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L'ex-PDG de Rhodia va devoir s'expliquer sur les comptes de 2003

L'Autorité des marchés financiers a enquêté sur la situation du groupe chimique depuis 2000. Elle pointe des opérations hasardeuses, des pratiques comptables discutables, ainsi que la communication financière de Jean-Pierre Tirouflet lors de sa dernière année de présidence

Par Martine Orange

Publié le 26 mars 2005 à 14h54, modifié le 26 mars 2005 à 15h05

Temps de Lecture 5 min.

L'affaire Rhodia sera-t-elle le prochain sujet de polémique de la Bourse de Paris ? Deux ans après avoir été ouverte, l'enquête de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur le dossier Rhodia est achevée et transmise au collège de l'autorité boursière. Selon nos informations, celui-ci a décidé de retenir plusieurs griefs concernant la communication financière du groupe chimique, et les aurait notifiés à Rhodia, vendredi 25 mars.

L'enquête, ouverte au printemps 2003, a porté sur les trois exercices précédents, selon la procédure normale, mais pour l'AMF, les problèmes ne concernent que les comptes de l'année 2003. Ce qui, au passage, exonère Thierry Breton, l'actuel ministre de l'économie, de toute responsabilité en tant qu'administrateur et président du comité d'audit de Rhodia, fonctions qu'il occupa d'avril 1998 à septembre 2002 (il était alors PDG de Thomson).

D'après nos informations, le gendarme boursier reprocherait à Rhodia le traitement du dossier ChiRex, une société de services pharmaceutiques rachetée en 2000, qui aurait dû être dépréciée plus tôt, selon l'autorité boursière. Celle-ci contesterait l'usage des reports fiscaux fait par la société. Elle reprocherait aussi au groupe chimique son information en matière de risques environnementaux. Enfin, elle critiquerait la communication faite par Jean-Pierre Tirouflet, ancien PDG du groupe, les derniers mois avant son départ, en octobre 2003.

Cette liste de griefs va-t-elle répondre aux attentes des investisseurs ? Pour nombre d'entre eux, Rhodia est un sujet douloureux. Introduite à 21 euros en juin 1998, l'action ne vaut plus que 1,60 euro aujourd'hui. Que s'est-il passé ? Accumulation d'erreurs de gestion, comme le soutiennent les dirigeants et anciens dirigeants du chimiste, et son conseil d'administration ? Ou tromperies, comme l'affirment leurs détracteurs ?

Plusieurs plaintes ont été déposées par le financier Hughes de Lasteyrie et le banquier, aujourd'hui décédé, Edouard Stern. Des plaintes qui ont conduit la justice à ouvrir une information judiciaire contre X..., le 21 octobre 2004, confiée aux juges Henri Pons et Jean-Marie d'Huy.

Selon les plaignants, tout remonte à 1998, date de la création de Rhodia. A l'époque, le groupe Rhône-Poulenc (devenu depuis Aventis puis racheté par Sanofi) veut se recentrer sur la pharmacie. Il organise donc la scission de son activité chimie, regroupée au sein d'une nouvelle filiale, Rhodia, dont M. Tirouflet prend la direction. Pressé de se débarrasser de cet encombrant métier, le PDG d'alors de Rhône-Poulenc, Jean-René Fourtou (aujourd'hui à la tête de Vivendi Universal), transfère à la nouvelle entité de nombreux sites ­ certains même qu'elle n'a jamais exploités depuis sa création ­ qui se révéleront porteurs de coûteux risques environnementaux.

Le 30 juin 1998, 32,4 % de son capital sont cédés en Bourse par sa maison mère. Mais Rhône-Poulenc veut se désengager plus rapidement, pour pouvoir réaliser un mariage "d'égal à égal" avec l'allemand Hoescht et constituer Aventis, un groupe mondial de pharmacie. Or le marché, déjà, boude Rhodia, dont l'action a perdu la moitié de sa valeur fin 1998.

