N° 2-3 - Septembre 2007
R E C H E R C H E S E N E C O N O M I E E T S O C I O LO G I E R U R A L E S
Les enjeux du développement des biocarburants
dans l’Union européenne
En mars 2007, le Conseil européen a annoncé qu’à l’horizon 2020, une proportion minimale de 10 % de biocarburants
devrait être incorporée dans les carburants utilisés pour le transport routier. Les pouvoirs publics communautaires mettent
en avant trois facteurs principaux pour justifier une telle ambition : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES),
la diversification des approvisionnements énergétiques et le soutien des revenus agricoles. Alors qu’on s’interroge sur les
conditions dans lesquelles les 5,75 % d’incorporation fixés par le cadre législatif actuel pourraient être atteints en 2010, ce
nouvel élan donné à la politique communautaire des biocarburants suscite plusieurs interrogations.
Les biocarburants dans l’UE :
une volonté politique européenne,
des traductions nationales hétérogènes
Le développement des biocarburants dans l’UE est le résultat d’une politique volontariste qui se traduit par des incitations dans les deux secteurs de l’agriculture et de l’énergie.
La réforme de la Politique agricole commune (PAC) de 1992
avait donné la première impulsion en autorisant les cultures
à des fins non alimentaires sur les surfaces placées en
jachère obligatoire. Jusqu’en 2003, la quasi-totalité des
cultures énergétiques a été produite sur ces surfaces gelées
où la production à usage alimentaire était, et est toujours,
interdite. La réforme de la PAC de 2003 a introduit une
deuxième incitation sous la forme d’une aide spécifique de
45 euros/ha (dans une limite maximale de 2 millions d’hectares pour l’UE à 25) aux cultures énergétiques produites sur
les surfaces non gelées.
Ces deux mesures de politique agricole ne doivent pas être
sous-estimées. Néanmoins, c’est surtout la mise en place
d’une politique visant à encourager l’utilisation des biocarburants qui a permis leur développement. Deux directives
communautaires de 2003 fixent le cadre commun tout en
laissant aux Etats membres (EM) le choix des mesures à
mettre en œuvre. La directive sur la promotion des biocar-
burants (2003/30/EC) fixe les objectifs à atteindre en matière
d’incorporation des biocarburants dans les carburants utilisés
pour le transport routier : 2 % en 2005 et 5,75 % en 2010. La
directive sur la taxation de l’énergie (2003/96/EC) autorise
les EM à adopter des mesures de détaxation, partielle ou
totale, des biocarburants relativement au régime fiscal général auquel sont soumis les carburants pétroliers. Ces deux
directives ne sont pas contraignantes au sens où les EM ne
sont pas pénalisés en cas de non application. Ceci a pour
conséquence une grande hétérogénéité de traduction des
directives dans les différents EM et, par suite, des niveaux de
production et d’utilisation de biocarburants très variables d’un
pays à l’autre.
En 2005, le taux moyen d’incorporation des biocarburants
n’était que de 1 % pour l’UE-25 pour un objectif affiché de
2 % à cette date. A cette date, plusieurs EM n’avaient pas
encore traduit les directives communautaires en mesures
nationales concrètes (CE, 2007). Les deux pays qui avaient
les taux d’incorporation les plus élevés étaient l’Allemagne
(3,7 %) et la Suède (2,2 %). Dans le cas de l’Allemagne, il
s’agissait essentiellement de biodiesel. Dans le cas de la
Suède, il s’agissait surtout de bioéthanol. Les taux d’incorporation atteints dans ces deux pays s’expliquent par des
politiques nationales concrètes qui présentent de grandes
similitudes : soutien simultané aux biocarburants purs, aux
mélanges à teneur élevée en biocarburants et aux mélanges
Edité par le Département Sciences sociales, agriculture et alimentation, espace et environnement de l’Institut National de la
Recherche Agronomique
Mission Publications : 65 Bd de Brandebourg - 94205 Ivry-sur-Seine Cedex - Tél. 01 49 59 69 00
Directeur de la publication : Bertrand Schmitt – Rédaction : Didier Aubert (Rédacteur en chef), Suzanne Jumel
Reproduction partielle autorisée avec mention de l’origine
à faible teneur (mélanges compatibles sans modification
des moteurs existants) ; exonérations fiscales généreuses
sans limite quant aux volumes admissibles. En outre, pour
satisfaire la demande domestique en biocarburants, ces
deux pays ont eu recours aux importations, des autres EM
européens dans le cas allemand et du Brésil dans le cas
suédois.
