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554 ARTICLE DE REVUE Y penser est déjà suf fisant… Hémoglobinurie paroxystique nocturne Rudolf Benz a , Georg Stüssi b , Bernhard Gerber b,c a Klinik für Innere Medizin, Abteilung für Hämatologie und Onkologie, Kantonsspital Münsterlingen; b Servizio die Ematologia, Istituto Oncologico della Svizzera Italiana (IOSI), Bellinzona; c Klinik für Hämatologie, UniversitätsSpital Zürich Malgré la rareté de l’hémoglobinurie paroxystique nocturne, il convient de songer à cette afection en présence d’une hémolyse à test de Coombs négatif, de cytopénies, de troubles abdominaux indéinis et de thromboses. Au cours des dernières années, des progrès diagnostiques et thérapeutiques ont radicalement modiié la prise en charge des patients atteints. Introduction De nombreux lecteurs ont probablement encore un vague souvenir (datant de leurs études) de l’hémoglobi­ nurie paroxystique nocturne (HPN) en tant que maladie si rare qu’elle peut immédiatement être jetée aux ou­ bliettes. En efet, l’incidence de la maladie est si faible qu’un médecin de famille n’a pratiquement aucune chance d’être confronté à un cas au cours de toute sa carrière. Toutefois, les outils diagnostiques et thérapeu­ tiques ont changé de manière tellement fondamentale au cours des dernières années qu’il est désormais pos­ sible d’aider très eicacement les patients atteints d’HPN tout en améliorant considérablement aussi bien leur survie globale que leur qualité de vie. Les manifes­ tations cliniques de l’HPN sont très variées, raison pour laquelle la maladie n’est pas toujours facile à diagnos­ tiquer. Dans cet article, nous tentons de présenter les diférentes manifestations à l’aide de deux cas cliniques puis de mettre en lumière quelques aspects diagnos­ tiques et thérapeutiques essentiels de l’HPN. Très rare, l’HPN est une maladie clonale acquise des cellules souches hématopoïétiques, dont l’incidence dans la vessie, avec une baisse du pH; enin, selon cette s’élève à env. 1/1 000 000/an. La prévalence de la mala­ dénomination, tous les patients devraient présenter die est d’env. 16 cas/1 million d’habitants. En l’absence une hémoglobinurie, alors qu’en fait, elle s’observe de traitement, une durée moyenne de survie de 10 ans uniquement chez environ un tiers d’entre eux [3]. a été rapportée [1]. La maladie a été décrite pour la première fois de manière détaillée en 1882 par Strübing de Greifswald, dans le journal allemand Deutsche Medizinische Wochenschrit [2]. Le nom purement descriptif Rudolf Benz Physiopathologie Chez les patients atteints d’HPN, l’altération physiopa­ n’est cependant pas adapté à la maladie ni à la physio­ thologique principale est l’absence de l’ancre glycosyl­ pathologie désormais connue. Il s’agit en réalité d’un phosphatidylinositol (GPI), qui lie diférentes protéines nom triplement inadapté: la maladie ne se manifeste à la surface des cellules de l’organisme [4, 5]. Cette ab­ pas par crises puisqu’il s’agit d’une hémolyse continue; sence est causée par une mutation dans le gène PIG­A. l’hémolyse n’est pas limitée à la nuit, l’urine matinale Dans la mesure où il s’agit d’une altération génétique foncée s’explique par un séjour prolongé de l’urine acquise, les cellules de la moelle osseuse ne sont géné­ SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(26 –27):554–560 555 ARTICLE DE REVUE ralement pas toutes touchées. Le degré d’atteinte de ces (MIRL ou CD59) sur les érythrocytes. Les deux protéines cellules peut être très variable d’un patient à un autre, sont des inhibiteurs naturels du complément, dont le ce qui peut en partie aussi expliquer les grandes difé­ rôle physiologique consiste à inactiver le complément rences au niveau de l’activité de la maladie. La propor­ activé spontanément. En l’absence de ces protéines sur tion de la maladie peut également varier avec le temps les érythrocytes, il se produit une hémolyse incontrô­ chez un même patient, raison pour laquelle un contrôle lée médiée par le complément, ainsi qu’une