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Interview exclusive de Thierry Peugeot (PSA) : "Nous voulons rester maîtres de notre destin"

EXCLUSIF Le président du conseil de surveillance de Peugeot Citroën sort rarement de sa réserve. Jeudi 4 octobre, il recevait Challenges au neuvième étage du siège parisien du groupe.
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Thierry Peugeot
Thierry Peugeot
AFP

Challenges. Peugeot a perdu 819 millions d'euros en six mois, l’action a été sortie du Cac 40. Comment en est-on arrivé là?

Le cours de bourse a fortement chuté, c’est une réalité. La sortie du Cac 40 est un symbole, qui a marqué les équipes. Je souhaite qu’on y revienne le plus tôt possible. Mais il est clair que nous devons faire en sorte que la stratégie et les perspectives du groupe soient mieux comprises.

Nous sommes pris dans un effet de ciseau très violent: d’un côté, nous nous développons en Chine, et au Brésil, en Argentine, et de l’autre, nous subissons la baisse très forte du marché européen. Les résultats que nous générons en Chine ne sont pas suffisants pour compenser les pertes que génère notre activité en Europe.

Cette chute du marché européen a surpris tout le monde. Si nous avions été capables de l’anticiper, nous aurions peut-être fait différemment. Mais personne, pas même les plus grands organismes de prévision automobile, n’avait prévu une baisse aussi violente: je rappelle qu’en cinq ans, près d’un quart des volumes ont disparu, et même jusqu’à 60% dans un pays comme l’Espagne.

Vous êtes davantage exposés aux marchés européens que d’autres constructeurs...

Je considère le groupe comme un entrepreneur, qui se lance, qui prend des risques. Bien sûr quelques fois cela ne marche pas aussi bien et aussi vite que ce qu’on aurait voulu, mais la réalité, c’est que nous sommes un groupe déjà international qui a l’ambition de devenir mondial, même s’il ne l’est pas encore.

En Chine, nous aurons bientôt une capacité installée de 750.000 voitures, nous avons créé une deuxième société commune, et nous avons l’ambition d’y vendre un million de voitures. Nous y sommes présents, alors qu’il est plus difficile aujourd’hui de s’y implanter car le gouvernement chinois est préoccupé par d’éventuels problèmes de surcapacité. Le premier défi que nous avons, c’est de monter en gamme et de gagner des parts de marché, y compris au Mercosur (marché commun d'Amérique du Sud). Il y a vingt ans, nous n’étions pas au Brésil et nous avons été l’un des tous premiers à nous y installer quand le marché s’est ouvert, grâce à l’accord de libre-échange entre l’Argentine et le Brésil.

Bien sûr, nous aurions pu aller plus vite, nous aurions pu faire mieux. Je préfèrerais que nous soyons plus gros, plus mondiaux.

Pourquoi ne pas avoir noué des grandes alliances?

Il y a eu le rachat de Citroën, celui des filiales européennes de Chrysler, et puis l’Alliance avec General Motors. Nous n’en avons pas fait plus tôt car il n’y a pas eu de réelles opportunités.

Vous avez surtout refusé de diluer votre participation…

Je le redis, la famille n’a jamais été contre une alliance, à condition qu’elle permette de réussir et de continuer à se développer. Il est vrai aussi que nous voulons continuer à être maîtres de notre destin et à jouer un rôle. Mais nous ne sommes absolument pas fermés.

Les surcapacités en Europe n’aurait-elles pas dû être gérées plus tôt?

Les problèmes de surcapacité, nous ne sommes pas les seuls à en avoir en Europe… Il y a un problème structurel, le marché ne croît plus, voire diminue. Maintenant, se restructurer, et fermer une usine, c’est une opération extrêmement lourde, c’est une décision que l’on ne prend pas à la légère. Nous l’avons fait en Grande-Bretagne en 2006 avec Ryton…

Vous refusez alors de fermer Aulnay…

Le directoire avait fixé un objectif de 4 millions de voitures, établi d’après les prévisions de marché de l’époque et l’outil industriel a été configuré en conséquence. La question de la fermeture d’Aulnay n’était pas à l’ordre du jour du conseil de surveillance. En revanche, à l’époque, nous avons créé une société commune avec Toyota pour une usine en République Tchèque et nous avons lancé notre usine en Slovaquie pour abaisser nos coûts.

Pourquoi aujourd’hui fermer Aulnay plutôt que Madrid?

