Un jour dans l'histoire

Découvrez l’histoire d’un genre mineur : le roman-photo

Gioventu Delusa (1967) – © Loris Savino / Arnoldo Mondadori / Mucem

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Par RTBF La Première

De tous les genres littéraires, le roman-photo est à la fois le plus méprisé et le moins connu. Ses histoires à l’eau de rose sont là pour nous faire rêver. Beaucoup s’en sont moqués mais ce genre a connu une histoire étonnante. Tout a commencé en 1947, en Italie. De la gloire au déclin, retour sur 70 ans de roman-photo, avec Jan Baetens.


Jan Baetens est professeur d’études culturelles à l’Université de Leuven et l’un des plus grands spécialistes et collectionneurs du genre, auteur entre autres de l’ouvrage Pour le roman-photo, réédité aux Impressions Nouvelles.


Le roman-photo a toujours été ignoré, voire très critiqué par des intellectuels qui voyaient d’un très mauvais oeil cette littérature de masse. A la frontière entre la photographie, le cinéma, les arts plastiques et la littérature, il connaît pourtant un réel succès auprès du public. Ces dernières années, quelques chercheurs pionniers ont pris conscience de son importance dans le champ culturel.
 

Que nous apprend le roman-photo sur l’Histoire ?

De la romance, des couples, de la légèreté,… véritable star de nos kiosques et de nos librairies dans les années 50, le roman-photo intéresse de plus en plus les historiens. L’intérêt principal de ce genre très particulier est d’être le miroir d’une époque, mais aussi de donner une idée de la façon dont certaines sociétés se rêvent, explique Jan Baetens.

"Pour moi, l’idée principale du roman-photo, c’est l’épanouissement de l’individu à travers l’idée de l’amour et du couple. Et c’est une idée qui, à mon sens, n’a pas beaucoup vieilli."
 

'Roman-Photo (Photo-Novel)' au MUCEM – Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille, 2017
'Roman-Photo (Photo-Novel)' au MUCEM – Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille, 2017 © Belga/AFP BERTRAND LANGLOIS

Les années 40

Le roman-photo apparaît à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, à un moment où seul le rêve permet aux gens de tenir le coup. On peut dater cette naissance de façon extrêmement précise : en mai 1947, en Italie, dans un contexte social, politique, culturel et économique très difficile.

En 1946, apparaît déjà sur le marché un nouveau type de magazine, la presse du coeur, l’équivalent des magazines féminins. Ces machines à rêves tentent de combiner l’univers du cinéma ou le rêve hollywoodien, le roman sentimental et le langage plus contemporain de la bande dessinée. Mais elles ne contiennent pas encore de romans-photos. On y trouve des romans dessinés, sous forme de bandes dessinées en noir et blanc, avec des dessins hyperréalistes. Mais les dessinateurs n’arrivent pas à suivre le rythme.

Alors naît en 1947 l’idée de remplacer ces cases dessinées par des photos, pour gagner du temps et de l’argent. A l’époque, les romans-photos ne sont pas signés, ils appartiennent et sont produits par les magazines qui les diffusent. Les auteurs et de scénaristes oeuvrent dans l’anonymat le plus complet.
 

Non posso amarti" avec Sophia Loren - Sogno n°51, Rome, Italie, 1950.

Roman-photo et cinéma ont toujours été liés. Ils se sont en quelque sorte volés l’un l’autre, explique Jan Baetens, en ce sens où le roman-photo a emprunté ses histoires, ses modèles, ses stratégies de distribution au monde du cinéma.

Mais le cinéma a aussi utilisé le roman-photo comme une sorte de laboratoire pour tester tel ou tel sujet, pour voir si le public allait réagir de façon favorable. Si c’était le cas, on décidait d’adapter le sujet du roman-photo au cinéma et on en profitait aussi pour lancer de nouvelles vedettes, comme ce fut le cas pour Sophia Loren.

Les années 50, les années phares

En 1951, le magazine Nous deux se vendait à près d’un million et demi d’exemplaires chaque semaine. Quelques années plus tard, on comptabilisait plus de 12 millions de lecteurs ! Un succès phénoménal qui ne plaisait pas à tout le monde.

Dans les années 50, une association pour la dignité de la presse féminine dénonce, avec le soutien de nombreux intellectuels, les romans-photos, jugés bêtes, immoraux, indignes des Françaises. Ce mépris n’est pas exceptionnel. La culture des intellectuels maintenait une séparation draconienne entre culture de masse et culture d’élite. Le roman-photo, la bande dessinée, la télévision, le rock, le jazz étaient tenus à l’écart de la Culture avec un grand C.

Il ne s’agit pas de concurrence entre médias en place, mais plutôt, et surtout en France, d’anti-américanisme, alors que le roman-photo est une invention purement européenne. Il est associé à l’éloge des Etats-Unis, du capitalisme, du bonheur individuel. Les attaques viennent essentiellement d’une société socialisante d’après-guerre.

Le sémiologue, philosophe et critique littéraire Roland Barthes, dira : "Le roman-photo est plus obscène que le Marquis de Sade." Et c’est quelque part un éloge, un compliment du roman-photo. Le mot obscène signifie ici, étymologiquement, ce qui est hors-scène, ce qu’on ne peut pas montrer sur scène. Et ce dont on n’a plus le droit de parler dans le discours social de tous les jours, ce n’est pas de la pornographie, mais du sentiment amoureux tout bête. On a l’impression de dire des choses bêtes lorsque l’on dit des mots d’amour. Le roman-photo dit ce qu’on ne peut plus dire ouvertement.
 

Retrouver le bonheur, roman-photo publié dans "Nous Deux"
Retrouver le bonheur, roman-photo publié dans "Nous Deux" Paolo Penna-Massimo Tonna ©Nous Deux/DR

Les années 60 et la télévision

Dans les années 60, une autre menace plane sur le succès du roman-photo : la télévision, une autre culture de masse qui va détourner les fans de leurs lectures. L’objet s’installe dans les salons, un peu partout dans le monde. En France comme en Italie, les romans-photos n’ont plus la cote et les magazines féminins doivent réagir.

Les vedettes yé-yé vont devenir les nouvelles stars des romans-photos, publiés surtout dans des magazines télé, qui visent un nouveau public. Elles y jouent leur propre rôle.

Les échanges se passent désormais entre l’univers des variétés et de la télévision et les romans-photos. Les producteurs de disques poussent leurs vedettes à participer à des tournages de romans-photos, avec un effet tout à fait positif sur leurs ventes.
 

Les années 70 : le déclin

Les romans-photos déclinent de plus en plus au fil des années 70, tout en connaissant deux types de diversification : l’une est satirique avec l’apparition de magazines d’humour comme Hara-Kiri et l’autre est axée sur la pornographie ou l’horreur. Ils ne se vendent plus en kiosque, mais via un circuit beaucoup plus clandestin.
 

Des années 80 à aujourd’hui

Les années 80 redonnent des couleurs au roman-photo. Marie-Françoise Plissart publie 5 grands romans-photos sous forme de livres, aux Editions de Minuit. Il y a là une tentative de réinventer le roman-photo mais dans un tout autre registre.

Aujourd’hui, on tourne et on produit toujours des romans-photos. Leur avenir se développe essentiellement dans ou grâce au numérique.
 

Ecoutez ici cette séquence réalisée par Nicolas Buytaers.
 

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