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Études littéraires
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national : la bibliothèque
du Séminaire de Québec
The Historical Value and National Interest of the Seminary Library in
Quebec City
Pierrette Lafond
Les livres anciens des institutions d’enseignement québécoises
Résumé de l'article
Volume 46, numéro 2, été 2015
La bibliothèque de livres rares et anciens du Séminaire de Québec, instituée en 1678,
offre un patrimoine livresque d’une grande richesse. Constituée pour l’éducation des
séminaristes, puis celle des écoliers fréquentant le cours classique, elle devient
bibliothèque universitaire avec la fondation de l’Université Laval en 1852. Si les
ouvrages et leurs différentes éditions encore présents sur ses rayonnages témoignent
de l’état et de l’évolution des connaissances transmises académiquement et des
efforts déployés par l’institution pour demeurer au diapason des savoirs européens, la
typologie des traces inscrites dans la matérialité du livre est révélatrice des
provenances et des réseaux de sociabilités, ainsi que du parcours du livre avec ses
réceptions, ses inclusions et ses ruptures.
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1037700ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1037700ar
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Département des littératures de l’Université Laval
ISSN
0014-214X (imprimé)
1708-9069 (numérique)
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Citer cet article
Lafond, P. (2015). Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national : la
bibliothèque du Séminaire de Québec. Études littéraires, 46 (2), 15–32.
https://doi.org/10.7202/1037700ar
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Portrait d’un patrimoine livresque
d’intérêt national : la bibliothèque
du Séminaire de Québec
PIERRETTE LAFOND
A
ujourd’hui remisés sur des rayonnages métalliques mobiles et entreposés dans
une réserve muséale1, les livres de la bibliothèque des livres rares et anciens
du Séminaire de Québec constituent un patrimoine livresque en dormance,
connu et consulté que par un cercle restreint de chercheurs. Depuis les premiers
ouvrages réunis par François de Laval, fondateur de l’institution en 1663, jusqu’au
corpus universitaire desservant la première université francophone d’Amérique logée
dans le Vieux-Québec, cette collection représente une mosaïque livresque constituée
selon les multiples activités pédagogiques et muséologiques2 de l’institution depuis
plus de trois cent cinquante ans. Scindé en 1960 lors de la migration des facultés
universitaires vers le nouveau campus de Sainte-Foy en banlieue de Québec3, le
fonds conservé par le Séminaire est représentatif d’une bibliothèque d’institution
classique du XIXe siècle et compte environ cent quatre-vingt mille documents datant
du XIIe au XXe siècle, actuellement conservés au Musée de l’Amérique francophone4,
une composante du Musée de la civilisation qui en gère les collections.
Le « vieux fonds », comme le désignaient les prêtres du Séminaire, marie les
provenances géographiques, les langues, les époques et rassemble les ouvrages
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En 1995, le Musée de l’Amérique française, autrefois Musée du Séminaire de Québec (fondé
en 1806), est intégré au Musée de la civilisation. Les diverses collections, les livres anciens
et les archives du Séminaire sont confiés en dépôt au Musée de la civilisation pour qu’il
en assure la gestion. Voir Roland Arpin, Le Musée de la civilisation : une histoire d’amour,
Québec / Montréal, Musée de la civilisation / Fides, 1998, p. 94.
Un musée scientifique destiné à l’enseignement, le premier au Canada, ouvrait ses portes
le 22 octobre 1806 sous l’initiative des abbés Félix Gatien et Jérôme Demers.
« Il a donc fallu établir un partage équitable entre ce qui appartient au Séminaire et ce
qui revenait à l’Université. Celle-ci a emporté les ouvrages acquis à ses frais depuis 1910,
époque où le Séminaire a commencé à compter sur des souscriptions publiques en faveur
de l’Université […]. Pour sa part, le Séminaire a conservé le « vieux fonds » […] d’une très
grande valeur historique et documentaire » (Séminaire de Québec, L’Annuaire 1964-1965,
1965-1966, Québec, Des ateliers Charier & Dugal, 1965, p. 63).
Le nom du Musée de l’Amérique française a été changé en 2013 pour celui de Musée de
l’Amérique francophone.
16•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
indispensables utilisés pour l’enseignement et pour l’exercice de la dévotion. On y
retrouve également des incunables européens (documents imprimés avant 1500) et
canadiens (publications antérieures à 1820), des atlas anciens, des dictionnaires,
des encyclopédies et autres ouvrages de référence auxquels s’ajoutent d’imposantes
collections de brochures et de périodiques, des journaux issus de la communauté
francophone nord-américaine ainsi qu’un vaste ensemble de partitions musicales
dont certaines sont uniques au monde5.
Les ouvrages réunis dans cette bibliothèque remplissent le double rôle de
sources premières et d’objets témoins, dans leur matérialité comme dans leur contenu.
Ils répondent, d’une part, à leur fonction première de support textuel et référentiel
des connaissances théologiques, scientifiques ou littéraires utiles à l’institution,
tout en offrant, d’autre part, une perspective diachronique des connaissances. Les
livres de cette collection ancienne font également office de miroir social, moral
et intellectuel en esquissant un portrait évolutif des usages et des prescriptions
entourant la pratique de la lecture tout comme des effets et des impacts de la
réception des publications dans le monde de l’imprimé pour une période définie.
Ils permettent en outre d’appréhender sous un angle différent cette institution
d’importance historique et sociale majeure qu’est le Séminaire de Québec dans les
sphères religieuses, profanes, morales et intellectuelles, d’évaluer la portée de la
mission dont elle s’est investie, les sources d’inspiration qui l’ont guidée et les acteurs
en présence, le réseau d’influence qu’elle a constitué, le niveau de l’engagement
pédagogique qui l’a animée et qui transcende le simple cadre scolaire auprès de
générations d’étudiants et de la population générale.
