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Péninsule 73 (2016-2) pp 81-108
Fabienne LUCO∗
ANGKOR OU LE PAYSAGE PALIMPSESTE :
Les traces dans le paysage comme supports à la transmission d’histoires
Introduction
« Amnésie », le terme ne cesse de revenir dans les propos des Occidentaux – des
premiers temps de la colonisation jusqu’à nos jours — pour évoquer les difficultés
rencontrées dès lors que l’on entend appréhender auprès des Cambodgiens une
mémoire historique et généalogique, qu’elle soit écrite ou orale.
Du côté des écrits, force est de constater que les textes sont rares au Cambodge.
Hormis ceux gravés dans la pierre pendant la période angkorienne qui glorifient les
divinités et rois, peu d’écrits anciens sur feuilles de latanier ont survécu au temps,
au climat, aux insectes ainsi qu’aux aléas de l’histoire1.
L’exploration de l’oralité se révèle également difficile. Déjà, à la fin du XIXe
siècle, les explorateurs et les « savants » étrangers s’étonnaient que les paysans qui
vivaient aux pieds des vestiges angkoriens n’en racontaient rien hormis quelques
légendes qui semblaient faire pâle figure à côté de la grande histoire chronologique
qu’ils attendaient2. Plus récemment, les chercheurs en sciences sociales ont évoqué
Anthropologue rattachée au Centre Asie du Sud-Est (UMR 8170, CNRS/EHESS).
Relevons les effets des invasions siamoises et vietnamiennes des siècles passés et plus récemment les
effets de la politique des Khmers rouge qui entendait faire table rase des éléments du passé (Entre
1975-1979, la majorité des documents administratifs ainsi que les collections de manuscrits
essentiellement religieux constituées entre le XIXe et au début du XXe siècle et conservées dans les
monastères ont ainsi disparu suite à l'incurie, la destruction ou le recyclage (emballage, feu pour
alimenter un foyer,...)).
2
Dans la dernière moitié du XIXe siècle, Louis de Carné, attaché au Ministère des Affaires Etrangères
à l’expédition française d’exploration du Mékong commandée par Ernest Doudart de Lagrée écrit :
∗
1
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un caractère « fluide » de la société khmère, pour décrire des relations sociales
promptes à se dissoudre ainsi que la difficulté à établir des généalogies qui
remontent loin dans le temps3.
De fait, les supports de l’écrit et de l’oral étant généralement évoqués comme
devant être les principaux vecteurs de la transmission culturelle, cette prétendue
« amnésie » cambodgienne ne cesse d’intriguer voire de déranger. Si l’on admet
que la culture, en tant que construction humaine, se présente comme une réalité
collective propre à un groupe qui oriente et donne un sens aux conduites de chacun
au travers de croyances, représentations, valeurs et normes, il convient de
s’interroger sur les modalités de transmission d’une « culture khmère », sur son
mode de pérennisation et de reformulation. En dehors des supports traditionnels
explicites — écrits et oraux — communément répertoriés, il m’a semblé intéressant
de rechercher d’autres vecteurs, implicites, de transmission des pratiques sociales et
des représentations culturelles dans l’univers cambodgien.
Au fil de mes lectures en France ainsi que des observations de terrain au
Cambodge, j’ai commencé à explorer en quoi l’espace, vécu, représenté et raconté
aujourd’hui, pouvait jouer un rôle de support à la transmission sociale et culturelle.
Depuis quelques décennies, des chercheurs, issus de disciplines variées telles que
l’architecture, l’urbanisme, la géographie, l’histoire et l’anthropologie, ont entamé
des études sur l’espace en tant qu’objet caractérisé. Des anthropologues ont montré
que la façon de vivre l’espace au quotidien, dans le monde rural ou dans l’univers
urbain, était un constituant essentiel de toute culture et participait de sa
perpétuation, de sa reproduction, mais aussi de sa reformulation4.
« Quand aux Cambodgiens, ils ne savent rien de leurs origines et rien de leur histoire. Déchus comme
ils le sont, ils n’imaginent pas que leurs pères aient été capables de construire les monuments dont les
ruines couvrent le sol de leur pays. » v. CARNE (de) Louis, Voyage en Indochine et dans l’empire
chinois, Paris, E. Dentu, 1872, p. 14. Récemment, avec l’ouverture du procès des Khmers Rouges en
2006, le terme « amnésie collective » est apparu dans les propos de nombreuses Organisations Non
Gouvernementales (ONG) et Cambodgiens de l’étranger à propos de la période khmère rouge. Le
cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh invoque ainsi « le devoir de mémoire » pour « résister à
l’amnésie ».
3
EBIHARA, May, Svay, a Khmer village in Cambodia. Ph. D. dissertation, Department of
Anthropology, Columbia University, 1968, 705 p. ; MARTEL, Gabrielle, Lovea, village des environs
d’Angkor : Aspects démographiques, économiques, et sociologiques du monde rural cambodgien dans
la province de Siem-Réap, Paris, EFEO, PEFEO vol. XCVIII, 1975, 353 p. + pl. ; OVESEN, Jan ;
TRANKELL, Ing-Britt ; OJENDAL, Joakim, When every household is an island: social organization and
power structures in rural Cambodia, Uppsala, Sweden, Dept. of Cultural Anthropology, Uppsala
University, Stockholm, Sida, 1996, 99 p.
4
On trouvera dans l’ouvrage dirigé par Françoise Paul-Levy et Marion Segaud une anthologie de
textes qui décrivent comment, dans des cultures différentes, les hommes transforment l’espace en
82
83
Plus spécifiquement en Asie du Sud Est, des anthropologues et des architectes ont
travaillé sur les relations entre espace et société. Je citerai les travaux publiés par
Christian Taillard5, ceux de Bernard Formoso en Thaïlande6 ainsi que ceux de
Sophie et Pierre Clément7 au Laos et de Nathalie Lancret8 à Bali. Ces travaux ont
montré combien la question de la construction des maisons et de la façon de vivre
l’espace domestique selon des représentations spatiales spécifiques rendait compte
d’une organisation sociale particulière.
Au Cambodge, la question des rapports entre espace et société a encore été peu
explorée. Quelques chercheurs ont ouvert la voie en collectant des données sur la
construction des maisons et sur les rituels qui l’accompagnent9. L’importance de la
symbolique des orientations cardinales a déjà été relevée par des historiens de l’art
ou des architectes, mais essentiellement à propos de vestiges d’édifices religieux,
ici les grands temples angkoriens. Mais, au-delà du cadre de la maison et du temple,
l’étude spatiale de la distribution des hommes et des divinités, de leurs interactions,
de la composition et de la recomposition des groupes sociaux dans le territoire a été
peu étudiée.
Il m’est ainsi apparu qu’une lecture de la spatialité de la société cambodgienne
pourrait apporter des clés nouvelles à la compréhension d’un monde qui apparaît se
dérober à l’analyse avec les grilles classiques. Des traits culturels et des règles
fonction de leurs représentations symboliques : PAUL-LEVY, Françoise & SEGAUD, Marion,
Anthropologie de l’espace, Paris, Centre G. Pompidou, Centre de Création Industrielle, 1983, 345 p.
5
TAILLARD, Christian ; MATRAS, Jacqueline, Espace social et analyse des sociétés en Asie du Sud-Est,
ASEMI VIII-2, 1977, 195 p. ; IDEM, Habitations et habitat d’Asie du Sud-Est continentale : pratiques
et représentations de l’espace, Paris, L’Harmattan, coll. «Recherches asiatiques», 1992, 431 p.
6
FORMOSO, Bernard, « Du corps humain à l’espace humanisé : système de référence et représentation
de l’espace dans deux villages du Nord-Est de la Thaïlande », Etudes Rurales (107-108), 1987, pp.
137-170.
7
CLÉMENT-CHARPENTIER, Sophie et CLÉMENT, Pierre, L’habitation lao dans les régions de Ventiane et
de Luang Prabang, Paris, Peteers, 1990, 388 p.
8
LANCRET, Nathalie, La maison balinaise en secteur urbain. Etude ethno-architecturale, Éd. de la
Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1998, 306 p.
9
GITEAU, Madeleine, « Un court traité d’architecture cambodgienne moderne », Arts Asiatiques, vol.
XXIV, 1971, pp. 103-147 ; POREE-MASPERO, Eveline, « Kron Pali et les rites de la maison »,
Anthropos 56, 1961, pp. 103-147 ; NEPOTE, Jacques, (Edition de) : Huy Pan, (2003-2004) « La maison
cambodgienne ? Choix du terrain, prescriptions et typologie », Péninsule n°47, 2003 (2), pp. 47-92 ;
IDEM, « La maison cambodgienne : (I), Etat de la question et typologie », Péninsule n°47, 2003 (2), pp.
91-154 ; IDEM, « (II), A la recherche du sens », Péninsule 49, 2004 (2), pp. 5-95. ; BITARD, Pierre,
« Etudes Khmères : introduction, Traité de la construction des maisons », B.S.E.I., vol. XXX (2),
1955, pp 146-149.
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sociales se lisent ainsi dans des compositions et représentations spatiales
domestiques et religieuses (maison/temple/hameau/village/petit pays).
Dans le cadre de cet article, je propose d’explorer plus spécifiquement le rapport
au temps à partir du territoire en me demandant en quoi le paysage pourrait servir
de support à la transmission d’éléments du passé, qu’il s’agisse d’histoires
légendaires, ou d’histoires vécues. Pour trouver des éléments de réponse à cette
question, j’ai puisé dans des matériaux de terrain collectés entre 1994 et 200510
auprès de populations qui habitent dans un lieu très fortement marqué par des
aménagements humains anciens : le sruk « petit pays » de Sraḥ Sraṅ situé dans le
site archéologique d’Angkor11.
