Psychologie comportementale

Les femmes et les hommes ont-ils des personnalités différentes ?

Les hommes et les femmes sont égaux devant la loi et la société, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient identiques. De nouvelles études et approches en psychologie révèlent bien des différences de personnalité entre les sexes, et les résultats sont si solides qu’il est désormais difficile de les ignorer.

CERVEAU & PSYCHO N° 124
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Peu de sujets en psychologie sont plus controversés que les différences entre les sexes (1). Il est possible de classer les débats en deux grandes catégories : la description des différences entre les sexes, y compris l’ampleur et la variabilité de ces distinctions pour une multitude de traits physiques et psychologiques ; et les origines et le développement des différences entre les sexes, y compris l’interaction complexe des facteurs sociaux, culturels, génétiques et biologiques, qui influent sur ces différences.

Il règne un certain flou entre ces deux axes, l’un descriptif, l’autre explicatif. Les scientifiques mettant l’accent sur les facteurs socioculturels dans leurs études ont tendance à conceptualiser les différences entre les sexes comme étant minimes et craignent qu’en les exagérant les « foudres de l’enfer » s’abattent sur la société. Quant à ceux qui mettent l’accent sur les influences biologiques, ils insisteraient plutôt sur le fait que les différences de personnalité et de comportement peuvent être assez marquées.

Je pense que ce flou entre approche descriptive et approche explicative a longtemps freiné ce domaine de recherche et faussé les débats publics sur ces questions à la fois complexes et sensibles. Afin d’apporter des changements véritables et durables, qui aient réellement un effet sur des résultats souhaitables, notre connaissance de la réalité doit être aussi précise que possible. Dans cet article, je me concentre donc sur le domaine de la personnalité, qui a fait des progrès vraiment fascinants depuis quelques années seulement. J’y soutiens que, même si la science a encore un long chemin à parcourir pour approfondir ses connaissances des interactions complexes de la nature et de la culture à l’origine de ces dissemblances, il est néanmoins temps de prendre au sérieux les différences de personnalité entre les sexes.

Les personnalités des hommes, et celles des femmes

Un large corpus d’études bien construites a brossé un tableau assez cohérent des différences de personnalité entre les sexes, qui apparaissent remarquablement homogènes d’une culture à l’autre. Par exemple, celle de Jacob Hirsh, de l’université de Toronto, et ses collègues en 2011, mais il y en a bien d’autres . Ainsi, il s’avère que les différences entre les sexes les plus répandues se situent au niveau de ce qu’on appelle en psychologie différentielle les sous-traits, ou facettes, des cinq grandes dimensions de la personnalité (décrites dans le modèle dit des Big Five), et non au niveau de ces grandes dimensions elles-mêmes.

Commençons donc par expliquer ce qu’est le modèle à cinq dimensions d’analyse de la personnalité. Aujourd’hui, ce modèle des Big Five, le plus solidement établi en psychologie, repose sur cinq dimensions : l’extraversion, le névrosisme, l’agréabilité, la conscienciosité (qui décrit une tendance à agir de façon consciencieuse, méticuleuse et planifiée) et l’ouverture aux expériences. Mais chacune de ces dimensions de la personnalité se décompose elle-même en plusieurs sous-dimensions, encore appelées « facettes », ou « traits ». Et lorsqu’on examine les diverses facettes spécifiques de chacune de ces dimensions, on s’aperçoit alors qu’il y a certains traits qui qualifient mieux les hommes (en moyenne), tandis que d’autres caractérisent mieux les femmes (en moyenne), de sorte que les différences générales s’annulent. D’où l’impression que les différences de personnalité entre les sexes n’existent pas, alors qu’en réalité elles sont bel et bien là.

Prenons un exemple. En moyenne, les hommes et les femmes ne diffèrent pas beaucoup en matière d’extraversion. Mais, au niveau inférieur, on constate que les hommes sont globalement plus assertifs (un trait de l’extraversion qui désigne une manière de s’affirmer) que les femmes, alors que ces dernières sont en moyenne plus sociables et amicales (un autre aspect de l’extraversion). Alors, à quoi ressemble la personnalité des hommes et des femmes lorsqu’on approfondit un peu les choses, au-delà des cinq grandes dimensions de base ?

