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Les relations entre l’Etat et la tribu en Afrique : Psychologie sociale des
relations intergroupes chez Charles Robert DIMI
Gustave Adolphe MESSANGA
Université de Dschang
Département de Philosophie-Psychologie-Sociologie
messangagustave@yahoo.com
Résumé
Cet article présente une méta-analyse de l’une des problématiques phares de l’œuvre de Charles
Robert Dimi : les relations entre l’Etat et la tribu. Ces deux entités, condamnées à coexister dans les
Etats africains postcoloniaux vivent une cohabitation conflictuelle qui prend leurs membres en étau
entre des sollicitations différentes, voire contradictoires. Considérant les relations entre ces deux
entités comme des relations intergroupes, la présente analyse fait recours aux principales approches
théoriques des relations intergroupes (théorie des conflits réels, théorie de l’auto-catégorisation
sociale, théorie de l’identité sociale et théorie de la dominance sociale) pour en rendre compte. Dans
la perspective de la dominance de groupe notamment, elle va au-delà de l’analyse des conflits Etattribu, pour s’intéresser à la coexistence chaotique des tribus au sein de l’Etat.
Mots clés : Etat, tribu, psychologie sociale des relations intergroupes, conflit, dominance de
groupe.
Abstract
This article presents a meta-analysis of one of the headlights problems in Charles Robert Dimi’
work: relations between the State and the tribe. These two entities, condemned to coexist in the
post-colonial African States, live a conflict cohabitation which takes their members out of vice
between different, even contradictory requests. Considering the relations between these two entities
as intergroup relations, the present analysis uses the main theoretical models of intergroup relations
(real conflict theory, theory of self categorization, theory of social identity and theory of social
dominance) to give an account of these relations. In the group dominance perspective in particular,
it goes beyond the analysis of the State-tribe conflicts, to analyze the chaotic coexistence of tribes
within the State.
Key words: State, tribe, social psychology of intergroup relations, conflict, group dominance.
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En Afrique, l’Etat sous sa forme moderne, est une transposition du système politique européen sur le sol
africain ; la transposition coïncide avec le début de la colonisation dont le principe actif est de diviser
pour mieux régner. L’application dudit principe, en Afrique, se traduit par la création, par les
puissances coloniales européennes, des ensembles territoriaux “nationaux” qui regroupent
(jusqu’aujourd’hui), chacun, une mosaïque de tribus. Le trait distinctif de l’Etat colonial voire postcolonial africain est sa disharmonie, corollaire de son extériorité. (Dimi, 1994 : 45)
Cet auteur relève que ces ensembles territoriaux sont loin d’avoir neutralisé les entités
ethniques qui, plus d’un siècle après la conférence de Berlin, qui a scellé la balkanisation du
continent africain, continuent d’aspirer « à une manifestation de soi totale en fournissant à chacun
de [leurs] membres le principe qui règle toutes les relations sociales ou la plupart d’entre elles. Tout
se passe comme s’il y avait “autonomie dans l’autonomie” » (Dimi, 1994 : 45-46) Ce sursaut des
tribus, dans un contexte de cohabitation conflictuelle entre tribus et Etat, amène à se demander si
leur autonomie n’a pas pour conséquence la diminution de l’expression de l’Etat africain, conçu
comme une puissance souveraine ? Autrement dit, Dimi (1994 : 46) s’interroge sur les liens entre
« la présence persistante et obsédante des tribus sur la scène politico-administrative » et « la
tribalisation de l’Etat africain. » Pour lui, la mise en évidence de ce lien passe par « une dialectique
à la fois négative et positive », dont les moments principaux sont : 1) la démonstration de
l’extériorisation destructrice de la tribu par l’Etat ; 2) l’analyse du déploiement de la tribu dans le
sens de son autoconservation, par le biais de la cristallisation du moi collectif en chacun de ses
membres ; 3) l’examen de l’encerclement de l’Etat par la tribu ; et 4) les solutions à mettre en
œuvre pour la construction d’un Etat africain véritable.
La présente recherche suit cette démarche, en posant toutefois que les deux entités en
situation conflictuelle ont un point commun : leurs sujets-membres. Ceux-ci sont à la fois des
citoyens d’un pays et les membres d’une ethnie. Cela suggère que le conflit qui les oppose est
d’abord d’ordre psychique, puisque leurs membres sont écartelés entre l’individualisme que
promeut l’Etat et les grégarisme dont la tribu est le chantre. On peut donc considérer que le
problème posé par Dimi (1994 ; 2005) se prête bien à une analyse psychologique en général, et une
analyse psychosociologique en particulier. En effet, les sollicitations croisées de l’Etat et de la tribu
exigent des individus qu’ils opèrent des choix catégoriels et identificatoires, soit dans certaines
situations spécifiques, soit dans une perspective intersituationnelle. De même, les appartenances
catégorielles ethniques étant distinctes les unes des autres, il se pose le problème de la conflictualité
dans les relations intergroupes ethniques. Etant donné que ces conflits intergroupes ethniques sont
déterminés par le désir de chaque groupe d’acquérir et de contrôler les ressources, on peut les
analyser dans la perspective de dominance de groupes. Ainsi, la présente étude propose une analyse
des relations entre l’Etat et la tribu, telles qu’elles sont posées dans l’œuvre de Charles Robert Dimi,
dans une perspective psychosociale, en faisant recours à la théorétique des relations intergroupes.
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Les relations entre la tribu et l’Etat : analyse théorique des relations intergroupes
En psychologie sociale le groupe est défini comme un ensemble de personnes qui se
conçoivent comme membres de la même catégorie (Tajfel & Turner, 1986). Ces individus attachent
une valeur émotionnelle à cette définition d’eux-mêmes et ont un certain niveau de consensus relatif
à l’évaluation de leur groupe et à leur appartenance à cette entité. Ainsi, l’existence du groupe
dépend de la conscience d’appartenance à la même catégorie chez ses membres. C’est pourquoi, les
comportements intergroupes sont tout acte produit par un ou plusieurs individus à l’égard d’une ou
de plusieurs personnes, basé sur l’appartenance des uns et des autres à différentes catégories
sociales.
L’analyse théorique des relations intergroupes a pris son essor après la deuxième guerre
mondiale, notamment quand les psychosociologues ont voulu apporter une réponse à la question
suivante : comment peut-on comprendre les forces qui se sont agrégées pour planifier et exécuter
une horreur comme l’holocauste ? On peut se poser la même question pour le génocide rwandais,
qui consistait en une épuration ethnique. Les explications qu’apporte la psychologie sociale
permettent de comprendre l’évolution des relations intergroupes vers des rapports conflictuels
plutôt qu’harmonieux, à l’image des relations entre Etat et tribu. Les théories qui rendent le mieux
compte de ces phénomènes se situent dans la perspective de l’identité (théorie des conflits réels,
théorie de l’identité sociale, théorie de l’auto-catégorisation, et théorie de la dominance sociale). La
présente analyse y fait recours.
Les relations entre tribu et Etat : un problème de conflits réels ?