I. LA REPRESENTATION DU TEMPS POUR LES HABITANTS D’ANGKOR
Avant de se pencher sur la question de l’espace comme support à la transmission
d’éléments du passé, il convient en premier lieu d’apporter quelques éléments sur la
façon dont le temps est ici perçu.
Tout d’abord, concernant cette question d’amnésie cambodgienne, on remarque en
effet qu’au quotidien, le rappel des histoires du passé au sein des familles dans un
souci de transmission n’est pas particulièrement prôné. On peut à cet effet rappeler
le contexte religieux. Dans ce pays d’influence bouddhiste où la notion de
l’impermanence est fondamentale, le passé est considéré comme étant révolu ruoc
hoey. Nul besoin ici d’essayer de se remémorer le passé pour tenter de le
« réparer » comme c'est le cas en Occident avec la création de nombreux
évènements commémoratifs. Ce n’est pas dans le passé, mais c’est vers le futur que
l’attention se porte. L’action est certes passée, mais ses effets bons ou mauvais
(karma) continuent inexorablement leur chemin pour éclore dans une prochaine
incarnation. L’accent est ainsi plus porté sur les actes d’aujourd’hui qui vont
conditionner la prochaine incarnation que sur les faits du passé. Le but ultime étant
de tendre à l’extinction du karma, c’est-à-dire de se libérer des miasmes du passé, il
apparait que la réactivation des actions passées par la mémoire n’est donc pas
particulièrement sollicitée.
On peut également noter que des actions du passé ne sont pas ici conçues de façon
linéaire, mais plus sous forme d’îlots de temps. Un instant se trouve avant ou après
10
Dans le cadre d’une thèse de Doctorat en Anthropologie sociale (EHESS). (...)
Le sruk « le petit pays » Sraḥ Sraṅ est ici compris en tant qu'ensemble social cohérent. il inclut les
villages de Sraḥ Sraṅ Nord, Sraḥ Sraṅ Sud, Rahal et Kravan.
11
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85
un autre instant, sans précision claire du temps qui les sépare. Il a une existence qui
lui est propre, qui ne dure qu’un moment. Dans les discours des habitants du petit
pays de Sraḥ Sraṅ, on relève que le temps passé, ou plutôt devrait-on plutôt dire les
temps passés sont tout d’abord appréhendés en deux grands moments distincts,
l’îlot/temps Angkor lointain (le temps merveilleux des divinités et des rois, le temps
des origines, la période glorieuse,) et l’îlot/temps proche de soi (le temps des
hommes et de leurs ancêtres connus, le passé proche vécu et raconté). On relate des
moments autonomes sā māy, à qui on associe des bribes d’histoires ainsi que des
légendes sans chercher à établir un lien chronologique particulier entre elles. À
celui qui demande plus de précisions, d’autres découpages sont alors donnés : « la
période d’Angkor », « la période des Français », « la période du Saṅgam rāstr
niyam 12 », « la période des A Pot (Khmers rouges) », « la période des
Vietnamiens »….
Du temps lointain et mythique d’Angkor 13 , on raconte essentiellement des
histoires légendaires. De l’îlot centré sur les hommes actuels, leurs parents et leurs
grands-parents, on rapporte des histoires vécues.
À l’image de ce qui est attesté pour l’Inde14, le temps se développe comme une
nébuleuse galactique où les évènements anciens et à venir se répètent et se
succèdent dans un mouvement cyclique qui n’a pas de commencement ni de fin. On
peut alors concevoir des évènements à la fois sous une forme successive et
simultanée. Certaines histoires sont ainsi parfois difficiles à situer dans le temps
parce qu’elles apparaissent comme étant récurrentes. On raconte par exemple les
troubles causés par la venue de « Siamois » dans le passé. Ces évènements qui ont
eu lieu à différents moments sont souvent réunis en une seule histoire, peu importe
sa localisation chronologique dans le temps. On sait simplement « qu’il y a
longtemps, les Siamois sont venus ». Pour l’historien, il est difficile de déterminer
s’il s’agit ici d’une attaque d’Angkor par les Siamois vers le XIVe siècle, de razzias
siamoises au cours des siècles suivants, de la mise sous tutelle siamoise de la
12
saṅgam rāstr niyam « Communauté socialiste populaire» mis en place par le prince Sihanouk entre
1955 et 1970.
13
Le temps d’Angkor est situé très loin dans le passé. Le terme Angkor utilisé comme marqueur
temporel est compris comme étant le temps des origines. tāṃṅ bī aṅgar « depuis Angkor » ou bien
tāṃṅ bī ṭoem « depuis l’origine ». Devant l’interlocuteur qui demande une précision temporelle, On
donne parfois une donnée mais qui n’a pas de réelle valeur chronologique. Elle signifie simplement un
temps long qui dépasse la durée de vie d’une personne, « c’était il y a 100 ans », ou « il y a 500 ans »,
ou 1000 ans, peu importe, c’était bien avant la naissance des grands-parents.
14
FILLIOZAT, Jean, « Le temps et l’espace dans les conceptions du monde indien », Revue de Synthèse,
Paris, Albin Michel, Juillet/Décembre 1969, 3e série, t. XC, pp.170-184.
85
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province de Siem Reap au XIXe siècle ou bien de l’occupation de la province de
Siem Reap par les Thaïs pendant la Seconde Guerre mondiale. On pourrait ici
reprendre l’expression de Benedict Anderson qui évoque un « temps simultané15 »
pour parler de systèmes anciens de représentation du temps.
Que raconte-t-on et comment transmet-on alors les histoires dans le petit pays de
Sraḥ Sraṅ ?
II. LES HISTOIRES LEGENDAIRES ACCROCHEES AUX VESTIGES ANGKORIENS
1. Un terreau propice
Pour parler des histoires passées, on remarque que le discours des gens du petit
pays de Sraḥ Sraṅ s’enrichit quand il prend appui sur des éléments particuliers du
paysage. En voyageant à travers le Cambodge, on relève que nombre d’histoires
sont en effet racontées à partir de formes particulières du paysage, montagne,
bassins, buttes de terre, emplacement d’un génie foncier ou bien de toponymes.
La particularité du paysage d’Angkor est qu’il est marqué par de nombreuses
traces de formidables aménagements humains d’un temps passé 16 dont ne subsiste17
qu’un grand squelette de terre (routes et système hydraulique) ponctué d’édifices
grandioses (temples) construits pour la pérennité dans la pierre/brique pour les
dieux. Ces vestiges apparaissent comme autant de « supports matériels » où
accrocher des histoires. Ainsi, ici plus qu’ailleurs au Cambodge, on relève de
nombreuses légendes racontées à partir des temples. Pour les populations locales,
ces édifices aussi imposants, magnifiques et complexes ne peuvent avoir été
construits que par et pour des divinités ou des êtres d’exception18. Ils rendent
15
Benedict Anderson définit deux systèmes culturels qui existaient avant les États-nations modernes :
la communauté religieuse et le royaume dynastique. Dans ces systèmes anciens, le temps était
appréhendé de façon simultanée (le passé et le présent sont réunis dans un présent instantané). Dans le
système moderne, le temps est conçu de façon « vide et homogène » et organisé linéairement sur une
base calendaire. ANDERSON, Benedict, Imagined communities: reflexion on the origin and spread of
nationalism, London/New-York, Verso, 2006, 224 p.
16
Puisque site de capitales royales qui se sont succédées entre le IXe et le XVe siècles.
17
Les habitations anciennes des hommes, construites en matériaux périssables à l’image des humains,
ont quand à elles disparu sans laisser de traces visibles dans le paysage : bois, bambou, paillote,
feuilles de palmier à sucre qui n’ont pas résisté au climat et aux insectes.
18
Remarquons que les temples angkoriens sont peu visités par les populations locales. Ces
constructions grandioses sont la manifestation des puissances religieuses avec lesquelles on ne sait pas
toujours comment communiquer. En effet, on ne connaît pas les rituels associés aux divinités pour
lesquelles les temples anciens ont été construits. Entrer dans une construction où les pierres consacrées
86
87
compte d’un temps mythique dans lequel les hommes, les divinités et êtres
surnaturels évoluaient de conserve.
À l’inverse, on remarque que sans points d’ancrage spatiaux, la mémoire ou les
histoires paraissent s’effacer. Ainsi, les temps qui précèdent et qui suivent Angkor
sont silencieux. On peut associer cette amnésie au manque d’éléments marquants
dans le paysage permettant d’y accrocher un discours. En effet, les constructions
végétales qui précédaient et qui ont suivi l’abandon d’Angkor en tant que capitale
royale n’ont pas laissé de traces visibles19. Dans une autre « civilisation du végétal »
qui est le Japon, Augustin Berque20 évoque « l’allègement du temps » quand celuici ne peut s’appuyer sur des traces pour fixer l’histoire.