Des hommes plus dominants

Les hommes apparaissent comme, en moyenne, plus dominants, assertifs, enclins à la prise de risques, en quête de sensations fortes, tenaces, émotionnellement stables, manipulateurs et ouverts aux idées abstraites. Ils obtiendraient aussi de meilleurs scores en matière d’autoévaluation de leur intelligence, selon Sophie von Stumm, de l’université de Londres, et ses collègues, même s’il n’existe pas vraiment de différences entre les sexes pour l’intelligence générale (2). Ils ont également tendance à former des groupes plus importants et compétitifs, dans lesquels les hiérarchies sont souvent stables et les relations individuelles ne nécessitent que peu d’investissement émotionnel. En termes de style de communication, les hommes utiliseraient souvent un discours plus affirmé et sont susceptibles d’interrompre plus souvent les gens (hommes et femmes) – en particulier, de façon intrusive –, ce qui peut être interprété comme une forme de comportement dominant.

Bien entendu, tous les hommes ne présentent pas forcément un niveau élevé de tous ces traits. Cependant, cela ne contredit pas les résultats d’ensemble. Par exemple, je peux reconnaître que je suis un homme aux traits de personnalité à la fois extrêmement masculins et extrêmement féminins, mais que mon expérience personnelle n’invalide pas les conclusions générales. Voilà pourquoi je vais continuer à insister sur le terme « en moyenne »…

Des femmes plus sociables

De leur côté, selon les analyses de personnalité, les femmes ont en moyenne tendance à être plus sociables, sensibles, chaleureuses, compatissantes, polies, anxieuses, ouvertes à l’esthétisme, et à douter d’elles-mêmes. D’une manière générale, les femmes sont davantage intéressées par les relations intimes, coopératives et dyadiques, par les émotions, par les hiérarchies instables et les normes égalitaires. Quand une agression survient, elle se résout plus souvent de façon indirecte et peu conflictuelle. Peut-être parce que les femmes feraient en général preuve de meilleures aptitudes à la communication, en présentant de plus grandes facultés verbales et de décodage du comportement non verbal d’autrui. Elles utiliseraient également un discours plus réservé, mais seraient plus expressives dans leurs mimiques faciales et leur langage corporel (bien que les hommes aient tendance à adopter une posture plus expressive et plus ouverte). En moyenne, les femmes ont en outre tendance à sourire et à pleurer plus fréquemment que les hommes (comme l’ont montré, en 2011, D. A. van Hemert, du TNO, au Pays-Bas, et ses collègues), bien que ces effets dépendent beaucoup du contexte, et que ces différences soient bien plus importantes lorsque les hommes et les femmes croient être observés que lorsqu’ils se retrouvent seuls.

Par ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, pour toutes ces facettes de la personnalité, les différences entre les sexes ont tendance à être plus importantes – et non plus faibles ! – dans les pays plus individualistes et égalitaires. On pourrait objecter que, dans la plupart de ces études, beaucoup de ces différences de traits ne sont pas énormes, et on aurait raison si on arrêtait là notre analyse (3). Mais ces dernières années, il est devenu de plus en plus évident que, lorsqu’on examine la gestalt, ou « structure », globale de la personnalité, en tenant compte de la corrélation entre les traits, les différences entre les sexes deviennent d’autant plus frappantes.

La « structure globale » de la personnalité apparaît différente…

La personnalité est multidimensionnelle (elle se compose de plusieurs traits ou variables), ce qui a des implications pour le calcul des différences entre les sexes. Des divergences relativement faibles entre plusieurs traits peuvent en effet s’additionner pour donner des différences substantielles lorsqu’on les considère comme un profil global de traits.

