AGRICULTUREBataille en vue sur les engrais azotés ce vendredi à l'Assemblée ?

Projet de loi climat : Bataille en vue sur les engrais azotés ce vendredi à l'Assemblée ?

AGRICULTUREL’agriculture française utilise deux millions de tonnes d’engrais azotés minéraux par an. Avec, derrière, des effets négatifs sur l’environnement et la santé. La loi climat pourrait être l’occasion de créer une redevance pour en limiter l’usage. Le débat s’annonce houleux
Un agriculteur français pulvérise de l'azote solide sur du blé à Happonvilliers (Eure-et-Loire).
Un agriculteur français pulvérise de l'azote solide sur du blé à Happonvilliers (Eure-et-Loire). - Jean-Francois MONIER / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • L’examen du projet de loi Climat, dernière grande loi environnementale du quinquennat, se poursuit à l’Assemblée nationale. Place vendredi au volet « alimentation » et à l’une de ses mesures phares : la redevance sur les engrais azotés.
  • Pilier de l’agriculture depuis 1945, les engrais azotés minéraux sont pulvérisés chaque année sur les cultures pour accroître les rendements. Mais les effets néfastes sont multiples: pollution des eaux, de l’air, gaz à effet de serre...
  • « Jusqu’à présent, les politiques publiques qui ont cherché à réduire l’usage de ces engrais en France se sont révélées inefficaces », pointe la député LREM Sandrine Le Fleur, qui milite pour cette redevance, bien que le sujet divise dans son propre camp

Instaurer une redevance sur les engrais azotés minéraux. Des mesures discutées actuellement dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, celle-ci est celle qui aurait le plus d’impact en termes de réduction des gaz à effet de serre… si elle voyait le jour et était appliquée.

« On parle beaucoup moins de ces engrais azotés que des pesticides », regrette Claude Aubert, ingénieur agronome et auteur de Les Apprentis sorciers de l’azote (ed. Terre vivante). Pourtant, l’agriculture française en utilise, chaque année, environ deux millions de tonnes pour accroître les rendements de leurs cultures. Avec, derrière, des effets néfastes sur la santé et l’environnement.

Depuis plusieurs années, la Cour des comptes demande d’augmenter la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les producteurs d’engrais azotés minéraux pour en faire baisser l’utilisation. L’idée a été reprise parmi les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat. La retrouvera-t-on dans la loi Climat et Résilience censée s’en inspirer ? « Pas gagné », répond la députée LREM Sandrine Le Feur (Finistère), qui défend cette redevance. « Le sujet devrait être abordé ce vendredi à l’Assemblée nationale », précise-t-elle. 20 Minutes vous explique pourquoi cette redevance divise.

Pour quelles raisons utilise-t-on des engrais azotés minéraux ?

L’azote est, au même titre que l’eau, indispensable à la croissance des plantes. Mais, paradoxalement, « ces dernières n’ont pas la capacité de capter cet élément dans l’air, bien qu’il compose 78 % de notre atmosphère, rappelle Claude Aubert. Elles le puisent donc dans le sol, où il est naturellement présent…. » Mais pas en assez grande quantité pour assurer des rendements suffisants.

Dès lors, les agriculteurs épandent des engrais azotés sur leurs terres. Il y en a de deux sortes. Les engrais azotés organiques – comme le lisier et le fumier, issus des déjections des animaux de ferme – et les engrais azotés minéraux – des engrais de synthèse, produits par l’homme, justement visés par cette redevance. Cette découverte, en 1909, du chimiste allemand Fritz Haber, améliora sensiblement les rendements, au point qu’elle est considérée comme la plus importante de l’histoire de l’agriculture. »], retrace Claude Aubert.

L’un des piliers de l’agriculture de l’après-guerre

Le défi majeur posé à l’agriculture est alors de nourrir une population mondiale en pleine croissance. Dans cette optique, « les engrais azotés deviennent l’un des quatre piliers de la « révolution verte » lancée dans les années 1960, poursuit Claude Aubert. Avec la sélection des variétés à haut rendement, les pesticides, l’irrigation et les engrais chimiques. »

Depuis 1960, la consommation d’engrais azotés a été multipliée par neuf dans le monde. Les syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteur (JA) insistent tout de même sur le fait que « les livraisons d’azote ont diminué de 20 % en France depuis 1990 », en l’expliquant notamment par des progrès technologiques. Mais prendre 1990 comme référence est un peu facile, répond Manon Castagné, chargée de campagne « agriculture » aux Amis de la Terre. « On atteignait alors un sommet dans l’utilisation des engrais azotés après des années de croissance, indique-t-elle. Heureusement, cela a baissé, mais très légèrement. Et ça ne baisse plus depuis 2013. » Avec deux millions de tonnes chaque année, la France reste le plus gros consommateur d’engrais azotés de l’UE avec l’Allemagne.

