Jean-François Roverato, président d'Eiffage, le numéro trois du BTP français, s'apprête à vivre, mercredi 18 avril, l'assemblée générale la plus agitée de sa carrière. Le numéro cinq du BTP espagnol, Sacyr Vallehermoso, a acquis plus de 33 % du capital d'Eiffage en un peu plus d'un an et réclame cinq sièges d'administrateurs en plus des huit actuels. M. Roverato s'y oppose farouchement, persuadé que ce serait le prélude à une prise de contrôle totale.
Luis del Rivero, PDG de Sacyr, a déjà utilisé cette stratégie, faisant l'économie d'une offre publique d'achat (OPA) à deux reprises : en prenant 24,5 % de Vallehermoso, en 2002, un an avant de fusionner, et 31 % du constructeur-promoteur portugais Somague, en 1999, avant son absorption, en 2004.
Un passage d'Eiffage sous pavillon espagnol serait politiquement gênant pour les tenants du "patriotisme économique". Eiffage détient en effet des participations considérées comme "sensibles". La première est dans la société d'exploitation du Viaduc de Millau, qu'elle a construit et financé et qui est devenu le symbole du savoir-faire français dans le domaine des travaux publics. L'autre participation considérée comme stratégique est la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), un réseau ancien, financé essentiellement par le péage acquitté par les usagers.
Sacyr Vallehermoso s'est, pour le moment, interdit de franchir le seuil fatidique de 33,33 % dans Eiffage, qui le contraindrait à lancer une OPA : sa seule prétention est d'avoir des administrateurs, proportionnellement à son poids dans le capital.
"QU'ILS AFFICHENT LEURS INTENTIONS"
Dans une publicité parue dans la plupart des quotidiens nationaux français en date des 17 et 18 avril, Sacyr affirme vouloir "appuyer la stratégie de cette entreprise française (...) dans laquelle il a investi plus de 1,8 milliard d'euros et (...) collaborer au développement du groupe Eiffage".
Bien qu'il s'en défende, Sacyr semble avoir fait appel à des compatriotes pour faire l'appoint de voix lors de l'assemblée générale, même si la validation des droits de vote semble parfois problématique. Le constructeur Grupo Rayet détient 4,21 % d'Eiffage et Inversiones Portival entre 2 % et 3 %. Le camp espagnol peut ainsi fédérer autour de 40 %, compte tenu de la réduction des voix de Sacyr de 33 % à 29 %, une sanction prise pour un retard de déclaration de franchissement de seuil.
Cette arrivée soudaine d'investisseurs espagnols venus du même secteur trouble l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui a annoncé avoir ouvert une enquête le 13 avril afin de vérifier qu'il n'y a pas d'action de concert. Dans ce cas, Sacyr serait tenu de lancer une OPA.
M. Roverato, qui cherche clairement à verrouiller son conseil, peut compter sur le soutien d'Eiffaime, groupement de 300 cadres qui possède 5 % des parts, sur celui des deux véhicules d'actionnariat salarié, Sicavas 2000 et FCPE 2011, qui détiennent 22,4 % du capital et sans doute sur quelques institutionnels comme Axa (0,30 %) ou Groupama.
La Caisse des dépôts et consignations, avec ses 8,5 %, devrait jouer un rôle clé. Tout en se disant attachée à ce que l'entreprise reste française, l'institution affirme n'avoir aucune hostilité de principe à l'encontre de Sacyr, mais réclame des investisseurs espagnols "qu'ils affichent clairement leurs intentions. S'ils veulent prendre le contrôle de l'entreprise qu'ils le disent". Tant qu'il restera des ambiguïtés, la Caisse n'entend pas approuver l'entrée au conseil d'Eiffage d'administrateurs espagnols.
Plus nuancée, l'Association française de gestion, organisme professionnel des gestionnaires de fonds, souligne dans une circulaire du 12 avril que, si le conseil "se doit de représenter tous les actionnaires", Sacyr n'a "pas automatiquement droit à une représentation proportionnelle au conseil".
Eiffage est à un tournant de son histoire. Son conseil a déjà vu partir cette année deux administrateurs indépendants : Véronique Morali (ex-Fimalac) et Jean-Paul Vettier (ex-président de Total France). Et surtout fin juin, M. Roverato abandonnera ses fonctions opérationnelles de PDG et ne restera plus que président. Sa volonté de ne pas laisser aux mains de Sacyr une entreprise qu'il a dirigée et développée pendant vingt ans explique son combat acharné.
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