libération régulier du clone HPN est absolument indispensable. intravasculaire d’hémoglobine. L’hémoglobine intra­ vasculaire est physiologiquement liée par l’hapto­ Exemple de cas 1 Un homme de 41 ans souffre depuis plusieurs années de douleurs abdominales et d’une sensation de ballonnement. Des examens gastro-entérologiques ont été réalisés à plusieurs reprises, mais ils n’ont pas permis de trouver la cause des symptômes. Lors d’une tomodensitométrie, une zone sténosée a été mise en évidence dans l’intestin, mais celle-ci n’a pas été opérée. Finale- globine, et ainsi inactivée. Lorsque l’haptoglobine est épuisée, l’hémoglobine libre s’accumule dans le sang avant d’être éliminée via les reins. Cette hémoglobinu­ rie est responsable de l’urine matinale foncée, mais ne concerne de loin pas tous les patients. La coloration foncée de l’urine peut également varier d’un jour à l’autre (ig. 1). ment, lors d’un séjour à l’étranger, le patient fait l’objet d’une évaluation en urgence à l’hôpital en raison de nausées, de vomissements, de diarrhées, de frissons et de ièvre. Les valeurs sanguines sont les suivantes: leucocytes 2,97 G/l, hémoglobine 112 g/l, thrombocytes 118 G/l, LDH 1355 U/l et protéine C réactive physiopathologique central de l’HPN. Elle entraîne une 5,2 mg/l. Face à une pancytopénie légère, à une formule sanguine différentielle normale, à une élévation de la LDH et à des urines foncées avec hémoglobinurie, et compte tenu des symptômes cliniques, une hémoglobinurie paroxystique nocturne entraîner des troubles de la déglutition, des douleurs (HPN) est soupçonnée (ig. 1). Le diagnostic est conirmé par cytométrie en lux (ig. 2). Le phénotype de la maladie est avant tout déterminé L’hémoglobine intravasculaire représente le mécanisme décomposition du monoxyde d’azote (NO) et provoque ainsi une activité accrue des muscles lisses. Cela expli­ que les spasmes cliniques souvent très gênants, pouvant abdominales et une dysfonction érectile. L’élévation chronique du tonus vasculaire provoque à plus long terme une hypertension de la grande et de la petite circu­ lation. Outre l’élévation du tonus vasculaire, l’hémoglo­ par l’absence du «decay­accelerating factor» (DAF ou bine libre, avec le fer lié, constitue un facteur majeur CD55) et du «membrane inhibitor of reactive lysis» prédisposant au développement d’une insuisance rénale chronique. Exemple de cas 2 Chez une patiente âgée de 25 ans présentant une anémie hémolytique et une thrombocytopénie, une césarienne en urgence est réalisée au cours de la 38e semaine de grossesse en raison d’une suspicion de syndrome HELLP («hemolysis, elevated liver enzymes, and low platelet count»). La numération leucocytaire est normale, la numération thrombocytaire s’élève à 46 G/l et l’hémoglobine est de 107 g/l, avec un volume globulaire moyen de 112 l. Après l’accouchement, la patiente ne récupère guère et souffre d’une fatigue intense persistante. Elle présente toujours une anémie hémolytique à test de Coombs négatif, avec une concentration d’hémoglobine de 105 g/l. Une première ponction de moelle osseuse réalisée 1 an plus tard amène à soupçonner un syndrome myélodysplasique (SMD). Une seconde ponction médullaire réalisée 6 mois plus tard ne coïncide certes plus avec le diagnostic de SMD, mais la cytométrie en lux (analyse FLAER) révèle un clone HPN considérable (95%) (ig. 1 et 2). Les événements thromboemboliques représentent les principales manifestations cliniques de l’HPN et sont la principale cause de la morbidité et de la mortalité accrues. L’HPN constitue l’un des facteurs de risque Figure 1: Clichés cliniques et moelle osseuse. A: Echantillon d’urine du patient en période asymptomatique. B: Echantillon d’urine du patient en période d’activité hémolytique accrue. C: Examen cytologique de la moelle osseuse avec cellularité augmentée et érythropoïèse nettement accrue avec déviation à gauche de la maturation accompagnée d’une augmentation du nombre des proérythroblastes présentant une altération macroblastique (lèche). SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(26 –27):554–560 thromboembolique les plus importants. La physio­ pathologie de la disposition accrue à la thrombose reste loue. Le complément, les facteurs de coagulation, les fragments cellulaires et l’absence d’antigènes de surface peuvent jouer un rôle (ig. 3). Les thromboses 556 ARTICLE DE REVUE Figure 2: Cytométrie en lux du sang périphérique d’un patient avec clone HPN. Examen de cytométrie en lux multiparamétrique du sang périphérique. Les granulocytes neutrophiles sains expriment à leur surface le CD24 lié à l’ancre GPI et les monocytes sains expriment le CD14 également lié à l’ancre GPI. Le réactif FLAER se lie directement à l’ancre GPI des granulocytes neutrophiles et des monocytes. A (scattergramme): 31,2% des granulocytes neutrophiles ne présentent ni le CD24 ni l’ancre GPI à leur surface et correspondent à la taille du clone HPN. B (histogramme): 31,2% des granulocytes neutrophiles sont FLAER-négatifs. C (scattergramme): 22,2% des monocytes n’expriment ni le CD14 ni l’ancre GPI à leur surface et correspondent à la taille du clone HPN. D (histogramme): 22,1% des monocytes sont FLAER-négatifs. Abréviations: HPN = hémoglobinurie paroxystique nocturne; GPI = glycosylphosphatidylinositol; FLAER = aérolysine luorescente. peuvent survenir dans la branche artérielle et dans la des douleurs abdominales s’observent chez environ branche veineuse, ont souvent une localisation atypique 50% des patients, tandis que la dysfonction érectile et et sont également observées sous traitement anticoa­ les douleurs thoraciques sont présentes dans 40% des gulant suisant. Les événements thromboemboliques cas. Des troubles de la déglutition sont rapportés chez les plus fréquents de localisation atypique se trouvent jusqu’à 30% des patients, et une insuisance rénale dans le tractus gastro­intestinal (syndrome de Budd­ s’observe dans 14% des cas. En fonction de l’ampleur Chiari, thromboses veineuses hépatiques) ainsi que de l’hémolyse, des signes tels que l’hémoglobinurie et dans le système nerveux central (thromboses des sinus l’ictère scléral s’observent. Le tableau 1 présente les in­ veineux). dications pour la recherche d’un clone HPN (adapté d’après les recommandations Onkopedia) [7]. En plus Signes cliniques et diagnostic de l’HPN Le meilleur recensement des patients atteints d’HPN des situations décrites précédemment, il convient éga­ lement de rechercher un clone HPN en cas d’anémie aplasique, de syndrome myélodysplasique hypoplasique dans les registres a permis une meilleure connaissance et dans le cadre de la mise au point des cytopénies per­ de l’étendue des signes cliniques [6]. Chez 60 à 80% des sistantes. Dans des cas isolés, il est également néces­ patients, la fatigue, les céphalées et la dyspnée se saire de rechercher une HPN en cas de douleurs abdo­ trouvent au premier plan. Ces symptômes surviennent minales récidivantes ou de dysphagies, en particulier indépendamment de la taille du clone HPN. En outre, si elles sont associées à une hémolyse. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(26 –27):554–560 557 ARTICLE DE REVUE Mutation somatique du gène PIG-A situé sur le chromosome X dans les cellules souches hématopoïétiques L'hémoglobline intravasculaire dégrade le NO. Activité accrue des muscles lisses accompagnée de spasmes. Les fragments des érythrocytes et les composants libérés sont prothrombogènes. Hémolyse En raison de l’absence du CD55 sur les érythrocytes, le facteur C3b du complément ne peut pas être neutralisé. En raison de l’absence du CD59, le facteur C5b du complément ne peut pas être bloqué, ce qui entraîne la formation incontrôlée du complexe d’attaque membranaire (CAM), qui provoque une perforation de la membrane érythrocytaire, responsable de l’hémolyse. Thrombose La protéine d’ancrage ne peut pas être synthétisée. L’absence du CD55 et du CD59 sur les thrombocytes entraîne, via le complément fixé, une activation des thrombocytes. L’absence du récepteur de l’urokinase CD87 sur les monocytes et du «tissue factor pathway inhibitor» (TFPI) contribue également à une disposition accrue aux thromboses. Monocytes Neutrophiles Lymphocytes Thrombocytes Erythrocytes CD14 Ainsi, différentes structures ne peuvent pas se fixer à la surface des cellules. Elles sont principalement désignées par CD «cluster of differentiation». CD16 CD48 CD55 CD55 CD59 CD59 CD48 CD24 CD52 CD55 CD55 CD55 CD59 CD59 CD59 CD87 CD66 CD87 Acétylcholinestérase TFPI Figure 3: Résumé de la pathogenèse et des signes cliniques centraux en résultant. Bien que l’HPN puisse être, comme mentionné précé­ Pour l’évaluation des événements cérébraux artériels demment, responsable de thromboses veineuses et plus et veineux, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) rarement d’événements artériels [8], la recherche routi­ constitue depuis longtemps la méthode de référence. nière d’un clone HPN n’est pas indiquée en cas de throm­ Une récente étude à l’IRM a mis en évidence des difé­ bose veineuse idiopathique typique [9]. Une HPN peut rences de perfusion signiicatives dans l’intestin grêle, toutefois être également observée en cas de thromboses en présence de troubles abdominaux et d’une HPN [11]. des sinus veineux et de thromboses veineuses abdomi­ Diférentes utilisations sont envisageables pour l’avenir. nales, raison pour laquelle une recherche peut s’avérer Ainsi, en particulier les patients atteints d’insuisance judicieuse dans certains cas suspects [10]. rénale, comorbidité fréquente en cas d’HPN, pour­ Tableau 1: Indications pour la recherche d’un clone HPN, adapté d’après les recommandations Onkopedia [7]. Anémie hémolytique acquise à test de Coombs négatif (sans signes d’anémie hémolytique microangiopathique) Hémolyse intravasculaire (haptoglobine indétectable, hémoglobinurie, hémoglobine plasmatique libre élevée) Thromboses avec au moins un des critères suivants: • Localisation «atypique» (thrombose d’un sinus veineux, syndrome de Budd-Chiari, thrombose de la veine mésentérique, porte ou splénique, thromboses des veines dermiques) • Thromboses (indépendamment de leur localisation) chez des patients présentant des signes d’anémie hémolytique (LDH élevée / haptoglobine abaissée) • Thromboses (indépendamment de leur localisation) en rapport avec une cytopénie d’origine indéterminée Patients avec anémie ferriprive d’origine indéterminée (après exclusion minutieuse d’autres causes) en relation avec des signes d’anémie hémolytique Diagnostic ou forte suspicion d’anémie aplasique Diagnostic de syndrome myélodysplasique (uniquement en cas de faible score WPSS), en particulier en cas de syndrome myélodysplasique hypoplasique Signes de crises douloureuses abdominales récidivantes d’origine indéterminée ou de dysphagie, en particulier en cas d’hémolyse concomitante Abréviations: HPN = hémoglobinurie paroxystique nocturne; LDH = lactate déshydrogénase; WPSS = WHO classiication-based Prognostic Scoring System. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(26 –27):554–560 558 ARTICLE DE REVUE Signe clinique Anomalies de laboratoire typiques de l’HPN Investigations supplémentaires Fatigue Anémie avec hémolyse à test de Coombs négatif (élévation de la LDH, des réticulocytes et de la bilirubine; haptoglobine basse) et autres cytopénies Mise au point de l’hémolyse à test de Coombs négatif Douleurs abdominales Anémie hémolytique et éventuellement autres cytopénies. Valeurs de laboratoire au demeurant non spéciiques. Eventuellement, lactate élevé Examens supplémentaires (échographie, TDM ou IRM) pour rechercher des thromboses ou une ischémie Thromboses atypiques Cytopénies à l’hémogramme, en particulier anémie Echographie, TDM ou IRM pour rechercher des thromboses. Hémogramme avec réticulocytes Hémorragies Thrombocytopénie et autres cytopénies, en particulier signes d’hémolyse Quick, aPTT et éventuellement autres paramètres de la coagulation Infections Neutropénie et anémie hémolytique Recherche d’un foyer infectieux, protéine C réactive et autres analyses microbiologiques Cytométrie en flux pour détection