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Pierre Landolt, itinéraire d’un héritier durable

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Pierre et Catherine Landolt, trente-six ans de mariage et trois enfants.
En Suisse, Pierre Landolt est banquier, administrateur, entrepreneur… Et au Brésil, agriculteur biodynamique.
Pierre Landolt et Leoncio, l’un des 48 employés de la fazenda Agua de Tamanduá.

Quand on rencontre Pierre Landolt pour la première fois, on s’attend un peu à L’héritier , le Bart Cordell du film de Philippe Labro. En fait, à part le rythme haletant qu’il imprime à tout ce qu’il fait, le président de la Fondation de famille Sandoz serait plutôt Sam Lion, l’entrepreneur autodidacte et échappé des conventions d ’Itinéraire d’un enfant gâté . Belmondo dans les deux cas.

Pierre Landolt est un baroudeur. La devise du régiment de para où il a fait son service militaire à Tarbes est «droit devant». Toutefois, il ne se laisse pas encapsuler dans la seule dimension d’homme d’action. Ce jour-là, l’homme descend d’un banal véhicule utilitaire Fiat pour guider un groupe de journalistes depuis la petite bourgade de Patos jusqu’à sa Fazenda Tamanduá, sa ferme perdue à 20 kilomètres de là dans le sertão, le maquis du Nordeste brésilien.

Parti travailler au début des années 1970 pour Sandoz, le groupe familial par sa mère, le fils de médecin de Montparnasse se découvre au Brésil une passion pour l’agriculture. Après une licence de droit, il l’apprendra sur le tas. Cela dit, on n’hérite pas d’une dynastie de protestants originaire du Locle sans une éthique profonde. Et son grand-père, le sculpteur animalier Edouard-Marcel Sandoz, lui a transmis l’amour de la nature.

Il choisit de conduire son aventure aussi bien personnelle que familiale sous ce signe et sous celui de la durabilité. Du développement durable, autrement dit. De faire «sans faute», comme le préconise la devise familiale sine dolo. Mais pas sans risque, parce que c’est son caractère.

L’aventure absolue - -

Sur la piste de la fazenda, il pile soudain. Passe un magnifique serpent corail. «Il n’est pas dangereux celui-là. Il a le ventre blanc.» – «Tu en es sûr?», le reprend sa femme, Catherine, pas plus impressionnée par le reptile que par l’assurance de son mari. Elle, Parisienne, née de Clermont-Tonnerre – un nom qui, sur Wikipédia, raconte l’histoire de France – a abandonné une carrière prometteuse dans la pub en 1978 pour le rejoindre après l’achat de cette exploitation de 3000 hectares.

Dans leur maison qui reprend ou, plus probablement, annonce le style des écolodges avec les strates de roche naturelle qui traversent le sol du salon ou servent de bassin à la piscine, celui qui est aussi vice-président du conseil de la Fondation du Montreux Jazz Festival chantonne tout le temps. Au petit-déjeuner, devant les reblochons produits sur place avec le lait des brunes suisses qu’il a importées et le tube de Cenovis, on songe à Truffaut qui disait que «la sagesse est dans les chansons populaires». Et à Piaf qui chantait: «Qu’on soit riche ou sans un sou, sans amour on n’est rien du tout.»

Trente-six ans de mariage et l’éducation de trois enfants dans ce bout du monde où Catherine s’est fait des amies – quand elle n’est pas devenue marraine – en accompagnant de nuit, seule parfois, une paysanne pour un accouchement en urgence. Simplicité mais aussi aventure absolue dans ce Far West où, il y a trente ans, on portait encore des revolvers à la ceinture.

Bien sûr, on peut penser qu’un tel choix de vie est facile. Qu’il y a l’argent. Que la Fondation Sandoz contrôle 3,3% des actions de Novartis (dont Pierre est administrateur) et d’autres de Syngenta. Qu’il y a l’horloger Parmigiani Fleurier, le Beau-Rivage Palace et l’Hôtel d’Angleterre ou bien encore l’opérateur télécoms Interoute (417 millions de revenus l’an dernier pour 91 millions de bénéfices avant impôt)…

Ce n’est pas secondaire, naturellement. Pour Pierre Landolt et sa famille, c’est même plus qu’un héritage: une «legacy», au sens anglo-saxon. Quelque chose qui engage, en particulier vers les générations futures. Soit onze enfants au total, quand ils n’étaient que trois frères (Marc-Edouard, Pierre et François) et une sœur (Monique) au moment où la fondation fut créée en 1964 par Edouard-Marcel Sandoz.

«Je n’allais pas rester là à sucer mon pouce doré», répond Pierre Landolt, qui parle le Michel Audiard dans le texte, quand on soulève cette question de la fortune (estimée entre 7 et 8 milliards de francs). Il précise que ce n’est pas la sienne mais celle de la famille. Surtout, il a choisi de lui donner un sens: celui de la durabilité. C’est pour cela qu’en Suisse il est banquier, administrateur, entrepreneur… Et au Brésil fermier, ou plus exactement agriculteur biodynamique.

Essais et erreurs - -

Inspiré par le courant anthroposophe – ce que Pierre Landolt n’est pas – et les principes de son fondateur Rudolf Steiner, le biodynamisme consiste à voir une ferme comme un organisme vivant. Dans le bâtiment principal de la fazenda, les naturalistes enchaînent les présentations, expliquant l’inventaire de toutes les espèces effectué sur le territoire de l’exploitation.

