Contradictions et nécessités de l’enseignement de la
grammaire : la difficulté empirique des énoncés
complexes en production, entre morphosyntaxe, lexique
et pragmatique
Caroline Masseron
To cite this version:
Caroline Masseron. Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire : la difficulté empirique des énoncés complexes en production, entre morphosyntaxe, lexique et pragmatique. Repères :
Recherches en didactique du français langue maternelle, ENS Lyon, 2014. hal-01362541
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Repères
Recherches en didactique du français langue
maternelle
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Lire en maternelle : la lecture avant que de savoir lire
Contradictions et nécessités de l’enseignement de
la grammaire : la difficulté empirique des énoncés
complexes en production, entre morphosyntaxe,
lexique et pragmatiqueIntroduction
Grammar teaching: the empirical difficulties of complex sentences
Caroline Masseron
Éditeur
ENS Éditions
Édition électronique
URL : http://reperes.revues.org/816
ISSN : 2263-5947
Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2014
Pagination : 217-240
ISBN : 978-2-84788-642-9
ISSN : 1157-1330
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Caroline Masseron, « Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire : la difficulté
empirique des énoncés complexes en production, entre morphosyntaxe, lexique et
pragmatiqueIntroduction », Repères [En ligne], 50 | 2014, mis en ligne le , consulté le 02 décembre
2016. URL : http://reperes.revues.org/816 ; DOI : 10.4000/reperes.816
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VA RI A
Contradictions et nécessités
de l’enseignement de la grammaire :
la difficulté empirique des énoncés
complexes en production,
entre morphosyntaxe, lexique
et pragmatique
Caroline Masseron, université de Lorraine, CREM
L’article, cherchant à analyser la crise de l’enseignement grammatical du français à l’école élémentaire, procède en deux temps. Le premier temps consiste en une ébauche historique, inspirée des
travaux de Chervel et élaborée autour de trois paradigmes explicatifs, assignant à l’enseignement
de la grammaire des finalités qui ne sont pas identiques : le paradigme du mot, le paradigme de la
phrase, le paradigme du texte. Ces paradigmes, s’ils ont toujours coexisté (grammaire, logique, rhétorique), le font dans un rapport de domination qui n’a pas toujours été le même et qui est porteur
de contradictions. Le chapitre des pronoms dans les grammaires est exemplaire des problèmes
soulevés, pris dans la contradiction de la série hétérogène des pronoms personnels et soumis à
l’obligation terminologique de la catégorie (les pronoms personnels, interrogatifs, relatifs, possessifs, indéfinis). La représentation de la langue et du système de la langue qui est impliquée par les
études grammaticales est au cœur des contradictions exposées. Les grammaires scolaires perpétuent une conception de la langue écrite qui est fort éloignée des usages langagiers contemporains
et, surtout, qui continue de faire valoir un modèle de la langue en réception. Le deuxième volet de
l’article s’efforce de montrer, en analysant plusieurs productions écrites, que les tours syntaxiques
sont réalisés de façon satisfaisante par les élèves, sur la base d’une grammaire intuitive des usages
parlés – fortement appuyée par les ressources lexicales du scripteur – et qu’ils sont « brouillés » par
une gestion (en cours d’acquisition) de l’orthographe et de la ponctuation. Quant au contrôle des
énoncés complexes, l’article cherche à montrer qu’il faut les concevoir comme une étape (génétique) de l’élaboration du texte et de sa « grammaire » (la grammaire seconde), ce qui oblige
à réviser assez lourdement les progressions et les objets d’étude des grammaires scolaires et des
programmes d’enseignement.
Mots-clés : enseignement de la grammaire, phrases complexes, production de textes écrits, analyse
d’erreurs
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Caroline Masseron
Introduction
L’enseignement de la grammaire du français connait une situation difficile,
soumis à des tensions politiques et épistémologiques, qui ont accentué son
retard et son inadéquation. Au point que cette « crise du français » déjà discutée
par Bally en 1930 1, si l’on admet qu’elle connait aujourd’hui de nouvelles
secousses, trouve sans doute dans la grammaire un analyseur central. Les
contenus et les finalités de l’enseignement grammatical sont en effet le théâtre
de contradictions difficiles à surmonter, parmi lesquelles on citera la phrase et
le texte (quelle unité d’analyse ?), la langue « scolaire » et les usages sociaux de
la variation linguistique (quelle langue ?) ; enfin, les contradictions d’un modèle
d’analyse hétérogène selon qu’il tend à inculquer les règles de l’orthographe ou
à sensibiliser les élèves aux formes de reprise et à la cohésion des enchainements
(quel modèle d’analyse retenir pour décrire quels phénomènes ?).
Ces tensions sont anciennes et bien connues. Nous aimerions les réexaminer,
en les articulant aux trois « pôles didactiques » ou institutionnels impliqués par
l’enseignement de la grammaire : i) les pratiques scolaires, manuels, instructions
et savoirs des maitres ; ii) les besoins langagiers des élèves ; iii) enfin les contenus
de savoirs en sciences du langage et les modèles d’analyse qu’elles construisent
et diffusent. Même si ces instances obéissent à des finalités distinctes et qu’elles
sont mises en œuvre par et pour des agents distincts, on admettra que certains
effets de la transposition didactique se traduisent par une absence d’étanchéité
des phénomènes et des objets d’étude, qui peut s’avérer problématique si elle
entraine une certaine confusion des domaines, des objectifs et des méthodes.
C’est ainsi par exemple que les pratiques d’écriture (la classe), la cohérence
des textes (la formation) et la linguistique textuelle (la recherche) sont parfois
soumises à des amalgames, qui peuvent se révéler réducteurs quand par exemple
certains faits de langue sont directement associés à un genre de discours (la
production d’une « description péjorative » recommandant à des élèves de
cinquième l’utilisation de nombreux « adjectifs péjoratifs »). Mais à l’inverse,
on peut relever des écarts importants entre les contenus d’un secteur à l’autre.
Tel est le cas quand on observe que les paradigmes d’analyse syntaxique ne
sont pas les mêmes d’une instance à l’autre. La variation langagière, les scènes,
cadres et rôles sémantiques, la macrosyntaxe, les grammaires fonctionnelles ou
les grammaires de construction, par exemple, ont par étapes, dans le domaine
de la recherche, supplanté la grammaire générative et les implications universalisantes de son modèle de compétence, pour lui préférer un modèle qui s’appuie
sur les usages. De tels modèles ne sont pas, ou alors très partiellement, utilisés en
formation, où dominent surtout, sous l’entrée « linguistique de l’énonciation »,
l’opposition anaphore / deixis et la progression thématique qui relayent les
règles de reprise et de progression de la cohérence textuelle. Quant au modèle
syntaxique dont on peut avoir besoin en classe mais qui n’est pas forcément de
mise en formation, c’est le modèle ancien et bien connu qui vise l’enseignement
de la « phrase écrite » et qui recourt toujours volontiers à la dichotomie nature
1
Et avant lui par Ferdinand Brunot, ainsi que le rappelle de son côté J. Ehrsam dans la préface d’un ouvrage
sur l’enseignement de la grammaire (2013).
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/ fonction de l’analyse grammaticale. Un indice terminologique de tels écarts et
du cheminement suivi par les emprunts et les reclassements notionnels, via la
transposition, nous est apporté par le choix des adjectifs syntaxique, grammatical
ou linguistique. Un indice méthodologique convergent pourrait être apporté
par le traitement auquel sont soumis les compléments et les tests utilisés pour
éprouver leur rattachement au noyau verbal.
