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LA TORTUE, PARCE QU'ELLE LE « VEAU » BIEN !

De terre, de mer ou de rivière, ce petit reptile aujourd'hui protégé s'est longtemps retrouvé dans nos assiettes. Mais gare aux imitations !

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Par PATRICK RAMBOURG

Publié le 8 nov. 2022 à 07:00

En France, la tortue est une espèce protégée, et il n'est vraiment pas dans nos habitudes de consommer sa chair. Jadis, elle était pourtant fort appréciée des gourmets. On en pêche en abondance dans les rivières du Blésois, de la Touraine et du Poitou, qu'on envoie à Paris ou à la cour, souligne le médecin Jean Bruyérin-Champier en 1560. D'autres témoins de la même époque rapportent que le Languedoc et la Provence en font grand commerce et qu'on en mange beaucoup dans le Limousin. Certains disent que les tortues de rivière ne valent « pas celles de terre ou de bois », et que leur préparation fait « les délices des princes et des grands seigneurs ». Un auteur anonyme du tout début du XVIIe siècle précise que les tortues de mer ont « la chair fort tendre, molle, grasse et délicate ». Qu'elles soient d'eau ou de terre, elles s'apprêtent volontiers en friture dans du beurre, avec des groseilles et des assaisonnements, voire avec des oignons, de la muscade, de la cannelle, du verjus, des jaunes d'oeufs et des « aigrets ».

Les livres de cuisine du Grand Siècle en donnent des recettes. Le Cuisinier français, de La Varenne (1651), propose ainsi des « tortues en ragoût » que l'on peut « manger en tout temps » et un « potage de tortues » que l'on peut déguster les jours maigres. L'animal est nettoyé puis cuit dans une « eau bien assaisonnée ». La chair est ensuite découpée en morceaux, passée à la poêle avec du beurre, du persil, de la ciboule, mitonnée avec un peu de bouillon et de pain, et servie avec des asperges, des champignons et leur jus, des truffes et des tranches de citron. Outre ces deux préparations, Pierre de Lune présente, dans Le Cuisinier (1656), un « tortugat, ou restaurant de tortues » (un bouillon pour malades), des « tortues à la sauce blanche », des « tortues à la marinade » - trempées dans du vinaigre, avec du sel, du poivre, de la ciboule, farinées, frites « en beurre affiné », et servies avec de la persillade et des oranges. Le chef évoque par ailleurs un « potage de tortues au bouillon blanc » ainsi qu'une « tourte de tortue ». Dans Le Cuisinier roial et bourgeois (1691), François Massialot expose pareillement des recettes, dont plusieurs versions du potage, en maigre, en gras, en « profitrolle ».

De l'art et du bovin

Les traités de cuisine des Lumières proposent aussi des préparations, comme les « pigeons aux tortues », ces dernières étant cuites au vin blanc et au bouillon avec un bouquet garni. Joseph Menon rappelle dans l'un de ses ouvrages culinaires du milieu du siècle que « l'on ne s'en sert ordinairement que pour garnir des ragoûts », mais qu'on peut l'accommoder en fricassée si on veut la manger en aliment principal. À Paris, il existe des boutiques qui vendent des tortues « de toutes grosseurs », pour faire des bouillons.

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Au XIXe siècle, la variété des recettes diminue au profit du potage ou de la soupe à la tortue, selon l'appellation choisie par les auteurs. Dans son journal, le comte Rodolphe Apponyi, qui fut attaché de l'ambassade d'Autriche-Hongrie à Paris, se souvient d'un repas chez les Rothschild, en 1826, préparé par Antonin Carême, qui commençait « par la célèbre soupe aux tortues, qui est de rigueur dans tous les dîners à prétention ». Le chef donne des recettes dans L'Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle (1833), mais, chose étonnante, le « potage tortue à la française » se prépare avec de la tête de veau, celui qualifié « à la parisienne » se confectionne avec du palais de boeuf, etc. Alors que le « potage de tortue à l'anglaise » se fait avec l'animal à carapace. Carême confirme que « celui à l'anglaise est bien réellement de tortue, tandis que le nôtre n'est qu'une imitation faite avec de la tête de veau », oubliant les versions françaises des siècles précédents qui employaient bien de la chair de tortue. Celle-ci n'apparaît pas non plus dans les potages des ouvrages de cuisine ménagère que j'ai compulsés. Et dans des livres de chefs, on trouve parfois du « potage de fausse tortue à la française », comme dans La Cuisine classique, d'Urbain Dubois et Émile Bernard (1856), la tête de veau étant taillée en rond avec un emporte-pièce, probablement pour faire penser à des tortues. Ce qui ne les empêche pas de présenter un « potage de tortue à l'anglaise » aussi nommé turtle soup.

Patrick Rambourg

PAR PATRICK RAMBOURG

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