Les situations nationales évoluent très rapidement. Depuis
2005, de nombreux autres EM ont adopté des mesures volontaristes en faveur des biocarburants. La France a ainsi défini
un objectif national d’incorporation plus ambitieux que la
recommandation communautaire, soit 7 % en 2010. A cette
fin, l’hexagone utilise deux instruments : d’une part, la réduction de la taxe intérieure sur la consommation (TIC, anciennement taxe intérieure sur les produits pétroliers) pour des
quantités toutefois prédéterminées (dans le cadre d’agréments attribués par l’Etat sur appel d’offre européen) ; d’autre
part, l’augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour les distributeurs de carburants qui ne
respectent pas les taux d’incorporation. Le niveau élevé de la
pénalisation conduit à la quasi-obligation pour les distributeurs d’une incorporation à hauteur des objectifs fixés.
De manière générale, les EM ont d’abord cherché à encourager le développement des biocarburants via la déduction
fiscale, totale ou partielle. Toutefois, le coût budgétaire de
ces mesures incitatives les conduit progressivement à prendre, au minimum à envisager, des mesures d’incorporation
obligatoire.
Demande et offre de biocarburants dans l’UE
Une consommation / production essentiellement
composée de biodiesel
La consommation de carburants dans l’UE-25 se répartit
entre le gazole pour 55 %, et l’essence pour 45 %. Ce relatif
équilibre ne se retrouve pas au niveau des biocarburants,
aussi bien en termes de taux d’incorporation (en 2005, 1,6 %
pour le biodiesel et seulement 0,4 % pour le bioéthanol) qu’en
matière de biocarburants produits (80 % pour le biodiesel et
seulement 20 % pour le bioéthanol). Alors que l’UE est un
acteur marginal sur le marché mondial du bioéthanol (2 % en
2005), elle est de loin le leader sur le marché mondial du biodiesel (88 % en 2005). Le graphique 1 illustre la forte croisGraphique 1 - Production communautaire de bioéthanol
et de biodiesel, 1992-2006
Pour l’UE-15 jusqu’en 2004, UE-25 en 2005
et UE-27 en 2006
(en milliers de tonnes)
6000
sance de la production communautaire de biodiesel depuis le
début des années 1990, plus particulièrement depuis le début
des années 2000.
Un recours très modéré aux importations
Le biodiesel consommé dans l’UE est entièrement produit
sur le sol communautaire, alors qu’environ 20 % de l’éthanol
utilisé comme biocarburant est importé. Les importations
communautaires de biodiesel supportent pourtant un droit de
douane faible (6,5 % ad valorem). Si elles sont quasiment
nulles, c’est tout simplement parce que la production de biodiesel hors UE est aussi très faible. Les huiles pouvant entrer dans la fabrication du biodiesel sont également très peu
taxées à l’importation. A ce stade, ce sont essentiellement
des obstacles techniques et/ou réglementaires qui font que
les utilisations d’huiles autres que l’huile de colza sont très
limitées. Aujourd’hui, la production communautaire de biodiesel est assurée à 95 % à partir d’huile de colza domestique, le solde à partir d’huile de tournesol domestique ou
d’huile de palme importée. Les importations communautaires d’huile de palme ont néanmoins cru sur les derniers mois
suscitant émoi au sein de l’UE quant au risque de déforestation dans les pays tropicaux, en Indonésie et en Malaisie
notamment, mais aussi en Amérique latine. Plusieurs EM et
le Parlement européen ont exprimé le souhait d’une restriction sur les importations d’huile de palme via la limitation de
leur usage à des fins énergétiques.