Si nous convenons d’un rendement actuellement trop faible des méthodes
et des analyses de la grammaire scolaire en matière de productions langagières
et d’analyse de productions, il nous faut rouvrir le dossier des conditions d’un
enseignement grammatical rénové. C’est dans ce but que nous esquisserons
ci-dessous une réflexion portant, de façon empirique mais – nous l’espérons
– complémentaire, sur les deux volets de la grammaire scolaire et de l’analyse
des productions écrites.
L’article comporte trois parties. Dans un premier temps, nous dresserons un
cadre général de la grammaire scolaire et de ses finalités, tel qu’il nous apparait
dominé par l’un ou l’autre de trois paradigmes explicatifs. Ces paradigmes sont
respectivement celui du mot (la grammaire pour le latin, puis pour le vocabulaire
français), de la phrase (la grammaire pour l’orthographe et les accords dans le
cadre de la phrase) ou celui du texte (la grammaire pour l’écrit, en réception et
en production).
Ce cadrage initial nous est nécessaire pour rendre compte des écarts entre
les objets d’étude d’une grammaire scolaire modélisée par la réception des
faits de langue de l’écrit et des performances langagières effectives des élèves à
l’écrit (genres d’écrits). En effet, procédant dans une deuxième partie à l’analyse de quelques écrits scolaires narratifs, produits par des élèves de l’école
élémentaire et de collège, nous essaierons de montrer que les phénomènes
de lien, de cohésion et de rupture, manifestent des « besoins grammaticaux »
(syntaxiques) qui ne sont pas ceux que les grammaires privilégient. Dès lors,
étant donné la discordance entre des besoins identifiés et le traitement scolaire
des objets grammaticaux (autour d’un analyseur syntaxique principal, l’étude
des pronoms), dans une troisième et dernière partie qui n’est qu’ébauchée, nous
nous efforcerons d’établir des priorités pour clarifier les attendus de l’enseignement grammatical, selon ses finalités, les usages langagiers (la réception ou la
production de la langue écrite) et les besoins langagiers (les genres d’écrits, les
âges et les performances) que l’on fixe à l’enseignement de la grammaire.
1. Bref rappel historique : trois paradigmes qui ont toujours
existé, mais dont la concurrence ne s’est pas toujours exercée
de manière identique
1.1. Naissance de la grammaire scolaire (moderne) au XIXe siècle
(d’après Chervel 1977 et 2006)
Rappelons brièvement les principales conclusions du travail de Chervel
sur la naissance de la grammaire scolaire (moderne) au XIXe siècle. Les signes
du changement de paradigme dans l’explication grammaticale apparaissent
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au XVIIIe siècle, lorsque Restaut établit (1732) la partition entre l’orthographe
de principe et l’orthographe d’usage, et où peut s’amorcer le mouvement de
délatinisation de la grammaire du français (Chervel 2006, p. 211-220). Celuici se manifeste notamment par l’indépendance prise par l’adjectif, désormais
distinct du « substantif », par l’abandon progressif de la déclinaison (le nominatif devient le sujet « de la proposition ») et la disparition de la « particule »,
catégorie qui recouvrait tout le reliquat des petits mots (prépositions, articles,
conjonctions, etc.). S’ensuit, à partir de Lhomond (1780) ce que Chervel (2006,
p. 222-223) a appelé la « re-conceptualisation » de la grammaire scolaire, sous
l’égide respectivement de la proposition qui, d’inspiration logique, devient proposition grammaticale, mais aussi des régimes direct et indirect, des catégories
grammaticales, du complément et, enfin, sous l’égide de la notion de phrase
dans son acception actuelle qui se substitue à la période elle-même issue de la
rhétorique (Séguin, 1993).
1.2. Trois paradigmes en concurrence pour l’enseignement de « la
grammaire » : concomitance, recouvrement et contradiction de trois
paradigmes descriptifs distincts (mot, phrase, texte)
Dans le droit fil des travaux de Chervel (1977, 2006) nous avons cherché à
faire de l’histoire de la grammaire scolaire un cadre explicatif important pour
mieux comprendre les instructions et pratiques contemporaines en matière
d’enseignement de la langue (Masseron, 2007). Ce cadre nous aide, lors des
analyses de manuels, à éclairer des observations portant sur tel fait de langue,
lequel est pris dans le maillage parfois contradictoire des disciplines de l’enseignement de la langue (le vocabulaire, l’orthographe et la grammaire). Pour
discriminer les paradigmes par des dénominations simples, nous avons retenu
les trois unités d’analyse « spontanées » que sont le mot, la phrase et le texte, qui
impliquent des points de vue, des niveaux de structuration et des théories de la
langue divergentes. On aura reconnu derrière ces trois paradigmes explicatifs les
disciplines-mères qui ont contribué à édifier la description moderne du système
de la langue : la grammaire (les parties du discours pour bien écrire), la logique
(la proposition comme unité de prédication et de modalité) et la rhétorique
(l’art du discours, l’art oratoire).
1.2.1. Le paradigme du mot
Ce que nous identifions comme relevant du paradigme « du mot » dans les
ouvrages de grammaire est sous-tendu par l’analyse grammaticale à des fins
de traduction, de déclinaison, de morphologie et de lexicologie. « Le mot » se
comprend comme une unité formelle, une catégorie d’analyse dont la variation est réglée, perceptible et interprétable selon la partie du discours dont elle
relève. Nous en trouvons une première illustration dans la Méthode raisonnée
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pour apprendre le latin de Dumarsais pour qui la traduction littérale, mot à mot
et interlinéaire 2, facilite la représentation pratique des tours de la langue latine :
« Observés que pour lier le mot français avec le mot latin, je fais expliquer de
cette sorte : Ego, moi ; Phaedrus, Phèdre ; polivi, j’ai poli ; cum, avec, etc. Cette
pratique est nécessaire pour ceux qui commencent ; elle leur apprend mieux la
signification propre de chaque mot. »
Outre le contact direct et pratique de cette première approche littérale qui
s’appuie sur le mot à mot, Dumarsais souligne l’intérêt d’éviter à ce stade tout
recours à une métalangue (la terminologie et les règles) jugée trop abstraite et
éloignée de la langue elle-même. L’étape suivante est confiée à l’ordre des mots
dans une « syntaxe simple » (Dumarsais, édition de F. Douay Soublin, 1987,
p. 23) :
« Les mots latins sont rangés dans l’ordre de la syntaxe simple, afin qu’on en
puisse voir avec plus de facilité le rapport et la dépendance, et que l’on fasse plus
aisément l’application des règles de la syntaxe. Toutes les ellipses sont remplies,
c’est-à-dire que tous les mots sous-entendus sont exprimés, ce qui donne une
extrême facilité pour réduire à la syntaxe simple, les façons de parler figurées. »
Ces principes méthodologiques ne sont pas sans rappeler l’analyse grammaticale destinée aux classes de l’enseignement primaire que l’on trouvera un siècle
plus tard (Larousse, 1860, puis Maquet, Flot et Roy, 1923), où l’entrainement
lexical à la justesse référentielle, grâce à l’ajustement précis des collocations du
français, tient lieu de première syntaxe. On illustrera cette alliance entre grammaire élémentaire et entrainement lexical par un court extrait de la grammaire
de Maquet et al., emprunté au chapitre sur « la proposition » (p. 26-27) :
« Applications
98. Donnez des verbes qui conviennent aux sujets suivants. Ex. : La poule couve.
Le chat… ; Le vent… ; La rivière… ; L’écolier… ; Le cordonnier…
99. Donnez des sujets qui conviennent aux verbes suivants. Ex. : La lampe
éclaire… voltige ;… nage ;… rampe ;… rumine ;… bondit.
