À propos du sentiment biranien de l'existence
Dans l'ensemble de la philosophie moderne, le sentiment d'exister condense des réalités et des problèmes philosophiques complexes. Ces derniers ne sont pas uniquement historiques bien entendu, même si la recherche des origines du concept ne manque pas d'intérêt. Cependant ce sont plutôt les enjeux anthropologiques de fond qui retiennent notre attention, dans la mesure où ils correspondent clairement à une anthropologie de la complexité sinon de la dualité, de l'ambiguïté sinon de la discordance. Comme en témoignent tous les textes de Maine de Biran, le sentiment d'exister ou de l'existence est pour notre auteur un véritable moteur de la vie philosophique. En une espèce de prolégomènes à une étude systématique et exhaustive de cette question chez Biran, je voudrais évoquer brièvement quelques aspects de la problématique.
Le spectacle du désordre intérieur
L'éveil philosophique répond à la perception irrépressible des divers flux qui scandent et organisent l'univers. Quand il regarde autour de lui, le sage observe et puis calcule le mouvement des astres qui lui donne l'image d'un ordre universel, déjà autre que matériel, déjà surhumain tant il associe la nouveauté des événements et la régularité des changements et des vitesses. Depuis les Présocratiques, le flux cosmologique peut être interprété de telle façon qu'il inspire l'idée d'une règle capable de guider la conscience humaine et d'aider à juger de ce qui est bien et de ce qui est mal. Le rythme des astres est associé au rythme des saisons et ainsi à la productivité de la phusis: après l'hiver vient le printemps, et par là une végétation qui renaît toute neuve. Dans cette vision d'allure hégélienne, même la sécheresse trouve une place dans l'immense histoire des bourgeons, des fleurs et des fruits, selon l'ordonnancement de la nature. Le déploiement de la phusis dans le temps donne une «bonne forme», comme le déploiement d'une histoire naturelle. Le désordre n'est qu'une apparence, comme la modestie et la richesse de l'Esprit de la nature. Cependant, quand le phusikos se fait sophos, c'est-à-dire quand l'homme