Il s’agit d’un projet industriel du ressort du directoire. Une décision douloureuse, mais prise en toute connaissance de cause. Elle prépare l’avenir.

Le gouvernement vous a fait beaucoup de reproches alors que Peugeot s’est comporté de façon plus "citoyennes" sur les emplois.

La question n’est pas ou non d’être un bon Français. Compte tenu de notre histoire, il est normal que la base industrielle du groupe en France soit importante, 45% de nos voitures et 85% de nos moteurs sont fabriqués en France, et nous l’assumons en déployant une stratégie ambitieuse de montée en gamme qui permet de maintenir cet ancrage. C’est en créant des produits à forte valeur ajoutée que nous maintiendrons l’emploi en France.

Ce faisant, vous n’avez pas procédé aux mêmes baisses de coûts que vos concurrents...

Nous traversons une crise sans précédent qui nous oblige à un plan d’économies massif. Nous devons être pro-actifs, continuer à développer le groupe et à le faire croître. Au séminaire des cadres dirigeants, il y a deux semaines, j’ai eu l’occasion de reprendre cette phrase de Winston Churchill: "when you’re in hell, keep going". La sortie est devant nous, il ne faut pas s’arrêter.

Cela étant, quand les marchés sont là, nous avons prouvé que nous savons gagner de l’argent en Europe avec des voitures petites et moyennes, contrairement à d’autres, et nous avons une gamme complète. Nous sommes très actifs sur le marché européen, nous avons intérêt à faire en sorte que la restructuration de ce marché se mette en marche, même si cela doit passer par des décisions lourdes. Et Philippe Varin a souligné que d’autres constructeurs devraient suivre car on ne peut pas rester avec 20 ou 30% de capacité en trop.

Où en est l’alliance avec General Motors? Ne fallait-il pas aller plus loin?

L’alliance porte sur la mise en commun de plates-formes, la création d’une société d’achats commune, et la logistique. Le calendrier est respecté. L’accord ne porte ni sur les marques, ni sur les marchés. Les Etats-Unis, à titre personnel, je rêverais que le groupe y retourne, mais réussissons d’abord ce que nous avons engagé en Chine, au Brésil, en Argentine, en Russie...

Seriez-vous prêt à voir entrer l’Etat à votre capital pour soutenir votre développement?

Face à la crise, nous nous sommes ajustés pour assurer notre développement, en décidant un moratoire sur certains projets. La question de l’entrée de l’Etat, ou de quiconque au capital, ne se pose pas.

Vous vendez tout de même les bijoux de famille, comme Gefco… bientôt Faurecia ou PSA Finance?

L’ouverture du capital de Gefco a été annoncée dès le mois de février. S’agissant de Faurecia, je vous rappelle qu’il y a cinq ans, au moment de la crise qui a touché les équipementiers, j’ai été un des tous premiers défenseurs de Faurecia et des équipementiers en général. Il y a eu une restructuration du secteur, le groupe a mis de l’argent dans le FMEA (fonds co-détenu par le FSI et les constructeurs, dédié à un mouvement de consolidation des petits équipementiers, ndlr). Aujourd’hui Faurecia est rentable. Il n’est pas question de le céder, pas plus que PSA Finance.

Faurecia n’a-t-il pas sa place chez FFP (Foncière et financière de participation), la holding familiale?

Faurecia n’est pas un actif patrimonial, c’est un actif de PSA! Je voudrais bien en reparler avec tous ceux qui, à l’époque, nous conseillaient de nous en débarrasser! Bien sûr, Gefco fait aussi partie des actifs de PSA, mais nous affrontons une crise majeure, et le groupe s’est toujours adapté à la situation dans laquelle il se trouvait. Il a fallu que l’on ouvre le capital, même si nous en garderons 25%, et il se trouve que la proposition des chemins de fer russes constitue une belle opportunité. Ce sont des décisions d’entrepreneurs. C’est aussi une occasion remarquable de développer Gefco.

Gefco vaut 800 millions d’euros, plus d’un tiers de la valorisation de Peugeot aujourd’hui...

Effectivement, si vous vous référez au seul cours de bourse actuel…

Pourrait-on imaginer la famille abandonner un jour l’automobile?

Je suis président du conseil de surveillance, j’ai une passion pour ce groupe; je ne suis pas le seul, nous avons tous envie de rester dans l’automobile. En France, Peugeot vend plus de RCZ qu’Audi de TT et la ligne DS a une part de marché supérieure à celle de BMW.

