Canadian Journal for New Scholars in Education/
Revue canadienne des jeunes chercheures et chercheurs en éducation
Volume 5, Numéro 2
Été, 2014
L’enseignement en équipe au secondaire : des conditions au service de sa pratique
Dominique Laflamme
Université de Montréal
dominique.laflamme@uqo.ca
Résumé
C’est dans un souci de mieux-vivre ensemble et de cohérence dans les pratiques enseignantes que s’inscrit cette
démarche de recherche. Au Québec, les enseignants, par la plus récente réforme de l’éducation, sont appelés à
travailler davantage de façon collective. En contexte d’enseignement au secondaire, l’enseignement en équipe
pourrait représenter une approche novatrice répondant à cette volonté ministérielle. Afin d’identifier les conditions
favorisant l’approche d’enseignement en équipe au secondaire, neuf participants ont été rencontrés. Par une
recherche exploratoire dont les données ont été analysées à l’aide de la Démarche Réflexive d’Analyse en
Partenariat (DRAP), un total de 12 conditions externes et de 15 conditions internes ont émergé pour conduire à la
proposition d’un modèle. Ce texte se veut une occasion de présenter la problématique, le cadre théorique et la
démarche méthodologique ayant soutenu la démarche de recherche pour mener aux résultats, lesquels seront
présentés en en faisant ressortir certaines conditions incontournables.
Introduction
Cet article rend compte des résultats d’une recherche de maitrise menée auprès de neuf participants étroitement
concernés par l’approche d’enseignement en équipe. Cette recherche a comme objectif d’identifier, par la
coconstruction des participants, les conditions externes et internes à l’équipe d’enseignants contribuant à la
modélisation d’une approche d’enseignement en équipe au secondaire. C’est par une méthodologie adoptant une
perspective socioconstructiviste (Dalgarno, 1996; Lafortune, 2004) que les participants ont pu, par une démarche
réflexive, identifier ces conditions. Ces dernières ont été analysées et interprétées en respectant un modèle inspiré de
Klein et Porter (1990) qui proposent une catégorisation en deux pôles : externe et interne. Le présent article propose
d’abord une présentation abrégée de la problématique de recherche, puis présente un condensé du cadre théorique en
orientant le lecteur vers deux concepts au cœur de la recherche : l’enseignement en équipe et les conditions externes
et internes. Les choix méthodologiques sont ensuite exposés pour mener à la présentation des résultats.
Problématique
Une évolution de la profession enseignante se traduit actuellement par le passage d’un exercice individuel à un
exercice collectif (Marcel, Dupriez, Périsset Bagnoud, & Tardif, 2007). Tardif et Levasseur (2004) parlent
d’irruption du collectif au sein de la structure cellulaire de l’enseignement. Or, pour s’intégrer dans les pratiques des
enseignants du secondaire, cet exercice collectif doit être réfléchi et un tant soit peu structuré.
Selon Staquet (2007), il semble que la coopération ou le travail collectif soit communément admis par les différents
intervenants scolaires, mais ces pratiques tardent à vraiment s’implanter dans les milieux éducatifs. Ce n’est pas
encore le principal fil conducteur des équipes de travail.
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Pour préparer des êtres humains à vivre ensemble tel que le propose Jacquard (2008), il faut que les enseignants
deviennent des modèles (Staquet, 2007). Il doit y avoir cohérence entre les pratiques des enseignants et certains
besoins des jeunes (Caouette, 1992). Pour Paquette (1990), il y a dissonance lorsqu’il y a un écart entre les discours
(valeurs de préférence) et les pratiques (valeur de référence). Or, il existe actuellement un double langage en
éducation : les enseignants travaillent généralement individuellement en situation de cours magistral alors qu’ils
demandent aux élèves de travailler en coopération, et ce, particulièrement au secondaire (Staquet, 2007).
