Parle-t-on encore vraiment le français en Louisiane ? Emphase sur le vraiment. Et pour cause, la francophonie louisianaise est souvent reléguée à un lointain passé – vous avez dit Nouvelle-France ? Et les médias se plaisent à représenter cette francophonie comme se limitant à une poignée de personnes âgées, se balançant avec nonchalance sur un rocking-chair sous le porche de leur maison située au bord du bayou. On adore les personnes âgées et les rocking-chairs – et j’ai moi-même une passion toute personnelle pour le bayou –, mais disons simplement que cette représentation toute folklorique n’aide pas nécessairement à ancrer la francophonie louisianaise dans le XXIᵉ siècle, et à représenter sa diversité.

Et pourtant, le français reste bien d’actualité en Louisiane – et ce n’est pas le président Macron qui dira le contraire. Mais que vient-il faire là-dedans ? Si vous suivez l’actualité, il ne vous aura pas échappé que sa visite officielle aux États-Unis inclut un déplacement d’une journée à La Nouvelle-Orléans, visant entre autres à célébrer “l’esprit français” en Louisiane – dixit les services de l’Élysée. Et en tant que Français installé à La Nouvelle-Orléans, travaillant de surcroît au développement de la francophonie louisianaise, je ne peux résister au plaisir de saisir cette occasion et de vous en dire plus sur cette francophonie louisianaise si méconnue. Alors, on embarque dans l’avion présidentiel aux côtés de notre cher président et on part faire un voyage en francophonie louisianaise ?

Une francophonie diverse, forgée au gré des interactions entre différentes communautés

Atterrissage imminent : attachez vos ceintures et préparez-vous à partir en road trip sur les routes de Louisiane, à la rencontre des principales communautés francophones. Au pluriel, car la francophonie louisianaise est multiple, et c’est d’ailleurs ce qui fait tout son charme. Première étape : l’Acadiane, dans le sud de la Louisiane, également connue sous le nom de “pays cadien”. Ce nom vous est probablement familier – et j’imagine qu’il l’est davantage si je vous dis simplement “Cajun”. Les Cadiens (ou Cajuns, donc) sont les descendants des Acadiens – je n’essaie pas de vous embrouiller, promis. Ils sont arrivés dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, après avoir été contraints de fuir le Canada. De la France au Canada, puis du Canada à la Louisiane (passion voyage), ils ont conservé leur langue : le français. Et cette variante régionale du français est aujourd’hui connue sous le nom de “français louisianais”. Accent chantant et “r” roulés en prime, le tout sur un air de zydeco.

Je vous donne désormais rendez-vous à La Nouvelle-Orléans, et le moment est venu d’introduire le terme “créole”. La Louisiane n’est pas surnommée “The Creole State” pour rien ; ce terme désignait, aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, toute personne née dans une colonie, sans distinction d’ethnicité. Les personnes créoles peuvent donc être d’ascendance européenne ou africaine, avec toutefois un point commun : leurs familles sont en principe en Louisiane depuis de très nombreuses générations (retour au XVIIIᵉ siècle). Et cette communauté parle aussi bien le français que le créole louisianais. Je vous avais bien dit que La Nouvelle-Orléans était située dans le nord de la Caraïbe. Et si nous allons un peu plus au sud, le long des côtes de Louisiane, nous rencontrons également certains représentants des Premières Nations (comme le disent si bien nos amis canadiens) revendiquant un héritage francophone et pratiquant toujours le français à ce jour, à l’instar de la nation houma. Une francophonie diverse, forgée au gré des interactions entre ces différentes communautés : une francophonie louisianaise, en somme.