Prenez le visage humain, par exemple. Si vous ne choisissez qu’un trait particulier du visage, comme la largeur de la bouche, la hauteur du front ou la taille des yeux, vous aurez du mal à différencier un visage masculin d’un visage féminin. Tout simplement parce que vous ne savez pas distinguer un globe oculaire masculin d’un féminin. Pourtant, en examinant la combinaison des caractéristiques faciales, on est capable de produire deux groupes très distincts de visages, l’un masculin, l’autre féminin. En fait, n’importe quelle personne peut déterminer le sexe d’un individu à partir de photographies, avec une précision supérieure à 95 %, comme l’ont montré, en 1996, Vicki Bruce, de l’université de Nottingham, et ses collègues (4). La question est donc : en est-il de même dans le domaine de la personnalité ?

La réponse, fort intéressante, est « oui » ! Il est en effet possible de calculer une grandeur, appelée D, qui résume comment deux groupes se distinguent l’un de l’autre statistiquement. Cette mesure vous permet de prendre en compte la façon dont tous les traits de personnalité tendent à être corrélés, ou liés, les uns aux autres dans la population générale. Par exemple, les individus consciencieux sont aussi souvent plus stables sur le plan émotionnel. Ainsi, si vous rencontrez une personne très consciencieuse, mais également très névrosée, celle-ci se distingue davantage (et a un profil de personnalité plus inhabituel), étant donné la structure corrélationnelle de la personnalité. Et avec plus de traits, cela devient encore plus intéressant… En effet, vous avez alors une combinaison de caractéristiques, ou variables, qui sont moins attendues, et donc plus informatives, parce qu’elles vont à l’encontre de la structure corrélationnelle globale de la personnalité (5).

De grandes études multivariées de la personnalité

À ce jour, quatre études à grande échelle se sont fondées sur cette méthodologie dite « multivariée ». Toutes ont été menées dans diverses cultures et rendent compte d’une analyse précise des traits de personnalité (et non de ses cinq grandes dimensions). Toutes aboutissent à la même conclusion : lorsqu’on examine la structure globale de la personnalité humaine, on constate une différence frappante entre les profils de personnalité masculins et féminins.

À quel point ? Eh bien, en fait, les différences entres les sexes sont vraiment majeures. Dans l’une de ces études, publiée en 2020, Tim Kaiser, Marco Del Giudice et Tom Booth ont analysé les personnalités de 31 637 personnes dans un certain nombre de pays anglophones. La mesure des différences de personnalité entre les sexes était de D = 2,10 (et de D = 2,06 pour les États-Unis seulement). Pour replacer ce chiffre dans son contexte, un D = 2,10 signifie une précision de classification de 85 %. En d’autres termes, leurs données suggèrent que la probabilité qu’un individu choisi au hasard soit correctement classé comme homme ou femme en connaissant son profil de personnalité global est de 85 % (après correction du manque de fiabilité des tests de personnalité).

Conformément à des études antérieures, les chercheurs ont également constaté que les traits suivants sont les plus présents chez les femmes lorsqu’ils sont considérés séparément du reste de la structure globale de la personnalité : sensibilité, tendresse, affection, anxiété, appréciation de la beauté et ouverture au changement. Chez les hommes, ce sont la stabilité émotionnelle, l’affirmation de soi ou la domination, le dévouement, le conservatisme et le conformisme à la hiérarchie sociale et à la structure traditionnelle.

Ces résultats ont été confirmés ensuite par les trois autres études récentes, dont celle concernant près d’un million de personnes dans cinquante pays. En utilisant différents tests de personnalité et en calculant la moyenne de tous les pays, Kaiser a trouvé un D = 2,16, ce qui est très similaire à la taille de l’effet observé dans les pays anglophones. Bien sûr, des variations existent d’une culture à l’autre, et il semblerait que ce soient les pays les plus développés et les plus individualistes, avec une plus grande disponibilité alimentaire, une moindre prévalence d’agents pathogènes et une plus grande égalité entre les sexes, qui présentent – paradoxalement, d’une certaine façon – les plus grandes différences de personnalité entre les sexes au niveau mondial (6).