La réforme de l’enseignement, implantée par le ministère de l’Éducation du Québec (2001) met au premier plan les
recherches les plus récentes en éducation et invite les enseignants à partager leurs compétences professionnelles par
le travail d’équipe. C’est dans une perspective de réhabilitation d’un meilleur vivre ensemble que s’inscrivent, entre
autres, les Programmes de formation de l’école québécoise en éducation préscolaire et enseignement primaire et
secondaire (ministère de l’Éducation du Québec, 2001, 2003). Cette réforme est à la fine pointe de ce qui se fait en
éducation. Elle permet aux enseignants de mettre à profit leur expertise et leur créativité en utilisant des moyens
pédagogiques variés (Séguin, Lachance, & Robitaille, 2007).
Comme le souligne le Conseil supérieur de l’éducation (2003), avec la réforme, les enseignants et les enseignantes
sont conviés à des changements concernant les attitudes, les comportements et les représentations : « La coopération
et la collégialité que nécessite la gestion d’un cycle d’apprentissage invitent les enseignantes et les enseignants à
déployer toute leur autonomie individuelle et toute leur créativité professionnelle, selon des paramètres établis
collectivement » (p. 17). Un cycle d’apprentissage exige un haut niveau de confiance et d’interdépendance
professionnelle dont les paramètres doivent être établis collectivement. Pour cela, il faut une synergie très forte entre
les intervenants (Conseil supérieur de l’éducation, 2003).
C’est en s’inspirant du travail de Klein et Porter (1990) qu’une démarche de réflexion basée sur des conditions
externes et internes pouvant favoriser l’enseignement en équipe a été élaborée. La notion de condition (externe ou
interne) sera davantage explicitée dans le cadre théorique.
Une recherche exploratoire a été menée en respectant une perspective socioconstructiviste, laquelle est étroitement
liée à la trame de fond de ce travail de recherche, à savoir le travail collectif. Aussi, les participants ont été invités à
travailler, lors de la collecte de données, en respect de cette perspective par une démarche nécessitant le travail
collectif. L’objectif : arriver à créer un modèle de l’approche d’enseignement en équipe au secondaire en contexte
québécois. Les conditions externes et internes identifiées par les participants constituent la matière première pour
l’atteinte de cet objectif de recherche.
Cadre conceptuel
L’enseignement en équipe
D’entrée de jeu, il convient de dire que l’enseignement en équipe ne fait pas l’unanimité quant à sa définition dans
les écrits scientifiques. Tout au long des lectures réalisées afin de cerner le concept d’enseignement en équipe,
différents mots ont été rencontrés pour décrire le concept, mais une recherche plus exhaustive a mené au choix de
l’expression « enseignement en équipe ». Voici le cheminement poursuivi permettant d’arriver à une telle
conclusion.
La première confusion rencontrée dans les écrits oppose le co-enseignement à l’enseignement en équipe. Certains
auteurs tels que Trump et Miller (1973) affirment que le co-enseignement est un arrangement dans lequel deux
enseignants ou plus enseignent, planifient et évaluent des élèves dans une ou plusieurs disciplines en utilisant une
variété de stratégies pédagogiques et d’apprentissage. Cette définition ressemble à celle de Legendre (2005) qui
définit l’enseignement en équipe comme suit : « L’enseignement dont la préparation, la réalisation et l’évaluation
sont effectuées en collaboration par deux enseignants ou plus et qui s’adresse à un groupe unique d’élèves ou à
plusieurs groupes fusionnés » (Idem, p. 581). Ces deux définitions sont très semblables, mais les termes utilisés sont
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différents. Trump et Miller (1973) parlent de co-enseignement alors que Legendre (2005) parle d’enseignement en
équipe.