Enfin, dans une perspective ethnologique, les diverses marques physiques
présentes dans ces ouvrages sont révélatrices d’une conception relationnelle et
matérielle au savoir à travers l’objet qu’est le livre. D’abord par la typologie des
classifications utilisées (exprimées par les cotes), par les annotations manuscrites
et les marginalia (notes écrites en marge des pages), par les soulignements, les
déchirures, les ratures et les extractions volontaires, voire les passages caviardés ;
par divers éléments signalétiques de provenance et de réseaux de sociabilité
révélés par les étiquettes des libraires, les signatures, les ex-libris (signal visuel
d’appartenance) du premier propriétaire ou des propriétaires successifs (parfois
raturés), les autographes, les dédicaces, etc. Toutes ces traces constituent une
grammaire sémiotique d’appropriation ou de désappropriation, dans le cas des
livres censurés notamment, qui témoignent, d’une part, du rapport du lecteur avec
le contenu du livre et, d’autre part, qui dévoilent de manière unique des aspects
de l’historicité du livre et de son parcours.
Dans une perspective d’analyse des transferts de savoir entre l’Ancien et le
Nouveau Monde présents dans la trame constitutive de la collection de la bibliothèque
du Séminaire de Québec, les éléments tirés de la dimension matérielle des livres
5
Un recueil contient des partitions de Valentin de Bournonville (v. 1610-1663 ?) dont on
croyait la musique à jamais perdue. Voir Élisabeth Gallat-Morin et Jean-Pierre Pinson, La
Vie musicale en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2003, p. 57-60.
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•17
apportent une valeur de témoignage historique additionnelle à notre compréhension
de ce corpus.
Le Séminaire de Québec : une institution séculaire
La fondation, en 1663, d’un Grand Séminaire par François de Laval, alors vicaire
apostolique6, était un geste à portée religieuse et morale, mais aussi politique et
intellectuelle. Mgr de Laval répondait d’abord à l’obligation faite aux évêques selon
les décrets du Concile de Trente (1545-49 ; 1551-52 ; 1562-63) d’instituer dans
chaque diocèse des maisons d’enseignement supérieur chargées de la formation des
prêtres. Il concrétisait également son désir formel d’implanter en Nouvelle-France un
établissement stable et pérenne assurant « la constitution d’une véritable communauté
du clergé destiné au ministère, et le soutien de l’activité missionnaire au Canada7 ».
L’orientation missionnaire était prépondérante dans la vision que François de Laval
entretenait pour le Séminaire de Québec quant à son action auprès des populations
civiles et des nations autochtones8. Par ailleurs, les relations étroites qui liaient
l’institution au Séminaire des Missions étrangères de Paris lui assuraient une mesure
de support et de conseils, mais également un pouvoir d’action, d’information et de
réseautage dans la France de l’Ancien Régime9.
La nouvelle politique coloniale qu’instaure Louis XIV dans ses possessions
françaises modifie alors fondamentalement l’administration du territoire, puisque
le roi « organise la Nouvelle-France sur le modèle des provinces françaises […]
et lui donne le nom et les attributions des conseils souverains du royaume10 ». Le
gouverneur, l’intendant, l’évêque et cinq conseillers nommés conjointement par le
gouverneur et l’évêque composeront le premier Conseil souverain de la NouvelleFrance (1663). François de Laval, tout en veillant sur les valeurs morales à diffuser
dans cette nouvelle « Jérusalem des terres froides », se voit dès lors assuré d’un
pouvoir politique, administratif et judiciaire. Cette position d’influence consacre son
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Les Bulles établissant le diocèse de Québec n’ayant été concédées qu’en 1674, François de
Laval ne sera reconnu comme évêque de Québec qu’à partir de cette date.
Marc Pelchat, « Une vocation privilégiée : la formation des prêtres au service de l’Église »,
dans Raymond Brodeur, Hermann Giguère et Gilles Routhier (dir.), Parce qu’ils y ont cru,
on le voit ! Le Séminaire de Québec célèbre ses 350 ans, Québec, Presses de l’Université
Laval, 2013, p. 211-212.
Les membres du clergé ont alors un statut de missionnaires et parcourent le territoire pour
assurer le service religieux, avec « leur chapelle portative sur le dos ». Voir Noël Baillargeon,
« Le Séminaire de Québec et les cures sous l’épiscopat de Mgr de Laval », Cap-aux-Diamants,
Hors-série, 1993, p. 22.
La fondation du Séminaire de Québec par François de Laval en 1663 précède de peu la
fondation du Séminaire des Missions étrangères de Paris, approuvée par le roi en juillet
1663 et ratifiée par le Saint-Siège en 1664. L’union des deux institutions se concrétise le
29 janvier 1665. Dès lors, permission est donnée aux supérieur et directeurs du séminaire
de Paris d’envoyer des prêtres, des « sujets et des ouvriers » en Canada ; voir André Vachon,
« Séminaire de Québec et Séminaire des Missions étrangères de Paris », Les Cahiers des Dix,
no 44 (1989), p. 16-17.
Jacques Lacoursière, Jean Provencher et Denis Vaugeois, Canada-Québec. Synthèse
historique, 1534-2000, Québec, Septentrion, 2001, p. 68.
18•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
séminaire ecclésiastique comme institution majeure dans la colonie. Avec le rachat
des seigneuries de Beaupré et de l’Île d’Orléans auprès des différents actionnaires
(1662-1668), il place le Séminaire de Québec en position de grand propriétaire
terrien bénéficiant de ressources exploitables pour des années à venir11.
François de Laval a donné, avec inspiration et opiniâtreté, l’élan initial à une
institution aujourd’hui séculaire. On retrouve dans la collection quatre ouvrages du
XVIIe siècle portant sa signature12 sous laquelle il s’identifie par son titre d’évêque
de Pétrée (voir image 1)13. Bien que n’étant pas les plus anciens titres de ce corpus
unique, ces livres symbolisent cependant le noyau originel d’une bibliothèque dont
la composition et l’évolution témoignent des rapports et des échanges constants,
au rythme de l’évolution des activités de publication et d’édition, avec le monde
européen d’abord, puis avec l’ensemble du continent nord-américain.