En pratique, cela signifie aussi le plus d’autonomie possible, pas d’engrais chimiques mais du compost, ni de produits phytosanitaires qui ne soient pas naturels; 300 ruches assurent la pollinisation en plus du miel. Les chèvres jouent le rôle de désherbant au milieu des manguiers, en plus du lait pour les fromages.

Une telle approche est cependant une gageure dans une région semi-aride. «J’ai choisi le plus difficile», dit-il. L’exploitation est passée par toutes sortes de difficultés liées essentiellement à de longues périodes de sécheresse et à l’érosion des sols minces – les tabuleiros – quand les pluies – 700 millimètres par an en moyenne – reviennent.

Le coton qu’il plante au départ avec Didier Jean, son ami architecte devenu directeur de la ferme, a grillé. Mais les vaches brunes qu’ils ont importées en partie se sont bien acclimatées. Le troupeau atteint 500 têtes. Trente hectares de manguiers sont aussi devenus un business qui s’exporte à 90%. Et qui donne du travail non seulement aux trente familles établies sur la fazenda mais à une centaine d’autres, voisines, en période de cueillette et de conditionnement.

D’autres projets sont en devenir, comme ceux des microalgues. Profitant d’un ensoleillement de douze heures par jour à 7 degrés sud de l’équateur, Pierre Landolt a lancé la culture de spiruline. L’entreprise en extrait un complément alimentaire. Elle contient aussi une molécule, la phycocyanine, dont les vertus anti-inflammatoires pourraient déboucher sur un médicament. A côté de cela, une autre algue, la chlorelle, a du potentiel en tant qu’agrocarburant et cosmétique.

A force d’essais et d’erreurs, le dynamisme de la fazenda Tamanduá commence à payer. «L’institut de statistiques brésilien a constaté une augmentation de 53% en dix ans des revenus personnels des habitants de la ville voisine de Patos. Elle est de 500% dans la Municipalité où est située la ferme», souligne Pierre Landolt. Reste que, comme le constate Didier Jean, «l’exploitation n’est pas soutenable depuis deux ans à cause de la sécheresse».

Pour la mettre à l’abri de ces fluctuations, Pierre Landolt a investi environ 3,5 millions de francs dans une autre ferme, à Souza, à 120 kilomètres au nord. Là, la présence de barrages permet d’irriguer sans autre énergie que la gravité; 48 personnes y entretiennent un troupeau de 1400 brebis et cultivent du riz rouge, du sorgho, du guarana, de la goyave sur 4000 hectares dont 20% de réserves. Voisin de paysans du Mouvement des sans-terre, Pierre Landolt a, là aussi, fait le choix du transfert de technologies en direction de 178 petits fermiers. Il a même fait venir un boucher de Clarens (VD) pour enseigner les techniques de découpage de la viande.

Entrepreneur récidiviste - -

La fazenda Tamanduá et sa dépendance ne sont de loin pas ses seules entreprises au Brésil. Il s’est lancé dans le microcrédit avec l’Instituto Estrela qui compte 8000 clients. Dans le Mato Grosso do Sul et l’Etat amazonien de Rondonia, les fermes piscicoles de Mar & Terra produisent 8000 tonnes de poissons tigres du Brésil et de pirarucus, le plus gros poisson d’eau douce du pays. - - Dans le sud, Naturalle collecte et exporte 100 000 tonnes de soja non-OGM. Enfin, à Curitiba, Rio de Una produit et conditionne 7000 tonnes de légumes. Pierre Landolt n’est pas peu fier que grâce à l’énergie de son fils, Nicolas, qui dirige ces entreprises (103 millions de francs de chiffre d’affaires), Rio de Una soit devenu récemment le fournisseur de McDonald’s au Brésil.

Car, à 67 ans, transmettre est sa grande obsession. S’il n’a pu qu’influencer à la marge Syngenta dont il n’est plus administrateur, il s’efforce de le faire avec d’autres initiatives en Suisse. La Banque Landolt & Cie dont il est le principal actionnaire et dirige depuis le décès de son frère Marc Edouard, a créé une chaire de stratégies innovatrices en développement durable à l’EPFL en 2009.

Mais ce dont il est probablement le plus fier aujourd’hui, c’est de Valperca et du Jardin des Monts. La première est une pisciculture installée à Rarogne en Valais. Elle capte les eaux pures et tempérées du tunnel du Lötschberg pour produire actuellement 100 tonnes de filets de perche. Le second est l’herboristerie de montagne qu’a cocréée sa fille Charlotte sur l’adret de Rossinière dans le Pays-d’Enhaut. Tout est bio, naturellement.

En 1968, le philosophe allemand Herbert Marcuse prédisait que le capitalisme ferait de nous des êtres unidimensionnels. Pierre Landolt, qui fréquentait les groupes maoïstes quand il était en grève à l’Université Dauphine à Paris à l’époque, prouve que, dès lors qu’il garde sa dimension entrepreneuriale, aventurière en somme, il pousse au contraire les hommes à s’exprimer dans de multiples dimensions. C’est son véritable héritage.