Pourtant, un texte plus récent de Wilson (2005) définit le co-enseignement de la façon suivante : « Le travail
conjoint d’un enseignant et d’un éducateur spécialisé dans une classe régulière » (Idem, p. 272). Pour Murawski
(2008), le co-enseignement existe lorsque deux professionnels (des éducateurs spécialisés) planifient, enseignent et
évaluent ensemble différents groupes d’élèves. Les deux éducateurs travaillent dans la même classe et enseignent
tous les deux. Aucun des deux n’est considéré comme l’éducateur principal (Murawski, 2008). Ces deux dernières
définitions sont très semblables et il importe de savoir que les deux textes à savoir celui de Wilson (2005) et celui de
Murawski (2008) portent sur le co-enseignement en relation avec les élèves en difficulté (comportement ou
apprentissage). Une nuance mérite d’être soulignée : pour Murawski (2008), le co-enseignement se pratique avec
deux éducateurs spécialisés qui sont tous deux égaux alors que pour Wilson (2005), le co-enseignement se pratique
avec un enseignant et un éducateur spécialisé. Outre cette nuance, retenons que, dans ce cas, le co-enseignement
serait une pratique enseignante utilisée particulièrement pour des clientèles d’élèves éprouvant des problèmes
d’apprentissage ou de comportement inclus en contexte de classe régulière. Aussi, remarquons que dans les deux
définitions, les termes « éducateur spécialisé » (special education teacher) sont récurrents. Cela confirme pour
l’instant que le co-enseignement s’adresserait à une clientèle en difficulté, du moins pour ces chercheurs.
Pour St-Arnaud (2002), le team-teaching « est la mise en commun interactive de ressources complémentaires soit
sur un contenu, soit sur l’enseignement lui-même pour assurer de meilleures conditions d’apprentissage ». Retenons
dans cette définition le fait que les enseignants doivent mettre en commun des ressources de façon interactive.
Buckley (1999, p. 7) définit le team-teaching comme suit : « Deux ou plusieurs enseignants, avec ou sans personne
auxiliaire, qui planifient, enseignent et évaluent en collaboration, à un ou plusieurs groupes, dans un environnement
éducationnel propice et avec suffisamment de temps, et qui prennent avantage des compétences spécifiques de
chaque membre de l’équipe ». Ici, retenons que l’enseignement en équipe peut se faire du moment que plusieurs
enseignants sont en interaction.
Une dernière définition est enfin proposée pour compléter notre tour d’horizon. Selon Jang (2006), le team-teaching
implique deux enseignants ou plus dont la principale préoccupation est de partager les expériences d’enseignement
dans la classe. Ceux-ci prennent des responsabilités collectives pour maximiser les façons d’enseigner ou pour
devenir de meilleurs enseignants. Jang (2006) considère aussi que faire du team-teaching offrirait plus de chances
aux élèves de faire des apprentissages (Jang, 2006, p. 180). Dans cette définition, retenons le fait que les expériences
d’enseignement sont partagées. En fusionnant la définition de Jang (2006) et celle de Buckley (1999), il est possible
de conclure que, pour qu’il y ait de l’enseignement en équipe, les enseignants doivent planifier, enseigner et évaluer
ensemble.
Le choix de l’expression « enseignement en équipe » s’impose. La définition retenue dans le cadre de cette
recherche est la suivante : Approche de l’enseignement effective lorsque quelques enseignants, devenant partenaires
et complices, assument ensemble toutes les responsabilités reliées à leurs tâches respectives de façon réciproque et
interdépendante en exploitant les compétences diverses de chaque membre de l’équipe dans le but de favoriser
l’apprentissage mutuel des enseignants et des élèves (adaptée deBuckley, 1999; Houde et Jacques, 1999; Jang, 2006;
Legendre, 2005; Marcel et al., 2007).
Conditions externes et internes
Tout au long de l’élaboration de la problématique et du cadre théorique, plusieurs textes consultés conduisent à
identifier une quantité impressionnante de propositions relatives à la réussite de l’enseignement en équipe. Le souci
de classifier, d’organiser ces idées a prédominé afin de mieux visualiser ce qui pourrait devenir les balises
nécessaires à l’élaboration éventuelle d’un modèle. Klein et Porter (1990) travaillent sur l’interdisciplinarité depuis
les années 1980. Ils proposent dans leurs écrits plusieurs façons d’appréhender cette réalité, par exemple, une
catégorisation sous forme de conditions externes et internes en lien avec le travail d’équipe et la recherche
interdisciplinaire. Pour eux, les conditions externes relèvent davantage d’un point de vue administratif alors que les
conditions internes appartiennent à l’équipe désireuse d’implanter une structure solide de travail coopératif. C’est à
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partir de leurs travaux et en le transposant à l’enseignement en équipe qu’une ossature a été composée et a conduit
au modèle final pour cette recherche. Ce modèle est proposé dans la figure 1 ci-dessous.
