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Portrait

Laurence Parisot, l'entreprise en héritage

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Publié le 6 juil. 2005 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

L'histoire aime les clins d'oeil. Le voyageur qui se rend à Ognon, dans l'Oise, sait qu'il parcourt les terres d'Ernest-Antoine Seillière, où la famille de l'ancien président du Medef possède depuis 1881 une splendide demeure. Si le même voyageur a l'idée de passer ses vacances à Saint-Loup-sur-Semouse, en Haute-Saône, fief de la famille Parisot, il se voit proposer une randonnée pittoresque dans la vallée de... l'Ognon, une rivière qui descend des ballons des Vosges et coule à quelques kilomètres de là. Un joli symbole pour la femme qui a pris hier les commandes de l'organisation patronale _ une première ! _ et n'a jamais caché sa proximité avec son prédécesseur (lire également page 3).

C'est en rentrant d'un périple dans le désert syrien, en août 2003, que Laurence Parisot a décidé de briguer la présidence du Medef. Elle venait de découvrir sur les ruines de Palmyre l'histoire de la reine Zénobie qui tint la dragée haute aux armées de l'empereur romain Aurélien à la fin du IIIe siècle de notre ère. Sans doute inspirée par ce personnage exceptionnel, Laurence Parisot raconte être allée voir Ernest-Antoine Seillière en novembre, pour lui faire part de son projet. « J'ai décidé ça toute seule comme une grande », assure-t-elle. Le président aurait été pris de court, d'autant que son mandat était censé courir jusqu'en janvier 2006. En réalité, ce n'était qu'une demi-surprise, car il connaissait depuis longtemps le culot de « la petite Laurence ».

Des entrées à l'Elysée
Pour comprendre l'ambition de la nouvelle « patronne des patrons », il faut remonter à avril 2001. Un an avant l'élection présidentielle, Hervé Gaymard (RPR), Dominique Bussereau (DL) et Renaud Dutreil (UDF) fondent l'Union en mouvement, embryon de l'UMP, pour assurer la réélection de Jacques Chirac. Ils ont besoin de prendre le pouls de la société française et contactent différents instituts de sondage. Le courant passe tout de suite avec la présidente de l'Ifop : Laurence Parisot incarne la génération montante, elle est très proche du RPR et fréquente l'Elysée car l'un de ses amis, Philippe Habert, rencontré à Sciences-Po et aujourd'hui décédé, avait épousé Claude, la fille du chef de l'Etat. Preuve qu'elle a de l'intuition, Laurence Parisot évoquera la possible présence de Le Pen au second tour, quelques jours avant le 21 avril 2002...

Fin 2002, Denis Kessler abandonne le poste de « numéro un bis » du Medef pour prendre la présidence de la société de réassurance SCOR. Un fauteuil se libère au conseil exécutif du Medef, dans lequel Seillière verrait bien s'asseoir une femme. Sa directrice de communication chez Wendel, qui n'est autre que Christine Dutreil, femme de Renaud, lui parle alors de Laurence Parisot. L'affaire est rondement menée. Seillière prend son téléphone : « Vous devez être étonnée de mon appel. Kessler s'en va, voulez-vous le remplacer ? » La réponse tombe immédiatement : « Oui. » Séduit, « EAS » parachute la patronne de l'Ifop, qui n'a que quarante-trois ans, dans le saint des saints. Il la trouve en effet « à la mesure de ce qu'est l'esprit d'entreprise dans notre pays ». Comme tous les entrepreneurs, observe-t-il, « elle ne parle ni comme un fonctionnaire, ni comme un homme politique, ni comme un diplomate, ni comme un journaliste ».

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Journaliste, pourtant, Laurence Parisot aurait bien aimé l'être, « par goût de l'actualité ». Littéraire, elle a entrepris de relire tout Racine et Corneille au début de l'année. Elle aurait tout aussi bien pu se lancer en politique, mais elle trouve qu'au Medef elle peut davantage « contribuer à l'intérêt général ». Un autre métier la fait rêver, celui de commissairepriseur : « Un beau tableau dans un musée, c'est très réparateur », explique cette collectionneuse, toujours en quête d'objets ayant appartenu à André Breton et fascinée par l'Art nouveau de l'école de Nancy. Emile Gallé, Louis Majorelle, les frères Daum... « Tous se sont appuyés sur des process industriels pour développer leur art, j'adore ce genre de croisements », confie-t-elle. Dans le même esprit, elle a choisi d'illustrer son site Internet de candidate au Medef par des dessins de Fernand Léger. Jacques Parisot, son grand-père, est pour elle l'archétype du mariage de l'art et du business. Diplômé de l'école Boulle, il a créé en 1936 l'entreprise de meubles au milieu de laquelle Laurence a grandi. A l'Ifop, ses dessins voisinent avec une photographie de Marcel Duchamp, l'ami de Salvador Dali qui fit de l'urinoir et de la roue de bicyclette des objets d'art. Mais la nouvelle présidente du Medef a d'autres références : le danseur Fred Astaire, « parce qu'il travaillait énormément, avec une extrême minutie », et le sociologue Alfred Sauvy, « parce qu'il a compris que la première donnée de toute problématique, c'est la démographie ». Et puis son père, naturellement. Michel Parisot, personnalité haute en couleur de Saint-Loup-sur-Semouse, qui s'habillait comme un cow-boy et roulait en Ferrari ou en Maserati.

