Henri Proglio Président de Véolia Environnement « J'ai su créer les conditions pour ne pas être irremplaçable »

Lors de son passage au récent Salon des maires et des collectivités locales, Henri Proglio, nouveau président d'EDF et président de Veolia Environnement, a dessiné les grandes lignes de l'avenir du numéro un mondial des services à l'environnement. A l'heure d'assumer ses nouvelles fonctions, il passe sereinement le témoin à Antoine Frérot, désormais directeur général de Veolia Environnement.

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Henri Proglio Président de Véolia Environnement « J'ai su créer les conditions pour ne pas être irremplaçable »
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Les villes

«Impossible de vivre dans un univers où on ne peut plus se déplacer »

Notre groupe a toujours évolué à mesure que le monde changeait. Le monde aujourd'hui, c'est sept milliards d'habitants sur la planète. En 1900, nous étions un peu moins de 1,6 milliard. Et dans une trentaine d'années, nous serons neuf milliards. Un des phénomènes les plus importants pour notre groupe est la concentration des populations dans les villes. Elle a connu une accélération vertigineuse ces dernières années. Dans les villes, vivent désormais plus de 50 % des habitants de la planète. Bientôt, ce sera 70 % ! La ville du XX e siècle, c'était 50 000 habitants. Aujourd'hui, les mégapoles comptent plusieurs dizaines de millions d'habitants. Songez que dans le district fédéral de Mexico vivent 25 millions de personnes. Dans vingt ans, New Delhi comptera 120 millions d'habitants ! La mobilité dans ces grands ensembles urbains est devenue une question de survie. Impossible de vivre dans un univers où on ne peut plus se déplacer. Même si les technologies nous permettent de travailler à domicile.
Le monde change très vite. Et nous n'en avons pas encore tiré toutes les conséquences. A commencer par la rareté des ressources : l'eau, l'énergie. Non pas que les ressources en eau aient diminué mais il faut les répartir entre un nombre plus important d'habitants. Les ressources en énergie primaire ont évidemment baissé, l'énergie fossile se raréfie.
Notre groupe n'a eu de cesse que de s'adapter à partir du socle qu'était la Générale des eaux depuis 1853. Pour être aujourd'hui le seul groupe au monde, de cette dimension en tout cas, à couvrir l'eau, les transports, les déchets et l'énergie. Qui sont autant de piliers du développement durable.

Partenariats public-privé

«On ne fait pas appel au privé pour le laisser s'enrichir »

La France a inventé le modèle du partenariat entre la sphère publique et le monde privé au XIX e siècle. A cette occasion, la démonstration a été faite qu'une décision juridique intelligente pouvait conduire à des aventures industrielles fructueuses. Dès 1853, la Générale des eaux était la première entreprise de délégation de service public d'eau. Pendant un siècle, on a pensé que ce modèle resterait uniquement français, personne ne se l'était réellement approprié et il ne se déclinait pas ailleurs. Et puis, petit à petit, les décideurs d'autres pays se sont laissés convaincre de la pertinence du système tant et si bien qu'il s'est développé partout dans le monde.
Qu'on l'appelle délégation de service public ou partenariat public-privé, peu importe. Pourquoi fait-on appel au privé ? Pas pour le laisser s'enrichir. Simplement parce qu'il est plus efficace. Pour qu'un décideur public, un élu, prenne le risque de confier à une entreprise la gestion d'un service, c'est qu'il a conscience qu'il va à la fois améliorer les conditions économiques de sa commune et la qualité du service offert. C'est la seule raison qui le pousse à le faire. Quand vous allez chez un garagiste faire réparer votre voiture, c'est que vous avez le sentiment que ce sera mieux fait et moins cher que si vous le faites vous-même. Et nous avons une obligation de résultats. Nous avons tout intérêt à faire la preuve de notre efficacité puisque nous sommes remis en compétition à l'échéance de chaque contrat. Et le retour à la régie est toujours possible.

Retour à la régie

«Souvent une affaire de mauvaise foi »

Que de contrevérités circulent sur le sujet. D'abord sur nos pratiques. Contrairement à ce que je lis ici et là, nous ne vendons pas l'eau qui s'échappe du réseau dans les fuites. Non seulement nous ne la vendons pas, mais nous ne vendons pas non plus l'assainissement qui va avec. C'est absurde ! L'eau facturée à l'abonné, c'est évidemment celle qui arrive à son compteur.
Dans le monde, 8 à 9 % des réseaux seulement sont gérés par des services privés. Plus de 90 % sont en régie. En France, c'est le contraire. Le retour à la régie est une solution possible à l'échéance de chaque contrat. Et même si c'est loin d'être la règle, il est vrai que lorsque la Ville de Paris prend cette décision, cela fait du bruit. Je voudrais rétablir quelques faits. Les réseaux parisiens figurent parmi les meilleurs au monde. Et on dit « champion la régie » parce que Paris est en régie. Faux ! Elle le sera à compter de l'année prochaine. Le bon état du réseau résulte justement de la délégation au privé qui a permis d'améliorer la distribution de l'eau à Paris.
Quand la gestion de la distribution a été confiée au privé, c'était précisément parce que les réseaux parisiens étaient dans un état si pitoyable que les fuites étaient la préoccupation majeure de la Ville. Aujourd'hui, les responsables politiques disent, « Paris champion, c'est bien la preuve qu'il faut une régie ». C'est de la pure mauvaise foi. Mais c'est comme ça.

