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Télécoms
Olivier Roussat, directeur général délégué de Bouygues SA

Comment Olivier Roussat est devenu la cheville ouvrière du groupe Bouygues

Pas à pas, il a gagné la confiance de Martin Bouygues. Ce pur ingénieur, qui a sauvé l’opérateur télécoms maison, est devenu la cheville ouvrière de l’ensemble du groupe. Et de la prochaine génération Bouygues.

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 Olivier Roussat, PDG de Bouygues Telecom, operateur telephonique - Olivier Roussat, PDG de Bouygues Telecom Portrait 580

Olivier Roussat, DG de Bouygues SA.

Bruno Delessard/Challenges

« Mais vous avez déjà parlé de moi ! » Olivier Roussat ne voulait pas de ce portrait. Il l’a dit, fait dire et répété Le directeur général délégué de Bouygues SA n’aime pas prendre la lumière. Pas de coquetterie ni d’affectation dans cette pudeur excessive. L’homme n’est ni timide, ni snob. Il fuit la lumière. La discrétion et la mesure sont ses marques de fabrique. « Il ne donne pas volontiers son numéro de mobile », grogne un patron du secteur des télécoms.

Carrière au mérite

Cette retenue est une qualité indispensable pour évoluer au sein du groupe Bouygues, leader mondial du BTP, diversifié dans la communication, avec TF1, et les télécoms, avec Bouygues Telecom. Depuis le 30 août 2016, Olivier Roussat est installé aux commandes de cet empire de 115.000 salariés. Martin Bouygues, le patron de l’entreprise familiale, l’a alors officiellement nommé à ce nouveau poste au côté de Philippe Marien, un fidèle parmi les fidèles, 62 ans, dont trente-huit au sein du groupe, dans les fonctions financières et administratives. Olivier Roussat, 53 ans, affiche quant à lui vingt-trois années d’ancienneté. Le temps nécessaire pour prouver ses compétences et sa loyauté, asseoir sa crédibilité auprès des autres dirigeants de l’entreprise et gagner la confiance de la famille.

« Il a passé toute sa carrière chez Bouygues, un groupe très méritocratique dans lequel les managers ne viennent quasiment jamais de l’extérieur, explique Grégoire Chertok, associé-gérant chez Rothschild & Cie, banquier conseil de l’entreprise depuis vingt-deux ans. Il s’est forgé sa position en gravissant, un à un, les différents échelons de la maison. »

Pourtant, l’homme n’est pas un pur produit de la maison Bouygues. Diplôme de l’Insa de Lyon en poche, il a d’abord œuvré au sein de la filiale française d’IBM, à partir de 1988, où il a entamé une carrière fulgurante. Jusqu’à cette journée d’avril 1995. En quelques heures, il donne sa démission, ne supportant pas l’injustice dont est victime l’une de ses collègues du contrôle de gestion, Florence. Laquelle deviendra son épouse. Il rejoint alors le groupe Bouygues, où travaillent déjà ses deux frères. Le plus jeune, en poste à Bakou, en Azerbaïdjan, lui donne le goût des voyages en Orient et des tapis de soie multicolores, de purs chefs-d’œuvre, dont il se pose aujourd’hui en expert.

En 1994, Martin Bouygues a fondé sa filiale dans la téléphonie mobile. Olivier Roussat en devient le 265e salarié. Son premier patron se nomme Philippe Montagner, un baron du groupe qui a piloté les chantiers les plus prestigieux de l’époque, du Forum des Halles à l’université de Riyad, en passant par le tunnel sous la Manche. « Olivier a beaucoup appris de lui, il était son mentor », raconte Jean-François Guillemin, ancien secrétaire général et actuel président de la Fondation Francis Bouygues. Ce pacha du BTP lui a enseigné les valeurs de l’entreprise, la gestion des grands chantiers, le management du risque, la rigueur juridique

Olivier Roussat semble s’être fondu dans cette culture si particulière. En y ajoutant sa propre touche. Et notamment son mode de management très agile, qui lui a valu le surnom de Lucky Luke l’homme qui tire plus vite que son ombre par ses équipes, dès ses premières années chez Bouygues Telecom. « Il décide très vite », confirme Didier Casas, son directeur général adjoint, qui décrit cette célérité appliquée aux entretiens d’embauche : « Il considère que le doute ne doit jamais profiter au candidat, mais s’il n’a aucun doute, au bout de 15 minutes, il termine la discussion par cette phrase : «Que faut-il faire pour que vous veniez travailler chez nous ?». » Son style direct et simple se traduit par quelques actions rituelles. Quand il a quelque chose à fêter avec ses collaborateurs, les agapes se déroulent généralement chez Bellota-Bellota, à Boulogne-Billancourt, dans la cave à jambons. La charcuterie est l’une de ses faiblesses avouées.

