Tout au long de notre vie, nos cellules souches hématopoïétiques (CSHs) régénèrent notre stock de cellules sanguines. Ce sont des cellules progénitrices qui peuvent se différencier en globules rouges, qui transportent les gaz respiratoires, ou en globules blancs, qui font partie du système immunitaire (voir encadré gris en fin d'article). Les personnes souffrant de maladies sanguines non malignes (par opposition aux cancers du sang comme les leucémies, lymphomes et myélomes) ont souvent des CSHs dysfonctionnelles. La greffe de moelle osseuse, niche cellulaire des CSHs et lieu de production des cellules du sang, peut résoudre de nombreux troubles sanguins. Cependant, les protocoles actuels de transplantation ne sont pas toujours adaptés au patient et peuvent entraîner de lourds effets secondaires.
L’équipe de Laura Breda, directrice de recherche et professeure adjointe à l'Hôpital pour enfants de Philadelphie (Etats-Unis), a publié une étude dans la revue Science qui présente une nouvelle thérapie fondée sur la technologie ARN messager. Cette nouvelle technique pourrait remédier à ces inconvénients en ciblant directement les CSHs défectueuses.
La greffe de moelle, souvent nécessaire, parfois risquée
La greffe de moelle osseuse est une intervention chirurgicale qui remplace des CSHs malades par des CSHs saines. Elle permet de traiter certaines immunodéficiences et des maladies affectant la production ou la structure de l’hémoglobine. L'hémoglobine est une protéine clé au sein des hématies qui assure le transport de dioxygène (O2 ) et dioxyde de carbone (CO2). Cependant, les transplantations de moelle osseuse ne sont pas toujours possibles ou peuvent entraîner des conséquences pénibles pour le patient. La thérapie génique permet de pallier le manque de donneurs compatibles et de nombreux effets secondaires des greffes.
Jusqu’ici, les thérapies géniques hématopoïétiques exigeaient que la modification des gènes défectueux ou le remplacement des défauts génétiques causant la maladie soit réalisée ex vivo. Autrement dit, il faut isoler les CSHs du patient, traiter ses cellules en laboratoire, puis les réintroduire dans le patient qui a précédemment subi une chimio ou une radiothérapie, afin d’éliminer ses CSHs défectueuses. Cette étape préalable reste lourde et ne permet pas de traiter tous les types de dysfonctionnement hématopoïétiques comme les anémies de Fanconi.
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Une technologie similaire aux vaccins anti-COVID à ARN messager
C’est dans ce contexte médical complexe que l’équipe de la chercheuse Laura Breda a développé une nouvelle technologie : la thérapie génique in vivo par ARN messager (ARNm). Cette nouvelle technologie plus souple vise directement les CSHs malades du patient. Une nanoparticule encapsule un ARNm et se dirige spécifiquement vers les cellules souches de la moelle osseuse via un anticorps anti-CD117. Le récepteur CD117 est localisé à la surface des CSHs et permet d’ordinaire de répondre à la cytokine Stem Cell Factor (SCF), un facteur de croissance des cellules souches. Lorsque le SCF se fixe sur son récepteur CD117, la cellule internalise CD117. C’est ce comportement qui a encouragé les scientifiques à diriger les nanoparticules vers CD117 en particulier. Une fois que la nanoparticule se trouve à l’intérieur de la CSHs défectueuse, l’ARNm est libéré à l’instar du fonctionnement des vaccins anti-COVID à ARNm.
L’ARNm transporté vers les CSHs malades a été génétiquement conçu en laboratoire par les techniques de CRISPR-Cas9. Il porte l'information pour construire une recombinase Cre, c'est-à-dire une enzyme déjà largement utilisée pour faire de la thérapie génique chez les animaux, qui permet soit d’éliminer la séquence d’un gène défectueux, soit de la remplacer. En l’occurrence, cette stratégie est utilisée pour corriger les mutations responsables des maladies sanguines et repeupler la moelle osseuse avec des cellules souches hématopoïétiques saines.
L'étude a été réalisée sur des souris et in vitro sur les cellules souches de patients atteints de drépanocytose. La drépanocytose est la maladie génétique qui concerne environ 300.000 naissances par an dans le monde. Également appelé anémie falciforme ou hémoglobinose S, ce trouble affecte la structure de l’hémoglobine ce qui provoque la déformation des globules rouges. La forme anormale adoptée par cette protéine engendre des déformations des globules rouges qui deviennent fragiles et rigides. Ces anomalies favorisent l’anémie, des crises vaso-occlusives douloureuses et un risque accru d’infections.
