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81 Péninsule 73 (2016-2) pp 81-108 Fabienne LUCO∗ ANGKOR OU LE PAYSAGE PALIMPSESTE : Les traces dans le paysage comme supports à la transmission d’histoires Introduction « Amnésie », le terme ne cesse de revenir dans les propos des Occidentaux – des premiers temps de la colonisation jusqu’à nos jours — pour évoquer les difficultés rencontrées dès lors que l’on entend appréhender auprès des Cambodgiens une mémoire historique et généalogique, qu’elle soit écrite ou orale. Du côté des écrits, force est de constater que les textes sont rares au Cambodge. Hormis ceux gravés dans la pierre pendant la période angkorienne qui glorifient les divinités et rois, peu d’écrits anciens sur feuilles de latanier ont survécu au temps, au climat, aux insectes ainsi qu’aux aléas de l’histoire1. L’exploration de l’oralité se révèle également difficile. Déjà, à la fin du XIXe siècle, les explorateurs et les « savants » étrangers s’étonnaient que les paysans qui vivaient aux pieds des vestiges angkoriens n’en racontaient rien hormis quelques légendes qui semblaient faire pâle figure à côté de la grande histoire chronologique qu’ils attendaient2. Plus récemment, les chercheurs en sciences sociales ont évoqué Anthropologue rattachée au Centre Asie du Sud-Est (UMR 8170, CNRS/EHESS). Relevons les effets des invasions siamoises et vietnamiennes des siècles passés et plus récemment les effets de la politique des Khmers rouge qui entendait faire table rase des éléments du passé (Entre 1975-1979, la majorité des documents administratifs ainsi que les collections de manuscrits essentiellement religieux constituées entre le XIXe et au début du XXe siècle et conservées dans les monastères ont ainsi disparu suite à l'incurie, la destruction ou le recyclage (emballage, feu pour alimenter un foyer,...)). 2 Dans la dernière moitié du XIXe siècle, Louis de Carné, attaché au Ministère des Affaires Etrangères à l’expédition française d’exploration du Mékong commandée par Ernest Doudart de Lagrée écrit : ∗ 1 81 82 un caractère « fluide » de la société khmère, pour décrire des relations sociales promptes à se dissoudre ainsi que la difficulté à établir des généalogies qui remontent loin dans le temps3. De fait, les supports de l’écrit et de l’oral étant généralement évoqués comme devant être les principaux vecteurs de la transmission culturelle, cette prétendue « amnésie » cambodgienne ne cesse d’intriguer voire de déranger. Si l’on admet que la culture, en tant que construction humaine, se présente comme une réalité collective propre à un groupe qui oriente et donne un sens aux conduites de chacun au travers de croyances, représentations, valeurs et normes, il convient de s’interroger sur les modalités de transmission d’une « culture khmère », sur son mode de pérennisation et de reformulation. En dehors des supports traditionnels explicites — écrits et oraux — communément répertoriés, il m’a semblé intéressant de rechercher d’autres vecteurs, implicites, de transmission des pratiques sociales et des représentations culturelles dans l’univers cambodgien. Au fil de mes lectures en France ainsi que des observations de terrain au Cambodge, j’ai commencé à explorer en quoi l’espace, vécu, représenté et raconté aujourd’hui, pouvait jouer un rôle de support à la transmission sociale et culturelle. Depuis quelques décennies, des chercheurs, issus de disciplines variées telles que l’architecture, l’urbanisme, la géographie, l’histoire et l’anthropologie, ont entamé des études sur l’espace en tant qu’objet caractérisé. Des anthropologues ont montré que la façon de vivre l’espace au quotidien, dans le monde rural ou dans l’univers urbain, était un constituant essentiel de toute culture et participait de sa perpétuation, de sa reproduction, mais aussi de sa reformulation4. « Quand aux Cambodgiens, ils ne savent rien de leurs origines et rien de leur histoire. Déchus comme ils le sont, ils n’imaginent pas que leurs pères aient été capables de construire les monuments dont les ruines couvrent le sol de leur pays. » v. CARNE (de) Louis, Voyage en Indochine et dans l’empire chinois, Paris, E. Dentu, 1872, p. 14. Récemment, avec l’ouverture du procès des Khmers Rouges en 2006, le terme « amnésie collective » est apparu dans les propos de nombreuses Organisations Non Gouvernementales (ONG) et Cambodgiens de l’étranger à propos de la période khmère rouge. Le cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh invoque ainsi « le devoir de mémoire » pour « résister à l’amnésie ». 3 EBIHARA, May, Svay, a Khmer village in Cambodia. Ph. D. dissertation, Department of Anthropology, Columbia University, 1968, 705 p. ; MARTEL, Gabrielle, Lovea, village des environs d’Angkor : Aspects démographiques, économiques, et sociologiques du monde rural cambodgien dans la province de Siem-Réap, Paris, EFEO, PEFEO vol. XCVIII, 1975, 353 p. + pl. ; OVESEN, Jan ; TRANKELL, Ing-Britt ; OJENDAL, Joakim, When every household is an island: social organization and power structures in rural Cambodia, Uppsala, Sweden, Dept. of Cultural Anthropology, Uppsala University, Stockholm, Sida, 1996, 99 p. 4 On trouvera dans l’ouvrage dirigé par Françoise Paul-Levy et Marion Segaud une anthologie de textes qui décrivent comment, dans des cultures différentes, les hommes transforment l’espace en 82 83 Plus spécifiquement en Asie du Sud Est, des anthropologues et des architectes ont travaillé sur les relations entre espace et société. Je citerai les travaux publiés par Christian Taillard5, ceux de Bernard Formoso en Thaïlande6 ainsi que ceux de Sophie et Pierre Clément7 au Laos et de Nathalie Lancret8 à Bali. Ces travaux ont montré combien la question de la construction des maisons et de la façon de vivre l’espace domestique selon des représentations spatiales spécifiques rendait compte d’une organisation sociale particulière. Au Cambodge, la question des rapports entre espace et société a encore été peu explorée. Quelques chercheurs ont ouvert la voie en collectant des données sur la construction des maisons et sur les rituels qui l’accompagnent9. L’importance de la symbolique des orientations cardinales a déjà été relevée par des historiens de l’art ou des architectes, mais essentiellement à propos de vestiges d’édifices religieux, ici les grands temples angkoriens. Mais, au-delà du cadre de la maison et du temple, l’étude spatiale de la distribution des hommes et des divinités, de leurs interactions, de la composition et de la recomposition des groupes sociaux dans le territoire a été peu étudiée. Il m’est ainsi apparu qu’une lecture de la spatialité de la société cambodgienne pourrait apporter des clés nouvelles à la compréhension d’un monde qui apparaît se dérober à l’analyse avec les grilles classiques. Des traits culturels et des règles fonction de leurs représentations symboliques : PAUL-LEVY, Françoise & SEGAUD, Marion, Anthropologie de l’espace, Paris, Centre G. Pompidou, Centre de Création Industrielle, 1983, 345 p. 5 TAILLARD, Christian ; MATRAS, Jacqueline, Espace social et analyse des sociétés en Asie du Sud-Est, ASEMI VIII-2, 1977, 195 p. ; IDEM, Habitations et habitat d’Asie du Sud-Est continentale : pratiques et représentations de l’espace, Paris, L’Harmattan, coll. «Recherches asiatiques», 1992, 431 p. 6 FORMOSO, Bernard, « Du corps humain à l’espace humanisé : système de référence et représentation de l’espace dans deux villages du Nord-Est de la Thaïlande », Etudes Rurales (107-108), 1987, pp. 137-170. 7 CLÉMENT-CHARPENTIER, Sophie et CLÉMENT, Pierre, L’habitation lao dans les régions de Ventiane et de Luang Prabang, Paris, Peteers, 1990, 388 p. 8 LANCRET, Nathalie, La maison balinaise en secteur urbain. Etude ethno-architecturale, Éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1998, 306 p. 9 GITEAU, Madeleine, « Un court traité d’architecture cambodgienne moderne », Arts Asiatiques, vol. XXIV, 1971, pp. 103-147 ; POREE-MASPERO, Eveline, « Kron Pali et les rites de la maison », Anthropos 56, 1961, pp. 103-147 ; NEPOTE, Jacques, (Edition de) : Huy Pan, (2003-2004) « La maison cambodgienne ? Choix du terrain, prescriptions et typologie », Péninsule n°47, 2003 (2), pp. 47-92 ; IDEM, « La maison cambodgienne : (I), Etat de la question et typologie », Péninsule n°47, 2003 (2), pp. 91-154 ; IDEM, « (II), A la recherche du sens », Péninsule 49, 2004 (2), pp. 5-95. ; BITARD, Pierre, « Etudes Khmères : introduction, Traité de la construction des maisons », B.S.E.I., vol. XXX (2), 1955, pp 146-149. 