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Qu'est-ce que délirer ? Les enjeux cliniques d'une définition générale

[article]

Année 1986 40-378 pp. 6-12
Fait partie d'un numéro thématique : Le délire
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BULLETIN DE PSYCHOLOGIE Tome XL -N ° 378

Qu’est-ce que délirer ?

Les enjeux cliniques d’une définition générale

Le verbe délirer présente quelques particularités de conjugaison au présent de l’indicatif. La première personne du singulier, par exemple, est reconnue par la grammaire, mais démentie par le bon sens. Il n’est pas possible en effet à un délirant de consta¬ ter : je délire — ce serait le signe qu’il ne délire plus.

Il se peut que plus tard, à l’issue de l’épisode déli¬ rant, il dise : je délirais, ou bien : j’ai déliré. Mais le sujet en train de délirer manque précisément de ce recul critique qui lui permettrait sur le champ de reconnaître le délire en tant que tel ; on dit classi¬ quement qu’il adhère à son délire. Ce qui pour les autres est un énoncé produit par le délirant, est pour lui une «réalité » extérieure qui s’impose à lui et dont il lui faut prendre acte bon gré mal gré.

Je ne délire pas, explique le délirant, mais je vis une expérience exceptionnelle, le destin m’a donné une mission à remplir, un rôle à jouer, et c’est d’ail¬ leurs pour cela que l’on m’en veut. Cette formula¬ tion négative est la seule possible pour le verbe déli¬ rer conjugué à la première personne du présent de l’indicatif.

Les deuxième et troisième personne de cette même conjugaison sont en revanche d’un usage légitime et fréquent : tu délires, il délire, elle délire. Dans le registre du diagnostic, ou parfois dans celui du commentaire simplement péjoratif, le locuteur exprime par ce mot qu’il n’adhère pas à l’énoncé dit délirant et que, s’il marque ainsi ses distances, ce n’est pas pour signaler qu’il a personnellement une opinion différente, mais pour affirmer de façon générale que cet énoncé procède des illusions d’un seul, quelle que soit d’ailleurs la réaction du déli¬ rant à ce désaveu. Pour faire savoir que quelqu’un délire, le locuteur prend l’accent bien assuré et incontestable qui convient à un jugement de portée universelle.

Les particularités de conjugaison du verbe déli¬ rer sont donc l’usage exclusif de la forme négative pour la première personne, et le ton d’évidence pour la deuxième et troisième personne du présent de l’indicatif.

André BOLZINGER

Ces quelques remarques préliminaires sur le mode d’emploi du verbe délirer pourraient être exploitées en faisant du délirant la victime d’un rapport de for¬ ces très inégal. L’affrontement n’est pas égal entre l’opinion d’un seul qui affirme : je ne délire pas, et celle de tous les autres qui prétendent à l’inverse : il délire, c’est bien évident. Mais en insinuant que le diagnostic de délire serait une violence faite à celui qui ne pense pas comme les autres, fait-on autre chose que d’adhérer purement et simplement au délire et à ses idées de persécution ?

L’image antipsychiatrique du délirant, victime solitaire de l’oppression collective, n’est qu’une cari¬ cature simpliste qui fait bon marché de la complexité du délire. Lorsqu’un délirant délire, il serait vain de croire que, dans un autre contexte ou sous d’au¬ tres cieux, son «délire » ne serait plus un délire. Car la définition du délire n’est pas sociologique, elle est psychologique.

C’est la psychologie du délire qu’il importe de mettre en jour : quelles raisons intimes et person¬ nelles font dire à l’un : je ne délire pas — et aux autres : il délire, c’est évident ? Quels rapports le délirant entretient-il avec ce discours auquel il adhère ? Quelle est la nature de cette adhésion non partagée ? Voilà les interrogations que suscite fina¬ lement l’examen du verbe délirer et de sa conjugai¬ son un peu singulière.

Qu’est-ce donc que délirer ? La question ainsi for¬ mulée ne se pose pas pour celui qui délire et, en même temps, prétend ne pas délirer. Mais peut-être ne se pose-t-elle pas davantage à ceux pour qui reconnaître un délire n’est qu’une affaire de bon sens et ne prête pas à discussion. Le délire est patent et incontestable si l’on est en présence de «certains insensés de qui le cerveau est tellement troublé (. . .) qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu ’ils sont très pauvres ; qu ’ils sont vêtus d ’or et de pourpre lorsqu ’ils sont tout nus ou qui s ’ima¬ ginent être des cruches, ou avoir un corps en verre ». Ces quelques lignes des Méditations s’achèvent sur une exclamation péremptoire : «Mais quoi ! ce

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