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Aéronautique

L’incroyable charge du patron d’Airbus Tom Enders contre Boeing

Invité aux Matins HEC-Challenges, le patron d’Airbus s’est livré à une charge rugueuse contre son rival américain. Tout en assurant envisager une cadence de production au niveau historique de 70 à 75 A320 par mois.

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Le patron d'Airbus Tom Enders lors d'une interview accordée à l'AFP à Amsterdam, le 12 avril 2017

Invité aux Matins HEC-Challenges, le patron d’Airbus s’est livré à une charge rugueuse contre son rival américain. Tout en assurant envisager une cadence de production au niveau historique de 70 à 75 A320 par mois, contre 50 aujourd’hui.

AFP/Archives - Aurore Belot

Ceux qui l’imaginaient en préretraité en seront pour leurs frais. A un an de la fin de son mandat, prévue en avril 2019, le patron d’Airbus Tom Enders, invité le 27 mars aux Matins HEC-Challenges, a montré qu’il en avait encore sous la semelle. Avec une cible privilégiée : le rival historique Boeing, dont il s’est employé à dénoncer l’extrême agressivité. Le géant américain, marri d’une commande de monocouloirs CSeries de Bombardier par la compagnie Delta, avait déposé plainte contre le constructeur canadien, suggérant des droits de douane de 300% sur tous les CSeries vendus aux Etats-Unis. "Une plainte stupide, assène Tom Enders. Ce n’était pas seulement s’attaquer à Bombardier, c’était aussi s’attaquer à Delta, une des plus grandes compagnies du monde. Il n’est jamais très intelligent de s’attaquer à un de ses clients. Le pire, c’est que Boeing a perdu cette bataille: pas devant une cour internationale, mais devant une cour américaine !"

Tom Enders a su profiter de l’affaire: il a racheté, pour un dollar, la majorité du programme CSeries à Bombardier, ce qui offre à Airbus une entrée de gamme composée de deux appareils récents (CS100 et CS300). L'avionneur compte en assembler une bonne partie sur son site de Mobile (Alabama), ce qui lui permettrait de contourner la politique protectionniste américaine. Mais le patron d'Airbus craint que l’offensive américaine n’en soit qu’à ses débuts. "Nous nous attendons à d’autres agressions de leur part en 2018", assure Enders, citant notamment la procédure devant l’OMC "vieille de quatorze ans" que Boeing ne devrait pas se priver de monter à nouveau en épingle. "Il y a de quoi être alarmé par la vague protectionniste lancée par l’administration Trump, estime le patron allemand. Ma conviction, c’est que si vous vous attendez à un combat loyal, c’est que vous n’êtes pas assez bien préparé."

Airbus n'a, pour autant, aucun complexe à avoir, estime Tom Enders. "Avec l'opération Bombardier, nous n'avons jamais eu une gamme aussi large", estime-t-il. Quant au projet de nouvel avion de Boeing dédiée au 'Middle of the Market", déjà baptisé Boeing 797 par certains, le patron d'Airbus n'y voit pas un danger majeur. "Nous avons déjà déjà l'A321, qui peut atteindre 250 sièges, et l'A330, très compétitif avec ses nouveaux moteurs. Nous pensons donc que nous couvrons bien ce marché. Boeing peut bien lancer son avion : ce marché est petit, et assez fragile. Sinon ils l'auraient déjà lancé depuis longtemps." Quant à l'avion de transport militaire A400M, Enders, tout en reconnaissant la "stupidité" de certains choix du groupe sur le programme, lui prédit un avenir brillant outre-Atlantique. "Je prends le pari que nous vendrons un jour l'A400M aux Etats-Unis, qui n'ont pas de projet comparable. Nous étions déjà très proches de gagner les ravitailleurs."

Craintes sur le Brexit

Le Brexit est en revanche un sujet d’inquiétude majeur. "Toutes les ailes de nos avions sont faites au Royaume-Uni, souligne Tom Enders. Ce ne sont pas seulement, comme certains le voient de façon simpliste, des ailes qui sont livrées en France ou à Hambourg depuis le Royaume-Uni. Notre chaîne de fournisseurs fait des aller-retours permanents, avec des produits semi-finis qui partent de France vers le Royaume-Uni, puis reviennent en France ou en Allemagne. Si nous avons du fait des contrôles aux frontières, des retards, même de quelques heures, cela peut être très perturbant pour nous. Nous sommes très inquiets sur ce sujet, qui n’a pas été résolu par la décision de retarder la sortie du Royaume-Uni de l’UE."

Même inquiétude sur la volonté de Bruxelles d’exclure la Grande-Bretagne de certains programmes européens, comme Galileo, le GPS européen. "Je trouve cela totalement insensé ! Il y a une chose que les deux camps doivent avoir fermement en tête, c’est de conserver les liens dans la sécurité. Clamer que les Britanniques doivent être exclus de programmes européens pour des raisons de sécurité, je trouve cela à la fois incompréhensible et inacceptable." Il faut, au contraire, absolument préserver les accords de défense franco-britanniques, estime Tom Enders. "Il y a seulement deux puissances militaires sérieuses en Europe : le Royaume-Uni et la France", martèle-t-il. Berlin appréciera.