83 84 sociales se lisent ainsi dans des compositions et représentations spatiales domestiques et religieuses (maison/temple/hameau/village/petit pays). Dans le cadre de cet article, je propose d’explorer plus spécifiquement le rapport au temps à partir du territoire en me demandant en quoi le paysage pourrait servir de support à la transmission d’éléments du passé, qu’il s’agisse d’histoires légendaires, ou d’histoires vécues. Pour trouver des éléments de réponse à cette question, j’ai puisé dans des matériaux de terrain collectés entre 1994 et 200510 auprès de populations qui habitent dans un lieu très fortement marqué par des aménagements humains anciens : le sruk « petit pays » de Sraḥ Sraṅ situé dans le site archéologique d’Angkor11. I. LA REPRESENTATION DU TEMPS POUR LES HABITANTS D’ANGKOR Avant de se pencher sur la question de l’espace comme support à la transmission d’éléments du passé, il convient en premier lieu d’apporter quelques éléments sur la façon dont le temps est ici perçu. Tout d’abord, concernant cette question d’amnésie cambodgienne, on remarque en effet qu’au quotidien, le rappel des histoires du passé au sein des familles dans un souci de transmission n’est pas particulièrement prôné. On peut à cet effet rappeler le contexte religieux. Dans ce pays d’influence bouddhiste où la notion de l’impermanence est fondamentale, le passé est considéré comme étant révolu ruoc hoey. Nul besoin ici d’essayer de se remémorer le passé pour tenter de le « réparer » comme c'est le cas en Occident avec la création de nombreux évènements commémoratifs. Ce n’est pas dans le passé, mais c’est vers le futur que l’attention se porte. L’action est certes passée, mais ses effets bons ou mauvais (karma) continuent inexorablement leur chemin pour éclore dans une prochaine incarnation. L’accent est ainsi plus porté sur les actes d’aujourd’hui qui vont conditionner la prochaine incarnation que sur les faits du passé. Le but ultime étant de tendre à l’extinction du karma, c’est-à-dire de se libérer des miasmes du passé, il apparait que la réactivation des actions passées par la mémoire n’est donc pas particulièrement sollicitée. On peut également noter que des actions du passé ne sont pas ici conçues de façon linéaire, mais plus sous forme d’îlots de temps. Un instant se trouve avant ou après 10 Dans le cadre d’une thèse de Doctorat en Anthropologie sociale (EHESS). (...) Le sruk « le petit pays » Sraḥ Sraṅ est ici compris en tant qu'ensemble social cohérent. il inclut les villages de Sraḥ Sraṅ Nord, Sraḥ Sraṅ Sud, Rahal et Kravan. 11 84 85 un autre instant, sans précision claire du temps qui les sépare. Il a une existence qui lui est propre, qui ne dure qu’un moment. Dans les discours des habitants du petit pays de Sraḥ Sraṅ, on relève que le temps passé, ou plutôt devrait-on plutôt dire les temps passés sont tout d’abord appréhendés en deux grands moments distincts, l’îlot/temps Angkor lointain (le temps merveilleux des divinités et des rois, le temps des origines, la période glorieuse,) et l’îlot/temps proche de soi (le temps des hommes et de leurs ancêtres connus, le passé proche vécu et raconté). On relate des moments autonomes sā māy, à qui on associe des bribes d’histoires ainsi que des légendes sans chercher à établir un lien chronologique particulier entre elles. À celui qui demande plus de précisions, d’autres découpages sont alors donnés : « la période d’Angkor », « la période des Français », « la période du Saṅgam rāstr niyam 12 », « la période des A Pot (Khmers rouges) », « la période des Vietnamiens »…. Du temps lointain et mythique d’Angkor 13 , on raconte essentiellement des histoires légendaires. De l’îlot centré sur les hommes actuels, leurs parents et leurs grands-parents, on rapporte des histoires vécues. À l’image de ce qui est attesté pour l’Inde14, le temps se développe comme une nébuleuse galactique où les évènements anciens et à venir se répètent et se succèdent dans un mouvement cyclique qui n’a pas de commencement ni de fin. On peut alors concevoir des évènements à la fois sous une forme successive et simultanée. Certaines histoires sont ainsi parfois difficiles à situer dans le temps parce qu’elles apparaissent comme étant récurrentes. On raconte par exemple les troubles causés par la venue de « Siamois » dans le passé. Ces évènements qui ont eu lieu à différents moments sont souvent réunis en une seule histoire, peu importe sa localisation chronologique dans le temps. On sait simplement « qu’il y a longtemps, les Siamois sont venus ». Pour l’historien, il est difficile de déterminer s’il s’agit ici d’une attaque d’Angkor par les Siamois vers le XIVe siècle, de razzias siamoises au cours des siècles suivants, de la mise sous tutelle siamoise de la 12 saṅgam rāstr niyam « Communauté socialiste populaire» mis en place par le prince Sihanouk entre 1955 et 1970. 13 Le temps d’Angkor est situé très loin dans le passé. Le terme Angkor utilisé comme marqueur temporel est compris comme étant le temps des origines. tāṃṅ bī aṅgar « depuis Angkor » ou bien tāṃṅ bī ṭoem « depuis l’origine ». Devant l’interlocuteur qui demande une précision temporelle, On donne parfois une donnée mais qui n’a pas de réelle valeur chronologique. Elle signifie simplement un temps long qui dépasse la durée de vie d’une personne, « c’était il y a 100 ans », ou « il y a 500 ans », ou 1000 ans, peu importe, c’était bien avant la naissance des grands-parents. 14 FILLIOZAT, Jean, « Le temps et l’espace dans les conceptions du monde indien », Revue de Synthèse, Paris, Albin Michel, Juillet/Décembre 1969, 3e série, t. XC, pp.170-184. 85 86 province de Siem Reap au XIXe siècle ou bien de l’occupation de la province de Siem Reap par les Thaïs pendant la Seconde Guerre mondiale. On pourrait ici reprendre l’expression de Benedict Anderson qui évoque un « temps simultané15 » pour parler de systèmes anciens de représentation du temps. Que raconte-t-on et comment transmet-on alors les histoires dans le petit pays de Sraḥ Sraṅ ? II. LES HISTOIRES LEGENDAIRES ACCROCHEES AUX VESTIGES ANGKORIENS 1. Un terreau propice Pour parler des histoires passées, on remarque que le discours des gens du petit pays de Sraḥ Sraṅ s’enrichit quand il prend appui sur des éléments particuliers du paysage. En voyageant à travers le Cambodge, on relève que nombre d’histoires sont en effet racontées à partir de formes particulières du paysage, montagne, bassins, buttes de terre, emplacement d’un génie foncier ou bien de toponymes. La particularité du paysage d’Angkor est qu’il est marqué par de nombreuses traces de formidables aménagements humains d’un temps passé 16 dont ne subsiste17 qu’un grand squelette de terre (routes et système hydraulique) ponctué d’édifices grandioses (temples) construits pour la pérennité dans la pierre/brique pour les dieux. Ces vestiges apparaissent comme autant de « supports matériels » où accrocher des histoires. Ainsi, ici plus qu’ailleurs au Cambodge, on relève de nombreuses légendes racontées à partir des temples. Pour les populations locales, ces édifices aussi imposants, magnifiques et complexes ne peuvent avoir été construits que par et pour des divinités ou des êtres d’exception18. Ils rendent 15 Benedict Anderson définit deux systèmes culturels qui existaient avant les États-nations modernes : la communauté religieuse et le royaume dynastique. Dans ces systèmes anciens, le temps était appréhendé de façon simultanée (le passé et le présent sont réunis dans un présent instantané). Dans le système moderne, le temps est conçu de façon « vide et homogène » et organisé linéairement sur une base calendaire. ANDERSON, Benedict, Imagined communities: reflexion on the origin and spread of nationalism, London/New-York, Verso, 2006, 224 p. 16 Puisque site de capitales royales qui se sont succédées entre le IXe et le XVe siècles. 17 Les habitations anciennes des hommes, construites en matériaux périssables à l’image des humains, ont quand à elles disparu sans laisser de traces visibles dans le paysage : bois, bambou, paillote, feuilles de palmier à sucre qui n’ont pas résisté au climat et aux insectes. 18 Remarquons que les temples angkoriens sont peu visités par les populations locales. Ces constructions grandioses sont la manifestation des puissances religieuses avec lesquelles on ne sait pas toujours comment communiquer. En effet, on ne connaît pas les rituels associés aux divinités pour lesquelles les temples anciens ont été construits. Entrer dans une construction où les pierres consacrées 86 87 compte d’un temps mythique dans lequel les hommes, les divinités et êtres surnaturels évoluaient de conserve. À l’inverse, on remarque que sans points d’ancrage spatiaux, la mémoire ou les histoires paraissent s’effacer. Ainsi, les temps qui précèdent et qui suivent Angkor sont silencieux. On peut associer cette amnésie au manque d’éléments marquants dans le paysage permettant d’y accrocher un discours. En effet, les constructions végétales qui précédaient et qui ont suivi l’abandon d’Angkor en tant que capitale royale n’ont pas laissé de traces visibles19. Dans une autre « civilisation du végétal » qui est le Japon, Augustin Berque20 évoque « l’allègement du temps » quand celuici ne peut s’appuyer sur des traces pour fixer l’histoire. Plus proche de nous, à l’époque contemporaine, c’est-à-dire à partir du temps des ancêtres, le discours s’étoffe à nouveau. Nous quittons les histoires légendaires pour entrer dans les histoires vécues. Dans