HISTOIRE. Germaine Sablon à Saint-Raphaël: une héroïne de la Résistance face au "lion" Joseph Kessel

L’histoire n’a pas retenu le prénom de cette femme exceptionnelle, sœur de Jean Sablon et maîtresse de Joseph Kessel, Résistante à Agay puis à Londres. Un livre lui rend hommage.

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Lionel Paoli Publié le 27/07/2020 à 10:55, mis à jour le 27/07/2020 à 15:05
À Londres en 1943, Joseph Kessel et Germaine Sablon boivent du champagne pour fêter une liberté conquise après un périple extravagant. DR / Editions du Seuil

Dans le petit port d’Agay, le vent est glacial. Mais est-ce réellement le vent, en cette fin d’automne 1942, qui fait frissonner Germaine Sablon ? Ou la peur d’être dénoncée et passée par les armes, comme tant d’autres Résistants ?

Cela fait près de deux ans que la vedette de music-hall, sans quitter la scène, est entrée dans la clandestinité. Sous le pseudonyme de « Tante Aurélie », elle a rejoint le réseau d’André Girard.

D’abord réfugiée chez sa mère à Anthéor, la sœur de Jean Sablon a déménagé à la Villa Maritana, à Camp-Long, entre Boulouris et Agay. Sa première résidence était située sous un viaduc : une cible que les alliés avaient prévu de bombarder, tôt ou tard, pour couper la route des troupes allemandes.

Sa mission ? Organiser depuis les criques raphaëloises, de nuit, l’arrivée et le départ d’agents de liaison envoyés par Londres. C’était déjà périlleux. Depuis peu, cela frôle la roulette russe.

Le 11 novembre 1942, les Allemands ont envahi la Zone libre. La traque des « terroristes » français, rétifs au « nouvel ordre » germanique, s’est intensifiée.

Début décembre, un membre du réseau Girard s’est assoupi dans le train Marseille-Paris. On lui a volé sa serviette qui contenait près de deux cents contacts !

Germaine tressaille. L’étau se resserre. Elle va devoir partir.

Mais pas seule.

Une jalousie maladive

À ses côtés, entre les roches volcaniques déchiquetées, se dessine la silhouette massive de son amant. Joseph Kessel. Journaliste. Écrivain. Monstre de talent, de vitalité. Excessif en tout.

Lui aussi voulait « être utile ».

Mais bien que Kessel habite chez elle, avec son neveu Maurice Druon, depuis fin 1940, Germaine a longtemps hésité avant de lui dévoiler ses activités.

Le tempétueux homme de lettres est jugé trop bavard. Avec une vodka dans le nez - ce qui lui arrive plus souvent qu’à son tour -, qu’est-il capable d’éructer à portée d’oreille de l’ennemi ?

L’associer à l’armée secrète, lui dont le visage est si connu, n’est-ce pas prendre le risque de compromettre la sécurité de centaines de « petites mains » anonymes ? N’est-ce pas le mettre lui-même en danger ?

Si Germaine finit par le mettre dans la confidence, c’est autant pour désamorcer la jalousie maladive du romancier que pour lui offrir, enfin, une occasion d’agir.

Désormais, ils combattent côte à côte. Et c’est ensemble que, le 20 décembre 1942, ils fuient la France occupée pour rejoindre le général De Gaulle.

Dans les pas du jeune Maurice, ils franchissent les Pyrénées à pied, dans un froid glacial, puis traversent l’Espagne clandestinement jusqu’à atteindre Lisbonne et, enfin, Londres où ils atterrissent le 6 février 1943.

Kessel met aussitôt sa plume au service de la Résistance : L’Armée des ombres sera publié en novembre 1943 à Alger.

"Ami, entends-tu..."

Germaine, elle, pose sa voix grave et passionnée sur une mélodie aux sonorités slaves que Joseph et Maurice ont habillée de paroles de circonstance. En mai, elle enregistre Le Chant des partisans.

C’est un triomphe. Mais elle n’a pas le temps de le savourer.

Apprenant que l’un de ses fils est blessé à Alger, elle part le rejoindre. Et trouve, une fois encore, l’occasion d’aider les soldats... comme ambulancière.

Kessel, lui, reste à Londres.

L’écrivain - qui n’a jamais eu moins de deux maîtresses à la fois - n’accepte pas ce qu’il considère comme une trahison.

Leurs retrouvailles, huit mois plus tard, seront polaires.

Démobilisée le 18 juin 1945, Germaine peine à renouer avec ses succès d’antan. Elle a 46 ans. Son regard d’azur a conservé son éclat, mais son visage, raviné par les épreuves, a perdu les rondeurs de la jeunesse.

C’est le temps des hommages. Après lui avoir remis la Croix de guerre avec palmes, on lui décerne la médaille de la Résistance française et la Légion d’honneur.

Puis vient le temps de l’oubli.

En 1955, elle interrompt sa carrière et se retire dans sa Villa Maritana, au côté de son dernier mari Georges Reynal, maire de Saint-Raphaël de 1965 à 1971...

Elle s’éteint à Saint-Raphaël le 17 avril 1985.

Presque 40 ans, jour pour jour, après avoir croisé l’auteur du Lion pour la dernière fois.


Un amour de Kessel, par Dominique Missika, éditions du Seuil, 18 euros.

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