Pour Dimi (1994), l’Etat et la tribu ont une différence de degré et non de nature. Le premier
est une société possédant des organismes politiques, juridiques et administratifs souverains. Il
exerce le gouvernement des choses et des personnes dans un territoire national déterminé. Il
exprime autant que possible l’intérêt général et fonde son pouvoir, en principe tout au moins, sur
l’adhésion de la majorité des citoyens acquise notamment par le biais du suffrage universel dans les
sociétés démocratiques. La seconde est une communauté d’individus ayant une langue, des
coutumes et une organisation sociale en partage. Ces individus qui admettent qu’ils descendent d’un
ancêtre commun réel ou mythique partagent, par conséquent, des liens qui sont de l’ordre de la
consanguinité. Il en découle que si l’Etat apparaît comme une entité hétérogène, précisément parce
qu’il est généralement constitué d’une mosaïque de peuples n’ayant souvent pour point commun
que le partage de la même nationalité, ce n’est pas le cas pour la tribu. En effet, celle-ci apparaît
comme une entité homogène (Abouna, 2011), puisque ses membres ont un héritage culturel,
politique et historique commun. A l’analyse, les caractéristiques de ces deux entités qui coexistent
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dans les Etats africains postcoloniaux laissent supposer la quasi-impossibilité pour elles de
cohabiter pacifiquement. Qu’en est-il dans les faits ?
Dimi (1994 ; 2005) présente les rapports entre les entités étudiées ici comme conflictuels,
chacune se montrant belliqueuse à l’égard de l’autre. Dans la genèse de ce conflit, l’Etat apparaît
comme celui qui a engagé les hostilités. En effet, l’Etat en Afrique est l’émanation de la volonté des
puissances coloniales. Il est donc perçu comme « la chose des blancs. » (Dimi, 1994) Cette
expression qui appartient à l’imagerie populaire met en lumière son caractère extérieur. Il est « une
excroissance historico-politique » dont seul le colonisateur qui en est l’architecte et le principal
bénéficiaire connaît la quintessence. Outre cette caractéristique, il s’est construit avec pour visée la
restructuration de la société tribale conquise. En clair, l’auteur relève que les colonisateurs ont
entrepris de réorganiser et de remodeler les indigènes dans l’optique de les amener à accepter la
domination qu’ils subissaient comme une nécessité naturelle. Cette domination se fait dans une
logique d’aliénation consistant en une projection du dominant sur le dominé, avec pour objectif la
transformation du second à l’image du premier. En effet, pour l’auteur, « la colonisation est mise
entre parenthèses de l’autre aussi bien dans son universalité que dans sa personnalité – la vérité de
son être est niée. Ce qui permet de justifier sa domestication par la méditation, entre autres, de l’Etat
comme force organisée et concentrée » (Dimi, 1994 : 47). Dans une certaine perspective :
L’ethnicité serait une maladie grave, responsable en grande partie des malheurs de l’Afrique. Il
conviendrait donc de l’éradiquer, comme on tente de le faire pour les grandes endémies. Cette vision
est proprement d’origine coloniale. Elle présente l’Afrique comme un ensemble disparate de
«tribus», naturellement hostiles les unes envers les autres. Elle met l’accent sur l’univers étroit et
primitif que porterait l’ordre tribal qu’il faudrait faire voler en éclat pour rendre possible le
développement et permettre l’intégration nationale. Mais comme les Africains seraient naturellement
et fondamentalement «ethniques» il y aurait, explique cette thèse, une résistance structurelle de ceux-ci
à se débarrasser de ces identités traditionnelles, si fortement ancrées dans leur univers mental et social.
(Coulon, n.d. : 3)
L’attaque subie par la tribu n’est pas restée sans riposte. En effet, Dimi (1994) affirme que
l’assaut de l’Etat contre la tribu est suivi du sursaut de la tribu qui, dans un premier temps fait
recours à des mécanismes de défense contre l’assaillant, puis, dans un second temps, rentre dans
une logique plus offensive en l’encerclant. Le sursaut de la tribu se manifeste par le fait que les
liens de consanguinité continuent d’avoir une certaine importance dans l’Afrique contemporaine.
En effet, on observe que le lien entre l’individu et la famille élargie subsiste, même si on peut
constater qu’il n’a plus sa force d’antan. Par conséquent, il y a chez chaque individu un besoin
impérieux de sauver le moi groupal du chaos dans lequel il risque d’être précipité si non. La
préservation du moi groupal constitue la rampe de lancement de la stratégie offensive de la tribu
contre l’Etat. Cette stratégie que l’auteur considère comme un encerclement se manifeste par la
présence envahissante de la tribu dans la gestion des affaires publiques. Cette situation s’explique
par le fait que la tribu est omniprésente dans la vie personnelle et sociale de ses membres, par
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ailleurs agents de l’Etat. Ainsi, on peut estimer qu’il n’y a pas un mais plusieurs Etats dans l’Etat,
précisément parce que les habitants des Etats africains postcoloniaux ne constituent pas un peuple
au sens strict de ce terme. Pour l’auteur (1994 : 52) :
En Afrique, aux lieu et place du peuple, on a à faire à une multitude. Chacun est ‟un particulier
groupal” qui s’érige, quand les circonstances l’exigent, anarchiquement au rang de sujet. Résultat :
absence d’un esprit public véritable et de société civile puisque les lois qui régissent ceux-ci tombent
toutes en désuétude, à peine promulguées. Nous expliquons cela, pour notre part, par le fait que la
communauté tribale dans laquelle chaque africain est ancré, est loin d’être une société en tant que telle.
Celle-ci […] ‟réunit un certain nombre d’individus, qui, comme dans la communauté, vivent les uns à
côté des autres, mais n’ayant entre eux aucun lien réel”.
Les éléments développés dans les pages précédentes indiquent que les relations entre l’Etat
et la tribu en Afrique peuvent être analysées dans la perspective de la théorie des conflits réels
(Shérif, Harvey, White, Hood, & Shérif, 1961). Elle est la première approche des relations
intergroupes qui se démarque explicitement des conceptions précédentes, centrées sur l’analyse des
relations intergroupes à partir des caractéristiques dispositionnelles de leurs membres (Adorno,
Fenkel-Brunswik, Levinson, & Stanford, 1950). La thèse qu’elle défend est qu’on ne peut pas faire
des extrapolations entre les dispositions individuelles et les caractéristiques des situations de
groupe. Pour en apporter la preuve empirique, les auteurs conduisent une série d’expériences en
milieu naturel, dont notamment la fameuse « Robber’s Cave experiment ». Cette étude qui en
constitue l’observation de base est menée dans un camp de vacances pour enfants. Son but est
d’analyser la formation des groupes, la compétition intergroupe et la réduction des conflits
(Valentim, 2010). Elle met à l’épreuve l’hypothèse suivante : si deux groupes sont amenés à
entretenir des relations fonctionnelles dans des conditions de compétition et de frustration, des
activités hostiles à l’égard de l’exogroupe et de ses membres sont susceptibles d’apparaître, de se
standardiser et d’être partagées à divers degrés par les membres du groupe. Cette hypothèse
s’appuie sur les relations fonctionnelles intergroupes. En effet, quand deux groupes sont impliqués
dans une situation d’interdépendance négative, c’est-à-dire quand un seul d’entre eux peut atteindre
un objectif qui est également important pour son homologue, un conflit d’intérêts est inévitable. La
conséquence en est que les relations intergroupes sont marquées non seulement par un fort
antagonisme, mais aussi par un endofavoritisme qui s’appuie sur une solidarité intragroupe accrue.