Les importations communautaires d’éthanol des pays ACP
(Afrique, Caraïbes et Pacifique) et d’Amérique centrale sont
libres de droit ; celles en provenance du Brésil, premier
exportateur mondial, sont fortement taxées. Plusieurs EM
ont émis le souhait d’une réduction de ces droits de douane
de façon à s’approvisionner au coût le plus bas. D’autres EM,
en premier lieu les deux grands pays agricoles que sont
l’Allemagne et la France, sont opposés à une telle mesure,
principalement parce qu’ils poursuivent aussi, via la politique
de développement des biocarburants, un objectif de soutien
à leurs producteurs agricoles.
Une production concentrée dans quelques Etats membres
Conséquence directe de la diversité des politiques nationales
des biocarburants, l’inégale répartition de la production entre
EM. En 2006, les principaux pays producteurs de biodiesel
sont l’Allemagne (près de la moitié de la production communautaire), la France et l’Italie (cf. graphique 2). Pendant plusieurs années, la production communautaire de bioéthanol a
été dominée par l’Espagne (cf. graphique 3). Sur les années
les plus récentes, la production a cru de façon significative
dans plusieurs autres pays européens : en 2006, cette crois-
5000
Graphique 2 : Production de biodiesel dans différents EM
(en milliers de tonnes)
4000
3000
3000
2000
B I OE T HA N O L
2006
2005
2003
2004
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1992
1993
0
Al l e m a g n e
2500
1000
BI OD I ES E L
2000
I ta l i e
1500
F r a n ce
1000
R e p . T ch è q u e
500
R.U .
0
Source : European Biodiesel Board pour le biodiesel
(http://www.ebb-eu.org/stats.php, consulté en juillet 2007)
Eur’Observer, Le Baromètre des biocarburants
(nos annuels de, 2004 à 2007) pour l’éthanol
2 - INRA Sciences Sociales - N° 2-3 - Septembre 2007
2002
2003
2004
2005
2006
Source European Biodiesel Board,
(http://www.ebb-eu.org/stats.php, consulté en juillet 2007)
Graphique 3 : Production d’éthanol dans différents EM
(en milliers de tonnes)
350
300
Espagn e
250
S uède
200
150
Al l emagn e
100
Fr an ce
50
P ol ogn e
0
2002
2003
2004
2005
2006
Source : Eur’Observer, Le Baromètre des biocarburant,
(nos annuels de 2004 à 2007)
sance a été particulièrement forte en Allemagne, faisant de
ce pays aujourd’hui le premier pays producteur de l’UE, non
seulement de biodiesel, mais aussi de bioéthanol.
Un impact significatif sur les marchés communautaires,
des oléagineux (graines, huiles et tourteaux)
Le récent développement de la production communautaire
de biodiesel a eu un impact direct sur la consommation totale
d’huile de colza au sein de l’UE : de 4 millions de tonnes
en 2002/03 à 6,6 millions de tonnes en 2005/06. Pour la
première fois en 2005/06, les utilisations non alimentaires
d’huile de colza ont été plus élevées que les usages alimentaires. En 2006/07, le débouché du biodiesel devrait représenter 64 % des utilisations totales d’huile de colza au sein
de l’UE-25.
Conséquence directe de la croissance de la consommation
d’huile de colza, l’augmentation de la production domestique de graines de colza. Celle-ci a doublé en quinze ans,
passant de 8 millions de tonnes en 1992 à 16 millions de
tonnes en 2006. Jusqu’en 2005, cette hausse de la production a été suffisante pour satisfaire les besoins de la trituration et maintenir des exportations de graines de colza
vers les pays tiers. Ce ne sera plus le cas en 2006/07,
année qui verra la balance commerciale de graines de
colza devenir négative.
Ces évolutions des quantités demandées et offertes ont eu
des effets directs sur les prix des produits du colza (graines,
huiles et tourteaux). On note en particulier depuis le début
des années 2000, une hausse du prix de l’huile de colza relativement aux prix des autres huiles et une baisse simultanée
du prix du tourteau de colza relativement à celui du tourteau
de soja (Dronne et Gohin, 2006).