Figure 1 : Schématisation des conditions favorisant l’approche d’enseignement en équipe au secondaire
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Voici d’abord une présentation des conditions externes comportant trois catégories : (1) l’organisation de
l’institution (2) la motivation et (3) les ressources. Concernant l’organisation de l’institution (1), Klein et Porter
(1990) indiquent qu’un effort d’envergure doit être envisagé nécessitant un investissement de temps et des
compétences particulières chez les participants. De plus, l’organisation doit posséder une philosophie de travail
d’équipe. La motivation du participant (2) doit être intrinsèque et satisfaire les besoins émotifs et intellectuels de
l’individu impliqué. Les ressources (3) correspondent au temps accordé au projet, à l’argent disponible et à la
présence du personnel approprié, d’un leader et d’une équipe de référence.
À propos des conditions internes, cinq catégories sont proposées par Klein et Porter (1990) : (1) les principes
personnels (2) le leadership, (3) les compétences, (4) la vision de l’équipe et (5) la dynamique de l’équipe. Klein et
Porter (1990) observent, en ce qui a trait aux principes personnels (1), que les individus impliqués doivent faire
preuve de flexibilité, de sensibilité et de tolérance. Ils doivent avoir le goût de l’aventure et une solide volonté
d’apprendre. Aussi, pour la réussite du travail d’équipe, il importe de faire passer les intérêts du groupe avant les
intérêts personnels.
Le leadership (2) correspond aux capacités que doit avoir la personne qui dirige l’équipe : elle doit avoir une bonne
connaissance des disciplines enseignées, communiquer efficacement, assurer la gestion du budget, s’occuper des
relations avec la communauté (parents, enseignants, etc.) et être en mesure de résoudre des problèmes. Klein et
Porter (1990) notent que ces capacités sont particulièrement importantes en début de projet.
Concernant les compétences (3), les membres de l’équipe doivent avoir une vision interdisciplinaire et posséder une
compétence au travail en coopération. La vision de l’équipe (4) correspond à la présence d’un projet commun aux
membres de l’équipe. Une planification conjointe permettant d’anticiper les besoins des individus assure la réussite
du projet d’équipe.
Enfin, la dynamique de l’équipe (5) met en relief l’importance de la proximité physique entre les membres de
l’équipe. Ceux-ci doivent travailler dans un lieu commun, un espace ouvert permettant ainsi des interactions
régulières et une communication efficace.
Méthodologie
Perspective socioconstructiviste
Afin de mieux cerner la pertinence d’inscrire notre démarche dans une perspective socioconstructiviste, les trois
principes de Dalgarno (1996) ont été retenus :
1. Chaque personne forme sa propre représentation du savoir, construisant ses propres expériences
individuelles; conséquemment, il n’y a pas une seule représentation correcte du savoir.
2. Une personne apprend par l’exploration active et l’apprentissage se produit quand l’exploration de
l’apprenant découvre le déséquilibre entre les représentations courantes du savoir et son expérience.
3. L’apprentissage a lieu dans un contexte social et l’interaction entre les apprenants et leurs pairs est une
partie nécessaire du processus d’apprentissage.
Pour Lafortune et Deaudelin (2001), une perspective socioconstructiviste nécessite un processus de coconstruction
qui permet à chaque personne, à partir de son propre modèle, de participer au développement d’un modèle collectif.
Les participants, par la mise en commun de leur expérience, ont travaillé ensemble à coconstruire un modèle de
l’enseignement en équipe.