Maîtrise technique

Il admet ne rien connaître aux subtilités du marketing et ne s’intéresse pas aux campagnes de publicité conçues par ses équipes. Pour Jean-François Guillemin, cet homme est « un pur ingénieur, très réfléchi, très précis : s’il voit un moteur, il va le démonter puis le remonter, il veut comprendre comment les choses fonctionnent, comment elles sont assemblées, sinon il n’est pas à l’aise. Et c’est un gros atout ».

Tous ses concurrents, sans exception, voient en lui un parfait technicien de la chose télécoms. « C’est d’abord un très bon ingénieur qui connaît parfaitement son produit », confirme l’un de ses rivaux les plus coriaces, qui tient à rester anonyme. En juin, il a fait un aller-retour en Chine pour discuter une journée durant avec les ingénieurs de Huawei sur certains détails techniques de la mise en œuvre de la technologie 5G, l’Internet mobile à très haut débit.

C’est justement au cours d’un voyage professionnel en Asie que Martin Bouygues l’a remarqué. Quand vient l’automne, depuis une vingtaine d’années, quasiment depuis la création de Bouygues Telecom, tout l’état-major de l’opérateur se délocalise en Corée du Sud, au Japon et en Chine pour se frotter aux grands fournisseurs de matériels et de technologies. Et c’est à Séoul, lors d’une de ces virées, que le patron de Bouygues a détecté les qualités du jeune manager. Et l’a fait sortir du rang. « Il possède trois qualités essentielles : exigence, sagesse et respect, observe Jacques Mollet, l’ancien président de Samsung France. La confiance de Martin ne se gagne pas du jour au lendemain. »

« Patron en formation »

Il y a deux ans, Olivier Roussat a emménagé avenue Hoche, au septième étage du siège parisien du groupe Bouygues. Il consacre désormais les deux tiers de son temps à découvrir l’activité construction de l’empire familial. « Un patron en formation », comme il aime se définir. Philippe Bonnave, en charge de la branche construction, lui a concocté un parcours initiatique sur mesure. Avec l’excitation d’un gamin, il raconte ses visites de chantiers de tunnel à Hongkong, de casino à Macao, de routes à Madagascar. Son nouveau bureau est déjà habité de ces expériences : casques de chantier, photos souvenirs de ses déplacements en terres lointaines, maquettes miniatures d’engins de chantier. Il décortique toutes les activités en profondeur.

« Les gens de la construction et de la télévision se sont d’abord demandé qui était ce type qui ne connaissait rien à leur métier, raconte Jean-François Guillemin. Mais ils ont vite compris qu’il était l’un des leurs. » Olivier Roussat a tranquillement imposé son style, toujours calme et avenant, sourire charmeur, maintien impeccable, souligné par ces costumes italiens qu’il affectionne.

Origines modestes

Aux yeux de Martin Bouygues, l’homme possède toutes les qualités d’un parfait collaborateur, efficace et loyal. Au-delà de ses compétences managériales et de sa maîtrise technique des dossiers, il apprécie chez lui son bon sens du terroir. Une forme de rondeur, que le nouvel homme fort du groupe puise dans ses origines auvergnates. Originaire de Bourbon-l’Archambault, dans l’Allier, près de Moulins, il est le fils d’Odette, aide-soignante dans une institution religieuse, et de Roland, propriétaire d’une entreprise de transport. Dès l’âge de 13 ans, il a commencé à travailler sur les marchés des environs pour se faire de l’argent de poche. Il a aussi été cantonnier et aidé au transport de bétail dans les camions de son père, qu’il a vu trimer toute sa vie, ne s’autorisant qu’une courte pause dominicale.

Olivier Roussat en a tiré une leçon de vie : il se consacre tout entier à son entreprise tout en préservant au maximum sa vie privée. Sa famille est capitale, il lui réserve ses week-ends. Et s’efforce, une fois par mois, de retourner sur ses terres, dans l’Allier. « Il vient d’un milieu très modeste et a grandi à la force du poignet », explique Jean-François Guillemin. Derrière son allure bonhomme, « c’est un dur : quand les choses vont mal, c’est un patron qui tranche, sanctionne, prend des positions fortes ».