Plus proche de nous, à l’époque contemporaine, c’est-à-dire à partir du temps des
ancêtres, le discours s’étoffe à nouveau. Nous quittons les histoires légendaires
pour entrer dans les histoires vécues. Dans ce temps des hommes, le discours
s’appuie également sur des traces dans le paysage pour parler des histoires du
passé. Il s’agit ici d’empreintes plus discrètes comme des reliefs particuliers d’un
terrain habité, cultivé ou planté par des hommes. (dans ce qui suit - inversion de
paragraphes)
Concernant les légendes, on remarque qu’elles se transmettent et se dupliquent
dans le territoire de façon vivante. Une même histoire peut être racontée dans des
lieux différents, mais tout en se reformulant. Ainsi, les noms des personnages, les
lieux, les détails évoluent dans le temps et dans l’espace. Selon la mémoire ou la
sont encore « chargées » en « puissance magique » pāramī et ne pas savoir comment rendre un culte à
ces divinités peut s’avérer funeste (les divinités mécontentes pourraient envoyer des punitions sous
forme de maladies ou de malheurs répétés ). À cela vient s’ajouter le fait que dans ce monde de
l’impermanence bouddhique, les traces du passé peuvent être assimilées à des miasmes, à des traces
karmiques qui pourraient éclore à tout moment et menacer l’ordre établi. La visite ainsi que la
préservation des édifices anciens ne sont donc pas particulièrement encouragés. Ainsi, plutôt que de
restaurer une maison ancienne, on préfère construire une maison neuve et laisser l’ancienne maison
s’anéantir dans la nature, à la ressemblance du corps physique d’un homme qui disparaît à sa mort.
Les anciennes pagodes vihār en bois étaient autrefois détruites pour être reconstruites à neuf quand
elles présentaient des signes de détérioration. Des arbres plantés autour de la pagode au moment de la
construction arrivaient à maturité une cinquantaine d’années plus tard et pouvaient ainsi être utilisés
comme bois d’œuvre. Une nouvelle construction permet de plus de recommencer un nouveau cycle et
offre aux donateurs la possibilité d’accomplir un grand acte méritoire dont ils pourront profiter dans
une prochaine incarnation.
19
Les populations locales rattachent les vestiges des terrasses bouddhiques ou les cetiy (attribués à la
période post-angkorienne ou période moyenne par les chercheurs) à la période d’Angkor. Ainsi, tout
ce qui est construit en dur et qui semble ancien est dit « Angkor ».
20
BERQUE, Augustin, Le japon, gestion de l’espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976,
344 p.
87
88
personnalité du conteur et le fait que celui-ci ait eu ou non accès à des textes écrits,
on note que les histoires se sont enrichies ou appauvries, amalgamées avec d’autres
histoires ou bien ont été découpées en plusieurs histoires autonomes.
Dans le paysage particulier d’Angkor, il nous apparaît que l’importance et la
monumentalité des vestiges attribués une la période ancienne prestigieuse auraient
incité à une "production" d’histoires plus importante qu’ailleurs. Les habitants
actuels des villages d’Angkor auraient construit un discours sur Angkor en puisant
dans leurs références culturelles 21 , faites de mythes et d’histoires légendaires,
d’évènements historiques transmis, interprétés inconsciemment, appris tardivement
(notamment des travaux des chercheurs français) ou encore, d’évènements vécus
localement.
Dans ce processus de transmission des passés dans le territoire, les toponymes
occupent une place particulièrement importante. On peut lire des formes
d’occupations foncières anciennes (hameaux et terres plantées) dans les noms
actuels de lieux qui ont gardé la mémoire des noms d’anciens habitants ou
exploitants agricoles. On peut également retrouver des échos d’histoires locales
dans des noms qui ont fixé ces histoires.
Dans une étude sur les noms des monuments cambodgiens, Saveros Pou 22
remarque ainsi que les noms donnés actuellement aux monuments ne sont pas ceux
mentionnés dans l’épigraphie. Ce qui compose la culture actuelle, ce que Saveros
Pou appelle, peut-être de façon réductrice, le « folklore », est un mélange de
traditions qui contiennent des faits historiques assimilés graduellement et de façon
inconsciente mêlés à de nouveaux éléments historiques récents intégrés par une
société en évolution qui va s’en servir pour reconstruire ou même restructurer une
nouvelle culture23.
21
Peu importe que ces légendes soient ou non spécifiquement « Angkoriennes » au sens historique ou
géographique du terme, elles sont partie intégrante du fonds culturel des populations actuelles et ceci
dans un cadre spatial plus large que le périmètre physique de ce qui est aujourd’hui défini comme le
parc archéologique d’Angkor.
22
« D’anciens Prāsād accueillent aujourd’hui souvent des génies et des divinités brahmaniques
mineures. Leurs noms originels sont depuis longtemps sortis de la mémoire locale. Ils ont parfois été
renommés par les villageois plus au gré de l’histoire locale que des véritables circonstances de leur
création. », v. POU, Saveros, From old Khmer epigraphy to popular traditions : a study in the names of
cambodian monuments, Hull, University of Hull, 1990, p. 10.
23
Saveros Pou désigne par « late mythology », la recomposition que les Khmers ont faite de l’histoire
d’Angkor. « The turning point of the civilization of Angkor is the fall of Angkor together with the
collapse of the spiritual heritage of ancient Cambodia. (…) If Angkor has ceased to be the political
center of Cambodia, it has on the other hand survived in the mind and heart of Cambodians. Khmer
people lacking a strong political leadership relied upon themselves freely to reconstruct their history,
88
89
Les histoires légendaires et les contes participent à la transmission de règles
sociales qui se lisent dans les épisodes de la vie des rois, des dieux et autres
personnages24. Ce fonds culturel existe sous une forme écrite, mais véhiculé le plus
souvent de façon orale dans les villages ou à l’école.
Une écoute attentive de ces histoires permet de relever qu’elles ne sont le plus
souvent pas particulières au lieu, mais qu’elles font partie d’un répertoire commun à
un ensemble géographique et culturel plus large25. Nombre de ces légendes ont en
effet déjà été consignées par écrit dans des temps plus anciens. Ainsi, l’essentiel des
histoires légendaires qui sont racontées aujourd’hui par les conteurs d’Angkor est
contenu dans les textes des « Chroniques royales »26.
2. Le mythe de fondation du royaume et autres récits
De ces compilations écrites, on retrouve par exemple des parties de la légende du
roi Braḥ Thoṅ 27 , du roi Braḥ Ketu Mālā 28 , de Tā Brahm Kil 29 , de Tɑṃpaṅ
using less actual facts than notions and ideas, which now form their new beliefs and faith. In turmoil
and even distress, they still adhered to three spiritual guidelines, i.e.; the teaching of Theravada’s
Buddha, the glory of Rama and the Glory of Angkor. Their imagination provided many missing links
between fragmentary facts they had been able to memorize, hence, the emergence of many myths
surrounding ancient monuments. », v. POU, S., ibid.
24
On y apprend par exemple les principes de respect de l'ordre social ainsi que de la possibilité pour
ceux qui seraient nés pauvres mais "marquées de signes" de retrouver la place qui leur est due.
25
“This late mythology (…) has played an important part in the culture of medieval Cambodia. It is
contained not only in the present-day oral traditions current on both sides of Dangraek range (well
known in Surin, Thaïland) but also in the literature in Middle Khmer, particularly in the epic genre.”
(POU, S., ibid).
26
Recueil de textes rédigés à partir du XVIIIe siècle par des fonctionnaires royaux et des moines
bouddhistes qui s’appuient sur des écrits et sur la tradition orale. Les petits textes mis bout à bout
chronologiquement racontent des règnes de rois. Il en existe plusieurs copies qui proviennent ellesmêmes de versions différentes. Voir entre autres : MAK, Phoeun, Chroniques royales du Cambodge:
des origines légendaires jusqu’à Paramaraja 1er : Traduction française avec comparaison des
différentes versions et introduction, Paris, EFEO, 1984, 465 p. et Chroniques royales du Cambodge de
1594 à 1677 : Traduction française avec comparaison des différentes versions et introduction, Paris,
EFEO, 1981, 524 p. ou SOK, Khin, Chroniques Royales du Cambodge (de Bañā Yāt à la prise de
Laṅvaek) (de 1417 à 1595), Collection de textes et documents sur l'Indochine XIII, EFEO, Paris, 1988,
471 p.
27
Règne de l’Auguste Thoṅ (MAK, Ph., Des origines légendaires […], op. cit., p. 12).
28
Règne de l’Auguste Ketumālā (ibid., p. 63). L’histoire est racontée à partir du temple d’Angkor Vat.
29
L’histoire est racontée à partir d’un petit temple appelé du nom de la légende tā brahm kil, situé à
l’Ouest d’Angkor Vat.
89
90
Krañūṅ30, Sṭec Ganlaṅ 31(...), qui sont ici racontées à partir de temples angkoriens.
Ces légendes qui étaient peut-être surtout racontées oralement dans les temps
anciens ont été consignées par écrit puis ont été maintes fois recopiées sur de
nouvelles feuilles de latanier dans les monastères bouddhiques. Ce qui était le cas
des nombreux manuscrits conservés dans les monastères d’Angkor Vat. Les
hommes qui prenaient la robe de moine dans le passé y avaient accès32. Dans la
tradition de l’apprentissage cambodgien, les moines apprenaient les textes par cœur
pour les réciter ensuite oralement. Il s’en suivait un aller-retour entre le texte écrit
sur feuilles de latanier et le texte oral raconté à partir d’un élément du paysage. Le
texte écrit restait toutefois la référence qui servira à revivifier le texte raconté
oralement.
Nous recueillons aujourd’hui les échos et les reformulations de ces textes dans les
récitations des conteurs actuels. Pour les gens du peuple qui ne sont pas passés par
les monastères, la tradition est uniquement orale. Il s’agit ici d’histoires racontées
par les anciens « ḹ cās » cās » niyāy » « j’ai entendu les anciens raconter ». Dans les
villages d’Angkor, seuls quelques anciens connaissent encore les grandes lignes des
légendes, mais ils sont souvent réticents à les raconter. Savoir, c’est réciter par
cœur. Lors des enregistrements, les conteurs insistaient bien sur le fait qu’ils ne
savaient pas raconter l’histoire par cœur, mais qu’ils pouvaient tout au plus en
donner le résumé.