Ces principes semblent tout à fait pertinents aux objectifs poursuivis dans cette démarche de recherche. En effet,
c’est par les échanges et la réflexion et en respectant l’expérience et les connaissances des participants que ces
derniers ont contribués à la modélisation d’une approche d’enseignement en équipe au secondaire.
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Description des participants
Neuf personnes ont participé à l’étude parmi lesquelles deux étaient des directions d’établissement, cinq étaient des
enseignants et deux étaient des enseignants ayant des responsabilités syndicales. Ces personnes étaient
majoritairement des femmes (six), ayant entre sept et 34 ans d’expérience en enseignement. La majorité des
participants avait entre six et 10 années d’expérience en enseignement en équipe. Tous les participants détenaient
une formation initiale en pédagogie. Les données ont été recueillies dans deux établissements d’enseignement, soit
l’école secondaire Jean-Gauthier située à Alma (cinq participants : une direction d’établissement, trois enseignants et
un enseignant représentant syndical) et le Cégep de Rimouski (une direction d’établissement, deux enseignants et un
enseignant représentant syndical). Le Cégep, bien qu’une institution d’enseignement de niveau collégial, a été retenu
pour deux raisons principales : une véritable culture d’enseignement en équipe existe au sein de l’établissement et,
malgré une recherche de six mois pour trouver une école secondaire dans laquelle des enseignants travaillaient en
conformité avec les définitions de l’enseignement en équipe retenue, une quantité très limitée d’écoles ont été
dénichées et une seule a accepté de participer à la recherche. Ainsi, le Cégep de Rimouski a été retenu considérant
que le contexte d’enseignement ressemble à celui de secondaire : les enseignants du collégial ont plusieurs groupes
auxquels ils enseignent une seule discipline scolaire au même titre que les enseignants du secondaire.
Démarche réflexive d’analyse en partenariat (DRAP)
Par l’utilisation de la Démarche Réflexive d’Analyse en Partenariat (DRAP), l’objectif principal est de faire émerger
des informations (des conditions externes et internes) en provenance des équipes sélectionnées (direction,
enseignant, représentant syndical). Les questions posées ont orienté les participants sans imposer aucune idée1. La
démarche DRAP, proposée par Boudreault et Kalubi (2006), correspond à l’objectif visé par cette recherche et
respecte la perspective socioconstructiviste retenue. C’est par une réflexion de groupe que les participants sont
arrivés à coconstruire les conditions internes et externes favorisant la pratique de l’enseignement en équipe. La
démarche DRAP permet d’éviter certains biais que comportent les entrevues semi-dirigées traditionnelles
(Boudreault et Kalubi, 2006). En effet, la démarche, par la proposition de thèmes globaux, cherche à faire émerger
des énoncés en lien avec les objectifs de recherche afin que les participants puissent eux-mêmes verbaliser les
énoncés qui ont composé les éléments d’analyse. Les règles à respecter à l’intérieur de la démarche DRAP
s’inspirent de la méthodologie des groupes de réflexion (Boudreault et Kalubi, 2006).
À l’instar de Boudreault et Kalubi (2006), nous avons adopté la dénomination « groupe de réflexion » plutôt que «
groupe de discussion ». D’abord parce que la méthodologie de la recherche repose sur l’utilisation du logiciel
soutenant la démarche DRAP présenté par ces auteurs; ensuite « parce qu’il n’y a pas vraiment de discussion des
énoncés dans l’approche DRAP, mais plutôt une libre expression des idées autour de thèmes bien ciblés en fonction
des objectifs du projet » (Boudreault et Kalubi, 2006, p. 15).
Analyse des données
Quatre façons d’analyser les résultats (facteurs d’analyse) ont été retenues afin d’identifier les conditions
recherchées dans le cadre de la démarche. Premièrement, pour chaque institution rencontrée, le premier tiers (33 %)
des énoncés ayant la plus haute priorisation par les participants a été retenu. Donc le premier facteur correspondait à
l’importance accordée aux énoncés par les participants dans chaque institution.