Le français en Louisiane : plus qu’une langue, toute une culture

Revenons-en à notre question initiale : parle-t-on encore vraiment le français en Louisiane ? La réponse requiert un peu de subtilité – et dans le fond, je vous l’ai déjà donnée. Si vous marchez dans les rues de La Nouvelle-Orléans et espérez que le français sera la lingua franca, vous serez peut-être, même très probablement, déçu. Seul un Louisianais sur vingt parle aujourd’hui le français au quotidien, contre un sur trois il y a de cela quarante ans. Avec toujours le même refrain : “Mes grands-parents parlaient le français, mais ne l’ont pas transmis à mes parents.”

Une chute vertigineuse qui ne doit toutefois pas reléguer le français aux oubliettes. Car le français en Louisiane, c’est bien plus qu’une langue : c’est toute une culture. Une culture multiple qui s’incarne à travers la musique, la gastronomie, les arts, et avant tout à travers les Louisianais eux-mêmes, toutes communautés confondues. Si l’on ne parle plus le français autant qu’avant – résultat de très longues décennies de répression à l’encontre des francophones –, il reste bien présent au quotidien. Dans quelle autre région des États-Unis peut-on entendre “beaucoup” utilisé au milieu d’une phrase en anglais ? Oui : l’on peut tout à fait entendre “I’ve got beaucoup money” (stylé, non ?). Après tout, comme le dit souvent mon conjoint néo-orléanais : “Même quand on parle anglais, on parle français” (bonjour à tous les linguistes). Et vous pensez que le menu du restaurant créole où vous vous trouvez est intégralement rédigé en français ? Il n’en est rien ; les plats ont un nom français en anglais également.

Et anecdote croustillante : j’ai eu l’opportunité d’aller au Festival du film de La Nouvelle-Orléans, le mois dernier, et le nom d’un long-métrage a tout de suite attiré mon attention. A New Orleans Noel. Si même les téléfilms de Noël s’y mettent… Alors, on parle peut-être moins le français qu’avant (quoiqu’on le parle bien volontiers après un petit verre de whisky), mais une chose est certaine : on vit encore en français. Et si après tout, c’était ça qui faisait tout le charme de la Louisiane ?

Une francophonie tournée vers l’avenir – et vers l’international

Notre voyage nous emmène désormais à Erevan, en Arménie. Où donc ? Je vous emmène simplement au Sommet de la francophonie de 2018 (oui, l’avion présidentiel a des propriétés insoupçonnées et peut remonter le temps). Nous sommes le 11 octobre 2018, et la Louisiane devient formellement membre de l’Organisation internationale de la francophonie, au terme d’une initiative lancée et pilotée par deux jeunes gens exceptionnels – autrement dit, mon conjoint, Scott Tilton, et moi-même (et tant pis pour la modestie). Cette adhésion – promis, je vous raconte tout en détail très prochainement – a permis d’offrir à la francophonie louisianaise une reconnaissance amplement méritée et une visibilité accrue. Et également une récompense pour l’ensemble des efforts de revitalisation mis en place depuis une dizaine d’années. Et cette revitalisation passe avant tout par l’éducation.

Le moment est donc venu de faire étape dans l’une des 40 écoles d’immersion que compte la Louisiane, scolarisant au total près de 5 000 élèves (pas mal, non ?). “Mais pourquoi scolariser votre enfant en français ?” demandez-vous à l’un des parents d’élèves. Tout simplement pour lui donner toutes ses chances. Et perpétuer au passage la francophonie louisianaise. Une francophonie tournée vers l’avenir. Et vers l’international. Si la vieille génération reste réticente dès lors qu’il s’agit de parler d’international – je ne dirai rien sur les rocking-chairs –, les milléniaux sont all about it, réseaux sociaux à l’appui. Et pour conclure ce voyage, peut-être devrais-je vous inviter à venir faire un tour chez moi ? Surprise : je dirige une structure assurant la promotion de la francophonie louisianaise, la fondation Nous. Et j’aurais tellement d’histoires à vous raconter. Mais je dois vous laisser ; l’avion présidentiel s’apprête à atterrir et je ne voudrais pas rater cette célébration de “l’esprit français en Louisiane”.