Discrimination à l’embauche : recalé à cause d’un nom maghrébin ?
Une campagne de lutte contre la discrimination de 2016

Discrimination à l’embauche : recalé à cause d’un nom maghrébin ?

Si vous vous appelez Ahmed, Leïla ou Karim, vous avez 25% de chances en moins d'obtenir une réponse à une candidature. C’est le résultat d’une vaste enquête réalisée par des chercheurs de l'université de Paris-Est-Créteil. Une discrimination à l'embauche qui serait le quotidien de milliers de Français d'origine maghrébine, comme le montrent les nombreux messages que j'ai reçus après un appel à témoignages sur LinkedIn.

"Habituellement, je n’aime pas parler de discrimination. J’ai l’impression de me victimiser"

Habituellement, je n’aime pas parler de discrimination. J’ai l’impression de me victimiser. La plupart du temps, je me dis que les refus que j’essuie n’ont peut-être rien à voir avec mon nom. Après tout, ce n’est pas non plus comme si j’avais fait HEC”, confie Djamila*, diplômée d’une école de commerce post-bac, qui cherche un emploi dans le marketing digital. Pourquoi a-t-elle cette fois décidé de témoigner ? “La différence c’est que des entreprises sont nommées. Et j'ai moi-même postulé dans certaines d'entre-elles. Ca signifie que je ne rêve pas quand j’ai l’impression de devoir en faire deux fois plus que mes camarades de promo pour décrocher mon premier job.” L’étude épingle en effet sept grandes entreprises tricolores : Accor, Air France, Altran, Arkema, Renault, Rexel et Sopra Steria. Une stratégie de “name and shame” censée accélérer la prise de conscience. Chez les entreprises citées, les résultats ont plutôt entraîné une levée de boucliers. Chez les candidats, en revanche, l’étude a le mérite de délier les langues. “Quand j'ai obtenu mon diplôme en commerce international, j'ai envoyé au moins 300 CV sans jamais décrocher d'entretien, raconte Hatem aujourd'hui responsable logistique d'une PME familiale. Dans le même temps, des amis au nom bien français trouvaient un job en quelques semaines. Finalement, j'ai eu mon premier entretien grâce à un piston."

"En voyant que je porte le foulard, l’entretien ne se passe pas comme prévu"

Comment ces demandeurs d'emploi savent-ils que c'est leur nom qui bloque et non pas le reste de leur CV ? Difficile d'en avoir le coeur net, quand seuls quelques indices trahissent la discrimination. Yassine raconte : “Je postule en 2012 pour un poste dans mon domaine. Le soir même je reçois un mail de refus. ‘Malgré tout l'intérêt…’. Le lendemain, je supprime mes nom et prénom pour les remplacer par ceux de ma compagne (nom à consonance européenne). Je n'ai pas changé le contenu ni la présentation d'un iota... Résultat : elle est contactée dans la semaine pour un entretien.” Abdellah, à la recherche d'un stage en banque, explique quant à lui avoir constaté sur un salon consacré à l’emploi en alternance que les candidats maghrébins, et plus généralement africains, n'avaient aucune attention des recruteurs, tandis que les candidats “franco-français” étaient accueillis dans de bien meilleures conditions. Samy ajoute “Je me suis vite rendu compte après avoir validé mon BTS Tourisme que je n'obtenais aucun retour suite à mes candidatures et j'étais forcé de constater que la plupart de mes camarades avaient déjà intégré des agences ou des gros groupes de Tour opérateur pour des postes d'agent de voyages ou chef de produit à Paris.” Quant à Amina, assistante administrative, elle constate que ça coince lorsqu’elle arrive en entretien avec son foulard. “J’en suis à 400 candidatures et mon CV est publié dans 60 agences d’emplois. J’ai eu plusieurs entretiens et en voyant que je porte le foulard, l’entretien ne se passe pas comme prévu et les réponses sont souvent les mêmes : le poste à été pourvu en interne, le recruteur disparaît.