Deuxièmement, une analyse de la récurrence des énoncés dans les différentes institutions rencontrées a été effectuée
tout en prenant en considération l’évaluation accordée par les participants. Autrement dit, si un énoncé était répété
dans les deux institutions et que la moyenne d’au moins un des deux énoncés était importante, c’est l’idée maitresse
inférée par ces énoncés qui a été retenue.
Voici un exemple d’une question posée : Quelles sont les conditions internes et externes à l’équipe d’enseignants
nécessaires à la mise en place, à la création de l’équipe ?
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Troisièmement, une analyse de la récurrence des énoncés a été faite sans égard à l’importance que les participants
avaient pu leur attribuer. À la lecture des énoncés, le regroupement des énoncés en fonction d’une idée maitresse a
été réalisé montrant qu’il était possible d’unir plusieurs énoncés et ainsi leur attribuer une importance en soi.
Lorsqu’une idée revenait plusieurs fois, mais exprimée différemment, cela témoignait d’une préoccupation des
participants qui devait être prise en compte dans l’analyse.
Quatrièmement, lorsqu’un énoncé avait une seule occurrence et que sa moyenne était plutôt faible, ce dernier n’a pas
été retenu dans l’analyse.
Au terme de l’analyse et l’interprétation des données, un total de 27 conditions ont été retenues. Les conditions
externes regroupent 12 conditions réparties en trois catégories (organisation [4], motivation [5] et ressources [3]).
Les conditions internes regroupent 15 conditions réparties en cinq catégories (principes personnels [5], leadership
[2], compétences [3], vision de l’équipe [3] et dynamique de l’équipe [2]). Ces catégories sont inspirées du modèle
de Klein et Porter (1990) présenté dans le cadre théorique. Dans les prochaines lignes, une condition sera présentée
par catégorie. Cela contribuera à donner au lecteur un aperçu du modèle global proposé.
Quelques conditions externes et internes
Conditions externes
Organisation
Flexibilité et ajustement de l’horaire
Les enseignants ont énoncé trois besoins correspondant à une structure de collaboration efficace selon Jang (2006).
D’abord, la reconnaissance administrative du travail est un énoncé récurrent dans les deux groupes rencontrés
(Alexa à Alma et Roch à Rimouski ), car ils admettent tous deux que l’enseignement en équipe demande une charge
de travail supplémentaire, et ce, particulièrement dans les premières années de mise en place d’une structure
respectant l’approche d’enseignement en équipe. Pour les enseignants, il faut ajuster les horaires afin de reconnaitre
la charge de travail investie par les enseignants et permettre la prise en compte des contraintes liées à l’horaire.
Ainsi, Alexa soutient que l’horaire doit être flexible. Avec une moyenne de 8,8 sur 9 , cette idée est très importante
aux yeux des autres participants du groupe d’Alma.
Motivation
Intérêt et motivation des élèves
À la lecture des résultats, plusieurs énoncés se rapportent à l’intérêt et à la motivation des élèves. Le fait de faire de
l’enseignement en équipe serait donc motivant pour les enseignants étant donné que cela susciterait l’intérêt des
élèves à leurs yeux (Viau, 1994). Selon ces résultats, c’est une condition importante de l’enseignement en équipe,
car lorsque les élèves sont motivés, ils réussissent mieux et persévèrent davantage dans leur cheminement scolaire.
À ce propos, Harada, Kirio et Yamamoto (2008) observent que les enseignants pratiquant l’enseignement en équipe
ont dans leurs classes un taux de décrochage scolaire inférieur aux classes régulières du secondaire. Les enseignants
manifestent donc un intérêt pour l’enseignement en équipe, car ils ont l’intuition que cela est une source de réussite
et de motivation pour les élèves.