100. Copiez en écrivant un sujet et un complément à la place des points. Les…
font… ; Les… ferrent… ; Les… gardent… ; Les… dévorent… ;… respecte… ;… soulage…
104. Construction de phrases. Répondez par une proposition à chacune des
questions suivantes. Ex. : Le tanneur fait le cuir. Que fait le tanneur ? – le vétérinaire ? – le bijoutier ? – l’horloger ? – le tailleur ? – le bourrelier ? – le jardinier ? »
Les exercices cités allient morphologie (l’accord du verbe) et lexicologie
dans une leçon qui s’appuie sur les constructions intransitive puis transitive
2
Dans sa disposition, la traduction est interlinéaire : « au-dessous de chaque mot latin, il y a le mot
français qui répond au mot latin, aussi littéralement qu’il est possible, ce qui sert de dictionnaire
perpétuel et facilite les répétitions » (1987, p. 23). Répétition doit se comprendre ici comme un exercice
d’entrainement.
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directe de verbes « référentiels 3 » – et tendanciellement monosémiques – pour
présenter les rudiments de la « proposition ». La métalangue est réduite à sa
plus simple nécessité : sujet, verbe, complément (phrase ne figure qu’une seule fois
dans l’exercice 104 de production finale). On connait le contexte historique de
« fin des terroirs » qui motive d’enseigner ou de renforcer l’usage de la langue
française, mais plutôt que de n’envisager que les aspects normatifs et datés d’une
telle approche, nous préférons souligner qu’elle fait prévaloir une expérience
empirique et lexicale comme socle des premiers apprentissages de la grammaire.
1.2.2. Le paradigme de la phrase (assertive et simple) et de ses groupes
(nature et fonction) : « la théorie grammaticale mise au service de
l’orthographe » (Chervel, 2006, p. 211-236)
Le paradigme moderne de la phrase est bien connu, notamment grâce à
Chervel (1977) qui en a exposé les finalités et reconstitué les étapes de l’histoire :
…et il fallut apprendre à écrire à tous les petits français.
La phrase instancie des groupes constitutifs dont les relations internes et
externes se réalisent dans des chaines d’accord. Autrement dit, l’écriture et
la lecture du français qui nécessitent la maitrise (consciente) de son orthographe – et donc son enseignement – donnent naissance à l’analyse logique
qui, explicitant l’ordre et l’interdépendance des constituants de la phrase,
permet d’enseigner les règles d’accord. En français, l’ordre naturel – intuitif –
des éléments (SVO) livre un schéma de phrase simple, construit comme une
relation prédicative (SV), et constitue le cadre à partir duquel vont s’enseigner
les parties du discours (dont les pronoms), les compléments (dont l’attribut) et
la subordination (dont les relatives).
Les manuels de grammaire contemporains destinés à l’école élémentaire,
obéissant aux instructions de 2008, dans le chapitre d’ouverture consacré à « la
phrase », opposent d’emblée la phrase verbale à la phrase nominale et posent
la délimitation graphique (la majuscule et le point) comme constitutive de la
notion de phrase. À l’instar d’ouvrages comparables, le manuel Belin (Collection
A. Mauffrey et I. Cohen, 2008), destiné aux élèves de CM1-CM2 (10-11 ans),
résume ainsi ce qu’il faut retenir au sujet de la phrase (les auteurs soulignent) :
« Une phrase est une suite de mots organisée selon des règles et présentant un
sens.
À l’écrit, la phrase commence le plus souvent par une majuscule et se termine
par un point (: ;. ? !).
La phrase verbale est construite autour d’un verbe noyau. Ex. : L’équipe adverse
remporte la victoire. Comment contrer cette attaque ?
La phrase nominale est construite autour d’un nom noyau. Ex. : Victoire de
l’équipe adverse. »
3
Tantôt encyclopédiques, tantôt édifiants ; ainsi dans le chapitre sur « le pronom » du même ouvrage
(p. 53), ces énoncés pris aux exercices 194 et 195 : « La Loire a un cours de près de 1000 kilomètres. Je
me promets de cueillir des violettes pour ma mère. »
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
Sans les nommer, le chapitre fait procéder à des observations sur des genres de
discours comme le dialogue, le titre d’œuvre ou d’article ou la recette de cuisine,
présentant des occurrences de phrase nominale, et dont l’objectif (somme toute
modeste !), est de les repérer.
Les exercices proposés sont ensuite répartis sur quatre pages dans les
rubriques suivantes : grammaire, vocabulaire, orthographe et « j’apprends à
rédiger ». Les exercices laissent perplexe : on ne saisit pas bien ce que l’élève y
apprend de nouveau, la plupart étant fondés sur des mécanismes de compréhension et d’interprétation de formes, d’énoncés ou de textes. Les seules manipulations sont demandées en vocabulaire et concernent la dérivation N/V
(découverte, découvrir) ou V/N (arriver, arrivée). Les activités de la rubrique grammaticale portent principalement sur la ponctuation et la distinction entre
phrases verbales et nominales. En orthographe, des QCM sont construits sur
l’alternance singulier ou pluriel (le bouc, les loups) dont il faut utiliser les marques
pour recomposer, sur la base des accords et du sens, une « phrase correctement
orthographiée ». Quant aux activités de production, elles font appel au jeu du
cadavre exquis, à celui des textes puzzles ou bien font procéder à des appariements ou à des textes « à trous ». Nous illustrons ci-dessous ce dernier cas :
« 29. Pour construire un texte cohérent, recopie-le en complétant les phrases
en tenant compte des analyses proposées. Imagine la suite de l’histoire.
… [G. sujet] ramena un jour… [Complément] qui, n’ayant plus de mère et
mourant de faim, s’était tapi… [Complément de lieu].… [G. sujet], inquiet et
timide, avait peur… [Complément]. Ceux-ci, voyant sa terreur, prenaient plaisir
à le tourmenter : le coq le [Verbe]… [Complément de lieu], etc. [G. sujet] faisaient
mine de le mordre et le chien… [Verbe]… [Complément de manière]. »
Cet exercice illustre l’ambigüité des objectifs de l’enseignement grammatical : la grammaire de phrase (les indications de fonction entre crochets) est
soumise à des règles d’inférence référentielle (le coq) et de suivi thématique
(ceux-ci) qui, comme le dit la consigne, fondent la cohérence de l’enchainement
des phrases.
1.2.3. Le paradigme du texte : un changement de paradigme ?
Quant au paradigme du texte, nous l’interprétons, dans la période contemporaine, comme le résultat de travaux en linguistique textuelle, sur les liens de
cohésion et de cohérence, ainsi que de l’analyse des processus rédactionnels.
Mais surtout, le renouvèlement de perspective s’est opéré sous l’influence de
l’analyse des écrits scolaires et de la problématique didactique de l’évaluation
formative (Groupe EVA, 1991). On aura identifié les notions d’anaphore (ou
substitut), de progression thématique et de système énonciatif (récit et discours)
qui ont accompagné, dans les années quatre-vingt – quatre-vingt-dix, les développements de la « grammaire de texte ».
