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Interview

Tokia Saïfi : « Les pays du Nord doivent aussi accepter de se remettre en cause »

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Par Julie Chauveau, Anne Bauer

Publié le 26 août 2002 à 01:01

A ceux qui s'interrogent sur la stratégie de la France, après l'annonce de la décision du président américain de ne pas faire le déplacement à Johannesburg, Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au Développement durable, répond, imperturbable : « Rio a été le sommet des grands principes, Johannesburg doit être celui de la concrétisation et de la mise en oeuvre. La présence ou l'absence du président des Etats-Unis ne fera ni le succès ni l'échec du sommet de Johannesburg, même si cela constitue un signe négatif. A mes yeux, la réussite de cette réunion se jugera au contenu de la déclaration politique finale. Celle-ci doit être forte, avec des engagements précis. De même, le plan d'action doit décliner des axes d'intervention précis, fixer un calendrier et des moyens. »

Sur la nature des engagements prioritaires, le premier secrétaire d'Etat au Développement durable d'un gouvernement français répond : la lutte contre la pauvreté. « Personne ne peut accepter de laisser un certain nombre de peuples au bord du chemin. Il faut convaincre la communauté internationale de s'organiser pour maîtriser et humaniser la mondialisation, en particulier par une gestion responsable des ressources naturelles. »

« Rester lucide et pragmatique »

Concernant le plan d'action lui-même, elle insiste sur la fermeté de la France pour « la mise en oeuvre effective et concrète des accords déjà intervenus au niveau international, en particulier à Doha et Monterrey ». L'Europe et la France se sont engagées à défendre deux nouveaux dossiers : un meilleur accès à l'énergie des pays en voie de développement et la nécessaire prise en compte de l'assainissement de l'eau, avec l'accès à l'eau potable. Deux points pour lesquels les Etats ne se sont pas encore mis d'accord sur un programme d'actions.

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Malgré les difficultés rencontrées à Bali lors de la dernière conférence de préparation du sommet, Tokia Saïfi reste persuadée qu'il faut rester « lucide et pragmatique ». Elle n'attend pas de grands bouleversements, tant la fracture entre Etats du Nord et du Sud est importante. « Pour faire évoluer les choses, les pays du Nord doivent aussi accepter de se remettre en cause », et de citer deux exemples frappants, l'aide au développement qui n'a cessé de baisser depuis le sommet de la Terre de Rio en 1982, et le fait que 20 % de la population mondiale continuent de consommer 80 % des ressources naturelles. « Au-delà de la nécessité de revoir le montant de l'aide publique au développement, il s'agit d'engager avec les pays du Sud un autre dialogue, les associant davantage, en amont, à la définition des positions et à la mise en oeuvre de la politique que nous voulons construire avec eux. La notion de partenariat doit être primordiale », explique-t-elle, avant de rappeler l'engagement du président Jacques Chirac, au G8, en faveur des Etats africains dans le cadre du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad).

Signe positif avant-coureur, malgré la morosité ambiante, les Etats se sont mis d'accord, le 6 août dernier, pour refinancer le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) à hauteur de 2,9 milliards de dollars sur la période 2002-2006. La France s'est engagée à verser 41 millions d'euros par an, ce qui la place au cinquième rang parmi les contributeurs et représente une augmentation de 25 % par rapport aux versements antérieurs.

L'Hexagone dispose aussi de son propre instrument bilatéral : le Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM), mais celui-ci est en cours de reconstitution...

La France a présenté avec l'Union européenne un certain nombre d'initiatives fortes dans le domaine de l'eau et de l'énergie, en particulier dans les régions africaines et méditerranéennes. Prélever un centime sur chaque mètre cube d'eau consommé pour développer des projets d'accès à l'eau, ce que pratiquent déjà certaines communes, notamment celles qui dépendent du Syndicat des eaux d'Ile-de-France, cette proposition généreuse a été abandonnée, au grand regret de nombreuses associations et spécialistes de l'eau. « Je continue de soutenir ce projet, qui n'est cependant pas encore mûr », déclare Tokia Saïfi.

Par ailleurs, les acteurs de l'eau (administrations, collectivités locales, professionnels et ONG) se sont accordés sur une Charte de l'eau qui vise à établir les responsabilités de chacun dans la distribution d'eau. Cette charte, défendue par le gouvernement, sera présentée à Johannesburg.

« Un discours trop intellectuel »

Au-delà du sommet, Tokia Saïfi revendique le statut de non-initiée, arrivant avec « ses gros sabots ».« Le discours sur le développement durable actuel est trop intellectuel et est resté trop longtemps entre initiés. Il faut maintenant parler à ceux qui ne sont pas informés de ses enjeux, comme le réchauffement climatique, la protection de la biodiversité, la désertification. Les citoyens sont la clef, car de leur changement de comportement dépend la création d'un véritable environnement durable. Il ne faut pas être démagogique, les choses ne changeront pas du jour au lendemain, puisque ce sont nos modes de consommation qui sont en jeu. C'est une nouvelle vision du monde, la remise en question sera laborieuse. »

Le secrétaire d'Etat lance ainsi une campagne de communication sur le développement durable et compte relancer l'activité de la Commission française du développement durable, un cercle de réflexion rattaché au ministère. Elle veut aussi monter un partenariat avec le ministère de l'Education afin d'intégrer le développement durable à l'école. Enfin, dans les grands débats politiques à venir, notamment sur la réforme de la politique agricole, ou de la pêche, ou sur les politiques des transports, elle espère « pouvoir être le poil à gratter du gouvernement ».

ANNE BAUER ET JULIE CHAUVEAU

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