De la Russie au Pakistan

En particulier, ce sont dans les pays scandinaves (très égalitaires dans leur culture et leur politique du genre) que les différences de personnalité entre les sexes sont plus importantes que la moyenne ! C’est aussi le cas aux États-Unis, au Canada, en Australie, au Royaume-Uni et dans certains pays d’Europe du Nord et de l’Est. Parmi les pays présentant les plus faibles différences de personnalité entre les sexes dans le monde, on trouve plusieurs pays d’Asie du Sud-Est. Il est certain qu’il n’existe pas de corrélation parfaite entre les pays plus développés et égalitaires et les différences de personnalité entre les sexes (par exemple, la Russie affiche la plus grande différence avec D = 2,48). Mais même le Pakistan, le pays où les différences entre les sexes dans la personnalité globale sont les plus faibles au monde selon cette étude, affiche un D = 1,49. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien, si l’on cherche dans le monde entier le pays ayant la plus petite différence de personnalité globale entre les sexes, la précision de la classification est déjà de 77 % : on distinguerait un homme d’une femme selon sa personnalité avec une précision minimale de 77 % !

Ces chiffres concordent avec un certain nombre d’études classant des données cérébrales. En appliquant une analyse multivariée sur l’ensemble du cerveau, les chercheurs sont aujourd’hui capables de déterminer si un cerveau est masculin ou féminin avec une précision de 77 % à 93 %, à l’instar de l’étude d’Owen Philips, de l’université Stanford, et de ses collègues. En fait, quelques travaux très récents, utilisant des techniques encore plus complexes et précises, trouvent même systématiquement des pourcentages de précision supérieurs à 90 %, en examinant les données du cerveau entier, comme l’ont montré, entre autres, Jiang Xin, de l’université de Changsha, en Chine, et ses collègues. Bien que ce degré de prédiction ne soit absolument pas parfait, et que ces résultats ne justifient en rien les stéréotypes de genre ou les discriminations, il s’agit d’une précision vraiment élevée en sciences (7).

Qu’en déduire ?

Par conséquent, toutes ces données sont vraiment difficiles à ignorer et à rejeter aujourd’hui. Mais quelles sont leurs implications ? Les conclusions que je viens de présenter jusqu’à présent sont simplement descriptives ; elles ne suggèrent aucune ligne de conduite à adopter et ne disent rien sur l’interaction complexe des influences génétiques et culturelles qui seraient à l’origine de ces différences. En effet, il est très difficile de trouver des preuves indiquant dans quelle mesure les différences entre les sexes proviennent de la culture ou de la génétique (même s’il s’agit très certainement d’un mélange ; nous y reviendrons plus loin). Même les découvertes sur le cerveau évoquées ci-dessus ne révèlent pas les causes du développement cérébral. Car nos expériences façonnent constamment notre système nerveux.

Toutefois, même en restant au niveau descriptif, on peut déduire un certain nombre de conséquences de l’existence de différences de personnalité entre les sexes. D’abord, les résultats des analyses multivariées permettent peut-être de répondre à une question qui intrigue les psychologues depuis un certain temps : pourquoi toutes ces études montrent-elles que les comportements masculins et féminins sont si similaires (en moyenne), alors que dans la vie quotidienne, on continue de penser que les hommes et les femmes sont très différents ? Il est possible que ce soit nous, dans la vie de tous les jours, qui soyons en fait plus proches de la vérité, parce que lorsque nous raisonnons sur la personnalité d’autrui, nous nous focalisons rarement sur un trait à la fois.

Ce que savent la plupart des gens

Si nous percevons effectivement la personnalité dans sa globalité, alors son analyse scientifique pertinente doit forcément être multivariée, et non univariée (ce qui a pourtant été la méthode prédominante dans ce domaine pendant longtemps). « Les gens sont peut-être plus raisonnables que vous ne le pensez », me précise Del Giudice, expert en sciences des différences entre les sexes. « Pourquoi vous attendez-vous à ce que la plupart des individus inventent des différences entre les hommes et les femmes qui n’existeraient pas ? Probablement parce qu’ils n’inventent rien ! Ce qu’ils considèrent lorsqu’ils pensent aux hommes et aux femmes qui les entourent n’est pas seulement un trait de personnalité à la fois, mais bien une combinaison. »