La situation est fort différente pour le bioéthanol qui ne
représente aujourd’hui encore qu’une part très faible des
débouchés céréaliers et sucriers dans l’UE. Cette importance a néanmoins tendance à croître. Les quantités de
céréales utilisées pour la fabrication de bioéthanol se sont
élevées à 0,5 million de tonnes en 2004, 1,3 million de
tonnes en 2005 et 1,9 million de tonnes en 2006 (soit
moins de 1 % de la production communautaire céréalière).
Quant aux betteraves, les volumes utilisés pour la fabrication de bioéthanol correspondent à environ 5 % de la
production domestique. Mais si les prix des céréales et du
sucre sont élevés aujourd’hui, cela n’est dû que pour
par tie à la demande communautaire de bioéthanol ;
d’autres facteurs interviennent : le développement des
biocarburants dans d’autres zones du monde (notamment
aux Etats-Unis et au Brésil), la croissance économique
soutenue au niveau mondial, des accidents climatiques,
des stocks mondiaux minima, des comportements spéculatifs, etc.
Quelques questions posées par le
développement des biocarburants dans l’UE
Estimation des surfaces nécessaires
pour la production de biocarburants
Afin d’apprécier la plausibilité d’atteindre le taux d’incorporation des biocarburants cible de 5,75 % à l’horizon 2010
sur la base d’une production uniquement domestique
(comme c’est le cas aujourd’hui dans une très large
mesure), nous avons estimé les superficies qu’il serait
nécessaire de mobiliser.
Le besoin serait d’environ 13 millions d’hectares, soit un
peu moins de 20 % de la surface aujourd’hui consacrée aux
cultures arables dans l’UE-25. Mobiliser une telle superficie
à des fins énergétiques aura un impact significatif sur
les prix agricoles dans l’UE, puisque c’est déjà le cas aujourd’hui avec des niveaux d’incorporation nettement plus faibles. Par ailleurs, cette demande élevée de terres à des fins
énergétiques pourrait également avoir un impact sur l’environnement, via au moins deux canaux : à la marge extensive
d’abord via la remise en culture de terres aujourd’hui en
jachère (processus qui devrait néanmoins être d’ampleur
limitée compte tenu qu’une grande part des terres gelées
potentiellement mobilisables l’est déjà), l’augmentation des
surfaces en colza au-delà des pratiques agronomiques
recommandées et/ou la conversion de prairies en cultures ;
à la marge intensive ensuite via la recherche de rendements
à l’hectare élevés sous l’influence de prix agricoles forts
(avec des impacts potentiellement négatifs sur les pollutions
par les engrais et les pesticides, la consommation en eau,
etc.).
Un recours accru aux importations est une des solutions possibles pour limiter ce besoin en terres dans l’UE, les impacts
à la hausse sur les prix agricoles domestiques et les conséquences potentiellement négatives sur l’environnement. Mais
ne s’agit-il pas là d’un déplacement du problème à une autre
échelle, celle de la planète ? Dit autrement, la question
majeure est celle des terres mobilisables pour les différents
usages, alimentaires et non alimentaires, et des effets de la
concurrence entre ces deux types d’utilisation si un nombre
croissant de pays se fixent des objectifs ambitieux en matière
d’utilisation des biocarburants.
Quel impact sur les émissions de gaz à effet de serre ?
Les biocarburants présentent a priori des bilans en termes
d’émissions de GES plus favorables que les carburants fossiles car le gaz carbonique émis lors de leur combustion est
compensé par l’absorption de CO2 par les plantes lors de la
phase de végétation. Il n’y a pas consensus sur ces bilans
car leur mesure implique des choix méthodologiques et des
hypothèses de calcul. Selon ces choix, les bilans peuvent
sensiblement diverger (cf. tableau 1).