Ce savoir populaire déjà fortement érodé est en passe de disparaître avec
l’apparition soudaine de la télévision et des smart phones qui éclipsent les derniers
conteurs. Faute d’être pratiquée souvent, cette connaissance mnémotechnique ne se
transmet plus que de façon décousue. Les histoires sont alors racontées avec des
variantes dues aux trous de mémoire, à l’origine du texte, aux recompositions dues
à la personnalité du conteur. Il est difficile de faire la part entre ce qui a été transmis
oralement et ce qui a été appris des textes sur feuilles de latanier conservés et
recopiés dans les monastères d’Angkor Vat. Nous nous accordons avec la position
de base de Solange Thierry qui parle d’une double transmission, écrite et orale33. À
cela, nous y ajoutons que cette transmission est plus opérante quand elle s’appuie
sur des éléments physiques du paysage.
30
Règne de Taṃpaṅ krañūṅ l’usurpateur (ibid., p. 95)
Règne de sa majesté Saṅkhacakr (ibid., p. 91) L’histoire est racontée à partir du temple du Bayon.
32
Du moins jusqu’avant l’arrivée des Khmers rouges/khmers Rumdha dans la zone en 1970.
33
« De tout ce que pendant les siècles d’Angkor, a pu représenter la littérature orale, mythes, contes
légendes, il ne reste que l’écho que nous en ont conservé des manuscrits relativement récents quant à
leur réalité concrète, réceptacles de traditions dont l’origine n’est pas vérifiable » THIERRY, Solange,
Le Cambodge des contes, Paris, l’Harmattan, 1985, p. 14.
31
90
91
La duplication tout en la reformulant d’une même histoire complète ou partielle
dans des lieux différents participe d’une transmission culturelle dynamique. Ce
phénomène d’implantation dans le territoire d’histoires légendaires n’est pas
particulier à Angkor. Ainsi, on ne compte plus les lieux appelés Gok Ghlāk du nom
de l’île primordiale, de génies fonciers nommés Yāy Mau34, ou bien de montagnes
ou de bassins dont le relief donne corps à une légende comme celle de la
« montagne des hommes et la montagne des femmes » qui est racontée aussi bien à
propos de collines à Kaṃbaṅ’ Cam que des anciens grands réservoirs baray à
Angkor.
Citons également la légende de de Nāṅ Ka Ṅrī35 à Kaṃbaṅ’ Chhnang. Ici, la
forme allongée de la jeune fille Nāṅ Ka Ṅrī qui meurt d’amour se lit aujourd’hui
dans le modelé d’une montagne qui fait face à la ville.
Nous retrouvons également une partie de cette histoire inscrite dans le paysage
d’Angkor. Ici, c’est la partie finale du combat qui oppose le petit Puddhisaen à
l’ogresse géante Santémeas qui est retenue. Puddhisaen réussit à vaincre la géante
en lui montrant un citron plissé36 (krūc soec). Ce citron qui présente un aspect
tellement étonnant que la géante Santémeas tombe au sol morte de rire. Le choc est
suffisamment fort pour en avoir marqué le paysage jusqu’à nos jours. L’empreinte
du corps allongé de la géante terrassée est encore lisible par les habitants du coin
dans la forme d’un grand bassin Bịṅ Santémeas de plus de 400 mètres de long situé
34
Sur ce culte, v. Ang, Chouléan, « Yāy Mau », [in] Nasir Abdoul-Carime, Grégory Mikaelian, Joseph
Thach, Le passé des Khmers. Langues, textes, rites, Bern, Peter Lang, 2016, pp. 249-262.
35
Cette histoire connue également sous le nom « des douze sœurs » est racontée à travers toute l’Asie
du Sud-Est dans des versions différentes. En substance, douze sœurs sont abandonnées dans la forêt
par leurs parents tombés dans la pauvreté. Elles sont recueilles par l’ogresse Santémeas pour servir de
servante à sa fille Nāṅ kaṅrī. Devenues de belles jeunes filles, les douzes apprennent que l’ogresse va
les dévorer. Elles s’enfuient dans un royaume où le roi les épouse. Découvrant leur disparition,
l’ogresse en colère se transforme en très belle femme. Elle se fait épouser du roi et est élevée au rang
de première épouse. Feignant être malade, elle demande les yeux des 12 jeunes filles comme
médicament. Le roi acquiesce à la demande de sa favorite. Les douze jeunes filles enceintes et
aveugles sont emprisonnées dans une citerne sans nourriture. L’idée de l’ogresse est qu’elles doivent
manger leurs enfants pour survivre. Puddhisaen, le fils de la fille cadette parvient cependant à survivre.
Alors qu’il est devenu un jeune homme, il s’échappe de la citerne et par un subterfuge, il épouse Nāṅ
kaṅrī qui tombe très amoureuse de lui. Puddhisaen réussit ensuite à retrouver les yeux des douzes
femmes et à les libérer. Lors d’un combat singulier, il parvient à tuer l’ogresse. Rejettée par
Puddhisaen, Nāṅ kaṅrī meurt de chagrin.
36
Citron combava - (Citrus hystrix).
91
92
à Angkor Thom derrière le Palais Royal. Les anciens exploitants37 des rizières
situées à l’intérieur du bassin signalent l’emplacement de la tête de la géante à
l’Ouest 38 ainsi que ses bras et ses seins39.
De même, l’histoire très connue d’une jonque qui se brise sur une montagne
racontée dans les monts Dangrek ou à Battambang 40 se lit également dans un
toponyme du mont Kulen ; la « jonque qui coule » Saṃbau lec. Ici, la présence très
nombreuse de tessons de céramiques anciennes dans un lieu particulier au sommet
de cette montagne donne une matérialité et donc une forme de réalité à l’histoire
légendaire. On raconte que la jonque partait en Chine chargée de céramiques quand
son étrave a heurté le mont Kulen et qu’elle a coulé.
Parfois, certains toponymes interrogent. Ainsi une ancienne piste charretière en
creux orientée nord-sud, parallèle à la route qui relie Angkor Vat à Angkor Thom
est appelée phlūv Saṃbau luon « le chemin des jonques qui glissent ». D’après les
anciens, il s’agirait là d’une ancienne voie d’eau qui était empruntée par les
jonques. Elle semble relier le coin de la douve nord-ouest d’Angkor Vat avec la
douve sud-ouest d’Angkor Thom. S’agit-il d’une bribe de mémoire transmise qui a
retenu l’existence d’un canal sur lequel passaient des embarcations ou bien d’un
nom donné tardivement sur la base de cette hypothèse ?
Il apparaît ainsi que (...), dans un monde rural qui s’appuie peu sur l’écrit, les
formes particulières du paysage naturel et construit ont servi de points d’appui à
l’installation et à la transmission d’un fonds culturel composé d’histoires
légendaires et de contes. On bouge avec ses histoires et on les duplique en les
installant dans le paysage. Il en est de même pour les divinités dont les noms, les
statues et les histoires sont également dupliquées dans le territoire.
III. LES HISTOIRES DES HOMMES INSCRITES DANS LE PAYSAGE
Dans le paysage d’Angkor, les toponymes sont nombreux. Les noms les plus
courants sont tirés de particularismes géographiques comme les tertres duol, gok,
37
L’exploitation des rizières du bassin de Santémeas par les habitants du proche village d’Angkor
Krau s’est arrêtée dans les années 2000 suite à une réglementation mise en place par l’autorité en
charge du site d’Angkor, l’APSARA, visant à interdire les cultures à proximité des temples.
38
Ouest : direction vers laquelle la tête des morts est orientée d’après la tradition.
39
Les bras sont deux vestiges de ce qui apparait être des canaux longeant le bassin. Deux vestiges de
temples situés de part et d’autre du bassin sont dits être les deux seins proéminents de la géante.
40
Bhnaṃ Saṃbau "le mont de la Jonque"
92
93
les monts bhnaṃ, les rivières sdịṅ,..), de noms de végétaux (plantes et arbres41)
ainsi que des noms de personnes qui se révèlent être souvent d’anciens habitants ou
exploitants de terres. À travers ces toponymes, c’est l’histoire locale de l’habitat et
des terres cultivées qui se révèle en partie.
(...) Les habitations anciennes, du fait de leur caractère végétal périssable n’ont
pas laissé de traces visibles dans le paysage. La mémoire des anciens rapporte
d’anciens lieux habités et cultivés du temps de leurs parents ou grands-parents.
Certains lieux précédemment occupés par les hommes se lisent dans les
groupements de vieux arbres fruitiers (manguiers, tamariniers, palmiers à sucre,
cocotiers) plantés autrefois autour des maisons. Ceci est souvent corroboré par les
toponymes composés avec des noms de personnes qui apparaissent être les noms
d’anciens habitants.
De l’habitat ancien42, les villageois évoquent une faible démographie, une forêt
dense ponctuée de nombreux hameaux dispersés composés d’une ou de deux ou
trois maisons et de quelques noyaux de peuplement plus compacts comme les
villages de Rahāl, d’Aṃbil et de Praṭāk. On raconte que les gens vivaient de façon
cloisonnée, chacun à proximité de ses rizières, et que les rencontres ne se faisaient
guère des fêtes aux monastères bouddhiques.
