Il y a 110 ans, la révolte des vignerons allait marquer le Midi

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    Il y a 110 ans, la révolte des vignerons allait marquer le Midi
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Santiago Mendieta

Il y a 110 ans, en mai et juin 1907, les populations du Midi viticole se soulevaient, excédées par la mévente du vin et la misère dans les campagnes. À ce mouvement populaire d'une ampleur inédite, s'ajoute la mutinerie d'un régiment à Béziers.

Lorsque le vin va, tout va dans notre pays. En ce XIXe siècle finissant, la vigne constitue le substrat économique du Midi languedocien. Cette monoculture a rendu la dignité et la prospérité perdues lors du désastre du phylloxéra. Mais cet âge d'or n'a qu'un temps. La surproduction du «gros rouge» entraîne la mévente et la chute des prix dans un marché désorganisé.

En 1900, l'Hérault produit 11 millions hectolitres, chiffre colossal. Le prix de l'hectolitre passe de 20 francs à 12 puis 5 francs en 1901, malgré une production en baisse ! Le vin du Midi ne se vend plus ou alors à perte, les stocks s'accumulent. Les vignerons crient misère, certains font faillite, ne peuvent payer les arriérés d'impôts. On décrète la grève de l'impôt et la démission des municipalités… L'économie du Midi chancelle. On accuse les négociants, les fraudeurs, qui ajoutent du sucre ou coupent le vin avec de l'eau dans les crus d'Algérie. Boucs émissaires, les betteraviers du Nord. D'autant que la loi permet la chaptalisation. Les viticulteurs qui travaillent dur réclament une loi protégeant leurs «vins naturels» qu'ils obtiendront après les événements de 1907.

Les «87 fous d'Argeliers»

L'étincelle jaillit à Argeliers, village du bas Minervois (Aude). La misère et la détresse paysannes y sont plus accentuées, les rendements moindres et la grêle ont provoqué de sérieuses pertes.

Un petit viticulteur, cafetier intermittent et original, Marcelin Albert, prend la tête d'un comité de défense viticole local qui publie un journal, Le Tocsin qui appelle à la révolte les «gueux», «ceux qui crèvent de faim».

Albert apprend la présence à Narbonne le 11 mars d'une commission d'enquête parlementaire. Il rallie à sa cause une poignée d'amis et de vignerons baptisés les «87 fous d'Argeliers» pour rencontrer ces députés et porter leurs revendications au son d'un clairon.

À leur suite, les comités de défense se créent partout, le mouvement s'étend. Des campagnes, les manifestations se déplacent vers les villes. C'est une vague de fond. Du 5 mai au 9 juin, 80 000 manifestants marchent à Narbonne, 150 000 à Béziers, 170 000 à Perpignan, 220 000 à Carcassonne, 270 000 à Nîmes, plus de 500 000 à Montpellier !

Face à ces foules déterminées, à la désobéissance générale, l'État fait appel à l'armée. Georges Clémenceau, président du Conseil, lance une dure campagne de maintien de l'ordre avec occupation militaire, qui accroît le ressentiment bien que les populations soient attachées à la République.

Le 19 juin, de violents incidents éclatent devant la sous-préfecture de Narbonne prise d'assaut après l'arrestation du maire de la ville, Ernest Ferroul qui soutient le mouvement. Le lendemain, l'émeute se poursuit contre les forces de l'ordre, cinq manifestants sont tués devant la place l'Hôtel de ville après des sommations non audibles. Après avoir emprisonné les responsables du mouvement qui pour la plupart se constituent prisonniers, Clémenceau, en habile politicien, mate la révolte, tout en satisfaisant les demandes du monde viticole. Le Midi reste marqué durablement par ce mouvement revendicatif d'une ampleur inédite.

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Les commentaires (4)
realiste2 Il y a 6 années Le 26/11/2017 à 18:39

Néanmoins, ce n'était pas une raison pour se venger à grands coups de pesticides.

alexlegrand Il y a 6 années Le 26/11/2017 à 11:49

J'ai entendu dire que l'abominable Clémenceau ( à cause de qui la guerre de 14 a duré deux de plus car il a refusé la paix proposée ) avait envoyé des militaires Bretons pour mater les languedociens..car aucun risque de fraternisation..ils ne pouvaient pas se comprendre entre Bretons et Occitans.

frontierman2 Il y a 6 années Le 26/11/2017 à 10:51

SUITE..
En pleine révolte des vignerons du Languedoc en 1907, le 17e régiment d'infanterie de ligne composé de réservistes et de conscrits du pays, est muté de Béziers à Agde le 18 juin 1907.

Dans la soirée du 20 juin, les soldats apprennent le drame de Narbonne où la troupe sur ordre de Georges Clemenceau a tiré sur des manifestants. Environ 500 soldats de la 6e compagnie du 17e régiment d'infanterie se mutinent. Ils emportent armes et munitions, quittent la caserne où ils étaient cantonnés et prennent la direction de Béziers, à pied. Ils parcourent une vingtaine de kilomètres, par une marche de nuit. Le 21 juin, en début de matinée, ils arrivent à Béziers. Ils sont accueillis chaleureusement par les Biterrois. Les soldats s'installent alors sur les Allées Paul Riquet, longue esplanade au centre de Béziers, mettent crosse en l’air et fraternisent avec la population qui n'hésite pas à leur offrir de la nourriture et du vin1. Après l'intervention du comité de défense viticole de Béziers et sur la promesse qu'il n'y aurait pas de sanctions individuelles, les mutins acceptent de rentrer dans leur caserne de Béziers. Le 22 juin, par train, les soldats sont transférés à Agde et de là à Gap. La mutinerie active la discussion sur le projet de loi sur les vins, en discussion depuis le 22 mai : le 29 juin est votée une loi « sur le mouillage des vins, les abus du sucrage et la déclaration de récolte » et le 15 juillet une autre loi établit un contrôle plus strict des vins et des alcools.
17e régiment d'infanterie de ligne à Gafsa

La négociation et l’ampleur de la mutinerie du 17e ont permis d’éviter une punition collective : de Gap, les mutins sont envoyés à Villefranche-sur-Mer d'où ils prennent la mer jusqu'à Gafsa (Tunisie)2, lieu de cantonnement de compagnies disciplinaires ; mais ils restent en dehors de ce cadre, sous un statut militaire ordinaire. Il n'y eut donc pas de sanctions pénales à la révolte du 17e, contrairement à la légende qui courut à ce sujet. Il est également faux de penser que durant la Première Guerre mondiale, ils furent nombreux à être envoyés en première ligne: Jules Maurin a mis en évidence que le taux des pertes humaines des anciens du 17e "était comparable et conforme aux moyennes générales" (cf. l'ouvrage cité ci-dessous page 226)3. C'est à la suite de ces événements que désormais les conscrits effectueront leur service militaire loin de chez eux.