En revanche, quand les groupes ont besoin l’un de l’autre pour atteindre un objectif commun,
l’hostilité à l’égard de l’exogroupe diminue, à la faveur d’une représentation plus favorable de ses
membres. Il en résulte que les relations intergroupes deviennent plus harmonieuses. Au plan
théorique, cette explication permet non seulement la compréhension de l’effet de l’incompatibilité
des intérêts sur la lutte pour les biens matériels (ressources naturelles et territoire) ou symboliques
(pouvoir, prestige et autorité) entre les groupes, mais aussi la résolution des conflits intergroupes
dans différents domaines et contextes.
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L’analyse des relations entre Etat et tribu indique que ces deux entités sont en situation de
conflits d’intérêts, d’où la pertinence de la théorie des conflits réels comme grille de lecture. En
effet, les deux entités s’affrontent parce que leurs objectifs sont à ce point différents qu’ils peuvent
être considérés comme contradictoires. L’intérêt de l’Etat est de faire assimiler et accepter la notion
de citoyenneté aux individus. La question de la citoyenneté est au centre du procès de l’Etat-nation :
il faut que l’individu accepte de se déterminer dans son rapport aux droits et obligations définis par
les lois et règlements en vigueur au sein de l’Etat (Dimi, 2005). Ce faisant, la citoyenneté résoudrait
le problème de l’intégration sociale, en faisant en sorte que :
l’individu bénéficie de l’égalité devant la loi, de la sécurité et de la liberté grâce à un contrat social qui
le transforme en membre authentique du corps politique. Les individus se constituent en nation en
devenant une communauté historiquement déterminée, affirmant son existence au sein d’un territoire,
grâce à une langue commune et à un tissu de rapports économiques et culturels. Le concept de nation
est donc un concept à géométrie variable : les affinités que les hommes ont entre eux tiennent à des
éléments communs à la fois objectifs (race, langue, religion, mode de vie) et subjectifs (souvenirs
communs, sentiment de parenté spirituelle, désir de vivre ensemble) qui les unissent et les distinguent
des hommes des hommes appartenant aux autres groupements nationaux. (Dimi, 2005 : 149)
Les intérêts de la tribu et ceux de l’Etat ne sont pas communs, loin s’en faut. En effet, les
Etats africains postcoloniaux sont des mosaïques de tribus qui, loin de militer pour l’érection d’un
Etat-nation, exacerbent au contraire, les nationalismes tribaux. Dans cette logique, l’ambition de
chaque tribu est de se constituer en un Etat dans l’Etat. Pour ce faire, elle amène ses membres
(nous) à sauver leur moi groupal du chaos dans lequel ils veulent cependant précipiter leurs vis-àvis (eux), membres des autres tribus (Dimi, 2005). Il est évident que cette démarche qui tend à
conforter la tribu se fait au détriment de l’unité nationale que suppose tout Etat véritable. Etant
donné que les rapports interindividuels sont influencés non pas par les caractéristiques
personnologiques des protagonistes, mais par leurs appartenances catégorielles ethniques,
l’intersubjectivité des individus est lacunaire. En effet, l’enfermement dans lequel sa tribu se trouve
achève de l’éloigner des membres des exogroupes ethniques, pour se concentrer sur les membres de
l’endogroupe, suivant la logique de la solidarité intragroupe accrue en situation de conflit
intergroupe (Valentim, 2010).
En accord avec la perspective théorique des conflits réels, s’il y a éventuellement nécessité
de s’allier à un exogroupe ethnique, l’alliance se fera toujours sur la base d’une recherche de
renforcement de l’autosuffisance de chacune des entités ethniques en lice (dépendance fonctionnelle
intergroupe). Dans la perspective de la théorie des conflits réels, ces relations intergroupes qui
s’engagent sur la base de l’exploitation de l’autre à ses propres fins ne peuvent permettre de réduire
les conflits. Cette théorie propose, en effet, que le contact ou l’ouverture de canaux de
communication intergroupe, dans le but de réduire le conflit, ne sont pas suffisants en soi si le
contact entre des groupes hostiles l’un à l’autre ne se fait pas sous l’auspice de buts communs à
atteindre, et non de l’exploitation de la force de travail d’un groupe au profit d’un autre. Bien au
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contraire, ces canaux de communs serviront davantage à véhiculer accusations et récriminations
(Shérif, 1958/2001, repris par Valentim, 2010).
A l’analyse, le conflit entre Etat et tribu apparaît comme un conflit intergroupe d’un type
particulier. En effet, généralement, dans les situations intergroupes, comme c’est le cas dans la
« Robber’s Cave experiment », ou les situations de type groupe minimal (Tajfel, Billig, Bundy, &
Flament, 1971), les deux ou plusieurs entités en présence se distinguent l’une de l’autre, entre
autres, par leurs membres. Autrement dit, les individus appartiennent uniquement à l’un des
groupes. Or, dans le cas présent, les individus appartiennent aux deux groupes. En clair, ils sont à la
fois membres de l’Etat et membres de la tribu, d’où la nécessité de relever le fait qu’ils sont pris en
étau entre un Etat qui les sollicite en tant que citoyens, sujets individuels soumis à des lois et
règlements, et la tribu qui les sollicite en tant qu’êtres grégaires, sujets dont la mission est
d’acquérir et de sauvegarder le moi groupal. Au plan psychique, comment cette situation
potentiellement génératrice de dissonance cognitive (Festinger, 1957) est-elle vécue et résolue ?
La double appartenance des individus à l’Etat et à la tribu : catégorisation et identité sociales
La double appartenance des individus à l’Etat et à la tribu leur pose, à l’évidence, des
problèmes de catégorisation et d’identité sociales. Dans les recherches classiques sur la
catégorisation sociale, les participants appartiennent à un seul des deux ou plusieurs groupes en
présence. Cela signifie que l’appartenance à ce groupe implique forcément la non appartenance aux
autres groupes. Cependant, dans la réalité, les individus appartiennent en même temps à plusieurs
catégories qui s’entrecroisement, d’où la notion de catégorisation croisée qui rend compte de
l’appartenance simultanée des individus à deux ou plusieurs catégories. Dans le cas des
appartenances catégorielles croisées, on devrait théoriquement s’attendre à un conflit entre les
tendances à l’accentuation des ressemblances intragroupes (biais d’assimilation) et à l’accentuation
des différences intergroupes (biais de différenciation) (Deschamps & Doise, 1979). Ce conflit
devrait avoir pour conséquence la réduction du phénomène de discrimination. En clair, dans le cas
étudié ici, on s’attend à ce que malgré le fait que les individus appartiennent à des tribus différentes,
l’appartenance au même pays réduise la discrimination basée sur l’ethnie. Or, ce n’est
manifestement pas le cas, en témoigne par exemple, le tribalisme d’affrontement entre Béti et
Bamiléké au Cameroun (Onana Onomo, 2002) ou les préjugés réciproques entre les anglophones et
les francophones dans ce pays (Messanga & Dzuetso Mouafo, 2014).
