Changer de regard sur l’espace périurbain. Note sur le rapport de Frédéric Bonnet de janvier 2016 (Tewfik Tabouche)

Le périurbain est un territoire de fantasmes et un terrain d’études privilégié de plusieurs chercheurs et experts qui le décrivent tantôt hors d’influence des métropoles, tantôt comme nécessaire et indissociable des grandes agglomérations. Deux écoles se confrontent ainsi, autant sur la définition que sur la composition et les enjeux de ce territoire.

Dans son rapport à la Ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité, Mme Sylvia Pinel, l’architecte urbaniste Frédéric Bonnet développe une étude sur les enjeux d’aménagement du périurbain et des territoires ruraux en se fondant sur des réalités locales et les expériences internationales (majoritairement européennes). Cet ancien Prix de l’urbanisme 2014 y développe un regard critique sur ces territoires, invitant politiques et autres acteurs de l’urbanisme à changer de regard et développer des perspectives propres aux lieux.

Dans cet article on cherchera à définir la notion de périurbain, comprendre ses enjeux et enfin analyser le rapport de l’architecte urbaniste Frédéric Bonnet, remis à l’ancienne ministre, intitulé : Aménagement des territoires ruraux et périurbains, dans lequel il détaille ses propositions pour un développement avenir.

Qu’est-ce que le périurbain ?

Le périurbain est décrit comme un territoire largement impensé[1] pour lequel spécialistes et professionnels développent des thèses antagonistes.

Après avoir publié un article titré Demain sera Périurbain, Julien Damon nous livre dans son ouvrage Les 100 mots de la ville[2], coécrit avec Thierry Paquot, la définition du Périurbain ; il serait : « comme espaces discontinus restant en lien avec une agglomération, principale » connecté à son agglomération. Les auteurs parlent du périurbain comme un territoire qui a mauvaise presse, fief des conservateurs, responsable de l’étalement urbain et avec une empreinte environnementale élevée en partie due à l’augmentation des déplacements automobiles.

Cette vision est contestée par le géographe Christophe Guilluy[3] pour qui le périurbain est un territoire sacrifié par les élites politiques, faisant partie de la « France Périphérique » pauvre, et loin des influences des métropoles riches. Cette France Périphérique serait peuplée de ménages blancs modestes nés sur les ruines de la classe moyenne française disparue. Il est également décrit comme un espace de repli et de sédentarité dans lequel se développe un vote contestataire et de rejet favorable aux partis identitaires et nationalistes (Le Front National dans le cas de la France).

Que les territoires périurbains soient définis comme situés dans la zone d’influence des métropoles ou en dehors, les rapports d’études à leur sujet mettent en lumière la question de la recherche d’un meilleur cadre de vie, en comparaison aux grandes agglomérations où la vie serait moins chère avec la possibilité de devenir propriétaire. Dans les vidéos de témoignages des habitants des territoires périurbains, disponibles avec le rapport de Frédéric Bonnet[4], il est souvent question de proximité avec la nature, d’attachement générationnel à son village et de coût modéré du foncier. Les personnes interviewées sont de diverses origines (appréciation personnelle), ce qui conforte la position de Julien Damon et Thierry Paquot pour qui la composition et l’origine des ménages dans les zones périurbaines ne sont pas homogènes.

L’avenir des villes est-il le Périurbain ? Analyse du rapport de F. Bonnet

Dans son rapport, Frédéric Bonnet cherche en premier lieu à sortir le périurbain de son image de territoire relégué souvent décrit comme la « France moche »[5]. Tout en admettant que certains territoires sont mal conçus. Il s’attarde à décrire des initiatives locales et internationales dont il est important de faire le bilan et les diffuser au travers de débats, publications et plateformes[6]. Une de ces dernières initiatives est le pavillon français à la Biennale d’architecture de Venise[7] dans lequel M. Frédéric Bonnet, commissaire de l’exposition « Nouvelles Richesses », présente avec les AJAP 2014 des projets dans « Des lieux banals, familiers, qui ne font pas toujours l’objet d’une grande attention ».