Un facteur essentiel qui explique une large part des écarts
est la comptabilisation des coproduits, plus spécifiquement
l’affectation des coûts aux différents produits générés lors du
processus de fabrication des biocarburants. Une première
méthode repose sur l’affectation des quantités consommées
d’énergie fossile au sein d’une filière de biocarburants donnée aux coproduits proportionnellement à la masse de ces
INRA Sciences Sociales - N° 2-3 - Septembre 2007 - 3
derniers. Une deuxième utilise une approche par substitution
en affectant aux coproduits d’une filière de biocarburants
donnée l’énergie fossile nécessaire pour produire les biens
que ces coproduits vont remplacer. De manière générale, les
études basées sur la deuxième approche aboutissent à des
résultats plus modestes que celles fondées sur la première,
à la fois en termes d’efficacité énergétique et de réduction
des émissions de GES.
Le tableau 1 compare ainsi les résultats de trois études, la
première basée sur la méthode d’allocation au prorata des
masses, les deux autres sur l’approche de la substitution.
Sauf exception, les biocarburants ici considérés réduisent les
émissions de GES. Le biocarburant communautaire qui présente le bilan le plus favorable est celui produit à partir d’huile
végétale pure ; puis viennent le biodiesel, l’éthanol de betterave et enfin l’éthanol de blé. Les deux études basées sur la
méthode de la substitution fournissent des intervalles : la largeur de ces derniers s’explique essentiellement par la technologie de production utilisée, plus spécifiquement par les
sources et les quantités d’énergie utilisées dans le processus
industriel de fabrication des biocarburants. Ainsi, un biocarburant issu d’une bio-raffinerie d’éthanol qui utilise de la paille
pour la production d’électricité et de chaleur présentera un
bilan énergétique et d’émissions de GES nettement plus favorable que le même biocarburant issu d’une unité conventionnelle : relativement à l’essence, la réduction des émissions de
GES serait de 60 % dans le premier cas, de 15 % seulement
dans le deuxième (JRC et al., 2007).
Tableau 1 : Réduction des émissions de GES des
biocarburants par rapport au carburant de référence
ADEME
2002(1)
VIEWLS
2005(2)
JRC
2007(3)
Ethanol de blé
60 %
– 21 à 32 %
– 8 à 80 %
Ethanol de betterave
60 %
20 à 73 %
32 à 65 %
Biodiesel de colza
70 %
18 à 64 %
Biodiesel de tournesol
75 %
Huile végétale pure de colza
78 %
39 à 52 %
45 à 70 %
(1) ADEME/PWC/DIREME (2002) : Bilans énergétiques et gaz à effets de serre
des filières de production de biocarburants. Rapport technique, version
définitive, Novembre 2002.
(2) VIEWLS (2005) : Environmental and Economic Performance of Biofuels.
(3) JRC Ispra, Concawe, Eucar (2007) : Well-to-Wheel Analysis of Future
Automotive Fuels and Power Trains in the European Context.
http://ies.jrc.cec.eu.int/WTW
Une limite majeure des études considérées ci-dessus est la
non prise en compte (ou l’insuffisante prise en compte) des
impacts sur les émissions de GES liés aux changements
d’usage des sols. Dans l’UE, cela concerne surtout, du
moins à ce jour, la mise en culture potentielle de surfaces
aujourd’hui en jachère et/ou en herbe. Au niveau mondial,
cela concerne surtout la destruction de forêts : à cette
échelle, un développement excessif des biocarburants pourrait se traduire, via la déforestation et/ou le retournement de
prairies, non pas par une réduction des émissions de GES,
mais par leur augmentation (UN, 2007).
In fine, on retiendra que la contribution des biocarburants de
première génération à la réduction des émissions de GES de
l’UE ne peut être que modeste (selon nos estimations, diminution des émissions de 1 % pour une incorporation des biocarburants à 5 %). Néanmoins, toute contribution à la réduc4 - INRA Sciences Sociales - N° 2-3 - Septembre 2007
tion des émissions de GES, même marginale, doit être
accueillie favorablement. En outre, on peut raisonnablement
anticiper que le bilan des biocarburants de deuxième génération devrait être plus positif, en matière d’efficacité énergétique comme de réduction des émissions de GES (cf. infra).
Quel impact sur la dépendance énergétique ?