"Cette discrimination que vous évoquez, je n’en entends parler que dans les médias"

Difficile pour autant de tirer des conclusions, car tous les profils ne sont pas confrontés à la discrimination. Plusieurs candidats d’origine maghrébine, plutôt très diplômés, s’étonnent d’ailleurs des résultats de l’étude. “Je m’appelle Oussama, c’est peut-être l’un des prénoms les plus difficiles à porter depuis ces dernières décennies. Franchement cette discrimination que vous évoquez, je n’en entends parler que dans les médias, je ne l’ai jamais vue en vrai”, s’étonne un ingénieur en analyse de données. Autre témoignage, en provenance cette fois d'un manager d'une des entreprises épinglées : "Pour parler de ce que je sais pour l'entreprise dans laquelle je travaille, elle est loin de faire de la discrimination. Si vous y étiez vous pourriez voir que dans cette belle entreprise on trouve une diversité culturelle et c'est ce qui rend riche notre entreprise." Des exceptions ? En fait, il semble que la discrimination s’exerce de manière très différente en fonction du type d’emploi recherché et du profil des candidats. Une tendance se dessine : plus le diplôme est prestigieux, moins la sélection basée sur l’origine opère. Pour un Centralien ou un HEC d'origine maghrébine qui ne subiront jamais de discrimination, beaucoup de diplômés d'écoles ou d'universités moins cotées peineront à s'insérer sur le marché du travail. Surtout s'ils cherchent un poste dans un domaine concurrentiel (RH, communication, marketing...). A l'autre bout du spectre, pour tous les emplois plus précaires ou en pénurie, les recruteurs sont moins regardants sur les origines des candidats. "Quand j'étais étudiant, j'enchainais les petits boulots (livreur, gardien de nuit...). Les ennuis ont commencé quand je me suis mis à chercher un CDI, après ma licence pro", explique Ryan.

"On nous disait pas d'Arabes, pas de Noirs"

Quel regard les entreprises portent-elles sur ces discriminations ? Dans le milieu des ressources humaines, certains affirment que les choses ont changé, que l'ère est désormais à la valorisation de la diversité. Claire, qui a travaillé dans des agences de recrutement pendant vingt ans, abonde : "Jusqu'au début des années 2000, certaines entreprises nous glissaient discrètement 'pas d'Arabes, pas de Noirs'. Mais ce sont des pratiques qui ont disparu." Vingt ans plus tard les choses ont-elles vraiment changé ? Rien n'est moins sûr à en croire Amandine, qui a travaillé trois mois pour une entreprise d'intérim digitale dans le sud de la France. "J'étais en charge d'enregistrer les candidats sur notre plate-forme, et de faire remonter les profils les plus intéressants selon la demande de nos supérieurs.Je mettais en relation des entreprises de la région avec les candidats inscrits sur notre plateforme. Lors d'une campagne de recrutement de préparateurs de commandes pour un grand constructeur automobile en 2019, nous avons reçu pour consigne de ne sélectionner ni Noirs ni femmes. Apparemment, ce n'était pas la première fois que ça arrivait. J'ai aussi pu constater que les noms maghrébins étaient rarement retenus par les entreprises. Aujourd'hui, j'en ai gros sur le cœur, et j’ai honte d'avoir participé à tout ça." Pourquoi les agences d'intérim acceptent-elles de répondre à ces demandes parfaitement illégales ? Parce qu'elles émanent souvent de gros clients... qui iront voir ailleurs si on leur dit non.