ce temps des hommes, le discours s’appuie également sur des traces dans le paysage pour parler des histoires du passé. Il s’agit ici d’empreintes plus discrètes comme des reliefs particuliers d’un terrain habité, cultivé ou planté par des hommes. (dans ce qui suit - inversion de paragraphes) Concernant les légendes, on remarque qu’elles se transmettent et se dupliquent dans le territoire de façon vivante. Une même histoire peut être racontée dans des lieux différents, mais tout en se reformulant. Ainsi, les noms des personnages, les lieux, les détails évoluent dans le temps et dans l’espace. Selon la mémoire ou la sont encore « chargées » en « puissance magique » pāramī et ne pas savoir comment rendre un culte à ces divinités peut s’avérer funeste (les divinités mécontentes pourraient envoyer des punitions sous forme de maladies ou de malheurs répétés ). À cela vient s’ajouter le fait que dans ce monde de l’impermanence bouddhique, les traces du passé peuvent être assimilées à des miasmes, à des traces karmiques qui pourraient éclore à tout moment et menacer l’ordre établi. La visite ainsi que la préservation des édifices anciens ne sont donc pas particulièrement encouragés. Ainsi, plutôt que de restaurer une maison ancienne, on préfère construire une maison neuve et laisser l’ancienne maison s’anéantir dans la nature, à la ressemblance du corps physique d’un homme qui disparaît à sa mort. Les anciennes pagodes vihār en bois étaient autrefois détruites pour être reconstruites à neuf quand elles présentaient des signes de détérioration. Des arbres plantés autour de la pagode au moment de la construction arrivaient à maturité une cinquantaine d’années plus tard et pouvaient ainsi être utilisés comme bois d’œuvre. Une nouvelle construction permet de plus de recommencer un nouveau cycle et offre aux donateurs la possibilité d’accomplir un grand acte méritoire dont ils pourront profiter dans une prochaine incarnation. 19 Les populations locales rattachent les vestiges des terrasses bouddhiques ou les cetiy (attribués à la période post-angkorienne ou période moyenne par les chercheurs) à la période d’Angkor. Ainsi, tout ce qui est construit en dur et qui semble ancien est dit « Angkor ». 20 BERQUE, Augustin, Le japon, gestion de l’espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976, 344 p. 87 88 personnalité du conteur et le fait que celui-ci ait eu ou non accès à des textes écrits, on note que les histoires se sont enrichies ou appauvries, amalgamées avec d’autres histoires ou bien ont été découpées en plusieurs histoires autonomes. Dans le paysage particulier d’Angkor, il nous apparaît que l’importance et la monumentalité des vestiges attribués une la période ancienne prestigieuse auraient incité à une "production" d’histoires plus importante qu’ailleurs. Les habitants actuels des villages d’Angkor auraient construit un discours sur Angkor en puisant dans leurs références culturelles 21 , faites de mythes et d’histoires légendaires, d’évènements historiques transmis, interprétés inconsciemment, appris tardivement (notamment des travaux des chercheurs français) ou encore, d’évènements vécus localement. Dans ce processus de transmission des passés dans le territoire, les toponymes occupent une place particulièrement importante. On peut lire des formes d’occupations foncières anciennes (hameaux et terres plantées) dans les noms actuels de lieux qui ont gardé la mémoire des noms d’anciens habitants ou exploitants agricoles. On peut également retrouver des échos d’histoires locales dans des noms qui ont fixé ces histoires. Dans une étude sur les noms des monuments cambodgiens, Saveros Pou 22 remarque ainsi que les noms donnés actuellement aux monuments ne sont pas ceux mentionnés dans l’épigraphie. Ce qui compose la culture actuelle, ce que Saveros Pou appelle, peut-être de façon réductrice, le « folklore », est un mélange de traditions qui contiennent des faits historiques assimilés graduellement et de façon inconsciente mêlés à de nouveaux éléments historiques récents intégrés par une société en évolution qui va s’en servir pour reconstruire ou même restructurer une nouvelle culture23. 21 Peu importe que ces légendes soient ou non spécifiquement « Angkoriennes » au sens historique ou géographique du terme, elles sont partie intégrante du fonds culturel des populations actuelles et ceci dans un cadre spatial plus large que le périmètre physique de ce qui est aujourd’hui défini comme le parc archéologique d’Angkor. 22 « D’anciens Prāsād accueillent aujourd’hui souvent des génies et des divinités brahmaniques mineures. Leurs noms originels sont depuis longtemps sortis de la mémoire locale. Ils ont parfois été renommés par les villageois plus au gré de l’histoire locale que des véritables circonstances de leur création. », v. POU, Saveros, From old Khmer epigraphy to popular traditions : a study in the names of cambodian monuments, Hull, University of Hull, 1990, p. 10. 23 Saveros Pou désigne par « late mythology », la recomposition que les Khmers ont faite de l’histoire d’Angkor. « The turning point of the civilization of Angkor is the fall of Angkor together with the collapse of the spiritual heritage of ancient Cambodia. (…) If Angkor has ceased to be the political center of Cambodia, it has on the other hand survived in the mind and heart of Cambodians. Khmer people lacking a strong political leadership relied upon themselves freely to reconstruct their history, 88 89 Les histoires légendaires et les contes participent à la transmission de règles sociales qui se lisent dans les épisodes de la vie des rois, des dieux et autres personnages24. Ce fonds culturel existe sous une forme écrite, mais véhiculé le plus souvent de façon orale dans les villages ou à l’école. Une écoute attentive de ces histoires permet de relever qu’elles ne sont le plus souvent pas particulières au lieu, mais qu’elles font partie d’un répertoire commun à un ensemble géographique et culturel plus large25. Nombre de ces légendes ont en effet déjà été consignées par écrit dans des temps plus anciens. Ainsi, l’essentiel des histoires légendaires qui sont racontées aujourd’hui par les conteurs d’Angkor est contenu dans les textes des « Chroniques royales »26. 2. Le mythe de fondation du royaume et autres récits De ces compilations écrites, on retrouve par exemple des parties de la légende du roi Braḥ Thoṅ 27 , du roi Braḥ Ketu Mālā 28 , de Tā Brahm Kil 29 , de Tɑṃpaṅ using less actual facts than notions and ideas, which now form their new beliefs and faith. In turmoil and even distress, they still adhered to three spiritual guidelines, i.e.; the teaching of Theravada’s Buddha, the glory of Rama and the Glory of Angkor. Their imagination provided many missing links between fragmentary facts they had been able to memorize, hence, the emergence of many myths surrounding ancient monuments. », v. POU, S., ibid. 24 On y apprend par exemple les principes de respect de l'ordre social ainsi que de la possibilité pour ceux qui seraient nés pauvres mais "marquées de signes" de retrouver la place qui leur est due. 25 “This late mythology (…) has played an important part in the culture of medieval Cambodia. It is contained not only in the present-day oral traditions current on both sides of Dangraek range (well known in Surin, Thaïland) but also in the literature in Middle Khmer, particularly in the epic genre.” (POU, S., ibid). 26 Recueil de textes rédigés à partir du XVIIIe siècle par des fonctionnaires royaux et des moines bouddhistes qui s’appuient sur des écrits et sur la tradition orale. Les petits textes mis bout à bout chronologiquement racontent des règnes de rois. Il en existe plusieurs copies qui proviennent ellesmêmes de versions différentes. Voir entre autres : MAK, Phoeun, Chroniques royales du Cambodge: des origines légendaires jusqu’à Paramaraja 1er : Traduction française avec comparaison des différentes versions et introduction, Paris, EFEO, 1984, 465 p. et Chroniques royales du Cambodge de 1594 à 1677 : Traduction française avec comparaison des différentes versions et introduction, Paris, EFEO, 1981, 524 p. ou SOK, Khin, Chroniques Royales du Cambodge (de Bañā Yāt à la prise de Laṅvaek) (de 1417 à 1595), Collection de textes et documents sur l'Indochine XIII, EFEO, Paris, 1988, 471 p. 27 Règne de l’Auguste Thoṅ (MAK, Ph., Des origines légendaires […], op. cit., p. 12). 