Concernant l’enseignement de la grammaire à l’école élémentaire, les
manuels publiés après les nouvelles instructions de 2002 illustrent le changement opéré, et le font parfois de façon spectaculaire comme en témoigne cet
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extrait de l’ouvrage au titre suggestif, Français. Des outils pour dire, lire et écrire.
CM2, Cycle 3. (2005, p. 113) :
« 5. SCIENCES
Qui se cache derrière les pronoms en gras ?
Le scarabée roule une boule de bouse, fait un trou, enterre la boule. Puis il creuse
une chambre et pond un œuf. Celui-ci devient une larve qui se nourrit de la
boule.
6. HISTOIRE
Que représentent les pronoms en gras ?
Avant la révolution de 1789
Avant, la France vivait sous le régime de la monarchie absolue : le roi était
« d’essence divine », le représentant de Dieu. Nul ne pouvait s’opposer à sa
volonté, il gouvernait à sa guise en s’appuyant surtout sur la noblesse, considérée
comme l’élite du pays. Celle-ci ne représentait même pas 2 % des habitants du
royaume. »
Ces exercices, qui font partie d’un chapitre intitulé « J’emploie des
pronoms », cherchent à susciter la reconnaissance grammaticale de la catégorie
« pronoms » et du rôle qu’ils jouent dans un texte à lire, dans des contextes
disciplinaires qui ne relèvent pas de la matière « français ». Reste que, dans le
chapitre cité, les savoirs et savoir-faire morphosyntaxiques sur le système des
pronoms sont radicalement abandonnés, au profit d’activités d’interprétation
qui ont pour effet de décentrer les observations conduites.
Pour éviter tout malentendu, rappelons que les grammaires scolaires ont
depuis longtemps adjoint à leurs tables des matières des chapitres d’enseignement rédactionnel. On peut citer à nouveau la grammaire de Maquet, Flot et
Roy (1923) qui conclut l’ouvrage destiné aux classes de CM1-CM2 (9-11 ans)
par un apprentissage méthodique du texte descriptif : de l’énumération de
traits à la description d’actions et au portrait moral, le chapitre « élocution
et composition » prodigue des conseils de plan et soumet des « modèles », en
texte et en image.
1.2.4. Deux ou trois paradigmes ? « Quelle grammaire enseigner ? »
(Pellat, 2009)
Introduire un paradigme du texte comme nous venons de le faire en regard
de ceux du mot et de la phrase nous démarque quelque peu de la position
adoptée par Chervel, lequel est amené à conclure à l’échec d’une troisième
grammaire scolaire, qui serait celle du texte : « Ni le courant historiciste des
années 1870-1880, ni les différentes tentatives de “modernisation” de la grammaire auxquelles on a pu assister entre 1950 et 1980 ne sont parvenues à
élaborer une troisième vulgate. » (Chervel 2006, p. 254). En réalité, le point de
vue adopté n’est pas tout à fait le même, car selon qu’on privilégie la vulgate
grammaticale ou le concept de paradigme, on procède à des analyses de la
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
« matrice disciplinaire » qui divergent légèrement, au sens où l’une est plus
restreinte et étroitement scolaire que l’autre. Chervel (1977 et 2006) en effet
entend par vulgate le corps de notions enseignées sur lequel s’appuie la règle
d’accord du verbe avec son sujet. Autrement dit, il évalue l’échec de la troisième vulgate dans le cadre que nous appelons ci-dessus le seul paradigme de
la phrase ; de même les première et deuxième grammaires scolaires (Chervel,
1977) relèvent-elles également d’une conception restreinte de la grammaire
scolaire (l’enseignement de la morphosyntaxe). Or, chaque paradigme s’analyse doublement, intrinsèquement (son objet propre) et extrinsèquement (les
phénomènes d’emprunt ou de transfert). Les exercices, les terminologies et les
méthodes sont alors des analyseurs de premier choix 4. Pour notre part, nous
préférons d’emblée envisager l’enseignement de « la langue » dans ses finalités
larges et considérer que l’enseignement de la grammaire française n’est pas,
ni n’a jamais été pleinement « autonome », pas plus que son application n’a
jamais été seulement orthographique. Qu’il s’agisse du latin, de la rhétorique, de
l’orthographe ou de la « production écrite » et des publics scolaires auxquels est
destiné l’enseignement de la langue française, les concepteurs des grammaires
scolaires n’ont jamais disconvenu du caractère extrinsèque des finalités et des
inspirations théoriques de ces dernières. Est-ce à dire pour autant qu’il ne faille
pas dispenser un enseignement strictement morphosyntaxique ? Certainement
non, mais lequel et comment ?
À nos yeux, il n’y aurait donc peut-être pas « échec de la troisième vulgate »
comme l’écrivait Chervel, mais plutôt reconfiguration ou inversion du rapport
de force entre le paradigme de la phrase et celui du texte. De plus, la notion
de paradigme autorise plus aisément des incursions dans les théories connexes
(latin, logique et rhétorique, tout particulièrement) ; mais surtout elle facilite
la conception de trois paradigmes dont la concomitance est avérée à toutes les
époques même si l’interprétation – dans le champ scolaire – se fait en termes de
paradigme dominant ou dominé : cette interprétation est fonction d’une configuration « culturelle » et « politique » au sens large. Enfin, ce qui constitue notre
premier paradigme – à savoir le paradigme du mot dont le fondement traductologique et latinisant est bel et bien conçu à des fins d’enseignement – permet
de modifier quelque peu la date de la naissance de la grammaire scolaire et de la
faire remonter, ce qui semble assez logique, à l’émergence du français moderne.
Autrement dit, cette tripartition des paradigmes – toute rudimentaire qu’elle
soit – est à envisager comme un descripteur, c’est-à-dire comme un cadre général
établi à des fins épistémologiques et historiques, nécessaire pour comprendre
l’organisation des grammaires scolaires, pour en analyser les modalités explicatives et en retrouver les lignes de fracture et les contradictions. Une re-conceptualisation de l’enseignement grammatical (Chervel, 2006) nécessite que l’on
s’interroge sur l’articulation des contenus d’enseignement aux usages de la
langue et aux besoins langagiers que les usages permettent d’identifier. Pour
4
Dans le cadre de la formation tout particulièrement.
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Caroline Masseron
cela, deux objets sont à travailler : le français parlé et les liens « de la phrase au
texte » (Charolles et Combettes, 1999).
2. La grammaire intuitive des élèves : le français parlé, l’analyse
des écrits scolaires, les énoncés binaires, les erreurs syntaxiques et
les genres d’écrits
Avant de développer cette partie, nous voudrions énoncer un point de
méthode pour justifier que nos observations demeurent empiriques. Nous
nous efforçons de fonder des hypothèses sur l’analyse, qualitative et non pas
quantitative, de quelques productions écrites d’apprenants et sur les apports
théoriques dont nous estimons qu’ils sont capitaux pour favoriser un changement de point de vue.
2.1. Question de points de vue
2.1.1. Peu ou pas de fautes « syntaxiques » dans les productions d’élèves
ainsi qu’en témoigne la copie des écrits scolaires, dans une version
orthographiée et débarrassée de toute ponctuation
Paul Cappeau, dans le chapitre consacré à la morphosyntaxe (2000, p. 71-96)
de l’ouvrage collectif de Claudine Fabre-Cols portant sur les écrits scolaires,
constate que les erreurs syntaxiques, au sens strict, sont rares et qu’il convient
de les dissocier des erreurs imputables à l’orthographe, à la ponctuation ou à
une consigne mal comprise.