Marché domestique

«La France est incapable de vaincre ses propres démons »

Tout au long du développement de notre groupe, la France nous a permis d'avoir des références intéressantes pour exporter notre savoir-faire. Aujourd'hui, la situation s'est inversée. Nos références mondiales nous crédibilisent sur le marché français. Quand je dis au maire d'une commune française, je gère Berlin, Sydney ou Prague, ces références le sécurisent. Ces grandes villes n'ont certainement pas choisi les plus mauvais !
Mais la France est aussi le pays du contraste. On y réussit la formidable aventure du TGV, une formidable percée industrielle et technologique, fleuron à l'export. Dans le même temps, la France est incapable de vaincre ses propres démons, incapable de s'ouvrir sereinement à la concurrence. Les pesanteurs sont plus psychologiques que sociales. La société a beaucoup changé. Nos concitoyens sont très pragmatiques, friands d'innovations. J'ai le sentiment qu'on les pense moins mûrs qu'ils ne le sont, qu'on n'ose pas leur proposer de nouvelles alternatives, de nouveaux services.

Grand Paris

«Le secteur privé n'est pas mis en compétition »

C'est un projet ambitieux. Et il est normal que les transports y tiennent une place à part entière. Mais il semble que nous devions repartir vers une situation de monopole de la RATP et de la SNCF pour les vingt ou trente prochaines années. Le secteur privé n'est pas mis en compétition.
Mais nous n'avons pas l'habitude de nous plaindre, nous nous prenons en charge. En transport, nous assurons l'essentiel de notre activité à l'international. Nous gérons des réseaux ferroviaires partout dans le monde. Dommage que nous ne puissions pas exprimer nos compétences à Paris.

Stratégie

«Trois façons de créer des synergies »

D'abord il y a les synergies techniques. Quand vous traitez de l'eau, vous créez des déchets. Avec des déchets, on fabrique de l'énergie qui peut servir à chauffer, à transporter. Les perméabilités entre les branches du groupe sont de plus en plus fortes. D'autant plus que la problématique de réduction des gaz à effet de serre pointe clairement les secteurs du logement et du transport.
Ensuite, il y a les synergies économiques. Nous pouvons les développer parce que notre taille nous le permet. Quand nous sommes présents dans un pays au travers d'une de nos activités, nous disposons d'un socle, d'une plate-forme pour développer les autres. C'est ainsi que nous nous sommes implantés durablement à peu près partout dans le monde. Par exemple en Chine, nous avons commencé par l'eau avant de développer la propreté, le transport et l'énergie.
Enfin, il y a les synergies de ressources humaines. Dans la gestion de nos effectifs, nous devons offrir un maximum de mobilité. Ascendante mais aussi transverse. Il y a des jeunes à la fois brillants et récemment formés. Pour les attirer chez nous, le fait de pouvoir leur offrir des perspectives de carrière quatre fois plus importantes que si nous n'avions qu'une seule branche, leur ouvrir la possibilité de changer de zone géographique, c'est un atout considérable.

La Chine

«Arrêtons de parler de pays émergent »

La Chine n'est plus un pays émergent. Quand vous êtes la troisième puissance économique mondiale, bientôt la deuxième et probablement un jour la première, on ne parle plus de pays émergent. Ou alors les Etats-Unis seront bientôt aussi à classer parmi les pays émergents. La Chine est un pays étonnant. Parce c'est un pays où l'élite politique est d'une performance hors du commun.

Le monde de l'entreprise

«Trouver sa place, exprimer sa volonté, développer ses compétences »

Une entreprise, ce n'est pas seulement un compte de résultats. C'est d'abord une aventure humaine. Quand on propose à quelqu'un de vivre ensemble cette aventure, à l'échelle mondiale et dans des métiers aussi utiles que ceux de Veolia, franchement, vous n'avez pas de mal à être attirants. Je me souviens d'une rencontre avec le président de la régie de Genève. La régie de Genève, c'est un peu un Veolia miniature. Ils sont pluridisciplinaires et très bons techniquement. Ce qui n'empêche pas le président de la régie d'avoir du mal à garder ses troupes. Parce qu'au fond, quel avenir peut-il leur offrir ? Le patron de l'eau à la régie de Genève, il ne peut pas aller plus loin sauf à attendre que le patron de la régie lui-même prenne sa retraite. Alors que dans un groupe comme le nôtre, qui pèse aujourd'hui 36 milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui en fera demain cinquante et qui est présent dans quatre-vingts pays, il n'y a pas de limites. Chacun peut trouver sa place, exprimer sa volonté, développer ses compétences.

