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Libération

Les bombes à retardement d'Alcatel Alsthom. L'arrivée de Serge Tchuruk n'arrange pas tout. Il lui reste à régler d'épineux dossiers.

par Blandine HENNION
publié le 2 juin 1995 à 5h44

La page des «affaires» n'est pas tournée chez Alcatel Alsthom, même si l'annonce de la nomination de Serge Tchuruk, un patron dont l'intégrité est reconnue de tous, a créé un soulagement. Plusieurs épineux sujets restent à régler, à commencer par les indemnités des patrons «empêchés». En annonçant, mercredi soir, que Pierre Guichet est «retraité», Marc Viénot, le PDG par intérim d'Alcatel Alsthom, a créé la surprise. Le PDG d'Alcatel CIT est «empêché» depuis début décembre par un contrôle judiciaire imposé par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris. Pierre Guichet avait fait savoir, fin avril, qu'il démissionnait d'Alcatel CIT. Son remplacement par Gérard Dega sera approuvé officiellement le 21 juin par le conseil de CIT (Libération des 13 et 14 mai).

Il n'était pas connu, sinon de Marc Viénot, que le montant des indemnités de Pierre Guichet était fixé. Alcatel CIT l'ignorait, et pour cause. Pierre Guichet n'est pas payé par la filiale qu'il préside, mais par une structure spéciale créée dans le groupe Alcatel Alsthom pour payer les grands dirigeants. Cette société «prestataire de services» s'appelle le Centre d'expertise internationale (CEI), dont le siège est rue de la Baume, l'issue «arrière» d'Alcatel Alsthom.

C'est cette société qui paie aussi une partie des salaires de Pierre Suard. Le PDG du groupe, lui aussi «empêché» par un contrôle judiciaire en vigueur depuis la seconde moitié de mars, n'est pas encore démissionnaire. Car le calcul de ses indemnités est délicat. Marc Viénot a eu, le même soir, cette formule curieuse: «Le salaire de Pierre Suard est désormais suspendu. Il sera fixé par une commission spéciale animée par Ambroise Roux.» Sur la base du niveau de salaire à définir par des experts, Pierre Suard pourra négocier ses indemnités. L'affaire doit être conclue avant le 22 juin, date de l'entrée en fonction de Serge Tchuruk. A l'issue du conseil d'administration extraodinaire d'Alcatel Alsthom du 18 avril qui avait désigné Marc Viénot PDG intérimaire, en charge de trouver un successeur à Pierre Suard, le siège avait pourtant indiqué que le PDG «empêché» continuait de percevoir son salaire.

Des experts se penchent sur le cas. «La jurisprudence n'est pas claire», indique Philippe Bissara, secrétaire général d'Alcatel Alsthom. «On compare la situation avec celle de certains administrateurs judiciaires, avec d'autres rares cas de patrons empêchés...» L'enjeu est substantiel. Pierre Suard, qui espérait rester à la tête du groupe équipementier jusqu'à ses 68 ans, est contraint par les «affaires» de passer la main à 60 ans. Et il est l'un des patrons les mieux payés de France.

Sa rémunération de 12 millions de francs par an est composée à 50% de salaire et à 50% de bonus, à savoir des primes liées aux résultats des sociétés qu'il dirige. Ses revenus se composent en outre de stock-options. Pierre Suard a bénéficié en 1988 d'un programme de 100 000 stock-options d'Alcatel NV et de 20 000 stock-options d'Alcatel Alsthom tous les deux ans.

Le circuit financier du traitement du PDG n'est pas simple. Le salaire de Pierre Suard est supporté par Alcatel Alsthom pour moitié et par Alcatel NV, la filiale de télécom du groupe qu'il préside aussi, pour l'autre. La partie versée par Alcatel NV comporte une part française payée par CEI, une part américaine, et une part suisse payée par Alcatel STR, une filiale d'Alcatel NV basée à Zurich, dont Pierre Suard est administrateur. 30% de son salaire payé par Alcatel NV sont versé aux Etats-Unis par une société holding, Alcatel USA Corp, dont Pierre Suard est président. Le versement des indemnités promet donc d'être difficile à connaître.

Serge Tchuruk, le nouveau PDG, dont le salaire est, lui, fixé à un «niveau convenable», selon Marc Viénot, devra aussi faire face à la poursuite de l'instruction du juge d'Huy sur les surfacturations effectuées aux dépens de France Télécom. Elle pourrait conduire à l'audition, voire la mise en examen, de hauts dirigeants d'Alcatel NV dans les mois qui viennent. Le choix du futur patron d'Alcatel NV mérite donc réflexion: un semestre, estime Marc Viénot. Inutile, en effet, de promouvoir un dirigeant qui risque d'être rattrapé par les «affaires».

Par ailleurs, le groupe doit faire face à un procès aux Etats-Unis. Un petit actionnaire américain a assigné Alcatel Alsthom, coté à Wall Street, le 19 décembre, auprès d'une juridiction de New York, pour «violation de la section 10 (b) et la règle 10 b-5 du Securities Exchange Act de 1934», indique le rapport annuel provisoire du groupe. En clair, «la société aurait publié des informations trompeuses ou inexactes et n'aurait pas communiqué des éléments d'information importants relatifs à l'instruction pénale en cours sur les surfacturations d'Alcatel CIT». En France aussi, plusieurs petits porteurs ont porté plainte. Mais la loi américaine est autrement plus chatouilleuse sur l'information des actionnaires. Alcatel Alsthom n'a pourtant pas jugé utile de constituer de provisions à ce sujet. Or, cette demande se présente comme une class action qui permet, en cas de victoire du plaignant, d'indemniser tous les autres actionnaires lésés.

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