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Enquête

Presse : la distribution en chantier

Publié le 19 avr. 2004 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Le scénario se répète chaque matin. Pour se rendre à leur bureau, nombre de Parisiens passent devant un magasin de presse rideau tiré, ou un kiosque fermé, avant de se voir proposer un quotidien gratuit à l'entrée du métro. « Depuis 1996, la profession s'était habituée à la disparition d'une trentaine de points de vente de plus chaque année au plan national. Mais, en 2003, ce mouvement s'est accéléré pour toucher cette fois 130 points de vente dont la presse est le métier principal et atteindre presque 700 disparitions », rappelle Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). Il n'est pas le seul à tirer le signal d'alarme. Les éditeurs se plaignent de la chute de la diffusion de leurs journaux, les messageries et les dépositaires se plaignent de l'encombrement des points de vente et, au bout de la chaîne, les diffuseurs de presse se plaignent de leur faible rétribution et de leurs mauvaises conditions de travail.

Pour la première fois, l'ensemble de la profession a décidé de remédier à cette situation. Sous l'égide de sa haute autorité, le Conseil supérieur des messageries de la presse, des négociations ont donc démarré le 12 janvier. Il est prévu qu'elles débouchent, mi-juin, sur l'adoption de nouvelles règles qui commenceront à entrer en vigueur début juillet. Mais la mise en oeuvre de l'ensemble de la réforme devrait demander cinq ans.

Une marée de produits hors presse
Les objectifs de la nouvelle donne ? « Il faut consolider le réseau qui compte près de 32.000 points de vente en revalorisant la rémunération et l'intérêt du travail des diffuseurs. Il faut également le moderniser en l'informatisant. Enfin, il faut inverser la tendance à la baisse en recréant des points de vente », résume Michel Baumann, dirigeant du Conseil supérieur. Les revendications des diffuseurs ? « Ce sont les seuls commerçants qui, en raison de la loi Bichet de 1947 organisant la distribution de la presse, ne choisissent ni leurs produits, ni les quantités à vendre, ni les prix, ni les marges », explique Louis de Rostolan, directeur général de Relais H chez Hachette Distribution Service. En outre, le métier, physiquement pénible, est très mal payé. Un kiosquier parisien décrit : « Pour obtenir le titre de diffuseur qualifié, je dois respecter des jours et des horaires d'ouverture alors que, certains jours, la recette ne couvre pas mes frais. Je travaille quotidiennement douze heures, dont trois de manutention pour la réception des journaux et le renvoi des invendus. Le kiosque est envahi de publications qui ne se vendent jamais. En revanche, mes demandes de réassortiment de journaux ne sont pas satisfaites. De plus, certains éditeurs ont un double langage. D'un côté, ils disent vouloir développer les points de vente et, d'un autre, ils mènent des politiques agressives d'abonnement auprès des grandes entreprises et des institutions qui font vivre certains d'entre nous. »

La loi Bichet prévoit un libre accès des éditeurs au réseau de diffusion et précise que ceux-ci restent maîtres du papier jusqu'à ce qu'il soit vendu. Opportunistes, certains lancent donc à jet continu des publications (plus de 1.000 par an) déjà financées par la publicité, mais dont quasiment aucun exemplaire ne trouve preneur. Pourtant, il faut acheminer le papier, l'installer, le conserver puis le renvoyer. Comme le système est mutualisé, tous les éditeurs payent pour ceux qui abusent.

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Et c'est sans compter les produits hors presse. Leurs éditeurs _ les principaux sont TF1, M6 et Atlas _ profitent du faible coût du réseau de la presse, deux fois moins cher qu'un réseau commercial classique. Résultat : une marée d'encyclopédies, de DVD, d'ours en peluche, de tasses miniatures en porcelaine, de kits de construction submergent depuis quatre ans les points de vente. Mais ils sont désormais incontournables. « Leur chiffre d'affaires a déjà dépassé celui des quotidiens. Ils rapportent 125 millions d'euros de commissions au système de distribution, et participent ainsi à son équilibre », explique Christian Carisey, directeur du réseau aux NMPP. Les éditeurs de presse et l'UNDP ont tenté d'imposer aux éditeurs hors presse une hausse des barèmes. Peine perdue.

Un système de rémunération inadapté
L'unanimité se fait sur un point : les diffuseurs sont insuffisamment rémunérés. « Depuis trois ans que je tiens ma librairie-presse, je n'ai pas gagné d'argent sur la presse. Pour me consoler, les commerciaux des NMPP me disent que je dois m'estimer heureux de ne pas en perdre. Chez moi, près de 2.500 titres occupent un tiers de la surface mais représentent seulement 17 % de mon chiffre d'affaires. Dans la librairie, je touche des commissions de 27 % à 35 % et j'ai le choix des ouvrages », détaille Jean-Richard Loubère, propriétaire de la librairie Klein, à Meulan, en grande banlieue parisienne, très engagé dans la défense de sa profession.