En mars 1999, une bataille boursière permet de relancer l'intérêt sur le titre. Un concurrent américain lance une attaque contre le chimiste britannique Albright & Wilson, numéro un mondial dans les phosphates. Rhodia, qui avait rejeté le dossier un an auparavant, est tenté de faire une contre-offre. Mais difficile de s'endetter davantage à quelques mois d'une vente complète en Bourse.

A la surprise du marché, c'est Donau Chemie, ancienne filiale autrichienne de Rhodia, qui lance une surenchère sur le britannique. L'opération dépasse le milliard d'euros, alors que Donau dispose d'à peine 100 millions d'euros de capitaux propres et réalise moins de 150 millions de chiffre d'affaires. Rhodia décide de lui apporter son soutien et prend une option d'achat sur Albright & Wilson.

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"On a trompé le marché, accuse aujourd'hui M. de Lasteyrie. Cette opération a été présentée comme une simple option de rachat d'Albright & Wilson. En vérité, il s'agissait d'un portage. Rhodia avait obligation de l'acquérir mais a caché cette opération d'un milliard au marché." Me Didier Martin, avocat de la société Rhodia et de certains de ses administrateurs, réfute ces accusations : " Dire que cette opération n'était pas connue comme un portage est extravagant. Rhodia ne s'en est jamais caché."

A l'époque, M. Tirouflet nie l'existence d'un portage. Dans les faits, il signera le même jour un document officiel parlant d'"option" et une lettre d'accord secrète d'engagement de rachat ferme. Ce que confirmera, par procès-verbal, devant les juges autrichiens, saisis aussi de l'affaire, Alain de Krasny, responsable de Donau Chemie à cette date.

A l'occasion de cette opération, Rhône-Poulenc espère enfin se délester du reste de ses parts dans Rhodia (61,6 %). Mais le reclassement des actions tourne au fiasco et le groupe pharmaceutique devra en conserver 25 %. Ce placement lui permettra cependant d'encaisser plus de 1,2 milliard d'euros, de mobiliser 1 milliard sur une émission convertible en actions Rhodia et de déconsolider 1,7 milliard de dettes.

Limitée dans son enquête aux trois derniers exercices avant sa saisine, l'AMF ne s'est pas prononcée sur l'information donnée par Rhodia en 1998 et 1999. Mais les juges risquent de reprendre le dossier.

Le rachat d'Albright & Wilson marque en effet le début des graves difficultés du chimiste. Le groupe hérite d'une société mal en point. Pensant sortir par le haut, Rhodia poursuit sa fuite en avant en acquérant son concurrent ChiRex. Dès l'année suivante, soit en 2001, le groupe affiche une perte de 213 millions d'euros. Les actionnaires minoritaires s'inquiètent : ils estiment que les comptes ne donnent pas la réalité de la situation.

A plusieurs reprises, Edouard Stern, actionnaire à près de 5 % et administrateur de Rhodia, s'inquiétera de la non-dépréciation d'actifs sur ChiRex. Le directeur financier du groupe, Pierre Prot, lui répondra que cette dépréciation n'est pas nécessaire, tout en reconnaissant, dans un procès verbal du 3 février 2003, que "si un tel "impairment" [dépréciation] devait malgré tout se produire, cela aurait un impact négatif immédiat sur le respect des "covenants" -garanties- bancaires". En clair, Rhodia n'aurait plus les garanties bancaires suffisantes pour ses crédits et serait en grave difficulté. C'est ce qui se passera quelques mois plus tard.

De même, les minoritaires ont protesté à plusieurs reprises sur la façon dont Rhodia gère ses risques environnementaux, notamment sur les fameux sites à risque hérités de Rhône-Poulenc. M. Tirouflet, soutenu jusqu'au bout par son ex-maison mère, niera le problème. Il faudra les avertissements des agences de notation jugeant la dette de Rhodia insupportable ­ 3,5 milliards d'euros pour moins de 1,8 milliard de fonds propres ­ pour le pousser vers la sortie.

M. Tirouflet a laissé derrière lui une entreprise au bord du gouffre. En 2003, Rhodia a affiché 1,3 milliard d'euros de pertes et en 2004, encore 626 millions de déficit. Le PDG, parti avec plus de 2 millions d'euros d'indemnités, est retiré aujourd'hui en Autriche.

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