1. Les hameaux sur des tertres : gok
Un terme foncier nous apparaît particulièrement intéressant. D’après les anciens
des villages actuels de Sraḥ Sraṅ et de Rahāl, le terme bhūmi traduit par « village »
a été utilisé localement tardivement, vraisemblablement au début des années 1950.
Auparavant, le terme le plus courant pour désigner un petit foyer d’habitat d’une ou
de quelques maisons sur un tertre exondé était gok.
On remarque ainsi que le paysage est ponctué de nombreux tertres naturels et
artificiels appelés gok. Aujourd’hui pratiquement tous abandonnés, ils ont été
jusqu’à récemment des lieux d’habitat. En témoignent encore les hauts palmiers à
sucre et manguiers plantés par les anciens habitants ainsi que leur nom qui est
souvent celui du dernier chef de famille qui y a habité. D’après les anciens, chaque
tertre comptait autrefois une, deux voire trois ou quatre maisons. Au sud-est de la
digue méridionale du pārāy oriental, dans le petit pays de Praṭāk, nous relevons
41
Les essences particulières des arbres servent de repères spatiaux pour les populations locales. Dans
une approche historique et écologique, ils donnent des indications sur le couvert végétal qui existait
dans le passé proche.
42
Quand les personnes interrogées étaient jeunes (années 1930-40-50).
93
94
ainsi une grande concentration de toponymes qui signalent des tertres autrefois
habités : gok tā p̈ ul, gok ṭaṅ, duol43 ṭūn des, gok cae), gok ramīet, gok kraṇāp, gok
tā bejr, duol tā dūc, duol yāy braḥ, gok rakā. Dans les environs de l’actuel village
de Sraḥ Sraṅ, les buttes de terres habitées étaient également nombreuses comme le
rappelle Ta Teth du village de Sraḥ Sraṅ Nord:
Avant, il y avait plusieurs endroits où il y avait quelques maisons. On disait gok,
ça voulait dire que c’était un endroit habité par une seule famille. Il y avait Gok
Ghlāk 44, Gok Mkāk45, Gok Yāy Tī46, Gok Yāy Leṅ47 au sud du pont de Tākae, Gok
Bnau48, Gok Tā Gaṅ49 au nord, Gāy Ṅāṃ à l’emplacement de l’école de Sraḥ Sraṅ.
(...)
Dans les années 1950, nombre de ces lieux d’habitat anciens sont abandonnés
dans le cadre des programmes de développement communautaire entrepris par le
prince Sihanouk50.
43
D’après les populations locales, on dit duol « tertre » quand le lieu a été abandonné depuis
longtemps (ou bien qu’il n’a jamais été habité).
44
ghlāk : « liane qui produit des gourdes, des citrouilles, des courges, des calebasses,.. » (RONDINEAU,
Rogatien, Dictionnaire Cambodgien-Français. Phnom-Penh, Missions Etrangères de Paris, nouvelle
ed. 2007, t.1, p. 749.
45
mkāk : « arbre fruitier Anthyllis indica ou Asethyllis Indica », v. ibid., t. 1, p. 139.
46
"tertre de la grand-mère Ti"
47
"tertre de la grand-mère Len"
48
bnau : « oranger du Malabar, Aegle marmelos des Rutacés. Il y a beaucoup d’espèces dont certains
ont des fruits qui contiennent une espèce de résine collante qu’on peut utiliser comme glu. Bois utilisé
dans la fabrication de menus travaux ». ibid, p. 1177).
49
"tertre du grand-père Chan"
50
Des regroupements de villages sont organisés autour de dispensaires et d’écoles. Il s’agissait pour
Sihanouk de donner au Cambodge rural une apparence plus moderne en regroupant les hameaux
dispersés en villages agglomérés le long des routes. L’habitat traditionnel dispersé dans la forêt est
devenu synonyme d’archaïsme. Les habitants sont alors forcés d’habiter les uns à côté des autres. Des
villages modèles s’alignent le long des routes digues. Le contrôle des habitants par les autorités en
était simplifié. Mais, dans la pratique il en est tout autre. Les villageois préférent habiter dans des
hameaux plus difficilement accessibles aux agents de l’administration. Ils bâtissent un village-modèle
à la hâte, et après les inspections, ils rejoignent leurs maisons dans les hameaux anciens. Dans certains
endroits où le chef local était fort, les regroupements se font de façon plus radicale. C’est le cas de la
zone qui nous intéresse, où l’ancien chef de guerre Dap Chhuon était particulièrement actif.
94
95
Un dictionnaire51 définit le mot gok comme étant une « terre ferme en opposition à
l’eau, terre plus haute que le sol environnant, qui n’est pas inondé en cas
d’inondation ». L’utilisation du terme gok pour désigner un tertre habité prend toute
son importance quand on le relie à la légende de la création du Cambodge à partir
d’une butte de terre (qui est une île entourée d’eau dans la légende) appelée Gok
Ghlāk. La légende raconte que Braḥ Thoṅ, un prince venu de l’extérieur aborde une
île. Il rencontre la Nāgī, une femme-serpent et il l’épouse. En cadeau de mariage, le
père de la mariée aspire l’eau autour de l’île et le territoire du Cambodge apparaît.
À propos de ce nom, nous pouvons faire remarquer qu’une façon efficace de
transmettre certaines de ces histoires légendaires est également de les rejouer. On
peut ainsi évoquer le théâtre d’ombres ou la danse qui transmettent des histoires
anciennes ou des épopées par le geste. Dans les villages, les cérémonies
domestiques sont également l’occasion de transmettre des histoires. Il en est ainsi
de la légende Gok Ghlāk. À chaque cérémonie de mariage et de consécration d’une
nouvelle maison, le couple transmet tout en la rejouant cette histoire de fondation.
La maison ou la hutte de mariage (et la butte de terre qui l’entoure) devient alors
l’île primordiale, l’île de Gok Ghlāk à partir de laquelle le Cambodge nait. À
l’occasion d’un rituel de la cérémonie du mariage, le marié et la mariée rejouent le
mythe de fondation en prenant respectivement les rôles de Praḥ thoṅ et de la Nāgī.
Chaque construction de maison ou cérémonie de mariage est ainsi l’occasion de
rejouer de façon cyclique la fondation du pays. Chaque construction de maison ou
mariage est ainsi une refondation de l’île primordiale Gok Ghlāk.
2. Un exemple d’inscription d’une légende dans un lieu particulier : Gok
Bnau. (partie remaniée)
À l’est du bassin du Sraḥ Sraṅ, une butte de terre de grande taille attire
particulièrement l’attention : Gok Bnau. Cet endroit est désigné comme le lieu
d’habitat le plus ancien de la zone étudiée. Des morceaux de brique ainsi que des
quantités très importantes et variées de tessons de céramiques sont visibles à fleur
de sol. D’après des archéologues et architectes venus sur les lieux, cela pourrait
signaler une activité de poterie à l’époque angkorienne52. À côté de Gok Bnau, on
51
RONDINEAU, R., op. cit., t. 1 p. 211.
« Le Koûk Phnéao (…) montre en sa partie sud-ouest des vestiges d’un édifice en briques dans un
contexte topographique obscur. Mais la surface de l’ensemble de ce terre-plein montre surtout une très
52
95
96
trouve d’autres petits tertres ainsi que deux étangs artificiels : Trabāṃṅ Tā Dāv,
« l’étang du grand-père Dāv » et Trabāṃṅ Khmoc, « l’étang des morts ». D’après
des anciens, plusieurs familles y vivaient du temps de leurs arrière-grands-parents
(fin du XIXe siècle) avant d’en partir sous l’injonction des Siamois53. (...)
Quand les Siamois sont venus. Ils ont pillé la ville. Les habitants de Gok Bnau se sont
enfuis à Surin. C’est pourquoi les Khmers de Surin connaissent le nom de Tā Gaṅ54 et de
Prāsād Tup 55. D’autres habitants se sont cachés au nord du bassin du Sraḥ Sraṅ et ils ont
fondé le village de Rahāl. Maintenant, à Gok Bnau, il ne reste plus que des champs où les
descendants des anciens habitants cultivent des pastèques, des concombres, des choux et du
riz. Les propriétaires actuels des terrains habitent maintenant à Rahāl, Sraḥ Sraṅ nord et
Sraḥ Sraṅ sud.» (Grand-Père Has du village de Sraḥ Sraṅ Nord).
(...) L’endroit était autrefois appelé Buon nau « l’endroit où l’on se cache ». Cette
allusion à une cache est vague. (...) Elle peut référer à un lieu où les gens se seraient
cachés ou bien là où des objets auraient été cachés (dans le cas d’un départ précipité
ou d’une sépulture). Lors de fouilles menées en 1964 par Groslier et Courbin56 de
l’autre côté du bassin du Sraḥ Sraṅ, devant la façade est de Pandāy Ktī et près de
l’angle nord-ouest, outre des dépôts funéraires, des jarres « bourrées à craquer de
Bouddhas »57 ont en effet été trouvées. Courbin émet l’hypothèse que ces jarres
auraient pu y avoir été cachées en prévision de périodes de troubles.
forte concentration de tessons. Parmi ceux-ci, nous avons aussi noté plusieurs tessons et fragments de
terre cuite qui portent d’importantes traces de vitrification, quelques moutons (poteries déformées) et
des fragments de terre cuite que l’on peut interpréter comme des vestiges d’alandiers. La réunion de
ces trois types d’indices laisse planer peu de doute sur l’existence de plusieurs fours de potiers sur ce
terre-plein (…), l’installation de ces fours serait donc antérieure au règne de Rajendravarman,
consistant en un village ou un groupement de villages spécialisés tels que les a suggéré B. P.