Aujourd’hui, l’UE dépend à 50 % des importations pour son
approvisionnement total en énergie (à 80 % pour le seul
pétrole). Si « rien n’est fait », la dépendance devrait fortement croître à l’horizon 2030 pour atteindre 63 % pour toute
l’énergie et 93 % pour le pétrole. Dans ce contexte, l’utilisation de la biomasse dans les transports est encouragée
parce qu’elle est l’un des rares substituts au pétrole. La
contribution des biocarburants de première génération à
la réduction de la dépendance énergétique de l’UE, plus
précisément pétrolière, ne représentera néanmoins que
quelques points de pourcentage (3 % selon la Commission
européenne pour une incorporation à 5,75 %). Accroître les
importations de biocarburants de façon importante permettrait de dépasser ce plafond. Dans cette hypothèse néanmoins, il s’agirait plus d’une diversification des sources
d’approvisionnement en carburants/biocarburants que
d’une réelle réduction de la dépendance énergétique. En
outre, l’impact positif attendu sur les revenus des agriculteurs communautaires de grandes cultures serait alors
moindre.
Quelle politique de promotion des biocarburants :
incitations fiscales et/ou incorporation obligatoire ?
Une politique de promotion des biocarburants reposant
sur des exonérations fiscales fait porter l’essentiel de la
charge du soutien aux biocarburants sur le contribuable.
C’est la crainte d’une croissance excessive du coût budgétaire liée aux détaxations qui conduit (pourrait conduire)
un nombre croissant d’EM à remplacer les incitations fiscales par des mesures d’incorporation obligatoire : le soutien aux biocarburants est (serait) alors à la charge du
consommateur.
La compétitivité des biocarburants relativement aux carburants fossiles dépend des prix de ces derniers. Elle dépend
aussi des prix des matières premières agricoles utilisées
pour la fabrication de biocarburants : ces matières premières constituent en effet le premier poste du coût (variable)
de production des biocarburants, jusqu’à 90 % dans le cas
du biodiesel fabriqué à partir de colza. Dans un régime où
la demande de biocarburants est déterminée par les
signaux de marché que sont les prix, un cours élevé du
pétrole a pour effets d’améliorer la compétitivité relative
des biocarburants, d’augmenter leur demande, d’accroître
la demande de matières premières agricoles nécessaires à
la fabrication des biocarburants, d’augmenter le prix de ces
matières premières et, par suite, de diminuer la compétitivité relative des biocarburants vis-à-vis du pétrole
(Schmidhuber, 2007). L’équilibre final sur le marché des
biocarburants dépend donc de la force de l’effet initial
(impact positif d’une augmentation du cours du pétrole sur
les quantités de biocarburants consommées et produites)
relativement à celle de l’effet induit final (impact négatif de
l’augmentation des cours des matières premières agricoles sur les quantités de biocarburants consommées et
produites).
Selon nos estimations basées sur un modèle d’offre du
secteur français des grandes cultures, le biodiesel serait
compétitif aux niveaux actuels d’incorporation pour un cours
du pétrole d’environ 60$ US le baril. Si l’objectif hexagonal
d’incorporation de 7 % ne devait être satisfait qu’à partir de
colza français, le seuil de compétitivité du biodiesel serait de
90$ US le baril. En effet, pour satisfaire cet objectif ambitieux d’incorporation, il faudrait accroître la production
domestique de colza. Ceci entrainerait une hausse des
coûts de production du colza (notamment en raison des
contraintes agronomiques d’assolements et de rotations) : le
coût d’opportunité du colza, i.e., le prix de la graine de colza
qu’il faudrait payer aux producteurs pour qu’ils acceptent de
fournir les volumes requis de colza, serait de 330 euros par
tonne (Jacquet et al., 2007).
En résumé, on retiendra que le développement des biocarburants pourrait se trouver freiné par la hausse des prix des
matières agricoles que ce développement va induire. Ceci
a d’autant plus de chances de se réaliser que le recours
aux importations est réduit, d’une manière ou d’une autre.
