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Finance et marchés

PAI

Inclassable, ce Franco-Béninois, financier de l'industrie avec le fonds PAI, apôtre de la culture avec la Fondation Zinsou, infatigable débatteur, une prestation à gauche, une prestation à droite. Il fascine ou agace.
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Lionel Zinsou, président de PAI Partners
Lionel Zinsou, président de PAI Partners
Challenges

C'est un pèlerinage pour le moins particulier. Chaque fois que ses voyages en Afrique le lui permettent, Lionel Zinsou fait un crochet par l'île de Gorée, pour se rendre au musée de la Mer. Dans cette belle bâtisse blanche de la Compagnie des Indes, sont exposées depuis plus d'un demi-siècle des centaines d'espèces marines dans des bocaux de formol. Clou du spectacle: un pied de marin emprisonné dans le ventre d'un requin! Zinsou l'affectionne tout particulièrement. Il a traîné plusieurs fois ses proches au musée pour le voir. Parfum d'enfance. Nostalgie d'un autre temps. Celui où le petit Zinsou, en vacances dans la famille de son père béninois, médecin attitré de Léopold Sédar Senghor, alors président du Sénégal, assistait ébloui au côté d'Aimé Césaire, au premier Festival mondial des arts nègres. Nostalgie aussi d'une époque où le petit Lionel, français par sa mère, était accueilli chez son oncle, Emile Derlin Zinsou, éphémère président du Bénin, comme « l'enfant blanc » de la tribu. Source d'émerveillement. Mais aussi de différenciation. « Un statut à part, qui vous aide à vous forger une force psychologique immense »,dit-il aujourd'hui.

Ce retour aux sources, Lionel Zinsou l'a peu pratiqué ces derniers temps. L'agenda du président de PAI Partners est chargé. Après plusieurs mois de « prémarketing », la maison est dans sa dernière ligne droite pour lever près de 3 milliards d'euros dans un nouveau fonds d'investissement. Et ce n'est pas gagné pour le private equity: investisseurs frileux, opérations rares, souvent chères ou très endettées... Depuis des semaines, avec Michel Paris, numéro deux de PAI, et leurs équipes, Zinsou joue les VRP de choc.

Il y a trois ans, porté à la tête de PAI, après une crise de gouvernance sans précédent, le tandem avait déjà dû mouiller sa chemise pour convaincre les investisseurs de poursuivre l'aventure. A chacun son rôle. « A Lionel, celui de faire vivre le partnership à l'extérieur et à l'intérieur de PAI, et à Michel, celui d 'investir et de gérer le portefeuille. La complémentarité a séduit les investisseurs », se félicite Amaury de Sèze, figure historique de PAI, rappelé en 2009 à la présidence du conseil de surveillance. A l'époque, le duo avait enquillé 130 rendez-vous en quelques semaines dans une vingtaine de pays. Aujourd'hui, assure Zinsou, le rythme de la tournée est aussi soutenu, avec une exigence supplémentaire née de la crise: « Vendre une équipe et un ensemble de valeurs, et pas seulement une personne. Un nom ne suffit pas à convaincre un investisseur de vous suivre pendant plus de dix ans. 

Job à temps plein, donc. Mais l'agenda de Lionel Zinsou est extensible comme son CV. Normalien et économiste de formation, passé par les cabinets de gauche - il a été la plume de Laurent Fabius à Matignon, son prof d'économie rue d'Ulm -, opérationnel chez Danone, banquier d'affaires pour Rothschild & Cie, Zinsou, dans le jargon des médias, est un « bon client ». Capable de s'exprimer sur l'euro (« il n'y a pas de magie de la dévaluation »), sur la taxe Hollande à 75 % (« il n'y aura pas de mouvements massifs, les multinationales ne sont pas apatrides »), ou sur les arts premiers - il préside cette semaine à Paris la 11e édition du salon international Hors les murs.