En réalité, les appartenances catégorielles croisées des individus entre l’Etat et la tribu les
confrontent à des sollicitations différentes voire contradictoires qui les poussent inévitablement vers
la nécessité de choisir entre le statut de citoyen que leur propose l’Etat et celui de sujet tribal que
leur propose la tribu. Dans le cas où leur pays fait face à un autre pays, on peut estimer qu’ils
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pourraient procéder à une catégorisation pyramidale (Renard, Doraï, & Roussiau, 2006), puisque
celle-ci s’appuie sur des critères d’inclusion transcendant les divisions ethno-régionales. En
revanche, dans le cadre des relations intragroupes, à l’intérieur du même pays, les clivages
intergroupes sont pris en compte. Dans cette logique, la question à laquelle les individus doivent
répondre est la suivante : l’Etat ou la tribu ? (Dimi, 1994)
Selon la théorie de l’identité sociale, les individus segmentent, classent et ordonnent leur
environnement physique et social en catégories, fondées sur la similitude entre les sujets qui les
constituent (Renard, Doraï, & Roussiau, 2006). La catégorisation sociale leur permet de se définir
comme membres de groupes au sein de la structure sociale. La notion de groupe renvoie ici à un
ensemble d’individus qui se considèrent comme des membres de la même catégorie sociale, et qui
partagent la signification émotionnelle et évaluative résultant de cette appartenance (Tajfel &
Turner, 2001). Il fournit à ses membres des repères pour leur identification. En général, les
identifications sont à la fois relationnelles et comparatives. En effet, elles définissent les individus
comme « similaires à…ou différents de… » ; ou comme « meilleurs ou pires… » que les membres
des autres groupes. La notion d’identité sociale en découle. Elle fait référence à la partie du concept
de soi des individus, qui émane de la connaissance de leur appartenance à un groupe social, associée
à la valeur et à la signification émotionnelle de cette appartenance (Bourhis, Cole, & Gagnon,
1992). Ainsi, dans quel groupe les individus s’auto-catégorisent-ils ? A quelle entité s’identifientils ?
La réponse à ces questions est sans équivoque :
L’Africain est, à bien des égards, hostile à l’Etat, comme à la modernité authentique. L’hostilité
consiste en ce qu’il rejette tout repère identificatoire qui pourrait le définir comme citoyen, c’est-à-dire
comme individu qui a des droits et des devoirs définis par un ensemble de lois ayant une valeur
objective universelle. Il considère le pouvoir de l’Etat comme dépersonnalisant, alors que la tribu lui
assure la sécurité, puisqu’elle lui interdit de définir l’autre dans un rapport de réciprocité. C’est que la
tribu, selon P. CASTORIADIS-AULAGNIER, ‟demeure la structure d’accueil de la personnalité
authentique” […] que l’Etat, par contre, recherche à transcender. (Dimi, 1994 : 51)
Ainsi, entre l’Etat et la tribu, les individus choisissent la tribu, c’est-à-dire une entité
homogène dont les membres partagent une langue, une histoire et une ascendance réelle ou
mythique communes. Ce choix est cohérent avec l’un des postulats de la théorie de l’autocatégorisation qui indique que les catégories sont plus susceptibles d’être à la base de la définition
de soi si elles sont plus ou moins accessibles à un moment, soit parce qu’elles sont toujours
accessibles, dans le cas où elles sont fréquemment activées ou si les individus sont motivés à y faire
recours. Ce recours dépend de leurs expériences passées, attentes, motivations actuelles, valeurs,
objectifs et besoins (Licata, 2007). Or, comme on l’a relevé plus haut, la tribu assure la sécurité au
sujet face à la tentative de dépersonnalisation de l’Etat. Autrement dit, elle le préserve de la
négation de soi, d’où sa préférence pour elle. De plus, l’Etat africain est abstrait, tandis que son vis-
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à-vis, la tribu, est concret et réel. Par ses mythes, son système de tabous, ainsi que ses interdits, elle
exerce sur les individus un contrôle astreignant.
Le choix porté sur la catégorie sociale particularisante qu’est la tribu au détriment de la
catégorie sociale englobante que constitue l’Etat, ne concourt pas à l’érection d’un Etat-nation au
sens envisagé plus haut. En effet, dans le cas où les individus auraient choisi d’être des citoyens,
c’est-à-dire des composantes de l’Etat, on n’aurait alors qu’une seule catégorie sociale incluant tous
les citoyens, et gommant par contrecoup les différences liées aux appartenances tribales. En
s’identifiant à leurs tribus respectives, on en arrive à la segmentation et au classement de
l’environnement physique et social en catégories, fondées sur la similitude entre les sujets qui les
constituent (Renard, Doraï, & Roussiau, 2006). Ces catégories qui sont divisées en groupes
d’appartenance et groupes de non appartenance, participent de la distinction entre « nous » (les
membres de ma tribu et moi) et eux (les membres des autres tribus) qui génère l’endofavoritisme et
de l’exodéfavoritisme (Messanga & Dzuetso Mouafo, 2014). Pour la théorie de l’identité sociale,
ces tendances évaluatives et comportementales mettant respectivement en évidence l’antagonisme
intergroupe et l’attachement à l’endogroupe découlent de l’identification des individus à leur groupe
d’appartenance. Comment cet antagonisme entre groupes tribaux se manifeste-t-il au sein de l’Etat ?
La coexistence chaotique des tribus au sein de l’Etat : la perspective de dominance de
groupe
La stratégie d’encerclement de l’Etat par la tribu évoquée plus haut consiste notamment en
la tribalisation de l’Etat et de l’administration. Ce phénomène aboutit à ce que Geisser (2005)
désigne par la formule ethnicité républicaine. En effet, l’existence même de l’Etat n’est pas
concevable sans un corps de fonctionnaires ou d’agents publics. Ces individus qui ont vocation à
servir partout où besoin est, à l’intérieur du territoire national, subissent l’omniprésence de la tribu
dans leur vie personnelle et professionnelle. Cette dernière, qui aspire à se constituer en Etat dans
l’Etat, profite de l’absence d’un ciment de l’unité nationale (la langue par exemple) pour
instrumentaliser ses membres dans l’optique d’atteindre cet objectif. Ainsi, chaque individu tend à
discerner sa tribalité dans l’Etat et l’administration publique qui, dès lors, deviennent des terrains où
s’expriment les velléités souverainistes tribales. Par conséquent, les affrontements tribaux sont
inévitables. Concrètement, on observe le rejet par les individus de tous ceux qui leur sont étrangers
(exodéfavoritisme), suivant la distinction de l’environnement social en fonction du « eux » et du
« nous ». Ainsi :
Lorsque le conflit ethnique devient une pratique admise, on se trouve dans un cercle vicieux. Chacun
s’attend à trouver en face de soi un tribaliste, et justifie son propre particularisme ethnique comme un
procédé défensif et préventif ou comme un moyen de rétablir l’équilibre détruit par le tribalisme de
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l’autre. Le favoritisme devient endémique, omniprésent, pratiquement inévitable.