Une étiquette de libérale pure et dure
Avec ses quatre frères, ce bon vivant, très dur en affaires, a fait des Meubles Parisot l'un des leaders des panneaux de particules de bois agglomérées. « Nos parents habitaient en appartement et quand Laurence est née, ils ont fait construire une maison au milieu de l'usine. Nous avons grandi avec les ouvriers », raconte Catherine, sa soeur aînée. Certains soupçonnent la présidente du Medef de construire sa légende ? « Ce n'est pas du tout un mythe, nous partagions souvent le casse-croûte avec eux, au bord de la route qui coupe l'usine en deux. » Pourtant, le responsable d'une association patronale n'en démord pas : « Elle est exactement comme son père, elle se raconte une histoire et essaie ensuite d'y coller, quitte à devenir prisonnière de son personnage. » Un ancien collaborateur complète le portrait : « Son père l'emmenait dans les bistrots des quais de Seine pour lui apprendre à jouir de la vie. » Très vite, sa fille attrape le virus de l'entrepreneuriat. « Elle a voulu lui prouver qu'elle était capable, comme lui, de diriger une entreprise », raconte Jean-Luc Parodi, son ancien professeur à Sciences-Po, aujourd'hui conseiller pour les études politiques de l'Ifop. « Je perçois chez elle la mise en oeuvre d'un rapport affectif avec un père qui lui a fait aimer le métier de chef d'entreprise », analyse François Hurel, délégué général de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE).

Le baccalauréat en poche, Laurence Parisot part étudier le droit public à Nancy puis, en 1979, elle « monte » à Paris pour intégrer Sciences-Po. Elle y croise le politologue Jérôme Jaffré et Nicolas Sarkozy, alors avocat, qui assiste de temps en temps aux conférences de la rue Saint-Guillaume. « Elle nous a beaucoup épatés en enchaînant très vite après ses études. Elle avait déjà, à l'époque, l'entreprise chevillée au corps, alors que ses copains étaient encore plongés dans leurs bouquins », sourit la journaliste Ruth Elkrief, qui était dans la même promotion. Malgré son 1,55 mètre, la brillante étudiante en impose par son sourire et ses yeux bleus. « Elle faisait des exposés tout en modestie, en efficacité et en humour », complète Jean-Michel Fourgous, député UMP des Yvelines, qui partageait les mêmes bancs à Sciences-Po.

Etiquetée chiraquienne pur sucre, Laurence Parisot n'a jamais été vraiment militante. Afin de gommer son image droitière, elle répète souvent son admiration pour Ségolène Royal. Elle est pourtant proche des Cercles libéraux d'Alain Madelin. « Elle ne joue pas "petit bras" avec les politiques, c'est plutôt efficace quand on préside le Medef », remarque François d'Aubert, ancien ministre de la Recherche de Jean-Pierre Raffarin, qui l'a connue du temps de Démocratie libérale. Le qualificatif « libéral » lui colle à la peau depuis une sortie à l'assemblée générale de l'organisation patronale, en janvier dernier. « Il m'est insupportable que la liberté de penser s'arrête là où commence le droit du travail. Pour moi, il doit permettre à l'entreprise de respirer, au contraire ! J'accuse un système qui nous empêche de grandir », avait-elle lancé à la tribune. Venant d'une patronne encore inconnue des PME de province, l'intervention avait fait un flop. « Avec des propos pareils, elle n'a aucune chance d'être élue présidente du Medef », commentaient de nombreux dirigeants à la sortie. Séance de rattrapage pendant la campagne, au printemps : « On donne au mot libéral des définitions qui ne lui correspondent pas. Au XIXe siècle, il était synonyme de liberté et de reconnaissance des droits de chacun », insiste-t-elle. Tout au long de ses meetings, la candidate Parisot cherchera à corriger le tir, assurant que « libéral » ne rime pas avec « antisocial ».