d’HPN Tableau 2: Signes cliniques de l’HPN et examens recommandés. Abréviations: HPN = hémoglobinurie paroxystique nocturne; LDH = lactate déshydrogénase; TDM = tomodensitométrie; IRM = imagerie par résonance magnétique; aPTT = temps de thromboplastine partielle activée. raient bénéicier d’un diagnostic iable sans réaliser de GPI, permet d’évaluer les groupes cellulaires avec la tomodensitométrie (TDM) avec produit de contraste. plus grande précision (aérolysine avec marquage luores­ Pour les nouveaux diagnostics avec douleurs abdo­ cent, FLAER) (ig. 2) [12]. minales isolées, l’IRM pourrait permettre de faire la diférence entre étiologies ischémiques et fonction­ nelles et de visualiser directement l’impact d’un traite­ Traitement ment sur la perfusion dans l’intestin grêle avant et Lorsqu’une HPN est diagnostiquée, le traitement dépend après son initiation. des manifestations cliniques. Chez les patients asymp­ L’étape diagnostique la plus essentielle consiste donc à tomatiques avec uniquement une mise en évidence penser à une HPN, ce qui n’est pas toujours évident d’un clone HPN, un traitement n’est pas nécessairement compte tenu de la rareté de la maladie et de la multi­ indispensable. Chez les patients asymptomatiques sans tude de ses manifestations cliniques (tab. 2). En cas de thromboembolies, avec une hémolyse très légère com­ suspicion d’une HPN, il est nécessaire de rechercher pensée sur le plan clinique et un faible taux de lactate une hémolyse cliniquement manifeste. Dans tous les déshydrogénase (LDH), il est possible d’attendre avant cas, il convient de prescrire un test de Coombs pour d’initier un traitement. Toutefois, ces patients doivent exclure une hémolyse à médiation immunitaire, ainsi faire l’objet d’une surveillance étroite. qu’une numération diférentielle manuelle pour ex­ En revanche, en cas d’HPN symptomatique, un traite­ clure la présence de schizocytes. ment par éculizumab (Soliris®) devrait être initié le plus Le diagnostic précis d’un clone HPN peut être posé ra­ rapidement possible. L’éculizumab est un anticorps pidement, à un prix raisonnable et avec iabilité grâce à monoclonal qui bloque l’activation du complément l’immunophénotypage, méthode hautement sensible et ainsi, l’hémolyse. Après une prise initialement heb­ et spéciique. Pour cette raison, les examens génétiques domadaire, le médicament est administré toutes sont insigniiants pour cette maladie dans le quotidien les 2 semaines par voie intraveineuse, sous forme de clinique. L’absence de certaines protéines de surface, perfusion d’env. 45 minutes. Le traitement purement normalement liées à la surface cellulaire par l’ancre symptomatique par transfusion, et anticoagulants de GPI, aide à poser le diagnostic. Etant donné que l’ancre la classe des anti­vitamines K en cas de thromboses, GPI est une structure fondamentale pour la liaison des qui était utilisé avant la mise sur le marché de l’écu­ protéines à la surface cellulaire, celles­ci font défaut lizumab, a été relégué à l’arrière­plan au vu des compli­ non seulement sur les érythrocytes, mais également cations graves qui peuvent survenir dans le cadre de sur la plupart des autres cellules sanguines. Dès lors, le l’HPN. clone HPN peut également être recherché sur les mo­ Le traitement par éculizumab a radicalement modiié nocytes et les granulocytes. Par rapport aux sujets sains, la prise en charge des patients atteints d’HPN, bien le CD14 fait défaut sur les monocytes et le CD24 fait qu’aucune recommandation en faveur de son utilisa­ défaut sur les granulocytes neutrophiles chez les per­ tion n’ait été formulée dans une analyse Cochrane en sonnes atteintes. En ce qui concerne les érythrocytes, raison du faible nombre de cas et des études limitées ce sont le CD55 et le CD59 qui sont absents. Le test par [13]. Dans toutes les études réalisées, mais également aérolysine (atténuée), qui se lie spéciiquement à l’ancre dans la pratique clinique quotidienne, les patients ont SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(26 –27):554–560 559 ARTICLE DE REVUE présenté une amélioration prononcée et immédiate de traitement. Le vaccin contre le méningocoque B ap­ leur qualité de vie. En particulier, les symptômes asso­ prouvé par l’Agence européenne des médicaments ciés à l’HPN, tels que la fatigue, les diicultés de déglu­ (EMA) n’est pas encore autorisé en Suisse, mais il de­ tition et les douleurs abdominales, s’améliorent sou­ vrait, si disponible, également être envisagé [18]. Les vent déjà après la première administration. A plus long infections gonococciques sont beaucoup plus rares terme également, l’éculizumab a considérablement [19]. Tous les patients sous traitement par éculizumab réduit les complications et symptômes systémiques. doivent avoir chez eux un antibiotique de réserve ei­ Dans la majorité des cas, l’hémolyse régresse à tel point cace contre les méningocoques (par ex. ciproloxacine que les transfusions ne sont plus nécessaires et que 750 mg). En cas de ièvre, les patients doivent contacter l’incidence des complications thromboemboliques leur médecin. sous éculizumab est pratiquement identique à celle Dans des cas isolés, il arrive que le test direct à l’anti­ dans la population générale [14]. De façon concordante, globuline (TDA) monospéciique se révèle positif pour un déclin signiicatif de l’activation de la coagulation a le C3 au cours du traitement par éculizumab, ce qui pu être constaté sous traitement par anticorps établi s’explique par le blocage du complément à partir de C5. [15]. En raison de la réduction du taux de thromboses, il L’éculizumab bloque la partie terminale de la cascade est également possible de réévaluer le traitement anti­ du complément à partir de C5. Les facteurs qui se coagulant établi après un certain temps; des données trouvent plus en amont de la cascade, en particulier le claires relatives à la sécurité après l’arrêt de l’anticoa­ facteur C3 du complément, restent toutefois actifs et se gulation font néanmoins défaut. déposent à la surface des érythrocytes. Chez environ Toutefois, étant donné que le traitement par éculizu­ un tiers des patients atteints d’HPN, cela se traduit par mab est particulièrement onéreux (coûts uniquement un besoin de transfusion permanent, car la rate éli­ médicamenteux s’élevant à 464 000 CHF/an, d’après le mine les érythrocytes chargés en C3 au niveau extra­ Compendium suisse des médicaments), un bilan réalisé vasculaire, même si l’éculizumab améliore nettement par un médecin spécialiste est indispensable avant l’hémolyse intravasculaire [20]. l’initiation du traitement. En cas d’HPN symptomatique Durant la grossesse et après l’accouchement, le risque Le patient doit être adressé à un centre spécialisé ain qu’une demande de prise en charge des coûts du traitement puisse être faite et que le patient puisse être inscrit dans un registre suisse d’HPN. de thromboses veineuses est en soi augmenté. Chez les patientes atteintes d’HPN, ce risque est encore beau­ coup plus fortement accru [21] et il s’agit d’un facteur de complication supplémentaire de la grossesse. Pour cette raison, il serait souhaitable d’initier un traite­ ment eicace pour réduire ce risque, dans la mesure où et en particulier en cas de complications thrombo­ le diagnostic et le traitement des événements throm­ emboliques, cette mise au point devrait avoir lieu très botiques durant la grossesse est encore plus complexe. rapidement, car l’état clinique du patient peut se dégra­ Bien que l’administration de l’éculizumab ne soit pas der relativement vite en cas d’HPN non traitée. Le pa­ formellement autorisée durant la grossesse, ce médi­ tient doit être adressé à un centre spécialisé ain qu’une cament est recommandé par tous les spécialistes. demande de prise en charge des coûts du traitement Aucun passage signiicatif de l’anticorps dans la circu­ puisse être faite et que le patient puisse être inscrit dans lation fœtale n’a pu être démontré [22, 23]. Le médica­ un registre suisse d’HPN. L’inscription dans un registre ment est également eicace et sûr