1978 : 548, repris par Dimi, 2005 : 151)
(Von den Berghe,
Dans la perspective de la psychologie sociale des relations intergroupes, la situation décrite
ci-dessus s’explique par le fait que la compétition et le désir de surpasser les exogroupes est une
source du traitement différencié entre membres des groupes d’appartenance et des groupes de non
appartenance. Ce traitement différencié, qu’on désigne par le terme « discrimination intergroupe »,
est d’autant plus marqué que la compétition intergroupe rentre dans la logique d’un jeu à somme
nulle, dont l’enjeu est le contrôle de ressources réelles et rares. Dans ces circonstances, étant donné
que les gains de l’une des deux parties sont les pertes de l’autre, l’hostilité intergroupe est
quasiment inévitable. Pour rappel, la théorie des conflits réels, propose que les attitudes et
comportements intergroupes reflètent les intérêts des groupes. Concrètement, si les buts des deux
groupes sont incompatibles, comme dans un jeu à somme nulle, les attitudes à l’égard des
exogroupes sont susceptibles d’être négatives (Liu 2012). Or, l’intérêt de chaque tribu semble à la
fois contradictoire de celui des autres tribus et de l’intérêt général dont l’Etat seul est garant (Dimi,
1994). C’est pourquoi, pour les Africains, qui pour la plupart appartiennent encore à une
communauté tribale, l’Etat est perçu comme une entité contraignante et coercitive. Par conséquent,
les individus s’emploient à se soustraire aux règles objectives et universelles sur la base desquelles
il fonctionne. Par exemple, ils refusent de s’acquitter du paiement de leurs impôts ou utilisent leur
langue maternelle dans le milieu professionnel, de manière à distinguer parmi les usagers des
services publics où ils exercent, les personnes qui appartiennent à l’endogroupe tribal et celles qui
lui sont étrangères. Ces dernières, en raison de leur non appartenance à ce groupe vont faire l’amère
expérience de l’inertie administrative, à moins que par le moyen de la corruption, elles ne puissent
s’en départir.
Les tribus se livrent une lutte à mort pour le contrôle et la maîtrise et de l’Etat et de ses
appareils, en créant notamment des pôles de domination politique et administrative. A
l’observation, on constate que certaines tribus sont plus puissantes que d’autres, formant ainsi une
forme de hiérarchie sociale basée sur l’ethnie. Le modèle que proposent les théoriciens de la
dominance sociale permet de comprendre la création et le maintien de cette hiérarchie, ainsi que ses
effets induits. En effet, la théorie de la dominance sociale soutient que toutes les sociétés complexes
sont caractérisées par l’existence d’une hiérarchie sociale composée d’un ou de plusieurs groupes
dominants et hégémoniques au sommet, et d’un ou plusieurs groupes dominés à la base (Dambrun,
n.d.). Si les groupes dominés se caractérisent par une valeur sociale négative, le ou les groupes
dominants et hégémoniques possèdent une valeur sociale positive disproportionnée. Concrètement,
une valeur sociale positive se manifeste par la possession de l’autorité politique, du pouvoir, des
richesses, d’un statut social élevé, des ressources matérielles et économiques, et l’accès privilégié
11
aux soins de santé et à l’éducation. En revanche, une valeur sociale négative signifie la possession
d’un pouvoir, d’un statut social, et de ressources matérielles et économiques faibles. Il renvoie
également à un moindre accès aux soins de santé, à l’éducation, et plus de sanctions négatives
(prison, peine de mort, etc.). Pour les concepteurs de ce modèle d’analyse, la hiérarchie sociale est
une stratégie adaptative observée chez la plupart des primates et chez l’homme. L’une des ses
fonctions les plus importantes est de faciliter la répartition des ressources, réduire les conflits au
sein de la société, augmenter les chances de survie des membres des groupes sociaux.
Malheureusement, cet aspect positif ne peut masquer le fait que les conflits intergroupes et les
oppressions sociales sont générés par cette hiérarchie sociale fondée sur l’appartenance à des
groupes distincts (Sidanius & Pratto, 2001). Dans les Etats africains postcoloniaux, la hiérarchie
entre les tribus a été conçue par les Colons, qui ont érigé arbitrairement certains groupes au rang de
tribus supérieures, sur la base de ce qu’elles « valent ». Cette hiérarchisation des entités tribales
constitue « une amorce de la tribalisation de l’Etat et de ses catégories socio-professionnelles. »
(Dimi, 1994 : 53)
En accord avec l’un des postulats de la théorie de la dominance sociale, on peut affirmer que
la tribalisation de l’Etat est une pratique qui n’a cours que dans les sociétés qui produisent la plusvalue économique. Sa finalité, pour chaque groupe ethnique, est le contrôle des ressources de l’Etat.
En effet, cette théorie propose que les hiérarchies sociales ont une structure trimorphique
comprenant : a) le système d’âge, dans lequel les adultes ont un pouvoir disproportionné sur les
enfants ; b) le système de genre où les hommes ont un pouvoir social, politique et militaire
disproportionné, en comparaison aux femmes ; c) le système de groupe arbitraire dans lequel les
groupes constitués sur des bases arbitraires, c’est-à-dire des bases non relatives au cycle de vie
humain, ont un accès différencié aux objets sociaux ayant une valeur positive ou négative. Ces
groupes se basent sur des caractéristiques comme l’ethnie, la nationalité, la classe sociale, la
religion ou le clan. C’est la transposition de l’Etat sur le sol africain qui, en redéfinissant les
rapports sociaux jusqu’alors fondés sur le double principe de l’horizontalité (égalité entre membres
de la même classe d’âge) et de la verticalité (soumission des cadets aux aînés, et des femmes aux
hommes), a forcé le passage des systèmes basés sur l’âge et le sexe, au système de groupe arbitraire.
Or, c’est précisément ce système qui pousse les groupes ethniques à se livrer un combat à mort pour
le contrôle des ressources de l’Etat.
En général, il n’existe généralement pas de système de groupe arbitraire au sein des sociétés
« archaïques », dans lesquelles l’activité économique est centrée autour de la chasse, de la pêche et
de la cueillette (Dambrun, n.d.). C’était le cas dans les entités tribales africaines avant l’arrivée du
colonisateur européen. En effet, les sociétés primitives sont caractérisées par le nomadisme. Etant
donné que cette situation les empêche de stocker la nourriture à long terme, elles sont souvent dans
12
l’impossibilité de produire de la plus-value économique. Pour cette raison, une autorité
expropriatrice ne peut s’y former, et le système de groupe arbitraire ne peut y apparaître, sinon de
façon primitive. Les inégalités économiques sont dépendantes du niveau de la plus-value
économique créée par la société. Concrètement, cela signifie que les sociétés primitives,
caractérisées par une économie de subsistance, ont tendance à assurer une répartition équitable des
ressources. En revanche, plus l’économie génère de la plus-value, plus les ressources et le pouvoir
sont susceptibles d’être inégalement répartis (Dambrun, n.d.).
Pour les promoteurs de la théorie de la dominance sociale, l’absence ou la présence d’un
système de groupe arbitraire dans une société est explicable par la notion de surplus économique.