28 Règne de l’Auguste Ketumālā (ibid., p. 63). L’histoire est racontée à partir du temple d’Angkor Vat. 29 L’histoire est racontée à partir d’un petit temple appelé du nom de la légende tā brahm kil, situé à l’Ouest d’Angkor Vat. 89 90 Krañūṅ30, Sṭec Ganlaṅ 31(...), qui sont ici racontées à partir de temples angkoriens. Ces légendes qui étaient peut-être surtout racontées oralement dans les temps anciens ont été consignées par écrit puis ont été maintes fois recopiées sur de nouvelles feuilles de latanier dans les monastères bouddhiques. Ce qui était le cas des nombreux manuscrits conservés dans les monastères d’Angkor Vat. Les hommes qui prenaient la robe de moine dans le passé y avaient accès32. Dans la tradition de l’apprentissage cambodgien, les moines apprenaient les textes par cœur pour les réciter ensuite oralement. Il s’en suivait un aller-retour entre le texte écrit sur feuilles de latanier et le texte oral raconté à partir d’un élément du paysage. Le texte écrit restait toutefois la référence qui servira à revivifier le texte raconté oralement. Nous recueillons aujourd’hui les échos et les reformulations de ces textes dans les récitations des conteurs actuels. Pour les gens du peuple qui ne sont pas passés par les monastères, la tradition est uniquement orale. Il s’agit ici d’histoires racontées par les anciens « ḹ cās » cās » niyāy » « j’ai entendu les anciens raconter ». Dans les villages d’Angkor, seuls quelques anciens connaissent encore les grandes lignes des légendes, mais ils sont souvent réticents à les raconter. Savoir, c’est réciter par cœur. Lors des enregistrements, les conteurs insistaient bien sur le fait qu’ils ne savaient pas raconter l’histoire par cœur, mais qu’ils pouvaient tout au plus en donner le résumé. Ce savoir populaire déjà fortement érodé est en passe de disparaître avec l’apparition soudaine de la télévision et des smart phones qui éclipsent les derniers conteurs. Faute d’être pratiquée souvent, cette connaissance mnémotechnique ne se transmet plus que de façon décousue. Les histoires sont alors racontées avec des variantes dues aux trous de mémoire, à l’origine du texte, aux recompositions dues à la personnalité du conteur. Il est difficile de faire la part entre ce qui a été transmis oralement et ce qui a été appris des textes sur feuilles de latanier conservés et recopiés dans les monastères d’Angkor Vat. Nous nous accordons avec la position de base de Solange Thierry qui parle d’une double transmission, écrite et orale33. À cela, nous y ajoutons que cette transmission est plus opérante quand elle s’appuie sur des éléments physiques du paysage. 30 Règne de Taṃpaṅ krañūṅ l’usurpateur (ibid., p. 95) Règne de sa majesté Saṅkhacakr (ibid., p. 91) L’histoire est racontée à partir du temple du Bayon. 32 Du moins jusqu’avant l’arrivée des Khmers rouges/khmers Rumdha dans la zone en 1970. 33 « De tout ce que pendant les siècles d’Angkor, a pu représenter la littérature orale, mythes, contes légendes, il ne reste que l’écho que nous en ont conservé des manuscrits relativement récents quant à leur réalité concrète, réceptacles de traditions dont l’origine n’est pas vérifiable » THIERRY, Solange, Le Cambodge des contes, Paris, l’Harmattan, 1985, p. 14. 31 90 91 La duplication tout en la reformulant d’une même histoire complète ou partielle dans des lieux différents participe d’une transmission culturelle dynamique. Ce phénomène d’implantation dans le territoire d’histoires légendaires n’est pas particulier à Angkor. Ainsi, on ne compte plus les lieux appelés Gok Ghlāk du nom de l’île primordiale, de génies fonciers nommés Yāy Mau34, ou bien de montagnes ou de bassins dont le relief donne corps à une légende comme celle de la « montagne des hommes et la montagne des femmes » qui est racontée aussi bien à propos de collines à Kaṃbaṅ’ Cam que des anciens grands réservoirs baray à Angkor. Citons également la légende de de Nāṅ Ka Ṅrī35 à Kaṃbaṅ’ Chhnang. Ici, la forme allongée de la jeune fille Nāṅ Ka Ṅrī qui meurt d’amour se lit aujourd’hui dans le modelé d’une montagne qui fait face à la ville. Nous retrouvons également une partie de cette histoire inscrite dans le paysage d’Angkor. Ici, c’est la partie finale du combat qui oppose le petit Puddhisaen à l’ogresse géante Santémeas qui est retenue. Puddhisaen réussit à vaincre la géante en lui montrant un citron plissé36 (krūc soec). Ce citron qui présente un aspect tellement étonnant que la géante Santémeas tombe au sol morte de rire. Le choc est suffisamment fort pour en avoir marqué le paysage jusqu’à nos jours. L’empreinte du corps allongé de la géante terrassée est encore lisible par les habitants du coin dans la forme d’un grand bassin Bịṅ Santémeas de plus de 400 mètres de long situé 34 Sur ce culte, v. Ang, Chouléan, « Yāy Mau », [in] Nasir Abdoul-Carime, Grégory Mikaelian, Joseph Thach, Le passé des Khmers. Langues, textes, rites, Bern, Peter Lang, 2016, pp. 249-262. 35 Cette histoire connue également sous le nom « des douze sœurs » est racontée à travers toute l’Asie du Sud-Est dans des versions différentes. En substance, douze sœurs sont abandonnées dans la forêt par leurs parents tombés dans la pauvreté. Elles sont recueilles par l’ogresse Santémeas pour servir de servante à sa fille Nāṅ kaṅrī. Devenues de belles jeunes filles, les douzes apprennent que l’ogresse va les dévorer. Elles s’enfuient dans un royaume où le roi les épouse. Découvrant leur disparition, l’ogresse en colère se transforme en très belle femme. Elle se fait épouser du roi et est élevée au rang de première épouse. Feignant être malade, elle demande les yeux des 12 jeunes filles comme médicament. Le roi acquiesce à la demande de sa favorite. Les douze jeunes filles enceintes et aveugles sont emprisonnées dans une citerne sans nourriture. L’idée de l’ogresse est qu’elles doivent manger leurs enfants pour survivre. Puddhisaen, le fils de la fille cadette parvient cependant à survivre. Alors qu’il est devenu un jeune homme, il s’échappe de la citerne et par un subterfuge, il épouse Nāṅ kaṅrī qui tombe très amoureuse de lui. Puddhisaen réussit ensuite à retrouver les yeux des douzes femmes et à les libérer. Lors d’un combat singulier, il parvient à tuer l’ogresse. Rejettée par Puddhisaen, Nāṅ kaṅrī meurt de chagrin. 36 Citron combava - (Citrus hystrix). 91 92 à Angkor Thom derrière le Palais Royal. Les anciens exploitants37 des rizières situées à l’intérieur du bassin signalent l’emplacement de la tête de la géante à l’Ouest 38 ainsi que ses bras et ses seins39. De même, l’histoire très connue d’une jonque qui se brise sur une montagne racontée dans les monts Dangrek ou à Battambang 40 se lit également dans un toponyme du mont Kulen ; la « jonque qui coule » Saṃbau lec. Ici, la présence très nombreuse de tessons de céramiques anciennes dans un lieu particulier au sommet de cette montagne donne une matérialité et donc une forme de réalité à l’histoire légendaire. On raconte que la jonque partait en Chine chargée de céramiques quand son étrave a heurté le mont Kulen et qu’elle a coulé. Parfois, certains toponymes interrogent. Ainsi une ancienne piste charretière en creux orientée nord-sud, parallèle à la route qui relie Angkor Vat à Angkor Thom est appelée phlūv Saṃbau luon « le chemin des jonques qui glissent ». D’après les anciens, il s’agirait là d’une ancienne voie d’eau qui était empruntée par les jonques. Elle semble relier le coin de la douve nord-ouest d’Angkor Vat avec la douve sud-ouest d’Angkor Thom. S’agit-il d’une bribe de mémoire transmise qui a retenu l’existence d’un canal sur lequel passaient des embarcations ou bien d’un nom donné tardivement sur la base de cette hypothèse ? Il apparaît ainsi que (...), dans un monde rural qui s’appuie peu sur l’écrit, les formes particulières du paysage naturel et construit ont servi de points d’appui à l’installation et à la transmission d’un fonds culturel composé d’histoires légendaires et de contes. On bouge avec ses histoires et on les duplique en les installant dans le paysage. Il en est de même pour les divinités dont les noms, les statues et les histoires sont également dupliquées dans le territoire. III. LES HISTOIRES DES HOMMES INSCRITES DANS LE PAYSAGE Dans le paysage d’Angkor, les toponymes sont nombreux. Les noms les plus courants sont tirés de particularismes géographiques comme les tertres duol, gok, 37 L’exploitation des rizières du bassin de Santémeas par les habitants du proche village d’Angkor Krau s’est arrêtée dans les années 2000 suite à une réglementation mise en place par l’autorité en charge du site d’Angkor, l’APSARA, visant à interdire les cultures à proximité des temples. 38 Ouest : direction vers laquelle la tête des morts est orientée d’après la tradition. 39 Les bras sont deux vestiges de ce qui apparait être des canaux longeant le bassin. Deux vestiges de temples situés de part et d’autre du bassin sont dits être les deux seins proéminents de la géante. 