70 à 75 A320 assemblés par mois ?

Le patron d’Airbus est également revenu sur le sauvetage du programme A380, avec un rythme de production réduit à seulement six appareils par an. "A six avions par an, nous ne pouvons gagner d’argent, reconnaît-il. Mais nous pouvons absorber les pertes de l’A380 pendant un temps limité. Si vous investissez plus de 15 milliards d’euros dans un tel programme, avec toutes les difficultés et les surcoûts depuis 18 ans, vous ne l’arrêtez pas si facilement. Ce superbe avion mérite  une autre chance." La commande de 36 appareils supplémentaires par Emirates en janvier dernier a donné un peu d’oxygène. "L’A380 serait déjà mort et enterré sans Emirates, reconnaît Enders. Mais l’objectif est d’obtenir de nouvelles commandes. Pourquoi pas Air France ou Lufthansa, qui sont assez timides au sujet de cet avion…"

Pour le reste, le principal défi d’Airbus est un "problème de riche", estime Enders: livrer les avions commandés à la cadence prévue. Une gageure, vu les retards du motoriste Pratt & Whitney, et dans une moindre mesure du tandem GE-Safran. "Nous avons de nombreux clients mécontents qui ne reçoivent pas leurs avions à temps et à la qualité voulue, c’est notre principale priorité cette année", pointe le patron bavarois. L'ancien para se veut pourtant optimiste : "Il n’y a pas si longtemps, certains chez Airbus disaient qu’il était impossible d’augmenter la production à 30 appareils par mois. Nous sommes à 50, nous atteindrons 63 l’année prochaine, et nous envisageons d’augmenter la cadence à 70 ou 75 avions. La demande est là, notamment en Asie."

Compliance : "Airbus survivra"

Interrogé sur les affaires de "compliance" qui ont pourri l’ambiance au sein du groupe depuis des mois, Tom Enders reste droit dans ses bottes : oui, il fallait dénoncer les irrégularités constatées au Serious Fraud Office britannique et au parquet national financier français. "Nous avons été critiqués, particulièrement dans ce pays, mais nous avons pris la bonne décision, assure Enders. Bien sûr, les conséquences de ces enquêtes ne sont pas agréables, cela va prendre du temps, mais je suis persuadé que le groupe en sortira plus fort et plus compétitif. D’autres sociétés sont passées par là, elles ont survécu. Airbus fera de même."

Enders s’emploie aussi à défendre la décision, en 2014, d’arrêter de recourir aux "agents extérieurs", des intermédiaires dont Airbus a "usé, voire abusé", estime-t-il. "Désormais, nous n’avons plus d’agents pour les ventes d’avions commerciaux. Certains au sein des gouvernements m’ont demandé si nos pouvions avoir autant de succès sans eux. La réponse est oui : nous avons vendu 1.100 avions l’année dernière !"

"Bullshit Castle"

Adieu, donc, à la fameuse division Strategy and Marketing Organization (SMO), structure dirigée par Jean-Paul Gut puis Marwan Lahoud chargée de faciliter les contrats en travaillant avec les agents commerciaux, qui a été démantelée ces deux dernières années. "Je respecte le travail qui a été fait par SMO sous la direction de Marwan Lahoud, indique Enders. Contrairement à ce qu’on m’a fait dire, je n’ai jamais surnommé cette division le Bullshit Castle, une expression utilisée par Jurgen Schrempp quand il dirigeait Daimler. Mais aujourd’hui, nous avons une organisation internationale différente."

A un an de son départ du groupe, Tom Enders s’est enfin employé à esquisser une sorte de portrait-robot de son successeur. "Il nous faut un dirigeant pour les années 2020, résume le président exécutif d’Airbus. Quelqu’un qui maîtrise le business international, qui comprenne les technologies et modèles économiques du digital, qui ait l’expérience de l’innovation. S’il a l’expérience de l’aéronautique, cela aiderait certainement, mais il faut un leadership plus large."

Non au retour des Etats au board

Pas question, en revanche, de voir les Etats revenir au conseil d’administration d’Airbus, un scénario parfois entendu au sein de la sphère publique. "Je suis très fier de notre board, martèle Enders. Il a été très critiqué l’année dernière, notamment dans les médias français, mais il a démontré que la gouvernance mise en place en 2012-2013 était la meilleure solution. Cette mise en retrait des Etats avait d’ailleurs été soutenue à l’époque par une personne en particulier : Emmanuel Macron, à l’époque conseiller du président." Si ce n’est pas un message à l’Elysée, cela y ressemble quand même drôlement.

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