Ce concept proposé par la théorie Marxiste désigne la richesse créée par la technologie et les
instruments de production. Plus ce surplus économique est important, plus la hiérarchie sociale
constituée de groupes arbitraires est susceptible d’apparaître et de se développer dans la société
(Lenski, 1984 cité par Dambrun, n.d.). En effet, il rend possible la création de rôles sociaux qui
facilitent la formation d’une autorité politique expropriatrice (armée professionnelle ou police par
exemple). C’est le cas dans les sociétés se caractérisant par la production d’un surplus économique
important et stable (sociétés basées sur l’horticulture, sociétés grégaires, industrielles et postindustrielles). Les sociétés africaines postcoloniales correspondent aux critères énoncés ci-dessus.
En effet, « les rapports marchands [y] ont désormais investi les rapports sociaux traditionnels.
L’individualisme et l’accroissement des besoins monétaires [sont] amplifiés par la lutte pour le
pouvoir. » (Jacquemot, 1985 : 129-131cité par Dimi, 1994 : 54)
La lutte que se livrent les groupes ethniques pour le pouvoir rentre bien dans la perspective
de dominance de groupe. Ce modèle d’analyse des relations intergroupes propose que 1) les
sociétés tendent à s’organiser en hiérarchies comportant des groupes différant en statut et pouvoir ;
2) la politique est une compétition intergroupe pour l’accès aux ressources symboliques et
matérielles rares ; 3) les groupes dominants s’appuient généralement sur une variété de
représentations collectives (le tribalisme par exemple) pour légitimer l’allocation disproportionnée
des ces ressources à leurs membres, renforçant par contrecoup les inégalités intergroupes (Sidanius
& Pratto, 2001). Il en résulte que les tribus rentrent dans logique de la commensalité en faisant de
l’Etat « une mère nourricière » ou « une communauté alimentaire » que l’expression gâteau
national rend bien. Pour chaque tribu et ses membres, Le partage de ce gâteau implique
l’occupation des postes-clés dans l’administration (Dimi, 1994). Au Cameroun par exemple, à titre
illustratif, les memoranda qu’adressent parfois les populations des diverses régions du pays aux
autorités politiques comportent souvent des revendications sur ce point. Le « Mémorandum sur les
problèmes du Grand-Nord », rédigé le 31 juillet 2002, relève, entre autres, qu’« Aucun fils du
Grand-Nord ne siège à la Cour Suprême […] Aucun n’est président de cour d’appel. » Pour le
13
groupe, il s’agit de dénoncer le fait que ses membres doivent « se contenter des « postes
protocolaires » (président de l’Assemblée nationale, président du Conseil économique et social)
sans « aucune emprise sur la vie quotidienne, sur la vie de [leurs] populations. » » (Abouna, 2011 :
86) Le mémorandum de l’Est rentre dans la même logique. Il présente non pas des préoccupations
nationales, mais des particularismes régionaux mettant en exergue autant les infrastructures que les
hommes. On peut y relever la série de questions suivantes :
Quelle explication donner à la non-représentativité de la région de l’Est pour la direction d’aucun
organe constitutionnel, bien que cette région ait toujours été citée comme une région à part entière
faisant partie intégrante du Cameroun ? Dans la foulée, comment comprendre l’absence quasi-totale
des fils et filles de la région de l’Est à la tête des sociétés d’Etat, des grandes écoles de formation
universitaires et post universitaires, les missions diplomatiques (Ambassades et autres), bien que ce
ne soient pas les ressources humaines qui fassent défaut ? Pour ce qui est des grandes écoles de
formation universitaires et post universitaires, est-ce cette absence qui justifie la très faible admission
des étudiants originaires de l’Est Cameroun dans lesdites écoles ? Comment expliquer la nonapplication du principe du « remplacement numérique » pour les originaires de la région de l’Est
lorsque l’un d’eux venait à perdre un poste de responsabilité, écartant ainsi progressivement cette
partie du pays de la gestion des affaires de l’Etat alors qu’on en ajoute à d’autres régions, voire
départements ? (Abouna, 2011 : 91)
Les revendications à caractère ethno-régional présentées dans ces memoranda révèlent que
l’Etat et son bras séculier qu’est l’administration publique sont pris en étau entre les demandes
n’ayant pas l’intérêt général comme finalité. On peut donc estimer qu’il y a dans ces textes, un désir
manifeste d’instrumentalisation de l’Etat au profit de la tribu. Dans les cas où certaines de ces
revendications venaient à être satisfaites, les fils des régions concernées qui se verraient ainsi
promus seraient indubitablement redevables de leur région d’origine et, par voie de conséquence,
travailleraient davantage pour les intérêts dudit groupe.
Même si l’individu ne doit pas sa promotion à une pression directe exercée par la tribu sur
l’Etat, il suffit que la tribu ait, à une époque ou à une autre, posé des actes en faveur de cet individu
pour qu’elle réclame explicitement ou implicitement un retour d’ascenseur. C’est ce qui transparait
dans le « mémorandum du Centre », un document anonyme et non daté, rédigé au début de l’année
2010 (Abouna, 2011 : 93). L’un de ses passages rappelle au Chef de l’Etat Camerounais Paul Biya
quels sont ses liens, et par conséquent ses obligations, avec le groupe ethnique Beti : « votre maman
de regrettée mémoire et que nous pleurons toujours était une Yetotan, c’est-à-dire une Etoudi. Chez
les Béti, les neveux entretiennent des relations privilégiées avec les oncles. » Au-delà de ces liens
de parenté, le document lui rappelle également que :
Depuis [son] accession à la magistrature suprême, la région du Centre dans son ensemble [le] soutient
comme nulle part ailleurs. C’est un soutien patriotique et sans chantage qui s’est manifesté lors [du
coup d’état manqué] du 6 avril [1984], pendant les années de braise et lors de toutes les consultations
électorales […] Le grand Centre est également la région où le RDPC, [son] parti, [leur] parti, moteur
de toutes [ses] victoires électorales, est le plus implanté. Ce soutien indéfectible s’est également étendu
à [sa] personne et à [sa] famille.
Après cette démonstration d’affection et de soutien indéfectible, le texte dont l’objet
principal est d’exprimer la désapprobation du groupe face à l’arrestation des « fils méritants » de la
14
région du Centre ayant une stature d’homme d’Etat, se termine par une menace à peine voilée à
l’endroit de son destinataire : « il fallait que vous sachiez que la sérénité ne règne plus dans nos
relations. » (Abouna, 2011 : 93) Autrement dit, le soutien indéfectible de la région, souligné plus
haut, n’est plus garanti. Ce mémorandum demande, ni plus ni moins que les membres du groupe,
soupçonnés de détournements des deniers publics, soient soustraits à la rigueur de la loi, en
récompense du soutien passé, présent et à venir de leur groupe d’appartenance à la personne qui a
ordonné leur arrestation : le destinataire de la correspondance. La logique qui sous-tend cette
démarche est bien rendue par la formule ci-après : la personnalisation des rapports impersonnels
(Dimi, 1994 : 54). L’un des arguments en lien avec cette démarche est exprimé à la forme
interrogative : « Sans nous attaquer à votre pouvoir, le grand Centre se pose une question : Quand
vous ne serez plus là pour défendre nos intérêts, lequel de nos fils tiendra notre flambeau si tous
sont en prison ? » (Abouna, 2011 : 93) Ce passage relève bien le fait que pour la tribu, seul un
individu issu de ses rangs peut défendre ses intérêts, d’où l’inquiétude exprimée dans cet extrait du
mémorandum. Par conséquent, le Chef de l’Etat devrait tenir compte de ce paramètre et arrêter les
poursuites à l’encontre de ces personnalités, seules capables de garantir, à l’avenir, la place du
groupe dans l’échiquier politique national. En fait, le groupe craint d’être handicapé par l’absence
de ses « fils méritants » dans la compétition avec les exogroupes ethniques pour le contrôle des
ressources matérielles et symboliques. Cette inquiétude se justifie d’autant plus que les rédacteurs
de cette correspondance estiment que les fils les plus éminents de ces autres groupes ne
connaitraient pas, dans la même ampleur, la même infortune, alors qu’ils sont également coupables
d’actes répréhensibles.