Le système de rémunération, rafistolé de toute part, est insatisfaisant et inadapté. Un décret fixe la rémunération maximale des diffuseurs à 15 % brut du prix de vente et 20 % à Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux. Or, cette population de 32.000 diffuseurs est très hétérogène. Il y a ceux dont c'est le métier principal, ceux dont c'est une part importante de l'activité et ceux qui présentent les journaux et magazines dans un petit coin de leur bar-tabac. Pour privilégier les spécialistes de la presse, les NMPP ont créé il y a dix ans la catégorie des diffuseurs dits « qualifiés » (14.100 points de vente) qui touchent 16,5 % brut. Mais les différences ne s'arrêtent pas là. Relais H reçoit une rémunération de 30 %. « En contrepartie, nous payons des redevances importantes à la SNCF et aux aéroports pour être implantés dans les carrefours de trafic, et nous devons être ouverts sept jours sur sept de 5 heures à 23 heures », se défend Louis de Rostolan. « Nous représentons 2,5 % du nombre de points de vente en France, mais 8,5 % des ventes. Notre chiffre d'affaires atteint 770 millions d'euros, dont 250 millions dans la presse », poursuit-il. Les autres diffuseurs font remarquer que la situation de Relais H est particulière car il s'agit d'une filiale du groupe Lagardère, l'opérateur des NMPP et le premier éditeur français de magazines. Jean-Richard Loubère demande donc un alignement de la rémunération des diffuseurs de presse proposant plus de 2.000 titres sur celle des Relais H.

En fait, les schémas examinés au sein du Conseil supérieur diffèrent de ces propositions. « Il faut étudier la possibilité de cibler la rémunération des diffuseurs de presse selon des critères qualitatifs », a déclaré Ghislain Le Leu, le président des NMPP. « Il n'y a pas de progrès possible sans que le diffuseur devienne un acteur commercial », a renchéri Yves de Chaisemartin, président du Conseil supérieur et PDG de la Socpresse, éditeur notamment du « Figaro ». Aligner la rémunération sur la performance, voilà la grande idée. Mais comment mesurer cette performance sans remettre en cause les principes de la loi Bichet ? Pour pallier l'encombrement des points de vente, il faut continuer de permettre aux éditeurs d'avoir un libre accès au réseau tout en instaurant un système de régulation. Son mode de fonctionnement se trouve au centre des négociations en cours.

Favoriser le portage
En ce qui concerne l'instauration de rémunérations à la performance, les discussions sont plus ardues. Une nouvelle catégorie devrait être instaurée, celle des « diffuseurs spécialistes » qui bénéficieraient d'une rémunération supplémentaire de 3 %. Pour cela, ils seront contraints de s'informatiser, leur performance commerciale devra évoluer au même rythme que celle du marché et ils auront à assurer une certaine qualité de service. Combien de diffuseurs rempliront ces conditions ? Les éditeurs sont partagés. Or, de ce nombre dépendra le montant de l'enveloppe nécessaire au financement de la hausse de leur rémunération. Qui va payer ? « Le principe est celui d'un financement solidaire entre les éditeurs, les messageries et les dépositaires », explique Michel Baumann. Mais les dépositaires ont déjà supporté une baisse de leur rémunération et les éditeurs sont étranglés financièrement. En revanche, la réforme des NMPP pourrait procurer la somme nécessaire. De plus, « pour réinvestir dans le réseau, on peut faire appel au Fonds public de modernisation de la presse, qui dispose de 200 millions d'euros », avance Michel Baumann.

Enfin, les acteurs doivent étudier les mesures à prendre afin de redynamiser le réseau. Les pistes sont nombreuses. Les diffuseurs pourraient gérer les abonnements, les clients souscrivant dans les points de vente et y retirant leurs journaux. Ils pourraient également donner de l'ampleur au portage. « Je préconise aussi que les diffuseurs développent la distribution de proximité en gérant la vente de presse spécialisée dans les magasins spécialisés de leur voisinage », imagine Louis de Rostolan. Autrement dit, on pourrait trouver la « Revue des vins de France » chez le caviste du quartier.

Seul sujet de conflit, les « points de vente complémentaires » ou PVC, innovation lancée par les NMPP. Installés dans les lieux de passage, ils ne vendraient que les cent premiers titres de la presse. « Cette discrimination des titres à l'entrée a été jugée liberticide par le Conseil supérieur, qui a demandé l'arrêt de l'expérience », explique Michel Baumann. « Il faudrait radicalement changer l'organisation du réseau et donner la possibilité aux éditeurs de traiter en direct avec les diffuseurs, comme en GrandeBretagne, pour monter avec eux des actions commerciales dans tous les endroits où se trouvent les lecteurs, notamment les grandes surfaces. En contrepartie, il faut les rémunérer suivant leur performance commerciale », suggère pour sa part Arnaud de Puyfontaine, PDG d'Emap France et nouveau président de l'Association pour la promotion de la presse magazine (APPM).

En fait, le vrai débat oppose les éditeurs de quotidiens aux éditeurs de magazines. Les premiers entendent que la presse soit disponible chaque matin dans le plus grand nombre possible de lieux, et les seconds jugent qu'il suffit que le lecteur puisse trouver les titres qui l'intéressent une fois par semaine, lorsqu'il fait ses courses en grande surface.

ENGUÉRAND RENAULT

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