Nous souscrivons pleinement à cette observation et nous nous en inspirons pour forger empiriquement avec nos étudiants une méthode de copie des
productions d’apprenants, qui a pour objectif de rendre plus lisibles les schémas
syntaxiques réalisés, c’est-à-dire de dissocier les faits de structure proprement
dits des erreurs commises dans les domaines connexes. La méthode s’inspire des
grilles syntaxiques mises au point par Blanche-Benveniste (1990) pour décrire
le français parlé et élaborer à cette fin un outil de transcription qui délinéarise
l’oral. Ici, transposée à des écrits d’apprenants, la méthode consiste à copier
le texte analysé, en y ayant corrigé l’orthographe, supprimé la ponctuation
et opéré des retours à la ligne à l’issue de chaque traitement syntaxique d’un
noyau verbal. Chaque énoncé est numéroté pour les besoins de l’analyse. Ce qui
donne par exemple (T1, le texte cité, écrit par un élève de CP, 6-7 ans, provient
du même chapitre de Cappeau, 2000, p. 71) :
T1 Version originale
mais un jour Fanch tonba
a l’eau. un poisson volent
le vu alors le poisson le
pri sur son do et il l’anmena
a une nile mairvéilles.
il y avait des fleres et des
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
arbre il se fabrica une maison
pour dormire le landemin
Fanch a désidé de partire
parseque la petite fille
latandé sur la plage.
Texte copié après la correction de l’orthographe, la suppression de la
ponctuation
1. Mais un jour Fanch tomba à l’eau
2. Un poisson volant le vit
3. Alors le poisson le prit sur son dos
4. Et il l’emmena à une ile merveilleuse
5. Il y avait des fleurs et des arbres
6. Il se fabriqua une maison pour dormir
7. Le lendemain Fanch a décidé de partir parce que la petite fille l’attendait sur la
plage.
Une seule erreur proprement syntaxique, la construction du locatif à une île
merveilleuse, et encore la justesse de la préposition sélectionnée dans l’énoncé
4 Il l’emmena à (jusqu’à, sur) une ile merveilleuse est-elle matière à discussion.
Quoi qu’il en soit, la construction verbale, impliquant un déplacement et un
but locatif, mérite d’être envisagée : emmener quelqu’un quelque part : à la gare, à
l’école, chez le dentiste, au foot, à la danse, sous la scène, sur une ile ; mais emmener
quelqu’un dans sa voiture, en voiture, sur son dos, etc. Dès lors que l’on traite de ces
questions par les entrées lexicales et les collocations les plus fréquentes, l’interface syntaxe-sémantique complique sensiblement les choses mais rend plus
intéressante la question de savoir à quelles condition interprétative emmener
quelqu’un à une ile est recevable (la destination est envisagée ponctuellement,
comme abstraitement).
2.1.2. Micro – ou macrosyntaxe ? Pour une approche pronominale du
français parlé
L’hypothèse développée dans cette rubrique concerne la catégorie des
pronoms personnels et de leur utilisation dans les productions d’élèves débutants. Le pronom personnel est en effet un bon révélateur des contradictions que
doivent affronter les grammaires scolaires, puisqu’il est au centre des réglages
morphosyntaxiques (la microsyntaxe et l’accord sujet-verbe ; la variation
des formes de troisième personne, le la, lui), qu’il donne lieu à une série non
homogène du point de vue énonciatif (je, tu / il) et que son usage en français
parlé est avant tout un usage déictique (je et tu ; l’emploi déictique de il dans
qu’est-ce qu’il t’a dit).
Dans les premières pages de l’ouvrage fondateur de l’approche pronominale,
C. Blanche-Benveniste et al. (1987, p. 26) exposent leur axiome de la relation
du pronom au lexique (et non l’inverse, cf. « le pronom remplace le nom ») :
« Nous poserons un processus descriptif allant du pronom au lexique, processus
que nous nommerons “lexicalisation”. Les constructions comportant des
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pronoms (ou “constructions pronominales”) sont à décrire antérieurement aux
constructions comportant du lexique (ou “constructions lexicales”). Il s’agit
d’une antériorité méthodologique.
Jusqu’ici, les auteurs ont abondé dans le sens traditionnellement le plus reçu :
l’élément pronominal serait le résultat, explicite ou implicite, d’un processus de
pronominalisation […]. Notre approche pratique de base consiste à examiner
en premier lieu les phrases pronominales. On en déduit une théorie inverse de
la théorie reçue : c’est le pronom – ou l’unité sous-jacente induite à partir du
pronom – qui constitue la base linguistique de l’énoncé. Les autres éléments
peuvent être présentés comme le résultat du processus de lexicalisation.
Sémantiquement, les pronoms constituent des éléments fondamentaux de la
langue, comme le remarquait déjà Scaliger ; d’une part par leur sens plus vague
et donc plus général ; d’autre part parce qu’ils permettent non seulement de
prévoir les emplois du lexique, mais également de faire la référence là où le nom
manque. »
Nous avons cité un peu longuement ces lignes de l’approche pronominale, parce qu’elles nous semblent poser un cadre fondamental pour notre
propos. D’une part, elles nous inclinent à introduire davantage la langue du
français parlé (les conversations ordinaires puis le dialogue) qu’elle n’est pour
l’instant dans les ouvrages de grammaire ; d’autre part, elles nous conduisent
à réexaminer les analyses de l’écrit qui touchent à la question des opérations
référentielles.
Concernant le premier point, le français parlé comme base de travail en
classe, nous nous contenterons ici de deux suggestions, sans les développer.
La première est de faire observer des faits de langue, à l’instar des manuels
de français langue étrangère 5, sur la base d’un matériau enregistré. Imaginons
par exemple que des élèves doivent interpréter la fonction pragmatique de deux
énoncés proches comme j’y vais ou j’y retourne, produits dans les deux cas par
une personne à une autre, toutes les deux au bord d’une piscine. Dans le premier
cas (j’y vais) l’énoncé signifie « je rentre » ; dans l’autre, il signifie « je retourne
me baigner ». Il nous semble contreproductif de devoir faire référer trop tôt le
pronom y à un locatif « précis » (à la maison, chez moi ; dans l’eau). Cet exemple
illustre la solidarité du pronom (y) avec le verbe (et non pas le « contexte »).
Un autre exercice pourrait mettre à profit les emplois déictique ou anaphorique
du pronom de troisième personne, il, le, lui (çui-là)… à l’usage dans des tours
familiers (fréquents) : Qu’est-ce qu’il t’a demandé le prof ? J’aimerais bien l’avoir
çui-là (ce disque, ce pantalon). Une observation réfléchie portant sur la langue
parlée, en quelque sorte.
Pour illustrer la question des opérations référentielles, nous proposons
ci-dessous deux textes d’élèves. T2 est produit par un élève de CP, 6-7 ans, et
également emprunté à Cappeau (2000, p. 71). T3 est écrit par un élève de CE2
5
D’anciens manuels de grammaire de français langue maternelle adoptaient sensiblement la même
démarche, quand ils choisissaient de commencer par une activité de production orale. Dans la période
récente, nous retrouvons une option identique dans les manuels dirigés par B. Schneuwly.