"Changer de nom ? Si ça peut me permettre de décrocher le job de mes rêves, pourquoi pas"

Quelles solutions pour les demandeurs d'emplois d'origine maghrébine ? Faut-il changer de nom pour passer l’épreuve fatidique du CV ? Si la question revient dans quelques témoignages, la plupart des personnes supposées discriminées écartent l’idée. “J'aurais l'impression de me renier. Et il se passera quoi lorsque je serai en face du recruteur ?”, interroge Abdel, bac+4, vendeur dans une enseigne de matériels électroménagers "en attendant de trouver mieux". Pour Samia, qui cherche depuis un an un emploi de chargée de communication dans la mode, la question est moins tranchée. “Si ça peut me permettre de décrocher le job de mes rêves et de faire bouger les mentalités de l’intérieur...” Tout aussi radicale qu’un changement de nom, l’expatriation apparaît aussi comme une solution prisée. “Je ne suis pas du genre à me victimiser. Je galérais parce que je m’appelle Mohamed, je suis parti à Londres et j’ai décroché un bon job dans une multinationale de l'agro-alimentaire. Ici personne ne m’a jamais demandé d’où j’étais originaire.” Plus exotiques, les pays du Golfe ont également la cote auprès des jeunes diplômés d'origine maghrébine. Mais l’eldorado reste l’Amérique du Nord. “Le racisme existe ici aussi, mais je ne l'ai jamais rencontré dans un contexte pro. Si tu es à l'heure le matin et que tu travailles dur, on te fait vite confiance", confie Abdelkader, ingénieur installé depuis quinze ans dans la région de Boston.

Conseillerait-il aujourd'hui aux jeunes d'origine maghrébine de quitter la France pour réussir ? "Je suis heureux de ma vie à Boston, mais d’un autre côté c’est aussi un immense gâchis d'avoir quitté la France. Je leur dirais de partir un ou deux ans pour booster leur CV, mais ensuite de revenir pour faire bouger les choses."

*Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat des témoins.

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Poursuivons la conversations dans les commentaires :

✉️ Vous avez été victime ou témoin de discrimination ? Partagez votre expérience.

🖊 Vous travaillez dans les RH, quelles solutions mettre en place pour en finir avec ces pratiques ?

Oui c vraiment;et j'accepte une autre travail même si que je suis un chef de partie au pâtisserie, et aussi je suis chef cuisinier, après une expérience de 12 ans, Bachelier au Droit privé au Maroc à 2005,j'accepte un avant le Covid 05/03/2020 , une contrat de travail de commis je pense que dans une château je vais travailler légale parce-que déjà le chef il connaît une pâtissier, mais après si tout seul qui reste gérer la cuisine partie chaud avec chaque fois une commis, grand histoire c'était mal fini.... Est quand je parle à mes droit il me dit tu veux travailler avec nous ou non, j'ai fait plus de 45h et lui le disait je peux pas te payé à mon poche..., Et quand j'ai arrêter j'ai étais croisé le directeur au parking de jaude il me s'eplait pour retourner et ont fixé un rdv le jour même il m'a promis de changement de statut contrat et 100€ plus au salaire une soirée au moments de services il me demandé pour signier les feuilles , me laissé pas la pour lire et mon confiance aussi..

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Noura Hadid

En.quête de nouveaux Projets en santé publique?

2y

Malheureusement toujours d’actualité.... le nom , le prénom , l’âge , le handicap, l’orientation sexuelle, le physique....etc   ...... cela me met en colère En tant que citoyenne  . Je pense en particulier à ma sœur si brillante , surdiplômée mais écartée du marché de l’emploi et pourtant elle n’a jamais été dans la victimisation mais courageuse  en occupant des postes en dessous de ses compétences et avec des chefs moins diplômés, moins performants ...... ceux qui en doutent ne l’ont jamais vécu et tant mieux pour eux . Courage aux demandeurs d’emplois « différents » : âgés , handicapés , « trop gros », trop typés ..... Etc ... que la force soit avec vous 

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Amin Derouaz

ingénieur commercial

3y

Essentiellement dans les postes de représentation, il n’y a aucun problème pour les noms maghrébins, plutôt uniquement les prénoms.

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