Le Séminaire de Québec a continué de jouer un rôle central de maison
d’enseignement après la Conquête anglaise (1763) en prenant le relais du Collège
des Jésuites de Québec dans l’éducation laïque. Puis, en 1852, l’institution s’affirme
comme un « foyer d’une intense activité intellectuelle et pédagogique14 » en ajoutant à
ses mandats l’enseignement supérieur avec la fondation, dans l’enceinte même de ses
bâtiments, de la première université catholique française en Amérique, l’Université
Laval, ainsi nommée en l’honneur du fondateur du séminaire. La bibliothèque du
Séminaire de Québec se doublera alors de la fonction universitaire : les quatre
facultés fondatrices (Médecine, Droit, Théologie et Arts), dont le modèle et les
idéaux sont inspirés par les universités européennes15, ouvrent leurs portes à une
petite cohorte d’étudiants. Le supérieur général du séminaire assurera également
de facto le poste de recteur de l’Université Laval jusqu’en 1972 alors que Larkin
Kerwin succède à Mgr Louis-Albert Vachon comme vingtième recteur de l’institution
et premier laïc à ce titre.
L’ensemble des actions et des réalisations du Séminaire de Québec témoigne
d’inspirations multiples, de réseautage, d’intentions et d’influence, tant au niveau
local que national et international. L’héritage laissé par l’institution séculaire se
compose d’un ensemble architectural imposant dans le Vieux-Québec (voir image 2)
où les bâtiments conservent encore des traces de l’architecture de la NouvelleFrance, de multiples collections de livres et d’objets, dont un patrimoine archivistique
reconnu pour son intérêt national et sa valeur exceptionnelle, inscrit au registre
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L’exploitation de la Seigneurie de Beaupré assure encore aujourd’hui des revenus au
Séminaire de Québec.
Ces informations liées à la provenance sont révélées au fur et à mesure des avancées du
catalogage informatisé.
Les images auxquelles nous référons dans le présent texte se trouvent en annexe à la fin
de l’article.
Philippe Sylvain et Nive Voisine (dir.), Histoire du catholicisme québécois : réveil et
consolidation (1840-1898), Montréal, Boréal Express, 1984, vol. 2, tome 2, p. 63.
L’un des principaux responsables de l’établissement de l’Université Laval, l’abbé LouisJacques Casault, alors supérieur du Séminaire de Québec, avait longuement documenté la
question et s’était entretenu, lors de séjours en Europe, avec plusieurs recteurs d’universités
catholiques. Voir Jean Hamelin, Histoire de l’Université Laval : les péripéties d’une idée,
Québec, Presses de l’Université Laval, 1995, p. 35-39.
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•19
« Mémoire du monde » de l’Unesco. La constitution de la bibliothèque des livres
anciens depuis son origine est révélatrice des multiples échanges et des transferts de
connaissances entre l’Ancien et le Nouveau Monde et démontre bien la perméabilité
et les migrations des savoirs.
Genèse d’une bibliothèque
Durant les premières années d’existence du Séminaire de Québec, le petit
groupe de prêtres et de séminaristes ont à leur disposition les propres livres de
François de Laval, selon l’esprit de mise en commun et, comme l’indique l’acte de
communauté de biens en vigueur au séminaire dès 1685, « sans rien posséder de
particulier16 ». Au moment où le nombre d’écoliers et de candidats au sacerdoce
augmente17, la nécessité de revoir la répartition des responsabilités amène les
autorités du séminaire à statuer en décembre 1678 sur de nouveaux règlements.
Ceux-ci stipulent que la conduite du séminaire reposera désormais sur six officiers,
dont l’un recevra la garde des archives et de la bibliothèque18 parmi ses fonctions.
En officialisant la charge de bibliothécaire, Mgr de Laval traduit ainsi sa volonté de
constituer une collection livresque servant de références théologiques, morales et
documentaires mise à la disposition de la communauté du séminaire. L’attribution
de cette responsabilité particulière a probablement été bénéfique à la croissance
et au développement des effectifs de la bibliothèque. La correspondance entre le
Séminaire de Québec et le Séminaire des Missions étrangères de Paris révèle dès
lors, de manière récurrente et exponentielle, des demandes et des confirmations
d’envois d’ouvrages dont la quantité est souvent considérable. Ainsi en 1685, dans
une lettre à Mgr de Saint-Vallier, l’abbé Dudouyt (1628 ?-1688), premier procureur
du séminaire à Paris, l’informe de l’achat d’ouvrages pour les « missionnaires » de
son établissement au montant de cinq cents livres19. Le 3 avril 1694, des ouvrages
sont envoyés pour les écoliers du Petit Séminaire de Québec par l’abbé Henri-Jean
Tremblay (1664-1747), directeur du Séminaire des Missions étrangères de Paris et
responsable du chapitre de Québec, dont l’intérêt pour cet établissement au Nouveau
Monde se traduit par des dons personnels20 . Une autre pratique observable est la
donation de bibliothèques personnelles qui viennent enrichir celle du Séminaire
de Québec. C’est, entre autres, le cas de l’abbé Jean-Pierre Miniac (1691 ?- 1771),
sulpicien, missionnaire, grand vicaire de la région de Québec et archidiacre dont la
santé déclinante l’incite à retourner en France en 1749 et qui fera don de ses livres
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Noël Baillargeon, Le Séminaire de Québec sous l’épiscopat de Mgr de Laval, Québec, Presses
de l’Université Laval (Les Cahiers de l’Institut d’histoire), 1972, p. 167.
Outre les étudiants du Grand Séminaire poursuivant des études en vue du sacerdoce, on
retrouve le Petit Séminaire où de jeunes écoliers, âgé de plus de dix ans, viennent pour être
« dispos[és] à l’état ecclésiastique ou à servir dans le Séminaire » ou encore pour apprendre
un métier ; ibid., p. 110-111.
Ibid., p. 90.
Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, Lettre M, no 01, 20 avril
1685, p. 2.
Honorius Provost, Le Séminaire de Québec : documents et biographies, Québec, Séminaire
de Québec, 1964, p. 429.