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
(9-10 ans) et figure dans le corpus d’un mémoire de Master 2 qui a été soutenu
par Christelle Oblet.
T2. Version originale
où tu maanme, ge tanmen à la
plage coman tu tapèle ge.
mapèle le vant. où tabit ga bit.
à la plage tu â tan paclain.
ui ga tan la siréne. vien sur
maplage il y â des siréne
Copie de T2
1. Où tu m’emmènes ?
2. Je t’emmène à la plage.
3. Comment tu t’appelles ?
4. Je m’appelle Le Vent.
5. Où t’habites ?
6, 7. J’habite à la plage. Tu attends quelqu’un ?
8. Oui j’attends la sirène.
9, 10. Viens sur ma plage, il y a des sirènes.
On a avec T2 un cas de ponctuation graphique en fin de ligne qui perturbe
le suivi des énoncés et des répliques du dialogue. Ce qui nous a paru remarquable dans T2 c’est cette alliance des déictiques (les pronoms je et tu) avec des
expressions référentielles absolues (la plage, la sirène) et l’économie de toute
procédure anaphorique.
Quant au scripteur de T3, il est un peu plus âgé et doit raconter un épisode
mémorable qui lui est arrivé (le « récit d’expérience personnelle », Fayol 1987,
p. 224).
T3. Version originale
Un jour on ette en vacense, avec des amis. Est soudin ont a
vu des hommes qui se batai avec des coutot il en avais
un qui avai l’oraille quoupé. Il y avait une fille qui
télaiphonai, d’après ma cousine. Elle à 16 an. On avas tous
peur on croiller que saité la fin, moi j’ai eu très très peur
se jour la. Quelleque anai plus tar on rouler on ette près
d’un rompouin et une fille nous à rentrez deden.
Copie de T3
1. Un jour on était en vacances avec des amis
2. Et soudain on a vu des hommes qui se battaient avec des couteaux
3. Il y en avait un qui avait l’oreille coupée
4. Il y avait une fille qui téléphonait
5. D’après ma cousine, elle a 16 ans
6. On avait tous peur
7. On croyait que c’était la fin
8. Moi j’ai eu très peur ce jour-là
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9. Quelques années plus tard on roulait
10. On était près d’un rond-point et une fille nous a rentré dedans
La scène mémorisée et racontée est indiscutablement prise en charge, régie,
à partir d’un foyer énonciatif de locution (je, on, ma cousine). L’introduction
référentielle des acteurs nouveaux (énoncés 2, 3, 4) associe l’indéfini (un) au
présentatif « existentiel » (il y avait un N qui…). Pour les besoins d’un souvenir
que le locuteur est seul à détenir, l’opération de saisie référentielle conduit
naturellement à présenter ainsi l’entité nouvelle, non connue. Par ailleurs,
dans T3 (5), nous avons souligné la combinaison elle + a pour remarquer que
l’ambigüité référentielle (ma cousine ou la fille qui téléphone) si elle existe
n’est qu’accessoirement due au pronom lui-même : elle provient plus surement
d’une trace de discours direct (cf. d’après ma cousine) dans une construction
parataxique. Nous avons cité T3 pour illustrer l’influence du français parlé qui
s’exerce inégalement sur tel ou tel schéma syntaxique ou mécanisme d’ancrage
référentiel : la comparaison de 3 (il y en avait un qui vs l’un d’entre eux) avec 9
(quelques années plus tard vs, dans une version parlée standard, une autre fois)
est à cet égard éclairante.
Ces observations confirment l’intérêt de concevoir des objets d’étude grammaticale en relation avec les tours courants et utilisés par les élèves ou au
contraire des expressions complexes ou plus élaborées (l’un d’entre eux dans
notre exemple), sans préjuger du caractère « oral » et « familier », donc à
sanctionner.
Terminons ce point de vue pronominal par la copie d’un dernier texte
emprunté à Cappeau (2000, p. 73, où l’on lira la version originale). Le suivi
référentiel qui s’opère dans le texte se réalise via les pronoms personnels et les
possessifs (en non-italique) dont on ne peut dire de quasiment aucun qu’il soit
ambigu, alors même que deux sources concurrentes sont des entités féminines
(la sorcière et la petite fille). Nous faisons figurer le symbole Ø pour signaler
qu’un mot est manquant et nous notons entre parenthèses les solutions théoriquement possibles :
T4 (CE2). Copie du texte
1. Mais malheureusement la petite fille rata son examen de magie
2. La sorcière n’osa pas la transformer en sorcière
3. Mais la sorcière est obligée Ø
4. Sinon son patron la renverra
5. Et d’un coup elle Ø (? se, la) transforma en chat, en chien, en cheval et bien
d’autres choses
6. Mais la sorcière fatiguée s’endormit
7. Et la petite Ø (? partit, s’échappa, voulut sortir) pour éviter que la sorcière la
transforme en sorcière
8. Mais malheureusement la petite était coincée
9. Car en ouvrant la porte le patron a écouté
10. Et la petite le lui raconte ce qui s’est passé
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
11. Et le patron la laissa partir
12. Et sur son chemin elle rencontra le petit garçon.
Le sujet non réalisé du gérondif de 9 est ambigu : soit c’est la petite fille qui
en ouvrant la porte tombe sur le patron et se retrouve « coincée » ; soit c’est le
patron qui pour mieux entendre ce qui se passe, entrouvre la porte. La reprise
cataphorique de le… ce qui s’est passé laisse peser le doute d’une contradiction
superficielle. Que sait le patron ? Que faut-il lui raconter ? Que sait la petite fille
que sait (ou pas) le patron ?
Sinon, à l’instar de ce que nous avons pu constater dans un texte précédent,
T1, l’opposition de deux protagonistes met en lumière les mécanismes référentiels et la distribution de leurs formes pronominales dans la construction
verbale (2, 4, 5, 9-10, 11).
2.1.3. La belligérance Phrase-Texte dans les écrits scolaires de débutants
Notre exemple T4, utilisé ci-dessus pour ses occurrences de pronoms,
rappelle l’importance de l’invention narrative pour la gestion des marqueurs de
structuration interphrastique (et, mais, car). Ils aident à identifier les séquences
d’évènement et les constituants narratifs. Au double plan lexical et syntaxique,
on aura remarqué la remarquable variété des structures causales, positives
et négatives (2-3-4 ; 5 ; 6-7-8-9-10-11). L’emploi de constructions causatives
comme …la laissa partir (11) ou …pour éviter que la sorcière la transforme en sorcière
(7) sont significatives de l’interférence entre un contenu sémantique qui relève
du plan de l’organisation narrative supérieure (le but, le résultat d’une action)
et une forme d’énoncé dont la construction verbale composée mérite d’être
travaillée en langue.
Il en va très différemment des textes descriptifs qui, si l’on veut y impulser
une organisation, doivent être assortis d’une consigne (la planification d’un
portrait par exemple) ou d’une image. Les deux portraits qu’on va lire ont été
écrits par un étudiant étranger grand débutant :
T5 (orthographe corrigée)
Ma sœur s’appelle Hyerim
Elle a vingt-cinq ans
Elle est chômeuse
Elle veut trouver un travail mais c’est difficile
Elle est petite, gentille et intelligente
Elle aime beaucoup de chats
Mon petit frère s’appelle Min-Suk
Il a dix-neuf ans
Il est militaire
Je pense qu’il est petit, gentil mais gros
Il aime faire du vélo dans la rue
Et il aime monter dans la montagne
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L’effet liste (Masseron, 2005) des deux portraits qui énumèrent, dans un
ordre identique, les traits physiques et psychologiques des personnages nous
semble ressortir d’un modèle syntaxique prégnant. Nous le disons d’autant
plus volontiers que la mise en page et les retours à la ligne sont ceux que nous
trouvons dans la version manuscrite. Faute d’une finalité explicitée ou d’une
trame rédactionnelle facilitante (dans une didactique qui recourt aux écrits
d’apprentissage), l’énumération d’énoncés simples ne fait pas un texte descriptif.
