Le président Emmanuel Macron pose à côté de l'historien Benjamin Stora après la publication de son rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, le 20 janvier 2021 à Paris

Le président Emmanuel Macron pose à côté de l'historien Benjamin Stora après la publication de son rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, le 20 janvier 2021 à Paris

afp.com/CHRISTIAN HARTMANN

Dans le rapport que Benjamin Stora vient de remettre au Président de la République sur les questions mémorielles entre la France et l'Algérie, l'historien recommande la création d'une Commission "mémoire et vérité" afin de contribuer à réconcilier les deux peuples. L'Élysée aurait donné son accord. Si elle voit le jour, cette Commission sera l'une des toutes premières expériences de justice transitionnelle en France. Celle-ci s'adresse à l'origine aux États dits en transition, c'est-à-dire à ceux qui entament leur conversion démocratique après un conflit, une guerre civile ou une période dictatoriale. Recourir à la justice transitionnelle consiste à repenser les mécanismes d'établissement de la responsabilité pour réconcilier et reconstruire. Il s'agit, en effet, d'agir hors du cadre des tribunaux pénaux chargés de punir les responsables.

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Ce mécanisme est né au Chili au tout début des années 1990, après la tenue des premières élections présidentielles postdictature militaire. Patricio Aylwin ordonne par décret présidentiel la création d'une Comisión Nacional de Verdad y Reconciliación, qui doit faire la lumière sur les circonstances du coup d'État de septembre 1973, identifier les victimes (assassinats, tortures, disparitions forcées) et proposer des mesures d'indemnisation et de réparation. En 1995, l'Afrique du Sud postapartheid choisit elle aussi de recourir à la justice transitionnelle en créant une Commission "vérité-réconciliation". L'une de ses principales innovations est d'octroyer l'amnistie à ceux qui témoignent et surtout reconnaissent leur responsabilité - en droit pénal on parlerait de reconnaissance préalable de culpabilité.

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La Commission a mis en présence victimes et bourreaux. Beaucoup lui ont reproché d'avoir forcé la réconciliation en contraignant la victime à pardonner. Dans un entretien publié en 1999 dans le Monde des débats, Jacques Derrida et Michel Wieviorka rapportaient le témoignage de la femme d'une victime venue témoigner devant la Commission "vérité-réconciliation" : "Une Commission ou un gouvernement ne peut pas pardonner. Moi seule, éventuellement, pourrais le faire. (And I am not ready to forgive) Et je ne suis pas prête à pardonner." Les années 1990 ont été traversées par deux mouvements contraires : d'un côté, la punition incarnée par les deux tribunaux internationaux créés en1993 et en 1994 en vertu de deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda) ; de l'autre, le pardon, la réconciliation, avec ces Commissions "vérité-réconciliation" qui se sont depuis multipliées à travers le monde.

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En France, le rôle de la Commission "mémoire et vérité" ne serait évidemment pas le même. Elle aurait pour mission de proposer des "initiatives communes entre la France et l'Algérie sur les questions de mémoire" dont le rapport donne de nombreux exemples : poursuivre les journées de commémorations, recueillir des témoignages, reconnaître la responsabilité de la France dans l'assassinat d'Ali Boumendjel pendant la "bataille d'Alger" en 1957, poursuivre le travail du groupe créé en 2012 pour localiser les sépultures des disparus algériens et français, publier un "Guide des disparus", identifier les emplacements où furent inhumées les personnes exécutées, etc.

Mais ces mesures n'ont de sens que si l'État français reconnaît sa responsabilité - ce qui suppose que tout le monde parle à l'unisson. Confier ce rôle à une Commission ne suffit pas. Présenter ses excuses, demander pardon pour les crimes commis pendant la colonisation (ce n'est évidemment pas la même chose) n'a rien d'humiliant, bien au contraire. Selon le New York Times, toutefois, le Président de la République exclurait toute excuse publique. Quel contraste avec le message porteur d'espoir du candidat Macron en 2017 ! Affirmer que la colonisation était un crime contre l'humanité était juridiquement contestable mais moralement louable. Il a fallu attendre 1995 pour que Jacques Chirac reconnaisse la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale - tous ses prédécesseurs s'y étaient refusés. Franchissons enfin le pas pour ne pas répéter inlassablement les mêmes erreurs. Ce n'est qu'à cette condition que la "réconciliation des mémoires" est possible.

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