20•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
au Séminaire de Québec21. Quatorze ouvrages publiés entre 1609 et 1735 et portant
sa signature manuscrite sont toujours présents dans la collection22. Détail intéressant,
outre les ouvrages théologiques ou de dévotion qui composent naturellement
la bibliothèque d’un ecclésiastique, on y retrouve le livre Moeurs des sauvages
ameriquains, comparées aux moeurs des premiers temps, publié en 1724 par le
père Joseph François Lafitau et décrivant une réalité propre de ce Nouveau Monde
dans lequel le père Miniac a évolué pendant près de vingt-sept ans (voir image 3).
L’intérêt de constituer une bibliothèque n’a rien d’exceptionnel pour l’époque.
Le petit groupe de prêtres à l’origine de la fondation de l’institution est imprégné
de l’esprit du temps alors que la Contre-Réforme génère sur le marché du livre une
production importante de nouveaux textes approuvés par les autorités papales.
Le cas documenté le plus connu est celui de l’entreprise de Plantin, à Anvers,
détenteur du privilège papal. « Ce sont soixante-dix éditions différentes du Missale
Romanum in-folio que l’on peut dénombrer […] entre 1590 et 1640 totalisant 31 400
exemplaires23. » Les textes sacrés et les ouvrages théologiques ou de dévotion
qui paraissent sur la liste des « bons livres » à lire constituent un environnement
familier chez ces lettrés qui perpétuent les pratiques de lecture et de constitution de
bibliothèques, tant personnelles que collectives, en vigueur dans le clergé catholique.
Les premiers règlements du Séminaire de Québec régissant « l’Ordre de lemploy
de la journée » comportent des séances communes de lecture à haute voix ainsi
que des moments réservés aux lectures personnelles24. Les règlements de conduite
subséquents, tant ceux adressés aux séminaristes qu’aux écoliers, comporteront
invariablement des périodes allouées à la lecture.
Le séminaire n’est pas demeuré à l’écart des courants réformateurs qui se
déploient alors en Europe, et la composition de sa collection d’ouvrages théologiques
témoigne de ces nouvelles tendances. La ferveur du rigorisme janséniste − dont la
grande austérité est adoptée pendant que la doctrine est rejetée − tout comme le
mouvement de restauration de l’idéal de la mission sacerdotale instauré par Vincent
de Paul influencent le mode de conduite du clergé et se traduisent par la présence
de certains titres dans les bibliothèques. Il n’est donc pas étonnant de constater que
Le Chrestien interieur, ou, La Conformité interieure que doivent avoir les chrestiens
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Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, C9, 181, 1749.
Lors de la première phase de catalogage informatisé, de 1995 à 2013, les éléments témoignant
de l’historicité du livre (ex-libris, ex-dono, étiquettes de relieur, étiquettes de prix, tampons
encrés, annotations, etc.) ont fait l’objet d’une description inscrite dans plusieurs index
dont celui de la provenance (prov). L’interrogation en ligne du catalogue collectif CUBIQ,
du réseau gouvernemental québécois RIBG, auquel participe le Musée de la civilisation,
permet d’effectuer ce type de recherche. Le nombre de résultats obtenus variera selon la
progression du catalogage informatisé.
Dominique Julia, « Lectures et Contre-Réforme », dans Guglielmo Cavallo et Roger Chartier
(dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 301302.
Noël Baillargeon, op. cit., p. 104-107.
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•21
avec Jesus Christ, l’œuvre maîtresse de Bernière de Louvigny25 et sans doute l’ouvrage
de spiritualité le plus lu à l’époque, se retrouve en plusieurs exemplaires et en
différentes éditions sur les rayonnages du Séminaire de Québec. Il est par ailleurs
fréquent de recevoir du Séminaire des Missions étrangères de Paris d’importantes
quantités de livres soigneusement sélectionnés, ou d’utiliser leur réseau d’influence
pour placer des commandes chez les libraires parisiens. Les prêtres ne manquent
pas non plus, lors de séjours en France, de rapporter des biens divers, notamment
des livres. L’abbé Joseph Jacrau (1698 ?-1772), curé et procureur du Séminaire de
Québec, obtient une pension du roi en 1668 lui procurant un revenu personnel qui
lui permet de se constituer une bibliothèque importante pour l’époque. L’inventaire
manuscrit des deux cents volumes qu’il a laissés à l’institution a été conservé26. Les
quelque quarante-cinq ouvrages de droit qui s’y trouvent témoignent de l’intérêt
du procureur du séminaire pour le domaine légal, tant ecclésiastique que civil
et criminel. Sa connaissance des lois françaises et son talent juridique reconnu
amèneront l’abbé Jacrau ainsi qu’un groupe de prêtres du séminaire à rédiger,
de 1768 à 1772, un document présentant un abrégé de la Coutume de Paris pour
le compte du lieutenant-gouverneur Guy Carleton, destiné au Conseil privé de
Londres27. La bibliothèque conserve encore des traces de cette expertise et, jusqu’à
maintenant, il a été possible de repérer onze ouvrages portant la signature de l’abbé
Jacrau dans la collection.
La Conquête anglaise de 1763 et le changement de régime qui s’ensuit auront
des répercussions importantes pour le Séminaire de Québec. Les lendemains du
conflit seront consacrés à rebâtir et réparer les dommages de la guerre causés aux
bâtiments dans l’ensemble de ses seigneuries et à organiser la survie de l’Église
canadienne qui se retrouve en situation précaire28.
La fermeture du Collège des Jésuites par les autorités britanniques29, alors
unique collège classique de la Nouvelle-France, va obliger le séminaire à prendre la
relève de l’éducation des jeunes garçons de la colonie tout en organisant la reprise
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Jean de Bernières Louvigny (1602-1659) appartient au courant mystique franciscain. Fondateur
de l’Ermitage de Caen, il y prêche une spiritualité de l’abandon. Voir Éditions Arfuyen, « Jean
de Bernières (1602-1659) » [en ligne], 2014 [http://www.arfuyen.fr/bernieres.html].
Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, Sem. 4, no 128/
SME7/4/128, 30 août 1764, [3] p. Au fil de l’histoire du Séminaire de Québec et de l’Université
Laval, de telles donations à la bibliothèque de la part des prêtres seront courantes.