40 Bhnaṃ Saṃbau "le mont de la Jonque" 92 93 les monts bhnaṃ, les rivières sdịṅ,..), de noms de végétaux (plantes et arbres41) ainsi que des noms de personnes qui se révèlent être souvent d’anciens habitants ou exploitants de terres. À travers ces toponymes, c’est l’histoire locale de l’habitat et des terres cultivées qui se révèle en partie. (...) Les habitations anciennes, du fait de leur caractère végétal périssable n’ont pas laissé de traces visibles dans le paysage. La mémoire des anciens rapporte d’anciens lieux habités et cultivés du temps de leurs parents ou grands-parents. Certains lieux précédemment occupés par les hommes se lisent dans les groupements de vieux arbres fruitiers (manguiers, tamariniers, palmiers à sucre, cocotiers) plantés autrefois autour des maisons. Ceci est souvent corroboré par les toponymes composés avec des noms de personnes qui apparaissent être les noms d’anciens habitants. De l’habitat ancien42, les villageois évoquent une faible démographie, une forêt dense ponctuée de nombreux hameaux dispersés composés d’une ou de deux ou trois maisons et de quelques noyaux de peuplement plus compacts comme les villages de Rahāl, d’Aṃbil et de Praṭāk. On raconte que les gens vivaient de façon cloisonnée, chacun à proximité de ses rizières, et que les rencontres ne se faisaient guère des fêtes aux monastères bouddhiques. 1. Les hameaux sur des tertres : gok Un terme foncier nous apparaît particulièrement intéressant. D’après les anciens des villages actuels de Sraḥ Sraṅ et de Rahāl, le terme bhūmi traduit par « village » a été utilisé localement tardivement, vraisemblablement au début des années 1950. Auparavant, le terme le plus courant pour désigner un petit foyer d’habitat d’une ou de quelques maisons sur un tertre exondé était gok. On remarque ainsi que le paysage est ponctué de nombreux tertres naturels et artificiels appelés gok. Aujourd’hui pratiquement tous abandonnés, ils ont été jusqu’à récemment des lieux d’habitat. En témoignent encore les hauts palmiers à sucre et manguiers plantés par les anciens habitants ainsi que leur nom qui est souvent celui du dernier chef de famille qui y a habité. D’après les anciens, chaque tertre comptait autrefois une, deux voire trois ou quatre maisons. Au sud-est de la digue méridionale du pārāy oriental, dans le petit pays de Praṭāk, nous relevons 41 Les essences particulières des arbres servent de repères spatiaux pour les populations locales. Dans une approche historique et écologique, ils donnent des indications sur le couvert végétal qui existait dans le passé proche. 42 Quand les personnes interrogées étaient jeunes (années 1930-40-50). 93 94 ainsi une grande concentration de toponymes qui signalent des tertres autrefois habités : gok tā p̈ ul, gok ṭaṅ, duol43 ṭūn des, gok cae), gok ramīet, gok kraṇāp, gok tā bejr, duol tā dūc, duol yāy braḥ, gok rakā. Dans les environs de l’actuel village de Sraḥ Sraṅ, les buttes de terres habitées étaient également nombreuses comme le rappelle Ta Teth du village de Sraḥ Sraṅ Nord: Avant, il y avait plusieurs endroits où il y avait quelques maisons. On disait gok, ça voulait dire que c’était un endroit habité par une seule famille. Il y avait Gok Ghlāk 44, Gok Mkāk45, Gok Yāy Tī46, Gok Yāy Leṅ47 au sud du pont de Tākae, Gok Bnau48, Gok Tā Gaṅ49 au nord, Gāy Ṅāṃ à l’emplacement de l’école de Sraḥ Sraṅ. (...) Dans les années 1950, nombre de ces lieux d’habitat anciens sont abandonnés dans le cadre des programmes de développement communautaire entrepris par le prince Sihanouk50. 43 D’après les populations locales, on dit duol « tertre » quand le lieu a été abandonné depuis longtemps (ou bien qu’il n’a jamais été habité). 44 ghlāk : « liane qui produit des gourdes, des citrouilles, des courges, des calebasses,.. » (RONDINEAU, Rogatien, Dictionnaire Cambodgien-Français. Phnom-Penh, Missions Etrangères de Paris, nouvelle ed. 2007, t.1, p. 749. 45 mkāk : « arbre fruitier Anthyllis indica ou Asethyllis Indica », v. ibid., t. 1, p. 139. 46 "tertre de la grand-mère Ti" 47 "tertre de la grand-mère Len" 48 bnau : « oranger du Malabar, Aegle marmelos des Rutacés. Il y a beaucoup d’espèces dont certains ont des fruits qui contiennent une espèce de résine collante qu’on peut utiliser comme glu. Bois utilisé dans la fabrication de menus travaux ». ibid, p. 1177). 49 "tertre du grand-père Chan" 50 Des regroupements de villages sont organisés autour de dispensaires et d’écoles. Il s’agissait pour Sihanouk de donner au Cambodge rural une apparence plus moderne en regroupant les hameaux dispersés en villages agglomérés le long des routes. L’habitat traditionnel dispersé dans la forêt est devenu synonyme d’archaïsme. Les habitants sont alors forcés d’habiter les uns à côté des autres. Des villages modèles s’alignent le long des routes digues. Le contrôle des habitants par les autorités en était simplifié. Mais, dans la pratique il en est tout autre. Les villageois préférent habiter dans des hameaux plus difficilement accessibles aux agents de l’administration. Ils bâtissent un village-modèle à la hâte, et après les inspections, ils rejoignent leurs maisons dans les hameaux anciens. Dans certains endroits où le chef local était fort, les regroupements se font de façon plus radicale. C’est le cas de la zone qui nous intéresse, où l’ancien chef de guerre Dap Chhuon était particulièrement actif. 94 95 Un dictionnaire51 définit le mot gok comme étant une « terre ferme en opposition à l’eau, terre plus haute que le sol environnant, qui n’est pas inondé en cas d’inondation ». L’utilisation du terme gok pour désigner un tertre habité prend toute son importance quand on le relie à la légende de la création du Cambodge à partir d’une butte de terre (qui est une île entourée d’eau dans la légende) appelée Gok Ghlāk. La légende raconte que Braḥ Thoṅ, un prince venu de l’extérieur aborde une île. Il rencontre la Nāgī, une femme-serpent et il l’épouse. En cadeau de mariage, le père de la mariée aspire l’eau autour de l’île et le territoire du Cambodge apparaît. À propos de ce nom, nous pouvons faire remarquer qu’une façon efficace de transmettre certaines de ces histoires légendaires est également de les rejouer. On peut ainsi évoquer le théâtre d’ombres ou la danse qui transmettent des histoires anciennes ou des épopées par le geste. Dans les villages, les cérémonies domestiques sont également l’occasion de transmettre des histoires. Il en est ainsi de la légende Gok Ghlāk. À chaque cérémonie de mariage et de consécration d’une nouvelle maison, le couple transmet tout en la rejouant cette histoire de fondation. La maison ou la hutte de mariage (et la butte de terre qui l’entoure) devient alors l’île primordiale, l’île de Gok Ghlāk à partir de laquelle le Cambodge nait. À l’occasion d’un rituel de la cérémonie du mariage, le marié et la mariée rejouent le mythe de fondation en prenant respectivement les rôles de Praḥ thoṅ et de la Nāgī. Chaque construction de maison ou cérémonie de mariage est ainsi l’occasion de rejouer de façon cyclique la fondation du pays. Chaque construction de maison ou mariage est ainsi une refondation de l’île primordiale Gok Ghlāk. 2. Un exemple d’inscription d’une légende dans un lieu particulier : Gok Bnau. (partie remaniée) À l’est du bassin du Sraḥ Sraṅ, une butte de terre de grande taille attire particulièrement l’attention : Gok Bnau. Cet endroit est désigné comme le lieu d’habitat le plus ancien de la zone étudiée. Des morceaux de brique ainsi que des quantités très importantes et variées de tessons de céramiques sont visibles à fleur de sol. D’après des archéologues et architectes venus sur les lieux, cela pourrait signaler une activité de poterie à l’époque angkorienne52. À côté de Gok Bnau, on 51 RONDINEAU, R., op. cit., t. 1 p. 211. « Le Koûk Phnéao (…) montre en sa partie sud-ouest des vestiges d’un édifice en briques dans un contexte topographique obscur. Mais la surface de l’ensemble de ce terre-plein montre surtout une très 52 95 96 trouve d’autres petits tertres ainsi que deux étangs artificiels : Trabāṃṅ Tā Dāv, « l’étang du grand-père Dāv » et Trabāṃṅ Khmoc, « l’étang des morts ». D’après des anciens, plusieurs familles y vivaient du temps de leurs arrière-grands-parents (fin du XIXe siècle) avant d’en partir sous l’injonction des Siamois53. (...) Quand les Siamois sont venus. Ils ont pillé la ville. Les habitants de Gok Bnau se sont enfuis à Surin. C’est pourquoi les Khmers de Surin connaissent le nom de Tā Gaṅ54 et de Prāsād Tup 55. D’autres habitants se sont cachés au nord du bassin du Sraḥ Sraṅ et ils ont fondé le village de Rahāl. Maintenant, à Gok Bnau, il ne reste plus que des champs où les descendants des anciens habitants cultivent des pastèques, des concombres, des choux et du riz. Les propriétaires actuels des terrains habitent maintenant à Rahāl, Sraḥ Sraṅ nord et Sraḥ Sraṅ sud.» (Grand-Père Has du village de Sraḥ Sraṅ Nord). (...) L’endroit était autrefois appelé Buon nau « l’endroit où l’on se cache ». Cette allusion à une cache est vague. (...) Elle peut référer à un lieu où les gens se seraient cachés ou bien là où des objets auraient été cachés (dans le cas d’un départ précipité ou d’une sépulture). Lors de fouilles menées en 1964 par Groslier et Courbin56 de l’autre côté du bassin du Sraḥ Sraṅ, devant la façade est de Pandāy Ktī et près de l’angle nord-ouest, outre des dépôts funéraires, des jarres « bourrées à craquer de Bouddhas »57 ont en effet été trouvées. Courbin émet l’hypothèse que ces jarres auraient pu y avoir été cachées en prévision de périodes de troubles. forte concentration de tessons. Parmi ceux-ci, nous avons aussi noté plusieurs tessons et fragments de terre cuite qui portent d’importantes traces de vitrification, quelques moutons (poteries déformées) et des fragments de terre cuite que l’on peut interpréter comme des vestiges d’alandiers. La réunion de ces trois types d’indices laisse planer peu de doute sur l’existence de plusieurs fours de potiers sur ce terre-plein (…), l’installation de ces fours serait donc antérieure au règne de Rajendravarman, consistant en un village ou un groupement de villages spécialisés tels que les a suggéré B. P. Groslier ». POTTIER, Christophe, Carte archéologique de la région d’Angkor Zone sud, Thèse de l’Université de Paris III - Sorbonne nouvelle, 1999, pp. 192-193. e e GROSLIER, Bernard-Philippe, « Introduction à la céramique angkorienne (fin 9 -début 15 siècle) », Péninsule 31 (2), 1995, pp. 5-60. 