Ressources
Temps de libération pour rencontres équipe
Le facteur temps est largement exprimé par les énoncés émis dans la catégorie « ressources », et ce, autant à
Rimouski qu’à Alma. Ce sont les enseignants qui ont émis l’ensemble des énoncés en lien avec le facteur temps et
cela prend tout son sens lorsqu’on plonge dans la réalité quotidienne d’un enseignant travaillant en équipe. Dans les
faits, cet enseignant doit planifier et organiser sa tâche (rôles et responsabilités) au même titre que le font tous les
enseignants, mais celui qui travaille en équipe doit faire cette planification justement en équipe. Un partage doit se
faire pour assurer le bon fonctionnement du groupe de travail. Cela rejoint une des conditions proposées par
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Murawski (2008), à savoir que les administrateurs doivent trouver des solutions pour donner du temps de libération
aux enseignants qui travaillent en équipe afin de leur permettre une planification et une préparation efficaces.
Conditions internes
Principes personnels
Conviction que le modèle fonctionne
Cette catégorie a été la plus prolifique concernant la quantité d’énoncés émis par les participants. Elle a récolté 20
énoncés dont 18 proviennent d’enseignantes. Ayant fait l’unanimité dans le groupe d’Alma, « la conviction que le
modèle d’enseignement en équipe fonctionne » était une condition incontournable pour que l’équipe de travail
fonctionne. Klein et Porter (1990) mentionnent que pour arriver à fonctionner en équipe dans un projet commun, les
membres doivent avoir la capacité de subordonner leur intérêt personnel au profit des intérêts du groupe. Pour cela,
il faut avoir cette conviction personnelle profonde que le modèle fonctionne, conviction qui doit faire partie des
valeurs fondamentales de l’enseignant dès la mise en place d’un projet d’enseignement en équipe.
Leadership
Promotion de l’approche, autoévaluation et rétroaction
Seulement trois énoncés sur un total de 109 ont émergé de cette catégorie. C’est très peu. En ce sens, cela mérite
discussion. En fait, Klein et Porter (1990) suggèrent que le leadership est particulièrement important dans les
premières phases de mise en place d’un programme respectant une approche de travail en équipe. Dans cette
recherche, comme les équipes rencontrées travaillaient ensemble depuis plusieurs années déjà, cela pourrait
expliquer que le besoin de leadership comme condition favorisant l’enseignement en équipe soit moins présent. Les
équipes rencontrées semblaient autonomes et possédaient déjà une structure bien établie sans nécessairement qu’une
personne, plus que les autres, fasse figure de leader. Pour connaitre davantage les conditions liées au leadership, il
faudrait investiguer vers des équipes en début de parcours, celles qui entreprennent des projets d’enseignement en
équipe.
Compétences
Capacité à travailler en équipe
Dans les faits, cinq énoncés sur 13 portent sur l’équipe dans la catégorie « compétence ». D’ailleurs, se retrouve ici
le seul énoncé ayant fait l’unanimité à Rimouski : la « capacité des enseignants à travailler en équipe ». C’est donc
un incontournable pour eux. Les participants parlent de « travailler en équipe multidisciplinaire », d’« utiliser les
compétences de chacun », de « partager les responsabilités ». La compétence au travail d’équipe est large et de
multiples façons de la développer sont proposées dans les écrits scientifiques. Pour Klein et Porter (1990), la
compétence au travail d’équipe correspond au fait de participer efficacement en travail collaboratif; avoir une
connaissance de la manière de faire les choses, du langage approprié, des informations et des concepts utiles en
travail d’équipe. Il faut avoir la capacité de confirmer ou d’infirmer des solutions proposées dans l’optique du
mieux-être et du mieux-vivre de l’équipe (Klein et Porter, 1990).
Vision de l’équipe
Motivation commune
À l’instar de ce que propose Shibley (2006), à savoir le partage d’une même vision pédagogique, les participants
s’expriment en disant que le but et les intérêts doivent être communs, qu’il faut partager des visions communes.
