Des robots humains, trop humains

Le robot humanoïde ChihiraAico, réceptionniste à l'entrée du grand magasin tokyoïte Mitsukoshi ©Getty - 	The Asahi Shimbun
Le robot humanoïde ChihiraAico, réceptionniste à l'entrée du grand magasin tokyoïte Mitsukoshi ©Getty - The Asahi Shimbun
Le robot humanoïde ChihiraAico, réceptionniste à l'entrée du grand magasin tokyoïte Mitsukoshi ©Getty - The Asahi Shimbun
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Face à la pénurie de main d'oeuvre, le Japon mise sur la robotisation de son industrie mais aussi de ses services, notamment dans les soins à la personne. Un pari qui suppose la possibilité d'un échange, d'une forme de sympathie réciproque entre robots et humains, qui n'a en réalité rien d'évident.

La société japonaise de prêt à porter, Uniqlo, a annoncé la semaine dernière, sa volonté d’investir 770 millions d’euros dans un grand plan de robotisation et d’automatisation de ses entrepôts au Japon et ailleurs. Cet investissement massif doit lui permettre de s’armer face à son principal concurrent, le géant américain Amazon, qui occupe une place chaque jour plus importante sur le secteur de la mode en ligne. 

Un système qui permettra surtout au groupe nippon de réduire drastiquement ses dépenses en personnel. Car bien sûr cette automatisation à marche forcée ne se fait pas sans conséquence sur l’emploi : dans son entrepôt pilote d’Ariake à Tokyo, la robotisation a entraîné une réduction de près de 90% du nombre de salariés.

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Des robots face à la pénurie de main d'oeuvre?

Paradoxalement, les robots sont présentés au pays du soleil levant comme une solution face au manque de main d’oeuvre. C'est même un argument largement diffusé au Japon, qui voit dans cette modernisation, une réponse à la problématique de la pénurie de main d’oeuvre dont nous parlions d’ailleurs hier. Mais investir dans la production mécanisée est surtout une manière de faire des économies de long terme : une fois l’investissement réalisé, pas de cotisations à payer, pas de baisse de la productivité, pas de risque de grève...

Sans revenir sur le problème évident que pose la mise en concurrence des hommes et des machines, dans une quête effrénée et infinie vers toujours plus de productivité, on peut cependant pointer que s’il est aisé de remplacer le travail humain dans la logistique ou l’industrie, la question est toute autre lorsqu’il s’agit de soigner les personnes âgées ou s’occuper de jeunes enfants. Or ce sont justement ces secteurs qui sont en tension au Japon. 

En réalité, passer de l’industrie aux services, de la manutention à la relation, ne revient pas seulement à doter les machines de la parole. C’est croire en la possibilité d’un échange, d’une identification, d’une forme de sympathie réciproque entre robots et humains.

L'hypothèse d'une sympathie réciproque entre robots et humains

Les ingénieurs ne se laissent cependant pas impressionner par cette faille qui sépare toujours humains et robots. Mais effectivement cela ne semble pas inquiéter les roboticiens et autres chercheurs prométhéens de ce nouvel ordre, qui nous promettent que tôt ou tard, robots et humains coexisteront dans toutes les strates de la société. 

Une volonté de coexistence qui passe en réalité par un travail sur la forme et l’apparence des robots et notamment sur l’achèvement d’un faciès de plus en plus ressemblant au visage humain.

Les spécialistes de la robotique s’accordent pour expliquer que la forme humanoïde serait plus facilement acceptée par les hommes. Il semblerait ainsi que le cerveau humain ait de nombreuses fonctions lui permettant de reconnaître d’autres humains, des semblables avec qui il lui serait naturel d’échanger.

Se reconnaître dans le visage d'autrui

C’est aussi l’idée que l'on retrouve chez le philosophe Emmanuel Levinas, qui expliquait dans Totalité et infini que le visage est ce qui nous ouvre à autrui. C’est une irruption de l’autre dans notre existence. Autre, que nous reconnaissons comme notre semblable, grâce à ce visage qui ne se laisse pas enfermer dans une pure forme, mais qui “déborde”, selon l’expression du philosophe. C’est donc ce débordement que les concepteurs et les producteurs de robots s’entêtent à saisir, à capturer et à reproduire. 

Une quête qui pourrait cependant être contre-productive, si on en croit le grand théoricien de la robotique, le japonais Masahiro Mori, qui exprima dès 1972 la théorie selon laquelle, plus un robot androïde est similaire à un être humain, plus ses imperfections nous paraissent monstrueuses. 

Cette théorie baptisée du nom poétique de “Vallée de l’étrange”, exprime ainsi l’idée que mis en présence d’une machine qui tenterait de reproduire avec trop de perfection la réalité du visage humain, l’observateur serait en réalité saisi d’un profond malaise, voire d’une véritable frayeur face à ce robot trop humain. 

Une idée à garder à l’esprit, alors que, face au vieillissement de sa population, le Japon envisage de recourir massivement à ces robots humanoïdes, non seulement dans les services d’accueil, mais aussi pour s’occuper de ses personnes âgées, au risque d'encore plus les isoler.

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