véritables héros qui n’ont pas hésité à expérimenter des associations intrigantes pour écrire les plus belles pages de notre histoire culinaire. Un pilier de
la gastronomie qui a suivi les évolutions et les tendances de la société.

En vidéo, quelques alternatives à la viande :

Dissimulateur de saveurs 

Les premières mentions de sauces remontent à l’Antiquité. Préparé à partir de viscères de poisson fermentés, le garum était très populaire en Rome et Grèce antiques. Mais il faut attendre le Moyen Âge avant de découvrir des sauces qui donneront un vrai coup de fouet dans l’assiette. Grâce aux commerces grandissant des épices, les chefs explorent un nouveau monde de saveurs. Cannelle, poivres de toutes sortes, safran... Leur palette aromatique s’étoffe au fil de ces découvertes épicées. Les dosages sont extrêmement costauds en vue de masquer le goût des viandes faisandées ou des poissons dont la fraîcheur semble douteuse.

Autre brillante idée médiévale qui va bouleverser nos sauces : incorporer le jus de cuisson des rôtis cuits à la broche. Du génie ! Parmi les grands noms qui ont chamboulé nos saucières, se trouve celui de Taillevent, l’auteur du Viandier, un livre de cuisine médiéval de référence. Il effectue un grand travail sur les sauces et suggère, entre autres, de les passer à l’étamine pour obtenir une onctuosité sans pareille.

Petites et grandes sauces

Le Nouveau Monde et les explorations maritimes autour du globe amènent d’autres ingrédients qui occuperont une grande place dans notre cuisine comme les tomates ou la pomme de terre. Mais les choses s’accélèrent au XVIIe siècle, un tournant majeur pour la gastronomie française et occidentale. Parce que les viandes et poissons sont de meilleure qualité, les sauces n’ont plus ce rôle de cache-misère. Elles s’allègent ainsi en épices afin de devenir plus subtiles. L’invention
de techniques comme la réduction permet également de concentrer les saveurs tout en diminuant la quantité d’épices utilisées. On entre donc dans l’ère des fonds concentrés, qui définiront les bases des sauces modernes. C’est aussi à cette époque que le roux et la béchamel voient le jour. La Varenne, La Chapelle, Carême : tant de noms que vous devriez louer pour leur apport immense dans le développement et la classification des sauces, que ce soit au niveau des textures ou des saveurs. Parce qu’il fallait remettre un peu d’ordre dans ces casseroles, Marie-Antoine Carême, dit Antonin Carême, répertorie quatre sauces mères (ou grandes sauces) – l’espagnole, le velouté, l’allemande et la béchamel – et leurs dérivées, les petites sauces.

Quelques décennies plus tard, le grand Auguste Escoffier étoffe cette classification et identifie cinq sauces mères : l’espagnole, la béchamel, le velouté, la tomate et les émulsions. Avec une telle classification, la sauce se fige. Les sauces mères sont utilisées à tout-va, au point de lasser les gourmets. On zappe ensuite quelques décennies pour arriver en 1970, l’ère de la nouvelle cuisine. Souhaitant remettre le produit au centre de l’assiette, certains chefs réduisent voire excluent les sauces riches de leurs casseroles et adoptent une vision plus minimaliste. Un besoin de légèreté que l’on observe encore aujourd’hui.

Le secret d'une sauce actuelle

Concentrée, technique, légère et goûteuse, telle est la définition d’une sauce contemporaine réussie selon Yannick Alléno. Le chef français étoilé mêle recettes d’antan et techniques actuelles comme la cryoconcentration pour sublimer ses plats avec des sauces d’exception. Plus proche de chez nous, dans le restaurant gastronomique bruxellois Vertige, le chef Kevin Perlot a, lui aussi, travaillé son approche des sauces. Chaque jour, le chef et son équipe préparent un menu découverte (contenant du poisson et de la volaille) et un menu végétarien. Pour ce faire, ils ont pris l’habitude de concocter des sauces à partir de jus végétaux. On s’est lancé le défi de travailler de plus en plus de sauces qui sont exclusivement végétales. Bien entendu, le plat principal du menu découverte est toujours accompagné d’un jus de volaille. Mais nous développons aussi des sauces élaborées autour des légumes qui sont mis en avant dans nos plats, explique le jeune chef, qui est passé par la prestigieuse maison L’Air du Temps.

Moins de sauce, plus d'impact

Comme pour une sauce classique à base de volaille, on colore les légumes pour développer les saveurs du bouillon. Vu que nous avons une philosophie écoresponsable, nous essayons de revaloriser chaque partie des légumes afin d’en extraire le goût. On assaisonne la sauce avec, par exemple, des algues, et on va cuire le tout dans une cocotte-pression afin de récupérer le jus concentré. On ajoute aussi parfois un petit twist, soit un ingrédient qui va amener un contrepoids pour
approfondir les saveurs d’un plat,
explique le chef. Si le collagène présent dans les carcasses aide habituellement à lier une sauce à base de volaille, le chef a trouvé un compromis végétal pour obtenir un jus concentré à la consistance idéale : Nous utilisons divers ingrédients comme des céréales ou des pommes de terre crues. L’amidon permet de lier et réduire la sauce. Autre alternative, utiliser du kuzu, soit un aliment à base de manioc qui se présente sous la forme de petits cailloux.
Il épaissit la sauce sans en altérer le goût. On obtient une sauce au goût puissant, gourmand, pur, tranché et à la texture légère. Les gens ne se sentent pas lourds à la fin du repas, car les sauces ne contiennent pas ou très peu de crème, beurre et farine.

La sauce n’a pas seulement évolué au niveau des saveurs et de la texture, mais aussi en ce qui concerne la quantité. Si, auparavant, les mets étaient parfois noyés sous une couche de sauce, les doses se veulent plus raisonnables. Vu que l’on ne met que deux cuillères de sauce dans l’assiette, il faut qu’elles soient percutantes !

Route des épices 3.0

Autre révolution culinaire majeure de ces dernières années, l’utilisation d’ingrédients ou de techniques provenant du monde entier, plus particulièrement d’Asie. Une tendance qui se goûte aussi dans nos sauces. Il est vrai qu’il y a une grande influence
de la cuisine asiatique car elle regorge de condiments que nous n’avons pas en Europe. Il n’est donc pas rare de croiser des préparations agrémentées de yuzu, soja, mirin ou dashi à la carte des restaurants. La cuisine de Vertige ne fait pas exception, mais le chef tient à conserver son approche durable en misant sur des algues bretonnes ou en revisitant le bouillon dashi en remplaçant les copeaux de bonite. Comme quoi, l’histoire est bel et bien un perpétuel recommencement, même sur la scène culinaire. Que vous aimiez la traditionnelle sauce béchamel, le goût subtil des fonds de volaille ou les jus végétaux concentrés, peu importe à quelle sauce vous mangez vos plats, les adeptes de la vieille et de la nouvelle école s’accordent au moins sur un point, la sauce est le liant de la gastronomie et se savoure jusqu’à la dernière goutte.

Yannick Alléno et Vincent Brenot, Sauces, réflexions d’un cuisinier (Hachette).
L'adresse de Vertige : 19 rue de Flandre, 1000 Bruxelles, vertigebxl.be

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