Gras Savoye : «La vente à la découpe, un gâchis épouvantable», selon Patrick Lucas
Il ne s’était pas exprimé depuis fin 2015 et son départ de Gras Savoye. Face à la menace d’un démantèlement du premier courtier français, qu'il a dirigé de 1973 à 2015, Patrick Lucas a accepté de sortir de sa réserve dans un entretien exclusif accordé à L’Argus de l’assurance. A 82 ans, il se dit prêt à « s’impliquer personnellement » pour défendre une solution qui préserve l’intégrité de l’entreprise qu’il a façonnée pendant près de 50 ans.
Sébastien Acedo
\ 08h36
Sébastien Acedo
La Commission européenne teste actuellement le « paquet » d’activités à céder proposé par Aon dans le cadre de sa fusion avec Willis Towers Watson. Un paquet qui prévoit notamment la scission de Gras Savoye en deux parties. Quelle a été votre réaction à la lecture de ce scénario ?
Patrick Lucas : Je ne peux qu’être hostile à ce découpage que je trouve malvenu et extrêmement dommageable. Ce serait un gâchis épouvantable pour les collaborateurs et les clients. Je suis sidéré que des groupes comme Willis Towers Watson et Aon n’aient pas imaginé un seul instant que leur rapprochement susciterait de vives réactions des régulateurs. Il est regrettable que cette inconséquence se traduise par le sacrifice d’un fleuron français. D’un autre côté, on peut aussi se réjouir que des autorités européennes puissent servir de remparts aux monopoles.
Pourquoi la scission de Gras Savoye entre l’assurance de personnes d’un côté, et le dommages et les régions de l’autre, n’a pas de sens selon vous ?
P. L. : La vente à la découpe constitue le pire des scénarios. Depuis les années 70, j’ai construit étape par étape le modèle économique de Gras Savoye qui vit encore aujourd’hui. Gras Savoye forme un ensemble qui vit à travers ses diverses composantes et qui s’accommode mal d’une vente en morceaux. Dans les années 70, nous n’existions que sur les risques industriels et l’auto. J’en ai donc d’abord fait un courtier multi-spécialiste. Ensuite, j’ai développé un réseau régional en partant de zéro. La recette était simple : garantir une dose d’indépendance dans le fonctionnement à ces entités régionales pour faciliter la venue de courtiers locaux et ainsi croitre plus vite. Le troisième étage de la fusée a consisté à propulser Gras Savoye à l’international en visant l'Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie, toujours en partant de zéro. Ces trois composantes sont étroitement liées et s’entraident. Nier cette histoire, c’est passer à côté de la culture de cette entreprise.
Fin 2015, vous aviez pourtant accepté de céder Gras Savoye à Willis. Avec le recul, regrettez-vous ce choix ?
P. L. : Vendre à Willis apparaissait à l’époque comme un choix évident même si je n’avais pas un grand enthousiasme. Depuis 40 ans, je repoussais leurs offres de rachat. Je n’en avais pas envie car je considérais que Gras Savoye pouvait poursuivre son cheminement seul. Si j’avais pu éviter de céder, je l’aurais fait mais nous atteignions les limites d’un actionnariat familial [Gras, Savoye, Lucas et Drieux]. Willis a tout fait pour finaliser la vente en décembre 2015 afin de préparer sa fusion quelques jours plus tard avec Towers Watson, sans que j’en sois informé.
L’américain Arthur J. Gallagher compte parmi les candidats actifs pour se porter acquéreur d’une partie ou de la totalité des activités à céder. Cette option est-elle souhaitable pour Gras Savoye ?
P. L. : Gallagher me semble être une solution intéressante qu’il faut étudier. Ce n’est pas une solution française mais c’est un moindre mal. C’est un vrai courtier d’assurance familial qui dispose d’une taille raisonnable face aux « machines à encaissements » que sont Aon ou Marsh. Gallagher arrive à un moment de son histoire où il doit mettre un pied en Europe pour sortir de son positionnement purement américain et entrer dans le concert du courtage international. Le réseau européen de Gras Savoye peut lui ouvrir des affaires. Il faut tout mettre en œuvre pour convaincre Aon et Willis Towers Watson de céder Gras Savoye dans sa totalité.
Seriez-vous prêt à vous investir dans ce dossier ?
P. L. : Je ne peux pas être indifférent dès qu’il s’agit de Gras Savoye. J’ai consacré un demi-siècle de ma vie à construire cette entreprise. Depuis quelques jours, je reçois des dizaines de messages de collaborateurs, actuels et anciens, préoccupés par cette situation. Il faut essayer d’intervenir. Je n’ai aujourd’hui plus aucune fonction dans l’entreprise mais je suis prêt à m’impliquer personnellement, à aider, conseiller, soutenir, porter des arguments. S’il le faut, je me déplacerai à Bruxelles pour aller plaider la cause de Gras Savoye et défendre une solution - celle d’Arthur J. Gallagher ou de tout autre acheteur - qui préserve l’entreprise.
Propos recueillis par Sébastien Acedo
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