Groslier ». POTTIER, Christophe, Carte archéologique de la région d’Angkor Zone sud, Thèse de
l’Université de Paris III - Sorbonne nouvelle, 1999, pp. 192-193.
e
e
GROSLIER, Bernard-Philippe, « Introduction à la céramique angkorienne (fin 9 -début 15 siècle) »,
Péninsule 31 (2), 1995, pp. 5-60.
53
Il pourrait ici s'agir de 1907 au moment de la rétrocession de la province de Siem Reap par les
Siamois au Cambodge.
54
anak tā : génie foncier localisé au nord de Gok Bnau.
55
Vestige angkorien situé à l’est de Gok Bnau.
56
COURBIN, Pierre, « La fouille du Sras Srâng », [in] Dumarcay, Jacques, Documents graphiques de la
Conservation d’Angkor, 1963-1973, Paris, EFEO, 1988, pp. 21-44.
57
Au début des années 90, on a raconté que des paysans avaient déterré (...) des statues du Bouddha
dans les environs de Gok Bnau. Les statues auraient été revendues à des acheteurs extérieurs.
96
97
Ce toponyme Buon nau renvoie également à une partie de la légende de Tā trasak
Ph-aem 58 , le « grand-père aux concombres doux » telle ’''elle est racontée
localement.59 Cette version de l’histoire raconte que c’est ici c’est dans le paysage
autour de Gok Bnau que le roi qui aimait les concombres doux serait décédé des
suites de ses blessures et qu’''il aurait été enterré avant sa crémation. Cette histoire
qui est très connue dans le monde cambodgien60 et considérée comme étant celle du
récit fondateur de la dynastie post-angkorienne.61.
(...) La particularité de cette version de la légende est qu’elle est d’une part
toponymique et d’autre part qu’elle identifie un groupe social/ethnique particulier.
(...) Du texte écrit contenu dans les Chroniques royales à la version orale
toponymique recueillie localement, les détails varient. L’histoire telle qu’elle est
consignée dans la version des Chroniques royales traduite et commentée par Khin
Sok62 se déroule autour du temple de Pandāy Saṃrae situé à trois kilomètres à l’est
de Gok Bnau. L’action est centrée sur un nommé Chay, le chef des jardins royaux,
très habile à cultiver des concombres doux. Le roi, friand de concombres, se rend
une nuit dans les jardins. Chay qui le prend pour un voleur le tue. Constatant une
aptitude particulière à défendre un terrain, les hauts fonctionnaires et les nobles
décident de mettre le jardinier régicide sur le trône et de lui faire épouser la femme
du roi défunt. Ce couple serait à l’origine de la dynastie post angkorienne qui règne
encore sur le Cambodge aujourd’hui63.
58
Règne de l’Auguste sīhanurāj (ibid., pp. 117-121).
La légende de Tā Trasak Ph-aem dans cette version locale a déjà été relevée par Baradat dans une
publication de 1941. Il mentionne le toponyme Buon nau (ici Puon Nou) antérieur à Gok Bnau: « ils
s’arrêtèrent pour cacher litière et cadavre en un lieu qui fut dit puon nou (mais ce nom par la suite a été
déformé en Koûk Phnou) », BARADAT, R. « Les Sâmrê ou Péâr. Population primitive de l'ouest du
Cambodge », BEFEO, t. XLI, 1941, p.16.
60
Cette légende appartient au fonds indochinois. Au Cambodge, elle est consignée dans les chroniques
royales. Elle a été également recueillie oralement avec des variantes par Aymonier, Moura, Baradat,
Giteau.
61
Elle ne serait cependant pas autochtone et trouverait son origine en Birmanie d’après Edouart Huber
- HUBER, Edouart, « Etudes indochinoises », BEFEO, vol. V, 1905, pp 168-184.
62
SOK, Khin, Chroniques royales […], op. cit.
63
Achille Dauphin-Meunier appelle ce changement dynastique entre des monarques d’origine divine
de l’époque angkorienne et ce nouveau monarque usurpateur d’origine populaire, la « révolution du
XIVe siècle ». DAUPHIN-MEUNIER, Achille, Histoire du Cambodge, Paris, P.U.F, coll. Que sais-je ?, n°
916, 1968, p. 196.
59
97
98
La version orale locale de cette histoire racontée par Tā Puth qui habite le proche
village de Tātray se déroule en partie autour de Gok Bnau. Ici se joue une partie
importante de l’histoire ; la mort du roi. Le roi est gravement blessé par la lance du
jardinier appelé Tā Trasak Ph-aem (...). Il doit être transporté au palais royal, en
palanquin mais la barre du palanquin est perdue à l’endroit qui s’appelle maintenant
bāk snaeṅ « porter le palanquin64». Ceux qui ont du sang du roi sur les mains et les
pieds se lavent à l’endroit appelé Lāṅ Ṭai « laver les mains » qui est aujourd’hui un
village qui se trouve un peu au sud de Bāk Snaeṅ. Le roi blessé est ensuite amené
chez un célèbre médecin krū gaṅ (plusieurs toponymes au nord de Gok Bnau
portent ce nom65). Malgré les soins prodigués, le roi meurt de ses blessures et il est
enterré à Gok Buon Anak « la butte de terre où l’on se cache », à côté de Gok Bnau.
Le cortège funéraire se rend au temple du Me Puṇy « célébration », puis au temple
Tup, (qui pour un autre conteur originaire du village de Praṭāk se dit plus justement
le temple Sab : « "le temple“ du/des cadavre(s”»). La crémation a ensuite lieu au
temple de Prae Rūp « tourner le corps ». Cette expression fait référence à un rituel
funéraire pratiqué à la fin d’une crémation pour permettre à l’âme de se libérer du
corps et continuer le chemin des transmigrations66.
Au sud de Gok Bnau, nous relevons une autre référence funéraire dans le
toponyme Trabāṃṅ Khmoc « L’étang des morts ». Cet ancien bassin angkorien
associé au temple du bād juṃ. Des ossements y auraient été trouvés à proximité lors
du creusement d’un canal pendant la période des Khmers rouges. D’après Ta
Le Roi Sihanouk lui-même se plaisait à raconter à des interlocuteurs étrangers qu’à l’origine de sa
lignée royale, on ne trouvait pas un roi angkorien, mais un jardinier.
64
Village de Bāk Snaeṅ, commune de Bāk Snaeṅ, district d’Angkor Thom. Ce village se trouve à 20
km au Nord/Nord/Ouest du village de Sraḥ Sraṅ.
65
Des palmiers à sucre signalent un lieu d’habitat ancien appelé aujourd’hui gok tā gaṅ bordé au nord
par des rizières du même nom Srae Vāl Tā Gaṅ « rizières de la plaine de tā gaṅ ». Nous relevons
également une piste charretière axée nord-sud qui rejoint la digue sud du baray Oriental appelée phlūv
tā gaṅ « route de tā gaṅ » qui permet de rejoindre les rizières qui se trouvent à l’intérieur du baray. Un
génie foncier tā gaṅ est également localisé ici.
66
La forme d’un corps humain est dessinée dans les cendres, la tête dirigée vers l’ouest (lic direction
de la disparition, de la mort). Un ācāry demande trois fois « cela est-il la bonne direction ? » Sur la
réponse négative des participants à la cérémonie, l’ ācāry refait la même opération en positionnant la
tête à l’est (direction de la (re)naissance) et pose la même question. Cette fois-ci la réponse est
positive. Le défunt peut alors repartir vers un nouveau cycle de réincarnation dans la direction de l’est
(koet, direction de la naissance, du lever du jour)
98
99
Chhup67 de Sraḥ Sraṅ sud, il s’agirait d’un lieu de sépulture provisoire appelé Gok
Khmoc utilisé en attente d’une crémation68. À l'ouest de l’actuel village de Sraḥ
Sraṅ, cette tradition d’enfouissement des corps se faisait encore dans les
années 1990 autour du temple Kutiśvara appelé localement Prāsād Khmoc
« temple des morts ». D’autres références funéraires locales avaient déjà été
relevées par Aymonier à la fin du XIXe siècle 69 . En repérage dans la région
d’Angkor, il entend parler de deux légendes centrées sur le temple de Prae Rūp. On
remarque que ces deux légendes sont liées à des funérailles. Dans la première, il
s’agit de ramener les cendres du « roi lépreux » au temple de Prae Rūp. Dans la
seconde, il est question d’une « dame Bautoum » qui y organise les funérailles de
son père Sṭec Bāl « le roi ingénu », tué par Tā ph-aem.
Dans une zone où des fouilles archéologiques ont mis au jour une partie d’une
nécropole 70 , ces références funéraires pourraient signifier que les populations
locales avaient connaissance de ce particularisme et qu’elles l’ont exprimé dans une
histoire qu’elles ont inscrite dans le paysage. Celui-ci apparaît bien ici comme un
support de transmission culturelle71. Il est de même tout à fait probable que la zone
de sépulture soit plus large que celle de la zone fouillée par Groslier et Courbin.