Murawski (2008) émet une idée qui pour les participants est déterminante et prend tout son sens dans cette section
précise. Cette dernière prétend que l’enseignement en équipe est un mariage professionnel. En d’autres mots, les
participants ont exprimé la même chose : Alexa mentionne qu’il faut avoir des « intérêts communs » alors que Rose
prétend que les participants doivent « partager des valeurs communes ». Pour unir des personnes, que ce soit d’un
point de vue personnel ou professionnel, il faut qu’il y ait partage d’une même vision, d’un ensemble de valeurs
fondamentales. C’est ce que les participants manifestent à travers leurs énoncés.
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Dynamique de l’équipe
Bonne communication
En ce qui concerne la communication, les participants ont été très clairs. Ils désirent travailler dans un « souci
constant, continuel de communication » (Angèle). Ils sont préoccupés par le fait d’avoir une « bonne communication
entre les membres de l’équipe » (Reine). Pour eux, cela est un gage de réussite, une condition gagnante, car la
moyenne associée à ces énoncés est forte. Dans ses écrits, Shibley (2006) parle de l’importance d’une bonne
communication dans le travail d’équipe. Pour cet auteur, le fait d’avoir une bonne communication entre les membres
de l’équipe fait en sorte que les conflits sont identifiés et réglés rapidement. En conséquence, la réussite d’une
approche d’enseignement en équipe est envisageable (Shibley, 2006). Les enseignants ont donc des idées très liées à
celles de Shibley (2006).
Conclusion
Les conditions favorisant une approche d’enseignement en équipe sont multiples et relèvent des besoins particuliers
de chaque organisation. Cependant, pour tenter une modélisation des conditions externes et internes de
l’enseignement en équipe, nous avons travaillé à partir du modèle de Klein et Porter (1990). Ces auteurs proposent
trois sous-catégories de conditions externes (organisation, motivation, ressources) et cinq sous-catégories de
conditions internes (principes personnels, leadership, compétence, vision de l’équipe et dynamique de l’équipe).
C’est donc en exploitant ces sous-catégories que nous avons rassemblé, priorisé, analysé et discuté des énoncés émis
par les participants. Comme notre collecte de données a été réalisée en utilisant la Démarche Réflexive d’Analyse en
Partenariat (DRAP) proposée par Boudreault et Kalubi (2006), un logiciel de recherche a facilité la réalisation de
notre analyse et ensuite notre interprétation.
Parmi les 109 énoncés recueillis lors de notre collecte de données, deux ont fait l’unanimité chez les participants. Le
premier concerne la capacité à travailler en équipe. Pour les participants, cette compétence représente un atout
indispensable pour les organisations désireuses de mettre en place ou de poursuivre une démarche d’enseignement
en équipe. Dès lors, nous pouvons nous poser la question à savoir de quelle façon cette capacité ou cette compétence
pourrait être développée. Il s’agirait là d’une nouvelle recherche tout aussi intéressante que celle que nous avons
réalisée.
Le deuxième énoncé ayant fait l’unanimité porte sur la conviction profonde que les participants doivent avoir, à
savoir que le modèle d’enseignement en équipe fonctionne. Les enseignants, les administrateurs, les personnes
impliquées doivent croire que le modèle est efficace, intéressant, motivant et formateur pour tous ceux qui prennent
part au projet. Autrement dit, si les personnes engagées dans un processus respectant l’approche d’enseignement en
équipe ne croient pas profondément à cette façon de faire, l’exercice est pratiquement voué à l’échec.
Enfin, l’enseignement en équipe mérite une attention particulière, car si les conditions favorisant sa pratique sont
rassemblées, l’ensemble des personnes impliquées dans une telle démarche en verra l’utilité et la richesse. Que nous
parlions de formation des enseignants, de qualité des échanges pédagogiques, de réussite et de persévérance
scolaires des élèves, de motivation, tous des arguments à la faveur de la pratique de l’enseignement en équipe, il
nous faut inévitablement lui accorder une importance particulière dans notre système d’enseignement québécois et
dans des recherches scientifiques ultérieures.
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Références
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Revue canadienne des jeunes chercheures et chercheurs en éducation
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