Au Cameroun, la consécration de la reconnaissance de la tribu comme partie dans la
répartition des ressources se trouve dans un Décret qui institue la politique des quotas ethnorégionaux connue sous le nom équilibre régional (Décret n°82/407, modifiant et complétant le
Décret n°75-496 du 3 juillet 1975). Cette norme juridique achève de consacrer ce pays comme une
ethnocratie, reposant sur « un système de gouvernement qui tire ses ressources, précise ses tenants
et ses aboutissants essentiellement dans le rapport de force entre les ethnies qui composent la
société. » (Onana Onomo, 2002) La logique qui la sous-tend est que ce sont les élites politicoadministratives qui assurent le développement de leur région d’origine. Elle officialise donc la
gestion ethnique du Cameroun en définissant le nombre de places réservées à chaque région aux
différents concours d’entrée dans les Grandes Ecoles, et par conséquent, les recrutements à la
Fonction Publique.
Si la politique d’équilibre régional est défendue par un intellectuel comme Mouangue Kobila
(2015) qui la considère nécessaire pour s’assurer que chaque composante ethnique a une place dans
la gestion des affaires publiques, afin de garantir la paix sociale et l’unité nationale, elle est
15
pourfendue par des universitaires comme Mouiche (2005) ou Mfoulou (2006). En effet, pour le
premier cité, ce principe est hautement contestable parce qu’il a une base ethnique. On aurait pu,
par exemple, établir des quotas sur le genre ou la classe sociale, qui ont pour avantage de
transcender les particularismes ethno-régionaux. Pour lui, son défaut est qu’il a une base ethnique.
Par conséquent, il consacre « la politisation de l’ethnicité ou l’ethnicisation de la politique », avec
pour objectif l’accumulation des richesses, dont une partie sera reversée aux membres du groupe
d’appartenance, puisque le bilan de carrière d’un haut fonctionnaire se ramène bien souvent à une
évaluation de ses bienfaits pour les siens, c’est-à-dire les membres de l’endogroupe. Pour le second,
l’équilibre régional est « une politique tribale qui ne veut pas dire son nom […] Loin de contribuer à
l’intégration nationale [elle] mène tout droit à la fragilisation de la nation. » Mfoulou (2006 : 111)
Elle exacerbe la prise de conscience ethnique au sein des populations originaires de la même
région et entre les populations des différentes régions, ainsi que le triomphe des intérêts particuliers
au détriment de l’intérêt général. Ainsi, le pays ne se conçoit plus comme un devenir commun à
construire, mais un gâteau à partager, d’où les conflits d’intérêts intergroupes. Il en découle que
toute personne détentrice d’une parcelle de pouvoir, aussi petite soit-elle, est considérée comme
l’ambassadeur de son entité ethnique à la « mangeoire ». Par conséquent, les hauts commis de l’Etat
ne sont plus des agents publics. Ils sont au service de la tribu, leur groupe d’appartenance.
En somme, « la prise en compte de l’origine ethnique dans la gestion du pouvoir sous la
modalité de discrimination positive équilibrante » (Mbondji Edjenguèlè, Préface de l’ouvrage
d’Abouna, 2011 : 8) n’a pas résolu le problème de la coexistence chaotique des tribus au sein de
l’Etat. Bien au contraire, elle contribue à un renforcement de l’ethnicisation de la société
camerounaise en rendant saillantes les appartenances catégorielles ethniques des individus candidats
à un concours donnant accès à la fonction publique ou à une promotion au sein de l’administration.
Or, comme le relève Licata (2007), dans le cas où les appartenances catégorielles des individus sont
saillantes, on sort du domaine des relations interpersonnelles pour rentrer dans celui des relations
intergroupes. C’est pourquoi, l’appartenance ou non au même groupe que l’agent public auquel on
s’adresse a une incidence sur le sort réservé au service que l’on attend de l’administration. Ainsi, la
prise en compte des appartenances ethniques dans la répartition des emplois publics a exacerbé le
désir de dominance de groupe en aggravant les clivages de type eux/nous, qui sont la source des
préjugés, de la discrimination et des conflits intergroupes. Dans cette perspective,
lorsque le conflit ethnique devient une pratique admise, on se trouve dans un cercle vicieux. Chacun
s’attend à trouver en face de soi un tribaliste, et justifie son propre particularisme ethnique comme un
procédé défensif et préventif ou comme un moyen de rétablir l’équilibre détruit par le tribalisme de
l’autre. Le favoritisme devient endémique, omniprésent, pratiquement inévitable. (Von den Berghe,
1978 : 548, cité par Dimi, 2005 : 151)
16
Etant donné que la coexistence des tribus au sein de l’Etat est chaotique, faut-il effacer toute
référence à l’ethnicité si l’on veut construire des Etats Africains véritables, dans lesquels les
individus se considèrent comme des citoyens soumis à des lois universelles et objectives et non
comme des membres de groupes ethniques auxquels ils font allégeance ?
En conclusion : Comment faire cohabiter l’Etat et la tribu sur un mode plus pacifique ?
Pour Dimi (1994), la déstructuration de la tribu par l’Etat colonial peut être considérée
comme un acide dissolvant dont l’action corrosive a affecté la personnalité et l’individualité de
l’Africain. En riposte à cette attaque d’une violence inouïe, les tribus ont développé des mécanismes
de défense dont le moindre n’est pas de refuser leur intégration au sein de l’Etat. Il en résulte
qu’elles fonctionnent comme des Etats dans l’Etat, ne connaissant ni règle constituée, ni organe
régulateur. C’est pourquoi, l’ethnicité est considérée, dans une perspective d’origine coloniale,
comme un fardeau aliénant dont il s’agit de « libérer » l’Afrique (Coulon, n.d.). En effet,
l’entreprise de sauvagisation de l’Afrique mise sur pied par les colonisateurs, pour donner de la
légitimité à ce qu’ils ont appelé « mission civilisatrice », consiste à expliquer tous les conflits dont
ce continent a été ou est le théâtre, comme des violences à caractère ethnique, dont l’origine se situe
dans une Afrique primitive qui demeure hermétique à la modernité. Ainsi, « le tribalisme serait […]
le vieux démon de l’Afrique et les identités ethniques [seraient] le vecteur d’affrontements
irréductibles. » (Coulon, n.d. : 3) Dans cette perspective, comment admettre que la tribu a le
pouvoir et le devoir de devenir une médiation pour l’accomplissement de l’Etat en Afrique ? (Dimi,
1994) La réponse à cette question consiste à ne pas se situer dans la logique coloniale qui consistait
en la destruction de la tribalité africaine. Il s’agit au contraire d’enrichir cette tribalité qui, en retour,
pourrait sortir les peuples africains du « bourbier politique » dans lequel ils s’enfoncent. Pour ce
faire, il convient de réexaminer la thèse consistant à diaboliser l’ethnie. C’est ce à quoi s’attèle
Coulon (n.d.).