53 Il pourrait ici s'agir de 1907 au moment de la rétrocession de la province de Siem Reap par les Siamois au Cambodge. 54 anak tā : génie foncier localisé au nord de Gok Bnau. 55 Vestige angkorien situé à l’est de Gok Bnau. 56 COURBIN, Pierre, « La fouille du Sras Srâng », [in] Dumarcay, Jacques, Documents graphiques de la Conservation d’Angkor, 1963-1973, Paris, EFEO, 1988, pp. 21-44. 57 Au début des années 90, on a raconté que des paysans avaient déterré (...) des statues du Bouddha dans les environs de Gok Bnau. Les statues auraient été revendues à des acheteurs extérieurs. 96 97 Ce toponyme Buon nau renvoie également à une partie de la légende de Tā trasak Ph-aem 58 , le « grand-père aux concombres doux » telle ’''elle est racontée localement.59 Cette version de l’histoire raconte que c’est ici c’est dans le paysage autour de Gok Bnau que le roi qui aimait les concombres doux serait décédé des suites de ses blessures et qu’''il aurait été enterré avant sa crémation. Cette histoire qui est très connue dans le monde cambodgien60 et considérée comme étant celle du récit fondateur de la dynastie post-angkorienne.61. (...) La particularité de cette version de la légende est qu’elle est d’une part toponymique et d’autre part qu’elle identifie un groupe social/ethnique particulier. (...) Du texte écrit contenu dans les Chroniques royales à la version orale toponymique recueillie localement, les détails varient. L’histoire telle qu’elle est consignée dans la version des Chroniques royales traduite et commentée par Khin Sok62 se déroule autour du temple de Pandāy Saṃrae situé à trois kilomètres à l’est de Gok Bnau. L’action est centrée sur un nommé Chay, le chef des jardins royaux, très habile à cultiver des concombres doux. Le roi, friand de concombres, se rend une nuit dans les jardins. Chay qui le prend pour un voleur le tue. Constatant une aptitude particulière à défendre un terrain, les hauts fonctionnaires et les nobles décident de mettre le jardinier régicide sur le trône et de lui faire épouser la femme du roi défunt. Ce couple serait à l’origine de la dynastie post angkorienne qui règne encore sur le Cambodge aujourd’hui63. 58 Règne de l’Auguste sīhanurāj (ibid., pp. 117-121). La légende de Tā Trasak Ph-aem dans cette version locale a déjà été relevée par Baradat dans une publication de 1941. Il mentionne le toponyme Buon nau (ici Puon Nou) antérieur à Gok Bnau: « ils s’arrêtèrent pour cacher litière et cadavre en un lieu qui fut dit puon nou (mais ce nom par la suite a été déformé en Koûk Phnou) », BARADAT, R. « Les Sâmrê ou Péâr. Population primitive de l'ouest du Cambodge », BEFEO, t. XLI, 1941, p.16. 60 Cette légende appartient au fonds indochinois. Au Cambodge, elle est consignée dans les chroniques royales. Elle a été également recueillie oralement avec des variantes par Aymonier, Moura, Baradat, Giteau. 61 Elle ne serait cependant pas autochtone et trouverait son origine en Birmanie d’après Edouart Huber - HUBER, Edouart, « Etudes indochinoises », BEFEO, vol. V, 1905, pp 168-184. 62 SOK, Khin, Chroniques royales […], op. cit. 63 Achille Dauphin-Meunier appelle ce changement dynastique entre des monarques d’origine divine de l’époque angkorienne et ce nouveau monarque usurpateur d’origine populaire, la « révolution du XIVe siècle ». DAUPHIN-MEUNIER, Achille, Histoire du Cambodge, Paris, P.U.F, coll. Que sais-je ?, n° 916, 1968, p. 196. 59 97 98 La version orale locale de cette histoire racontée par Tā Puth qui habite le proche village de Tātray se déroule en partie autour de Gok Bnau. Ici se joue une partie importante de l’histoire ; la mort du roi. Le roi est gravement blessé par la lance du jardinier appelé Tā Trasak Ph-aem (...). Il doit être transporté au palais royal, en palanquin mais la barre du palanquin est perdue à l’endroit qui s’appelle maintenant bāk snaeṅ « porter le palanquin64». Ceux qui ont du sang du roi sur les mains et les pieds se lavent à l’endroit appelé Lāṅ Ṭai « laver les mains » qui est aujourd’hui un village qui se trouve un peu au sud de Bāk Snaeṅ. Le roi blessé est ensuite amené chez un célèbre médecin krū gaṅ (plusieurs toponymes au nord de Gok Bnau portent ce nom65). Malgré les soins prodigués, le roi meurt de ses blessures et il est enterré à Gok Buon Anak « la butte de terre où l’on se cache », à côté de Gok Bnau. Le cortège funéraire se rend au temple du Me Puṇy « célébration », puis au temple Tup, (qui pour un autre conteur originaire du village de Praṭāk se dit plus justement le temple Sab : « "le temple“ du/des cadavre(s”»). La crémation a ensuite lieu au temple de Prae Rūp « tourner le corps ». Cette expression fait référence à un rituel funéraire pratiqué à la fin d’une crémation pour permettre à l’âme de se libérer du corps et continuer le chemin des transmigrations66. Au sud de Gok Bnau, nous relevons une autre référence funéraire dans le toponyme Trabāṃṅ Khmoc « L’étang des morts ». Cet ancien bassin angkorien associé au temple du bād juṃ. Des ossements y auraient été trouvés à proximité lors du creusement d’un canal pendant la période des Khmers rouges. D’après Ta Le Roi Sihanouk lui-même se plaisait à raconter à des interlocuteurs étrangers qu’à l’origine de sa lignée royale, on ne trouvait pas un roi angkorien, mais un jardinier. 64 Village de Bāk Snaeṅ, commune de Bāk Snaeṅ, district d’Angkor Thom. Ce village se trouve à 20 km au Nord/Nord/Ouest du village de Sraḥ Sraṅ. 65 Des palmiers à sucre signalent un lieu d’habitat ancien appelé aujourd’hui gok tā gaṅ bordé au nord par des rizières du même nom Srae Vāl Tā Gaṅ « rizières de la plaine de tā gaṅ ». Nous relevons également une piste charretière axée nord-sud qui rejoint la digue sud du baray Oriental appelée phlūv tā gaṅ « route de tā gaṅ » qui permet de rejoindre les rizières qui se trouvent à l’intérieur du baray. Un génie foncier tā gaṅ est également localisé ici. 66 La forme d’un corps humain est dessinée dans les cendres, la tête dirigée vers l’ouest (lic direction de la disparition, de la mort). Un ācāry demande trois fois « cela est-il la bonne direction ? » Sur la réponse négative des participants à la cérémonie, l’ ācāry refait la même opération en positionnant la tête à l’est (direction de la (re)naissance) et pose la même question. Cette fois-ci la réponse est positive. Le défunt peut alors repartir vers un nouveau cycle de réincarnation dans la direction de l’est (koet, direction de la naissance, du lever du jour) 98 99 Chhup67 de Sraḥ Sraṅ sud, il s’agirait d’un lieu de sépulture provisoire appelé Gok Khmoc utilisé en attente d’une crémation68. À l'ouest de l’actuel village de Sraḥ Sraṅ, cette tradition d’enfouissement des corps se faisait encore dans les années 1990 autour du temple Kutiśvara appelé localement Prāsād Khmoc « temple des morts ». D’autres références funéraires locales avaient déjà été relevées par Aymonier à la fin du XIXe siècle 69 . En repérage dans la région d’Angkor, il entend parler de deux légendes centrées sur le temple de Prae Rūp. On remarque que ces deux légendes sont liées à des funérailles. Dans la première, il s’agit de ramener les cendres du « roi lépreux » au temple de Prae Rūp. Dans la seconde, il est question d’une « dame Bautoum » qui y organise les funérailles de son père Sṭec Bāl « le roi ingénu », tué par Tā ph-aem. Dans une zone où des fouilles archéologiques ont mis au jour une partie d’une nécropole 70 , ces références funéraires pourraient signifier que les populations locales avaient connaissance de ce particularisme et qu’elles l’ont exprimé dans une histoire qu’elles ont inscrite dans le paysage. Celui-ci apparaît bien ici comme un support de transmission culturelle71. Il est de même tout à fait probable que la zone de sépulture soit plus large que celle de la zone fouillée par Groslier et Courbin. 