3. L’histoire des Saṃrae d’Angkor à travers son paysage et sa toponymie
L’histoire de tā trasak ph-aem racontée dans le paysage révèle une autre
particularité. Dans un texte publié en 1941 sur des populations autochtones Saṃrae
ou Bɑ̆r, Baradat72 avait également recueilli une version de la légende de Tā Trasak
Ph-aem localisée dans une zone à l’est d’Angkor. Cette version présente trois
67
ācāry Khmoc maître de cérémonie spécialisé dans les cérémonies funéraires
Cette pratique de doubles funérailles était plus en usage autrefois. Le corps est enterré pendant une
période plus ou moins longue pour permettre à la famille de réunir assez d’argent pour faire une
cérémonie importante (pour mieux honorer le mort). Les ossements sont ensuite déterrés puis préparés
pour une grande cérémonie de crémation. Aujourd’hui, on pratique la crémation rapidement après la
mort.
69
AYMONIER, Étienne, Le Cambodge. III : le groupe d’Angkor et l’histoire, Paris, Ernest Leroux,
1904, p. 8 ; « Chronique des anciens rois du Cambodge », Excursions et Reconnaissances, n°4, 1880,
pp. 149, 152, 155 et 177 ; MOURA, Jean, Le Royaume du Cambodge, Paris, E. Leroux, 1883, t. II, pp.
22-23.
70
COURBIN, P., loc. cit., pp. 21-44.
71
Hasard ou choix conscient ? En 1974, les Khmers rouges avaient choisi la berge Nord du bassin du
Sraḥ Sraṅ pour y construire un cimetière pour honorer leurs soldats morts au combat qui les opposait
aux troupes de Lon Nol.
72
BARADAT, R., loc. cit., p. 11.
68
99
100
particularités : elle est racontée par un descendant d’une population appelée
Saṃrae, elle se déroule dans des lieux précis entre les monts Kulen et Angkor et
elle identifie le gardien des concombres doux à un Saṃrae. (...)
Questionnés à propos des Saṃrae, des habitants de Sraḥ Sraṅ et des environs
disent que des Saṃrae auraient habité à l’est d’Angkor ainsi qu’aux monts Kulen.
Pour appuyer leurs dires, ils pointent ce qui constitue un élément de preuve, un
temple de cette zone qui en porte le nom : Pandāy Saṃrae « la citadelle des
Saṃrae ». La question des origines Saṃrae est floue. Si on s'accorde à dire que des
Saṃrae ont vécu ici, les reconnaître en tant que ses propres ancêtres est plus
difficile. Le terme apparaît en effet comme n’étant pas particulièrement valorisant.
D’un endroit à l’autre, la tendance est de dire que ce sont les autres, ceux des
villages d’à côté qui auraient des origines saṃrae. Quant à soi, on préfère gommer
les différences de ses origines et se dire « Khmer ». Pour Om Chhuon originaire du
village de Sraḥ Sraṅ, le terme ā saṃrae est péjoratif, il veut avant tout dire
« paysan/quelqu’un de la rizière » anak srae, compris dans le sens de « bouseux »
ou de « plouc », quelqu’un de basse condition :
Les Saṃrae habitaient ici il y a très longtemps, peut-être depuis aussi longtemps
qu’Angkor ou après. Je ne sais pas. C’était des gens de la rizière. C’était des gens incultes.
J’ai entendu les anciens parler des Saṃrae. Il doit y avoir des descendants de Saṃrae à
Praṭāk. On dit que les gens de Praṭāk parlent d’une façon particulière parce qu’ils sont
Saṃrae.
Interrogés sur ce sujet, les gens de Praṭāk restent évasifs : « Des gens de
l’extérieur disent qu’on parle comme les Saṃrae. Mais, je ne sais pas ce que ça veut
dire. On est Khmer. » dit la grand-mère Duot du village de Praṭāk. Si les gens de
l’est d’Angkor supposés avoir des origines saṃrae se taisent sur la question, ceux
de l’ouest sont plus prolixes pour les qualifier comme tels. Le grand-père Vat du
village de Vāl fait remarquer que :
« Sur la berge est du bassin du Sraḥ Sraṅ, il y avait un petit ponton73 qu’on appelait
Kaṃbaṅ’ saṃrae. Cela veut dire que des Saṃrae vivaient là. L’histoire de Tā Trasak phaem74 se passe là. C’était un Saṃrae. Les gens qui habitent maintenant à côté, à Sraḥ Sraṅ,
Tātray, Praṭāk et Pandāy Saṃrae ont des ancêtres saṃrae. »
73
74
Ponton qui permettait un accès facile à l’eau pour la puiser, s’y baigner ou y laver le linge.
Reliant ainsi les Saṃrae à la légende de Tā trasak ph-aem.
100
101
Dès le milieu du XIXe siècle, des voyageurs et explorateurs avaient identifié des
populations dites saṃrae dans les environs d’Angkor. Le premier à en parler est
Mouhot75 qui visite Angkor en 1860. L’explorateur mentionne l’existence d’une
tribu appelée « Somrais » qui réside au nord d’Angkor en qui le roi reconnaît une
ascendance commune avec ses ancêtres, indiquant ici une référence à la légende de
Tā trasak ph-aem. Quelques années plus tard en 1863, Bastian, un ethnologue
allemand identifie des populations « Somrae » réparties en villages dans les
environs du mont Kulen. Il fait une description particulièrement intéressante de ce
groupe ethnique qui lui apparaît comme étant autochtone et qui présente la
particularité d’être composé de corvéables au service des anciens monastères
d’Angkor Vat :
« … connected with the temple of Nakon Vat is the establishment of a number of villages
inhabited by a people called samre, on the nieghbouring Khao (mountain) litchi. Whenever
some work is to be performed in the temple, the abbot sends a message to the mountains (1
½ day distant) and the required number of laborers has to be sent by the head man. … The
custom to endow a temple with slaves was prevalent over the whole continent… They were,
… mostly supplied by prisoners of war… whereas the samre belong to the aboriginal stock
of the population, inhabiting most of the hills around the lake and hence to Kampot ».76
Dans la foulée de la Mission d’exploration du Mékong menée par Doudart de
Lagrée, d’autres auteurs vont plus ou moins identifier des groupes saṃrae sur le
mont Kulen ou à ses pieds à l’est d’Angkor. Pour eux, il s’agit de populations
autochtones qui habiteraient là depuis très longtemps.
À l’occasion d’une expédition dans la forêt du plateau des monts Kulen,
Aymonier77 raconte qu’il traverse « quelques villages d’une tribu aborigène, les
Saṃrae, pauvres gens qui se montrèrent très avenants avec moi » qui, comme les
Guoys du mont Thbeng au nord-est « cultivent le riz à la mode primitive, en
75
MOUHOT, Henri, Voyages dans les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos, Paris, et autres
parties centrales de l'Indo-Chine : relation extraite du journal et de la correspondance de l'auteur par
Fernand de Lanoye, Genève, Olizane, [1868] 1999, p. 218.
76
BASTIAN, A., « A Visit to the Ruined Cities and Buildings of Cambodia », Journal of the Royal
Geographical Society of London, vol. 35, 1865, p. 81.
77
AYMONIER, É., « Une mission en Indo-Chine (relation sommaire) », Bulletin de la Société de
Géographie de Paris, 2e trimestre 1892, t. XIII, p. 231.
101
102
incendiant des carrés de forêt et en se déplaçant continuellement »78. Dans un autre
texte79, il mentionne un autre village saṃrae en plaine, « plusieurs villages, sur le
plateau des Koulen, et même dans la plaine basse, par exemple le phūmi sraḥ ṭūn
rik 80 , situé à quelques lieues à l’est d’Angkor Thom sont habités par des
représentants de la tribu aborigène des Saṃrae ». Tissandier81 évoque « quelques
familles éparses » qui ont foi dans le « culte du serpent ». Jean Moura note
également des petits villages saṃrae à Angkor : « Les Saṃrae sont originaires, et
habitent encore, en grande majorité, la province d’Angkor, juste au foyer où brilla
autrefois la civilisation des Khmers ; ils ne forment jamais des agglomérations
considérables et leurs villages ne se composent que d’une douzaine de petites cases
au plus »82. Détail intéressant quand on connaît le rôle important de Tā Trasak phaem en tant que gardien du champ royal, Moura relève que les Saṃrae occupent des
postes de gardiens qu’il s’agisse d’éléphants royaux, de temples ou de la bonzerie
d’Angkor Vat. La référence à des Saṃrae comme main-d’œuvre corvéable des
monastères d’Angkor Vat apparaît en 1908 dans un rapport de Jean Commaille83
Conservateur d’Angkor. Il écrit que : « … le Luc-Kru d’Angkor Vat possède en
propre, de par toutes les lois d’esclavage non abolies ici, 1500 familles de Samrès,
ce qui fait au moins 5000 esclaves ». Cette note nous apporte deux informations
intéressantes. Un très grand nombre de familles sont reconnues localement en tant
que Saṃrae au début du XXe siècle et elles dépendent d’une façon ou d’une autre
de l’un (ou des deux ?) monastères 84 d’Angkor Vat. Concernant le terme
78
Ibidem, p. 233.
AYMONIER, É.,, Le Cambodge. II : les provinces Siamoises, Paris, Ernest Leroux, 1901, p. 356.
80
À Sraḥ Sraṅ, Rot ne parle pas explicitement d’ancêtres Saṃrae mais elle relate avoir entendu son
arrière-grand-mère Yāy Pôm raconter qu’elle était de la souche du roi des concombres doux « būj sṭec
trasak ph-aem». D’après Rot, Yāy Pôm était originaire du village de Sraḥ Ṭūn Rik. Venue travailler à
la construction des routes des petits et grands circuits dans les années 20-30, elle s’était mariée avec un
homme de Sraḥ Sraṅ et s’y était établie.