Honorius Provost, « Jacrau, Joseph-André Mathurin » [en ligne], Dictionnaire biographique du
Canada / Dictionary of Canadian Biography, Québec, Toronto, Université Laval / University
of Toronto, 1980, vol. 4 [http://www.biographi.ca/fr/bio/jacrau_joseph_andre_mathurin_4F.
html].
Jacques Lacoursière, Jean Provencher et Denis Vaugeois, op. cit., p. 68-175.
Localisé sur l’emplacement actuel de l’Hôtel de Ville de Québec, le Collège des Jésuites
de Québec ouvre ses portes en 1635 et offre, sur le modèle français, l’enseignement des
sciences et des humanités aux garçons de la colonie. Les Jésuites dispensent également la
formation en théologie auprès des séminaristes. Considéré comme une communauté papiste,
donc dissidente, le collège est fermé par les Britanniques qui l’utilisent comme caserne et
entrepôt. Voir Louis-Philippe Audet, « Programme et professeurs au Collège de Québec »,
Les Cahiers des Dix, vol. 34 (1969), p. 32.
22•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
de ses propres activités auprès des séminaristes. « L’un des tout premiers soins des
directeurs lors de l’ouverture du Grand Séminaire en 1764 avait été de se procurer
des livres. Les commandes à Paris s’échelonnèrent sans interruption jusqu’en 177530. »
Par la suite, le séminaire s’adressera au libraire londonien Paul Vaillant pour obtenir
les titres désirés. Ce dernier, qui entretient un lien commercial avec la France et y
supervise même des éditions, est en mesure d’offrir un catalogue varié de nouveautés
et de livres classiques français.
Les effectifs de la bibliothèque augmentent constamment et s’enrichissent
d’ouvrages de théologie, de philosophie, de textes d’auteurs classiques ou
scientifiques, comme le démontre l’inventaire dressé par l’abbé Arnault-Germain
Dudevant en 1782. Il y recense deux mille cent vingt et un titres représentant quatre
mille huit cent quatre-vingt-trois unités physiques qui consacrent la bibliothèque
du séminaire comme étant la plus importante de la colonie31. En juin 1797, deux
charretiers transportent au séminaire32 un lot important d’ouvrages en provenance
de la bibliothèque du Collège de Québec. Cédés par le père Jean-Joseph Casot
(1728-1800), dernier représentant des Jésuites au Canada33, ils viennent enrichir la
bibliothèque d’ouvrages théologiques et scientifiques ainsi que de périodiques.
Peu de temps avant sa mort, le père Casot disposera des biens et meubles de sa
communauté auprès du couvent des Ursulines, des Augustines de l’Hôtel-Dieu et
de l’Hôpital Général de Québec et de quelques églises de la ville.
Les livres en provenance du Collège des Jésuites sont identifiables par une
inscription manuscrite apposée en page de titre, souvent accompagnée de dates qui
correspondent aux années d’inventaire de leur bibliothèque. Le nombre important
d’ouvrages scientifiques présents dans ce corpus démontre l’intérêt accordé par les
Jésuites aux connaissances européennes de l’époque afin de les appréhender et,
ultimement, de les appliquer au Nouveau Monde. Les titres présents reflètent cette
dimension utilitaire :
— Nouveau cours de chymie, suivant les principes de Newton et de Sthall […]
de Jean-Baptiste Senac (1693-1770), Paris, 1723 ;
— Les Fortifications du chevalier Antoine De Ville contenant la manière de
fortifier toute sorte de places […], Lyon, 1628 ;
— Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la
navigation de George Fournier (1595-1652), 2e éd. Paris, 1667 ;
— Traité de la matiere medicale, ou, L’Histoire et l’usage des medicamens et
leur analyse chymique : avec les noms des plantes en latin & en françois, leurs
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Noël Baillargeon, Le Séminaire de Québec de 1760 à 1800, Québec, Presses de l’Université
Laval, 1981, p. 154-155.
Monique Laurent, Le Catalogue de la bibliothèque du Séminaire de Québec, 1782, Québec,
Université Laval, 1972, xiv.
Musée de la civilisation, Fonds du Séminaire de Québec, SME C.37, p. 169, juin 1797.
Joseph Cossette, « Casot, Jean-Joseph » [en ligne], Dictionnaire biographique du Canada /
Dictionary of Canadian Biography, Québec / Toronto, Université Laval / University of
Toronto, 1980, vol. 4 [http://www.biographi.ca/fr/bio/casot_jean_joseph_4F.html].
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•23
vertus, leurs doses, & les compositions où on les employe, de Joseph Pitton de
Tournefort (1656-1708), Paris, 1717 (voir image 4).
Les quelque trois cent vingt-sept ouvrages attribués aux Jésuites de Québec
retrouvés jusqu’à présent dans la bibliothèque du séminaire démontrent que
l’enseignement procuré par le collège auprès des séminaristes et des élèves de la
colonie est un exemple probant du transfert des savoirs européens, notamment
ceux liés aux connaissances philosophiques. Dans son étude sur l’enseignement
de la philosophie, Yvan Lamonde affirme :
Ni la perspective, ni la manière, ni la matière de l’enseignement philosophique
en Nouvelle-France ne différaient de celles dans l’ancienne France. Même bible
pédagogique, même organisation de la philosophie avec adaptations, mêmes
exercices scolaires ; mêmes maîtres (Aristote et saint Thomas), même importance
vraisemblablement accordées aux différentes parties de la philosophie. Et
l’institution collégiale et la manière pédagogique et la matière philosophique
étaient d’importation européenne et occidentale34.
Une bibliothèque fondamentalement dédiée à l’enseignement
Les éditions et les auteurs présents dans la collection de la bibliothèque
traduisent la volonté du Séminaire de Québec d’assumer son mandat d’enseignement
dans une perméabilité imprégnée de l’évolution et de la circulation des savoirs,
filtrée cependant selon la morale catholique. L’apport des principaux acteurs de
la mise en place d’un corpus scolaire élaboré, dont Jérôme Demers (1774-1853)
et son successeur Jean Holmes (1799-1852)35, pour ne citer que ces deux figures
marquantes des trente premières années d’enseignement après 1764, se traduit
par l’acquisition d’ouvrages et d’instruments scientifiques soit par commandes
auprès de fournisseurs européens spécialisés, soit achetés lors de séjours en France
et en Angleterre. Les étudiants de l’époque ont accès à du matériel didactique
et à une centaine d’instruments scientifiques modernes composant le cabinet de
physique mis en place par Jérôme Demers et inspiré par les courants européens,
incluant « l’ouvrage de Brisson qui jette les bases d’une physique expérimentale36 ».