Déroutant

Iconoclaste dans ses positions, il est toujours brillant dans sa présentation. « Vous discutez avec lui et même si vous n'êtes pas d'accord, vous vous sentez plus intelligent après », s'amuse Charles Bouaziz, associé à PAI. Cet été, Lionel Zinsou était à l'université d'été des Gracques à Paris, aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, et a publié une tribune dans les colonnes du Figaro (« La Françafrique, le temps des entrepreneurs ») sur l' afro-optimisme, l'un de ses combats. (Trop) touche-à-tout? « Zinsou, c'est un personnage de roman, analyse un comparse du private equity, pas forcément fan. Un conteur hors pair qui résume la même histoire sous 25 angles différents toujours passionnants, un citoyen du monde, archidiplômé, et membre de je ne sais combien de think tanks et de cercles prestigieux... vous vous dites soit «ce type est génial, insensé, incroyable », soit «d'accord, tout cela est très bien, so what?» »

Le personnage déroute autant qu'il fascine. Naturellement policé, il cumule les retards en rendez-vous (une demi-heure au bas mot), défiant toute bienséance. Il affiche une forme d'autodérision (de pudeur?) qui tranche avec sa silhouette imposante de 2 mètres et ses raisonnements si élaborés. Un jour, dans les années 1980, un article du Monde sur les nationalisations évoquait le point de vue du « feu et regretté Lionel Zinsou ». Fervent lecteur du quotidien du soir, il a attendu le surlendemain pour démentir son décès (« J'ai grandi dans l'idée que Le Monde avait toujours raison, je ne voulais pas me couvrir de ridicule. »). Même esprit lors des difficultés qui l'ont propulsé à la tête de PAI après l'éviction du duo qui l'avait embauché, et un long bras de fer autour de la restructuration du fabricant de toitures Monier, l'un des tickets du fonds. D'aucuns ont parlé de putsch, d'autres d'un passage salutaire à un management « moins dictatorial ». A l'époque, croyant détendre l'atmosphère, Zinsou - neveu, donc, d'un président renversé par les militaires - avait lâché: « Il est vrai que, dans la famille, on a l'habitude des putschs! » Tous n'ont pas savouré la plaisanterie. Aujourd'hui, d'autres seraient chiffonnés par la médiatisation du patron. « Après la crise qu'on a traversée, la seule chose qui doit être médiatisée, c'est PAI », estime un associé.

Initiatives tous azimuts

« Imprévisible, léger, voire dilettante? Certaines personnes pensent cela de lui, analyse Hakim el-Karoui, associé chez Roland Berger. Lionel peut donner l'impression de ne pas être complètement là. En réalité, il fait tout à fond, mais toujours plusieurs choses à la fois. » Franco-Tunisien, fondateur du Club du XXIe siècle sur la diversité et ancienne plume de Jean-Pierre Raffarin, ElKaroui a sollicité une rencontre avec Zinsou à sa sortie de Matignon en 2005. « Je l'ai attendu une heure et demie, il m'en a consacré trois. » Coup de foudre réciproque. Zinsou le convainc de rejoindre Rothschild. « Politique et économiste, banquier et industriel, intellectuel et opérationnel, Français et Béninois, Lionel est toujours à la frontière, admet El-Karoui. C'est une position originale, paradoxale, voire insupportable pour les conformistes. Il est inclassable. Le métissage, c'est la clé du personnage. » L'intéressé assume. Revendique sa qualité de « sans étiquette » tous azimuts, en évoquant l'ami Spinoza: « Toute détermination est une négation. » Cela vaut aussi pour sa nationalité. « Blanc en Afrique, Noir en France... La particularité d'un métis, c'est que vous ne vous sentez jamais tout à fait chez vous et en même temps vous êtes à l'aise partout. Quelle que soit l'algèbre, c'est une force », s'enflamme-t-il. Puis glisse: « Evidemment, vous avez aussi toujours vaguement la crainte d'être discriminé par les deux camps. Alors vous faites tout pour être accepté. » En toute logique, pas question pour Lionel Zinsou de jouer le patron de gauche, le financier ou l'Africain de service. En 2005, il est devenu membre du conseil de surveillance du quotidien Libération. L'an dernier, il a disserté aux côtés de Jean-François Copé et du philosophe Luc Ferry à un séminaire de l'UMP sur les valeurs de la mondialisation (« Quand un parti républicain vous sollicite pour vous exprimer, vous y allez »). Plus tard, dans une autre vie, dit-il, il ne rechignerait pas à faire du private equity en Afrique « pour pallier les besoins énormes en capitaux des entrepreneurs ». Ou, pourquoi pas, à redevenir enseignant, son premier job. « C'est une chose que j'aime, et qu'il serait bien plus utile et urgent que je fasse en Afrique. »