81
« Les habitants d’origine étaient composés de peuplades sauvages qu’on suppose avoir été les
Sâmrés dont on trouve encore actuellement quelques familles éparses qui habitent dans les forêts de la
province d’Angkor. Ces Sâmrés avaient foi dans le culte du serpent, ils furent subjugués par une
invasion du peuple kham (500 av. JC) d’après les annales khmères » in TISSANDIER, Albert, Cambodge
et Java: ruines khmères et javanaises, 1893-1894. Paris, G. Masson, 1896, p.18.
82
MOURA, J.,, op. cit., vol. 1, pp. 407-411.
83
Rapport de la conservation d’Angkor, Décembre 1908.
84
Cette référence à un monastère qui possède des esclaves avait été relevée par A. Leclère dans un
document du XVIIe siècle, où il est mentionné un ordre du roi d’affecter quarante familles d’esclaves
royaux à un monastère situé sur une rive du Mékong. Il s’agit ici de familles réduites en esclavage
suite à la faute grave d’un de leurs ancêtres. A. Leclère, « Mémoire sur une charte de fondation d'un
monastère bouddhique où il est question du roi du Feu et du roi de l'Eau », Comptes-rendus de
79
102
103
« esclave », il convient de le considérer dans le contexte particulier à l’Asie du SudEst où différentes formes de relation de dépendance existent.
Ce que nous traduisons par « esclavage » est attesté au Cambodge depuis au
moins la période angkorienne comme l’a relaté le chinois Tchou Ta Kuan en
voyage à Angkor en 1296. Dans ces corvéables au service des dieux des rois, ou de
personnages importants, des catégories existaient. En 1875, Aymonier85 décrit trois
types d’esclaves : les « serviteurs » qui sont des esclaves pour dettes, les
« sauvages » bnaṅ ou sdīeṅ dont la traite est l’affaire des Laotiens et les esclaves
royaux héréditaires qui sont les descendants de grands criminels ou rebelles ou des
prisonniers de guerre. Certains des esclaves de cette dernière catégorie sont affectés
à l’entretien des pagodes. Ils sont libres de cultiver des terres et d’habiter où bon
leur semble, mais ils doivent trois ou quatre mois de service à leur maître par an.
Cette dernière catégorie pourrait être intéressante à explorer dans le cas des Saṃrae
de la région d’Angkor. Nous avons ici en effet un groupe particulier installé dans la
région depuis longtemps, qui vit apparemment librement sur des terres dispersées et
qui était encore au début du XXe siècle corvéable d’un monastère de façon
occasionnelle. Le terme saṃrae pourrait référer aussi bien à une catégorie sociale
qu’à un groupe ethnique. D’après Michel Antelme86, saṃrae aurait ainsi d’abord
désigné une activité de riziculteurs affectés à des ermitages avant de devenir un
ethnonyme. On peut ainsi supposer qu’étant donné l’importance d’Angkor Vat en
tant que centre religieux régional au moins depuis le XVIIe siècle, une maind’œuvre importante devait y être employée de façon servile ou tributaire. Dans les
entretiens menés auprès des villageois, cette relation n’apparaît pas clairement, soit
qu’elle a été effacée des mémoires pour permettre aux Saṃrae corvéables de se
fondre dans la masse des hommes libres, soit parce que la relation avec les
monastères était assez lâche. Il pourrait ainsi s’agir de familles liées à un monastère
à qui elles donnaient une force de travail et une partie des récoltes en échange de
mérites (du moins à une époque récente). Nous avons collecté sur le terrain
quelques données qui pourraient aller dans ce sens. Dans les années 1990, nous
avions observé qu’à l’occasion du Nouvel An, des familles des villages de Sraḥ
Sraṅ et de Rahāl se rendaient à la sālā ou « salle commune » du village de Sraḥ
l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 47e année, n°4, 1903 pp 369-378 ; MIKAELIAN, Grégory
« Le souverain des Kambujā, ses neveux jörai, ses dépendants kuoy et pear. Un aperçu de la double
légitimation du pouvoir dans le Cambodge du XVIIe siècle », Péninsule, n°71, 2015 (2), pp. 35-75.
85
AYMONIER, É, Notice sur le Cambodge, Paris, Ernest Leroux, 1875, p. 53.
86
ANTELME, Michel, « Des varṇṇāśrama angkoriens aux peuples péariques du Cambodge postangkorien, une possible trace d’une institution angkorienne dans le lexique moderne et
contemporain », Péninsule, no 65, 2012 (2), pp. 101-144.
103
104
Sraṅ pour apporter un panier de leur propre récolte de riz. Cette cérémonie
apparemment très ancienne consiste à réunir les paddy des familles en cinq monts
de paddy (bhnaṃ srūv) qui sont ensuite donnés aux supérieurs des deux monastères
d’Angkor Vat87. Lors d’un voyage à Angkor en 1901-1902, Carpeaux88 évalue à
200 le nombre des moines qui habitent dans les monastères d’Angkor Vat. Leur
entretien reposait en partie sur les offrandes des pèlerins, leur propre travail dans les
rizières, mais aussi probablement sur les offrandes et les bras des paysans des
villages environnants. Deux toponymes ont gardé la mémoire d’un lien entre les
monastères et des terres agricoles. Un grand terrain rizicole à l’ouest du village de
Rahāl s’appelle Srae Vatt « la rizière du monastère » et un autre à l’ouest du Phnom
Bakhaeng porte le nom de Srae Lok Saṅgh « la rizière des moines ». D’après les
données que nous avons recueillies auprès des populations locales, ces terres
appartenaient aux monastères d’Angkor Vat nord et d’Angkor Vat sud ainsi que
celui de Pandāy Ktī. Les monastères possédaient des bœufs et des charrettes pour
les travaux des champs. Tā Tep du village de Rahāl raconte qu’il a entendu ses
parents raconter qu’ils étaient réquisitionnés – kāèn – pour aller travailler dans de
rizières parfois situées fort loin qui appartenaient à des monastères. La question des
5000 Saṃrae attachés à un monastère d’Angkor Vat relevé par Commaille en 1908
prend peut-être ici forme. Il pourrait s’agir de paysans d’un groupe social particulier
dispersés sur un large territoire, qui donnaient des journées de corvée à un
monastère, qui était lui-même propriétaire de terrains agricoles. On ne trouve plus
personne aujourd’hui dans la région pour se revendiquer comme ayant des ancêtres
saṃrae. Pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, l’assimilation des
Saṃrae avec les Khmers est désormais totale.
Elle était apparemment déjà très engagée à la fin du XIXe siècle pour que Lunet de
la Jonquière en fasse mention89. Il relève « deux ou trois hameaux… habités par
quelques familles de Somrés » dans la partie sud du plateau des Kulen qui ont déjà
« perdu tout caractère propre et se fondent maintenant, dans la masse des
populations cambodgiennes ».
CONCLUSION
87
Il y a actuellement deux monastères à Angkor Vat : le monastère nord et le monastère sud.
CARPEAUX, Charles, Les ruines d'Angkor, de Duong-Duong et de Myson (Cambodge et Annam) :
lettres, journal de route et clichés photographiques (publiés par Mme J.-B. Carpeaux), A. Challamel,
1908, p.51.
89
LUNET DE LA JONQUIERE, Ernest, « De Saïgon à Singapour, par Angkor, autour du golfe de Siam »,
Le Tour du monde, 1910, p. 405.
88
104
105
Ces quelques exemples montrent comment des populations se sont appuyées sur
des éléments du paysage pour transmettre de façon dynamique des fragments des
temps passés ainsi que des légendes. Si jusqu’alors, les habitants des villages du site
d’Angkor ont été peu écoutés90, il faut aussi espérer qu’un rôle de transmetteur et de
gardien de traditions leur sera un jour explicitement reconnu. Définir le site comme
patrimoine « vivant »91 c’est en effet admettre qu’il continue de s’inscrire dans
l’évolution de la société khmère : un chaînon dans une chaîne de transmission qui a
traversé les époques et à laquelle les pratiques quotidiennes des populations locales
restent liées. Au contraire, figer Angkor au temps de la « découverte » coloniale, ne
voulant considérer que des monuments pris dans la jungle et ne les rapporter qu’à la
royauté ancienne et aux religions universalistes, est réduire considérablement sa
portée réelle et s’interdire de comprendre la relation du site avec la société qui l’a
conçu et habité. On pourrait arguer que ce qu’on appelle ici la transmission
comprend de nombreuses reformulations et qu’elle ne saurait rendre d’un état précis
du passé. C’est pourtant ce qu’il nous apparaît intéressant de rendre compte ici : une
transmission culturelle dynamique dont chaque génération est à la fois l’héritière et
l’artisan.
90
Des recherches sur les populations d’Angkor ont toutefois déjà donné lieu à des publications. Citons
notamment ANG, Chouléan, Cause of Khmer lifetime through the Rite of Passage, Phnom Penh,
Hanuman Tourism, 2007 ; SOKRITHY, Im, Social values and community content. Living with Heritage:
Report of the Living With Heritage Technical Committee, APSARA Authority, 2007, pp. 22-26 ;
MIURA,,Keiko. Contested Heritage: People of Angkor, University of London, 2004, 266 p.; ANG,
Chouléan ; THOMPSON, Ashley ; PRENOWITZ Eric. Angkor: A Manual for the Past, Present and Future.
Phnom Penh: APSARA/UNESCO, 1998, 264 p.
91
C’est ce que préconise l’ICCROM : http://www.iccrom.org/fra/prog_fr/4people-centeredappr_fr.shtml
105
106
BIBLIOGRAPHIE
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