Les entrepreneurs sont des gens qui prennent des risques, ça marche ou ça ne marche pas. Nous sommes les seuls au monde à avoir mis au point un moteur hybride diesel. Nous sommes les premiers dans cette technologie de pointe. Regardez les succès que l’on a, il y a de vraies compétences dans le groupe. Il y a cinq ans vous n’auriez pas parié sur le succès de la DS3. On nous a souvent critiqué en disant: "Vous les Français, vous n’arrivez pas à entrer dans le haut de gamme". Là, avec la ligne DS, nous avons un pied dans la porte.

Lancement d’une stratégie dans le haut de gamme, et accélération de l’internationalisation: les orientations définies par Christian Streiff ont été poursuivies par Philippe Varin alors que la tendance, y compris parfois dans notre entreprise, consiste trop souvent à remettre en cause tout ce qui a été fait par les prédécesseurs. Philippe Varin a continué ce qu’avait lancé Christian Streiff, et grâce à cela, nous avons gagné du temps.

L’attitude de la famille a été mise en cause en juillet. Vous êtes blessé?

Nous avons été surpris par la violence des attaques. Habituellement, c’est au président du directoire de parler, mais les gens m’interpellaient et je me suis rendu compte qu’au-delà de ma personne et des Peugeot, c’était tout le groupe qui était attaqué. Il y avait, en plus, un sentiment d’injustice compte tenu notamment de l’ancrage du groupe en France. Je suis donc sorti de ma réserve, pour rectifier ce qui avait été dit. Il a fallu remettre le temple au centre du village. Tous les Peugeot membres du conseil de surveillance ou travaillant dans l’entreprise paient leurs impôts en France. Heureusement, le climat s’est apaisé, et c’est mieux ainsi. On entend dire maintenant que PSA fait partie du patrimoine national.

Estimez-vous que la gouvernance du groupe est efficace?

Oui, la gouvernance est efficace. La distinction conseil de surveillance et directoire permet de tenir compte d’un actionnaire de référence qui, avec près de 40 % des droits de vote, veut jouer son rôle. Je vous rappelle que sur les 14 membres du conseil, seuls 5 sont de la famille. Les autres, dont deux anciens dirigeants, constituent une majorité d’administrateurs indépendants, venus d’horizons et de pays différents. Je souhaiterais un jour pouvoir proposer un administrateur venu d’Asie.

PSA s’est développé grâce à des personnalités extérieures que le conseil a nommées à la présidence du directoire. Car nous avons choisi les meilleurs, dans les circonstances du moment. Si la famille avait voulu s’imposer au directoire, si nous étions majoritaires au conseil de surveillance, ces personnalités de haut calibre ne seraient jamais venues.

L’unanimité familiale, face aux agressions extérieures, ne masque-t-elle pas des désaccords?

Il n’y a pas de désaccord dans la famille. Il y a un équilibre entre les trois branches du groupe familial. Nous sommes tous impliqués dans le combat du redressement. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que nous étions en crise; que nous gardions une vision à long terme; que nous restions attachés au secteur automobile; que nous n’avions pas une approche financière; que nous avions une grande responsabilité vis-à-vis des 200.000 salariés du groupe, de nos concessionnaires, de nos partenaires et sous-traitants. Cette présence est un atout, en particulier auprès de nos partenaires chinois.

Cela dit, nous sommes loin d’être d’accord sur tout. Nous avons chacun nos modes de vie, parfois très différents, mais nous sommes tous d’accord sur l’essentiel et conscients de nos responsabilité, de notre exposition et nous avons un objectif commun: faire de PSA une entreprise mondiale performante.

La présence de membres de la famille dans des postes opérationnels ne pose-t-elle pas problème?

Je suis à l’aise sur ce point, alors que c’est souvent interdit dans d’autres entreprises familiales. C’est une très bonne formation pour ceux qui prennent un jour des responsabilités, toujours selon leurs mérites. Nous sommes capables de faire la différence entre nos liens familiaux et nos fonctions opérationnelles . Et il n’y a que sept ou huit Peugeot dans un groupe de 200.000 personnes.

Quid de la génération suivante, la succession s’organise-t-elle?

La question n’est pas encore d’actualité, et bien sûr nous devons la préparer de la meilleure manière possible.

Propos recueillis par Héloïse Bolle, Pierre-Henri de Menthon et Airy Routier

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