La thèse que défend Coulon (n.d.) prend le contre-pied des travaux se situant dans le
domaine des « sciences sociales africanistes », dont la position est bien résumée par le titre de
l’Ouvrage de Bougeot (1994) : Les peuples heureux n’ont pas d’ethnie ou le slogan du mouvement
rebelle mozambicain FRELIMO : « Pour libérer la nation, la tribu doit mourir. » Pour cet auteur,
l’ethnie n’est pas démocratique ou antidémocratique en soi. Elle peut le devenir dans certains
contextes et circonstances historiques particulières. Tout d’abord, on doit relever que face au
traumatisme colonial, la fraternité ethnique et le recours aux traditions ont pu jouer le rôle de
contre-acculturation, dans la logique qui veut que lorsque les croyances et l’identité d’un groupe
sont attaquées, ses membres peuvent s’y accrocher davantage. Ainsi, l’ethnie est davantage une
arme défensive qu’offensive (Balandier, 1974 repris par Coulon, n.d.). Dans un passé plus lointain,
17
certains esclaves africains installés en Amérique, auxquels on interdisait toute différenciation par le
vêtement, la cuisine, l’habitat ou la religion, se sont suicidés (par absorption de terre surtout) et ont
posé de multiples actes de résistance qu’on peut qualifier de ripostes contre-acculturatives
(Laplantine, 1988).
Ensuite, l’ethnie apparait comme « une catégorie d’identification intériorisée et donc
compréhensible et légitime pour beaucoup d’Africains. » (Coulon, n.d. : 6) Ainsi, même si elle est
une construction sociale, n’ayant rien de naturel, il demeure qu’elle permet la catégorisation sociale
des individus en groupes d’appartenance (nous) et groupes de non appartenance (eux), et par
conséquent, elle satisfait une besoin d’identification sociale que la nation a du mal à combler. Ce
besoin d’identification communautaire n’est pas incompatible avec l’individualisation, conçue
comme un processus de construction de l’individu comme sujet. Ce processus aboutit à la
différenciation entre soi et les autres, y compris les membres du même groupe. Dans cette
perspective, il convient de ne pas confondre individualisation et dépersonnalisation qui, dans la
théorie de l’autocatégorisation, consiste en une « stéréotypisation subjective du soi en fonction de la
catégorisation sociale pertinente » (Turner, 1999 : 12, cité par Licata, 2007 : 30) L’ethnicité est une
modalité des liens entre l’Etat et la tribu, en ce sens qu’elle permet de se positionner dans la sphère
politique. La raison en est que les Etats africains ont choisi de donner accès au gâteau national sur la
base des appartenances ethno-régionales, comme on l’a relevé plus haut pour le cas du Cameroun.
Autrement dit, c’est l’Etat lui-même, qui pousse les individus à s’identifier à leur groupe ethnique
d’appartenance. Dans cette logique, « l’attache tribale devient le tremplin le plus sûr pour une
ascension sociale fulgurante. La revendication ethnique est une arme efficace. » (Dimi, 1994 : 57)
Or, l’ethnie n’est pas
la seule catégorie d’appartenance et d’identification de l’Afrique précoloniale. Les liens définis par la
parenté, par la position statutaire (notamment dans les systèmes sociaux hiérarchisés en ordres ou
castes), ou encore par la religion ou le culte, ont pu être dans les sociétés africaines dites
« traditionnelles » tout aussi puissants comme fondement majeur de l’identité que ceux que dessinait
l’origine ethnique. Sans compter que ces espaces identitaires n’ont jamais été figés mais se sont
décomposés et recomposés en fonction des changements sociaux. (Coulon, n.d. : 5)
Il ressort de ce qui précède que la mauvaise réputation de l’ethnie, qui tient de ce qu’elle est
considérée comme une forme agressive et exclusiviste d’appartenance groupale, s’érigeant en
obstacle à la construction de l’Etat et de la démocratie, tient en partie à la mauvaise gestion que les
Etats africains eux-mêmes font de la question ethnique. Ainsi, ce n’est pas l’ethnicité elle-même qui
fait problème. C’est plutôt l’impéritie de l’Etat qui n’a pas trouvé le bon traitement politique de
cette question, qui aurait consisté à l’adapter à la modernité publique. A contrario, d’une part, il l’a
« stigmatisé comme une plaie, comme une forme problématique d’appartenance dont il convenait
d’interdire l’expression dans la société politique, d’où l’interdiction dans de très nombreuses
constitutions africaines des partis politiques à base ethnique, régionale ou religieuse. » (Coulon,
18
n.d. : 10) D’autre part, les autorités au pouvoir n’hésitent pas à pratiquer une « ethnicité de
l’ombre », en contradiction avec le discours anti-ethnique officiel. Celle-ci consiste à
instrumentaliser les appartenances catégorielles ethniques pour se maintenir au pouvoir. Elle
consiste également à pratiquer l’arithmétique ethnique comme mode de gouvernement. Le résultat
de ces manipulations patrimoniales de l’ethnicité est que celle-ci a été dévoyée en tribalisme
(stéréotypes, préjugés et discrimination basés sur l’origine ethnique).
En conclusion, le problème que posent les appartenances catégorielles de type ethnique est
qu’elles ont été dénaturées par les colonisateurs européens et leurs successeurs africains pour
asseoir leur domination (Dimi, 1994). Si d’aucuns les considèrent aujourd’hui comme le mal dont
souffre l’Afrique, c’est moins en raison de leur existence qu’en raison de l’usage qui en a été fait.
Ainsi, leur éradication n’est pas une solution au problème qu’elles posent, ce d’autant plus qu’elles
sont la source première d’identification sociale des individus qui ne se reconnaissent pas en l’Etat,
une excroissance historique. La solution, estime l’auteur, consiste au contraire, à « s’appuyer sur la
tradition africaine pour donner à l’Etat un fondement solide, mais à condition que cette tradition soit
elle-même actualisée. La tradition, une fois enrichie, permettra aux Africains de se découvrir
soumis à l’obligation de la réciprocité de leurs relations avec les autres. » (Dimi, 1994 : 57) Le
résultat de ce processus sera d’aboutir à « la création de tribalités solidaires et complémentaires »
qui, malgré le fait qu’elles se distinguent les unes des autres, ont quelque chose à se proposer
mutuellement (Dimi, 2005 : 165). En appui à cette solution, on rappelle que pour la théorie des
conflits réels, quand des groupes coopèrent l’un avec l’autre pour atteindre un objectif commun (la
construction de l’Etat-nation en l’occurrence), l’hostilité à l’égard de l’exogroupe diminue, à la
faveur d’une représentation plus favorable de ses membres. Il en résulte que les relations
intergroupes deviennent plus harmonieuses.
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