L’originalité de l’approche de Demers sera l’apprentissage par l’expérimentation,
un concept tout à fait novateur à l’époque, et « le cabinet de physique deviendra,
34
35
36
Yvan Lamonde, La Philosophie et son enseignement au Québec (1665-1920), Montréal,
Hurtubise (Les Cahiers du Québec), 1980, p. 52.
Claude Galarneau, « Un souffle nouveau dans l’enseignement : l’époque de Jérôme Demers et
Jean Holmes », Cap-aux-Diamants, vol. 4, no 1 (1988), p. 10-11. Jérôme Demers est l’auteur
du premier manuel de philosophie édité dans le Bas-Canada, Institutiones philosophicae
ad usum studiosae juventuti, Québec, Ex typis Tho. Cary & Socii, 1835. Voir aussi : Claude
Galarneau « Demers, Jérôme » [en ligne], Dictionnaire biographique du Canada / Dictionary
of Canadian Biography, Québec / Toronto, Université Laval / University of Toronto, 2016
[1985], vol. 8 [http://www.biographi.ca/fr/bio/demers_jerome_8F.html].
Yves Bergeron (dir.), Trésors d’Amérique française, Québec / Montréal, Musée de l’Amérique
française / Fides, 1996, p. 29 et 35.
24•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
selon les témoignages de l’époque, l’équivalent des cabinets européens37 ». Jérôme
Demers dotera la bibliothèque d’une riche collection d’ouvrages, de dictionnaires et
de traités scientifiques, couvrant diverses disciplines et rédigés par des spécialistes
ou des pédagogues reconnus : le baron Louis Jacques Thénard38 et Antoine Lavoisier
en chimie, l’astronome Jean-Baptiste Delambre, le mathématicien Louis-Benjamin
Francoeur, le physicien César-Mansuète Despret, etc. Près d’une centaine de titres
portant la signature de Jérôme Demers sont toujours présents dans la collection du
séminaire. Ils témoignent de son éclectisme en matière de sciences et se révèlent des
indicateurs probants quant aux connaissances diffusées dans le cadre de ses cours.
Lors de l’ouverture de l’Université Laval en 1852, la collection de la bibliothèque
compte quinze mille livres, bibliothèque qui, par décision du séminaire, devient
commune et mise à la disposition de l’université (voir image 5). De multiples actions
sont alors déployées par l’institution auprès des libraires commerciaux et spécialisés
pour garnir les rayonnages de la bibliothèque désormais de statut universitaire39. La
correspondance de l’abbé Charles-Honoré Laverdière (1826-1873), alors adjoint au
bibliothécaire (il sera nommé bibliothécaire en chef en 1858), démontre une grande
détermination à repérer et acquérir les ouvrages indispensables à l’enseignement
supérieur, incluant des livres rares tels que l’édition de 1613 des Voyages de
Champlain, acquise auprès de la maison Bossange de Paris40. Le libraire londonien
Bernard Quaritch, spécialisé en livres et manuscrits rares, ainsi que le libraire-éditeur
A. Jouby de Paris41 sont également sollicités et font régulièrement des expéditions de
livres42. L’abbé Laverdière achète en novembre 1861 auprès de D. Appleton & Co.
de New York un exemplaire complet de l’œuvre maîtresse de John James Audubon,
The Birds of America, pour satisfaire aux besoins d’enseignement des sciences
naturelles43. « En plus de remplir ses fonctions de professeur et de bibliothécaire,
37
38
39
40
41
42
43
Paul Carle, « Le cabinet de physique du Séminaire de Québec », Cap-aux-diamants, vol. 1,
no 4 (1986), p. 37 ; voir aussi, du même auteur : Le Cabinet de physique et l’enseignement
supérieur des sciences au Canada français : le cas du Séminaire de Québec et de l’Université
Laval (1663-1920), Thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 1986.
Il était d’usage dans la bibliothèque du Séminaire, lors de l’acquisition d’une nouvelle
édition, de conserver les éditions précédentes, constituant ainsi des ouvrages référentiels
quant à l’avancée des connaissances.
Par la suite, outre la bibliothèque principale, plusieurs petites bibliothèques informelles se
développeront dans les différents pavillons (médecine, musique, etc.).
Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, Manuscrit 627, p. 10, 11
janvier 1866. De nombreux livres rares, acquis à des fins pédagogiques, suivront dans cette
foulée, dont Delle navigationi […], de Ramusio, 1606 ; Histoire […] de la Nouvelle-France,
du père Charlevoix, 1744 ; The Birds of America, de John James Audubon, 1827-1838, etc.
Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, Université 45, no 20,
6 juillet 1864.
Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, Fonds Charles-Honoré
Laverdière, no 103 à 112, 11 janvier 1861 au 22 décembre 1864. La librairie Bernard Quaritch
est toujours en opération depuis 1847 et a eu parmi sa clientèle le prince Lucien Bonaparte,
Benjamin Disraeli, William Morris, etc. ; voir le site Internet de Bernard Quaritch Limited
[http://www.quaritch.com/].
Musée de la civilisation, Fonds d’archives du Séminaire de Québec, SME P11 ; Fonds CharlesHonoré Laverdière, no 67 [D. Appleton & Co.], 4 nov. 1861.
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•25
Laverdière publia plusieurs recueils de cantiques profanes et religieux et laissa
une œuvre historique considérable, non par la quantité mais par la qualité des
publications auxquelles son nom reste attaché44.» Sous son influence, la bibliothèque
de l’Université Laval diversifie la composition de son corpus et connaîtra une
croissance considérable pour atteindre cinquante mille ouvrages en 186945.