Chez les souris, les chercheurs ont observé que l’ARNm était parvenu à rejoindre les CSHs dans la moelle osseuse et que les modifications induites par cette technique sont durables et suffisamment efficaces pour confirmer la guérison de certains troubles hématopoïétiques non malins. De plus, aucun effet secondaire n'a été observé. Dans les cellules humaines, la technologie a permis de corriger le défaut au niveau des CSHs, permettant d’éliminer in vitro presque toutes les cellules atteintes de drépanocytose.
Représentation d'un globule rouge sain (gauche) et atteint de drépanocytose (droite). Dans la drépanocytose, la forme anormale adoptée par l'hémoglobine engendre des déformations des globules rouges qui deviennent fragiles et rigides. Ces anomalies favorisent l’anémie, des crises vaso-occlusives douloureuses et un risque accru d’infections. Crédits illustration : SKU / Science Photo Library via AFP
Une mise sur le marché "longue, sinueuse et montagneuse"
Pour l’instant, la modification des CSHs n’a pas encore été testé in vivo chez l’humain. Si la nanoparticule utilisée pour encapsuler l’ARNm médicament ne cause aucun dommage chez la souris, il n’est pas dit qu’elle soit sans danger pour l’homme. Il faut donc s’assurer que la simple introduction de la particule de soit pas toxique. D’autres études précliniques doivent être menées chez les primates non humains et sur des moelles osseuses humaines reproduites en laboratoire. Dans un communiqué de presse, Samuele Ferrari, chercheur en thérapie génique et Luigi Naldini, directeur de l’institut pour la thérapie génique du Téléthon de San Raffaele à Milan, alertent que la mise en œuvre de cette technique chez l'homme risque d'être "longue, sinueuse et montagneuse".
Aujourd’hui, la transplantation ou la modification ex vivo des CSHs restent les solutions disponibles pour soigner les maladies génétiques du sang. Cependant, si la technologie présentée par l’équipe de Laura Brenda est satisfaisante et vient à être mise sur le marché, elle pourrait apporter une solution pour de nombreuses maladies génétiques, qu’elles soient sanguines ou non (mucoviscidose, troubles métaboliques génétiques, myopathies…) avec une simple transfusion.
Différenciation des cellules souches hématopoïétiques dans la moelle osseuse et rôles des cellules sanguines (cliquez dessus pour agrandir l'image)
Schéma issu et adapté de “Stem Cell Differentiation from Bone Marrow” / Iwasaki, A. (2019) BioRender.
Mégacaryocyte : Cellule géante responsable de la production des plaquettes sanguines.
Eosinophile : Globule blanc à granules du système immunitaire inné qui intervient dans la réponse antiparasitaire et lors des allergies.
Basophiles : Globule blanc à granules qui intervient dans la défense contre les virus et bactéries.
Erythrocytes : Globule rouge ou hématie qui assure des gaz respiratoires (O2 et CO2).
Monocyte : Globule blanc qui évolue en passant dans les tissus biologiques pour évoluer soit en cellule dendritique, soit en macrophage.
Cellule dendritique : Globule blanc qui reconnaissent les intrus, peuvent phagocyter (destruction par capture puis ingestion) les corps étrangers, avant de présenter les antigènes aux cellules de l’immunité adaptative : les lymphocytes.
Macrophage : Globule blanc qui résident dans les tissus ou sont envoyés sur les sites infectieux pour phagocyter les débris cellulaires et agents pathogènes. Ils peuvent également jouer le rôle de cellule présentatrice d’antigène dans l’orchestration d’une réponse immunitaire adaptative (lors d’une infection virale ou bactérienne par exemple).
Neutrophile : Également appelé polynucléaires neutrophiles, globule blanc à granules qui figure parmi les premiers intervenants lors d’une réaction inflammatoire et qui peut phagocyter un agent pathogène.
Lymphocyte T : Globule blanc de l’immunité adaptative qui interviennent pour la défense spécifique contre des maladies virales, bactériennes, cancers… Il existe de très nombreux lymphocytes T différents : cytotoxiques (qui détruisent les cellules infectées), régulateurs (qui contrôle la production de lymphocytes auto-immuns), auxiliaires (qui orchestrent et facilitent l’immunité adaptative)…
Lymphocyte B : Globule blanc de l’immunité adaptative qui produit des anticorps : immunité humorale.
Plasmocyte : Lymphocyte B qui s’est différencié en cellule de production massive d’anticorps.
Lymphocyte Natural Killer (NK) : Grand lymphocyte granuleux du système immunitaire inné qui joue un rôle cytotoxique et participe à une réponse rapide aux infections par des pathogènes viraux, bactériens… et à la formation de tumeurs.