Le goût de la transmission

Concrètement, Zinsou l'Africain a émergé sur le tard. Question de maturité, sans doute, mais aussi de contexte. Persona non grata au Bénin pendant près de dix ans - évincé, l'oncle président, devenu chef de l'opposition, a été successivement condamné à mort, puis à l'exil -, les Zinsou parisiens n'y sont retournés qu'au milieu des années 1990. En 2002, Marie-Cécile, la fille aînée de Lionel, s'est installée à Cotonou, où elle a créé une fondation au nom de la famille. Au départ lieu d'exposition pour des artistes africains contemporains, la fondation a étendu sa palette d'actions: bibliothèques cofinancées par le privé (Sotheby's) et l'Union européenne, documentaire sur l'accès à l'indépendance de cette nation marquée par le colonialisme et la traite négrière (« j'aimerais qu'il existe un jour une fondation pour la mémoire de la colonisation comme pour la Shoah »), jusqu'à la maîtrise d'ouvrage de la rénovation du CHU de Cotonou. Lionel Zinsou finance la fondation aux trois quarts sur ses propres deniers. « Ce qui m'a frappé, chez le père comme chez la fille, c'est leur volonté de faire et de transmettre, raconte le marchand d'art Enrico Navarra, collectionneur de Basquiat, qui a monté en 2007 avec les Zinsou la première grande exposition du peintre en Afrique. Lorsqu'ils sont venus me voir en 2003 avec cette idée saugrenue, je n'y croyais pas. Trois ans plus tard, Marie-Cécile est revenue me dire: «Ca y est, la fondation existe, on y va !» Ils m'ont bluffé. »

« Transmettre, bâtir une lignée, rien ne plaît plus à mon père, reconnaît Marie-Cécile Zinsou. L'héritage, c'est une part essentielle de sa vie. » Ses deux soeurs, Emilie et Louise, avocate et ingénieure, apportent aussi leur savoir-faire à l'entreprise familiale. « De loin la plus grande satisfaction de mon existence, dit leur père. Au Bénin, notre nom représente quelque chose, et plutôt des devoirs que des droits. » « Comme tous ceux qui ont une dimension pluriculturelle, une appartenance à une communauté blessée par l'histoire, Lionel a une sensibilité, une forme particulière de solidarité - et sans doute aussi un sens plus aigu de la fragilité du monde, livre David de Rothschild. L'intérêt général, la res publica, le préoccupe. »

Adolescent, Zinsou avoue avoir été marqué par la lecture de L'Enfance d'un chef de Sartre - récit en filigrane de l'itinéraire parfois douloureux d'un fils programmé pour assurer la relève... Au Bénin, Zinsou signifie premier jumeau, statut qui offrirait, paraît-il, un sens du leadership inné. Lionel Zinsou aura-t-il un jour la tentation de Venise, ville qu'il adore? En 2006, le président béninois Boni Yayi lui avait proposé d'être ministre des Finances. Refus poli. « On manque plus de capitaux et de capitalistes en Afrique que de politiques, plaide-t-il. Je serais moins efficace si j'étais ministre. » L'entourage est plus nuancé. « Il reste très marqué par le parcours de son oncle, a une très haute opinion de la politique, et n'est pas forcément prêt à faire les compromis nécessaires, estime Marie-Cécile Zinsou. Mais si l'utilité se fait vraiment sentir, il ira. » Claude Bébéar, président de l'Institut Montaigne, dont Lionel Zinsou est membre - ensemble, ils ont défendu le principe des CV anonymes -, complète: « Les choses se feront naturellement. Lionel Zinsou sera peut-être un jour «condamné», un peu malgré lui, à s'occuper davantage de son pays. » Ultime forme de pèlerinage.

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