Un autre facteur permettant de mieux comprendre les attentes stéréotypées omniprésentes dans nos sociétés serait lié à l’importance des deux queues de la distribution de la personnalité. Car même des différences relativement faibles en moyenne peuvent provoquer des différences importantes dans la proportion des gens aux deux extrêmes de la distribution. Pour le comprendre, prenons l’exemple proposé par Yanna J. Weisberg, du Linfield College aux États-Unis, et ses collègues en 2011 ; si vous examinez les distributions de la densité de l’agréabilité, la différence moyenne entre les hommes et les femmes n’est que d’environ 0,4 écart type. Mais si vous regardez de plus près, vous constatez qu’il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes « super » agréables et beaucoup plus d’hommes que de femmes « super » désagréables. Il est donc probable que les comportements « visibles » de ces « queues » aient un impact considérable en société, dans les médias sociaux, en politique, dans la salle de conférence, et même dans la chambre à coucher.

Voici les distributions de l’agréabilité, un trait de personnalité, des hommes et des femmes en fonction de la densité, à savoir la proportion de l’échantillon dans une zone donnée sous la courbe. Les distributions se chevauchent, mais pas complètement… Aux extrémités, on constate qu’il existe plus d’hommes que de femmes désagréables, et plus de femmes que d’hommes agréables.

@ Cerveau & Psycho

La vérité vaut mieux que l’ignorance

À ce stade, vous pourriez alors m’objecter : « Scott, vous devriez vraiment arrêter de parler ouvertement et honnêtement de ces découvertes et de leurs conséquences, car si la vérité se faisait jour, elle pourrait causer du tort. » Mais voilà le problème : nous considérons rarement le mal que provoque l’ignorance de ces différences entre les sexes ! Dans de nombreux domaines, prétendre que quelque chose n’existe pas engendre en réalité un plus grand préjudice psychologique qu’accepter les faits, comme me l’a dit Del Giudice : « Les gens ne veulent pas renoncer à essayer de comprendre le monde. Ils veulent donner un sens au monde. » Donc, si la véritable explication est qu’il existe un type de différences entre les sexes, et que vous bloquez cette information pour des raisons idéologiques, les gens n’arrêtent pas pour autant de se demander pourquoi ils en observent… Et ils trouvent une explication différente. Vous obtenez alors une série d’explications de plus en plus erronées qui s’enchaînent et sont susceptibles, en fait, d’avoir un effet boomerang de plein de façons différentes. »

Prenons le cas du mariage hétérosexuel. De nombreux couples se marient en supposant que les différences de personnalité entre les sexes sont minimes. Nous savons cependant qu’en moyenne, les femmes en relation souhaitent des liens affectifs fréquents et constants, alors qu’en moyenne, les hommes n’ont pas tendance à s’intéresser autant à cet aspect de la relation. D’où, parfois, un stress qui mine le couple. Uniquement parce que l’un des partenaires attend quelque chose de l’autre en partant du principe que tout doit être égal et que tous deux doivent ressentir exactement la même chose à propos de tout. Mais voilà le problème : nous n’avons pas besoin d’être tous pareils dans toutes les dimensions de notre personnalité pour nous apprécier et nous respecter mutuellement.

En couple, l’autre est différent

Bien sûr, les couples doivent tenter « d’accorder » leurs propres personnalités, chacune étant unique. Et je suis persuadé que les différences individuelles sont encore bien plus importantes que les différences entre les sexes. Néanmoins, ces dernières existent bel et bien et sont parfois particulièrement préjudiciables dans une relation, si les partenaires se mettent en couple ou se marient en pensant qu’elles « ne devraient pas exister », au lieu d’arriver à une saine acceptation des différences entre les sexes, voire d’en rire, et d’essayer de comprendre les divergences d’intérêts et de motivations de chacun. Bien sûr, il existe nombre de points communs et de convergences entre les hommes et les femmes dans une relation, mais il y aurait aussi quelques différences significatives qui, en moyenne, auraient un impact important et pourraient prédire la satisfaction et la compréhension dans le couple.