En outre, si les politiques publiques cherchent « mécaniquement » à combler l’écart de compétitivité entre biocarburants et carburants fossiles (écart de compétitivité qui
est une fonction croissante de la quantité de biocarburants
produite / consommée), le coût budgétaire de ces politiques
pourrait rapidement s’avérer trop élevé. Rendre l’incorporation obligatoire permettrait certes de diminuer le coût budgétaire, mais au détriment alors des consommateurs qui
auraient à supporter le coût économique de la promotion
des biocarburants.
En guise de conclusion
Les biocarburants communautaires de première génération
présentent un bilan en termes de réduction des émissions de
GES très vraisemblablement positif, mais moins que les premières estimations des années 2000 ne le suggéraient. Ils
devraient également permettre de réduire la dépendance
énergétique de l’UE, mais ici aussi dans des proportions
(très) modestes. La question est alors de savoir si le soutien
public aux biocarburants de première génération est justifié
parce qu’ils permettent de réduire les émissions de GES et
la dépendance énergétique (pétrolière) de l’UE. Plus précisément, la question est de déterminer le niveau de soutien
« juste » requis en contrepartie de ces deux effets considérés comme souhaitables d’un point de vue collectif. Dans
cette perspective, il convient de ne pas oublier les effets environnementaux potentiellement négatifs qui seraient dus à
des changements dans les utilisations des sols et/ou à des
pratiques agricoles excessivement consommatrices d’eau,
d’engrais, de produits de traitement, etc. Naturellement, ces
effets contraires sur l’environnement seront d’autant plus
importants que les objectifs d’incorporation seront élevés et
le recours aux importations limité. Rappelons en passant
qu’une augmentation des importations ne pourrait revenir
qu’à « déplacer le problème » si celles-ci devaient conduire à
la déforestation dans d’autres zones du monde. De façon
plus générale, ce dernier point renvoie aux deux questions
liées des surfaces encore disponibles sur la planète et des
gains en rendement à attendre de la recherche/développement pour satisfaire les besoins alimentaires et non
alimentaires de demain.
Un autre argument peut être invoqué pour justifier le soutien
public aux biocarburants de première génération, celui de
l’industrie naissante et du nécessaire apprentissage en
attendant la seconde génération de biocarburants (cf.
encadré). C’est d’ailleurs via le développement des biocarburants de deuxième génération que l’UE espère atteindre
le nouvel objectif d’incorporation de 10 % qu’elle a récemment fixé pour 2020. Dans cette perspective, il s’agit essentiellement d’arbitrer entre le soutien à la production industrielle des biocarburants de première génération et le soutien à la recherche et au développement des biocarburants
de deuxième génération. Ceux-ci présentent au moins trois
avantages relativement aux biocarburants de première
génération :
(1) Leur productivité à l’hectare est nettement supérieure.
Pour une même quantité de biocarburants, ils requièrent
environ six fois moins de surfaces : ainsi, alors qu’un
hectare de colza permet de produire environ 1,2 tonne
d’équivalent pétrole (tep), un hectare de miscanthus
pourrait en produire jusqu’à 7.
(2) Leur efficacité en termes de réduction des émissions de
GES est nettement supérieure. Ainsi, l’éthanol produit à
partir de la ligno-cellulose pourrait permettre une réduction des émissions de GES dans une fourchette de 75 à
89 %, et le biodiesel de seconde génération (BtL) de diminuer ceux-ci de 96 % (JRC et al., 2007).
(3) Enfin, ils sont issus de productions agricoles plus diverses pouvant être cultivées dans des conditions pédoclimatiques variées. Ils peuvent notamment être produits
à partir de cultures économes en eau. De ce fait, ils
seraient plus intéressants sur le double plan de l’environnement et de l’occupation du territoire.
Les biocarburants de deuxième génération
Les biocarburants de deuxième génération sont produits par transformation de la biomasse ligno-cellulosique d’origine agricole, forestière, ou issue de déchets agricoles et industriels. Il existe deux procédés de transformation, la voie biochimique (hydrolyse enzymatique)
et la voie thermochimique (gazéification à haute température). Les ressources agricoles qui peuvent/pourraient être mobilisées sont des
cultures traditionnelles dont on utiliserait la totalité de la plante (triticale, luzerne, etc.), ou des cultures dédiées choisies pour leur production élevée de biomasse ligno-cellulosique à l’hectare (miscanthus, switchgrass, taillis forestier, etc.). De façon générale, ces biocarburants de deuxième génération sont aujourd’hui au stade de l’expérimentation. Ils bénéficient d’un effort de recherche substantiel,
tant public que privé, l’objectif étant de lever certains verrous techniques et d’abaisser les coûts de fabrication à l’échelle industrielle.