3. L’histoire des Saṃrae d’Angkor à travers son paysage et sa toponymie L’histoire de tā trasak ph-aem racontée dans le paysage révèle une autre particularité. Dans un texte publié en 1941 sur des populations autochtones Saṃrae ou Bɑ̆r, Baradat72 avait également recueilli une version de la légende de Tā Trasak Ph-aem localisée dans une zone à l’est d’Angkor. Cette version présente trois 67 ācāry Khmoc maître de cérémonie spécialisé dans les cérémonies funéraires Cette pratique de doubles funérailles était plus en usage autrefois. Le corps est enterré pendant une période plus ou moins longue pour permettre à la famille de réunir assez d’argent pour faire une cérémonie importante (pour mieux honorer le mort). Les ossements sont ensuite déterrés puis préparés pour une grande cérémonie de crémation. Aujourd’hui, on pratique la crémation rapidement après la mort. 69 AYMONIER, Étienne, Le Cambodge. III : le groupe d’Angkor et l’histoire, Paris, Ernest Leroux, 1904, p. 8 ; « Chronique des anciens rois du Cambodge », Excursions et Reconnaissances, n°4, 1880, pp. 149, 152, 155 et 177 ; MOURA, Jean, Le Royaume du Cambodge, Paris, E. Leroux, 1883, t. II, pp. 22-23. 70 COURBIN, P., loc. cit., pp. 21-44. 71 Hasard ou choix conscient ? En 1974, les Khmers rouges avaient choisi la berge Nord du bassin du Sraḥ Sraṅ pour y construire un cimetière pour honorer leurs soldats morts au combat qui les opposait aux troupes de Lon Nol. 72 BARADAT, R., loc. cit., p. 11. 68 99 100 particularités : elle est racontée par un descendant d’une population appelée Saṃrae, elle se déroule dans des lieux précis entre les monts Kulen et Angkor et elle identifie le gardien des concombres doux à un Saṃrae. (...) Questionnés à propos des Saṃrae, des habitants de Sraḥ Sraṅ et des environs disent que des Saṃrae auraient habité à l’est d’Angkor ainsi qu’aux monts Kulen. Pour appuyer leurs dires, ils pointent ce qui constitue un élément de preuve, un temple de cette zone qui en porte le nom : Pandāy Saṃrae « la citadelle des Saṃrae ». La question des origines Saṃrae est floue. Si on s'accorde à dire que des Saṃrae ont vécu ici, les reconnaître en tant que ses propres ancêtres est plus difficile. Le terme apparaît en effet comme n’étant pas particulièrement valorisant. D’un endroit à l’autre, la tendance est de dire que ce sont les autres, ceux des villages d’à côté qui auraient des origines saṃrae. Quant à soi, on préfère gommer les différences de ses origines et se dire « Khmer ». Pour Om Chhuon originaire du village de Sraḥ Sraṅ, le terme ā saṃrae est péjoratif, il veut avant tout dire « paysan/quelqu’un de la rizière » anak srae, compris dans le sens de « bouseux » ou de « plouc », quelqu’un de basse condition : Les Saṃrae habitaient ici il y a très longtemps, peut-être depuis aussi longtemps qu’Angkor ou après. Je ne sais pas. C’était des gens de la rizière. C’était des gens incultes. J’ai entendu les anciens parler des Saṃrae. Il doit y avoir des descendants de Saṃrae à Praṭāk. On dit que les gens de Praṭāk parlent d’une façon particulière parce qu’ils sont Saṃrae. Interrogés sur ce sujet, les gens de Praṭāk restent évasifs : « Des gens de l’extérieur disent qu’on parle comme les Saṃrae. Mais, je ne sais pas ce que ça veut dire. On est Khmer. » dit la grand-mère Duot du village de Praṭāk. Si les gens de l’est d’Angkor supposés avoir des origines saṃrae se taisent sur la question, ceux de l’ouest sont plus prolixes pour les qualifier comme tels. Le grand-père Vat du village de Vāl fait remarquer que : « Sur la berge est du bassin du Sraḥ Sraṅ, il y avait un petit ponton73 qu’on appelait Kaṃbaṅ’ saṃrae. Cela veut dire que des Saṃrae vivaient là. L’histoire de Tā Trasak phaem74 se passe là. C’était un Saṃrae. Les gens qui habitent maintenant à côté, à Sraḥ Sraṅ, Tātray, Praṭāk et Pandāy Saṃrae ont des ancêtres saṃrae. » 73 74 Ponton qui permettait un accès facile à l’eau pour la puiser, s’y baigner ou y laver le linge. Reliant ainsi les Saṃrae à la légende de Tā trasak ph-aem. 100 101 Dès le milieu du XIXe siècle, des voyageurs et explorateurs avaient identifié des populations dites saṃrae dans les environs d’Angkor. Le premier à en parler est Mouhot75 qui visite Angkor en 1860. L’explorateur mentionne l’existence d’une tribu appelée « Somrais » qui réside au nord d’Angkor en qui le roi reconnaît une ascendance commune avec ses ancêtres, indiquant ici une référence à la légende de Tā trasak ph-aem. Quelques années plus tard en 1863, Bastian, un ethnologue allemand identifie des populations « Somrae » réparties en villages dans les environs du mont Kulen. Il fait une description particulièrement intéressante de ce groupe ethnique qui lui apparaît comme étant autochtone et qui présente la particularité d’être composé de corvéables au service des anciens monastères d’Angkor Vat : « … connected with the temple of Nakon Vat is the establishment of a number of villages inhabited by a people called samre, on the nieghbouring Khao (mountain) litchi. Whenever some work is to be performed in the temple, the abbot sends a message to the mountains (1 ½ day distant) and the required number of laborers has to be sent by the head man. … The custom to endow a temple with slaves was prevalent over the whole continent… They were, … mostly supplied by prisoners of war… whereas the samre belong to the aboriginal stock of the population, inhabiting most of the hills around the lake and hence to Kampot ».76 Dans la foulée de la Mission d’exploration du Mékong menée par Doudart de Lagrée, d’autres auteurs vont plus ou moins identifier des groupes saṃrae sur le mont Kulen ou à ses pieds à l’est d’Angkor. Pour eux, il s’agit de populations autochtones qui habiteraient là depuis très longtemps. À l’occasion d’une expédition dans la forêt du plateau des monts Kulen, Aymonier77 raconte qu’il traverse « quelques villages d’une tribu aborigène, les Saṃrae, pauvres gens qui se montrèrent très avenants avec moi » qui, comme les Guoys du mont Thbeng au nord-est « cultivent le riz à la mode primitive, en 75 MOUHOT, Henri, Voyages dans les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos, Paris, et autres parties centrales de l'Indo-Chine : relation extraite du journal et de la correspondance de l'auteur par Fernand de Lanoye, Genève, Olizane, [1868] 1999, p. 218. 76 BASTIAN, A., « A Visit to the Ruined Cities and Buildings of Cambodia », Journal of the Royal Geographical Society of London, vol. 35, 1865, p. 81. 77 AYMONIER, É., « Une mission en Indo-Chine (relation sommaire) », Bulletin de la Société de Géographie de Paris, 2e trimestre 1892, t. XIII, p. 231. 101 102 incendiant des carrés de forêt et en se déplaçant continuellement »78. Dans un autre texte79, il mentionne un autre village saṃrae en plaine, « plusieurs villages, sur le plateau des Koulen, et même dans la plaine basse, par exemple le phūmi sraḥ ṭūn rik 80 , situé à quelques lieues à l’est d’Angkor Thom sont habités par des représentants de la tribu aborigène des Saṃrae ». Tissandier81 évoque « quelques familles éparses » qui ont foi dans le « culte du serpent ». Jean Moura note également des petits villages saṃrae à Angkor : « Les Saṃrae sont originaires, et habitent encore, en grande majorité, la province d’Angkor, juste au foyer où brilla autrefois la civilisation des Khmers ; ils ne forment jamais des agglomérations considérables et leurs villages ne se composent que d’une douzaine de petites cases au plus »82. Détail intéressant quand on connaît le rôle important de Tā Trasak phaem en tant que gardien du champ royal, Moura relève que les Saṃrae occupent des postes de gardiens qu’il s’agisse d’éléphants royaux, de temples ou de la bonzerie d’Angkor Vat. La référence à des Saṃrae comme main-d’œuvre corvéable des monastères d’Angkor Vat apparaît en 1908 dans un rapport de Jean Commaille83 Conservateur d’Angkor. Il écrit que : « … le Luc-Kru d’Angkor Vat possède en propre, de par toutes les lois d’esclavage non abolies ici, 1500 familles de Samrès, ce qui fait au moins 5000 esclaves ». Cette note nous apporte deux informations intéressantes. Un très grand nombre de familles sont reconnues localement en tant que Saṃrae au début du XXe siècle et elles dépendent d’une façon ou d’une autre de l’un (ou des deux ?) monastères 84 d’Angkor Vat. Concernant le terme 78 Ibidem, p. 233. AYMONIER, É.,, Le Cambodge. II : les provinces Siamoises, Paris, Ernest Leroux, 1901, p. 356. 80 À Sraḥ Sraṅ, Rot ne parle pas explicitement d’ancêtres Saṃrae mais elle relate avoir entendu son arrière-grand-mère Yāy Pôm raconter qu’elle était de la souche du roi des concombres doux « būj sṭec trasak ph-aem». D’après Rot, Yāy Pôm était originaire du village de Sraḥ Ṭūn Rik. Venue travailler à la construction des routes des petits et grands circuits dans les années 20-30, elle s’était mariée avec un homme de Sraḥ Sraṅ et s’y était établie. 81 « Les habitants d’origine étaient composés de peuplades sauvages qu’on suppose avoir été les Sâmrés dont on trouve encore actuellement quelques familles éparses qui habitent dans les forêts de la province d’Angkor. Ces Sâmrés avaient foi dans le culte du serpent, ils furent subjugués par une invasion du peuple kham (500 av. JC) d’après les annales khmères » in TISSANDIER, Albert, Cambodge et Java: ruines khmères et javanaises, 1893-1894. Paris, G. Masson, 1896, p.18. 82 MOURA, J.,, op. cit., vol. 1, pp. 407-411. 