Il rappelle que le périurbain n’est pas un territoire isolé, il fait partie d’un espace institutionnel (EPCI), géographique, culturel… vu comme « une constellation » avec un réseau d’échange entre villages et les villes à proximité. Il est ainsi question du rôle de l’intercommunalité qui selon F. Bonnet « est une bonne chose car elle rapproche les politiques d’aménagement de l’expérience concrète des habitants, et de ses dynamiques économiques. Mais il ne faut pas s’enfermer dans un nouveau périmètre ». Ainsi, selon l’architecte, l’intercommunalité est le principal rempart contre l’isolement des territoires périurbains.

Pour l’architecte il est important de favoriser et encourager les échanges entre professionnels de la ville tel que les architectes, les urbanistes, les paysagistes, les agronomes, les économistes, etc.. et impliquer d’avantage les citoyens. Ces conditions sont un préalable à toute élaboration de nouveaux dispositifs. Pour ce faire, il appelle à la solidarité nationale au travers de mesures fiscales, qu’il ne développe pas, afin de donner les moyens humains et budgétaires aux communes pour engager des solutions pérennes (élaboration de processus de participation citoyenne, formation de professionnels dans ces communes… ). Cette participation citoyenne ne peut se faire sans la simplification du jargon inaccessible aux citoyens et parfois même aux professionnels[8], ainsi que la simplification des règles d’urbanisme.

L’agriculture n’est pas en reste dans la réflexion de l’urbaniste. Ce dernier préconise l’intégration des espaces non-bâtis dans le projet de territoire, tel que les terrains agricoles et le maraîchage au travers d’outils de réglementation urbaine. Il propose également de donner un statut juridique et urbain clair aux nouvelles formes agricoles urbaines qui devront prendre place dans un projet agricole territorial. Et l’une des principales recommandations est de donner une valeur agronomique aux sols[9] dans les documents d’urbanisme.

Cette stratégie agricole est directement liée aux enjeux économiques de territoires périurbains. Pour cela, Frédéric Bonnet prône le changement de paradigme économique[10] et souhaite mettre ces territoires dans une dynamique plus large, aujourd’hui uniquement restreinte aux pôles métropolitains. Ce chapitre reste, comme celui sur l’augmentation des financements des communes périurbaines, assez peu développé.

A la réception du rapport, la Ministre du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité, Mme Sylvia Pinel, en a salué la qualité et les principales mesures préconisées comme la simplification des documents d’urbanisme, le lancement d’une étude sur l’urbanisme commercial, la revitalisation des centres bourgs. Une Plateforme « lab. Périurbain » a été lancée par la Ministre en juillet 2016 qui met en exergue les atouts du périurbain et répertorie des projets et des initiatives locales. Ce dispositif, même encourageant, espère donner l’impulsion mais reste maigre et insuffisant face aux enjeux. Il témoigne d’un manque de vision et de perspectives à long terme des institutions politiques pour ces territoires.

 

Photo de couverture : http://periurbain.cget.gouv.fr/

[1] Rapport de la fondation Terranova : Quelles politiques pour la France périurbaine.

[2] Julien DamonThierry PaquotLes 100 mots de la ville, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2014

[3] Christophe Guilluy, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Paris, Flammarion, 2014.

[4] Témoignage des habitants des territoires périurbains http://www.logement.gouv.fr/les-territoires-periurbains-671?id_courant=2781

[5] Article Télérama du 13/02/2010 : http://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php

[6] Page 32 du rapport de Frédéric Bonnet « Aménagement des territoires ruraux et périurbains » du 07 janvier 2016

[7] Exposition à la biannela d’architecture de venise :

http://www.institutfrancais.com/fr/actualites/pavillon-francais-la-15e-biennale-internationale-darchitecture-de-venise-2016

[8] Page 86 du rapport de Frédéric Bonnet Aménagement des territoires ruraux et périurbains du 07 janvier 2016

[9] Page 94 du rapport de Frédéric Bonnet Aménagement des territoires ruraux et périurbains du 07 janvier 2016

[10] Page 87 du rapport de Frédéric Bonnet Aménagement des territoires ruraux et périurbains du 07 janvier 2016

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