- Pour ce qui est de la voie biochimique, il s’agit principalement d’améliorer l’efficacité des enzymes utilisés. Des installations pilotes existent
dans plusieurs EM, notamment en Suède (ETEK), en Espagne (Abengoa) et au Danemark.
- Pour ce qui est de la voie thermochimique, les technologies de gazéification de la biomasse ont d’abord été orientées vers la production de chaleur et d’électricité. Ce n’est que très récemment que l’intérêt s’est porté sur la production, à partir du mélange de gaz obtenu,
de biocarburants liquides (BtL, DME) et d’hydrogène. L’Allemagne est le pays le plus avancé sur cette voie, via le développement de
véhicules roulant au BtL et d’unités de production de ce carburant (Choren).
INRA Sciences Sociales - N° 2-3 - Septembre 2007 - 5
Terminons en revenant sur les conséquences pour l’agriculture communautaire et la PAC du développement des biocarburants de première génération. Nul ne contestera qu’ils
sont la « bouffée d’oxygène » qu’attendaient les agriculteurs
européens, du moins les producteurs de grandes cultures.
Les conséquences à moyen terme pour les éleveurs européens sont plus incertaines ; un facteur aura un impact favorable sur les revenus de ces derniers (la disponibilité de
coproduits, en particulier de tourteaux protéiques, à bas
coût), mais deux facteurs joueront négativement (les augmentations des prix des céréales et des terres). N’oublions
pas non plus le rôle joué par la PAC en termes de stabilisation des prix domestiques. Ceux-ci pourraient se révéler plus
instables demain, dans un contexte de tensions augmentées
sur les marchés. En résumé, il faut prendre garde à ne pas
trop vite céder à la tentation de la simplicité en concluant que
réformer la PAC est maintenant plus facile puisque les prix
sont plus élevés.
Florence Jacquet, Laure Bamière, Jean-Christophe Bureau, Loïc Guindé, Guy Millet et David Tréguer
UMR 210 Economie publique, INRA AgroParisech
florence.jacquet@grignon.inra.fr
Hervé Guyomard
UR 122 ESR, INRA Rennes
herve.guyomard@rennes.inra.fr
Pour en savoir plus :
Commission européenne (2007). Rapport sur les progrès accomplis en matière de biocarburants et des autres carburants
renouvelables dans les États membres de l’Union européenne. COM (2006) 845 final, 10 janvier 2007.
Dronne, Y. ; Gohin, A. (2006). Le développement des utilisations non alimentaires de l’huile de colza dans l’UE : quels
impacts sur les marchés et les prix mondiaux ?, OCL, 12(5-6).
Jacquet, F. ; Bamière, L. ; Bureau, J.-C. ; Guindé, L. ; Guyomard, H. ; Treguer, D. (2007). Recent Developments and
Prospects for the Production of Biofuels in the EU : Can they really be « Part of the Solution » ?, Paper presented at the
Farm Foundation Workshop on “Biofuels, Feed and Food Tradeoff”, Saint Louis, USA. (www.farmfoundation.org)
Schmidhuber J. (2007). Biofuels : An Emerging Threat to Europe’s Food Security ? Impact of an Increased Biomass Use on
Agricultural Markets, Prices and Food Security : A Longer Term Perspective. Working Paper “Notre Europe”, May 2007.
United Nations (2007). Sustainable Bioenergy : A Framework for Decision Makers. UN-Energy, May 2007.
Diffusion : Martine Champion, INRA SAE2 - Mission Publications, 65 Bd de Brandebourg - 94205 Ivry Cedex
Egalement disponible (au format pdf) sur le site : http://www.inra.fr/Internet/Departements/ESR/publications/iss/
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