2.2. La question des énoncés complexes et le continuum syntaxique : des
énoncés adjoints aux enchâssements
Selon le point de vue que l’on adopte, la question de la subordination n’est
pas traitée de façon identique ; ni les exemples traités ni les modèles d’analyse
ne se recoupent. La difficulté d’une réflexion qui allie des enjeux de formation
et des enjeux de recherche est celle d’un trop-plein de modèles et d’options.
Les textes qui suivent, T6 et T7, sont des « rapports d’incidents » demandés
aux deux protagonistes d’un épisode d’indiscipline scolaire survenu à la fin
d’un cours d’anglais. Les élèves sont tenus de dire ce qui s’est passé et d’estimer
leur propre part de responsabilité dans l’incident. Comme précédemment,
nous copions le texte après l’avoir corrigé, selon des retours à la ligne qui sont
de notre fait.
T6 (fille, classe de 6e, 11-12 ans)
J’étais en classe d’anglais au cours de
madame B. à 15H30, j’etais
en train de remettre mon pantalon dans
mais botte, quand thomas.B à prit
son carnet de correspondance quand est il
me taper sur la têté avec son carnet,
je luis est dire arrête au moins 4 fois
il continuer alors je les pousser dousen
doucement, et il ma prit il ma étrangler
à et après il ma donné un gros coup
de pied dans les côtés, je suis tomber
par terre est je n’arriver plus
à respirer est noufeila, laura, Sabrina.S et
Julian est étais à côuté de moi il
mon demander ques quesque j’avais
et après la prof d’anglais en et venu
et x c’est la fin.
Copie de T6
1. J’étais en classe d’anglais au cours de Madame B.
2. à 15h 30 j’étais en train de remettre mon pantalon dans mes bottes
3. 4. quand Thomas B. a pris son carnet de correspondance et il me tapait sur la
tête avec son carnet
5. 6. je lui ai dit « arrête » au moins quatre fois / il continuait
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
7. 8. 9. alors je l’ai poussé doucement et il m’a prise / il m’a étranglée
10. 11. 12. et après il m’a donné un gros coup de pied dans les côtes / je suis tombée
par terre et je n’arrivais plus à respirer
13. 14. et Noufeila, Laura, Sabrina et Julian étaient à côté de moi, ils m’ont
demandé qu’est-ce que j’avais
15. 16. et après la prof d’anglais est venue et c’est la fin
Le même incident est rapporté ci-dessous par le deuxième protagoniste :
T7 (garçon, classe de 6e)
On été en court d’anglais puis a la fin je parler avec
Roland et jeme suis déplacé vers ma prof
Et natelia ètait accoter delle sans fair esprés
puis je lui et donner un petit coups derrière la tête
avec mon carnet de correspondance, puis elle ma pousser
et je me suis ratraper sur une/table.
Je me suis rélevés un peu, alord je l’ai repousé
et elle ma pris au coup elle a du vouloir peut-être
maitrangler alors j’ai lever mon genou pour lui
maitre dans la jambe puis elle s’est rétournet
et elle se les pris dans le ventre puis elle a
pleurait.
Copie de T7
1. On était en cours d’anglais
2. 3. puis à la fin je parlais avec Roland et je me suis déplacé vers ma prof
4. et Natelia était à côté d’elle sans faire exprès
5. puis je lui ai donné un petit coup derrière la tête avec mon carnet de correspondance
6. 7. puis elle m’a poussé et je me suis rattrapé à une table
8. 9. 10. je me suis relevé un peu alors je l’ai repoussée et elle m’a pris au cou
11. 12. 13. elle a dû vouloir peut-être m’étrangler alors j’ai levé mon genou pour lui
mettre dans la jambe
14. 15. puis elle s’est retournée et elle se l’est pris dans le ventre
16. puis elle a pleuré
Les copies de T6 et T7 permettent d’envisager, si modestement que ce soit,
la grammaire intuitive des élèves sous l’angle de la formation des énoncés
complexes. Ci-dessus, la numérotation double (Texte 6 : 3-4, etc.) ou triple
(Texte 7 : 11-12-13) et les connecteurs figurant en non-italiques (alors, et, puis)
et les barres obliques que nous ajoutons parfois permettent de repérer comment
procède la formation des énoncés complexes. Ce sont des énoncés binaires, qui
obéissent à des patrons pragmasyntaxiques, par exemple l’action et son résultat,
l’action et son but, etc., dans le cadre d’une scène spatiotemporelle identifiée
et permettant d’isoler les actions dans leur successivité (puis, et). Une action
identifiée comme « déclenchante » et rapportée comme telle dans T6 est initiée
par quand, sans que l’enchainement avec et (T6 : 3-4) soit tout à fait recevable
au plan grammatical.
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Caroline Masseron
C’est la copie dans T6 de l’enchainement 3-4 qui manifeste un défaut de
liant ou de cohésion : quand Thomas a pris son carnet de correspondance et il me
tapait sur la tête avec son carnet. La redénomination de l’anaphore (son carnet
de correspondance => son carnet) et le choix de l’imparfait (tapait) rendent le
deuxième segment peu compatible avec le cadre de structure quand… et… que
l’on devrait pouvoir rattacher à la situation donnée en 1-2, pour former une
période liée. Au lieu de cela, le scripteur fragmente des noyaux d’actions qu’il
recompose ensuite sur un mode énumératif et chronologique.
Dans T7 nous avons marqué « sans faire exprès » pour noter que la « portée »
de l’expression est difficile à interpréter et rattacher à un protagoniste ; soit
l’erreur est lexicale (au lieu de « sans intention préméditée », sans faire exprès
signifie « par hasard », « le hasard l’avait mise là »), soit l’erreur est syntaxique
(« sans le faire exprès je lui ai donné un coup ») et dans ce cas non compatible
avec l’enchainement de puis (5).
Ajoutons une dernière observation sur la syntaxe des énoncés complexes,
concernant le discours rapporté : en T6 (13-14), le français parlé transparait sous
l’enchainement qui procède à la fois d’un détachement et d’une reprise du sujet
(et Noufeila, Laura, Sabrina et Julian, ils…) et du morphème de l’interrogation
directe (qu’est-ce que) mais non standard dans une interrogative indirecte (ils
m’ont demandé qu’est-ce que j’avais).
Quoi qu’il en soit, on aura remarqué combien T6 et T7 sont exemplaires de
ces productions narratives de jeunes élèves où s’avère très délicate la décomposition analytique des actions, lors d’un procès de bagarre comme dans le cas
présent. Le lexique verbal des mouvements et des coups portés nous parait au
moins aussi décisif (pousser, repousser, attraper, se rattraper, etc.) que la structuration des faits (T7 : puis, puis, puis) qui reconstruisent l’incident.