83 Rapport de la conservation d’Angkor, Décembre 1908. 84 Cette référence à un monastère qui possède des esclaves avait été relevée par A. Leclère dans un document du XVIIe siècle, où il est mentionné un ordre du roi d’affecter quarante familles d’esclaves royaux à un monastère situé sur une rive du Mékong. Il s’agit ici de familles réduites en esclavage suite à la faute grave d’un de leurs ancêtres. A. Leclère, « Mémoire sur une charte de fondation d'un monastère bouddhique où il est question du roi du Feu et du roi de l'Eau », Comptes-rendus de 79 102 103 « esclave », il convient de le considérer dans le contexte particulier à l’Asie du SudEst où différentes formes de relation de dépendance existent. Ce que nous traduisons par « esclavage » est attesté au Cambodge depuis au moins la période angkorienne comme l’a relaté le chinois Tchou Ta Kuan en voyage à Angkor en 1296. Dans ces corvéables au service des dieux des rois, ou de personnages importants, des catégories existaient. En 1875, Aymonier85 décrit trois types d’esclaves : les « serviteurs » qui sont des esclaves pour dettes, les « sauvages » bnaṅ ou sdīeṅ dont la traite est l’affaire des Laotiens et les esclaves royaux héréditaires qui sont les descendants de grands criminels ou rebelles ou des prisonniers de guerre. Certains des esclaves de cette dernière catégorie sont affectés à l’entretien des pagodes. Ils sont libres de cultiver des terres et d’habiter où bon leur semble, mais ils doivent trois ou quatre mois de service à leur maître par an. Cette dernière catégorie pourrait être intéressante à explorer dans le cas des Saṃrae de la région d’Angkor. Nous avons ici en effet un groupe particulier installé dans la région depuis longtemps, qui vit apparemment librement sur des terres dispersées et qui était encore au début du XXe siècle corvéable d’un monastère de façon occasionnelle. Le terme saṃrae pourrait référer aussi bien à une catégorie sociale qu’à un groupe ethnique. D’après Michel Antelme86, saṃrae aurait ainsi d’abord désigné une activité de riziculteurs affectés à des ermitages avant de devenir un ethnonyme. On peut ainsi supposer qu’étant donné l’importance d’Angkor Vat en tant que centre religieux régional au moins depuis le XVIIe siècle, une maind’œuvre importante devait y être employée de façon servile ou tributaire. Dans les entretiens menés auprès des villageois, cette relation n’apparaît pas clairement, soit qu’elle a été effacée des mémoires pour permettre aux Saṃrae corvéables de se fondre dans la masse des hommes libres, soit parce que la relation avec les monastères était assez lâche. Il pourrait ainsi s’agir de familles liées à un monastère à qui elles donnaient une force de travail et une partie des récoltes en échange de mérites (du moins à une époque récente). Nous avons collecté sur le terrain quelques données qui pourraient aller dans ce sens. Dans les années 1990, nous avions observé qu’à l’occasion du Nouvel An, des familles des villages de Sraḥ Sraṅ et de Rahāl se rendaient à la sālā ou « salle commune » du village de Sraḥ l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 47e année, n°4, 1903 pp 369-378 ; MIKAELIAN, Grégory « Le souverain des Kambujā, ses neveux jörai, ses dépendants kuoy et pear. Un aperçu de la double légitimation du pouvoir dans le Cambodge du XVIIe siècle », Péninsule, n°71, 2015 (2), pp. 35-75. 85 AYMONIER, É, Notice sur le Cambodge, Paris, Ernest Leroux, 1875, p. 53. 86 ANTELME, Michel, « Des varṇṇāśrama angkoriens aux peuples péariques du Cambodge postangkorien, une possible trace d’une institution angkorienne dans le lexique moderne et contemporain », Péninsule, no 65, 2012 (2), pp. 101-144. 103 104 Sraṅ pour apporter un panier de leur propre récolte de riz. Cette cérémonie apparemment très ancienne consiste à réunir les paddy des familles en cinq monts de paddy (bhnaṃ srūv) qui sont ensuite donnés aux supérieurs des deux monastères d’Angkor Vat87. Lors d’un voyage à Angkor en 1901-1902, Carpeaux88 évalue à 200 le nombre des moines qui habitent dans les monastères d’Angkor Vat. Leur entretien reposait en partie sur les offrandes des pèlerins, leur propre travail dans les rizières, mais aussi probablement sur les offrandes et les bras des paysans des villages environnants. Deux toponymes ont gardé la mémoire d’un lien entre les monastères et des terres agricoles. Un grand terrain rizicole à l’ouest du village de Rahāl s’appelle Srae Vatt « la rizière du monastère » et un autre à l’ouest du Phnom Bakhaeng porte le nom de Srae Lok Saṅgh « la rizière des moines ». D’après les données que nous avons recueillies auprès des populations locales, ces terres appartenaient aux monastères d’Angkor Vat nord et d’Angkor Vat sud ainsi que celui de Pandāy Ktī. Les monastères possédaient des bœufs et des charrettes pour les travaux des champs. Tā Tep du village de Rahāl raconte qu’il a entendu ses parents raconter qu’ils étaient réquisitionnés – kāèn – pour aller travailler dans de rizières parfois situées fort loin qui appartenaient à des monastères. La question des 5000 Saṃrae attachés à un monastère d’Angkor Vat relevé par Commaille en 1908 prend peut-être ici forme. Il pourrait s’agir de paysans d’un groupe social particulier dispersés sur un large territoire, qui donnaient des journées de corvée à un monastère, qui était lui-même propriétaire de terrains agricoles. On ne trouve plus personne aujourd’hui dans la région pour se revendiquer comme ayant des ancêtres saṃrae. Pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, l’assimilation des Saṃrae avec les Khmers est désormais totale. Elle était apparemment déjà très engagée à la fin du XIXe siècle pour que Lunet de la Jonquière en fasse mention89. Il relève « deux ou trois hameaux… habités par quelques familles de Somrés » dans la partie sud du plateau des Kulen qui ont déjà « perdu tout caractère propre et se fondent maintenant, dans la masse des populations cambodgiennes ». CONCLUSION 87 Il y a actuellement deux monastères à Angkor Vat : le monastère nord et le monastère sud. CARPEAUX, Charles, Les ruines d'Angkor, de Duong-Duong et de Myson (Cambodge et Annam) : lettres, journal de route et clichés photographiques (publiés par Mme J.-B. Carpeaux), A. Challamel, 1908, p.51. 89 LUNET DE LA JONQUIERE, Ernest, « De Saïgon à Singapour, par Angkor, autour du golfe de Siam », Le Tour du monde, 1910, p. 405. 88 104 105 Ces quelques exemples montrent comment des populations se sont appuyées sur des éléments du paysage pour transmettre de façon dynamique des fragments des temps passés ainsi que des légendes. Si jusqu’alors, les habitants des villages du site d’Angkor ont été peu écoutés90, il faut aussi espérer qu’un rôle de transmetteur et de gardien de traditions leur sera un jour explicitement reconnu. Définir le site comme patrimoine « vivant »91 c’est en effet admettre qu’il continue de s’inscrire dans l’évolution de la société khmère : un chaînon dans une chaîne de transmission qui a traversé les époques et à laquelle les pratiques quotidiennes des populations locales restent liées. Au contraire, figer Angkor au temps de la « découverte » coloniale, ne voulant considérer que des monuments pris dans la jungle et ne les rapporter qu’à la royauté ancienne et aux religions universalistes, est réduire considérablement sa portée réelle et s’interdire de comprendre la relation du site avec la société qui l’a conçu et habité. On pourrait arguer que ce qu’on appelle ici la transmission comprend de nombreuses reformulations et qu’elle ne saurait rendre d’un état précis du passé. C’est pourtant ce qu’il nous apparaît intéressant de rendre compte ici : une transmission culturelle dynamique dont chaque génération est à la fois l’héritière et l’artisan. 90 Des recherches sur les populations d’Angkor ont toutefois déjà donné lieu à des publications. Citons notamment ANG, Chouléan, Cause of Khmer lifetime through the Rite of Passage, Phnom Penh, Hanuman Tourism, 2007 ; SOKRITHY, Im, Social values and community content. Living with Heritage: Report of the Living With Heritage Technical Committee, APSARA Authority, 2007, pp. 22-26 ; MIURA,,Keiko. Contested Heritage: People of Angkor, University of London, 2004, 266 p.; ANG, Chouléan ; THOMPSON, Ashley ; PRENOWITZ Eric. Angkor: A Manual for the Past, Present and Future. Phnom Penh: APSARA/UNESCO, 1998, 264 p. 91 C’est ce que préconise l’ICCROM : http://www.iccrom.org/fra/prog_fr/4people-centeredappr_fr.shtml 105 106 BIBLIOGRAPHIE I. SOURCES 1. Sources ethnographiques ANG, Choulean ; THOMPSON, Ashley ; PRENOWITZ Eric. (Angkor: A Manual for the Past, Present and Future. Phnom Penh : APSARA/UNESCO, 1998, 264 p. AYMONIER, Étienne, Le Cambodge I I : le groupe d’Angkor et l’histoire, Paris, Ernest Leroux, 1904, 818 p. —, le Cambodge II : les provinces Siamoises, Paris, Ernest Leroux, vo . 2, 1901, 481 p. —, « Une mission en Indo-Chine (relation sommaire) », Bulletin de la Société de Géographie de Paris, 2e trimestre 1892, vol. 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