Loin de n’être qu’un problème climatique

Premier problème des engrais azotés – minéraux comme organiques – : ils génèrent, au moment de leur transformation dans le sol, des émissions de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre [300 fois plus que le CO2]. Sa concentration a augmenté de 30 % depuis 1980, observent des chercheurs du Global Carbon Project. Et l’emploi d’engrais azotés en est la principale cause.

Mais ces derniers n’impactent pas que le climat. « La moitié seulement de cet azote apporté dans les sols est absorbée par les plantes, expose Claude Aubert. L’autre se perd. » Une partie, sous forme de nitrates, lessivée par les pluies, finit dans les nappes phréatiques et les cours d’eau qu'elle pollue.

Une autre s’évapore sous forme d’ammoniac, un polluant issu à 90 % des activités agricoles et dont les émissions stagnent en France autour des 700.000 tonnes, rappelait Le Monde, le 8 avril. « Une fois dans l’air, il peut se combiner avec d’autres polluants, dont les oxydes d’azotes (NOX) », et former des particules fines, particulièrement néfastes pour la santé car pénétrant profondément l’organisme, reprend l’ingénieur agronome.

Une redevance, la solution pour diminuer les recours aux engrais azotés ?

Pas étonnant donc que l’idée de redevance divise dans l’Hémicycle, y compris dans les rangs LREM. Stéphane Travert, l’ex-ministre de l’Agriculture, y voit une nouvelle « taxation franco-française »… Qui briserait la « dynamique déjà enclenchée dans le secteur agricole » pour réduire les effets néfastes de ces engrais azotés, ajoute le député LREM de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, agriculteur lui aussi.

De son côté, Sandrine Le Feur renvoie « à la longue liste des politiques publiques qui ont cherché, sans succès, à réduire la consommation d’engrais azotés en France » pour justifier de passer désormais à des mesures contraignantes. « Le kilo d’azote coûte un euro à l’achat et génère ensuite 60 euros de dépenses à la société en santé, en dépollution des eaux, etc. », abonde Manon Castagné, qui demande d’intégrer ces externalités négatives dans le prix des engrais azotés.

Pas du goût de la majorité?

C’est l’objectif de cette redevance de 27 centimes d’euros le kilo d’azote que propose la députée du Finistère « Ce ne serait pas une taxe, mais bien une redevance, insiste-t-elle. L’argent ainsi dégagé – de l’ordre de 618 millions d’euros – sera reversé aux agriculteurs qui s’engagent à réduire leurs consommations d’engrais azotés. »

L'exacutif et la majorité sont sur une autre longueur d'ondes. En l’état, l’article du projet de loi traitant de ces engrais azotés n’instaure pas cette redevance. Sa mise en place est juste « envisagée », et seulement en cas de non-respect, pendant deux années consécutives, des objectifs annuels de réduction de consommation d’engrais azotés par les agriculteurs. « Ce n’est pas acceptable », pour Sandrine Le Feur.

«Les engrais azotés ont séparé l’agriculture et l’élevage »

Claude Aubert ajoute encore un effet néfaste à l’essor des engrais azotés dans l’agriculture. « Le moins connu mais sans doute le plus grave, avance-t-il. Celui d’avoir séparé l’agriculture de l’élevage » « Auparavant, la majorité des fermes combinaient cultures et un peu d’élevage, principalement de vaches. Le fumier apportait l’azote qu’il fallait aux cultures. A partir du moment où les engrais azotés minéraux suffisaient, des agriculteurs ont cessé d’avoir de bêtes et que la Beauce est devenue la plaine céréalière qu’elle est aujourd’hui. »

Un modèle à bout de souffle ? « Dans certaines régions d’agricultures intensives, les rendements stagnent voire diminuent, rappelle Sandrine Le Fleur. L’une des raisons est l’appauvrissement des sols quand on ne leur apporte plus que de l’engrais azoté, alors qu’ils ont besoin aussi d’humus, de carbone, de phosphore… J’ai vu des sols morts en visitant des régions de cultures betteravières en France.»

La députée prône alors un retour au modèle de la ferme mixte, associant polycultures et élevage. « Quitte à raisonner à l’échelle d’un territoire avec, par exemple, un agriculteur spécialisé dans les cultures céréalières et son voisin dans l’élevage et qui s’échangeraient alors leurs foins et fumiers », précise Manon Castagné, aux Amis de la Terre. Elle insiste sur un autre point encore : « Celui de pratiquer l’alternance des cultures, en redonnant plus de place aux légumineuses (lentilles, pois, soja). Ces plantes ont cette capacité à capter l’azote dans l’air et le restituer dans le sol via leurs racines. »

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