Je pense donc qu’il est temps d’avoir un discours public plus mature, plus honnête et plus nuancé sur ces questions visiblement sensibles, mais évidemment très importantes. Avant tout, je pense qu’il faut reconnaître qu’aucune des conclusions présentées dans cet article, ni aucune autre jamais publiée ou qui le sera, ne justifie la discrimination individuelle. Nous devons toujours traiter chaque personne comme un individu unique. En particulier, quoi qu’en dise la science, si quelqu’un a l’envie et les capacités d’entrer dans un domaine où son « sexe » est extrêmement sous-représenté – par exemple, les femmes en mathématiques et en sciences ou les hommes en soins infirmiers et en éducation –, nous devrions absolument l’encourager et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’aider à éprouver un sentiment d’appartenance.

Biologique ou génétique ?

Je suis peut-être bizarre, mais je ne vois aucune contradiction entre le fait d’être un fervent défenseur de l’égalité des chances pour tous et le fait d’être un défenseur tout aussi investi du respect des résultats scientifiques et de la tentative de se rapprocher le plus possible de la vérité sur les différences entre les sexes. Je pense également qu’une discussion véritablement mature, honnête et nuancée sur les origines des différences entre les sexes doit reconnaître l’influence profonde de la génétique et de la biologie (8). Cela ne signifie pas qu’il faille ignorer les facteurs socioculturels, tout aussi importants. Mais les différences de comportement entre les sexes sont si omniprésentes dans presque toutes les autres espèces qu’il n’est tout simplement pas plausible que la psychologie humaine masculine et féminine ait évolué pour devenir strictement identique, malgré des divergences physiologiques et des rôles reproductifs distincts au cours de l’histoire de l’évolution humaine.

C’est pourquoi les scientifiques qui s’intéressent à la biologie s’appuient non seulement sur un large éventail de concepts explicatifs issus de la biologie, mais aussi sur des preuves interculturelles, anthropologiques et issues de l’étude des primates, concernant les êtres humains actuels et anciens, ainsi que leurs proches parents primates. Ce qui ne signifie pas que ces théories soient toujours exactes. Mais le fait est que la méthodologie est bien plus riche et systématique que ce qui est si souvent traité dans les médias populaires. Les meilleures sources pour contrecarrer ces idées fausses sont le livre de Dave Geary, Male, Female, et celui de Steve Stewart-Williams, The Ape That Understood the Universe. Et si vous souhaitez vous plonger dans un traité plus académique, consultez l’article de John Archer, publié en 2019 dans Biological Reviews, « The reality and evolutionary significance of human psychological sex differences ».

En réalité, je suis très optimiste quant au fait que de telles discussions n’ont pas à se transformer en arguments ad hominem, en injures ou en discriminations, avec des accusations de « sexisme » d’un côté, et d’« antiscience » de l’autre. Notamment parce qu’il existe déjà un excellent exemple de débat « mature » sur ce sujet.

Des débats passionnants et constructifs

En effet, en février 2019, les psychologues Cordelia Fine, Daphna Joel et Gina Rippon ont écrit un article intitulé « Huit choses à savoir sur le sexe, le genre, le cerveau et le comportement : un guide pour les universitaires, les journalistes, les parents, les défenseurs de la diversité des genres, les guerriers de la justice sociale, les tweeters, les facebookers et tous les autres ». En se fondant sur leurs nombreuses années d’observation de l’analyse scientifique et populaire des différences dans le cerveau et le comportement selon le sexe, les auteurs fournissent à chacun un guide accessible pour interpréter les nouvelles découvertes biologiques. Elles soulignent ainsi à juste titre que les gens ont malheureusement tendance à attribuer sans réfléchir la simple existence de différences entre les sexes à des « facteurs biologiques immuables » ; une hypothèse qui, la plupart du temps, ne découle pourtant pas des données fournies. À cela s’ajoute le fait qu’il existe très peu de facteurs biologiques « immuables », autres que la séquence génétique [NDLR, et encore, même le génome d’un individu change en fonction de facteurs environnementaux ou de mutations, par exemple]… Et c’est un fait largement connu de tous les psychologues.

