La Wallonie doit-elle continuer à investir dans la sidérurgie, un secteur en crise ?
Depuis plusieurs années, la Wallonie investit, aux côtés des grands groupes ArcelorMittal (Liège) et NLMK (La Louvière et Clabecq), dans la sidérurgie.
- Publié le 17-10-2019 à 16h35
- Mis à jour le 17-10-2019 à 18h49
Depuis plusieurs années, la Wallonie investit, aux côtés des grands groupes ArcelorMittal (Liège) et NLMK (La Louvière et Clabecq), dans la sidérurgie. Depuis quelques mois, une partie du bassin liégeois a un nouveau patron: le groupe britannique GFG Alliance et sa division Acier Liberty Steel. Liberty a la réputation de demander des aides d'Etat là où il s'implante. Il pourrait introduire une demande d'aide à l'investissement au gouvernement wallon pour soutenir ses activités à Liège. La sidérurgie est un secteur en crise. Est-il encore pertinent pour les pouvoirs publics de le soutenir financièrement? Le ministre wallon de l'Économie a été questionné par un député Écolo au sujet d'un possible investissement dans Liberty Steel. Tous deux donnent leur avis sur la question.
Un nouvel acteur a fait son apparition dans le paysage sidérurgique européen et de façon aussi fulgurante que remarquée. Le groupe britannique GFG Alliance et sa division Liberty Steel ont racheté fin juin, pour 740 millions d'euros, à ArcelorMittal trois lots d'usines européennes, dont quatre à Liège, que le numéro 1 mondial de l'acier avait été contraint de vendre, sur décision de la Commission européenne pour des raisons de situation de monopole sur certains produits.
GFG, groupe familial fondé et dirigé par l'Indien Sanjeev Gupta, a des activités diversifiées (immobilier, exploitation minière, métallurgie, fournisseur de matériel pour l'agriculture, le secteur énergétique ou l'industrie, etc.). Voici désormais Liberty Steel positionné comme le troisième plus gros opérateur sidérurgique en Europe, avec une intention dévoilée : se centrer sur le recyclage de l'acier dans des aciéries électriques.
Sanjeev Gupta peut appeler Willy Borsus quand il veut
Liberty a la réputation de demander des aides d’État aux pays ou régions dans lesquels il s'installe. Quand Sanjeev Gupta est venu visiter ses usines liégeoises fraîchement acquises le 23 septembre, la question d'une demande d'aide à l'investissement de sa part au gouvernement wallon lui a été posée. Et le grand patron de GFG Alliance n'a pas écarté cette option. Willy Borsus, le nouveau ministre wallon de l’Économie (MR), présent à cette visite, avait signalé que son téléphone personnel serait ouvert à Sanjeev Gupta "quasiment 24h/24" mais sans se prononcer sur la possibilité d'un cofinancement des activités liégeoises par la Région wallonne.
Vendredi dernier, le ministre a été interpellé sur cette question en commission de l’Économie par le député Olivier Bierin (Écolo, partenaire de majorité). "Quels sont les contacts pris entre le gouvernement et Liberty Steel ? Comment vous positionnez-vous par rapport à l’appel fait aux pouvoirs publics? Des soutiens sont-ils déjà envisagés ? Dans l’affirmative, à quelles conditions ?", a demandé le parlementaire.
Pas encore de demande formelle
"J'ai eu l'occasion – vous m'autoriserez à ne pas être plus bavard sur le sujet – d'avoir une conversation informelle avec le président du groupe à propos des avantages, des inconvénients et des différents atouts de notre Région. Ce dialogue doit se poursuivre", a répondu Willy Borsus. "À ce stade, la Région n'a pas été formellement sollicitée pour participer à ces investissements. Dès qu'elle le sera – je l'espère –, le cas échéant, et que les attentes de Liberty Steel seront connues, nous procéderons à l'analyse de l'ensemble de la stratégie du groupe à Liège, de son plan d'affaires, des investissements prévus et des attentes exprimées. Pour rappel, la Région a financé le plan d'investissement d'ArcelorMittal, dans le cadre de l'accord global de 2014, à hauteur de 138 millions d'euros. Dans un cadre très réglementé au niveau européen, des formules seraient donc envisageables. Il faut que l'on se donne un peu de temps pour mesurer tout cela."
Les pouvoirs publics wallons ont déjà investi massivement ces dernières années dans la sidérurgie. Son bras financier, la Sogepa, détient 49% des actions de NLMK Belgique et, le ministre Borsus l'a rappelé, elle avait aussi consenti à ArcelorMittal, en 2014, un prêt de 138 millions d'euros pour pérenniser les activités sidérurgiques du bassin liégeois. La Wallonie doit-elle encore investir dans ce secteur qui est en crise depuis plus de 10 ans et dont les perspectives de redressement en Europe sont loin d'être bonnes, selon les observateurs avisés du marché ?
Des clauses pour le maintien de l'emploi
Pour le ministre libéral, la réponse semble être oui et pour le député Olivier Bierin aussi, mais sous conditions. "Il n'y a pas de raison de faire des différences entre les secteurs d'activités, quand il s'agit d'y investir mais il faut examiner chaque projet selon son caractère innovant, sa valeur ajoutée, voire s'il apporte quelque chose en matière de transition écologique", dit-il. "Ce qui compte, au-delà de ces critères, c'est la garantie de maintien de l'emploi. Il faut prévoir une clause en ce sens en cas de prêt et s'assurer également que la Wallonie pourra récupérer sa mise en cas de délocalisation."
Les sources de financement de Liberty sont opaques ; le groupe évoquant uniquement des prêts bancaires en guise d'explication et se retranchant derrière le fait qu'il n'est pas coté en Bourse pour justifier son manque de transparence. La Région peut-elle dès lors lui faire confiance et investir à ses côtés ? "Nous ne pouvons pas signer un chèque en blanc. Il faudra que les experts juridiques et financiers de l'administration aient accès aux informations financières sur le groupe avant l'octroi d'une aide à l'investissement", déclare Olivier Bierin.