Formation

«L'ascenseur social n'est pas en panne »

L'entreprise doit rester un ascenseur social. J'en suis le meilleur exemple puisque j'ai intégré Veolia à 23 ans en tant que stagiaire. J'ai eu cette chance et je veux la faire partager au plus grand nombre. Nous nous sommes donné les moyens de le faire au niveau du groupe avec une logistique de formation lourde. Aujourd'hui, un jeune en échec scolaire qui sort de l'Education nationale sans formation, nous lui donnons une formation diplômante avec un CDI à la clef s'il réussit. Ensuite, nous lui assurons une formation tout au long de sa vie professionnelle pour lui permettre d'accéder à des postes à responsabilité et à une mobilité maximale. Si vous êtes bon, nous offrons des opportunités de carrière intéressante, partout dans le monde.

après Veolia environnement, EDF

«L'occasion de transmettre le témoin à un moment où l'entreprise se porte bien »

Je ne tire pas le bilan de ma carrière chez Veolia. Parce que dans un bilan, l'actif égale le passif. Et ce n'est pas le sentiment que j'ai de mon action à la tête de Veolia. Des regrets ? Oui, bien sûr, tout le monde en a. Des projets qui n'ont pas eu lieu, des opérations que j'avais envisagées et qui ne se sont pas faites. Mais je n'éprouve aucune amertume. Quand une entreprise dans laquelle vous entrez comme stagiaire vous permet, trente-sept ans durant, de vous épanouir et de rencontrer des gens formidables, vous ne pouvez pas être déçu. Aujourd'hui, je suis heureux de pouvoir passer le relais à Antoine Frérot que je suis fier d'avoir à mes côtés depuis longtemps et qui va poursuivre l'aventure.
Pourquoi je m'en vais ? D'abord je ne m'en vais pas totalement, cela m'est suffisamment reproché. Mais c'est désormais à Antoine de gérer la maison, il en sera totalement responsable. Je pars pour assurer une nouvelle mission que l'Etat me confie. Une mission passionnante, difficile, ambitieuse. Finalement, c'est pour moi l'occasion de transmettre le témoin en toute liberté, à un moment où l'entreprise se porte bien. S'il y a un petit mérite que je revendique, c'est d'avoir su créer les conditions de ne pas être irremplaçable. Ce qui n'est pas forcément le cas de toutes les entreprises.
Et je ne serai jamais bien loin de Veolia. Je pense qu'entre le numéro un mondial des services à l'environnement et le numéro un mondial de l'énergie, il y a de nombreuses synergies à trouver et que Veolia sera demain beaucoup plus forte qu'elle ne l'a jamais été.
Enfin, en prenant la présidence d'EDF, j'ai le sentiment de faire mon devoir vis-à-vis de mon pays. Le petit-fils d'immigré lui rend une partie de ce qu'il lui doit.

Son parcours

HENRI PROGLIO est né le 29 juin 1949 à Antibes (Alpes-Maritimes).

- 1990 : il est P-DG de la Compagnie générale d'entreprise automobile (CGEA).
- 1991-1997 : il est président de la Compagnie générale des eaux.
- Janvier 1999 : il devient directeur général délégué de Vivendi Environnement.
- Avril 2000 : il devient P-DG de Veolia Environnement.- Avril 2009 : Nicolas Sarkozy le missionne pour la promotion et le développement de l'alternance.
- Novembre 2009 : il est nommé président d'EDF et reste président non exécutif de Veolia Environnement.

Antoine Frérot à la manœuvre

Devant la levée de boucliers engendrée par le cumul de fonctions d'Henri Proglio chez EDF et Veolia Environnement, le numéro un mondial des services à l'environnement avait indiqué dès le mois d'octobre que les fonctions de président et de directeur général - jusqu'alors confiées à Henri Proglio - seraient dissociées. Ainsi fut fait et dès la nomination du nouveau président d'EDF en Conseil des ministres, Antoine Frérot, jusqu'alors directeur général de la branche « eau », a été nommé directeur général du groupe.
A 51 ans, cet ingénieur X-Ponts (promotion 1977) est un proche d'Henri Proglio. Entré comme chargé de mission à la Compagnie générale des eaux en 1990, il se frotte cinq ans plus tard à la problématique des transports en devenant directeur général de la Compagnie générale d'entreprises automobiles (CGEA). En parallèle, Antoine Frérot assume de 1999 à 2003 la vice-présidence de l'Union des transports publics. Il se tournera alors vers les enjeux liés à la ressource en eau en prenant la direction de la division « eau » du groupe. Une fonction qu'il assumait depuis janvier 2003 en même temps qu'il était directeur général adjoint de Veolia Environnement.

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