Del Giudice, Geary, David Puts et David Schmitt ont alors formulé, de leur côté, huit réponses à cet article, en reprenant une à une chacune des fameuses huit « choses à savoir ». Leur texte approuvait certaines de ces affirmations, mais en contestaient d’autres. Par exemple, ils discutent le fait que Fine et ses collègues supposent que la plupart des différences entre les sexes sont minimes, incohérentes, très malléables et, pour la plupart, socialement construites : « Minimiser l’ampleur des différences entre les sexes et ignorer leurs origines biologiques serait tout aussi dommageable (pour la science et la société en général) que de les exagérer ou d’accepter des explications biologiques simplistes… Un débat public honnête et mature sur les différences entre les sexes exige de prendre du recul, d’avoir une vision large de tous les aspects de la question et d’en apprécier les nuances. »

En réponse à leur texte, Fine, Joel et Rippon se réjouissent de la réaction de Del Giudice et de ses collègues, mais soulignent à plusieurs endroits une forme de « désaccord fantôme », c’est-à-dire que Del Giudice et ses collègues auraient argumenté contre des points de vue qu’elles n’ont pas vraiment exprimés et qu’elles ne soutiennent pas…

Le bénéfice du doute

Ce va-et-vient est un exemple parfait de l’importance d’un débat constructif et du bénéfice du doute accordé aux gens pour leur permettre de clarifier leurs points de vue, afin que ces derniers ne soient pas mal interprétés ou que leurs opinions ne soient pas sorties de leur contexte. Fine et ses collègues ont conclu que « des échanges comme celui-ci, lorsqu’ils reposent sur des preuves et des affirmations, sont précieux, et pourtant bien plus rares que nous ne le souhaiterions. » Alors si vous voulez plonger dans ces débats complexes et voir un bel exemple de la façon dont de réels progrès peuvent être réalisés dans l’approfondissement des connaissances, je vous recommande vivement la lecture en ligne de cet échange dans son intégralité.

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Scott Barry Kaufman

Scott Barry Kaufman est psychologue à l’université Columbia de New York. Il tient le blog de Scientific American « Beautiful Minds » et anime « The Psychology Podcast »

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Références

T. Kaiser et al., Global sex differences in personality : Replication with an open online datasetJournal of Personality, vol. 88, pp. 415-429, 2020. 

T. Kaiser, Nature and evoked culture : Sex differences in personality are uniquely correlated with ecological stress, Personnality and Individual Differences, vol. 148, pp. 67-72, 2019.
 
E. M. Giolla et P. J. Kajonius, Sex differences in personality are larger in gender equal countries : Replicating and extending a surprising finding, International Journal of Psychology, vol. 54, pp. 705-711, 2019.

M. Del Giudice, Measuring sex differences and similarities, in D. P. VanderLaan et W. I. Wong (éd.), Gender and sexuality development : Contemporary theory and research, Springer, 2019.

N. E. Anderson et al., Machine learning of brain gray matter differentiates sex in a large forensic sample, Hum. Brain Mapp., vol. 40, pp. 1496-1506, 2019.

O. R. Phillips et al.Beyond a binary classification of sex : An examination of brain sex differentiation, psychopathology, and genotypeJournal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, vol. 58, pp. 787-798, 2019.

J. Xin et al.Brain differences between men and women : Evidence from deep learning, Front. Neurosci., vol. 13, p. 185, 2019.

A. M. Chekroud et al.Patterns in the human brain mosaic discriminate males from females, PNAS, vol. 113, art. E1968, 2016.

M. Del Giudice et al.The distance between Mars and Venus : Measuring global sex differences in personalityPlos One, vol. 7, art. e29265, 2012.

Richard A. Lippa, Gender differences in personality and interests : When, where, and why ?Social and Personality Psychology Compass, vol. 4, pp. 1098-1110, 2010.

S. von Stumm et al., Decomposing self-estimates of intelligence : Structure and sex differences across 12 nations, Br. J. Psychol., vol. 100, pp. 429-442, 2009.

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