Les activités scientifiques menées par plusieurs prêtres professeurs du Séminaire
de Québec contribuent également à l’enrichissement de la bibliothèque par les
collaborations et les échanges qu’ils entretiennent dans les réseaux et les cercles
catholiques et par les participations aux associations scientifiques et aux instituts
auxquels ils sont liés. Les traces des activités de recherche et d’enseignement des
abbés Louis-Ovide Brunet (1826-1876) en histoire naturelle, de Joseph-ClovisKemner Laflamme (1849-1910) en physique et en géologie, de Thomas-Étienne
Hamel (1830-1913) en mathématiques46, pour n’en nommer que quelques-uns, sont
encore présentes dans la collection de la bibliothèque, soit par les ouvrages dont ils
sont les auteurs, soit par ceux issus de leurs bibliothèques personnelles, repérables
et identifiables grâce à leurs ex-libris (apparaissant sous la forme d’une signature
manuscrite, d’un tampon encré ou d’un sceau), par les ex-dono (révélés par une
inscription ou une étiquette formelle de donation à un tiers), ou encore par les
dédicaces d’auteurs présentes dans ces ouvrages. Autant de traces tangibles venant
dessiner les divers réseaux d’action, d’influence et de sociabilités, personnels et
scientifiques, souvent de niveau international, auxquels ces prêtres appartiennent.
Cette écologie des connaissances transmises par le médium qu’est le livre,
acquises puis retransmises par ces acteurs et dont témoignent les ouvrages de la
bibliothèque, permet, d’une part, de constater la construction d’un savoir savant à
l’Université Laval et, d’autre part, d’en connaître la diffusion à travers les activités
didactiques de l’institution, qui sont pour plusieurs offertes au grand public. « Par
ses cours publics, par ses musées, par ses spectacles et ses concerts, elle [l’Université
Laval] ouvre une fenêtre sur le monde et fortifie la vie de l’esprit. Les conférences
publiques ont plus d’ampleur qu’il n’y paraît47. »
L’institution, à l’instar du monde catholique, est sensible aux idéologies
hétérodoxes, doxiques ou libérales, voire socialistes et communistes qui fluctuent
et circulent par vagues successives au fil des décennies. L’importante section des
44
45
46
47
Michel Paquin, « Laverdière, Charles-Honoré » [en ligne], Dictionnaire biographique
du Canada / Dictionary of Canadian biography, Québec / Toronto, Université Laval /
University of Toronto, 2015 [1972], vol. 10 [http://www.biographi.ca/fr/bio/laverdiere_
charles_honore_10F.html].
Ce chiffre est indiqué sur un document d’archive relatif à la donation de trois mille volumes
par l’abbé Édouard-Gabriel Plante (1813-1869) à la bibliothèque ; Musée de la civilisation,
Fonds d’archives du Séminaire de Québec, Manuscrit 676, p. 598, 22 sept. 1869.
L’abbé Hamel figure parmi les premiers professeurs du Séminaire de Québec et de
l’Université Laval à détenir un diplôme supérieur, étant licencié de l’École des Carmes en
sciences mathématiques.
Jean Hamelin, op. cit., p. 113.
26•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
livres mis à l’index dans cette collection48 illustre la présence de ces divers courants
de pensée ainsi que du rôle de régulateur social et moral joué par le Séminaire de
Québec depuis le début de la colonie. La bibliothèque se présente conséquemment
comme une composition antinomique avec, d’une part, la présence des livres
indispensables à l’acquisition des connaissances académiques et morales et, d’autre
part, la conservation49 d’ouvrages formellement prohibés par l’Église catholique. Ces
livres, interdits de consultation, nécessitaient une permission spéciale de l’évêque
pour celui qui souhaitait en prendre connaissance. Le millier de monographies et
de brochures censurées de cette section de la bibliothèque identifiée sous le terme
d’« Enfer » attestent non seulement de la censure exercée pendant plusieurs siècles
pour des raisons doxiques et morales, mais également de l’hétérodoxie et des
idéologies hérétiques circulant à différentes époques, des auteurs proscrits et des
réseaux intellectuels dissidents, du commerce clandestin autour de ces ouvrages, des
propriétaires lecteurs dévoilés par les signatures qui ornent les pages, dont plusieurs
membres du clergé, du moins ceux autorisés à lire les titres condamnés par Rome.
Plusieurs de ces volumes portent, dans leur matérialité même, les marques, les
annotations et les excisions portées par la main du censeur50. Ces traces dévoilent,
entre autres, les tentatives de désappropriation par la rature et le retrait des noms
des propriétaires ainsi que le rituel de réappropriation par l’apposition du sceau du
Séminaire de Québec venant neutraliser le pouvoir du livre interdit en le reléguant
à une mise à l’écart étroitement contrôlée.
Conclusion
Occupant tout un module à l’entrée de la réserve des livres anciens du Musée de
l’Amérique francophone, des volumes de format in-quarto sont alignés, quelques-uns
rassemblés par une ficelle de coton. Certains se présentent dans leur reliure d’origine
en parchemin ou en cuir, souvent usée par la manipulation de nombreux lecteurs,
mais la plupart ne portent que la couverture de papier des ouvrages brochés. Ces
rayonnages contiennent, en fait, des exemplaires des premiers journaux édités
à l’époque de Louis XIV. Ce corpus, dont l’étude demeure à réaliser, illustre la
diffusion journalistique entre la France de l’Ancien Régime et le Nouveau Monde. On
y retrouve, entre autres : le Mercure François51, le Mercure de France52, le Mercure
Galant53, Le Journal des savants54, ce dernier titre s’adressant aux lettrés et s’investit
48
49
50
51
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53
54
Cette section de la bibliothèque, désignée sous le terme « Enfer », renferme près d’un millier
de documents (livres, brochures, mandements, etc.) datant du XVIe siècle jusqu’au début
du XXe siècle.
La préservation de cette section s’explique par le fait que la bibliothèque a été scindée au
début des années soixante alors que la censure ecclésiastique était toujours en vigueur.
Pierrette Lafond, Promenade en Enfer. Les livres à l’Index de la bibliothèque (fonds ancien)
du Séminaire de Québec : prolégomènes à un objet oxymore, Mémoire de maîtrise, Québec,
Université Laval, 2011.