Pour clore provisoirement le chapitre des énoncés complexes, nous citerons,
sous T8, un rapport d’incident produit cette fois par une élève de 14-15 ans 6. On
y constatera la disparition quasi-complète de tout cadrage temporel (et de son
inscription narrative) et l’adoption d’un point de vue. Les relations causales y
sont en revanche explicites (X s’est passé à cause Y). T8 relève du genre « conversationnel » : les paroles et les actes y sont intimement mêlés.
T8 Un rapport isolé (fille, classe de 3e)
Madame,
Si je me suis battue c’est a cause
des rumeurs qu’il y a eu, soit disant
qu’il m’aimé pas quel me mentent
et tout alors on se explique en
parlent mais sa à degenerai et on
c’est battue.
6
Comme T6 et T7, nous empruntons T8 au recueil constitué par un étudiant, R. Chekri.
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
Copie de T8
Madame
1. Si je me suis battue c’est à cause des rumeurs qu’il y a eu
2. Soi-disant qu’il m’aimait pas
3. Qu’elles me mentent et tout
4. 5. 6. Alors on s’est expliqué en parlant mais ça a dégénéré et on s’est battu
Le scripteur de T8 poursuit le but d’exposer un raisonnement et ce faisant
de justifier un comportement. L’auteur argumente pour faire comprendre – et
faire excuser – qu’il y ait eu « bagarre ». La grammaire intuitive des liens de
cause à effet est inspirée de ce que l’oral produirait. On imagine sans difficulté
comment la prosodie et l’intonation suppléeraient à l’enchainement non standard de l’énoncé 3.
3. Conclusion : perspectives de travail
Nous nous sommes efforcée tout au long de cette contribution d’illustrer
le fait que la grammaire scolaire telle qu’on la trouve aujourd’hui dans divers
manuels et telle que les instructions officielles en préconisent les objets et les
méthodes, est inadaptée aux besoins des élèves, de la langue qu’ils parlent,
c’est-à-dire des tours qu’ils maitrisent (grammaire première et intuitive) ou de
ceux qu’ils ignorent (grammaire seconde).
Les productions d’élèves nous aident à interroger la question des erreurs
syntaxiques. Outre le fait que ces erreurs sont moins nombreuses qu’on pourrait l’imaginer, ces erreurs finalement se réduisent à deux familles. La première
famille regroupe les erreurs marquées : rection du verbe, choix des prépositions,
complétude de l’énoncé et ellipse, morphologie et graphie de l’enchâssement,
par exemple, sous l’effet d’une approximation paronymique : où et d’où, dont et
que, qu’il et qui le. La seconde famille échappe partiellement à la morphosyntaxe
et répertorie les problèmes d’agencement de période, prenant notamment en
compte les phénomènes liés à la parataxe, qu’il s’agisse de la juxtaposition ou
de la coordination, où nous retrouvons les manifestations d’une belligérance
entre l’ordre de la phrase et l’ordre du texte.
En l’état, il est difficile de conclure autrement qu’en esquissant les grandes
lignes d’un programme de travail. Trois axes nous paraissent aujourd’hui prioritaires : ils s’établissent autour de trois objets d’étude, les productions d’élèves
analysées d’un point de vue linguistique, les modèles d’analyse syntaxique à
diversifier et choisis pour la clarté des objectifs qu’ils poursuivent, et la poursuite des discussions terminologiques dans le but d’alléger l’outillage tout en
lui maintenant sa fonctionnalité. Les conditions seraient alors peut-être réunies
pour envisager une progression d’enseignement grammatical centrée sur des
notions noyaux, qui intègre en connaissance de cause des progressions parallèles
dans les domaines connexes mais liés de l’orthographe, du lexique et des textes.
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Caroline Masseron
3.1. Formation et recherche. Analyse linguistique des productions d’élèves, à
l’écrit et à l’oral. Identification de besoins langagiers et de leur domaine d’étude
(lexique, syntaxe, etc.). Détermination des variables : genres de texte, âge et
étape de développement. Protocole d’observation et méthodologie d’analyse.
3.2. Élargissement des modèles d’analyse syntaxique et explicitation d’objectifs
éventuellement divergents : nécessité d’une syntaxe élémentaire pour l’acquisition des règles orthographiques de variation et d’accord, interface syntaxe-sémantique, macrosyntaxe, grammaire fonctionnelle, grammaire de construction.
3.3. Changement de perspective terminologique : ne pas entériner la tradition
mais identifier des faits de langue qu’on a besoin de « nommer » et alléger la
terminologie existante. Emprunter les appellations de construction verbale
(transformer quelqu’un en…) et de dispositif (c’est lui qui… ; il y a quelqu’un, quelque
chose, qui…).
3.4. Une progression effective : notions noyaux.
Sommairement on pourrait ébaucher une répartition de la matière d’enseignement qui associerait, sous les auspices de la linguistique textuelle, un genre
de discours à une notion noyau et qui, pour un enseignement progressif, du CE2
à la classe de seconde, ferait l’objet d’une conception approfondie sur le double
volet des énoncés (oraux ou écrits) à travailler et des écrits d’apprentissage, ces
derniers nettement dissociés des « exercices » et manipulations grammaticales.
Les genres indiqués ne se suivent pas, ils coexistent, ce serait aux concepteurs
de programmes d’indiquer précisément selon quels tuilages.
– Les genres narratifs et la temporalité (les temps de l’indicatif, les marqueurs
temporels, la succession d’actions, etc.).
– Les genres descriptifs et les unités locatives.
– Les genres argumentatifs et la causalité.
– Les genres explicatifs et la comparaison (étude comparative de deux
objets).
– Les genres conversationnels et le discours rapporté.
Certains domaines d’étude y seraient transversaux : on pense tout particulièrement à la ponctuation, à l’énonciation et à la gestion des savoirs partagés,
des contenus implicites ou explicites (progression thématique et dynamique
informative).
Quant aux faits de langue et la microsyntaxe, on suggèrera trois principes,
quels que soient les objets grammaticaux étudiés :
– La langue des élèves et la prise en compte des usages parlés et des degrés
de maitrise,
– L’interface sémantique-syntaxe et la prise en compte des réalisations
lexicales,
– L’idée d’un continuum syntaxique qui va de la prédication centrale aux
dispositifs en qui et que, pour aller ensuite vers les éléments plus périphériques
qui engagent davantage les écrits d’apprentissage et les genres de discours
(supra).
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Contradictions et nécessités de l’enseignement de la grammaire
Les conséquences sur les programmes d’enseignement sont non négligeables, dès lors que l’on accepte l’idée de procéder par étapes et de décomposer la matière grammaticale, en lui assignant des objets à privilégier selon
une programmation qui tienne compte des seuils d’acquisition, des genres de
discours pratiqués en dominante et des niveaux de complexité et d’abstraction
que l’on souhaite atteindre dans l’étude des faits de langue.
De telles perspectives sont « lourdes », engageant sur la durée un travail
commun fondé sur des collaborations effectives et polyvalentes (enseignants,
formateurs, chercheurs), un calendrier adapté à la complexité des travaux, un
moratoire durable et assumé de l’édition et des programmes scolaires, mais aussi
et peut-être surtout une volonté politique d’engagement financier et institutionnel, étant donné les enjeux sociaux fondamentaux qui demeurent attachés
à notre discipline et à la langue française.
Orientation bibliographique
Manuels contemporains consultés
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Hachette.
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Bordas.
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