chez les enfants, est une condition exigée par l’Oice fédéral de la santé comme l’a montré une récente étude de Phase I/II [24]. publique (OFSP) pour l’évaluation systématique du suc­ Toutefois, l’éculizumab n’est autorisé ni chez les enfants cès thérapeutique et un prérequis pour l’instauration ni durant la grossesse. du traitement. Environ la moitié des patients avec mise en évidence L’éculizumab inactive le facteur C5 du complément et d’un clone HPN présente une afection hématologique interrompt ainsi la cascade naturelle du complément, concomitante, l’anémie aplasique (AA) étant l’afection qui joue un rôle central dans les défenses immuni­ de loin la plus fréquente (43,5% de l’ensemble de la co­ taires non spéciiques contre les infections [17]. Eton­ horte). L’association avec l’AA pourrait s’expliquer par namment, le traitement par éculizumab n’entraîne les antigènes manquants des cellules HPN, ce qui pour­ guère d’augmentation signiicative de la tendance aux rait empêcher une attaque immunologique contre ces infections, à l’exception du risque nettement accru cellules. En présence d’une maladie hématologique d’infection à méningocoques. En conséquence, tous avec clone HPN concomitant, le traitement se base sur les patients devraient se faire vacciner avec le vaccin les recommandations thérapeutiques relatives à l’af­ méningococcique tétravalent avant l’initiation du fection hématologique sous­jacente [16]. La réponse à SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(26 –27):554–560 560 ARTICLE DE REVUE Correspondance: un traitement immunosuppresseur est généralement Dr Rudolf Benz meilleure chez les patients atteints d’AA avec clone Kantonsspital Münsterlingen HPN que chez les patients sans clone HPN [16]. Dans ce CH­8596 Münsterlingen rudolf.benz[at]stgag.ch contexte, une grefe allogénique de cellules souches peut également être envisagée, alors qu’elle n’est globa­ lement pas recommandée chez les patients uniquement atteints d’HPN [25], car elle est associée à une mortalité péritransplantatoire très élevée. Perspectives Bien que la pathogenèse de l’HPN ait été clariiée, des données exhaustives fournissant des paramètres plus clairs pour orienter l’utilisation du traitement particu­ lièrement onéreux par éculizumab font défaut en rai­ son de la rareté de la maladie. Il est dès lors essentiel que la maladie soit recherchée en cas de suspicion et que les patients soient inscrits dans des registres cen­ traux et étroitement suivis par un médecin familiarisé avec la maladie. Un tel registre est d’ores et déjà établi et il sera utile à l’avenir pour poser de manière encore plus optimale les indications thérapeutiques. L’éculi­ zumab est certes un traitement eicace et une grande avancée pour les patients atteints d’HPN, mais en exer­ çant une inhibition du complément purement symp­ tomatique, il ne traite pas le trouble à proprement parler. Il reste à espérer que les possibilités en rapide expansion permettront à l’avenir de trouver une voie vers des traitements encore plus ciblés. Disclosure statement Les auteurs ne déclarent aucun conlit d’intérêts inancier ou personnel en rapport avec cet article. Photo de couverture © Jezper | Dreamstime.com Références 1 Hillmen P, et al. Natural history of paroxysmal nocturnal hemoglobinuria. N Engl J Med. 1995;333(19):1253–8. 2 Strübing P. Paroxysmale Haemoglobinurie. Dtsch med Wochenschr. 1882;8(1):1–3. 3 Dacie JV. Paroxysmal nocturnal haemoglobinuria. Sci Basis Med Annu Rev. 1972:288–306. L’essentiel pour la pratique • L’hémoglobinurie paroxystique nocturne est une maladie qui se manifeste typiquement par une hémolyse à test de Coombs négatif, des cytopénies, des thromboses et des douleurs abdominales. • Malgré la rareté de la maladie, celle-ci peut être mise en évidence ou exclue avec certitude au moyen de la cytométrie en lux. • Le traitement et le pronostic de la maladie se sont fortement améliorés depuis l’introduction de l’inhibiteur du complément éculizumab. 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