En inventaire, les années 1616, 1619, 1621-1627, 1631-1633, 1636-1637, 1639, 1641 et 16461648.
En inventaire, les années1725-1726, 1736-1738, 1740 et 1741 (incomplet).
En inventaire, les années 1677, 1679, 1685-1688, 1690-1691, 1702-1703 et 1708-1709.
En inventaire, les années 1671-1672, 1676, 1678-1681 et 1682-1683 (incomplet).
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•27
« dans une reconnaissance des travaux savants comme dans leur diffusion55 ». La
vocation médiatique des Mercure vise plutôt à informer et divertir le public français
et celui des colonies sur les nouvelles de la Cour et les événements mondains ou
littéraires. Ainsi, dans son édition de décembre 1708, le Mercure Galant annonce
à son lectorat que « Messire François de Laval, de la Maison de Laval, premier
Evêque de Quebec dans la Nouvelle-France, mourut à Quebec le 6 mai dernier, au
commencement de sa 86 année56 ». Il est intéressant de constater que ce périodique
porte l’inscription manuscrite du Collège des Jésuites de Québec, accompagnée
d’une date d’inventaire (1720) certifiant la présence de cette revue sur le territoire à
cette époque. L’existence de ces journaux dans les collections des bibliothèques des
Jésuites et de celles du Séminaire de Québec traduit l’intérêt manifeste des habitants
du territoire pour les nouvelles et les actualités européennes. De futures études
possibles permettraient, entre autres, d’évaluer la teneur et la couverture médiatique
des nouvelles en provenance de la colonie dans les premiers journaux de France.
La bibliothèque du Séminaire de Québec témoigne des actions consacrées
à la construction d’une pensée théologique et morale catholique, aux activités
intellectuelles liées à la recherche et à l’enseignement et à l’expression d’une culture
française en Amérique. La vision éducative du séminaire a toujours considéré
l’acquisition de livres selon l’aspect informatif ou pédagogique lié à leur contenu,
et non dans une intention de collectionnement ou d’entreprise bibliophile. Les
atlas distinctifs du cartographe néerlandais Johannes Blaeu, l’édition originale de
l’Histoire naturelle, générale et particulière (1749-1889) du naturaliste Buffon ou
la correspondance éditée sous reliure de parchemin des Relations des Jésuites
étaient mis au service des étudiants et utilisés pour remplir la mission première de
l’institution : l’enseignement et la transmission des connaissances.
La bibliothèque des livres rares et anciens du Séminaire de Québec représente
ultimement une exceptionnelle collection révélatrice de la polysémie du livre (voir
image 6) : des pratiques, des usages, des représentations57, des productions, des
échanges et des réceptions d’un corpus se voulant encyclopédique et constitué
de manière cohérente et en continu sur plus de trois siècles d’existence. Que
ce soit dans l’étude des contenus de chacun de ces ouvrages ou encore dans la
considération matérielle du support de l’écrit composant la dualité du livre, les
multiples niveaux de sens offerts par ce patrimoine livresque méritent qu’on s’y
attarde, qu’on les interroge et qu’on les diffuse, tels des miroirs de notre mémoire
collective et identitaire.
55
56
57
Jean-Pierre Vittu, « La formation d’une institution scientifique : le Journal des savants de
1665 à 1714 » [en ligne], Journal des savants, vol. 1, no 1 (2002), p.179 [http://www.persee.
fr/doc/jds_0021-8103_2002_num_1_1_1653].
Mercure Galant, Décembre 1708, p. 215-216, disponible en ligne à l’adresse suivante :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb40216887k/date
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livres sont à toi » : De l’œuvre des bons livres à la Grande Bibliothèque (1844-2005), Montréal
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28•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
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www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_2002_num_1_1_1653].
30•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
Annexe
Image 1
Ex-libris manuscrit de François de Montmorency
Laval (1623-1708), évêque in partibus de Pétrée,
vicaireapostoliqueenNouvelle-France(1658–1674),
premierévêquedeQuébec(1674–1688),avec
l’inscription abrégée Sem Miss Kebecens Catal Inscr.
Une date d’inventaire accompagne quelquefois cette
mention d’inscription au catalogue.
Musées de la civilisation, bibliothèque du Séminaire
de Québec, SQ046154.
Image 2
L’ensemble
architectural du
Séminaire de
Québec de nos
jours. Musées de
la civilisation,
Vue aérienne
du Séminaire de
Québec, a010_
relv06_0005.
Photographe : Idra
Labrie–Perspective
Photo.
Portrait d’un patrimoine livresque d’intérêt national... dePierretteLafond•31
Image 3
La signature raturée de l’abbé Jean-Pierre Miniac
est accompagnée de l’inscription manuscrite « Au
Seminaire des Missions etrangeres de Quebec
1754 », indicatrice de l’appropriation du livre par le
Séminaire de Québec et de la date de son entrée
dans la bibliothèque.
Musées de la civilisation, bibliothèque du
Séminaire de Québec, SQ004845.
Image 4
L’inscription manuscrite du Collège des Jésuites de
Québec, habituellement écrite sous forme abrégée,
apparaît en page de titre du Traité de la matiere
medicale […]. Elle est accompagnée ici de deux
dates d’inventaire de leur bibliothèque, soit 1720
et 1745. Les différents tampons et inscriptions
témoignent du parcours et du statut du livre dans
la bibliothèque selon les époques.
Musées de la civilisation, bibliothèque du
Séminaire de Québec, SQ000535.
32•Étudeslittéraires–Volume46No 2–Été2015
Image 5
Une des salles de la bibliothèque de l’Université Laval et du Séminaire de Québec vers 1899.
Musées de la civilisation, fonds d’archives du Séminaire de Québec, PH1996-31.
Image 6
Martine Malenfant, technicienne responsable
du catalogage informatisé de 1995 à 2013,
dans la réserve des livres rares et anciens de
la bibliothèque du Séminaire de Québec, au
Musée de l’Amérique francophone.
Musées de la civilisation, Centre de référence
du Musée de l’Amérique francophone, 0110_
compl_0048.Photographe:AmélieBreton–
Perspective Photo.