Lorsqu’il a fallu déclencher, pour la première photo, prise dans un couloir, Eric Judor a été saisi d’un fou rire. « Tout, dans ce projet, a été hyper marrant, raconte l’acteur et réalisateur. Comme on ne connaissait personne d’expérimenté en roman-photo, on a tout découvert, en autodidactes. Dans ce type de format, on joue de façon pure, on s’amuse comme des gosses déguisés. » Le résultat, absurde, intitulé Guacamole Vaudou, publié par le Seuil, fait de Judor, coiffé d’une perruque kitsch, le héros d’un scénario signé Fabcaro.
Voici donc l’espiègle Fabcaro et l’expressif Judor, jamais avares d’un bon mot ou d’une pirouette salace, chez la vénérable maison d’édition. L’idée de les réunir vient de l’éditrice maison Nathalie Fiszman. « Ces derniers mois, tout le monde s’est mis à faire des BD, et je m’interrogeais sur la façon de renouveler le genre. J’ai pensé que le roman-photo restait un terrain assez vierge, même si on me regardait un peu comme une Martienne », retrace-t-elle.
« Le roman-photo fonctionne au travers de dessins très figés et de textes décalés, pas si loin du style de mes albums. » Fabcaro
Elle se fait d’abord les dents avec Les Six Fonctions du langage, de l’oulipienne Clémentine Mélois, un roman-photo à partir de collages, paru en mars 2021 : avec, à la clé, un joli succès à 15 000 exemplaires. Elle sollicite Eric Judor, dont elle aime « la poésie, la subtilité et l’aptitude à composer des visages dignes de dessins animés ». Le comédien, qui a apprécié le roman Le Discours et la BD Zaï Zaï Zaï Zaï, de Fabcaro, aimerait collaborer avec lui. Une proposition à laquelle ce dernier dit oui sans se faire prier.
« Le roman-photo fonctionne au travers de dessins très figés et de textes décalés, pas si loin du style de mes albums », remarque Fabcaro. Mais que raconter ? Une histoire de vaudou, réclame Judor dès la première réunion, cette pratique ésotérique « insuffisamment exploitée en comédie ». Fabcaro planche sur des story-boards en dessinant « des bonhommes patates » : « C’est avec l’idée d’un loser touché par un vaudou qui le transformerait en super-winner que le scénario fonctionnait. »
« On a photographié les scènes de bureaux et de cantine dans les locaux du Seuil. » Nathalie Fiszman
Ainsi naît Stéphane Chabert, un publicitaire, beauf et ostracisé, qui acquiert « la winne américaine » lors d’un week-end vaudou où il est béni par un sortilège. Le lecteur suit son irrésistible montée en puissance, depuis sa promotion au poste de « master boss managing winner force de l’entreprise » jusqu’à ses ambitions politiques. Le roman-photo, bien que très seventies, moque le racisme latent, la télévision-spectacle, le langage start-up ou le narcissisme des philanthropes. « Sans clin d’œil actuel, ça n’aurait fait rire que les vieux cons comme nous », dit Fabcaro, que Judor se plaît à surnommer « Fabrice Caroline ».
Il vous reste 40.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.