Martin Bouygues l’a bien compris en le nommant à la direction générale de l’opérateur, en 2007, puis au poste de PDG, en 2013, au moment où le secteur des télécoms entre dans une forte période de turbulences. Free vient de faire une entrée fracassante, et Bouygues Telecom sera le plus touché. C’est lui qui mène la douloureuse opération de transformation : 2.000 postes sur 9.000 doivent être supprimés. Didier Casas était à ses côtés le jour de l’annonce du plan de départs volontaires. Olivier Roussat a rassemblé les salariés dans l’amphithéâtre du siège pour répondre, à chaud, à leurs questions. Ce plan était une première dans le groupe Bouygues. « C’était diamétralement opposé à la culture de l’entreprise, explique Didier Casas. Il connaissait la plupart des collaborateurs par leur prénom. Cet épisode l’a beaucoup atteint, il a eu de gros problèmes de dos, c’est la seule fois que je l’ai vu mal en point. »

Mission sensible

Dans la foulée, il repense toute la stratégie industrielle et commerciale pour permettre à l’entreprise de survivre. « Il fait partie de ceux qui ont sauvé Bouygues Telecom, observe Nicolas Guérin, le secrétaire général d’Orange. Mais ce n’est pas une star. C’est un bosseur et un homme de terrain comme on en croise peu. » Olivier Roussat a le succès modeste : « Nous ne sommes jamais aussi bons que quand nous battons nous-mêmes la mesure », explique-t-il aujourd’hui à propos du regain de forme de l’opérateur. Il a aussi été en première ligne dans toutes les éprouvantes tentatives de consolidation quatre en trois ans du marché français. Jean-Michel Darrois, l’avocat du groupe, l’a particulièrement observé durant cette période : « Il a affronté ces événements très courageusement, il sait se montrer très imaginatif dans les moments difficiles. » Et il sera de nouveau aux commandes si les discussions reprennent ces prochains mois, comme le prédisent certains.

Depuis qu’il occupe ses fonctions au holding, Olivier Roussat a pris ses distances avec la gestion quotidienne de l’opérateur, mais il n’a pas lâché sur la technologie et continue d’assister aux réunions hebdomadaires du comité exécutif. « Il garde la haute main sur les télécoms et demeure un vrai point de décision », observe Arthur Dreyfuss, secrétaire général de SFR. Jean-François Guillemin l’a vu se transformer en patron du CAC 40 au cours des deux dernières années : « Il est rentré petit à petit dans les affaires du holding, les pactes d’actionnaires, les opérations de fusions-acquisitions, mais on voit bien que son intérêt premier, c’est l’industrie. »

Son bureau de l’avenue Hoche est situé juste en face de celui de Martin Bouygues, qui continue de le briefer sur les subtils rouages de l’empire. Et compte aussi sur lui pour une mission hautement sensible : préparer la prochaine génération ses enfants et ceux de son frère Olivier à gouverner. « Olivier Roussat passe du temps avec eux, c’est un très bon pédagogue », confie un proche de la famille. Il garde notamment un œil sur Edward, 34 ans, qui évolue depuis plusieurs années au sein de Bouygues Telecom. Une parfaite école de patron.

 

1964
Naît à Moulins (Allier).

1987
Diplômé de l’Insa de Lyon.

1988
Embauché par IBM.

1995
Rejoint Bouygues Telecom.

2003
Nommé directeur réseau.

2007
Directeur général.

2013
PDG.

2016
Directeur général délégué de Bouygues SA.

 

 

Ce qu'ils disent de lui

Grégoire Chertok, associé gérant chez Rothschild & Cie : « C’est un très bon meneur d’hommes, soucieux de ses collaborateurs. Il a la capacité de leur faire franchir des ponts d’Arcole. »

Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange : « Il est d’une loyauté énorme envers son entreprise, dont il défend les intérêts avec beaucoup d’intelligence. »

Didier Casas, directeur général adjoint de Bouygues Telecom : « Il délègue et donne facilement sa confiance, mais il ne supporte pas qu’on lui cache des choses. S’il découvre qu’une personne lui a menti, cela peut être très brutal. »

Jean-Michel Darrois, avocat
d’affaires : « C’est un homme discret,
très intelligent, assez pragmatique, qui ne se lance jamais dans de grandes théories. Il est toujours très calme et écoute patiemment les palabres des banquiers et des avocats avant de leur dire clairement ce qu’il pense. »

Jean-François Guillemin, ancien secrétaire général du groupe Bouygues : « Ce n’est pas un Parisien, il ne fonctionne pas avec les codes des grands patrons du CAC 40. C’est quelqu’un de très pudique et d’authentique, il ne doit sa réussite qu’à lui-même. »

 

 

 

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