Un côté Sagan
Après Sciences-Po, elle entame un DEA en sciences politiques et travaille avec Alain Lancelot. Président, à l'époque, du Centre d'étude de la vie politique française (Cevipof), celui-ci repère un haut potentiel. « Il a contribué à me donner beaucoup de confiance en moi », souligne Laurence Parisot. Alain Lancelot lui sert de rampe de lancement : il la recommande à Jacques Barrot, ancien ministre de Valéry Giscard d'Estaing et député centriste. La collaboration fait long feu, mais celui qui est aujourd'hui commissaire européen aux Transports ne l'a pas oubliée : « J'ai gardé le souvenir d'une femme intelligente et très dynamique. »

C'est durant cette période que Laurence Parisot rencontre Anne Méaux, devenue une amie. « Elle avait un côté carré et en même temps original », se rappelle la patronne de l'agence de communication Image Sept, qui travaillait alors pour l'UDF et la coache depuis six mois avec Rosine Lapresle, une ancienne graphologue. « Comme toutes les femmes, elle est courageuse. Et quand elle n'est pas d'accord, elle le dit sans mépriser son interlocuteur. C'est une fille libre. » De ce point de vue-là, Laurence Parisot a un côté Sagan. Comme l'auteur de « Bonjour tristesse », elle aime la vitesse. Plus jeune, elle ne ratait aucun Grand Prix de Formule 1. Aujourd'hui, elle se grise en faisant du ski nautique dans les mers tropicales.

En 1985, Alain Lancelot lui crée une deuxième chance. Il envoie son étudiante préférée chez Pierre Weill, le patron de la Sofres. « Je l'ai fait entrer dans notre filiale Louis Harris, qui comptait 25 salariés, comme débutante. Et, au bout de quelques mois, je lui ai proposé d'en prendre la direction », rapporte ce dernier. Rapidement, Laurence Parisot imagine de racheter Louis Harris. Un projet qui ne verra jamais le jour. En 1990, le hasard faisant bien les choses, Sophie Seydoux l'invite au capital de l'Ifop, dont son mari, Jérôme, patron de Pathé, est l'actionnaire majoritaire. Laurence Parisot, qui devient PDG, prend 10 % du capital, et les Meubles Parisot 41 %. L'opération est financée par son père et obtient l'agrément d'un autre actionnaire, Bossard Consultants. « Elle a emmené avec elle des clients et des salariés de Louis Harris, ce n'était pas vraiment chevaleresque », commente Pierre Weill.

Le rachat de Bossard par Cap Gemini, début 1997, bouleverse ensuite la donne. Laurence Parisot saute sur l'occasion pour forcer le cabinet à sortir de l'Ifop. « Quand son argent est en jeu, elle ne connaît plus personne », témoigne un proche. Une longue bataille juridique s'engage, qui aboutit à la victoire de cette patronne décidément entêtée : en novembre 1998, elle emprunte auprès de ses banques pour porter sa participation à 75 %. Elle a alors trente-neuf ans ! « Elle croit en ce qu'elle fait, c'est pour ça qu'elle réussit », affirme Dominique Dardelle, ancienne directrice de la communication de l'Ifop.

« Elle devrait redescendre sur terre »

Pendant ce temps, à Saint-Loup-surSemouse, son père se fâche avec ses frères. Il décide de quitter l'entreprise familiale et de reprendre, en échange, la filiale Optimum, basée près d'Agen et spécialisée dans les portes de placard coulissantes. Hélas, Michel Parisot est terrassé par une crise cardiaque trois ans plus tard, en 2002. Ses deux filles héritent d'Optimum. Laurence, qui en prend la gérance, récupère également la Maserati paternelle et un patrimoine immobilier à Saint-Barthélemy, aux Antilles. « Aussi lettrée et séduisante soit-elle, Laurence Parisot est avant tout une héritière. Etant actionnaire de ses deux entreprises, elle a un rapport aux salariés et aux clients un peu compliqué », grince un dirigeant de TNS Sofres. « Elle devrait redescendre sur terre au lieu de se prendre pour Bill Gates », assène un autre concurrent de l'Ifop, qui ignore peut-être que Laurence Parisot a tout perdu dans l'incendie de son appartement, en 1998. D'où son relatif détachement à l'égard des contingences matérielles.

Le monde des instituts de sondage est en tout cas très surpris de la voir accéder à la tête du Medef. « Je trouve cela méritoire pour une femme qui a redressé son entreprise et réussi à préserver sa marque », souligne Pierre Giacometti, directeur d'Ipsos France. « Elle a fort bien géré sa campagne, mais elle est autoritaire et n'arrive pas autant que les autres à fidéliser ses collaborateurs », témoigne Bruno Jeambar, ancien de l'Ifop aujourd'hui chez CSA. Laurence Parisot, célibataire, sans enfant, aime-t-elle le pouvoir ? « On vient souvent me chercher », répond l'intéressée, qui assure que ce fut encore le cas tout récemment, pour son entrée au Conseil économique et social, au conseil d'administration d'Havas et au conseil de surveillance de Michelin. Selon Jean-Luc Placet, président de Syntec Management, branche du syndicat professionnel dont dépend l'Ifop, « c'est un peu Jeanne d'Arc, elle portera loin la bannière patronale ».« Sauf si elle se balladurise, tempère un permanent du Medef. Les gens ont peur qu'elle claque la porte avant deux ans, comme Jean Gandois en 1997. »

GUILLAUME DELACROIX

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